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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 15 mai 1855

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1854-1855)

(Présidence de M. de Naeyer, vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1103) M. Calmeyn procède à l'appel nominal à midi et demi.

M. Vermeire donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Calmeyn communique l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Le général de Brias demande qu'il lui soit fait application de l'article 20 de la loi du 24 mai 1838 sur les pensions militaires. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les sieurs Robert et Lemaitre, admis comme candidats pour l'emploi de préposé des douanes, réclament l'intervention de la Chambre pour obtenir leur nomination à ces fonctions. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Bierwart demandent qu'on examine s'il n'y a pas lieu de décider que les fabriques de produits chimiques suspendront annuellement leurs travaux du 1er avril au 1er octobre. »

- Même renvoi.


« Les sieurs Delenaere-Mora et Aelgoet, président et secrétaire du comité dirigeant de la ferme de bienfaisance de Sulsique prient la Chambre de s'occuper de la pétition des habitants de cette commune tendant à obtenir une loi nouvelle sur les dépôts de mendicité et l'établissement des fermes de bienfaisance. »

- Même renvoi.

M. Deliége. - Messieurs, l'objet traité dans cette pétition est très important et très urgent ; les communes doivent supporter des charges considérables ; en conséquence, je prie la Chambre de vouloir bien ordonner un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.


« Le lieutenant-colonel Duvivier demande une augmentation de pension. »

- Même renvoi.

M. Pierre. - Je crois devoir saisir l'occasion de la pétition, dont nous venons d'entendre l'analyse, pour interpeller M. le ministre de la guerre.

Dans la séance du 6 décembre dernier, la commission des pétitions a fait rapport sur des réclamations analogues. Elles furent renvoyées à M. le ministre de la guerre d'alors. Ce haut fonctionnaire, en notre autre séance du 15 du même mois de décembre, nous fournit les explications que nous lui avions demandées.

Dans la première de ces deux séances, plusieurs membres de la Chambre, parmi lesquels je me fais honneur de compter, ont témoigné hautement, chaleureusement, leur sympathie en faveur des pétitionnaires.

Ils ont reconnu, proclamé le fondement, la légitimité des droits des anciens officiers de 1830.

L'attitude de l'assemblée prouva évidemment qu'elle s'associait tout entière à ces sentiments à la fois équitables et patriotiques. Le gouvernement ne pouvait éprouver pour les pétitionnaires moins d'intérêt que la Chambre. Je me hâte de constater que la bienveillance de M. le ministre de la guerre n'a pas fait défaut. Il est regrettable que cette bienveillance soit demeurée à l'état de stérilité ; elle s'est révélée par des paroles favorables et n'a pas été au-delà. Pour être réellement, sérieusement efficace, elle eût dû se traduire en fait ; elle eût dû être suivie de la présentation d'un projet de loi. C'était le seul moyen de donner satisfaction aux justes prétentions des pétitionnaires, et ce moyen, on ne l'employa pas. Le ministre voulait en laisser le soin à l'initiative parlementaire. Je ne puis en produire de meilleure preuve qu'en citant textuellement la partie essentielle de ses déclarations :

« Les officiers dont la Chambre m'a renvoyé la pétition le 6 de ce mois ont tous obtenu des pensions calculées d'après leurs années de service, et elles ne sont susceptibles d'aucune augmentation en vertu de la loi du 24 mai 1838, qui règle cet objet ; c'est du reste ce que ces officiers reconnaissent. Aussi demandent-ils qu'une loi spéciale intervienne en leur faveur.

« Ils font valoir qu'étant entrés au service à un âge déjà avancé, lors des événements de 1830, ils n'ont pu rester en activité assez longtemps pour atteindre le maximum de la pension de leur grade.

« Je n'ai pas l'intention, messieurs, de m'opposer à ce que la Chambre fasse en faveur des officiers pétitionnaires et de tous ceux qui se trouvent dans la même catégorie, quelque chose d'analogue à ce qu'elle a cru devoir faire pour les officiers d'origine étrangère. »

Or, il est clair que le gouvernement a reconnu qu'il y a quelque chose à faire, qu'il existe dans la loi de 1838 une lacune regrettable dont les réclamants sont victimes. M. le ministre de la guerre nous a dit qu'il y avait à prendre, pour cette catégorie d'officiers, une mesure analogue à celle qui a été prise pour les officiers d'origine étrangère, Jusqu'ici le gouvernement n'a donné aucune suite à cette intention qu'il manifestait alors. Le gouvernement serait-il, par hasard, disposé à faire moins pour ceux qui ont fondé notre nationalité, notre indépendance que pour les officiers d'origine étrangère ? Il ne peut pas abandonner à l'initiative parlementaire un objet d'une aussi haute importance.

J'aime à croire que M. le ministre de la guerre, reconnaissant la légitimité des réclamations qui lui sont soumises, et en présence de l'attitude sympathique de la Chambre pour les intéressés, voudra bien nous présenter un projet de loi qui fasse droit à ces réclamations si fondées.

M. le ministre de la guerre (M. Greindl). - Messieurs, la position du pétitionnaire et de beaucoup d'autres officiers qui sont dans la même catégorie, donne ouverture à des réclamations d'autant plus fondées que les mesures généreuses adoptées par la Chambre en faveur d'officiers étrangers à la Belgique, ont en quelque sorte consacré des droits que la loi de 1838 n'a pas pu prévoir.

Ces officiers, entrés dans l'armée, sous l'inspiration chaleureuse de leur dévouement et de leur patriotisme, n'ont pas tenu compte de leur âge, et le gouvernement a accepté leurs services, sans se préoccuper des conséquences financières que cette admission pourrait entraîner pour le trésor.

Le temps, inexorable pour tous, est venu mettre un terme à la carrière militaire de ces hommes qui, dans des temps difficiles, avaient concouru à délivrer notre territoire et à conquérir notre indépendance.

Le ministre de la guerre, quelles que fussent d'ailleurs ses sympathies pour les débris encore vivants d'une glorieuse époque, ne pouvait ni transgresser la loi, ni, en présence des nombreux besoins auxquels l'état actuel de l'armée exige impérieusement de pourvoir, prendre l'initiative de nouvelles charges pour le trésor.

Il ne pouvait donc que faire connaître à la Chambre l'état réel de la question, et c'est ce qu'il a fait par sa lettre du 11 décembre 1854, en ajoutant qu'il était disposé à ne s'opposer en rien à ce que la Chambre prît, en faveur de tous les officiers de cette catégorie, une mesure tendante à améliorer leur situation.

Je crois qu'on pourrait arriver à ce but en accordant à titre de récompense nationale 3, 4 ou 5 années de service, aux militaires, qui en qualité de volontaires, ont pris part aux combats de la révolution dans les quatre derniers mois de 1830, comme cela se trouve inscrit, mais, pour une année seulement, dans l'article 35 de la loi du 24 mai 1838.

Si les sympathies de la Chambre se portaient vers cette tendance, le ministre de la guerre ne verrait aucun inconvénient à s'associer à cette pensée généreuse, et si l'un des membres de la Chambre jugeait utile de prendre l'initiative dans cet ordre d'idées, le gouvernement ne croirait pas devoir s'y opposer.

M. Delfosse. - Avant de discuter sur cette pétition, il faut attendre qu'un rapport nous soit fait.

M. Pierre. - Il y a eu un rapport.

M. Delfosse. - Un rapport a été fait sur d'autres pétitions. Une nouvelle pétition nous arrive ; elle doit aussi faire l’objet d'un rapport. Il ne s'agit donc en ce moment que du renvoi à la commission. Lorsqu'elle nous aura présenté son rapport, nous pourrons discuter utilement. Si nous discutons aujourd'hui, que pourra faire la commission ? A quoi bon un rapport ?

M. Rodenbach. - L'honorable M. Delfosse a raison ; on doit renvoyer cette requête à la commission des pétitions. Mais je demande que la commission veuille faire un prompt rapport.

Je profite de cette circonstance pour remercier M. le ministre de la guerre de ses bonnes intentions. Je suis un de ceux qui, le 6 décembre, ont appelé les sympathies du gouvernement sur ces officiers qui ont rendu d'éminents services au pays. M. le ministre nous à fait entendre (page 1104) qu'il ferait en temps opportun une proposition. J'aime à croire qu'il n'oubliera pas sa promesse, et qu'il rendra justice à des hommes qui ont puissamment contribué à assurer notre nationalité.

M. Pierre. - Je ne contesterais pas la justesse de l'observation de l'honorable M. Delfosse si l'on introduisait une question neuve qui n'a pas encore été traitée. La discussion devrait naturellement être ajournée jusqu'au moment où le rapport de la commission des pétitions nous sera soumis.

Il n'en est pas ainsi dans le cas particulier qui nous occupe. Des réclamations ayant le même objet nous sont parvenues et ont été renvoyées à la commission des pétitions. Celle-ci, au commencement de notre session actuelle, nous a présenté son rapport. Le gouvernement, quelques jours plus tard, nous a fourni les explications que nous lui avions demandées. La pétition dont nous venons d'entendre les conclusions subira, selon toute probabilité, les mêmes épreuves ; elle aboutira au même résultat que je n'hésiterai pas à qualifier de négatif. Je n'entends pas ouvrir prématurément un débat sur le fond même de la question.

Je tenais, avant tout, à connaître les intentions du nouveau ministère à cet égard. Mon but est atteint. Je remercie M. le ministre de la guerre de ses déclarations bienveillantes en faveur des intéressés. Je le convie de nouveau instamment à user de son initiative. Quand il s'agit d'une question aussi éminemment patriotique et nationale, le gouvernement ne peut abdiquer son droit d'initiative. La responsabilité d'en user lui incombe beaucoup plutôt qu'à un membre de la Chambre.

M. de Mérode. - Messieurs, on a voulu établir une comparaison entre les officiers dont il s'agit, et les officiers étrangers dont on a brisé, il y a quelque temps, la carrière par des motifs politiques tout particuliers.

Ces derniers n'étaient pas dans le cas d'être mis à la retraite d'une manière légale ; on a dû faire à leur égard une loi spéciale, exceptionnellement favorable en raison de ces circonstances.

Qu'on mette en relief toute espèce de bonnes raisons dans l'intérêt des officiers dont nous a parlé l'honorable M. Pierre, je ne m'y oppose pas, mais je ne puis accueillir des rapprochements qui ne sont point fondés.

Vous ne pouvez, en effet, assimiler des officiers qui sont arrivés à l'âge de la retraite à ceux qui ont été pourvus de pensions hors ligne, parce qu'on avait aussi fait cesser subitement leurs services, contrairement aux règlements légalement garantis.

Comme M. le ministre de la guerre lui-même a eu recours à la comparaison qu'il est à propos d'éviter, pour les conséquences ultérieures qu'elle pourrait produire, j'ai cru devoir en signaler ici l'inopportunité.

- La pétition est renvoyée à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.


« Le sieur Roulot demande qu'il soit accordé une pension de 250 fr. à tous les décorés de la croix de Fer qui n'ont pas de fortune personnelle. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le budget de l'intérieur.


« Le sieur Heindryckx soumet à la Chambre la question de savoir s'il ne serait pas convenable de charger, dans toutes les communes, des personnes assermentées, désignées par l'administration, de peser, pour contrôle, les marchandises achetées dans les boutiques. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Plusieurs habitants de Ghlin réclament contre la cessation du droit de pâturage, faucillage, bois mort et feuilles, qui a été faite par l'arrêté du 20 février dernier. »

M. Thiéfry. - La presque totalité des habitants de Ghlin réclament contre la cessation du droit de pâturage qui a été faite par l'arrêté du 20 février dernier. Je pense que l'objet est assez important pour demander un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.


« Les sieurs Cogels, Osy et J. Schul, président et secrétaires de la commission de la cinquième section et des faubourgs d'Anvers prient la Chambre de ne point voter le crédit de 9,400,000 francs demandé par le département de la guerre, avant que le gouvernement ait donné des explications précises sur plusieurs points énumérés dans leur pétition et se rattachant aux mesures prises par le génie militaire. »

- Même renvoi.

M. Osy. - Je demande le renvoi de cette pétition à la section centrale chargée d'examiner la demande de crédit de 9,400,000 fr. pour le département de la guerre. La pétition dont il s'agit se rapporte à l'objet du crédit dont s'occupe la section centrale ; c'est pour cela que je demande qu'on la lui renvoie.

- Cette proposition est adoptée.

Rapport sur une pétition

M. Vander Donckt, rapporteur. - Messieurs, par pétition datée de Liège, le 23 avril 1855, la chambre des avoués près la cour d'appel de Liège demande que le personnel de cette cour soit rétabli conformément à la loi d'organisation judiciaire de 1832. Le motif principal du pétitionnaire est basé sur l'arriéré considérable de plus de 300 causes civiles et commerciales qui restent en souffrance et portent un préjudice notable aux justiciables qui souffrent souvent autant d'une justice tardivement rendue que d'un déni de justice. Ils osent espérer que la Chambre traitera la cour de Liège avec non moins de faveur que la cour de Bruxelles. Ils demandent, en terminant, que la Chambre, usant de son droit d'initiative, discute cette affaire dans la session actuelle, afin que, si elle adopte, les cinq conseillers à nommer puissent encore être présentés par les conseils provinciaux dans leur prochaine session, de juillet.

Votre commission, messieurs, a l'honneur de vous proposer le renvoi de cette pétition à M. le ministre de la justice.

- Ces conclusions sont adoptées.

Motion d’ordre

Droits de douane sur le bétail

M. Rodenbach. - Messieurs, vous savez tous que le prix de la viande dans notre pays est inaccessible à la classe ouvrière et à la classe bourgeoise ; vous n'ignorez également pas que l'exportation de toute espèce de bétail est plus considérable que l'importation. C'est surtout depuis un mois que nous voyons les marchands étrangers venir acheter une grande partie de bétail sur nos marchés ; c'est à tel point que nos bouchers ne peuvent plus trouver qu'à des prix exorbitants de quoi entretenir leur clientèle.

Cette question, je ne l'ignore pas, messieurs, est très grave, je la soumets à l'attention de la législature et du cabinet.

Il y a une autre question qui a beaucoup de rapport avec celle-là, c'est la question des octrois, je profiterai de la circonstance pour en dire quelques mots. Je suis d'avis que le ministère devrait également examiner la question des octrois ; les 71 villes à octroi que nous avons en Belgique perçoivent sur le bétail de boucherie une somme de 5 millions ; c'est une somme considérable. Je demande si on ne pourrait pas nommer une commission chargée de rechercher le moyen de remplacer le droit sur le bétail et les aliments par d'autres moyens de recettes qui ne frapperaient pas sur la nourriture du peuple.

Notez, messieurs, que plus des sept huitièmes de la population de notre pays ne peuvent faire usage de viande à cause de la cherté excessive. Le chemin de fer exporte notre bétail par 20 et 30 waggons à la fois ; je demande s'il est rationnel de permettre que nous alimentions les marchés étrangers en bétail quand nous en manquons. Je le répète, plus des sept huitièmes de notre population ne peuvent plus atteindre le prix exorbitant auquel la viande est arrivée et que par besoin ils sont légumistes.

Je désire connaître l'opinion du gouvernement et de la législature pour savoir si, temporairement, il ne croirait pas pouvoir établir un droit à la sortie du bétail. Cela diminuerait probablement les exportations et rapporterait quelques ressources à l'Etat ; par le temps qui court et avec plusieurs millions de déficit, nous ne devons pas dédaigner une source de revenu de plus. (Interruption.)

Messieurs, cette question vaut bien celles des poids et mesures et des irrigations. Le pays s'en occupe fortement. Je demande si nous devons laisser partir tout notre bétail pour alimenter les marchés étrangers au détriment de notre propre marché. C'est une question économique, bien digne de fixer l'attention de la législature et du gouvernement. S'il est un intérêt qui mérite la sollicitude du pouvoir, c'est certes bien celui qui a rapport à l'alimentation du peuple.

Bref, si M. le ministre veut me répondre quelques mots, je l'entendrai avec le plus vif intérêt.

M. le ministre des finances (M. Mercier). - Les questions indiquées par l'honorable préopinant méritent certainement tout l'intérêt de la Chambre. Cependant je ne crois pas que le remède que l'honorable membre a signalé, à savoir un droit à la sortie du bétail, puisse produire l'effet qu'il en attend.

L'honorable membre vient de citer l'exportation exceptionnelle qui a eu lieu le mois dernier. Ce n'est pas là une situation normale. Si je considère les faits par rapport à l'exercice 1854 tout entier, je trouve que les importations pour les bêtes bovines, les moutons et les agneaux sont supérieures aux exportations. Le contraire a lieu pour l'exportation des cochons qui a été plus considérable que l'importation. Mais en envisageant le chiffre total, nous trouvons qu'il y a à peu près balance, que l'excédant en kilogrammes des importations pour les bêtes bovines, les moutons et les agneaux est égal à peu près au déficit pour la race porcine ; on n'exporte en général que du bétail très jeune.

Il serait à craindre que de nouvelles mesures prohibitives n'occasionnassent des représailles ; nous n'en retirerions donc aucune espèce d'avantage ; si, d'une part, nous n'exportons plus notre bétail, d'un autre côté nous nous exposons à ne plus en recevoir de l'étranger.

La mesure n'aurait donc d'autre effet que de porter atteinte, commercialement parlant, à nos bons rapports avec les nations voisines.

Quanta la question des octrois, que l'honorable membre me dispense de la traiter dans cette circonstance. Il sait que cette question est à l'ordre du jour dans la plupart de nos grandes villes. Il connaît aussi quelles sont les difficultés qui s'opposent à ce qu'elle soit résolue. On désire l'abolition des octrois ; mais la grande difficulté est de trouver des impôts qui fournissent les ressources nécessaires au service des villes.

Le gouvernement ne peut incidemment exprimer une opinion sur cette question. Il voudrait, comme l'honorable membre, qu'on (page 1105) pût se passer de l'octroi ; on pourrait en dire autant de tous les impôts ; mais je ne puis en ce moment donner une solution à cette grave question. Il y a bien des années que l'on s'en occupe, et jusqu'à présent on n a pu parvenir à un résultat satisfaisant ; du reste, le gouvernement ne cessera de chercher à améliorer autant qu'il dépendra de lui le système des octrois.

Comme on l'a fait depuis quelques années, il s'attachera à faire disparaître les anomalies qui se rencontrent dans certains octrois. Mais quant à la suppression des octrois, il me paraît que c'est une appréciation qui peut être laissée aux administraiions locales, on sait que celles de nos plus grandes villes ne cessent de s'en préoccuper.

M. Dumortier. - Je regrette que mon honorable ami ne m'ait pas informé avant la séance de la motion qu'il avait l'intention de faire aujourd'hui. J'aurais pu, messieurs, vous présenter des chiffres qui me paraissent de nature à fixer au plus haut point l'attention de la législature.

Il est un fait que l'on ne peut pas contester, c'est qu'à l'époque actuelle, le salaire de l'ouvrier n'est plus en harmonie avec le prix des subsistances, que l'ouvrier ne vit que de privations, et certes le premier devoir de tout gouvernement est de songer premièrement et avant tout à la condition et au sort du peuple. Il ne suffit pas d'exposer de grands et beaux systèmes, des idées nobles et généreuses ; pour moi, l'idée la plus noble, la plus généreuse, c'est de penser aux classes qui souffrent, de penser au peuple dont nous avons à attendre notre salut dans les circonstances graves où nous pourrions nous trouver engagés.

Eh bien, il est hors de doute que les matières de première nécessité cessent d'être à la portée de la consommation du peuple. Mon honorable ami vient de parler de la viande ; tout ce qu'il a dit est parfaitement fondé. Mais là n'est pas seulement la difficulté. Nous voyons chaque jour tous les aliments les plus nécessaires être exportés du pays, pour servir à nourrir l'étranger. Le beurre a atteint aujourd'hui un prix exorbitant ; il part pour l'Angleterre ; les œufs sont également exportés vers ce pays ; sur tous les points du territoire, vous entendrez le cri des souffrances des populations.

Je ne pense pas que le gouvernement et la Chambre doivent rester insensible à de telles souffrances. Il s'agit d'une chose très sérieuse qui intéresse au plus haut point le pays.

Je suis assez peu touché des arguments que vient de présenter M. le ministre des finances, lorsqu'il compare les importations aux exportations. C'est toujours le même système qu'on préconisait dans la question des céréales. Eh bien, si c'est là ce qui dirige le gouvernement, je demanderai à M. le ministre des finances, pourquoi on laisse sortir du pays les matières de première nécessité pour l'existence, et que l'étranger ne nous importe pas ; pourquoi on laisse sortir le beurre, les oeufs, le petit bétail ; votre balance d'exportation vous fait ici défaut ; votre argumentation pèche par sa base.

Je pense avec mon honorable ami, M. Rodenbaeh, qu'il est indispensable qu'une mesure soit prise pour porter un remède au mal si grand dont souffrent la classe pauvre, la classe ouvrière et la petite bourgeoisie.

Je regrette vivement qu'on ait supprimé dans la loi des douanes la disposition qui autorisait le gouvernement à élever les droits de sortie dans l'intervalle des sessions, sauf à en rendre compte à la législature. J'engage vivement M. le ministre des finances à examiner s'il n'est pas nécessaire de ne point laisser finir cette session sans rétablir cette disposition, qui est indispensable dans beaucoup de cas. Je ne doute pas que si l'état actuel des choses venait à continuer, le gouvernement lui-même, malgré ce que vient de dire M. le ministre des finances, ne prît l'initiative des mesures pour faire cesser les souffrances qui pèsent sur les classes pauvres de la société.

M. Vander Donckt. - Messieurs, j'apprécie les motifs qui ont engagé l'honorable préopinant à faire sa motion, je partage ses sentiments sympathiques pour la classe moyenne afin qu'elle soit mise à même de pouvoir se nourrir, elle aussi, de viande. Mais une autre question domine cette discussion ; l'honorable membre demande que le gouvernement étudie la question, qu'il examine s'il n'y a pas lieu de mettre des droits à la sortie du bétail, afin que la viande de boucherie puisse être vendue à meilleur compte.

Pour moi, je pars d'un autre point de vue, et je dis que le prix de la viande sera toujours et doit être en raison directe du prix des autres denrées alimentaires, car le bétail absorbe une grande partie des denrées alimentaires, et on ne parvient à l'engraisser que dans ces conditions.

Et pourquoi le prix de la viande est-il aujourd'hui si élevé ? C'est parce que l'éleveur ne peut plus, dans la même proportion, nourrir son bétail ; parce qu'il n'y trouve plus son compte, il s'eu défait avant qu'il ait acquis l'âge ou le degré d'engraissement requis pour la boucherie.

Voilà le grand point ; le gouvernement appréciera, examinera et continuera d'examiner tant qu'il voudra ; il ne trouvera pas la solution du problème tant que les denrées alimentaires seront au taux actuel.

Je regrette de n'être pas d'accord avec mon honorable ami ; mais c'est une vaine sympathie qu'il émet en faveur de la classe moyenne. Et quant à la classe pauvre, elle ne peut, et de longtemps encore, songer à manger de la viande ; les vœux qu'on exprime s'adressent donc à la classe moyenne ; eh bien, cette classe doit subir le sort de la classe moyenne dans tous les pays. On a beau vouloir chercher un remède dans des entraves mises à la liberté du commerce ; c'est encore une erreur.

On se plaint aujourd'hui de la liberté du commerce. On se plaint que le beurre, les œufs, les légumes même sont exportés sans droits aujourd'hui en Angleterre ; mais à une époque antérieure peu éloignée de nous, on s'applaudissait de ce que le commerce prenait un élan de plus en plus grand, que les produits de la terre, les œufs, les volailles, les lapins s'exportaient en Angleterre et dans les autres pays voisins ; et, aujourd'hui, on voudrait entraver la liberté du commerce ! Je ne partage pas cette manière de voir. Le haut prix de la viande, qu'on signale, est un malheur sans doute ; mais c'est un mal auquel il ne nous est pas donné de porter remède. C'est une discussion tout à fait fait oiseuse qu'on a provoquée. Je consens volontiers à ce que le gouvernement examine, mais il n'est pas en son pouvoir de nous proposer des remèdes efficaces contre le mal qu'on signale. J'ai dit.

M. Visart. - Messieurs, par une mesure récente, nous avons mis l'agriculture pour ainsi dire hors la loi ; nous avons amoindri la valeur de sa principale production, en interdisant la sortie des céréales. Et néanmoins, je suis persuadé que nous avons bien fait ; il y avait nécessité, selon moi, parce que c'est la substance la plus indispensable à l'alimentation. L'extension conseillée qui serait donnée à ce système deviendrait très onéreuse et, par comparaison avec le régime des autres industries très injuste pour l'agriculture. Nous avons intérêt à ne pas décourager le fermier ; si vous le frappez par des mesures trop rigoureuses et trop fréquentes, il produira moins, et le mal, loin de diminuer, s'aggravera dans l'avenir.

Je pense donc qu'il n'y a pas lieu d'admettre la proposition de M. Rodenbach, quelle que soit, du reste, la pensée philanthropique qui l'ait inspirée.

L'honorable membre dit qu'il est sorti plus de bétail qu'il n'en est entré ; M. le ministre des finances a déjà combattu cette assertion ; c'est surtout, en général, le petit bétail qui sort du pays, et les animaux adultes qui y sont importés, de sorte que si on considérait le poids et non la quantité, on trouverait qu'il y a plus d'importations que d'exportations.

Je ne puis qu'engager le gouvernement à redouter des utopies revêtues de formes philanthropiques en désharmonie avec nos principes de plus en plus libéraux en fait de lois de douanes, et à rester juste envers l'agriculture. Il ne faut pas la mettre hors du principe de nos lois, si ce n'est pour un objet aussi essentiel que les céréales, ce qui est déjà rigoureux.

M. de Mérode. - Messieurs, l'agriculture n'a pas été mise hors la loi par la dernière mesure législative. On a même prétendu alors que la prohibition à la sortie ferait augmenter le prix des grains ; mais si elle avait pour effet d'augmenter le prix des grains, l'agriculture n'était donc pas exposée à des pertes, puisqu'elle devait vendre ses produits plus cher. Je ne dis pas que la loi ait produit une grande diminution dans le prix des céréales en Belgique ; il est possible qu'une diminution ait été produite, mais en tout cas, on a contenté le grand nombre qui ne peut voir avec plaisir enlever les grains indigènes par des pays qui refusent d'en importer chez nous. C'est une satisfaction morale donnée aux esprits qui n'ont pas l'habitude de raisonnements aussi profonds que ceux de certains économistes.

J'appuie donc très volontiers, messieurs, les observations de l'honorable M. Dumortier. Je pense que dans la position géographique où nous sommes, à côté de l'Angleterre et avec les grandes facilités de transport qui existent aujourd'hui, nos populations finiront par subir les prix anglais sans avoir les mêmes facultés de payer. Je ne comprends pas comment on laisserait sortir constamment du pays une partie très notable des subsistances comme beurre, œufs, houblon, tandis que l'Angleterre ne nous fournit pas la moindre chose de cette nature. A la vérité l'Angleterre nous livrera tant que nous voudrons des couteaux, des faïences, des colonnades et une toute d'autres articles que nous pourrions très bien produire nous-mêmes, mais en retour elle nous soutirera toutes les choses qui nous sont absolument nécessaires pour nous nourrir.

En outre, messieurs, je crois qu'au point de vue financier le gouvernement aurait aussi intérêt à établir un droit de sortie modéré sur les objets de consommation que je viens d'énumérer.

Nos finances ne sont pas dans un état florissant, car à chaque instant on a recours aux bons, du trésor.

Emettre, on le sait, des bons du trésor, c'est manger l'avenir, et il vaudrait bien mieux, ce me semble, percevoir quelque recette à la sortie des denrées alimentaires. Le gouvernement obtiendrait ainsi facilement un million ou 1,500,000 francs sans que le commerce en fût beaucoup gêné. Et si ces recettes faisaient, en temps de cherté, baisser un peu le prix du beurre, des œufs et de la viande, ce serait un avantage réel pour la généralité des Belges.

Quant aux cultivateurs, évidemment ils ne seront pas pour cela sacrifiés. Toutes les fois qu'il s'est agi de défendre les cultivateurs, je les ai soutenus de tous mes moyens ; mais dans le moment actuel ils n ont pas besoin d'être protégés ; ils obtiennent des prix très élevés de tout ce qu'ils produisent.

Seulement, messieurs, je ferai remarquer qu'une de nos provinces se trouve dans une position exceptionnelle, parce qu'elle est très écartée (page 1106) des grands centres de consommation intérieure. Je parle du Luxembourg. En établissant des droits de sortie, il ne faudrait pas les appliquer sur la frontière de cette province, du côté de la France spécialement.

Je pense donc que M. le ministre des finances ne peut craindre d'examiner s'il ne serait pas bien entendu de chercher une ressource pour le trésor dans un droit modéré à l’exportation de plusieurs de nos denrées alimentaires vers une contrée qui possède une richesse colossale pour les payer et les absorber sur une trop large échelle, comparativemenl aux moyens d'acheter et de solder dont disposent nos propres populations.

- Plusieurs voix. - La clôture ! la clôture !

M. Rodenbach. - Je n'ai que quelques mots à répondre a M. le ministre des finances.

J'ai adressé une interpellation au gouvernement. M. le ministre des finances m'a répondu ; on me permettra, je pense, de lui répliquer.

Je sais parfaitement bien que, dans le premier trimestre de 1855, il y a eu à peu près balance entre les importations et les exportations ; cependant toujours est-il qu'il y a eu une différence notable en faveur des exportations.

Ainsi pour ne parler que des vaches et des veaux, il n'est entré que 4,500 vaches tandis qu'il en est sorti 6,500 ; l'importation des veaux n'a été que de 1,400 tandis que l'exportation a été de 5,000. (Interruption.)

Je pourrais citer d'autres chiffres ; il est entré 4,600 porcs et il en est sorti 25,900 ; on a importé 12,300 moutons et on en a exporté 16,900.

Veuillez remarquer, messieurs, que c'est surtout depuis un mois qu'il sort énormément de bétail ; à la foire du 9 mai à Gand, les taureaux se sont vendus jusqu'à mille francs aux marchands étrangers, les bœufs de 500 à 900 francs, les vaches de 500 à 700 fr. ; et voilà comment notre bétail va alimenter les marchés étrangers.

Je vous demande si c'est là soigner les intérêts du pays. L'honorable député d'Alost a combattu mes observations au point de vue de l'intérêt de l'agriculture ; je lui répondrai que nos étables se vident et qu'en définitive l'agriculture en pâtira plus tard.

Ce que viennent de dire mes honorables collègues et amis, MM. de Mérode et Dumortier, sur le beurre et les œufs, est parfaitement fondé ; j'ajouterai que le prix de la main-d'œuvre est en Angleterre double de ce qu'il est en Belgique, que les ouvriers, ainsi que la classe bourgeoisc, peuvent donner des prix plus élevés pour toutes les matières nutritives. Si l'état de choses dont je me plains continue, la vie deviendra aussi chère chez nous que dans la riche Angleterre, et nos ouvriers, qui ont un salaire moitié moindre auront de la peine à subvenir à leurs besoins ; à peine pourront-ils se procurer le précieux tubercule, la pomme de terre, qui, depuis plusieurs années, devient d'une cherté excessive.

Je le répète, je désire qu'on s'occupe de cette question, que le gouvernement fasse des efforts pour faire baisser, si c'est possible, le prix de la viande et autres aliments ; je sais que le gouvernement ne peut pas tout faire ; mais ailleurs, où le même fait existe, on interdit la sortie du bétail. Quant à la question des octrois et aux 5 millions que nos soixante et onze villes à octroi perçoivent sur la viande, sans doute on ne peut pas les supprimer sans les remplacer par d'autres ressources, mais alors qu'on réunisse les bourgmestres de ces villes et qu'on les convie à rechercher ensemble des ressources nouvelles ; car cette perception de 5 millions ne peut pas être tolérée plus longtemps.

M. Vandenpeereboom. - Je ne parlerai pas du droit de sortie que l'honorable membre propose d'établir sur le bétail. Je répondrai un mot seulement sur la question des octrois dont a parlé aussi l'honorable Rodenbach. La Chambre aura incessamment l'occasion de s'occuper régulièrement de cette question ; elle en a été saisie par les propositions de MM. Jacques et Coomans ; la section centrale a terminé son travail, il ne reste plus qu'à terminer le rapport. J'ai demandé la parole pour expliquer le motif du retard qu'a éprouvé le dépôt du rapport.

J'ai remplacé comme rapporteur un honorable ami qui a cessé de faire partie de la Chambre. J'ai dû étudier cette question fort compliquée et très importante ; de nombreux renseignements ont été demandés au gouvernement ; tous ne me sont pas encore parvenus ; aussitôt que je les aurai reçus, je terminerai mon rapport et la Chambre pourra s'en occuper au commencement de la session prochaine.


« M. de Steenhault, retenu par des affaires urgentes, demande un congé. »

- Accordé.

Projet de loi sur la police des irrigations

Second vote des articles

Articles 3 à 6

M. le président. - Les articles 1 et 2 n'ont pas subi d'amendement.

L'article 3 a été amendé.

« Le régime intérieur des irrigations est libre, sauf les dispositions de la présente loi.

« Chaque concessionnaire peut, sous la même réserve, librement créer des prés ou les modifier et disposer des eaux dans les limites de sa propriété, pourvu qu'il ne les emploie qu’à l'usage déterminé par l’acte de concession, et qu'il les rende à leur cours à la sortie de son fonds à l'endroit et au niveau déterminés par l'administration. »

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Le mot « déterminé » se trouvant reproduit deux fois dans le même paragraphe, je proposerai de remplacer le dernier par le mot « fixé ».

- L'article 3 ainsi modifié est mis aux voix et définitivement adopté.

L'article 5 n'a pas subi de changement.

L'article 6 qui a été amendé est définitivement adopté sans discussion.

Article 7

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - L'article 7 ne peut pas, à la rigueur, être remis en discussion puisqu'il n'a pas été amendé. Mais je demanderai la permission de présenter quelques observations pour fixer le sens de cet article.

Je crains que, par suite de la discussion incomplète qui a eu lieu au premier voie, cet article n'entraîne dans des erreurs et n'occasionne dans la pratique de graves conflits.

Je veux parler du membre de phrase qui termine l'article ; « le tout sauf indemnité, s'il y a lieu. »

J'ai présenté lors de la première discussion des observations desquelles il résultait qu'il ne peut pas y avoir lieu à indemnité de la part du gouvernement. Je demande à reveuir sur cette partie de l'article 7, afin de bien en préciser le sens et d'éviter dans l'avenir des conflits et des procès.

L'article 11 renvoie aux articles 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 et 9 de la loi sur les irrigations. Dans cette loi sont prévus tous les cas d'indemnité qui peuvent se présenter de propriétaire à propriétaire.

Or, il ne peut jamais y avoir lieu à indemnité que de la part d'un propriétaire vis-à-vis d'un autre propriétaire, mais jamais de la part de l'Etat qui n'intervient que pour concéder l'usage des eaux dont il s'est toujours réservé l'emploi.

Dans le principe, quand le gouvernement préparaît lui-même des terrains pour les irrigations, il se servait des rigoles du fonds supérieur ; il pouvait alors y avoir, de ce chef, lieu à indemnité ; mais aujourd'hui le gouvernement ne prépare plus de terrain, son action devant s'effacer de plus en plus dans l'avenir ; il ne se servira donc plus des rigoles des propriétaires, par conséquent il n'y aura plus lieu à indemnité.

Je demanderai donc, si la Chambre veui bien le permettre, un léger changement à l'article 7. Tel qu'il est rédigé, on serait porté à croire qu'il peut y avoir lieu a indemnité pour l'Etal qui fait des concessions. Cela ne peut être, et il y aurait du danger à le laisser croire. Pour les indemnités entre le concessionnaire nouveau et l'ancien concessionnaire, elles sont prévues et réglées par la loi du 27 avril 1848.

L'article 11 renvoie à cette loi générale, et il y aurait double emploi à parler d'indemnité à l'article 7.

S'il n'y a pas d'opposition, je propose de supprimer les mots ; « le tout sauf indemnité s'il y a lieu » qui terminent l’article, parce que l'indemnité à laquelle il pourra y avoir lieu, pour usage des rigoles, est positivement prévue par l'article 11.

M. Deliége, rapporteur. - Je crois qu'on pourrait retrancher les derniers mots de l'article. La section centrale l'a entendu comme M. le ministre vient de le dire. Elle a cru que le propriétaire qui voulait faire des tranchées dans le fonds d'autrui pour y faire des rigoles, et les joindre à celles d'autres propriétés, devait une indemnité. Dans ce cas, c'est bien le propriétaire qui fait la rigole qui doit indemniser le concessionnaire précédent lorsque les tribunaux ont jugé qu'il y a lieu à indemnité, à défaut d'entente entre les propriétaires. C'est un cas prévu par la loi commune ; quand on a causé un dommage, on doit le réparer. C'est aussi prévu par l'article 7 de la loi du 27 avril 1848 sur les irrigalioas.

Je crois donc qu'il y a lieu de retrancher les derniers mots de l'article.

M. Delfosse. - Il est bien entendu qu'en retranchant ces mois, on ne supprime pas le droit éventuel à une indemnité ; on se réfère seulement à la loi sur les irrigations. (Adhésion générale.)

- L'article 7 est définitivement adopté avec la suppression des mots « le tout sauf indemnité, s'il y a lieu. »

Articles 8 à 15

Les amendements introduits dans les articles 8, 11, 12 et 15 sont définitivement adoptés.

Article 16

« Art. 16. Les contraventions aux dispositions de la présente loi et aux prescriptions réglementaires faites pour en assurer l'exécution sont punies d'une amende de un à deux cents francs et d'un emprisonnement de un à huit jours séparément ou cumulativcment. »

M. de La Coste. - Je ne me propose pas de m'opposer à l'adoption définitive de ce paragraphe ; mais je demanderai cependant quelques explications pour savoir dans quel cas il y a lieu à l'application d'un emprisonnement d'un à huit jours. Il me semble que les contraventions à la loi ne peuvent guère avoir une gravité qui appelle la peine de l'emprisonnement ; ce sont des rigoles qu'on ouvre, ou qu'on n'ouvre pas ; ce sont des matières purement civiles ; je ne me fais pas bien ici l'idée d'un cas qui mérite un emprisonnement de huit jours. Pour donner lieu à une telle peine, il faut un certain degré de ce qu'on appelle en droit malice, un certain degré de méchanceté.

Si l'on appliquait la loi avec sévérité, je ne sais si nous ne serions pas exposés à siéger ici à côté de personnes ayant subi cette peine, puisqu'il s'agit de propriétaires exécutant plus ou moins inexactement les mesures que le gouvernement aura jugées utiles en matière d'irrigations.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Les contraventions dont il s'agit à l'articles 16 sont prévues dans la plupart des articles antérieurs, il pourrait y avoir dans certains cas, je l'avoue, quelque rigueur à (page 1107) prononcer l'emprisonnement. Mais cette peine ne sera prononcée que dans des cas exceptionnels. D'ailleurs, il peut se présenter dans la pratique des contraventions révélant une certaine malice, une certaine persistance à poser des faits contraires à la loi et au règlement sur les irrigations.

Du reste, c'est l'affaire du juge qui prononcera les peines séparativement ou cumulativement. Il peut se présenter des cas où l'amende ne serait pas une peine suffisante.

Je prie l'honorable membre de remarquer que nous avons déjà, pour les contraventions dont il est ici question, adouci singulièrement les, pénalités ; car aux peines comminées par la loi de 1818 (amende de dix à cent florins ; emprisonnement d'un à quinze jours) nous avons substitué une amende de 1 à 200 fr. et un emprisonnement de 1 à 8 jours.) Sous ce rapport, on est déjà entré, pour autant qu'il était possible de le faire, sans enlever à la loi sa sanction, dans les sentiments que manifeste l’honorable membre, et qui concordent avec ceux que nous avons exprimés nous-mêmes.

M. Coomans. - Je crois qu'en thèse générale, il n'y aura pas lieu d'appliquer la peine d'emprisonnement. Mais je dois signaler un cas où elle ne serait pas trop forte, et où il y aurait lieu de prononcer la peine supplémentaire de. dommages-intérêts extrêmement graves. Je suppose le cas où l'on aurait levé les vannes, en temps inopportun, en temps de récolte, et où l'on aurait détruit ou détérioré les récoltes des voisins. Ce serait une contravention pour laquelle la peine d'emprisonnement serait fort légère. Dans ce cas, il serait à désirer que l'auteur du mal fût solvable et pût payer les dommagcs-inlérêts auxquels il serait en outre condamné.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Je désire faire une observation pour donner à l'article 16 une rédaction plus conforme au langage juridique. Le mot « contravention » que contient cet article implique l'idée de faits qui ne sont punis que de 1 à 15 francs d'amende et de 1 à 5 jours d'emprisonnement.

Ici la peine dépasse cette mesure. Il s'agit donc en réalité de faits correctionnels qui sont déférés par la loi nouvelle à la juridiction des tribunaux de simple police.

Il serait, je crois, convenable de substituer le mot « infractions » au mot « contraventions ».

M. Lebeau. - Voici un léger scrupule de purisme, que je soumets à M. le ministre. Le mot « contravention » n'est peut-être pas le mot convenable. Mais le mot « infraction » me paraît se lier assez mal à la suite de la phrase. On dit enfreindre des dispositions, mais non enfreindre a... ou enfreindre aux... Je ne crois donc pas qu'on puisse dire « les infractions aux... »

M. Delfosse. - Le mot « contraventions » se trouve aussi à l'article 23 ; il faudrait également le changer. Mais je crois qu'on pourrait, sans inconvénient, le maintenir dans les deux articles.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Ce ne sont pas des contraventions.

M. Delfosse. - On assimile en quelque sorte les faits dont il s'agit aux contraventions, puisqu'on les défère aux tribunaux de simple police. Il n'y a pas d'inconvénient à laisser subsister le mot ; personne ne sera induit en erreur.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Je n'y attache pas la moindre importance.

M. Deliége, rapporteur. - La section centrale s'est servie du mot « contravention », parce qu'elle a cru que les faits déférés aux tribunaux de simple police étaient des contraventions. C'est ainsi entendu dans le nouveau Code pénal ; il sera entendu dans le Code pénal nouveau que tous les faits déférés aux tribunaux de simple police seront appelés des contraventions.

Je crois, du reste, que le mot peut être conservé dans la loi même. Dans un sens général, quiconque commet un délit contrevient à la loi, commet ainsi une contravention.

Messieurs, on a maintenu la peine assez forte, indiquée dans cet article, d'abord pour la raison qu'on a donnée tantôt. Une peine plus forte est d'ailleurs comminée par la loi de 1818 qui est encore en vigueur.

Mais des faits excessivement graves sont prévus par la loi qui nous est soumise. Ainsi par des manoeuvres qui ne seraient pas autorisées, on pourrait mettre le canal à sec et faire un tort considérable au commerce.

Comme j'ai eu l'honneur de le dire dans une séance précédente, le gouvernement a été condamné à des dommages-intérêts envers un particulier parce qu'il n'avait pas maintenu dans le canal la quantité d'eau nécessaire à la navigation.

Ii s'agit donc de faits graves qui méritent d'être punis d'une peine assez forte.

Lorsque ces faits sont commis malicieusement, les tribunaux peuvent certainement aller jusqu'à 8 jours d'emprisonnement.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Il est toujours vrai de dire que le mot « contraventions » suppose des pénalités de simple police.

M. Lebeau. - Il s'agit d'un sens grammatical et non d'un sens juridique.

M. de La Coste. - Le commentaire.que j'ai provoqué me suffit et précisera suffisamment le sens de l'article.

- L'article est mis aux voix et définitivement adopté.

Articles 18 et 19

Les articles 18 et 19 sont définitivement adoptés, tels qu'ils ont été admis au premier vote.

Article 20

« Art. 20. Les agents, désignés à cet effet par le Roi, auront le droit de constater les contraventions et les délits en matière d'irrigation. Avant d'entrer en foctions, ils prêteront serment entre les mains du juge de paix de leur résidence. »

M. Moreau. - Il me paraît qu'il faut supprimer les mots « et les délits », qui sont insérés dans l'article 20, puisque les infractions que la loi punit ne sont que des contraventions ; il n'est donc plus question d'appeler les agents à constater des délits en matière d'irrigation.

- L'article 20, avec la suppression des mots « et les délits », est définitivement adopté.

Articles 21 à 24

Les articles 21 et 23 sont définitivement adoptés.

M. Moreau. - Je demanderai à la Chambre la permission de présenter une observation concernant la rédaction de l'article 24 non amendé dans lequel se trouve le mot « délinquants. »

Par suite des amendements qui ont été adoptés, il serait, ce me semble, plus correct de rédiger comme suit cet article ;

« Le produit des amendes prononcées à charge des contrevenants sera versé au trésor. »

J'en fais la proposition à la Chambre.

- La proposition de M. Moreau est adoptée.

Vote sur l’ensemble du projet

Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet qui est adopté par 59 voix contre 8.

2 membres (MM. Van Overloop et Desmaisières) se sont abstenus.

Ont voté l'adoption : MM. Frère-Orban, Goblet, Jouret, Lambin, Landeloos, Lange, Laubry, le Bailly de Tilleghem, Lebeau, Lesoinne, Loos, Maertens, Mascart, Matthieu, Mercier, Moreau, Orts, Osy, Rodenbach, Rousselle, Sinave, Tack, Thibaut, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom, Van Iseghem, Vermeire, Veydt, Vilain XIIII, Visart, Wasseige, Boulez, Brixhe, Calmeyn, Closset, Coomans, Coppieters 't Wallant, de Baillet-Latour, de Breyne, de Bronckart, de Decker, de la Coste, Delfosse, de Liedekerke, Deliége, Della Faille, de Muelenaere, de Pitteurs, Dequesne, de Renesse, de Ruddcrc de Te Lokercn, de T'Serclaes, Devaux, de Wouters, Dubus et Dumon.

Ont voté le rejet : MM. Jacques, Pierre, Thienpont, Vander Donckt, Van Renynghe, de Moor, de Perceval et de Naeyer.

M. Van Overloop. - Je me suis abstenu parce que je n'ai pu assister à la discussion. J'étais absent par congé.

M. Desmaisières. - Messieurs, le projet de loi repose, selon moi, sur deux principes entièrement opposés à mes convictions. Il décide, au moins quant à présent, la non-adoption du système de wateringues, et il place les concessions de prises d'eau à des canaux navigables, ainsi que les irrigations de la Campine dans les attributions du département de l'intérieur, tandis que, selon moi, ces objets devraient appartenir aux attributions du département des travaux publics.

Cependant, messieurs, comme l'article 6 me paraît annoncer l'adoption du système de wateringues dans l'avenir et que je n'ai pas voulu, d'un autre côté, m'opposer à ce que le ministère actuel continuât l'expérience commencée par les ministères précédents, je n'ai pas voulu voter contre la loi.

M. le président. - M. le baron de Royer demande un congé de quelques jours pour indisposition.

- Ce congé est accorde.

Projet de loi de naturalisation

M. le président. - Nous avons maintenant à l'ordre du jour le projet de loi ayant pour objet d'accorder la grande naturalisation au sieur Biver.

M. Osy (pour une motion d'ordre). - Messieurs, au point où en est arrivé, la session, je crois que nous devons accélérer nos travaux le plus possible et, par conséquent, ne nous occuper que d'objets strictement nécessaires. Je crois donc, messieurs, que nous ferions très bien de ne nous occuper de naturalisations et de pétitions qu'à la fin de la session.

M. Delfosse. - Il ne s'agit que d'un appel nominal.

M. le président. - Le projet de loi est ainsi conçu ;

« Vu la demande du sieur Pierre-Ernest-Dominique Biver, officier d'état-major, demeurant à Bruxelles, né à Luxembourg, le 29 avril 1829, tendant à obtenir la grande naturalisation ;

« Vu le premier paragraphe de l'article 2 de la loi du 27 septembre 1835,

« Attendu que les formalités prescrites par les articles 7 et 8 de la même loi ont été observées ;

« Les Chambres ont adopté et nous sanctionnons ce qui suit ;

« Article unique. La grande naturalisation est accordée au sieur Pierre-Ernest-Dominique River. »

- Cet article unique est mis aux voix par appel nominal et adopté à l'unanimité des 70 membres présents.

Ce sont : (page 1108) MM. Frère-Orban, Goblet, Jouret, Lambin, Landeloos, Lange, Laubry, le Bailly de Tilleghem, Lebeau, Lesoinne, Loos, Maertens, Mascart, Matthieu, Mercier, Moreau, Orts, Osy, Pierre, Rodenbach, Rousselle, Sinave, Tack, Thibaut, Thiéfry, Thienpont, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom, Vander Donckt, Van ïseghem, Van Overloop, Van Renynghe, Vermeire, Veydt, Visart, Wasseige, Boulez, Brixhe, Calmeyn, Closset, Coomans, Coppieters 't Wallant, de Baillet-Lalour, de Breyne, de Bronckart, de Brouwer de Hogendorp, de Decker, de Haerne, de La Coste, Delfosse, de Liedekerke, Deliége, Della Faille, F. de Mérode, de Moor, de Muelenaere, de Perceval, de Pitteurs, Dequesne, de Renesse, de Ruddere de Te Lokeren, Desmaisières, de T'Serclaes, Devaux, de Wouters, Dubus, Dumon et de Naeyer.

Projet de loi portant un crédit extraordinaire au budget du département de la guerre

Discussion générale

M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du crédit extraordinaire de 2,455,000 fr. au département de la guerre.

M. Delfosse (pour une motion d'ordre). - Messieurs, il y a une certaine connexité entre le projet de loi de 2,435,000 fr. et celui de 9,400,000 fr. Dans les deux projets, il s'agit de dépenses pour le matériel de l'artillerie et pour le matériel du génie. Ces dépenses doivent se répartir par arrêté royal ; elles se rattachent en tout ou en partie à l'exercice 1855 ; la dépense de 2,435,000 fr. se rattache tout à fait à l'exercice 1855 ; celle de 9,400,000 fr. s'y rattache pour une partie. Il y a encore cette analogie entre les deux projets, que les dépenses doivent être couvertes par des bons du trésor.

Je crois que la Chambre ferait chose utile, en ajournant la discussion du crédit de 2,435,000 fr. jusqu'à celle du crédit de 9,400,000 fr. Je fais la proposition formelle de joindre ces deux discussions ; mais je ne m'oppose pas à ce que la Chambre s'occupe aujourd'hui d'un autre crédit de 1,571,000 fr. au département de la guerre, qui a un tout autre caractère et qui est urgent.

M. le ministre de la guerre (M. Greindl). - Messieurs, je suis entièrement aux ordres de la Chambre ; je suis prêt à discuter dès aujourd'hui le projet de crédit de 2,435,000 fr., si elle le juge convenable. Je consens volontiers à ce qu'on ajourne la discussion jusqu'à celle du crédit de 9,400,000 fr. tout en exprimant le désir que celle discussion soit rapprochée le plus possible.

M. de Perceval. - Messieurs, comme rapporteur de la section centrale qui a été chargée d'examiner le projet de loi allouant un crédit de 2,435,000 fr. au département de la guerre, je déclare que du moment que M. le ministre de la guerre ne s'oppose pas à la motion de l'honorable M. Delfosse, je n'ai, en ce qui me concerne, aucun motif pour la combattre.

-La proposition de M. Delfosse est mise aux voix et adoptée. En conséquence la discussion du projet de crédit de 2,435,000 fr. est ajournée jusqu'à celle du crédit de 9,400,000 fr.

Projet de loi portant le budget des recettes et dépenses pour ordre de l’exercice 1856

Discussion générale

M. le président. - La discussion générale est ouverte.

M. Thiéfry. - Messieurs, la section centrale a examiné la question de savoir s'il n'y avait pas lieu de porter au budget des recettes et dépenses pour ordre les 2 p. c. perçus par le département de la guerre, au profit de la masse des recettes et dépenses imprévues. Les uns ont voulu que cette recette figurât au budget, et les autres ont pensé qu'il serait préférable d'abolir cette retenue, dont tiennent certainement compte les fournisseurs de l'armée.

La section centrale n'ayant fait aucune proposition à ce sujet, j'ai l'honneur de déposer l'amendement suivant ;

A dater du 1er janvier 1856, les recettes et dépenses permises par le règlement du 1er février 1819 sur l'administration de l'armée, seront mises en rapport avec la loi sur la comptabilité de l'Etat.

M. le ministre de la guerre s'est refusé à porter les 2 p.c. en recette au budget des recettes et dépenses pour ordre, sous prétexte que cette retenue est attribuée, par l'article 154 du règlement du 1er février 1819 sur l'administration de l'armée, à la masse des recettes et dépenses imprévues qui existe dans chaque corps de troupes.

Mais ce règlement a été aboli par la loi sur la comptabilité qui impose aux ministres l'obligation de porter aux budgets toutes les recettes et dépenses, et qui leur défend d'accroître par aucune ressource particulière le montant des crédits affectés aux dépenses de leurs services respectifs.

La Chambre, qui a voulu que le ministre de l'intérieur porte au budget le produit des examens universitaires et des examens de professeur agrégé de l'enseignement moyen, ne peut pas consentir à ce que dans un autre ministère on fasse des recettes irrégulières.

Je vous rappellerai, messieurs, que dans la séance du 25 mai 1853, j'avais présenté un amendement dont l'adoption aurait eu pour résultat d'avoir au budget de la guerre des demandes de crédit pour toutes les dépenses. La Chambre n'a pas été appelée à émettre son opinion à cet égard, j'ai retiré mon amendement parce que M. le ministre de la guerre avait pris l'engagement d'envoyer à la cour des comptes le compte de la masse des recettes et dépenses imprévues. Il a été déposé depuis huit jours. J'en ai ici une copie, et je dois le déclarer, ce compte ne répond pas à ce que nous étions en droit d'attendre ; c'est un simple relevé des recettes et dépenses effectuées en 1853, auquel on a joint une note expliquant les dépenses.

La Chambre n'obtiendra pas ainsi l'assurance que les abus que j'ai signalés ne se reproduiront plus.

Il n'y a pas une seule pièce qui puisse justifier ni les recettes, ni les dépenses. La cour des comptes n'a pas le moyen de constater l'oubli d'une dépense qui n'aurait pas été inscrite, et elle ne l'aura jamais ; dans un autre ministère, cette erreur ne saurait se produire, puisque toute dépense, pour être soldée, exige qu'un mandat soit porté en compte, mais quand on fait des payements au moyen d'une caisse que l'on a à sa disposition, si on oublie d'inscrire une dépense, celui à qui on envoie le compte ne peut s'en apercevoir.

D'un autre côté la cour sera dans l'impossibilité de certifier que toutes les recettes sont renseignées, parce que la comptabilité spéciale des corps n'est pas soumise à son examen. Que le département de la guerre, par exemple, achète 60,000 mètres de drap à fr. 7-50 et que M. le ministre ordonne que les soldats le payeront 8-30, il y aura un bénéfice de 48,000 fr. quand tous les draps seront employés et les effets livrés à la troupe, comme les pièces de l'administration intérieure des régiments ne sont pas communiquées à la cour, celle-ci ne connaîtra pas ce qui est en magasin et ce qui aura été fourni aux soldats. De sorte que si les 48,000 fr. ne figurent point en totalité dans le compte de la masse, elle ne pourra pas signaler l'omission.

J'ajouterai que ces sortes de bénéfices se réalisent chaque année, et ils seraient permis si on admettait l'existence légale du règlement de 1819 ; car l'article 154 indique les recettes dont cette masse se compose, et le littera g comprend les bénéfices qui pourront se faire sur les prix d'achat des étoffes. On use d'autant plus largement des dispositions de l'article 154 qu'on a toute liberté à cet égard ; on ne dépend de personne ; il suffit de la volonté du ministre pour battre monnaie au profit de la masse ; seulement les sous-officiers et les soldats payent leurs habillements plus cher.

Vous pensez, messieurs, que l'on ne prélève que 2 p. c. sur l'habillement. Eh bien, vous vous trompez, on ne se contente pas de si peu ; on fournit encore les effets à la troupe à un taux bien supérieur à celui payé aux fournisseurs ; en 1853 par exemple ;

Le drap vert et bleu acheté 8 fr. 64 a été payé par le soldat 9 50. En comprenant la réduction de 2 p. c. opérée sur les factures, on a fait un bénéfice au profit de la masse de 11 95 p. c.

Le drap gris acheté 7 65 a été payé par le soldat 8 50 ; c'est un bénéfice de 13 11 p. c.

Les bénéfices sur les chemises, sur les caleçons n'ont pas été moins considérables.

Les galons en fil blanc, soumissionnés à 23 centimes le mètre, sont vendus 30 centimes, c'est, à une minime fraction près, 31 p. c. en sus de leur coût réel.

On ne délivre pas une seule pièce ni aux sous-officiers ni aux soldats, sans réaliser de gros bénéfices.

Voilà ce qu'ont fait les prédécesseurs de M. le ministre, et l'honorable général, qui est entré dans cette enceinte en déclarant hautement qu'il ne serait guidé que par des principes de justice, ne voudra sans doute pas maintenir un tel état de choses, et j'espère qu'il se ralliera à mon amendement.

Car, je vous le demande, y a-t-il une mesure plus inique, plus capable d'occasionner un grand mécontentement dans l'armée ? et pour comble d'irrégularités, messieurs, on permet au ministre de la guerre de verser à cette masse les excédants de crédit qu'il réalise sur les frais d'administration sur le ferrage des chevaux, sur le harnachement, ce qui a formé dans certaines années d'assez fortes sommes. N'est-ce pas là un abus vraiment intolérable ? Et vous ignorez peut-être, messieurs, que le règlement de 1819 accorde au ministre des pouvoirs encore plus étendus ; voici ce que j'y lis textuellement. Les recettes de cette masse se composent ;

« Littera I, de tous les bénéfices imprévus qui pourront se faire au profit de cette masse, en vertu de ce règlement ou par autorisation spéciale du département de la guerre. »

Il ne faut donc pas même un arrêté royal pour profiter des avantages de cet article ; le ministre peut, de son chef, disposer de toutes les économies de son budget. J'aime à croire que l'on ne fait pas usage de ce droit que confère le règlement de 1819 ; mais il n'est pas moins vrai de dire que ce règlement accorde au ministre des pouvoirs qui sont en opposition directe avec la loi du 15 mai 1846.

Et puisque nous avons une loi sur la comptabilité, pourquoi le département de la guerre ne s'y conformerait-il pas ?

On ouvre ainsi la porte aux abus, et d'un autre côté on voudrait qu'il n'en surgît aucun ; ce sont là des irrégularités et des inconséquences.

Il est vraiment inconcevable que dans un gouvernement constitutionnel, où tout se fait au grand jour, où l'ordre le plus parfait existe dans les recettes et les dépenses, il est inconcevable, dis-je, que l'on tolère l'existence de cette masse.

J'ajouterai quelques observations sur les dépenses. MM. les commissaires du Roi disaient, en mai 1853, que si l'on supprimait la masse des recettes et dépenses imprévues, il faudrait ajouter au budget 15,000 fr. par régiment d'infanterie ; 5,500 par régiment de cavalerie et 9,000 par régiment d'artillerie, Ils ont oublié le génie et diverses compagnies. C'eût été une majoration de plus de 320,000 francs. Eh bien, messieurs, les dépenses ne s'élèvent qu'à fr. 116,213 19 c. Je veux bien admettre que toutes ont leur degré d'utilité, voire même coequi a été accordé à un officier à titre d'indemnité pour changement d'uniforme, (page 1109) comme les 4,000 fr. payés pour loyer d'un hôtel à l'usage du régiment des grenadiers.

Je ne veux rien critiquer, je ne veux surtout supprimer aucune dépense utile. Je demande seulement que, pour éviter les abus, M. le ministre de la guerre porte les crédits au budget avant de faire les dépenses, comme le font tous les ministres. Son budget ne sera pas voté avant six mois, M. le ministre aura donc tout le loisir pour ajouter des articles nouveaux qui régulariseront les dépenses à faire.

Si mon amendement est adopté, le département de la guerre s'entendra avec la cour des comptes pour établir cette comptabilité avec régularité.

Aucune retenue ne sera plus faite sur le montant des factures des fournisseurs.

Les effets seront fournis aux sous-officiers et soldats aux prix payés par le département de la guerre.

Aucun transfert des excédants de crédit n'aura lieu sans l'assentiment des Chambres.

Je terminerai, messieurs, en vous prévenant que la masse des recettes et dépenses imprévues est dans une situation très brillante. La recette de 1853 a été de 144,161-41, et le restant en caisse au ler janvier 1854 était de 864,246-20.

M. le président. - Voici l'amendement qui a été présenté par M. Thiéfry ;

« A dater du ler janvier 1856, les recettes et dépenses permises par le règlement du 1er février 1819 sur l'administration de l'armée, seront mises en rapport avec la loi sur la comptabilité de l'Etat. »

- L'amendement est appuyé.

M. le ministre de la guerre (M. Greindl). - Messieurs, je n'étais pas prévenu qu'un amendement serait déposé par l'honorable M. Thiéfry. Si je l'avais été, je me serais préparé de manière à pouvoir répondre à chacun des points que cet honorable membre a soumis à l'appréciation de la Chambre.

Messieurs, la masse des recettes et dépenses extraordinaires et imprévues se compose de divers éléments. Outre les 2 p. c. qui sont retenus sur le montant des fournitures faites à l'Etat par les entrepreneurs, il entre encore dans cette masse le solde créditeur qui est laissé par les hommes morts ab intestat, ainsi que le solde des hommes qui ont déserté et d'autres petites recettes de cette nature.

Elle pourvoit d'un autre côté à solder la masse, à payer le solde débiteur des hommes morts insolvables sous les drapeaux, et à bonifier à l'Etat le solde débiteur des hommes morts sur le champ de bataille et de ceux qui ont quitté l'armée soit par désertion, soit de toute autre manière.

Partant de cet ordre d'idées, cette masse est en elle-même une sorte d'assurance mutuelle faite entre les soldats dont ces derniers supportent les frais par la majoration de la masse d'habillement qu'ils reçoivent conformément aux ordonnances.

Les différents points cités par l'honorable membre ne me sont pas assez présents à la mémoire pour pouvoir les discuter, mais je dois faire remarquer que le tableau de dépenses qu'il a sous les yeux a été envoyé par moi à la cour des comptes aussitôt que j'ai su que la demande en avait été faite par l'assemblée à mon honorable prédécesseur.

Les commissaires du Roi, dit l'honorable M. Thiéfry, ont, lors de la discussion du budget de la guerre, émis des chiffres qui ne correspondent pas avec ceux constatés en 1853. Cela ne préjuge rien, car ces dépenses sont éventuelles et dépendent des circonstances qui viennent à se produire.

Il a fait un grief de la rémunération accordée à un officier pour changement de tenue.

Cette dépense m'avait frappé quand on m'a remis le travail qui a été soumis à la cour des comptes. J'ai demandé des renseignements et je ne vois aucun inconvénient à les communiquer à la Chambre. L'officier dont il s'agit appartenait au deuxième régiment de chasseurs à pied ; appelé, dans l'intérêt du service, à faire partie d'une compagnie de discipline, il avait à faire une dépense considérable, par suite d'un changement de position qui ne lui était favorable sous aucun rapport.

J'ai dû reconnaître que dans ces circonstances mon prédécesseur avait agi suivant les lois de l'équité la plus absolue.

Quant aux 4,000 fr., le gouvernement a cru devoir faire une expérience sur les moyens de réunir les officiers, pour les faire dîner en commun d'après un procédé dont on avait trouvé les divers éléments en Allemagne. Pour cela on a passé bail pour un hôtel qu'on occupe encore aujourd'hui ; le bail expire prochainement, il ne sera pas renouvelé ; ainsi l'abus, si abus il y a, va cesser d'exister.

Les dépenses pour ordre inscrites au compte des dépenses éventuelles et imprévues suffisent pour expliquer la nécessité de cette masse ; je vais en indiquer quelques-unes ; lorsqu'un baudrier de tambour-major ou un cordon de cornet doivent être remplacés, en un mot, lorsque des dépenses qui ne font pas partie de l'uniforme général doivent être faites, l'administrateur de cette partie du service en fait la proposition au chef du corps qui après s'être assuré de la nécessité de la dépense et de l'exactitude de la somme proposée, appose son visa ; cette pièce est envoyée à l'intendant militaire de la province qui étudie de nouveau la question, appose à son tour un visa approbatif, et soumet l'affaire à l'intendant divisionnaire.

Voilà quelles précautions on prend pour une dépense de 3 ou 4 fr. Je ne sais si ces détails sont soumis à la cour des comptes ; l'honorable membre dit que non, j'ai lieu de croire cependant que tous les comptes sont soumis à cette cour ; je puis en parler par expérience, ayant en moi-même de longues discussions à soutenir pour des sommes de quelques francs, voire même de quelques centimes.

En définitive, les garanties les plus complètes me semblent résulter, tant pour les Chambres que pour la cour des comptes, de la sincérité et de la régularité des dépenses de cette partie de l'administration miliaire.

Quant aux autres questions soulevées par l'honorable représentant, je me réserve de les examiner et d'y faire droit, s'il y a lieu.

M. Thiéfry. - Messieurs, l'honorable ministre de la guerre m'a fait un grief de ne pas l'avoir prévenu. (Non ! non !) Je l'avais compris ainsi. Mon amendement, du reste, était facile à prévoir, puisque dans le rapport de la section centrale cet objet a été traité assez longuement et que des demandes de renseignements ont été adressées à M. le ministre de la guerre qui a répondu par une note écrite. Je crois même que c'est par suite du rapport de la section centrale que le compte de la masse des recettes et dépenses imprévues a été envoyé à la cour des comptes, car, comme l'a très bien fait ressortir M. le ministre, la comptabilité de l'armée est tenue avec beaucoup de régularité. Tous les trimestres elle est arrêtée et remise à la cour des comptes. Or le 21 mai 1853, M. le ministre de la guerre avait promis d'y déposer aussi le compte des recettes et dépenses imprévues ; toute la comptabilité de 1853 et même celle des trois premiers trimestres de 1854 sont envoyées depuis longtemps à la cour, tandis que le compte de la masse ne s'y trouve que depuis huit jours.

L'honorable ministre a cilé quelques recettes dont se compose cette masse, il a indiqué plusieurs dépenses auxquelles elles pourvoient.

Les principales ressources au moyen desquelles le département de la guerre fait face à ces dépenses sont de deux catégories ; la première comprend une retenue de 2 p. c. sur les comptes de tous les fournisseurs et les bénéfices que l'on réalise sur la vente des effets dont on fixe soi-même le prix. M. le ministre n'a donné à ce sujet aucune explication.

La deuxième catégorie provient du transfert des économies réalisées sur certains articles du budget. Les autres recettes sont peu importantes.

Les recettes de la première catégorie ont pour effet d'augmenter le prix de l'habillement du soldat, et l'on vient demander un crédit de 500 mille francs à la Chambre parce que le soldat n'a pas le moyen de s'habiller. Il y a là de l'inconséquence.

Faire des dépenses même utiles à l'aide d'une retenue sur l'habillement du soldat, c'est une mesure injuste qui sera condamnée par tout le monde.

Fixer soi-même le prix des effets pour réaliser des bénéfices de 13 et 14 p. c, c'est un acte qui répugne à la délicatesse, et contre lequel la Chambre entière devrait protester.

Les recettes de la deuxième catégorie qui concernent les transferts ne peuvent être réalisées qu'en ne satisfaisant pas aux besoins du service pour lesquels les crédits ont été votés ou en demandant au budget plus de fonds qu'on n'en a besoin. D'un côté, c'est contraire à la bonne marche de l'administration, et de l'autre, il est infiniment préférable que les articles sur lesquels on fait des économies soient réduits aux besoins réels, et que des articles nouveaux soient portés au budget pour les dépenses nécessaires.

Je parlerai tout à l'heure de la manière de régulariser ce service.

M. le ministre a cherché à justifier les 200 francs accordés à un officier pour changement d'uniforme ; c'est là une bagatelle, mais un précédent dont il faut peser les conséquences ; je ne puis admettre avec M. le ministre qu'ils aient été accordés d'une manière légale.

M. le ministre de la guerre (M. Greindl). - J'ai dit d'une manière équitable.

M. Thiéfry. - Soit ! on ne peut pas avoir deux poids et deux mesures. Si on accorde une indemnité, pour changement d'uniforme, à un officier de chasseurs qui, sans avancement, passe à la compagnie de discipline, il faut en donner aussi à tous ceux qui dans des cas semblables passeront de la ligne dans les chasseurs, des chasseurs dans la ligne, d'un régiment de cavalerie dans un autre où l'uniforme serait différent. Il faudrait enfin en accorder à tous les officiers de l'armée qui changent de tenue en ce moment.

Quant aux 4,000 fr., je n'en parle pas, parce qu'il saute aux yeux de tout le monde que c'est une mesure très blâmable.

Je ne veux pas supprimer la moindre dépense nécessaire au département de la guerre. Ce que je demande, c'est qu'elles aient lieu avec régularité au moyen d'un crédit porté au budget.

Je veux bien admettre que toutes celles qui auront lieu à l'avenir seront d'une absolue nécessité, eh bien, dans ce cas, l'Etat doit pourvoir aux besoins du service.

Les moyens de régulariser cette comptabilité sont très simples. Le règlement de 1819 permet neuf espèces de recettes ; sept seraient abolies, savoir ;

1° Les 2 p. c. retenus sur les factures de tous les fournisseurs ;

(page 1110) 2° Les traitements dus par décompte à des officiers qui ne sont plus présents,pour autant qu'on ne puisse plus en effectuer le payement ;

3° Le restant disponible de l'indemnité pour frais d'administration ;

4° Le restant disponible de la masse d'entretien du harnachement et ferrage des troupes à cheval ;

5° Le restant disponible de la masse de recrutement ;

6° Les bénéfices sur le prix d'achat des effets ;

7° Tous les bénéfices imprévus qui pourront se faire par autorisation spéciale du ministre de la guerre.

Les deux recettes conservées seraient celles provenant de ce qui serait dû par la masse d'habillement à des hommes qui ne sont plus au corps, pour autant que le payement ne pourra en être effectué.

Puis le produit des objets vieux ou hors de service.

Ces deux receltes devraient être portées aux recettes et dépenses pour ordre.

Quant aux dépenses, je dirai qu'avant que le budget du département de la guerre ne fût porté à 32 millions, il y avait pour dépenses imprévues 14 à 16 mille fr. Aujourd'hui cet article s'élève à 100,000 fr. ; en 1853, il y avait 105,000 fr. Qu'on fasse de cet article autant de divisions qu'il y a de dépenses particulières, on régularisera ainsi le tout.

Afin même de ne pas étendre cette division, on pourrait réunir plusieurs articles ensemble et de 15 qu'il y a au règlement de 1819, en former 8.

C'est ainsi qu'un seul article suffirait, à mon avis.pour le déficit de l'indemnité des frais d'administration, le déficit de la masse d'entretien du harnachement et les pertes de la bulïlelerie et du harnachement.

De cette manière, les comptes de l'armée seraient réguliers, il y aurait à la cour des comptes des pièces justificatives à l'appui des dépenses, tandis qu'aujourd'hui il n'y en a aucune pour le compte de la masse ; je défie le comptable le plus habile de dire si toutes les recettes y sont renseignées ou s'il n'y a pas de dépenses oubliées.

Ce que je propose ne peut en rien entraver la marche de département de la guerre. Il s'agit uniquement d'établir des articles spéciaux pour être autorisé à faire telle ou telle dépense.

Je suis étonné que M. le ministre de la guerre ne se rallie pas à mon amendement, qui n'a qu'un but, celui d'assurer une bonne marche administrative.

M. le ministre de la guerre (M. Greindl). - Je ne suis opposé à aucune simplification qui peut améliorer la comptabilité. Mais l'honorable membre me permettra d'examiner avant de me rallier à sa proposition.

Il est nécessaire, dit-on, de prévoir les dépenses. Mais il est impossible de prévoir à l'avance la quantité de papier qui sera employée dans un bureau, ni les autres fournitures qui seront indispensables. Quant à la masse de recrutement, elle n'existe plus depuis longtemps, le système des primes ayant été abandonné.

Si l'on supprimait d'une manière absolue la masse des recettes et dépenses extraordinaires et imprévues, ou serait forcé d'établir des pièces administratives pour les objets les plus infimes, et l'on multiplierait les écritures sans simplifier la comptabilité.

Sur la masse des recettes et des dépenses imprévues, on pourvoit au remplacement de certaines buffleteries qui originairement n'ont pas été jugées d'une qualité mauvaise et qui, ensuite, ont été reconnues ne pouvoir continuer à servir. Il serait injuste de les faire payer au soldat, il faut que le gouvernement les remplace.

Il en est de même des armes cassées en service, ou à l'instruction, et de mille autres détails qu'il est inutile d'énumérer.

Quant à l'indemnité de fr. 200 accordée pour changement d'uniforme à un officier, passé d'un régiment de chasseurs à la compagnie de discipline, je ferai observer à la Chambre que l'intérêt du service ayant commandé cette mutation, il était équitable d'indemniser l'officier, qui ne recevait de ce chef aucune rémunération, et se trouvait astreint a un service plus pénible et à une résidence peu agréable.

Il n'eût pas été juste de lui imposer la dépense d'un changement d'uniforme, et il n'y a aucune analogie entre sa position et celle des officiers qui changent de corps par faveur ou par avancement.

M. Moreau. - M. le ministre de la guerre vient de vous énumérer tantôt les avantages que peut présenter l'existence d'une masse de recettes et dépenses imprévues au département de la guerre. Je n'ai pas à contester et je ne conteste pas les services que cette caisse peut rendre au département de la guerre. Mais, suivant moi, la question n'est pas là. Il s'agit d'examiner si les recettes qui sont versées dans cette caisse sont d'abord perçues légalement, et en second lieu si les opérations de la caisse sont conformes à la loi de comptabilité. Quant à moi, je crois qu'elles sont peu en rapport avec les dispositions qui sont sanctionnées par la loi de 1846.

L'article 24 de la loi sur la comptabilité est conçue en ces termes ;

« Tous payements ou restitutions à faire en dehors des allocations pour les dépenses générales de l'Etat, ont lieu sur les fonds spéciaux et particuliers institués pour les services qu'ils concernent, jusqu'à concurrence des recouvrements effectués à leur profit ; les recettes et les dépenses de cette catégorie sont renseignées pour ordre dans les budgets et dans les comptes ; elles se régularisent dans la comptabilité de la trésorerie, sous le contrôle de la cour des comptes. »

L'article 16, d'un autre côté, porte :

« Les ministres ne peuvent faire aucune dépense au-delà des crédits ouverts à chacun d'eux.

« Ils ne peuvent accroître, par aucune ressource particulière, le montant des crédits affectés aux dépenses de leurs services respectifs.

« Lorsque quelques-uns des objets mobiliers ou immobiliers à leur disposition peuvent être réemployés et sont susceptibles d'être vendus, la vente doit en être faite avec le concours des préposés des domaines et dans les formes prescrites. Le produit de ces ventes est porté en recettes au budget de l'exercice courant.

« Il est également fait recette sur l'exercice courant de la restitution au trésor des sommes qui auraient été payées indûment ou par erreur sur les ordonnances ministérielles et généralement de tous les fonds qui proviendraient d'une source étrangère aux crédits législatifs, sauf les exceptions déterminées par les règlements sur l'administration de l'armée et relatives aux ventes de fumier dans les corps de troupes à cheval, des objets d'habillement et d'équipement hors de service dans les corps des diverses armes et les approvisionnements sans destination, par suite de mouvements inopinés de troupes sur le pied de guerre. »

Que résulte-t-il de ces dispositions ?

C'est que d'un côté les ministres, au moyen de recettes non portées dans les budgets, ne peuvent augmenter les crédits que les Chambres leur allouent pour faire face aux dépenses, de l'autre que toute recette, quelle que soit sa source, tous payements en dehors des allocations portées aux budgets des différents départements ministériels, doivent être renseignés dans un budget nommé budget des recettes et dépenses pour ordre.

Personne ne contestera, je pense, que telles ne soient les exigences de la loi sur la comptabilité ; l'exception même que renferme l'article 16 en ce qui concerne le fumier dans les corps de troupes à cheval et quelques autres objets, confirme la règle.

Or, voici ce qui se pratique dans quelques ministères.

Au ministère de la guerre on perçoit d'abord 2 p. c. sur le prix de toutes les adjudications, et ces 2 p. c. servent à payer certaines dépenses non portées au budget.

N'est-ce pas là ce que défend l'article 16 ? n'est-ce pas accroître par une ressource particulière le montant des crédits affectés aux dépenses du ministère de la guerre ? Nul doute sur ce point.

Ensuite, sans qu'il y ait de crédits ouverts à cet effet au budget, on achète les objets nécessaires à l'habillement du militaire qui en rembourse le prix par une retenue sur la solde.

La même chose a lieu au département des affaires étrangères, pour les marins ; au ministère des finances pour les douaniers, et à celui des travaux publics, m'assure-t-on, pour certains employés qui portent l'uniforme.

Or, M. le ministre des finances seul porte au budget des recettes et des dépenses pour ordre la masse d'habillement et d'équipement de la douane.

Je voudrais qu'on m'expliquât pourquoi MM. les ministres de la guerre, des affaires étrangères et des travaux publics ne fout pas figurera ce même budget les dépenses et les recettes qu'ils font du chef de l'habillement de certaines fonctionnaires qui font partie de leur département.

Messieurs, quoique je désire avoir des explications sur ce point, je n'insisterai pas davantage, puisque M. le ministre de la guerre ne paraît pas s'opposer d'une manière formelle à l'amendement de l'honorable M. Thiéfry et demande seulement du temps pour pouvoir l'examiner. Cependant comme la Chambre est saisie d'un amendement, pour donner à M. le ministre de la guerre le temps de réfléchir sur la portée de cette disposition, je demanderai le renvoi de l'amendement proposé à la section centrale.

M. Thiéfry. - J'avais demandé la parole lorsque j'avais entendu M. le ministre de la guerre exprimer le désir d'examiner cette question avec attention. Je pense qu'en attendant jusqu'au moment où l'on discutera le budget de la guerre, M. le ministre aura tout le temps de voir que les renseignements donnés sont parfaitement exacts, et je ne doute nullement qu'il ne se rallie à ma proposition en présentant lui-même des articles nouveaux à son budget.

M. le président. - Retirez-vous votre amendement ?

M. Thiéfry. - Je le retire, sauf à le reproduire lors de la discussion du budget de la guerre, si M. le ministre ne fait pas lui-même des propositions.

M. Deliége. - Messieurs, je n'ai pas donné un vote approbatif à la loi sur l'organisation de l'armée. Cependant je crois, et je crois fermement que notre armée est encore une de celles où il se commet le moins d'abus.

Mais chaque fois qu'un abus m'est signalé, je regarde comme un devoir de le produire, soit devant cette Chambre, soit dans le cabinet de M. le ministre, suivant le plus ou moins de publicité qu'on lui a donné.

On m'a dit plusieurs fois et dernièrement encore, devant un honorable membre de la droite, qu'il existait au camp de Beverloo une étendue de 20 à 25 hectares cultivée par les soins de l'administration de la guerre par des ouvriers du camp, et dont le revenu n'était pas versé entre les mains des agents du département des finances, conformément à la loi.

Je demande à M. le ministre, s'il pourrait, dès à présent, donner (page 1111) quelques renseignements sur ce point ; s'il ne le peut pas, je le prie de vouloir bien s'informer du fait dont il s'agit et donner des explications dans la discussion de son prochain budget.

M. le ministre de la guerre (M. Greindl). - Je puis donner immédiatement quelques renseignements, mais ils sont plus ou moins vagues. J'ai vu, en effet, que tous les ans on faisait une distribution d'environ un kilogramme de foin par cheval. Je pense que c'était là le produit de la culture dont il s'agit.

Au surplus, je m'engage à faire examiner la situation et je la ferai connaître à la Chambre en temps utile.

M. Deliége. - Je serais fâché d'entretenir la Chambre d une affaire où il ne s'agirait que de quelques bottes de foin. S'il n est réellement question que d'un kilogramme de foin par cheval, ce n est pas la peine de faire une distribution, et il vaudrait mieux vendre ce foin.

Dans tous les cas, messieurs, j'ai fait mon observation dans l'intérêt de l'armée, parce qu'on exagère tout et que les moindres irrégularités deviennent ainsi une chose importante.

On m'a dit qu'il s'agirait d'un kilogramme de foin par cheval et par jour pour toute la durée du camp ; le fait aurait alors plus de gravité.

Discussion du tableau des crédits

Chapitre premier. Fonds de tiers déposés au trésor et dont le remboursement a lieu avec l'intervention du ministre des finances (correspondants du trésor)

Articles 1 à 18

« Art. 1er. Cautionnements versés en numéraire dans les caisses du trésor, par les comptables de l'Etat, les receveurs communaux et les receveurs des bureaux de bienfaisance, pour sûreté de leur gestion, et par des contribuables, négociants ou commissionnaires, en garantie du payement de droits de douanes, d'accises, etc. : fr. 1,000,000. »

- Adopté.


« Art. 2. Cautionnements versés en numéraire par les entrepreneurs, adjudicataires, concessionnaires de travaux publics, et par les agents commerciaux : fr. 500,000. »

- Adopté.


« Art. 3. Subsides offerts pour construction de routes (loi du 10 mars 1838) : fr. 150,000. »

- Adopté.


« Art. 4. Fonds provinciaux

« Versements faits directement dans la caisse de l'Etat : fr. 900,000.

« Impôts recouvrés par les comptables de l'administration des contributions directes, douanes et accises, déduction faite des frais de perception : fr. 3,000,000.

« Revenus recouvrés par les comptables de l'administration de l'enregistrement et des domaines, déduction faite des frais de perception : fr. 450,000.

« Ensemble : fr. 4,350,000. »

- Adopté.


(page 1112) « Art. 5. Fonds locaux. Versements des communes pour être affectés, par l'autorité provinciale, à des dépenses locales : fr. 380,000. »

- Adopté.


« Art. 6. Caisse des veuves et orphelins des officiers de l'armée : fr. 200,000. »

- Adopté.


« Art. 7. Caisse des veuves et orphelins du département de la justice : fr. 50,000. »

- Adopté.


« Art. 8. Caisse des veuves et orphelins des affaires étrangères : fr. 30,000 »

- Adopté.


« Art. 9. Caisse des veuves et orphelins de l'intérieur : fr. 80,000. »

- Adopté.


« Art. 10. Caisse des veuves et orphelins des finances : fr. 500,000. »

- Adopté.


« Art. 11. Caisse des veuves et orphelins des travaux publics : fr. 200,000. »

- Adopté.


« Art. 12. Caisse des veuves et orphelins de l'ordre judiciaire : fr. 120,000. »

- Adopté.


« Art. 13. Caisse des veuves et orphelins des professeurs de l'enseignement supérieur : fr. 25,000. »

- Adopté.


« Art. 14. Caisses provinciales de prévoyance des instituteurs primaires : fr. 100,000. »

- Adopté.


« Art. 15. Caisse centrale de prévoyance des instituteurs et professeurs urbains : fr. 120,000. »

- Adopté.


« Art. 16. Caisse des veuves et orphelins des membres du corps administratif et enseignant des établissements d'instruction moyenne régis par l'Etat : fr. 50,000. »

- Adopté.


« Art. 17. Caisse spéciale de pensions en faveur des militaires rengagés par l'entremise du département de la guerre : fr. 100,000. »

- Adopté.


« Art. 18. Recettes effectuées par l'administration des chemins de fer de l'Etat pour le compte des sociétés concessionnaires et des offices télégraphiques avec lesquels elle est en relation : fr. 2,500,000. »

- Adopté.

Article 19

« Art. 19. Recettes effectuées (service des bateaux à vapeur entre Ostende et Douvres), pour le compte des autres services de transport belge et étrangers, avec lesquels il est en relations : fr. 100,000. »

M. Sinave. - Je remarque, messieurs, que le produit des bateaux à vapeur d'Ostende à Douvres est considérablement diminué. Je demanderai à M. le ministre des affaires étrangères s'il peut nous faire connaître maintenant les causes de cette diminution, ou s'il préfère s'en expliquer dans la discussion de son prochain budget.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Vilain XIIII). - Mais si la recette est moindre, c'est qu'il y a moins de voyageurs. Ces bateaux à vapeur sont surtout destinés au transport des lettres et des dépêches ; il faut, par conséquent, qu'ils partent à l'heure indiquée pac le département des travaux publics. L'intérêt de tout le monde, dans l'Europe entière, exige que les lettres et dépêches voyagent pendant la nuit. C'est donc à huit heures du soir qu'a lieu le départ d'Ostende, et le paquebot de Douvres part, je pense, à onze heures du soir. Ce n'en pas un bon moyen d'attirer les voyageurs que de les faire ballotter toute la nuit.

Aussi, la recette des voyageurs va tous les jours en diminuant ; mais, par contre, la recette des postes augmente dans la même proportion ; elle rapporte maintenant 400,000 fr.

Du reste, messieurs, je me suis préparé à répondre à cette question dans la discussion de mon budget et j'ai déjà fourni des explications à la section centrale. J'en donnerai ultérieurement d'autres si on m'en demande.

- L'article 19 est adopté.

Articles 20 à 22

« Art. 20. Caisse générale de retraite instituée par la loi du 8 mai 1850 : fr. 240,000. »

- Adopté.


« Art. 21. Produits des examens universitaires et des examiens de professeur agrégé de l’enseignement moyen de l’un et de l’autre degré : fr. 85,000. »

- Adopté.


« Art. 22. Fonds de toute autre nature versés dans les caisses du trésor public pour le compte de tiers : fr. 10,000. »

- Adopté.

Chapitre II. Fonds de tiers déposés au trésor et dont le remboursement a lieu sans l'intervention du Ministre de finances (correspondants des comptables)

Administration des contributions directes, douanes et accises
Articles 23 à 28

« Art. 23. Répartition du produit des amendes, saisies et confiscations en matière de contributions directes, douanes et accises (caisse du contentieux) : fr. 120,000. »

- Adopté.


« Art. 24. Fonds réservé dans le produit des amendes, saisies et confiscations : fr. 8,000. »

- Adopté.


« Art. 25. Frais d'expertises pour l'assiette de la contribution personnelle : fr. 30,000. »

- Adopté.


« Art. 26. Impôts et produits recouvrés au profit des communes : fr. 2,600,000. »

- Adopté.


« Art. 27. Masse d’habillement et d’équipement de la douane : fr. 250,000. »

- Adopté.


« Art. 28. Sommes versées pour garantie de droits et d’amendes éventuellement dus : fr. 1,000,000. »

Administration de l'enregistrement et des domaines
Articles 29 à 31

« Art. 29. Amendes diverses et autres recettes soumises et non soumises aux frais de régie : fr. 1,100,000. »

- Adopté.


« Art. 30. Amendes et frais de justice en matière forestière : fr. 20,000. »

- Adopté.


« Art. 31. Consignations de toute nature : fr. 3,000,000. »

- Adopté.

Administration des chemins de fer, postes et télégraphes
Articles 32 à 36

« Art. 32. Primes ou remises, en cas d'exportation, sur les prix des tarifs pour le transport des marchandises : fr. 140,000. »

- Adopté.


« Art. 33. Encaissements et payements effectués pour le compte de tiers par suite du transport des marchandises : fr. 500,000. »

- Adopté.


« Art. 34. Prix de transports afférant au parcours en dehors des limites des chemins de fer, dans l’intérieur du pays (Ports au-delà) : fr. 2,000. »

- Adopté.


« Art. 35. Articles d'argent confiés à la poste et rendus payables sur mandats à vue : fr. 1,700,000. »

- Adopté.


« Art. 36. Prix des abonnements aux journaux et payements divers encaissés par les agents du service des postes, pour compte de tiers : fr. 600,000. »

- Adopté.

Vote de l’article unique et sur l'ensemble du projet

L'article unique du projet de loi est ainsi conçu :

« Les recettes et les dépenses pour ordre de l'exercice 1856 sont évaluées respectivement à la somme de vingt-deux millions vingt mille francs (fr. 22,020,000).

- Adopté.


Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble de budget. Il est adopté à l'unanimité des 66 membres présents, qui sont ; MM. Frère-Orban, Goblet, Jacques, Jouret, Lambin, Landeloos, Lange, le Bailly de Tilleghem, Lebeau, Le Hon, Lesoinne. Loos, Maertens, Mascart, Matthieu, Mercier, Moreau, Orts, Osy, Rousselle, Sinave, Tack, Thibaut, Thiéfry, Thienpent, T'Kint de Naeyer, Van den Branden de Reeth, Vandenpeereboom, Vander Donckt, Van Iseghem, Van Overloop, Van Renynghe, Vermeire, Vervoort, Veydt, Vilain XIIII, Visart, Wasseige, Boulez, Brixhe, Calmeyn, Closset, Coomans, Coppieters 't Wallant, de Baillet-Latour, de Bronckart, de Brouwer de Hogendorp, de Decker, de Haerne, de La Coste, Delfosse, Deliége, Della Faille, de Mérode-Westerloo, de Moor, de Muelenaere, de Perceval, de Renesse, de Ruddere de Te Lokeren, Desmaisières, de T'Serclaes, Devaux, de Wouters, Dubus, Dumon et de Naeyer.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du ministère de la guerre

Discussion générale

M. de Renesse. - Messieurs, à l'occasion du crédit extraordinaire à allouer au département de la guerre, je crois devoir réitérer des observations, déjà présentées antérieurement par quelques honorables collègues et par moi, sur le système vicieux des crédits extraordinaires et supplémentaires ; toutefois, je tiens à déclarer qu'à l'égard de ces crédits, je ne ferai qu'une exception en faveur des crédits extraordinaires qui nous sont demandés pour les dépenses indispensables du département de la guerre, telles que les allocations supplémentaires pour le pain et les fourrages par suite de l'élévation du prix des denrées alimentaires, pour l'insuffisance de solde de la troupe, conséquence de cette cherté et pour les dépenses qui se lient intimement à la bonne défense nationale, lorsqu'il me sera démontré à l'évidence qu'elles sont impérieusement réclamées ; car lorsqu'il s'agit de prendre des mesures reconnues nécessaires pour assurer le maintien de la nationalité et de pouvoir au besoin utilement la défendre, je crois qu'une nation qui veut conserver son honneur intact de toute atteinte doit savoir, en temps utile, faire les sacrifices nécessaires pour parvenir à ce but. Quant aux autres crédits extraordinaires et supplémentaires, je pense qu'en général le gouvernement use trop souvent de la faculté de soumettre de pareilles demandes à la législature et surtout à la fin des sessions.

L'on a critiqué chaque année, avec raison, la marche suivie à cet égard par les différents ministères qui se sont succédé depuis quelque temps. Ces demandes de crédits extraordinaires, en dehors de la prévision des budgets des dépenses, et dont les voies et moyens ne sont basés que sur des bons du trésor, tendent constamment à détruire l'équilibre de nos finances ; c'est un système vicieux qui, nécessairement, doit amener une augmentation des contributions, par conséquent, les charges publiques, déjà assez lourdes dans les temps des crises politiques et de cherté de toutes les denrées.

Ne pouvant approuver cette manière d'administrer et de disposer des finances de l'Etat, ni d'avance prendre l'engagement de voter de nouveaux impôts ou d'augmenter ceux existants, je crois devoir motiver mon vote négatif sur tout projet de loi allouant des crédits supplémentaires en dehors des budgets, dont les fonds ne seraient pas faits par le budget ordinaire des recettes, mais uniquement basés sur des bons du trésor.

Libre de tout engagement à l'égard des grands travaux décrétés par la loi du 20 décembre 1851, qui n'a pas obtenu mon suffrage, je n'ai pas, par mon vote, contribué à augmenter les dépenscs extraordinaires de l'Etat ; je puis donc, plutôt que tout autre, demander et insister pour que, dorénavant, le gouvernement s'abstienne de faire des dépenses que l'on ne pourrait couvrir au moyen de nos recettes ordinaires.

Je sais que ce n'est pas le ministère actuel qui a créé ces embarras financiers, et qu'il est, pour ainsi dire, forcé de soumettre aux Chambres les nombreuses demandes de crédits extraordinaires et supplémentaires préparées par ses honorables devanciers, qui, à leur tour, à leur entrée en fonctions ont aussi été obligés de recourir à ce moyen ; néanmoins, je pense qu'il est plus que temps que la Chambre se montre sévère envers ces sortes de crédits ; car l'on aura beau faire de temps à autre des emprunts, pour consolider notre dette flottante, pour rétablir l'équilibre financier, on ne parviendra jamais à y mettre ordre, si chaque année l'on nous propose de nouvelles dépenses au moyen de crédits extraordinaires et supplémentaires en dehors de la prévision de nos budgets, et pour lesquelles les voies et moyens n'auraient pas été suffisamment créés par des ressources aussi extraordinaires. Il me semble qu'à cet égard l'on ne suit pas la prescription de l'article 115 de la Constitution qui stipule qu'annuellement les Chambres arrêtent la loi des comptes et votent le budget. Maintenant nous avons presque toujours des budgets complémentaires.

Quant à moi, j'ai l'intime conviction que l'intérêt de la bonne administration des finances de l'Etat réclame impérieusement d'en finir avec le système vicieux des crédits supplémentaires et extraordinaires, et de rentrer au plus tôt dans la réalité des budgets ; car, créer des dépenses extraordinaires, dont les ressources sont affectées sur des bons du trésor, c'est réellement décréter un emprunt déguisé de la plus dangereuse espèce, surtout dans des moments de crises politiques.

M. Thiéfry. - Messieurs, depuis quelques années nous votons annuellement des sommes très importantes pour le budget de la guerre. Bon nombre des membres de cette Chambre n'accordent ces crédits qu'en raison des circonstances graves dans lesquelles se trouve l'Europe, et pour mettre l'armée en état de passer facilement du pied de paix au pied de guerre, et certes, l'une des plus grandes difficultés que l'on éprouvera alors, sera de se pourvoir des chevaux nécessaires ; il ne nous en faudrait pas moins de 7,000, si, bien entendu, l'armée possédait le nombre qui figure au budget ; mais il résulte des tableaux déposés sur le bureau, qu'au 1er février dernier, il y avait plus de 900 chevaux de moins ; c'est le 1/9 de l'effectif de paix.

(page 1113) Cette énorme réduction a, sans doute, eu lieu par l'ancien ministre-, pour épargner des rations de fourrage ; loin de reconnaître les avantages de cette économie, je pense, au contraire, qu'elle présente certains dangers, et, pour mon compte, je la désapprouve fortement.

Mais il est d'autres réductions très considérables, que l'on pourrait facilement obtenir ; je ne parlerai aujourd'hui que de celles à réaliser sur l'habillement de la troupe ; c'est une partie importante de l'administration militaire, susceptible d'une grande réforme. On demande, par le projet de loi soumis à nos délibérations, 500,000 francs pour augmentation de la solde et de la masse d'habillement.

A l'exception de la Belgique et des Pays -as, tous les gouvernements de l'Europe, je pense, font confectionner les effets de grand habillement nécessaires à leurs armées ; chaque pièce a un temps de durée, passé lequel elle est renouvelée.

Ici, comme en Hollande, le militaire reçoit une allocation journalière au moyen de laquelle il est habillé à ses frais. Cette manière d'administrer est, à mon avis, onéreuse au soldat et à l'Etat.

Les officiers doivent tenir à ce que leurs hommes aient toujours un habillement très propre ; ils sont dès lors portés à renouveler celui de leurs soldats, quand, dans les autres armées, on leur permettrait encore d'en faire usage.

Ceci n'a rien qui étonne, car il est tout naturel que l'officier aime à voir sous les armes des soldats avec de très bons habits ; c'est ce que j'éprouvais moi-même, lorsque j'avais l'honneur de commander une compagnie ; et c'est ce que vous désireriez tous, messieurs, si vous étiez dans cette position.

Il en résulte que la somme que l'on est forcé de distraire au profit de la masse diminue la solde qui sert au ménage, et que les deniers de poche deviennent insuffisants.

Ce mode d'habiller la troupe est aussi très onéreux à l’Etat ; je vais le prouver bien facilement.

La solde et la masse d'habillement ont été réunies depuis le 1er janvier 1842 en une seule allocation qui est de 70 centimes par jour, pour le soldat d'infanterie. Une retenue est faite au profit de la masse, le surplus est versé au ménage.

Le but de la préscntalion du projet de loi, sur lequel nous délibérons, est d'obtenir un crédit, dont le résultat serait de fixer à toujours la masse à 26 centimes, chiffre absolument nécessaire, d'après M. le ministre, pour assurer le service de l'habillement ; cela est dit positivement dans l'exposé des motifs ; on a ajouté que, par la réduction de 26 à 22 centimes pendant 1854, le département de la guerre a été obligé d'ajourner à l'année suivante la fourniture d'une quantité considérable d'étoffes et d'effets qui auraient dû être commandés en 1854, et qu'il eût été impossible de payer avec les fonds de cet exercice. Il faut donc bien une retenue de 26 centimes par jour pour l'habillement du soldat d'infanterie.

Comparons maintenant cette dépense avec ce qu'il en coûte en France.

En Belgique le soldat reçoit en arrivant au corps une première mise de 10 fr. Cette somme répartie sur les 10 années de service donne par an, 1 fr.

Une retenue de 26 centimes par jour fait pour l'année entière 94 fr. 90.

L'habillement du fantassin coûte donc par an 95 fr. 90.

En France le soldat reçoit une première mise de 40 fr. ce qui représenterait une dépense annuelle de 4 fr.

Une allocation de 10 cent. par jour lui est accordée pour le renouvellement du linge, de la chaussure, et autres effets de petit équipement, soit pour l'année. 36 fr. 50

Le grand habillement lui est livré par l'Etat ; cette dépense annuelle calculée sur le prix et la durée des effets, ainsi que sur la valeur de ce que chaque homme est autorisé à emporter lors de l'expiration de son service, s'élève au budget de 1856 à 29 fr. 40.

L'habillement du soldat de la ligne coûterait avec le mode d'administration en usage en France 69,90 ou 26 francs de moins par homme.

Or, il y a au budget 22,369 caporaux et soldats d'infanterie ; la différence sur celle seule catégorie serait donc de 581,594 fr.

J'ai fait le relevé des dépenses portées séparément pour cet objet au budget français ; ce sont celles qui concernent le personnel de l'administration, les effets mis hors de service par suite d'événements de force majeure, les secours aux masses générales d'entretien, les frais de manutention et de réparation ; elles représentent une dépense de 1,38 par an et par homme. En en tenant compte, ainsi que de la différence qu'on trouverait aussi sur tous les autres corps de l'armée, on réduirait le budget de la guerre d'un million.

Un des motifs pour lesquels l'allocation de l'habillement du soldat est insuffisante, c'est le prix élevé auquel on délivre les effets qu'on lui donne. Et quand on réalise d'aussi gros bénéfices que ceux que j'ai signalés, on n'est pas en droit de prétendre qu'il n'a pas le moyen de s'habiller.

La comparaison que j'ai faite prouve à évidence que si l'on adoptait pour l'habillement de la troupe le mode d'administration en usage dans tous les autres pays, on obtiendrait une économie considérable qui n'exercerait aucune influence sur la consistance de l'armée.

Je répéterai ici ce que j'ai souvent dit à propos de l'organisation et de l'avancement : quand on fait constamment autrement que les autres, sans être imité, c'est qu'on est dans une mauvaise voie.

J'avais d'abord eu la pensée de proposer un amendement, j'y ai renoncé, parce qu'il m'a paru qu'il fallait donner au nouveau ministre de la guerre le temps d'examiner la justesse de mes observations. J'ai pensé en outre qu'il était difficile qu'un changement comme celui dont je viens de parler puisse avoir lieu sur l'initiative d'un membre de la Chambre. Il me suffit, pour le moment, d'avoir indiqué un bon moyen de diminuer le budget de la guerre d'un million ; on y réfléchira, et le temps viendra où le ministre, obligé de réduire les dépenses de son département, sera forcé d'avoir recours à la mesure administrative que j'ai indiquée.

M. le ministre de la guerre (M. Greindl). - Messieurs, comme vient de le dire l'honorable préopinant, l'introduction d'un nouveau système d'habillement est un objet qui doit être livré à une étude profonde et sérieuse. En 1814, le gouvernement hollandais, qui n'ignorait pas le système qui existait en France l'a modifié, et généralement le gouvernement hollandais passait pour un bon administrateur. Je ne m'étonne donc pas que la Belgique ait suivi les errements du gouvernement des Pays-Bas, lorsque notre indépendance l'a séparée de la Hollande.

Quant à la question de majoration de solde, je puis m'en rappeler entièrement à ce qui a été dit dans le rapport si bienveillant de la section centrale qui n'a fait aucune objection. Je dois seulement ajouter qu'en 1819, lorsque le règlement hollandais a fixé la solde du soldat, cette solde a été portée à 74 centimes par jour ; depuis lors elle a été réduite à 70 centimes ; et je ne sache pas que le prix des vivres ait suivi cette progression ; il me semble au contraire qu'il a constamment augmenté. Le demi-kilog de viande que les soldats payaient autrefois 30 centimes leur coûte aujourd'hui 45 ou 46 centimes ; les pommes de terre que j'ai fréquemment achetées à 3 et 4 centimes le kilog. en coûtent 12 aujourd'hui.

Il n'est pas étonnant que nos soldats aient vu réduire leur solde au chiffre consigné dans un document que j'ai sous les yeux et que je vais avoir l'honneur de communiquer à la Chambre.

Dans la garnison de Charleroi ils ont à leur disposition 22, 23 et 21 centimes par cinq jours ; voilà leur argent de poche, voilà tout ce qu'ils ont pour réparer les petits effets d'équipement, pour acheter le cirage, le fil, les aiguilles et toutes ces bagatelles qui constituent le trousseau du soldat. Dans d'autres garnisons ils reçoivent par cinq jours, 32, 28 et 26 centimes, dans une autre 33 centimes.

En présence de ces chiffres je vous demande, messieurs, si l'on peut contester la nécessité d'une augmentaiion de solde, augmentation qui d'ailleurs n'est pas destinée à devenir définitive, mais seulement à pourvoir aux besoins extraordinaires nés de la situation actuelle.

- La discussion générale est close.

Discussion des articles

Article premier

« Art. 1er. Le budget du ministère de la guerre, pour l'exercice 1855, est augmenté de la somme de un million cinq cent soixante et onze mille francs (1,571,000 fr.) à répartir sur les articles suivants ;

« Art. 6. Etat-major général (littera D) : fr. 15,000.

« Art. 12. Traitement et solde de l'infanterie (littera A et B) : fr. 480,000.

« Art. 14. Traitement et solde de l'artillerie (litt. A) : fr. 37,000.

« Art. 15. Traitement et solde du génie (litt. A et B) : fr. 14,000

« Art. 22. Pain: fr. 400,000

« Art. 23. Fourrages en nature: fr. 500,000

« Art. 29. Remonte : fr. 65,000.

« Art. 34. Traitementet solde de la gendarmerie (littera B) : fr. 60,000

« Total : fr. 1,571,000. »

M. Delfosse. - Je ne conteste pas la nécessité des crédits qu'on nous demande ; ils sont justifiés par le renchérissement de beaucoup de choses dont l'armée a besoin ; mais comme depuis l'adoption de la loi sur l'organisation de l'armée, je me suis abstenu sur lous les budgets de la guerre, par des raisons que j'ai indiquées ; je m'abstiendrai par les mêmes raisons sur le projet dont il s'agit et en outre parce qu'on propose de couvrir la dépense par des bons du trésor. Les bons du trésor constituent un moyen extrêmement commode de faire'face aux besoins de l'Etat, mais il est en même temps très dangereux.

Il y a à peine une année que nous avons contracté un emprunt pour réduire la dette flottante dont nous trouvions le chiffre trop considérable ; si les projets de loi qui nous sont soumis sont tous votés, le chiffre de la dette flottante sera plus élevé qu'il ne l'était avant l'emprunt ; c'est là une politique d'imprévoyance à laquelle je ne veux pas m'associer. Je m'abstiendrai.

- L'article premier est mis aux voix et adopté.

Articles 2 et 3

« Art. 2. Ce crédit sera couvert au moyen de bons du trésor. »

- Adopté.


« Art. 3. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa publication. »

- Adopté.

Vote sur l’ensemble du projet

Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble de la loi.

En voici le résultat ;

68 membres ont répondu à l'appel.

62 membres ont répondu oui.

(page 1114) 2 membres ont répondu non.

4 membres se sont abstenus.

En conséquence, la Chambre adopte le projet de loi, qui sera transmis au sénat.

Ont répondu non : MM. Closset et de Bronckart.

Se sont abstenus : MM. Moreau, Delfosse, Deliége et F. de Mérode.

Ont répondu oui ; MM. Frère-Orban, Goblet, Jacques, Lambin, Landeloos, Lange, Lebeau, Le Hon, Lesoinne, Loos, Maertens, Mascart, Matthieu, Mercier, Orts, Osy, Rousselle, Sinave, Tack, Thibaut, Thiéfry, Thienpont, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom, Vander Donckt, Van Iseghem, Van Overloop, Van Renynghe, Verhaegen, Vermeire, Vervoort, Veydt, Vilain XIIII, Visart, Wasseige, Boulez, Brixhe, Calmeyn, Coomans, Coppieters 't Wallant, de Baillet-Latour, de Brouwer de Hogendorp, de Decker, de Haerne, de La Coste, Della Faille, de Mérode-Westerloo, de Moor, de Muelenaere, de Perceval, de Renesse, de Ruddere de Te Lokeren, Desmaisières, de T'Serclaes, Devaux, de Wouters, Dubus, Dumon et de Naeyer.

M. le président invite les membres qui se sont abstenus à motiver leur abstention.

M. Moreau. - Je me suis abstenu par les motifs qu'a énoncés l'honorable M. Delfosse.

M. Delfosse. - J'ai dit tantôt pourquoi.

M. Deliége. - Par les mêmes motifs.

M. de Mérode. - Je suis le plus ancien adversaire des bons du trésor. J'aurais bien voulu voter pour le projet ; mais je n'ai pu m'y résigner.

Ordre des travaux de la chambre

M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du budget des finances.

M. Delfosse. - Personne ne s'attendait à ce qu'on discutât aujourd'hui le budget des finances, qui n'était pas dans les premiers objets à l'ordre du jour. On pourrait renvoyer cette discussion à demain et s'occuper du feuilleton des pétitions.

M. de Perceval. - Appuyé ! Nous pourrions continuer l'ordre du jour, et renvoyer à demain la discussion du budget des, finances.

M. de Mérode. - Je vois qu'on a beaucoup de scrupules pour discuter le budget des finances, parce qu'on ne serait pas préparé à la discussion. Je crois que si on ne le discute pas aujourd'hui on finira par le voter sans aucun examen à la fin de la session. Mieux vaudrait donc se contenter du demi-examen que nous pouvons faire aujourd'hui.

Vous verrez qu'à la fin de la session, on votera plus de fonds en quelques jours que dans tout le reste de la session.

M. de Perceval. - Je propose de passer à l'examen du budget des dotations.

- Cette proposition est adoptée.

Projet de loi portant le budget des dotations pour l’exercice 1856

Discussion du tableau des crédits

Chapitre premier. Liste civile et dotation princière

Articles 1 et 2

« Liste civile (fixée en vertu de l'article 77 de la Constitution, par la loi du 28 février 1832) (Pour mémoire) : fr. 2,751,322 75. »

- Cet article n'est pas mis aux voix.


« Dotation de l'héritier présomptif du Roi (loi du 14 juin 1853) : fr. 500,000. »

- Adopté.

Chapitre II. Sénat

Article 3

« Sénat : fr. 40,000. »

- Adopté.

Chapitre III. Chambre des représentants

Article 4

« Art. 4. Chambre des représentants (chiffre voté en comité secret) : fr. 451,450. »

- Adopté.

Chapitre IV. Cour des comptes

Articles 5 à 8

« Traitement des membres de la cour : fr. 50,000. »

- Adopté.


« Traitement du personnel des bureaux : fr. 81,000. »

- Adopté.


« Matériel et dépenses diverses : fr. 16,900. »

- Adopté.


« Premier terme des pensions à accorder éventuellement : fr. 1,200. »

- Adopté.

Vote de l’article unique et sur l'ensemble du projet

« Article unique. Le budget des dotations est fixé, pour l'exercice 1856, à la somme de trois millions huit cent quatre-vingt-onze mille huit cent soixante, et douze francs soixante et quinze centimes (fr. 3,891,872-75), conformément au tableau ci-annexé. »

- Adopté.


Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du budget, qui est adopté à l'unanimité des 67 membres présents.

Ce sont : MM. Frère-Orban, Goblet, Jacques, Lambin, Landeloos, Lange, Lebeau, Le Hon, Lesoinne, Loos, Maertens, Matthieu, Mercier, Moreau, Orts, Osy, Pierre, Rousselle. Sinave, Tack, Thibaut, Thiéfry, Thienpont, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom, Vander Donckt, Van Iseghem, Van Overloop, Van Renynghe, Verhaegen, Vermeire, Vervoort, Veydt, Vilain XIIII, Visart. Wasseige, Boulez, Brixhe, Calmeyn, Closset, Coomans, Coppieters 't Wallant, de Bronckart, de Decker, de Haerne, de La Coste, Delfosse, Deliége, Dellafaille, F. de Mérode, de Mérode-Westerloo, de Moor, de Muelenaere, de Perceval, de Pitteurs, de Renesse, de Ruddere de Te Lokeren, de T'Serclaes, Devaux, de Wouters, Dubus, Dumon, Dumortier et de Naeyer.

Rapport sur une pétition

Discussion du rapport de la commission des pétitions sur la pétition du sieur Van Loo, relative aux attributions des courtiers de navires

M. le président. - La commission conclut au renvoi de la pétition à MM. les ministres des affaires étrangères et de la justice.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Vilain XIIII). - Messieurs, j'accepte le renvoi de cette pétition à mon département, et je désire dire quelques mots à ce sujet.

La question me semble très difficile, et ce n'est pas seulement à moi qu'elle paraît telle ; j'ai consulté le dossier que j'ai au ministère, et je n'y ai trouvé aucune solution, quoique des personnes très aptes à en donner une aient été consultées.

La commission des pétitions a parfaitement analysé la pétition ; mais, elle ne présente non plus aucune espèce de solution.

J'essayerai de dire à la Chambre comment je comprends la question et ce que je compte faire de la pétition, quand elle me sera renvoyée.

M. Van Loo demande qu'on en revienne aux articles du Code de commerce de 1808 et qu'on retire les deux articles 118 et 119 de la loi générale du 26 août 1822, qui ont aboli les dispositions du Code de 1808.

(page 1115) Ces deux articles de la loi de 1822 ont permis à tout négociant, à tout commerçant, en un mot, à tout le monde, de faire ses affaires soi-même.

M. Van Loo voudrait qu'en retirant ces deux articles, nous rétablissions un monopole, car ce serait un véritable monopole en faveur des courtiers de navires.

A cela je me refuse absolument. Première solution, c'est une solution négative.

Mais, dit M. Van Loo avec quelque apparence de saison, si vous nous enlevez les avantages que le Code de commerce nous avait donnés, du moins laissez-nous dans le droit commun, et ne nous empêchez pas de faire des affaires. Dans ce moment l’article 85 du Code de commerce nous interdit, sous peine de 5,000 fr. d'amende, de faire aucune espèce de transaction commerciale pour notre compte. Messieurs, j'ai mûrement réfléchi à cette question et je demande à la Chambre la permission de lui soumettre, non une solulion, mais des doutes, car je marche ici sur des charbons, je vous l'avoue, je n'avais jamais, avant six semaines, ouvert un Code de commerce.

C'est une affaire difficile ; mais enfin je la juge à mon point de vue général, qui est la plus grande somme de liberté de commerce possible, compatible avec les vrais intérêts du pays.

Je me suis donc demandé si le lippage, c'est-à-dire la liberté pour les courtiers de commerce et pour les courtiers de navires de faire des affaires pour leur propre compte, devait leur être complétement interdit ; et il me semble qu'il n'y a pas de raisons suffisantes qui justifient cette interdiction. Le lippage est-il donc un cas si pendable ? Ce n'est pas un vol, ce n'est pas non plus une escroquerie. Il est possible que quelquefois le lippage puisse donner lieu à des actes d'indélicatesse. Mais le Code pénal ne punit pas l'indélicatesse ; c'est à l'opinion publique à faire justice des actes indélicats, et un courtier de commerce qui se livrerait à des actes indélicats habituels perdrait immédiatement sa clientèle.

Le seul danger que je puisse entrevoir serait une entente entre les divers courtiers d'une place de commerce pour accaparer une marchandise.

Je conçois qu'en 1808, lorsque les arrivages étaient si peu nombreux dans les ports de l'empire français, ce danger ait impressionné les législateurs ; mais aujourd'hui, en Belgique, avec les magasins de Rotterdam et d'Amsterdam à notre porte, avec les immenses entrepôts de l'Angleterre, toujours ouverts aux besoins de notre consommation, je ne me figure pas que quelques courtiers puissent faire hausser, pendant plus de huit jours, le prix d'une denrée.

Cependant, c'est le côté de la question qu'il faut examiner, et c'est pourquoi j'ai soumis hier la question aux différentes chambres de commerce des ports maritimes.

Outre cela je la ferai instruire à mon département ; et lorsque j'aurai reçu toutes les réponses, je l'enverrai à la commission que mon honorable collègue M. le ministre de la justice, et moi avons annoncé à la Chambre devoir être instituée, aussitôt après la session, pour la révision du Code de commerce.

Les paroles que je prononce ici ne sont donc pas imprudentes, puisqu'elles seront revisées par les hommes les plus compétents, par des négociants et par des jurisconsultes, et s'ils trouvent que j'ai tort, je m'exécuterai très facilement.

Il y aurait une autre manière beaucoup plus facile de contenter le pétitionnaire, ce serait de réduire le nombre des courtiers de commerce et des courtiers maritimes dans certaines villes où en effet les affaires ne sont pas en rapport avec le nombre des couriiers.

Ainsi il paraît qu'à Gand, à Ostende, à Termonde....

M. Vermeire. - Il n'y en a que deux.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Vilain XIIII). - Il n'y en a que deux ; mais ils se plaignent de n'avoir rien à faire. A Ostende ils se plaignent également, et c'est de Gand que vient la pétition qui nous occupe.

Ainsi, on pourrait réduire, par extinction, le nombre des courtiers de navires dans ces différentes villes ; mais alors nous nous trouverions dans la même situation où se trouve M. le ministre de la justice lorsqu'il s'agit de réduire le nombre des notaires dans une localité quelconque ; s'il meurt un notaire dans un canton où le nombre de ces fonctionnaires était trop élevé, il y a vingt candidats qui demandent à mourir de faim comme celui qui vient de décéder.

Ainsi, messieurs, pour conclure je me refuse absolument à présenter à la Chambre un projet de loi ayant pour objet de réviser les deux articles de la loi de 1822 qui ont réformé les articles du Code de commerce dont il s'agit.

La question du lippage sera soumise à la commission de révision du Code de commerce, qui sera nommée immédiatement après la clôture de la session. Enfin nous verrons s'il y a lieu de réduire le nombre des courtiers de commerce à Ostende et à Gand.

M. Maertens. - M. le ministre des affaires étrangères vient d'annoncer qu'il fera droit à l'une des réclamations élevées par les courtiers, en ce qui regarde le nombre de ces fonctionnaires dans certaines villes, et je l'en félicite ; car ce nombre est évidemment exagéré eu égard aux affaires qui se traitent.

Quant aux autres questions, mon intention n'est pas de les traiter à fond ; d'abord, parce que je ne suis pas préparé à soutenir une discussion qui se présente intempestivement par l'interversion de l'ordre du jour, et, de plus, en présence des conclusions de la commission qui renvoien la pétition à l'examen du gouvernement, sans préjuger en aucune manière les questions soulevées par le pétitionnaire.

Je ferai remarquer seulement que ces questions méritent l'examen le plus sérieux. Elle se résument, me semble-t-il, dans celle de savoir s'il faut maintenir encore des fonctionnaires de cet ordre investis de certains droits exclusifs, que la loi leur confère, ou s'il faut admettre une interprétation de la loi qui rend leur position illusoire.

En effet, aux termes du Code de commerce et de certaines lois spéciales, les courtiers conducteurs de navires sont investis du droit exclusif de servir d'interprètes aux capitaines étrangers, de faire pour eux les déclarations en douanes, de faire les affrètements, de s'interposer, en un mot, dans d'autres circonstances encore que je ne rappelle pas, n'ayant pas le texte de la loi sous les yeux, et cela à l'exclusion de tous autres.

Par contre, la loi leur interdit formellement, sous des peines sévères, de faire le commerce, soit par eux-mêmes, soit par personnes interposées, et, en outre, d'aller au-devant des capitaines de navires pour attirer leur clientèle.

Les articles 118 et 119 de la loi de 1822 dérogèrent à ces principes absolus, en autorisant les capitaines à employer toute espèce d'individus à titre de fondés de pouvoir pour faire leurs déclarations en douanes, mais seulement pour des déclarations partielles. Cette disposition dérogeant à la rigueur des principes, donna, paraît-il, lieu à des abus, en favorisant le courtage clandestin.

Des poursuites furent intentées et un arrêt de la cour de cassation confirmant la jurisprudence admise en première instance et en appel, donna aux dispositions de la loi de 1822 une interprétation extensive qui fait l'objet des réclamations du pétitionnaire. Il se plaint de ce que tout le monde a le droit de faire ce que la loi accordait aux courtiers seuls, et cela sans être revêtu d'un caractère officiel, sans fournir aucune garantie. Dans cet état de choses, les courtiers se prétendent, avec raison, frappés dans leur existence, et demandent une légitime satisfaction. Ils s'appuient surtout, sur leur qualité de fonctionnaires publics, nommés par arrêté royal, après avoir justifié des capacités requises, et ayant le droit de demander qu'on considère leurs fonctions comme sérieuses.

Je ne puis qu'appuyer ces prétentions ; il importe, en effet, que la question soit tranchée dans l'un ou l'autre sens ; car il ne faut pas que des fonctionnaires voient empiéter constamment sur leurs attributions par une simple interprétation de loi.

Il y a un fait spécial contre lequel réclame le pétitionnaire, c'est le droit qu'ont évidemment leurs concurrents d'aller au-devant des capitaines. Notamment pour le port de Gand, les courtiers marrons vont rechercher les capitaines à Terneuzen, et lorsque les navires arrivent à Gand, les courtiers voient leur place occupée par d'autres sans qu'ils aient le droit de réclamer...

M. Van Iseghem. - Je demande la parole.

M. Maertens. - ...Tandis que sous des peines sévères, il leur est interdit d'en faire autant. Je termine ici mes observations en recommandant cet objet à toute la sollicitude du gouvernement qui l'examinera, j'espère, avec une entière impartialité.

M. Vander Donckt, rapporteur. - Messieurs, j'ai eu l'honneur de vous présenter le rapport sur cette pétition. Il résulte, me semble-t-il, de la discussion qu'il y a une différence notable entre les diverses dispositions législatives qui régissent cette matière. D'un autre côté, vous avez les dispositions du Code de commerce, et les autres lois antérieures, les arrêtés royaux, etc., qui ont réglementé la position des courtiers de navires. D'après ces dispositions, il fallait d'abord qu'ils fussent nommés par arrêté royal ; en leur accordant cette faveur ou cette espèce de privilège, parce qu'on l'a qualifiée ainsi, on les a entourés de certaines garanties ; on leur a dit qu'ils auraient exclusivement fait l'état de courtiers de navires. Et pourquoi a-t-on pris cette précaution ? On a ajouté qu'il fallait qu'ils fournissent un cautionnement en numéraire, et on leur a imposé la défense absolue de faire aucun commerce.

Voilà, d'un côté, les restrictions qu'on mettait à leur position ; de l'autre, les avantages qu'on leur accordait.

Messieurs, vous comprenez que dans cette position il y a un droit acquis ; ce droit acquis a été entièrement détruit par la loi sur les douanes du 26 août 1822. Les articles 118 et 119 accordent à tout le monde l'avantage de faire l'état de courtier.

Et cependant le Code de commerce et les lois antérieures ont voulu que les courtiers fussent entourés de certaines garanties. Et quel a été le but du législateur, lorsqu'il a décrété cette mesure et dans le Code de commerce et dans les lois antérieures ? Ce but a été de faire en sorte que les capitaines étrangers qui n'entendent pas la langue, qui ne connaissent ni nos mœurs ni nos lois, trouvassent des hommes dans lesquels ils pussent avoir confiance. Or, en supprimant l'état de courtier, on expose les capitaines étrangers, arrivant dans le pays avec leurs cargaisons, à s'adresser peut-être à des hommes qui ne sont pas dignes de leur confiance, à être spoliés par des spéculateurs de mauvaise foi, à être trompés, enfin, lâchons le mot.

Il faut cependant tenir compte aussi de ce qu'a voulu le législateur du Code de commerce, de ce qu'a voulu le législateur des lois antérieures. Je ne viens pas soutenir qu'il faut à tout prix maintenir les (page 1116) privilèges et les courtiers de navires. Je fais cependant cette réflexion, afin de faire voir que la loi a investi les courtiers de navires de certains droits qu'on ne pouvait pas aujourd'hui leur enlever équitablement, sans les indemniser, car il y a évidemment droit acquis.

D'un autre côté, on me dira que, dans l'intérêt de la liberté du commerce, il faut laisser les capitaines étrangers entièrement libres de s'adresser aux personnes de leur choix ; soit, je ne m'y oppose pas, si la Chambre n'y trouve pas d'inconvénient.

Mais ne perdez pas de vue qu'il y a quatre catégories de courtiers.

Vous avez notamment les courtiers d'assurances maritimes. Croyez-vous qu'il soit bon de laisser liberté entière à quiconque veut se faire courtier d'assurances maritimes ? Je veux seulement soulever cette question. La commission n'a pas jugé à propos de conclure, ni de faire des propositions à cet égard, parce que la question est très grave, ainsi que l'a parfaitement dit M. le ministre des affaires étrangères. Nous avons seulement signalé les difficultés, exposé le cas, et nous avons voulu laisser au gouvernement l'initiative de nous proposer telle mesure qu'il trouverait convenable dans ces circonstances.

M. Vermeire. - Messieurs, je commence par remercier M. le ministre des affaires étrangères de la déclaration qu'il a faite, à savoir qu'il est opposé au retrait des articles 118 et 119 de la loi générale de 1822. J'engagerai, d'autre part, l'honorable ministre, ainsi que son collègue du département de la justice, à nous présenter le plus promptement possible un projet de loi qui règle les attributions des courtiers en général. En effet, dant l'état actuel des choses, le commerce empiète sur les droits des courtiers, comme les courtiers dans maintes circonstances empiètent sur les droits du commerce.

On a dit que la situation des courtiers de commerce est souvent précaire et qu'ils ne trouvent plus de moyens d'existence.

Je crois, en effet, que dans les ports secondaires, ils ne sont pas aussi bien rétribués que dans les ports maritimes de premier rang, comme celui d'Anvers. Si les chiffres qui sont mis en avant par M. Van Loo, l'auteur de la pétition qui fait l'objet de nos délibérations, sont exacts, les derniers doivent être bien rétribués. Je ne veux pas pour le moment entrer dans des détails.

J’engagerai seulement M. le ministre à ne pas s'abstenir de donner suite à de nouvelles nominations en cas d'extinction par voie de décès ou de toute autre manière. A Termonde, il n'y a que deux courtiers de navires. Une place y est devenue vacante par le décès du titulaire. Si l'on n'y pourvoyait pas, on laisserait entre les mains du survivant le monopole des affaires. Le gouvernement ne devant pas y intervenir pécuniairement, je le prie instamment de donner un successeur au courtier décédé.

Je bornerai ici pour le moment mes observations. (La clôture ! la clôture !)

M. Coomans (contre la clôture). - Messieurs, j'aurais voulu dire qu'il n'y a qu'une solution pratique, c'est la suppression des courtiers. Cette opinion, je l'ai déjà, à diverses reprises, exprimée dans cette Chambre ; je l'aurais encore exprimée aujourd'hui, si l'on n'avait pas voulu clore le débat ; je me réserve de l'exprimer un autre jour.

- La clôture de la discussion est mise aux voix et prononcée.

La Chambre ordonne le renvoi de la pétition à M. le ministre des affaires étrangères.

Projet de loi de naturalisation

« Les sieurs Benoit et Camille Sauer, Gérard-Adrien Van Renterghem, Théodore-Hubert Cruwels, et Adrien Petit-Jean demandent la naturalisation ordinaire. »

La commission des naturalisations propose l'ordre du jour, attendu que les pétitionnaires ont la qualité de Belges.

- Ces conclusions sont adoptées.


M. Osy. - Je demande que la séance de demain soit fixée à deux heures ; toutes les sections sont convoquées pour l'examen d'un projet de loi présenté par le ministre des travaux publics.

- Cette proposition est adoptée.

La séance est levée à 4 heures et demie.