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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 15 février 1856

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1855-1856)

(Présidence de M. Delehaye.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 601) M. Ansiau procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

M. Calmeyn lit le procès-verbal de la séance d'hier, dont la rédaction est adoptée,

M. Ansiau présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

Pièces adressées à la Chambre

« Les membres, du conseil communal de Keyem donnent des explications à l'appui de la pétition par laquelle ils protestent contre l'achat d'une partie de terre qui a été fait pour compte de cette commune. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les sieurs Bernard et Fabre proposent des économies dans les dépenses de l'enseignement primaire, afin d'améliorer la position des instituteurs. »

- Même renvoi.


« Plusieurs secrétaires communaux dans le canton de Mechelen déclarent adhérer à la pétition des secrétaires communaux en date du 21 décembre dernier. »

« Même déclaration du secrétaire communal d'Anderlecht. »

- Même renvoi.


« Le sieur Belière, commis des accises, chef de service à Arlon, réclame sa part dans la répartition du crédit alloué en faveur des employés inférieurs de l'Etat. »

- Même renvoi.


« Les membres du conseil communal d'Hennuyères prient la Chambre d'accorder au sieur Tarte la concession d'un chemin de fer de Braine-le-Comte à Courtrai. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi relatif à la concession de diverses lignes de chemins de fer. »


« Les sieurs Dangleur et Sépul, président et secrétaire de l'association typographique verviétoise, prient la Chambre d'adopter le projet de loi concernant un crédit de 100,000 fr. en faveur de l'industrie typographique. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet.


« M. le ministre de la justice transmet des explications sur la pétition du sieur Dewirpelaere, tendant à faire modifier la législation sur la contrainte par corps. »

- Dépôt au bureau des renseignements.


« Il est fait hommage à la Chambre, par MM. Goddyn et E. Riche-Resliau, de 110 exemplaires d'une brochure qu'ils ont publiée à l'appui de leur demande en concession d'un chemin de fer d'Anvers à Hasselt, qui forme la dernière section de la ligne de transit la plus directe d'Anvers à Cologne. »

- Dépôt à la bibliothèque et distribution à MM. les membres de la Chambre.


« Il est fait hommage à la Chambre, par M. Maertens, de 110 exemplaires d'une brochure avec carte expliquant le but et l'utilité des trois lignes de chemin de fer de Saint-Ghislain à Audenarde, à Tournai et à Ath, qui lui ont été concédées provisoirement ainsi qu'à M. Dessigny, banquier à Mons. »

- Dépôt à la bibliothèque et distribution à MM. les membres de la Chambre.


« MM. Lambin et de Renesse demandent un congé. »

- Accordé.


M. le ministre des finances (M. Mercier). - J'ai eu l'honneur d'annoncer à la Chambre que je consulterais quelques chambres de commerce compétentes sur la question de la libre sortie du minerai de fer. Les rapports de ces chambres de commerce me sont parvenus ; il en est plusieurs qui présentent un très grand intérêt et qui sont de nature à éclairer la Chambre sur la décision qu'elle aura à prendre. J'ai l'honneur de déposer ces rapports sur le bureau.

M. Wasseige. - Messieurs, ces rapports pouvant avoir une grande influence sur la discussion qui va surgir bientôt dans cette enceinte relativement à la libre sortie du minerai de fer, je demanderai à la Chambre de bien vouloir en ordonner l'impression et la distribution.

M. de Baillet-Latour. - Je réclame, comme l'honorable M. Wasseige, l'impression des rapports concernant la libre sortie des minerais de fer ; ils seront d'une grande utilité pour nous faire connaître à fond cette question.

M. le ministre des finances (M. Mercier). - En même temps, messieurs, j'ai cru devoir consulter sur cette matière le département des travaux publics. Le gouvernement attend les rapports des deux ingénieurs en chef de l'administration des mines. Aussitôt que ces rapports nous seront parvenus, nous nous empresserons d'en donner également communication à la Chambre.

M. Moncheur. - J'en demanderai également l'impression.

M. de Baillet-Latour. - Appuyé.

M. Osy. - Il faudra alors ajourner la discussion.

M. le président. - Nous pourrions mettre le projet de loi, concernant le minerai de fer, à la suite de l'ordre du jour.

- Cette proposition est adoptée.

Proposition de loi sur la récusation des magistrats

Motion d'ordre

(page 601) M. Wasseige (pour une motion d’ordre) - Messieurs, nous aurons bientôt à discuter le projet de loi sur la récusation des magistrats. Cette question est très importante et intéresse à un haut degré la dignité de la magistrature. Je désirerais savoir si, d'après cela, M. le ministre de la justice ne trouverait pas convenable de consulter les cours d'appel et la cour de cassation. Dans l'affirmative, je demanderai à M. le ministre de la justice de vouloir bien faire imprimer et distribuer aux membres de la Chambre les rapports qu'il recevrait.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Messieurs, cette affaire est très délicate et soulève d'autant plus de difficultés qu'on l'examine davantage. Je puis dire que les difficultés fourmillent et qu'il se présente même des dangers de plus d'une espèce ; j'ai donc cru bien faire en consultant les cours.

J'ai reçu jusqu'ici les rapports des cours d'appel de Bruxelles et de Liège et je n'ai aucune répugnance à les soumettre à la Chambre, mon but n'étant que d'arriver à une bonne solution. Je les publierai donc avec empressement ; seulement je demanderai si l'insertion dans les Annales parlementaires répond aux vues de l'honorable M. Wasseige.

M. Wasseige. - Oui.

M. Delfosse. - J'engagerai M. le ministre de la justice à déposer le plus tôt possible les pièces qu'il a reçues et à faire en sorte d'obtenir le plus tôt possible celles qu'il attend. Il ne faudrait pas que par suite d'une négligence administrative un projet de loi très urgent fût renvoyé à une autre session.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - J'ai moi-même le plus vif désir de terminer cette affaire le plus tôt possible. Quand de semblables questions sont soulevées, il est de l'intérêt et de la dignité de tout le monde qu'elles reçoivent une prompte solution. J'ai reçu, au bout de quelques jours, les rapports des cours de Bruxelles et de Liège. J'ai rappelé l'affaire à l'honorable président de la cour de Gand et ce magistrat m'a répondu ce matin qu'avant peu le rapport me parviendrait. Enfin la cour de cassation s'occupe également de la question.

Maintenant, messieurs, je ne suis pas fixé sur le point de savoir si l'impression devra avoir lieu dans les Annales parlementaires. Je désirerais que la Chambre voulût bien s'en expliquer.

M. Wasseige. - Messieurs, je ne demande qu'une chose : c'est que les membres de la Chambre aient connaissance des avis des cours ; que ce soit par la voie des Annales parlementaires ou autrement, peu m'importe, pourvu que les avis soient publiés.

- La Chambre, consultée, décide que ces documents seront insérés dans les Annales parlementaires.

Ordre des travaux de la Chambre

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Messieurs, j'ai lu au Moniteur qu'hier, pendant mon absence, la Chambre, sur la proposition de l'honorable M. Lelièvre, a fixé à mardi prochaiu la discussion du projet de loi ayant pour objet de modifier la loi du 1er octobre 1833 sur les extraditions. Comme il est possible que je sois absent mardi, je prie la Chambre de vouloir bien remettre la discussion à mercredi.

- Cette proposition est adoptée.

Rapports sur des pétitions

Prompts rapports sur des pétitions

M. Vander Donckt, rapporteur. - Messieurs, par pétition datée d'Anvers, le 6 février 1856, la chambre de commerce et des fabriques d'Anvers demande l’établissement d'une seconde ligne de chemin de fer d'Anvers vers l'Allemagne.

Voici les considérations que la chambre de commerce fait valoir à l'appui de sa demande :

« La chambre de commerce d'Anvers a l'honneur de vous exposer que la nécessité d'une seconde ligne de chemin de fer d'Anvers vers l'Allemagne se fait sentir de la manière la plus urgente.

« Notre transit de et vers la France, qui peut s'effectuer par trois ou quatre lignes différentes, s'est élevé en 1854 au chiffre de 165 millions de francs, tandis que le transit avec l'Allemagne, qui ne peut disposer que d'une seule ligne de chemin de fer, a atteint pendant la même année, une somme de 259 millions.

« En tenant même compte du mouvement des céréales dont l'exportation, prohibée en France et permise en Allemagne, a dû nécessairement influer sur nos relations avec ce dernier pays, on trouve encore que la moyenne des cinq dernières années s'élève à 137 millions pour le transit annuel de et vers la France, et à 176 millions, soit un quart en plus, pour le transit annuel par notre frontière de l'Est.

« Ces chiffres démontrent assez la nécessité de créer dans cette direction à notre commerce des moyens de transport qui soient en harmonie avec les besoins actuels et puissent efficacement remédier aux retards nombreux que le manque de matériel et l'encombrement des stations apportent aujourd'hui à nos expéditions vers le Zollverein.

(page 602) « La chambre de commerce d'Anvers considère donc qu'il est de la plus haute utilité qu'une nouvelle ligne de chemin de fer soit ouverte au commerce avec l'Allemagne.

« Sans avoir à nous prononcer sur le mérite particulier de chacun des projets qui ont pu être présentés au gouvernement, nous croyons cependant que l'achèvement de la ligne d'Aix-la-Chapelle à Maastricht et de Maestricht à Hasselt doit faire de cette dernière ville le point de départ d'un chemin aboutissant à Anvers.

« Mais quel que soit d'ailleurs le tracé auquel on accorderait la préférence, il nous paraît que la compagnie concessionnaire doit être tenue de conduire les convois jusque dans la station d'Anvers, sans qu'il doive en résulter de transbordement ni pour les voyageurs ni pour les marchandises, et sans qu'il puisse être exigé des droits supérieurs à ceux, fixes ou autres, qui seraient perçus si la ligne entière appartenait à l'Etat ou à la compagnie. »

Votre commission m'a autorisé, conformément au désir exprimé par l'honorable M. Osy dans une séance précédente, de faire un seul et même rapport sur cette pétition et sur une autre pétition de la même chambre de commerce, par laquelle elle demande que la concession de cette ligne soit accordée aux sieurs Goddyn, Riche et comp. pour cette seconde voie.

« Bien que nous ayons eu d'abord, dit la pétition, l'intention de n'appuyer particulièrement aucun projet, nous croyons qu'en présence de celui que MM. Goddyn, Riche et Cie viennent de produire, nous devons sortir des termes généraux de notre première requête.

« Ce projet réunit en effet d'une manière tellement évidente toutes les conditions désirables pour notre commerce, que nous considérons comme un devoir de venir l'appuyer vivement et sans retard auprès de vous.

« Outre les avantages d'un tracé direct qui ouvrirait à notre transit une ligne rapide et économique, ce projet propose de créer une nouvelle et vaste station, au milieu même de nos entrepôts et de nos bassins ; or, la plus grande partie des retards dont nous nous plaignons aujourd'hui dans nos expéditions provient de l'encombrement des marchandises à la station actuelle, encombrement qui s'augmenterait encore si cette station devait servir de point de départ à la seconde ligne belge-rhénane.

« Nous venons donc vous prier, messieurs, de vouloir bien prendre la demande de MM. Goddyn, Riche et comp. en considération sérieuse et immédiate comme réunissant au plus haut degré les avantages que le commerce est en droit d'attendre de la voie supplémentaire qu'il réclame pour ses débouchés vers l'Allemagne. »

Messieurs, votre commission a cru pouvoir se borner à vous proposer le renvoi pur et simple de ces pétitions à M. le ministre des travaux publics.

M. Osy. - Messieurs, l'honorable rapporteur vient de vous présenter l'analyse de deux pétitions de la chambre de commerce d'Anvers. Il s'agit d'une question de la plus haute importance pour le commerce du pays. La chambre de commerce d'Anvers demande que vous concédiez la construction d'un chemin de fer direct d'Anvers, par Lierre, Diest et Hasselt pour se réunir au chemin de fer concédé de Hasselt à Aix-la-Chapelle.

Messieurs, tous les pays font ce qu'ils peuvent pour raccourcir les distances et soutenir la concurrence qui s'établit par les chemins de fer. La Hollande ne reste pas en arrière. Aujourd'hui même nous voyons dans les journaux l'enthousiasme qui s'est manifesté d'Amsterdam et à Rotterdam, à l'occasion de l'ouverture, le 12 de ce mois, de la ligne d'Arnhem à Eimerich. La société Rhénane de Cologne dont nous sommes un des plus grands actionnaires, vient de demander la concession de plusieurs lignes, entre autres une qui sera très favorable : la route hollandaise.

Vous voyez donc que la Hollande va avoir son chemin de fer le plus direct possible pour arriver du Rhin.

Je vous le demande, lorsque nous voyons nos rivaux commerciaux faire tous les efforts pour arriver par la ligne la plus courte au cœur de l'Allemagne, pouvons-nons rester stationnaires ? La demande de concession de MM. Goddyn et Riche dont vous entretient la chambre de commerce d'Anvers, a été remise au département des travaux publics en 1853. Elle a été déposée lorsque nous avons concédé le chemin de fer de Hasselt à Maestricht.

Dans le projet qu'a déposé cette semaine M. le ministre des travaux publies, nous voyons qu'on nous propose beaucoup de concessions de chemin de fer que j'appuierai. Mais on oublie entièrement la seule ville de commerce que vous ayez en Belgique ; ville qui, dans l'intérêt du pays, doit attirer autant que possible le commerce et le transit, surtout lorsque nous voyons nos rivaux faire tout ce qu'ils peuvent pour détourner ce commerce de la Belgique.

Je sais que M. le ministre des travaux publics nous dira, comme beaucoup d'honorables collègues : Ce chemin de fer direct nuira au chemin de fer de l'Etat. Mais il me paraît qu'il y a beaucoup de raisons pour accorder la concession de cette ligne. Premièrement, elle raccourcirait la distance d’Anvers à Aix-la-Chapelle de 40 kilomètres. C'est déjà une considération importante. Mais il y a un autre motif beaucoup plus puissant. Le mouvement commercial dans l'intérieur du pays est tel, que le matériel du gouvernement ne suffit plus au trafic international et national ; il en résulte des retards très préjudiciables et dont on se plaint.

Aussi, à chaque instant, il y a encombrement de marchandises que le gouvernement ne peut transporter. Je connais des cas où des marchandises sont restées dix-neuf jours pour arriver d'Anvers à Cologne, où ces marchandises ne sont arrivées à leur destination que dix-neuf jours après le dépôt dans les magasins du gouvernement.

Voilà donc trois raisons importantes : d'abord, réduction de parcours de 40 kilomètres ; ensuite, soulagement pour le chemin de fer, qui n'a pas de matériel suffisant, de stations assez vastes pour les transports à l'intérieur et à l'extérieur.

Voilà de bonnes raisons pour appuyer la demande de concession qui est faite.

On parle du tort qui peut en résulter pour le chemin de fer de l'Etat. Mais voyons ce qu'il a fait, je ne dirai pas seulement pour d'autres localités du pays, mais pour l'étranger, alors que ce que je réclame serait dans l'intérêt du pays même. Par le chemin de fer concédé d'Erquelinnes, le chemin de fer du Nord transporte de Paris à Cologne, avec 100 kilomètres de moins, les voyageurs et les marchandises par la Belgique, en ne suivant la ligne de l'Etat que de Charleroi à Namur, Ainsi par cette concession de la ligne d'Erquelinnes à Charleroi, le gouvernement perd le trafic de la France vers l'Allemagne. Je ne m'en plains pas, parce que je veux, en matière de transports, être très libéral ; toutes les localités doivent être mises à même de parcourir les distances les plus courtes. Mais il ne faut pas tout faire pour l'étranger et ne rien faire pour le pays.

C'est principalement l'Allemagne et la France qui gagnent à cette ligne d'Erquelinnes à Charleroi. Charleroi y gagne bien un peu ; mais cette concession est surtout favorable au chemin du Nord qui, au lieu de diriger les transports de la France vers l'Allemagne par Bruxelles et Malines, les fait passer par Charleroi à Namur et Liège.

C'est là un précédent qui plaide certainement pour la demande de la ville d'Anvers, en faveur d'une ligne directe vers l'Allemagne, d'autant plus que déjà vous avez concédé la ligne de Hasselt à Maestricht.

Je crois, messieurs, qu'il est temps que le gouvernement ne laisse pas dans l'oubli des demandes aussi importantes, aussi utiles au pays. Si de la construction de la ligne directe vers l'Allemagne, il devait résulter une certaine perte pour le chemin de fer de l'Etat, il est certain que le pays récupérera cette perte par un plus grand mouvement commercial dans le pays, ce qui est l'intérêt de la généralité.

Puisque j'ai la parole, je dirai quelques mots des faveurs que le gouvernement paraît disposé à accorder à la compagnie du chemin de fer du Nord.

Cette compagnie a des agents sur la route de Cologne à notre frontière. Lorsqu'il y a à Cologne des voyageurs qui veulent se rendre à Paris, on les engage à y aller par Erquelinnes.

Lorsque ces voyageurs refusent et veulent prendre la voie de Bruxelles, d'autres agents à Aix-la-Chapelle disent : Vous avez tort de prendre la route de Bruxelles, je vous engage à prendre celle de Liège et de Namur, le trajet sera plus court.

Je trouve très bien que le chemin de fer du Nord fasse tout ce qu'il peut pour raccourcir la route des voyageurs qui veulent se rendre de l'Allemagne à Paris ; mais n'oublions pas que nous sommes un grand actionnaire de la compagnie du chemin de fer rhénan, que nous avons pris pour quatre millions d'actions, non seulement parce que nous avons intérêt à son exécution, mais encore à exercer de l'influence sur son exploitation. Je prétends que le gouvernement n'a plus aucune influence dans cette entreprise.

Quand il s'est agi de doubler les actions pour faire les embranchements au-delà du Rhin et l'embranchement de Muiden, pour que les marchandises de la Hollande pussent aller dans le centre du Zollverein, le gouvernement s'esl borné à envoyer à la réunion des actionnaires quelques commissaires avec quelques actions.

Avec ses 4 millions il aurait pu exercer plus d'influence. Mais n'ayant pas assisté à toutes les réunions, je ne sais pas comment les commissaires du gouvernement ont voté. Comme je le disais, le gouvernement n'a plus aucune influence dans les opérations de la compagnie.

Elle aurait dû employer ses capitaux à augmenter le matériel roulant de Cologne à la frontière belge ; ces capitaux sont détournés de leur destination naturelle pour faire un chemin de fer qui doit favoriser la Hollande. Je ne sais pas même si toutes les doubles voies sont faites dans la province rhénane. Vous voyez donc que le gouvernement n'a plus, d'influence dans cette affaire où il a un intérêt très important. Dans cet état de choses, je crois que nous aurions avantage à réaliser nos quatre millions et à les employer à augmenter notre matériel. La société rhénane n'augmente pas le sien, il est plus que nécessaire que nous augmentions le nôtre.

Les 4 millions, engagés sans utilité puisqu'ils ne nous donnent aucune inflluence, peuvent être employés à augmenter notre matériel et à donner plus d'activité au mouvement sur le chemin de fer rhénan belge. Si la société rhénane ne peut pas fournir le matériel nécessaire, nous irons avec nos voitures jusqu'à Cologne ; nous y ferons un bénéfice supérieur au dividende que peut nous donner la société rhénane. Aujourd'hui, les actions sont cotées à un prix assez avantageux, elles étaient restées longtemps au-dessous du pair. Aujourd'hui elles ont 15 à 20 p. c. d'agio. Le gouvernement devrait profiter de l'occasion pour examiner s'il ne conviendrait pas de vendre les actions que nous possédons pour en employer le montant à augmenter notre matériel, afin de faciliter le trafic vers l'Allemagne.

(page 603) J'appuie donc de toutes mes forces les propositions de la Chambre de commerce d'Anvers, qui consistent dans la création d'un deuxième chemin de fer vers l'Allemagne, et, en second lieu, en une demande de MM. Riche et comp., déposée entre les mains du gouvernement en 1853.

J'appuie donc le renvoi proposé par la commission et j'ajoute le renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner les cinq ou six projets déposés cette semaine et ayant pour objet la concession de différents chemins de fer de Bruxelles à Louvain et de Louvain à Diest. Je ne suis pas opposé à l'exécution de ces chemins de fer, mais je voudrais aussi voir exécuter le chemin de Diest à Anvers et à Hasselt.

M. Julliot. - Messieurs, je ne veux, pour le moment, parler ni pour ni contre le projet dont l'honorable M. Osy vient de prendre la défense ; mais je dois rappeler un précédent qui se rattache à ce projet et que M. le ministre des travaux publics actuel a peut-être perdu de vue.

En 18.., M. l'ingénieur Delaveleye, appuyé par des financiers français, avait proposé de construire une ligne pareille à celle dont il s'agit. Cette ligne répondait aux besoins du Limbourg et donnait à cette province une réparation qui n'est pas encore arrivée. Elle partait de Hasselt, se rattachait au chemin de fer de Cologne et arrivait à Malines ; en même temps une autre ligne partait de Liège et se rattachait au chemin de fer entre Hasselt et Maestricht, de cette manière la grande majorité des populations du Limbourg aurait été satisfaite.

A cette époque, messieurs, le gouvernement disait qu'il était impossible d'accepter une combinaison pareille, que le chemin de fer de l'Etat perdrait tous les transports.

Il ne tenait pas compte de cette circonstance qu'une province qui n'était encore dotée de rien, allait enfin trouver aussi sa légitime satisfaction. On passait outre et on repoussait carrément les demandeurs en concession.

Aujourd'hui, messieurs, la question se présente avec moins d'avantage. Dans la ligne qu'on propose, je ne vois intéressée que la ville d'Anvers avec ses commissionnaires et l'étranger. J'espère, au moins, que si M. le ministre se rattachait un jour à cette idée, il se rappellerait qu'il existe un projet dont on ne s'est pas occupé jusqu'ici et qu'il dirait aux demandeurs en concession : Vous devez faire au moins autant que ce qu'on voulait faire dans le temps pour les populations du Limbourg, si vous voulez que j'accueille votre demande.

M. le ministre des travaux publics (M. Dumon). - L'honorable M. Osy témoigne quelque étonnement de ne pas voir le projet de chemin de fer, présenté par MM. Goddyn et Riche, compris dans le projet de loi que j'ai récemment soumis à la Chambre. Je désire expliquer en peu de mots les motifs de la réserve gardée par le gouvernement en cette circonstance.

En matière de chemins de fer, messieurs, surtout lorsque l'Etat a un grand nombre de lignes qu'il exploite lui-même, il y aurait de grands dangers à examiner isolément chacune des propositions qui sont faites.

Il est clair qu'en examinant sur la carte, en lui-même, le chemin de fer offert par MM. Goddyn et Riche, cette voie présente une ligne beaucoup plus directe vers l'Allemagne que celle qui est suivie aujourd'hui par les marchandises qui prennent le chemin de fer de l'Etat ; mais il ne faut pas perdre de vue, d'un autre côté, que la ville d'Anvers est le point qui fournit le plus, au départ comme à l'arrivée, au chemin de fer de l'Etat, et que priver notre exploitation de ces éléments de trafic, ce serait lui enlever une de ses recettes les plus claires et les plus permanentes.

La perte du transit sur l'Allemagne, c'est-à-dire de marchandises qui se transportent à longue dfstance, la perte de ce transit exercerait sur notre exploitalion l'influence la plus fâcheuse, car, en général, la distance moyenne parcourue par un waggon n'est que de 10 kilomètres, tandis que les marchandises remises à Anvers, pour l'Allemagne, empruntent notre ligne sur une plus grande longueur, circonstance qui nous donne de meilleurs bénéfices.

Ainsi, messieurs, d'une part l'intérêt de l'Etat imposait au gouvernement une grande réserve, d'autre part il y avait à considérer quels étaient les avantages directs que ce sacrifice pourrait procurer au pays.

Il s'agissait de mettre la ville d'Anvers en relation plus directe avec les consommateurs de l'Allemagne. En examinant la carte, il est facile de se convaincre que la ligne projetée n'apportait presque aucune, n'apportait même aucune amélioration quant au trafic entre Anvers et l'Allemagne centrale ou l'Allemagne méridionale.

La ligne existante est sous ce rapport, au moins aussi avantageuse que celle qui nous est proposée. Restaient donc les relations de l'Allemagne du Nord. Or, la ligne nouvelle était-elle en position de lutter avec les lignes hollandaises, et dans l'hypothèse où l'on voudrait ouvrir cette lutte avec vigueur, ne faudrait-il pas choisir en Belgique autant que possible une voie plus courte encore ?

Voilà, messieurs, les considérations qui ont frappé le gouvernement et qui me paraissent de nature à frapper également la Chambre.

Quant à la diminution de longueur obtenue par la ligne dont il s'agit, elle n'est pas aussi grande que l'honorable M. Osy se le figure. Par la ligne actuelle la route d'Anvers à Aix-la-Chapelle comprend 114 kilomètres, tandis que par la ligne nouvelle elle comprendrait 147 kilomètres, la différence n'est donc que de 27 kilomètres.

Or, messieurs, pour procurer à une petite partie du commerce d'Anvers (puisque pour l'Allemagne méridionale le résultat serait presque nul), pour procurer à une partie peu imposante peut-être du commerce anversois, un avantage de 27 kilomètres, faudrait-il courir le risque de priver l'Etat d'une ressource qui lui est extrêmement utile et à laquelle il ne doit renoncer qu'a la dernière extrémité ?

Au reste, messieurs, je ne fais aucune difficulté d'accepter le renvoi proposé par la commission des pétitions. J'examinerai de nouveau la question et je chercherai à m'en rendre compte à moi-même pour pouvoir expliquer à la Chambre quelle serait la perte à subir par le trésor ; c'est là une chose essentielle à considérer avant de prendre une résolution définitive ; je prie la Chambre de ne pas vouloir aller trop vite dans cette circonstance et de peser mûrement les sacrifices qui seraient imposés à l'Etat, avant de se décider à concéder une ligne qui à la première vue me semble devoir être dangereuse pour les résultats financiers de l'exploitation du chemin de fer de l'Etat.

Je désire répondre quelques mots à l'honorable M. Osy relativement au reproche qu'il adresse au gouvernement de ne pas avoir usé de toute son influence pour déterminer les voyageurs français qui se rendent à Cologne à suivre la ligne de Bruxelles préférablement à celle d'Erquelinnes.

D'abord, messieurs, dans une pareille occurrence toute influence des agents serait impossible, parce que de Paris les trains par Erquelinnes ne partent pas à la même heure que les trains par Bruxelles.

Quant aux voyageurs qui partent de Cologne, un fait étrange m'a été signalé il y a quelques jours par un membre de la Chambre, et il semblerait que là certains agents commettent des abus. Du reste, si l’influence que nous pouvons exercer sur ce point est assez faible, le bon vouloir de l'administration du chemin de fer rhénan pour favoriser les transports par Bruxelles ne nous a jamais fait défaut.

L'honorable M. Osy a trouvé aussi que notre influence dans l'assemblée générale des actionnaires est presque nulle et il en voit la preuve dans cette circonstance, que dernièrement l'assemblée générale, à une grande majorité, a décidé l'augmentation du capital social du chemin de fer rhénan et la création de nouvelles lignes. Je dois dire que, dans cette circonstance, les agents du gouvernement belge n'avaient pas reçu mission pour s'opposer à cette extension, et que le gouvernement et l'administration des chemins de fer ont toujours regardé comme une grande amélioration l'ouverture de nouvelles lignes.

Or, d'après le projet soumis aux actionnaires, il était question d'ouvrir vers l'Allemagne méridionale un nombre considérable de lignes nouvelles de chemin de fer, de racheter la ligne de Bonn à Coblence, de s'engager à construire dans l'avenir un pont sur le Rhin, et de faire un embranchement vers les chemins de fer de l'Allemagne centrale. On rachetait de plus la ligne de Cologne à Crevelt ; mais il n'était nullement question de favoriser les relations par Erquelinnes.

Le chemin de fer rhénan conservait ainsi toutes ses relations sur la rive gauche du Rhin ; d'ailleurs, la concurrence qu'on pouvait faire au port d'Anvers par les nouvelles lignes existait déjà, en présence des lignes de Rotterdam, Utrecht, Arnhem, etc. ; les nouvelles lignes qu'on se proposait de construire, ne pouvaient nuire aux intérêts du port d'Anvers.

S'il y avait eu à craindre une nouvelle concurrence, elle eût existé tout entière sur la rive droite du Rhin ; mais cette concurrence même ne pouvait en aucune manière compromettre les rapports du port d'Anvers avec l'Allemagne.

Quant à la vente des actions que la Belgique possède dans le chemin de fer rhénan, la question a été étudiée par le gouvernement ; elle n'est pas encore résolue ; comme l'affaire ne se traite pas dans mon département, je ne suis pas à même de dire à quel parti le gouvernement pourra s'arrêter.

M. Lesoinne. - Messieurs, je ne puis pas approuver l'opinion que vient d'exprimer M. le ministre des travaux publics, en matière de concessions de chemin de fer.

Selon moi, l'égalité devant la loi doit être une vérité ; il ne peut exister de privilège pour personne.

Lorsque l'Etat a construit ses chemins de fer avec l'argent de tous les contribuables, il a, suivant moi, pris l'engagement moral de généraliser ce système de communications le plus tôt qu'il le pourrait.

Les localités qui se trouvent en dehors des chemins de fer souffrent considérablement ; par conséquent, il est de toute justice de les doter de ces voies de communication le plus tôt possible.

Comme le gouvernement ne peut pas disposer des capitaux nécessaires pour généraliser assez promptement les chemins du fer en Belgique, il doit donc saisir les occasions qui lui sont offertes par l'intérêt privé, d'établir de nouvelles lignes. Je le répète, c'est pour moi une question de justice.

Quant au préjudice que ces lignes doivent causer au chemin de fer de l'Etat, c'est une question qui n'est pas résolue pour moi. Je ne crois pas que la construction de nouveaux chemins de fer puisse nuire aux recettes du chemin de fer de l'Etat.

Qu'avons-nous vu jusqu'aujourd'hui ? A mesure que les chemins de fer se sont multipliés, les recettes sur les chemins de fer de l'Etat ont été en augmentant d'année en année ; je crois, pour ma part, que plus les chemins de fer se généraliseront, plus la recette de 'l'Etat augmentera. Ce sera la conséquence du développement plus grand imprimé dans le pays.

(page 604) Si le gouvernement craint qu'il n'en résulte un préjudice pour ses lignes, qu'il stipule la condition de rachat. Alors le gouvernement pourrait reprendre ces lignes, lorsque l'état de ses finances le permettrait et s'il jugeait que l'opération fût bonne. Comme il règle ses conditions d'avance, il peut les établir de manière à rendre l'opération possible s'il la croit avantageuse à ses intérêts.

En attendant, je persiste à croire que le gouvernement doit saisir le plus tôt possible les occasions qui lui sont offertes par l'intérêt privé de doter d'un chemin de fer les localités qui en sont encore privées.

Je demande en conséquence, avec l'honorable M. Osy, que la pétition dont il s'agit soit renvoyée à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi ayant pour objet de concéder divers chemins de fer.

M. le ministre des finances (M. Mercier). - Messieurs, le gouvernement ne peut pss admettre sans réserve le système que vient de préconiser l'honorable membre. Selon lui, il suffirait qu'il y eût quelque justice relative à doter certaines localités d'un chemin de fer pour que l'Etat fût tenu de concéder ce chemin de fer, quel que fût la perte qui dût en résulter pour le trésor.

Je ne puis pas partager cette opinion : Lorsque l'Etal a construit des chemins de fer, il l’a fait dans des vues d'intérêt public ; mais le gouvernement a pensé en même temps que les fonds placés dans les chemins de fer produiraient un revenu convenable.

Maintenant, si, contrairement à cet intérêt, on allait, sans nécessité absolue, construire des chemins de fer qui dussent altérer sensiblement les recettes de l'Etat, l'équilibre de nos recettes et de nos dépenses serait rompu.

Je ne prétends pas combattre le projet de chemin de fer dont a parlé l'honorable M. Osy. Il est possible que ce cheminde fer ait un haut degré d'utilité et ne nuise pas essentiellement aux recettes de l'Etat. M. le ministre des travaux publics a déclaré qu'il voulait se livrer à l'étude de cette question ; je ne préjuge donc rien à l'égard de la voie demandée, mais je ne puis pas admettre la thèse défendue par l'honorable M. Lesoinne.

Quant à la condition de rachat que l'honorable M. Lesoinne indique comme un moyen d’éviter une perte de revenu, elle n'aurait pas l'efficacité qu'il suppose.

Dans des circonstances favorables, c'est-à-dire dans l'hypothèse où un chemin de fer concédé, bien qu'il dût faire concurrence avec le railway de l'Etat, produirait un intérêt élevé, il arriverait qu'en rachetant le gouvernement aurait fait la dépense de deux chemins de fer au lieu d'un seul, et le tort que le gouvernement éprouverait pourrait être très considérable.

Je ne laisserai pas sans réponse une observation de l'honorable M. Osy. L'honorable membre pense qu'il y a lieu d'aliéner les actions que la Belgique possède dans le chemin de fer rhénan. D'accord avec une commission que j'ai instituée pour examiner cette question en même temps que plusieurs années, et qui était composée d'hommes très compétents, je pense que l'Etat a encore intérêt à conserver ses actions de la société du chemin de fer rhénan. Ces actions rapportent d'ailleurs un dividende très convenable, et lorsque nous voudrons augmenter le matériel de notre railway, le gouvernement ne sera pas embarrassé de trouver des capitaux.

M. Coomans. - Messieurs, je dois me rallier, dans le sens raisonnable que j'y attache, aux observations qui ont été présentées par l'honorable M. Lesoinne ; je crois avec lui que l'intérêt du trésor, en matière de chemin de fer, n'est que secondaire, que le grand intérêt que nous avons à sauvegarder, à développer, ce sont les communications de l’industrie et du commerce ; ce sont nos relations morales ; ce que nous devons chercher, c'est d'avoir sous la main tous les instruments civilisateurs dont nos voisins disposent.

Mais, messieurs, je ne veux pas aller jusqu'à dire qu'il ne faille tenir aucun compte des intérêts du trésor. Ainsi, lorsqu'il m'est démontré qu'on peut atteindre le but sans de grands sacrifices pour le trésor, avec de moindres sacrifices que d'autres plans n'en exigeraient, je me rallierai volontiers à ce moyen terme.

Cest pourquoi je ne puis pas appuyer ici la demande de la chambre de commerce d'Anvers, bien que le chemin de fer, réclamé par elle, soit, non seulement utile à la ville d'Anvers, mais à la Belgique entière, dans ses relations avec l'Allemagne, et notamment aux populations qui n'eut pas encore de chemin de fer jusqu'à ce jour, et qui ont des droits incontestables à en avoir à leur tour. Ce ne serait que stricte justice.

Mais le même but peut être atteint d'une façon plus simple et qui me semble devoir dissiper tous les scrupules du gouvernement.

Je conçois que le gouvernement hésite à approuver un projet de chemin de fer qui enlèverait toutes les recettes du transport des voyageurs et des marchanises allant d'Anvers vers l'Allemagne et vice versa. Il est certain que si le chemin de fer dont la concession est demandée par MM. Goddyn et Riche s'exécutait, le gouvernement se verrait enlever tous les transports entre Anvers et l’Allemagne. Mais le gouvernement est saisi depuis longtemps d’un projet beaucoup plus simple, bien moins coûteux et qui aurait les mêmes résultats. On a demandé au gouvernement la construction d’un chemin de fer d’Herenthals vers Hasselt et Maestricht, en traversant le camp de Beverloo.

Il est bien entendu qu’il ne s’agit pas ici de garantie de minimum d'intérêt. Je suppose que le gouvernement finisse par reconnaître que ce chemin peut être exécuté, le gouvernement garderait les recettes à faire sur le chemin qui lui appartient d'Anvers à Lierre ; d'autre part, il verrait diminuer les risques qu'il court d'avoir à supporter le minimum d'intérêt du chemin de fer de la Campine. La ville d'Anvers n'aurait pas à se plaindre, puisque la différence de trajet n'est que d'une lieue entre le tracé d'Herenlhals à Hasselt et la ligne directe d'Anvers à Lierre sur Aerschot et Diest.

A quoi bon exécuter un chemin de fer direct d'Anvers sur Lierre, alors qu'on ne gagnerait ainsi entre Anvers et l'Allemagne qu'une lieue, c'est-à-dire qu'on dépenserait des millions pour abréger de cinq kilomètres une route de plus de cent kilomètres ?

Sur un parcours d'une étendue aussi considérable, une lieue est une chose insignifiante. J'engage donc le gouvernement à examiner le projet qui lui a été soumis depuis longtemps, avec des pièces à l'appui et qui a été beaucoup mieux étudié que celui dont la chambre de commerce d'Anvers demande l'exécution ; le projet d'Herenthals à Hasselt laisserait au gouvernement toutes les recettes d'Anvers à Lierre et favoriserait le chemin de fer de la Campine, dont les intérêts se confondent avec ceux de l'Etat puisque l'Etat a garanti un minimum d'intérêt.

La différence de parcours ne serait, je le répète, que d'une lieue, différence insensible pour la disltnce d'Anvers au Rhin.

Je prie donc le gouvernement d'accorder une attention particulière au chemin de fer d'Herenthals à Hasselt que je viens d'avoir l'honneur de lui rappeler.

M. Osy. - L'honorable M. Coomans est d'accord avec l'honorable M. Lesoinne pour engager le gouvernement à accorder les concessions de chemins de fer qui ont pour but de raccourcir les distances et de favoriser de voies ferrées les populations qui en sont privées ; je partage aussi cette opinion, mais je ne suis pas d'accord avec lui sur la préférence à donner à la ligne d'Anvers à Maestricht et de Louvain à Beverloo. Le gouvernement a proposé un projet de chemin de fer de Louvain à Diest et de Diest à Beverloo avec embranchement sur Herenthals.

Si vous jetez les yeux sur la carte, vous verrez que c'est un grand détour qu'on voudrait nous faire faire. Nous demandons la route la plus directe vers Hasselt.

M. le ministre des travaux publics a dit, que le tracé proposé par messieurs Goddyn et Riche ne raccourcirait la ligne que de 27 kilomètres. M. le ministre est dans l'erreur ; la distance par la route actuelle est de 244 kilomètres ; par la Campine elle ne sera que de 203 et demi, par conséquent il y a une différence de 40 kilomètres.

C'est une affaire à examiner par le gouvernement ; il y a une économie certaine de 40 kilomètres et non de 27.

M. le ministre a dit que la société rhénane a fait différents embranchements auxquels le gouvernement a donné son adhésion. Je connais parfaitement ces embranchements, mais il en est un considérable d'Obhausen à Dusseldorf dont je ne méconnais pas l'utilité ; seulement je ne suis pas d'avis que la société rhénane emploie nos fonds à faciliter les communications de la Hollande avec les provinces rhénanes.

Je ne trouve pas mal qu’on cherche à raccourcir les distances, mais ce n'est pas à nous à en faire les frais quand nous n'y sommes pas directement intéressés.

Quand nous demandons la création d'une ligne plus directe vers l'Allemagne, on nous dit qu'elle enlèverait au chemin de fer de l'Etat tout le trafic dont il profite aujourd’hui. Mais quand on a concédé la ligne de Charleroi à Erquelinnes, on ne s'est pas arrêté devant cette considération que l'Etat ferait une très grande perte en ce que, tout le trafic de la France vers l'Allemagne et de l'Allemagne vers la France se ferait par les lignes concédées, à l'exception de deux petits tronçons du chemin de l'Etat qu'il emprunte. ; on a trouvé convenable de faire ce sacrifice. Je demande qu'on nous accorde la même faveur en concédant la route directe d'Anvers sur Hasselt ; d'ailleurs, vous avez déjà concédé la ligne de Hasselt à Aix. J’insiste donc pour que le gouvernement veuille bien examiner la demande de concession qui lui a été soumise en 1853.

J'insiste également pour que les pétitions soient renvoyées à la section centrale qui les examinera en même temps que les différents projets dont elle sera saisie.

L'honorable M. Julliot prétend que ce que nous demandons n'intéresse que l'étranger. N est-ce pas nous, Belges, qui allons chercher à l'étranger les marchandises dont nous avons besoin pour notre consommation et pour notre commerce ?

C'est le commerce belge qui doit profiter de la ligne dont nous demandons l’établissement, tandis que celle d'Erquelinnes à Charleroi intéressait le chemin de fer du Nord et n'avait d'autre effet pour nous que de diminuer nos recettes.

M. de La Coste. - Messieurs, après que la situation du chemin de fer a pesé longtemps sur celle du trésor, et dans un moment où au contraire le chemin de fer commence à nous apporter des ressources fort importantes, je ne serais pas d'avis qu'on dût agir inconsidérément de manière à compromettre notre situation financière plus rapidement qu'on ne pourrait la rétablir.

Cependant, messieurs, si je me préoccupe de la position du trésor, je pense, néanmoins, qu’on peut admettre un principe général applicable à l'administration du chemin de fer, aux voies concédées, à celles (page 605) qu'on fait, à celles qu'on ne fait pas, c'est que le gouvernement pour légitimer l'action qu'il exerce sur cette branche de l'industrie, pour justifier la concentration entre les mains de l'Etat d'une partie considérable d'un service si important, doit satisfaire à une condition : celle de faire aussi bien que ferait l'industrie privée.

Sans doute, on ne peut tout faire, ni tout faire à la fois.

Mais un fait ressort des discours de MM. Osy et Julliot : dans les lignes qu'ils recommandent, il y a un point commun. Pour toutes deux, pour la ligne la plus courte de la Flandre vers l'Allemagne, pour la ligne la plus courte d'Anvers vers l'Allemagne, aussi longtemps que Maestricht sera le point vers lequel ces lignes doivent se diriger, il y a un point où ces lignes convergent et c'est Diest.

Or, ces lignes seraient exécutées par l'industrie privée, si le gouvernement ne s'y opposait. Voilà donc un avantage que donnerait l'industrie privée, et qu'il ne serait pas juste d'enlever sans compensation.

Je suis loin de dire que telle est l'intention de M. le ministre, puisqu'il a présenté un projet de loi qui tend à donner à Diest une compensation.

Ce projet, cependant, je ne le connais pas. Je ne sais s'il présente des conditions de vitalité, de viabilité, à prendre ce terme dans le sens qu'il a dans le langage du droit. Je crois même qu'il serait prématuré de discuter cette question qui va dans quelques jours occuper les sections.

Seulement je ne vois pas d'inconvénients à ce que la section centrale porte aussi son attention sur le projet dont il s'agit maintenant.

J'appuie donc la proposition de l'honorable M. Osy ; mais j'ai surtout été déterminé à prendre la parole, lorsque j'ai entendu l'honorable M. Coomans la demander. Il recommande de nouveau un projet contre lequel je n'ai pas de préventions, mais que j'ai quelquefois été obligé de combattre, parce que j'ai craint qu'il n'eût pour conséquence de condamner à l'isolement la ville que j'ai citée tout à l'heure et dont j'ai défendu les droits.

Je ne suis pas opposé à ce chemin de fer ; mais je ne voudrais pas qu'il en résultât une fin de non-recevoir contre la ligne recommandée par l'honorable M. Osy, qui, outre qu'elle a beaucoup d'importance pour le commerce, sera peut-être le seul moyen de faire cesser cet isolement si la ligne proposée par le gouvernement ne se réalisait point.

La Chambre au surplus n'a pas l'habitude de s'opposer à ce qui peut éclairer les questions.

M. Vander Donckt, rapporteur. - Je dois persister à maintenir la proposition de la commission, le renvoi pur et simple à M. le ministre des travaux publics. Je le dois, parce que le renvoi à la section centrale n'atteindrait pas le but que se proposent les pétitionnaires. La section centrale devrait évidemment se mettre en rapport avec le gouvernement pour demander des renseignements, si elle lui était renvoyée. Elle ne pourrait que se mettre en rapport avec le gouvernement, et le gouvernement lui répondrait que ce projet n'est pas étudié et qu'il ne peut prendre, quant à présent, aucune décision à cet égard.

Il n'y a donc aucun motif pour adopter le renvoi à la section centrale, cumulativement avec le renvoi à M. le ministre des travaux publics.

M. Julliot. - Je crois qu'il faut en effet renvoyer seulement la pétition à M. le ministre des travaux publics et supprimer le renvoi à la section centrale.

M. Coomans. - En y réfléchissant, je trouve que vous ne pouvez pas renvoyer la pétition de la chambre de commerce d'Anvers à la section centrale. Vous ne pouvez voter ce renvoi, parce que les éléments soumis à la section centrale seraient très incomplets.

Il n'est pas raisonnablement permis à la section centrale d'éludier seulement le tracé proposé par la chambre de commerce d'Anvers. Il y a d'autres tracés qui se rattachent à celui-ci, et il faut les examiner dans leur ensemble.

Si vous votez le renvoi de la pétition de la chambre de commerce d'Anvers à la section centrale, vous devez demander à l'honorable ministre de joindre à cette pièce les autres demandes dont il est saisi depuis assez longtemps et qui sont relatives au même objet.

Il est impossible que la section centrale ne voie qu'une seule phase de la question. Si vous lui faites examiner le projet de MM. Goddyn et Riche, vous lui demandez implicitement, sous peine de ne pas faire chose sérieuse, qu'elle établisse une comparaison entre ce projet et divers autres projets soumis au gouvernement, entre autres le projet de chemin de fer direct d'Herenthals par Gheel et Meerhout vers Hasselt ; ensuite, le projet de chemin de fer de Lierre par Aerschot et Diest sur Hasselt. Ces chemins de fer font en quelque sorte concurrence à celui que demande la chambre de commerce d'Anvers.

De deux choses l'une, ou vous vous en rapporterez à l'honorable ministre pour saisir la section centrale des pièces et des projets qu'il jugera convenables, ou vous déciderez le renvoi à la section centrale de tous les projets qui se rattachent à la même question. Mais je pense que le renvoi à la section centrale est encore prématuré.

- La proposition de M. Osy, tendant au renvoi des pétitions à la section centrale chargée d'examiner le projet de concession de chemin de fer, est mise aux voix ; elle n'est pas adoptée.

- Les conclusions de la commission sont mises aux voix et adoptées.


M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée de Marcq, le 4 février 1856, plusieurs habitants de Marcq présentent des observations en faveur du chemin de fer projeté de Braine-le-Comte vers Melle, par Enghien, Grammont et Sottegem.

Mêmes observations de plusieurs habitants d'Enghien, des membres du conseil communal de Bievène, Hillegem, Essche-Saint-Liévin et de l'administration communale de Lierde-Sainte-Marie.

Le conseil communal d'lIene présente des observations en faveur du projet de chemin de fer de Braine-le-Comte vers Melle, par Enghien, Grammont et Sottegem.

Mêmes observations des conseils communaux de Leeuwergem, Steenhuyse-Wynhuyse et Oombergen. »

Messieurs, votre commission m'a autorisé à comprendre ces deux dernières pétitions dans son rapport, parce qu'elles avaient trait au même objet.

Votre commission a l'honneur de vous proposer le renvoi pur et simple de ces requêtes à M. le ministre des travaux publics.

M. de Portemont. - Messieurs, la Chambre a pris avant-hier une décision sur une pétition analogue ; elle en a ordonné le renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner les projets de loi relatifs à la concession des divers chemins de fer destinés à relier le Hainaut aux Flandres.

Je viens vous proposer le même renvoi pour les pétitions sur lesquelles il vient de vous être fait rapport, tout en consentant en même temps au renvoi à M. le ministre des travaux publics.

M. Thienpont. - M. le président, déjà la Chambre a été saisie d'un grand nombre de pétitions semblables. Comme membre de la commission qui les a examinés, j'en ai entre les mains une assez belle collection qui, tout entière, se rapporte aux divers projets de chemins de fer ayant pour but de relier l'arrondissement d'Audenarde et la ville de Gand aux bassins houillers de la province de Hainaut.

Un prompt rapport n'ayant pas été ordonné sur ces pétitions, elles auront à suivre la filière ordinaire et très probablement la Chambre ne s'en occupera pas avant l'examen du projet de loi qui nous a été présenté, il y a peu de jours, par l'honorable ministre des travaux publics. Ce serait là un inconvénient réel et c'est pour l'éviter que j'ai l'honneur de proposer à la Chambre d'envoyer toutes ces pétitions à M. le ministre des travaux publics et à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi auquel elles se rapportent.

- Le renvoi de toutes ces pétitions de M. le ministre des travaux publics et à la section centrale est ordonné.


M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée de Gand, le 7 octobre 1855, plusieurs maîtres ouvriers à Gand prient la Chambre de rapporter la loi sur les patentes.

Messieurs, les motifs principaux qu'allèguent les pétitionnaires sont la crise alimentaire, le grand renchérissement de toutes les denrées et dans un but philanthropique ils désireraient soulager la classe ouvrière autant que possible.

Quelque exorbitante que soit la demande de supprimer d'emblée la loi sur les patentes, voire commission cependant, vu les motifs philanthropiques des pétitionnaires, a jugé à propos de vous proposer le renvoi pur et simple de la requête de M. le ministre des finances.

M. Maertens. - Je viens appuyer les conclusions du rapport que vous venez d'entendre. Tout ce qui se rattache à la révision de la loi sur les patentes mérite évidemment un sérieux examen. Depuis longtemps la réforme de cet impôt a été demandée, mais aujourd'hui les instances à cet égard ont un véritable caractère d'actualité. La crise alimentaire qui pèse sur un grand nombre de contribuables fait ressortir davantage tout ce qu'il y a de légitime dans les nombreuses réclamations qui nous sont déjà parvenues. En effet, les conditions du travail se sont profondément modifiées, le salaire de l'ouvrier n'est plus en harmonie avec les nécessités les plus impérieuses de la vie ; mais pour favoriser les améliorations que les maîtres-ouvriers cherchent à y apporter, il faut qu'à leur tour ils soient placés vis-à-vis de l'impôt dans une position plus équitable. C'est là, messieurs, le principal fondement de leur demande, et j'espère que M. le ministre des finances voudra en tenir compte dans l'étude des diverses questions qu i se rattachent à cette importante matière.

- Les conclusions de la commission sont mises aux voix et adoptées.

Projet de loi sur les pensions des officiers qui, en qualité de volontaires, ont pris part aux combats de la révolution

Discussion générale

M. le président. - La discussion générale est ouverte.

M. Delfosse. - Messieurs, lorsque le budget de la guerre, pour l'exercice 1856, fut soumis à notre vote, je me suis abstenu en donnant pour motif de mon abstention que ce budget était la mise en pratique de la loi d'organisation de l'armée à laquelle je n'avais pu donner mon assentiment. J'ai ajouté que je devais également refuser mon adhésion à certaines mesures prises par M. le ministre de la guerre en matière de pensions et d'avancement, et notamment à une nomination de major dans l'artillerie qui avait froissé à juste titre des olficieis d'un mérite hors ligne, et fait le plus grand tort à M. le ministre de la guerre dans l'esprit de l'armée.

Interpellé sur ces divers points par un honorable sénateur dans la (page 606) séance du 20 décembre 1855, M. le ministre de la guerre, qui jusqu'alors avait laissé mes observations sans réponse, a prononcé un assez long discours pour justifier les actes auxquels j'avais fait allusion. On voit dans les Annales parlementaires que plusieurs sénateurs ont crié : « Très bien ! » après le discours de M. le ministre de la guerre.

J'ai annoncé dernièrement à la Chambre et à M. le ministre de la guerre que je répondrais à ce discours dans la discussion du projet de loi qui nous est soumis en ce moment. C'est ce que je vais faire. Je réclame de la Chambre quelques moments d'attention.

La loi de 1838 sur les pensions militaires avait laissé au gouvernement la faculté de mettre à la pension de retraite les officiers qui ont accompli leur cinquante-cinquième année.

On supposait en 1838 qu'un très grand nombre d'officiers arrivés à cet âge sont encore aptes au service. Ce n'est que très exceptionnellement, disait le ministre de la guerre, chargé de soutenir ce projet de loi, qu'un homme n'est plus, à 55 ans, en état de servir son pays.

Ne tenant aucun compte de cette considération et s'écartant de la marche suivie par ses prédécesseurs, M. le ministre de la guerre a converti l'exception en règle ; il a décidé que tous les officiers, jusqu'au grade de capitaine inclusivement, seraient mis à la pension à l'âge de 55 ans. L'âge de 57 ans a été fixé pour les officiers d'un grade supérieur, et celui de 63 ans pour les généraux.

Cette mesure, à laquelle M. le ministre de la guerre s'est réservé, il est vrai, de déroger, mais dans des cas très rares ou par des motifs tout spéciaux, a été fortement combattue par plusieurs honorables membres de cette Chambre. Elle aura pour résultat inévitable de priver l'armée d'un grand nombre d'officiers encore aptes au service, et de grever le budget de charges très lourdes. Le budget de la dette publique pour 1857, qui vient d'être présenté, porte pour les pensions militaires une allocation de 138,000 fr. plus forte que celle du budget précédent.

C'est surtout en ce qui concerne les officiers de santé et les membres du corps de l'intendance, que la mesure est injustifiable ; car on renonce à leur concours précisément au moment où, par l'expérience et les lumières qu'ils ont acquises, ils pourraient rendre le plus de services.

La défense de M. le ministre de la guerre sur ce point a été très brève. « La question de la mise à la pension des officiers, a-t-il dit au sénat, a été résolue par un vote solennel et je respecte trop les décisions de la législature pour me permettre d'entrer dans de nouvelles explications a ce sujet. »

Savez-vous, messieurs, quel est le vote solennel qui, d'après M. le ministre de la guerre, aurait résolu, en quelque sorte irrévocablement la question de la mise à la pension des officiers ?

C'est le rejet, à la majorité de 41 voix contre 34, de la proposition que l'honorable M. Verhaegen avait faite, de renvoyer à la section centrale du budget de la dette publique l'examen des questions qui se rattachent à l'arrêté royal du 6 avril 1855 et de suspendre, en attendant le rapport, le vote de l'article du budget de la dette publique, concernant les pensions militaires.

Je ne vois rien de solennel dans ce vote, c'est un vote très simple, émis à une faible majorité, et qui n'est nullement approbatif de l'arrêté royal du 6 avril 1855.

Tout ce que M. le ministre de la guerre peut en conclure, c'est que la majorité de la Chambre n'a pas voulu lui faiie subir, à son début dans la carrière ministérielle, un échec qui n'eût pas été sans gravité ; mais il se trompe fort, s'il croit que tous les membres qui ont rejeté la proposition de l'honorable M. Verhaegen ont trouvé bonnes les mesures fâcheuses et très onéreuses contenues dans l'arrêté du 6 avril 1855.

Le deuxième point dont j'ai parlé c'est la nomination d'un major dans l'artillerie. J'ai dit que cette nomination a froissé à juste titre des officiers d'un mérite hors ligne et fait le plus grand tort à M. le ministre de la guerre, dans l'esprit de l'armée.

Je me hâte de déclarer que M. de Moor (c'est le capitaine commandant qui a été nommé major) est un officier distingué, honorable, digne de la position qu'il occupe ; mais on l'a fait passer avant quinze autres capitaines d'artillerie du même rang, ayant sur lui l'avantage de l'ancienneté, capables aussi d'occuper convenablement, dignement, les fonctions de major. Quelques-uns d'entre eux avaient même des titres infiniment supérieurs aux siens.

J'en citerai deux dont le mérite éclatant est généralement reconnu.

L'un a fait des études tellement brillantes qu'il a été, jeune encore, chargé du cours d'artillerie à l'école militaire.

Il a rempli cette mission avec le plus grand succès et obtenu la confiance du gouvernement au point d'être adjoint à plusieurs généraux pour former le comité de défense du pays.

L'autre a inventé un système de ponts qui lui a fait le plus grand honneur. Il a reçu à ce sujet les félicitations d'une foule d'officiers et de personnages importants de tous les pays. Le Roi l'a décoré de son Ordre « pour ce service important rendu à l'armée. » Ce sont les termes mêmes de l'arrêté royal. Plusieurs autres décorations lui ont, en outre, été conférées par des gouvernements étrangers.

Les capitaines-commandants dont je viens de parler sont MM. Collignon et de Thierry.

J'ajouterai que le dernier a montré à Liège, dans des circonstances calamiteuses, un courage et un dévouement vraiment admirables. Des officiers d'un tel mérite (et je pourrais en citer d'autres) n'auraient jamais dû être dépassés.

M. le ministre de la guerre a donné au Sénat deux raisons pour expliquer la préférence qu'il a accordé à M. de Moor ; la première, c'est qu M. de Moor a été proposé par un lieutenant général et admis à l'unanimité par le comité des inspecteurs généraux de l'artillerie, comité dont le lieutenant général qui l'avait proposé ne faisait point partie.

La deuxième, c'est que M. de Moor a obtenu, lors des examens, le numéro premier dans le classement par ordre de mérite des officiers d'artillerie détachés à l'école militaire.

A la suite de ces examens qui ont eu lieu, je pense, il y a une douzaine d'années, le jury a adressé à M. le ministre de la guerre la lettre suivante :

« Monsieur le ministre,

« M. de Moor ayant fait preuve qu'il est, par rapport à ses connaissances, bien supérieur à ceux qui le suivent immédiatement, la commission le trouve digne d'être recommandé tout particulièrement à votre bienveillance. »

Vous allez voir, messieurs, que les deux raisons données par M. le ministre de la guerre sont loin d'être concluantes. Le lieutenant général qui a proposé M. de Moor l'a fait en vertu de l'arrêté du 6 avri 1855, dont l'article 2 est ainsi conçu :

« A l'époque des inspections annuelles, chaque lieutenant général en activité de service sera autorisé à faire une proposition spéciale en faveur de l'un des officiers qui appartiennent au ressort de son commandement quels que soient son arme et le grade dont il est revêtu. »

On comprend que la proposition faite en faveur d'un officier de mérite par un lieutenant général, usant pour la première fois de la faculté conférée par l'article 2 de l'arrêté du 6 avril 1855, était de nature à peser sur le comité ; à part d'autres causes auxquelles on a fait allusion dans le public et que je ne veux ni ne dois rechercher, cela explique suffisamment l'adhésion unanime du comité à la proposition du lieutenanl général.

M. le ministre de la guerre a bien senti lui-même combien la marche tracée par l'arrêté du 6 avril 1855 était défectueuse, combien elle présentait d'inconvénients, puisqu'il a soumis, le 18 octobre de la même année, l'arrêté suivant à la signature du Roi.

« Revu notre arrêté du 6 avril 1855,

« Considérant que le mode consacré par cet arrêté n'a pas produit les résultats qu'on était en droit d'en attendre,

« Notre arrêté du 6 avril 1855 est rapporté. »

Il est permis de croire que l'arrêté du 18 octobre rapportant celui du 6 avril a été provoqué par le mécontentement qui a éclaté dans l'armée à l'occasion de la nomination de M. de Moor au mépris des droits d'officiers plus anciens et du plus grand mérite.

En rapportant l'arrêté du 6 avril, M. le ministre de la guerre a réfuté d'avance la première des deux raisons qu'il avait données au Sénat ; l'autre raison est plus faible encore.

M. de Moor a obtenu, lors des examens le n° 1 dans le classement, par ordre de mérite, des officiers d'artillerie détachés à l'école militaire, et le jury l'a recommandé tout particulièrement à la bienveillance de M. le ministre de la guerre.

Il faut remarquer, messieurs, que ces examens ont été passés pour l'obtention du grade de capitaine en second, et qu'à l'époque où ils ont eu lieu, plusieurs des officiers qui ont été dépassés par M. de Moor avaient déjà ce grade ; que le capitaine Collignon était de plus professeur à l'école militaire. A ces officiers, on ne peut certes pas opposer le résultat d'examens auxquels ils n'ont pris ni dû prendre part.

Quant aux officiers qui ont concouru avec M. de Moor, neuf d'entre eux ont été promus en même temps que lui en 1844 au grade de capitaine en second et en 1846 au grade de capitaine commandant, et ils ont été maintenus dans leur rang d'ancienneté. Le gouvernement a probablement trouvé en eux des qualités spéciales, de nature à compenser le succès obtenu par M. de Moor dans les examens, et la lettre de recommandation du jury ; six d'entre eux, outre les autres qualités qu'on leur reconnaît, sont des officiers de 1830, de ces officiers en faveur desquels nous allons faire une loi.

M. le capitaine de Thierry, l'un de ces officiers, n'avait pas, d'ailleurs, à cette époque, les titres qu'il peut invoquer aujourd'hui ; il n'avait pas encore inventé ce système de pont qui l'a placé si haut dans l'estime publique.

Qui oserait sincèrement prétendre que le succès obtenu il y a une douzaiue d'années, dans des examens de courte durée, puisse être mis en balance avec les services importants que, d'après la déclaration du Roi, M. le capitaine de Thierry a rendus à l'armée ? Dans tous les cas, les examens invoqués par M. le ministre de la guerre ne peuvent, comme je l'ai dit tantôt, être opposés aux officiers d'une promotion antérieure à celle de M. de Moor.

Je m'arrête ici, messieurs, je crois avoir suffisamment justifié le langage que j'ai tenu. Quoique sévère, il n'est que l'écho affaibli des plaintes que j'ai entendues. Si M. le ministre de la guerre savait combien un acte de favoritisme, surtout lorsqu'il frappe des officiers du plus haut mérite, jette d'amertume dans les cœurs et de démoralisation dans l'armée, il serait le premier à regretter la mesure déplorable qu'il a prise.

M. le ministre de la guerre (M. Greindl). - Messieurs, je ne rentrerai pas dans la discussion sur laquelle l'honorable préopinant a cru devoir revenir, cette question est résolue. A deux reprises différentes, elle a été (page 607) soulevée dans cette enceinte. Deux fois des explications complètes ont été données, deux fois j'ai prouvé à la Chambre que je n'étais sorti ni des termes ni de l'esprit de la loi.

Quant aux conséquences financières qui doivent résulter de l'application de la mesure, j'aurai l'honneur de dire à la Chambre que la moyenne de la dépense à laquelle on arrivera en appliquant l'arrêté royal, sera inférieure à celle qu'on a constatée lorsque le régime de l'arbitraire dominait cette partie du service.

En effet, la moyenne des pensions antérieures à l'arrêté a été de 79 2/3 par année ; cette moyenne, à partir d'aujourd'hui, sera de 60.

En ce qui concerne la nomination de M. le major de Moor, dans laquelle si malheureusement des noms propres ont été prononcés, je commence par repousser de la manière la plus absolue le reproche de favoritisme qui m'a été adressé ; je le repousse comme homme ; je le repousse comme militaire ; je le repousse comme ministre ; je ne l'accepterai jamais !

Je n'avais aucune raison pour favoriser le capitaine de Moor, je n'avais aucun motif pour ne pas favoriser le capitaine C... ou le capitaine de Thierry. Quant au capitaine de Moor, j'ai dit au Sénat (l'honorable M. Delfosse a bien voulu le répéter) tout ce que j'avais à en dire. Le capitaine de Moor a été le premier dans les examens qui constituent un des éléments sur lesquels le ministre de la guerre doit se baser pour proposer des choix à Sa Majesté.

M. de Moor a été présenté par un lieutenant général ; il a été admis à l'unanimité par le comité des inspecteurs généraux réunis Dans cet examen, qu'on traite si légèrement, il y avait, entre M. de Moor et son compétiteur, une différence du n°1 au n° 16. M. de Moor avait pour moyenne 17.25 ; M. de Thierry, 13.36.

Il est vrai que depuis lors M. de Thierry a proposé un nouveau système de pont ; je ne conteste pas ce service rendu par M. de Thierry, je loue cet officier d'avoir dirigé ses recherches vers ce but et je suis heureux qu'il ait réussi ; du reste, les études de ce genre ne sont, dans notre pays, ni nouvelles, ni très rares ; j'ai déjà eu l'occasion de citer, dans une autre enceinte, une partie des ouvrages et des inventions produits par nos officiers d'élite de toute arme, mais en définitive, que cherchait le ministre en faisant la nomination qu'on lui reproche ? Etait-ce un major de pontonniers ? Non, il cherchait un officier d'avenir, réunissant les conditions nécessaires pour arriver, au besoin, aux grades élevés de son arme, et pour pouvoir diriger nos colonnes au feu devant l'ennemi ; la spécialité du pontonnier suffit-elle pour assurer ce résultat ?

J'aborde maintenant la question du capitaine C..., dont on a cru devoir citer le nom dans cette discussion ; je regrette bien vivement, messieurs, qu'un officier d'un si grand mérite ait été mis en jeu, et j'aime à dire hautement que, dans mon opinion, cet honorable capitaine est entièrement étranger à cette citation.

Mais enfin, puisque ce nom a été prononcé à la Chambre, je me dois à moi-même de donner des explications à cet égard. Oui, M. C... était professeur à l'école quand M. de Moor y était élève ; oui, M. C... faisait partie du corps professoral qui a contribué à instruire M. de Moor, et je regrette tout le premier, messieurs, que les suffrages des inspecteurs généraux ne lui aient pas été aussi favorables qu'à son compétiteur, peut-être cela provient-il de ce que les études incessantes auxquelles il doit sa spécialité scientifique ont été un obstacle au développement complet d'autres qualités considérées comme nécessaires.

M. Thiéfry. - Je me suis abstenu, lors de la discussion du budget de la guerre, de critiquer les nominations faites au choix, parce que maintes fois, j'ai eu l'occasion d'élever la voix dans cette enceinte pour signaler les abus que l'on avait faits du droit que la loi accorde.

En présence de l'incident soulevé par l'honorable M. Delfosse, il m'est impossible de ne pas répéter pour la troisième ou quatrième fois, que très souvent ces nominations jettent la désunion dans les corps.

Sous ce rapport l'arrêté royal du 6 avril, qui accordait à un lieutenant général le droit de proposer, pour l'avancement au choix, un officier d'une arme étrangère à la sienne, ne pouvait qu'aggraver le mal, et M. le ministre a agi sagement en le retirant ; seulement mieux eût valu ne pas le faire paraître.

Je ne conteste pas le mérite de celui qui a obtenu une faveur ; mais il est réellement déplorable que le choix n'ait pas eu lieu parmi les plus anciens officiers, alors que dans ce nombre il s'en trouve qui sont vraiment dignes de cet avancement, et qui se distinguent autant par leurs connaissances scientifiques, que par leur conduite et leur zèle dans le service. Lorsque de semblables faits se réalisent, il surgit dans l'arme des haines personnelles qui détruisent l'esprit de corps ; les officiers passés sont découragés, profondément humiliés, ils en rougissent devant leurs camarades.

Eh bien, M. le ministre, la nomination dont il est question, quelque justifiée qu'elle soit à vos yeux par les propositions qui vous ont été faites, a réellement produit ce résultat dans l'artillerie ; et vous ne pouvez pas raisonnablement nier ce fait.

M. le ministre a dit au Sénat qu'il lui suffirait de citer l'article 9 de la loi du 8 juin 1836 sur l'avancement, pour être dispensé de toute autre explication ; cet article est ainsi conçu ;

« La nomination aux emplois d'officiers supérieurs et généraux est au choix du Roi. »

Mais M. le ministre n'a pas tout dit ; et moi je soutiens que cette nomination est contraire à la volonté du législateur, à la déclaration formelle du ministre de la guerre, déclaration faite au sein de cette Chambre par le lieutenant général Evain lors de la discussion de la loi sur l'avancement, et, par conséquent, contraire à l'esprit de la loi.

En effet, lors de la discussion, des membres de cette Chambre demandaient qu'une part fût dévolue à l'ancienneté dans l'avancement au grade de major ; c'est ce qui se pratique en France où la moitié des emplois vacants est donnée aux plus anciens capitaines. Qu'a répondu M. le ministre de la guerre pour écarter tout changement à la rédaction proposée ? Qu'on aurait toujours égard aux droits d'ancienneté ; que les majors seraient toujours choisis parmi les plus anciens capitaines.

Et c'est en raison de cet engagement qu'un amendement de M. Gendebien a été écarté et que la Chambre a voté l'article 9. Eh bien, la nomination du 19 septembre a-t-elle eu lieu parmi les plus anciens capitaines ? Evidemment non, c'est là un fait incontestable, puisque l'officier dont il s'agit était le vingt-deuxième par rang d'ancienneté. Ainsi donc mon observation est fondée, quand je soutiens que cette nomination est contraire à l'esprit de la loi.

Il n'y a, à mon avis, qu'un seul moyen d'éviter l'arbitraire, en sauvegardant les vrais intérêts de l'armée. Je reconnais qu'il est des hommes incapables de remplir les fonctions d'un grade supérieur ; et à ceux-là, on ne doit, sous aucun prétexte, accorder de l'avancement ; mais il est injuste de passer des officiers qui réunissent toutes les qualités voulues. Si ce principe était admis, dès qu'une place serait vacante on prendrait la liste par rang d'ancienneté, les n°1, 2, 3 et 4, ayant été classés parmi les incapables par les inspecteurs généraux, seraient passés, passés pour toujours ; le n°5 répondant, au contraire, à ce que l'on doit attendre d'un major, recevrait l'avancement au choix. De cette manière, toutes les réclamations justes disparaîtraient ; ceux aptes à remplir l'emploi seraient nommés à leur tour, on ne verrait plus des officiers obtenir de l'avancement, parce qu'ils connaissent particulièrement tel ou tel général ; - ceci, M. le ministre, n'a rien de personnel, je parle en thèse générale, - d'autres officiers ne seraient plus passés un jour et nommés au choix le lendemain ; les incapacités seules seraient exclues, et ou pourrait dire alors qu'on respecte la loi sur l'avancement.

Quant à la mise à la pension à un âge fixé à l'avance, M. le ministre nous a dit que la Chambre ne peut plus revenir sur l'arrêté royal qui met les officiers à la pension à un âge fixé. C'est une erreur, car cet arrêté est contraire à la loi, puisqu'il fait de l'exception la règlie générale et la Chambre a pour devoir de veiller à la stricte exécution des lois. Je i'rai qu'il est aussi injuste qu'onéreux à l'Etat de mettre à la retraite des officiers bien portants et encore capables de rendre des services, puis ceux qui ont leur retraite en perspective deviennent indifférents pour leur service.

Les membres de cette Chambre pourront d'ailleurs apprécier bientôt les conséquences financières de cette mesure.

Le chiffre des pensions militaires augmente d'une manière considérable ; vous allez en juger, messieurs.

J'ai pris le total des pensions inscrites au 31 décembre de plusieurs années, j'en ai déduit le montant des pensions éteintes ; voici ce qu'i y avait à payer :

Au 1er janvier 1851 2,395,650 fr.,

Au 1er janvier 1852 2,406,401 fr. et la majorât, sur l'année précédente de 10,751 fr.

Au 1er janvier 1853 2,427,656 fr., majoration 21,255 fr.

Au 1er janvier 1854 2,591,785 fr., majoration 164,129 fr.

Au 1er janvier 1855 2,726,476 fr., majoration 134,691 fr.

Au 1er janvier 1856 2,905,859 fr., majoration 179,383 fr.

Ainsi donc dans l'espace de 5 années, les pensions militaires ont augmenté de 510,209 fr, c'est-à-dire de plus de 21 p. c. Et l'augmentation la plus forte, comparativement à l'année précédente, a eu lieu pendant 1855. Il paraît en outre qu'on n'est guère disposé à s'arrêter en si bon chemin, puisque, comme vient de le dire l'honorable M. Delfosse, dans le budget de la dette publique qui nous a été remis hier au soir, une somme de 3,078,000 y figure pour pensions militaires. Ce sera encore une majoration de 178,141 fr. Je ne vois donc pas que les pensions militaires iront en décroissant, comme vient de le dire M. le ministre.

M. de Mérode. - Messieurs, l'ordre du jour nous appelle à examiner un projet de loi applicable aux pensions des officiers, qui, en qualité de volontaires, ont pris part aux combats de la révolution en 1830.

Mais, cet ordre du jour ne me semble avoir aucune relation avec la nomination de M. de Moor, qui, selon l'honorable préopinant, a été promu à un grade supérieur tandis que d'autres officiers du même grade et plus anciens que M. de Moor, ont été devancés par lui dans celle promotion.

Comme je ne suis pas membre d'une commission d'examen chargée de peser le mérite respectif des officiers qui obtiennent de l'avancement selon le droit légal qui appartient au Roi sous la responsabilité du ministre de la guerre, je n'ai pas d'opinion personnelle à émettre sur les nominations ; mais je ne puis m'empêcher de protester de nouveau contre l'opinion très fausse que l'avancement qui n'est pas donné en raison de l'ancienneté est contraire au droit des officiers, contraire à l'intérêt de l'armée et à l'intérêt du pays qui entretient à grands frais ses moyens de défense militaire.

(page 608) Il est dangereux, et je dirai même déplorable, de laisser croire à des officiers qu'il y a humiliation pour eux lorsque l'ancienneté ne leur vaut pas la préférence dans la collation d'un grade supérieur.

S'il y avait humiliation, il en résulterait que chaque fois que l'officier le plus ancien ne serait pas promu au choix, tous ceux qui seraient plus anciens que l'officier promu devraient donner leur démission. Je demande où vous iriez avec un pareil système. Dans l'état militaire surtout, il est désirable que les plus capables passent aux grades supérieurs. Un homme peut-être très capable de remplir un emploi supérieur et se trouver inférieur à un plus capable que lui. Dans l'intérêt de l'armée et du pays, quel système doit-on suivre ? Celui qui amène aux grades supérieurs les plus capables.

Ce n'est pas dans cette Chambre qu'on peut décider de pareilles questions ; c'est l'affaire du ministre de la guerre, on a reproché à M. le ministre d'être partial, de faire du favoritisme. Je ne pense pas que jusqu'à présent la conduite de M. le ministre vous ait donné le droit de lui infliger de pareilles censures. Je crois qu'il ne commet ni acte de partialité, ni acte de favoritisme.

Je pense qu'il veut rendre l'armée aussi capable que possible de satisfaire à la défense du pays quand l'occasion s'en présentera.

Naguère en Crimée, nous avons vu ce que c'était que la capacité relative, nous avons vu un officier inférieur, Todleben$, dont le nom est aujourd'hui européen, promu tout à coup à un des plus hauts grades de l'armée ; il en est résulté pour la Russie une défense très honorable de la ville de Sébastopol. Dans l'état militaire surtout, la capacité supérieure est d'un intérêt immense pour le succès des armées.

Si nous nous abandonnions à la faiblesse du principe l'avancement par ancienneté et si c'était une injure ou une humiliation de ne pas avoir de l'avancement, quand on est le plus ancien dans son grade, il serait impossible de ne pas se soumettre à ce régime de l'ancienneté, il n'y a pas de milieu, nous ne verrions jamais dans les grades supérieurs la jeunesse réunie à un mérite transcendant. C'est cependant indispensable pour une armée.

Je prie les honorables membres qui s'occupent de ces questions de prendre garde, de décourager les officiers qui n'arrivent pas aussi tôt que leurs camarades ; ceux qui ne sont pas arrivés, soit qu'ils aient construit un pont ou servi le pays d’une autre manière, je les considère également et je les engage à ne pas se laisser aller à une jalousie malentendue.

M. Delfosse. - L'honorable comte de Mérode a probablement oublié que j'avais annoncé à la Chambre, qu'à l'occasion de la loi qui va nous occuper, je répondrais au discours que M. le ministre de la guerre avait prononce au Sénat, au sujet des motifs de mon abstention sur le budget de la guerre ; c'est donc à tort et trop légèrement que l'honorable membre m'a reproché d'avoir introduit dans la discussion un objet étranger au projet de loi, car la Chambre avait été avertie et aucune réclamation ne s'était êlevée contre l'intention que j'avais manifestée.

Rien de ce qu'ont dit l’honorable comte de Mérode et M. le ministre de la guerre n'a modifié mon appréciation des faits dont j'ai entretenu la Chambre.

M. le ministre s'est permis une espèce d'insurrection militaire contre, la prérogative de la Chambte. (Interruption.) Je n'en veux pas à M. le ministre, je sais qu'il n'a point l'habitude des discussions parlementaires. Mais il a dit d'un ton très haut que la question de la mise à la pension des officiers ne pouvait plus être soumise à vos débats, qu'elle avait été et resterait définitivement résolue.

Je ferai remarquer à M. le ministre de la guerre que la Chambre fera, quand elle le trouvera bon, tomber l'arrêté du 6 avril ; elle n'aurait pour cela qu'à refuser en partie l'allocation portée au budget pour les pensions militaires ; le refus des fonds qui lui sont demandés est le droit de la Chambre, M. le ministre de la guerre voudrait en vain le contester.

M. le ministre de la guerre, pour justifier la mesure prise au sujet des pensions, a dit que la moyenne des pensions serait à l'avenir inférieure à ce qu'elle était quand on était sous le régime de l'arbitraire. Ceci, pour le dire en passant, n'est pas très obligeant pour les prédécesseurs de M. le ministre de la guerre. Avant le ministère actuel, il y avait donc au département de la guerre de l'arbitraire dans la collation des pensions, la moyenne, a dit M. le ministre, sera inférieure à ce qu'elle était avant l’arrêté du 6 avril.

Je le conçois, si on met les officiers à la pension à un âge moins avancé, la moyenne des pensions doit baisser, mais le nombre des pensions et le chiffre à porter à la dette publique augmenteront ; aussi on nous demande déjà pour 1857 138,000 francs de plus que pour 1856.

Si j'ai cité des noms propres, c'est que les trois officiers dont j'avais à parler sont également honorables et que je n'avais que des éloges à leur donner. Je ne pouvais prévoir que M. le ministre viendrait en me répondant jeter de la défaveur sur des officiers généralement estimés dans l'armée.

M. le ministre de la guerre a parlé du capitaine de Thierry comme si tout son mérite consistait dans le système de pont qu'il a inventé ; ce mérite serait déjà très grand, car cette invention a été admirée dans l'Europe entière ; mais le capitaine de Thierry a en outre toutes les qualités d'un bon militaire. Je puis invoquer sur ce point les témoignages des prédécesseurs de M. le ministre de la guerre.

Voici des extraits de quelques lettres qui ont été adressées à cet officier distingué.

« Je serai heureux de dire au Roi combien votre manière de servir fait honneur à l'armée.

« Général baron Prisse,

« Ministre de la guerre. »

« Avec des officiers de cœur et d'intelligence, comme vous, on peut tout entreprendre.

« Général baron Chazal,

« Ministre de la guerre. »

« Je regrette bien vivement de ne pas me trouver à Liège, pour vous serrer la main et vous dire combien je suis heureux d'une nomination à laquelle applaudiront tous ceux qui savent apprécier les qualités de l'homme de guerre qui vous distinguent.

« Général Fleury-Durat. »

Je me permets de citer ces extraits, parce que M. le ministre de la guerre les a, en quelque sorte, rendus publics par la mesure disciplinaire qu'il a, je le répète, cru devoir infliger à M. le capitaine de Thierry.

Si M. le ministre n'avait pas eu le tort de méconnaître des titres incontestables, l'occasion de prendre une telle mesure ne se serait point offerte.

Quant à l'autre officier, je le dis hautement, il possède les sympathies de tous les officiers qui m'ont parlé de lui ; ils le regardent tous comme un officier hors ligne, qui n'aurait jamais dû être dépassé.

Si la nomination au choix de M. le major de Moor n'a pas produit un fâcheux effet dans l'armée, je demande pourquoi l'arrêté royal du 6 avril 1855 relative à l'avancement a été rapporté peu de temps après cette nomination.

Je ne puis m'expliquer autrement le retrait de cet arrêté, sous l'empire duquel il n'a guère été fait, je crois, d'autre nomination au choix que celle de M. le major de Moor.

M. le ministre de la guerre (M. Greindl). - Je répondrai à l'honorable préopinant en faisant l'historique de l'arrêté et en indiquant les motifs qui m'ont déterminé à le retirer.

Lorsque je suis arrivé au ministère, j'ai été frappé, comme l'honorable M. Thiéfry, et comme beaucoup d'autres membres de cette Chambre, du mécontentement général qui se manifestait à la suite de chaque promotion au choix.,

J'ai donc cherché le moyen de m'affranchir de ces difficultés, de rétablir le calme dans les esprits et de faire, autant qu'il dépend d'un homme, régner la justice dans tous les actes que j'étais appelé à poser comme ministre.

J'ai cru que le meilleur moyen était, en me liant en quelque sorte les mains, de me dépouiller des plus belles prérogatives du pouvoir, ne conservant pour moi que les labeurs ingrats et les attaques incessantes auxquelles un ministre est en butte.

Dans cet ordre d'idées, j'ai soumis au Roi un projet d'arrêté ; il avait pour objet non pas de mettre le ministre en garde contre ses antipathies (c'était inutile chez moi comme chez mes prédécesseurs, l'honneur militaire préserve de cet écueil) mais il fallait mettre le ministre en garde contre ses sympathies et c'est là ce que j'ai voulu faire en confiant à un comité d'inspecteurs généraux la désignation des sujets exceptionnels à proposer à Sa Majesté pour l'avancement au choix.

Malheureusement le sentiment qui avait donné ouverture à ce projet, soit que mes intentions n'aient pas été bien comprises, soit que le but général que j'avais voulu attendre n'ait pas été envisagé par tout le monde au même point de vue, ce sentiment, dis-je, ne me parut pas réalisé dans les propositions d'avancement.

Je dois rectifier ici quelques-unes des assertions de l'honorable préopinant : ce n'est pas une seule nomination qui a été faite conformément à l'article 2 de l'arrêté royal du 6 avril dernier ; trois officiers ont été promus à un grade supérieur, en vertu de cet article.

Ce n'est pas après l'explosion des réclames qui se sont fait jour dans certains journaux, que l'arrêté royal a été retiré, je puis prouver par des dates que le retrait a été proposé au Roi, avant que j'eusse eu connaissance des réclamations de M. de Thierry et des clameurs qui ont suivi.

En somme, messieurs, mes prévisions n'ayant pas été entièrement réalisées, j'ai cru nécessaire de reprendre, à la fois, la plénitude de mon action et la plénitude de ma responsabilité. Je continuerai à m'appliquer sans cesse à répondre à la confiance du Roi et du pays en restant digne de celle de l'armée.

Je pense que c'est l'honorable M. Thiéfry qui a dit que j'aurais accusé mes prédécesseurs d'arbitraire.

M. Thiéfry. - Ce n'est pas moi ; mais vous pourez me l'imputer si vous voulez.

M. le ministre de la guerre (M. Greindl). - Je dois déclarer,dans l'intérêt de la vérité, que j'ai voulu parler non de l'arbitraire des hommes, mais de l'arbitraire de l'institution.

La moyenne des pensions dont a parlé l'honorable M. Delfosse ne porte pas sur des chiffres. Pendant les années précédentes, il y avait 63, 64, 70, etc. officiers pensionnés.

La moyenne générale était de 79 2/3 par aunée. Il n'y en aura plus désormais que 60 environ.

Voilà, messieurs, quel est le résultat au point de vue économique de l'arrêté en ce qui concerne les pensions.

(page 609) M. Delfosse. - Comment y a-t-il une augmentation aussi considérable du chiffre des pensions ?

M. le ministre de la guerre (M. Greindl). - Parce que l'exécution de l'arrêté a donné lieu, pendant la première année, à plusieurs mises à la pension qui avaient été retardées.

M. Thiéfry. - L'arrêté royal étant retiré, je me bornerai à une seule observation à son sujet, c'est que M. le ministre de la guerre voulait se débarrasser de sa responsabilité, pour la faire peser sur les lieutenants généraux inspecteurs, ce qui est contraire aux lois qui nous régissent.

M. de Mérode dit que j'avais traité bien légèrement la question de l'avancement. En réclamant une part au nom de l'ancienneté, je cherche à faira prévaloir les règles établies dans toutes les armées. Viendra-t-on prétendre que cette armée française qui s'est si admiroblement conduit en Crimée, n'est pas composée de bons officiers supérieurs ! Et cependant pour le grade de major on accorde la moitié des emplois vacants aux plus anciens capitaines et la moitié au choix. En Belgique rien, absolument rien à l'ancienneté, on s'en écarte même très fortement.

En Autriche, en Prusse, en Hollande, en Sardaigne, on a toujours égard à l'ancienneté.

Pour les grades subalternes, on accorde en Belgique la moitié à l’ancienneté et la moitié au choix et pour cette dernière catégorie, on s'éloigne beaucoup de l'ancienneté.

En France, en Hollande, en Sardaigne, on donne cet avancement deux tiers à l'ancienneté, un tiers au choix ; et pour le choix on a toujours égard à l'ancienneté. En Autriche et en Prusse ces grades s'accordent toujours à l'ancienneté.

Il est donc évident qu'en Belgique, la loi donne au gouvernement un droit beaucoup plus étendu que dans tous les pays de l'Europe, c'est un motif pour que MM. les ministres de la guerre usent de leur autorité avec équité.

J'ai dit et je le répète, les officiers passés sont profondément humiliés.

M. de Mérode. - Ce que vous dites est très mauvais.

M. Thiéfry. - C'est très mauvais l Mais si vous étiez à leur place, vous ne diriez pas cela. Je voudrais vous voir lieutenant et être passé quand votre tour d'ancienneté arriverait.

M. de Mérode. - Je subirais les conditions de mon état.

M. Thiéfry. - Oui, ces officiers sont profondément humiliés. Comment voudrait-on qu'il en fût autrement ? On les blesse vivement dans leur amour-propre, on les affiche en quelque sorte aux yeux de l'armée, cela est si vrai que tous les officiers en murmurent, sauf naturellement ceux qui obtiennent des faveurs, et je trouve qu'il serait bien fâcheux s'il en était autrement, car celui qui est insensible n'a pas d'âme, et fort heureusement l'armée en possède bien peu de cette catégorie.

Si réellement on avait toujours agi avec équité, nous n'eussions pas vu tant d'officiers mécontents ; pour prouver, du reste, jusqu'où va le désespoir d'un homme de cœur, je citerai deux faits qui ont eu lieu à Bruxelles, je les choisis de préférence, parce qu'il est plus facile de les vérifier.

Chacun sait qu'on place dans le régiment d'élite les meilleurs officiers de l'armée ; c'est, on peut le dire, le régiment de la garde. En 1845 un major de ce régiment s'est sensi si profondément humilié pour avoir été passé, qu'il remit son épée dans le fourreau, refusa tout service, se dit malade et réclama sa pension. Avoir servi si longtemps, disait-il, et être payé de tant d'ingratitude !

Le 6 avril 1849, le ministre de la guerre nomma 4 majors d'infanterie, il choisit les 85, 90, 94 et 129ème capitaines, il y en eut 125 passés. Un capitaine du régiment d'élile qui était le 42ème donna immédiatement sa démission, et l'armée perdit l'un de ses bons officiers.

M. Coomans. - Et les autres pas.

M. Thiéfry. - Et les autres pas, parce qu'il faut vivre.

Ces faits, messieurs, ne sont pas les seuls, et ils se renouvelleraient plus fréquemment si, comme je viens de le faire remarquer à l'honorable M. Coomans, le grade n'était pas un moyen d'exisience. Remarquez bien, messieurs, que je n'ai jamais élevé la parole contre le principe de l'avancement au choix ; ce que j'ai toujours blâmé, ce que consciencieusementje ne puis pas approuver, c'est l'abus que l'on fait du droit de donner de l'avancement au choix. J'appelle à cette occasion l'attention de M. le ministre de la guerre et je le prie de ne pas s'en rapporter toujours aux propositions qui lui sont faites. Je lui citerai par exemple une promotion qui est loin d'être à l'abri de toute critique. Le 1er août 8 capitaines ont été nommés majors, on choisit jusqu'au 137ème et 152ème capitaine ; il y eut 139 capitaines passés et parmi ceux-ci il y avait 9 capitaines des grenadiers, 9 capitaines de ce régiment d'élite, où pour entrer il faut avoir été proposé par le lieutenant général inspecteur, et parmi ces capitaines, qui au 1er août n'avaient pas les qualités requises pour être majors, il s'en trouve tout à coup réunissant trois mois après toutes les capacités nécessaires pour remplir convenablement l'emploi. Si ces capitaines n'étaient pas bons pour être nommés majors au mois d'août, ils ne devaient pas l'être au mois de novembre, ou plutôt, on a commis une injustice en les passant.

M. le ministre de la guerre (M. Greindl). - Je n'ai qu'un seul mot à répondre.

L'honorable M. Tïiiéfry vient de faire le procès à la loi sur l'avancement. Je n'ai pas à défendre cette loi à laquelle je n'ai pas contribué Je n'ai d'autre mission que celle de l'exécuter. C'est ce que je fais de mon mieux.

Quant aux objections par lesquelles l'honorable membre vient de terminer son discours, elles ne me feront pas rentrer dans la discussion primitive relativement à l'arrêté qui a été pris en avril et retiré en septembre. Je me bornerai à faire remarquer que les deux nominations, dont on vient de parler, ont été faites, l'une sous l'empire de cet arrêté, et l'autre après que cet arrêté avait été retiré.

M. Delfosse. - Messieurs, personne ne peut nier que l'avancement au choix ne soit dans les droits de M. le ministre de la guerre. Mais ce qu'on soutient et ce qu'on soutient avec raison, c'est que M. le ministre de la guerre ne doit user de ce droit qu'avec une grande réserve et jamais au préjudice d'officiers distingués, d'un mérite hors-ligne et réunissant à la fois toutes les conditions nécessaires pour l'avancement.

Je maintiens qu'il y avait dans le corps de l'artillerie plusieurs officiers plus anciens que celui qui a été préféré et tout aussi capables ; je maintiens que l'acte de M. le ministre de la guerre a blessé très vivement les sentiments de l'armée.

M. Devaux. - Messieurs, je ne veux pas entrer dans la question de personnes. Je ne sais absolument pas si M. de Moor l'emporte en capacité militaire sur M. Thierry ou M. Thierry sur M. de Moor. Mais j'ai entendu émettre sur l'avancement des officiers supérieurs des principes que je ne puis adopter.

L'avancement au choix est pour moi une question de capacité relative. Il peut très bien arriver que les capitaines les plus anciens, quoique aptes à remplir les fonctions de majors, ne doivent pas être nommés majors les premiers. Cela a lieu, lorsque des capitaines moins anciens l'emportent sur eux en mérite, ce qui cependant ne doit pas les empêcher d'être promus une autre fois lorsque d'autres n'auront plus cette supériorité sur eux.

Messieurs, le principe de la capacité dans les rangs supérieurs, c'est la sauvegarde des armées.

Le principe de l'ancienneté ainsi exagéré, c'est le mépris de la capacité là où elle est le plus indispensable, ce serait un système de mauvaise organisation et fatal à la défense du pays. Qu'en résulterait-il. Comme il y a huit grades d'officiers, et par conséquent sept échelons à franchir du grade de sous-lieutenant à celui de lieutenant général, si l'on n'avançait que par ancienneté, tout le monde serait vieux dans les rangs supérieurs de l'armée, tous les colonels approcheraient de la soixantaine et les généraux seraient septuagénaires.

Sans doute, il ne faut pas bannir des rangs supérieurs tous les hommes d'un certain âge ; mais il ne faut pas que tous soient vieux. Ce serait une mauvaise armée que celle dans laquelle il n'y aurait ni jeunes colonels, ni généraux jouissant de toute la vigueur du corps et de l'esprit.

Il faut dans notre armée faire plus encore pour la capacité des rangs supérieurs que dans les armées plus nombreuses.

Quoi qu'on fasse, il sera toujours difficile de trouver dans le nombre si restreint de nos officiers supérieurs les capacités nécessaires pour les commandements les plus élevés.

Qu'on se garde bien d'établir des règles qui en éloignent le mérite au lieu de lui en faciliter l'accès.

Je ne puis donc admettre le principe que pour la nomination au choix il aille nécessairement trouver les plus capables parmi les plus anciens. Si un mérite supérieur se trouve parmi de moins âgés, il faut l'y aller chercher et il triomphera légitimement.

M. Delfosse. - Je n'ai pas dit qu'il faut avoir égard à l'ancienneté seule, sans tenir compte de la capacité ; je ne suis nullement en désaccord avec l'honorable M. Devaux.

M. Malou. - Je voulais également protester contre ces principes qui tendent à annuler complètement, en fait, les droits que la loi a reconnus au Roi, en 1830 ; mais après les observations faites par M. Devaux je crois qu'il est inutile d'insister davantage.

M. Thiéfry. - Messieurs, j'ai demandé la parole parce qu'il semblerait, d'après ce que viennent de dire les honorables M. Devaux et Malou qu'en réclamant des droits pour l'ancienneté, je m'éloigne de la loi de 1836. Je demande, au contraire, qu'on suive strictement cette loi.

M. Gendebicn, dans la discussion, avait proposé d'accorder à l'ancienneté la moitié des emplois de major vacants ; il invoquait ce qui se faisait en France, et voici ce que disait l'honorable M. Dumortier :

« Je pense, avec M. le ministre des finances, qu'il faut appeler des hommes capables dans les rangs supérieurs de l'armée ; mais je pense aussi qu'il faut faire une part aux bons et loyaux services. Si vous n'admettez pas l'avancement pour cause d'ancienneté, vous allez jeter le découragement dans l'état militaire. »

Maintenant je rappellerai les paroles de M. Gendebien :

« Le ministre se trompe, quand il croit me répondre en citant l'article 5. Il faut avoir servi quatre ans dans le grade de capitaine pour pouvoir être nommé major, dit cet article. Mais qu'est-ci que cela prouve ? Il n'en est pas moins vrai que vous voulez déshériter les capitaines des droits que leur donne leur ancienneté en France et partout. Vous voulez l'arbitraire le plus large. Cet arbitraire, nous vous l'accordons en temps de guerre ; mais nous vous le refusons en temps de paix. Il ne (page 610) peut être profitable qu'aux mauvais gouvernements et aux privilégiés, au favoritisme. »

Pour mettre un terme à la discussion, M. le ministre de la guerre s'est exprimé de la manière suivante :

« Il y a dans l'état militaire deux transitions d'état, qui changent entièrement la position de celui qui en est l'objet : celle du sous-officier qui passe officier, celle du capitaine qui passe officier supérieur. Si les capitaines avaient droit d'être nommés majors par ancienneté, il n'y aurait plus d'émulation dans dans les premiers rangs de la classe des capitaines. On entretiendra cette émulation en donnant au choix la totalité des emplois de major. On aura, d'ailleurs, toujours égard aux droits d'ancienneté. Les majors seront toujours choisis parmi les plus anciens capitaines. Je pense donc que, sous ce rapport, la proposition du gouvernement présente l'avantagé d'entretenir l'émulation et de récompenser les plus méritants. »

Voilà, messieurs, une déclaration bien nette du ministre de la guerre ; c'est un engagement pris par lui et dont on ne peut s'écarter.

- Un membre. - Il y a la loi.

M. Thiéfry. - Il y a la loi ; mais, messieurs, ceci fait, en quelque sorte, partie intégrante de la loi. Tous les antécédents sont en faveur de mon opinion. Toujours on a égard, pour l'application des lois, aux déclarations du ministre qui en a soutenu la discussion, surtout quand c'est en raison de la déclaration du ministre que la loi a été votée.

Du reste, messieurs, je ne réclame pas d'exception ; je réclame ce qui se fait partout, et on ne citera pas une armée où l'on respecte moins le rang d'ancienneté qu'en Belgique.

M. Dumortier. - Il est vrai, messieurs, que lorsque la loi su l'avancement militaire a été votée dans cette Chambre, j'ai été un de ceux qui désiraient le plus vivement qu'une part très grande fût faite à l'ancienneté, même pour le grade de major ; j'ai parlé dans ce sens et je suis toujours convaincu qu'on aurait bien fait d'admettre cette manière de voir ; mais enfin, messieurs, l'honorable M. Gendebien et moi, nous nous sommes trouvés en minorité, et la Chambre a fait la loi dans un sens opposé à ce que nous demandions. Eh bien, il faut que la loi soit exécutée.

Tous les ministres qui se sont succédé ont exécuté la loi, et je pense que pas un n'a donné lieu à moins de reproches que l'honorable général Greindl. Je crois que tous ses actes sont marqués au coin d'une telle sagesse, que si quelqu'un a mérité des reproches, ce n'est, certes, pas lui.

M. Goblet. - Messieurs, je viens appuyer le projet de loi qui est soumis à votre approbaiion. Je n'ai pas l'intention de me livrer à de longs développements pour vous convaincre des services rendus par les volontaires à la cause nationale.

L'accueil qu'a reçu le projet en discussion prouve l'inutilité de reporter votre pensée sur une époque d'enthousiasme, dont le pays ne perdra jamais le souvenir. Je n'ai demandé la parole que pour rappeler que ce n'est pas seulement par de brillants faits d'armes que les volontaires ont bien mérité de la patrie, mais qu'ils ont encore puissamment contribué à l'affermissement de notre indépendance, après que leurs succès eurent permis de la proclamer.

Les services rendus postérieurement aux combats, par cela même qu'ils n'étaient pas entourés de bruit et d'éclat, ne furent pas de nature à émouvoir les populations ; ils n'en avaient cependant pas moins une grande importance. Il ne suffisait pas d'avoir conquis l'indépendance, il fallait encore la consolider.

Je fus plus que tout autre à même de connaître les services auxquels je fais allusion. Chef du département de la guerre, à partir du 30 octobre 1830, j'ai pu apprécier tous les titres qu'ont eus les volontaires à la reconnaissance du pays, quand, après avoir expulsé l'étranger, on dut réorganiser l'armée régulière.

Vous ne pouvez ignorer, messieurs, combien la tâche fut difficile pour les hommes qui entreprirent cette réorganisation. Vous savez combien peu de place tenaient les officiers belges dans la force publique des Pays-Bas : sur 2,377 officiers de toutes armes, la Belgique n'en comptait que 380.

On ne peut se dissimuler que cet état de choses dût avoir, sur les débuts de l’administration militaire belge, une grande et fâcheuse influence, dont les causes ne furent pas toujours prises en assez sérieuse considération.

Si l'on se récria quelquefois sur les lenteurs, prétenduement apportées à la l’organisation de l'armée, c'est que l'on n'était pas bien pénétré de la pénurie et de la nature des éléments dont on pouvait disposer.

Des obstacles, indépendants de leur volonté, retenaient encore, loin de leur patrie, un certain nombre des 380 officiers belges qui avaient fait partie de l’armée du gouvernement déchu, et il en eût fallu immédiatement plus de 2,000 pour compléter convenablement les cadres des forces indispensables à la Belgique.

Il est facile de concevoir tous les embarras qui durent surgir d'une telle situation. Il n'y avait de toutes parts que vides et lacunes dans le personnel et le matériel de la guerre. Il y eut même des localités où les soldats furent réunis avant qu'il s'y trouvât des officiers pour en prendre le commandement.

Quoique l'on se fût empressé d'accorder aux sous-officiers de l'ancienne armée tout l'avancement qu'il était possible de leur donner, l'on était encore bien loin d'avoir pourvu aux besoins les plus impérieux.

Les circonstances étaient pressantes et je ne sais vraiment comment on fût parvenu à les dominer, si l'on n'avait trouvé, parmi les volontaires, des hommes dont l'éducation et les précédents permirent de leur confier des grades d'officiers. On rencontra chez la plupart d'entre eux un zèle, un dévouement et une activité, qui vinrent compenser ce qui leur manquait en expérience ; bientôt même ils acquirent les connaissances qui leur faisaient défaut et se montrèrent généralement dignes de la nouvelle carrière que les événements leur avaient ouverte.

De bonnes études auxquelles les uns s'étaient livrés ; la connaissance des hommes et des choses que d'autres avaient acquise dans les diverses professions qu'ils avaienl d'abord embrassées, ne furent pas sans fruits, pour l'accomplissement de leurs devoirs, dans les différents degrés de la hiérarchie où ils se trouvèrent placés ; l'on dut enfin à leur concours d'avoir pu surmonter de très nombreuses difficultés.

Au mois de janvier 1831, les cadres de l'armée régulière étaient à même de recevoir les cinq classes de milice dont on pouvait légalement disposer.

Si alors il ne se trouvait sous les armes que trois de ces classes, ce n'était pas par défaut d'organisation ; dès le 15 dudit mois, le gouvernement provisoire prit un arrêté de rappel pour la levée de 1830 ; mais, peu de jours après, je fus averti que le trésor public ne pourra pourvoir aux besoins nombreux de 10,000 nouveaux soldats, et force me fut, peu de temps avant de quitter la direction du département de la guene, de faire révoquer un arrêté auquel on ne pouvait donner suite. A plus forte raison ne fut-il pas permis de penser à la levée de 1831.

Notre armée ne s'élevait donc alors qu'aux trois cinquièmes de sa force normale. Mais, grâce aux efforts qu'avaient faits les officiers de toutes les catégories, l'organisation était tout ce qu'elle pouvait être, à l'époque dont il s'agit et l'effectif répondait d'ailleurs parfaitement aux ressources limitées que le pays y avait consacrées.

Si de tels résultats étaient principalement dus à l'expérience, au zèle, au dévouement qu'avaient déployés les officiers, peu nombreux, sortis de l'armée des Pays-Bas, il faut aussi reconnaître que ces officiers furent grandement secondés par ceux de leurs camarades et de leurs subordonnés, récemment entrés dans la carrière des armes.

Les services de ces derniers ont d'ailleurs été constatés, à l'évidence, par l'avancement et les récompenses qui leur furent successivement accordés. Aujourd'hui même n'en est-il pas beaucoup qui brillent aux premiers rangs de la hiérarchie militaire par leurs talents, leur conduite et les services qu'ils rendent dans les postes élevés qu'ils occupent ?

Mais, messieurs, tous n’étaient pas en position de poursuivre une longue carrière ; en les voyant généralement justifier la confiance du gouvernement, on eut à regretter que l’âge et les infirmités vinssent mettre obstacle à la durée des services de quelques-uns d'entre eux, avant qu'ils eussent atteint le temps voulu pour obtenir, comme pension, une rémunération convenable. C'est tout particulièrement à ces derniers que doivent s'appliquer les dispositions soumises à votre approbation. Entrés au service eu dehors des règles qui ont servi de base à la loi des pensions militaires, les dispositions de cette loi n'ont pu leur être appliquées, sans commettre une espèce de déni de justice.

Dans cette loi, les droits sont réglés dans l'hypothèse que l'on entre au service à l'âge déterminé pour l'appel sous les armes. On ne peut donc l'appliquer à des hommes qui, comme on l'a dit dans l'exposé des motifs, ont pris service à un âge plus avancé, en renonçant à une position acquise, à une carrière faite.

Les officiers de cette catégorie sont sortis de l'activité ayant au moins 55 ans d'âge, beaucoup d'entre eux touchent à la vieillesse, si déjà ils ne l'ont atteinte. On ne peut vouloir qu'après avoir si efficacement contribué à l'état des choses actuel, ils ne reçoivent pas quelques soulagements dans leurs vieux jours. Déjà le maximum de la pension normale est bien peu élevé, en présence des nécessités du temps. Jugez, messieurs, quelle peut être la position matérielle des officiers pensionnés qui, par leur entrée tardive au service, n'ont pu atteindre un nombre d'années d'activité qui leur eût permis d'approcher de ce maximum !

La loi en discussion a pour but de remédier en partie à un tel éttl de choses, et la manière dont le projet a été accueilli ne doit pas laisser de doute sur tout l'intérêt que porte la législature aux hommes qui, sous tous les rapports, sont dignes de sa sollicitude.

Il me reste à faire une observation de détail. Je vois dans le rapport de la section centrale que M. le ministre de la guerre a admis que sous la dénomination d'officiers, il faut comprendre aussi les médecins et les vétérinaires de l'armée, pourvu qu'ils réunissent d'ailleurs les autres conditions déterminées par l'article premier. Il me paraît que les membres de l'intendance doivent également jouir de la même faveur. On ne peut nier l'importance des services rendus par cette administration et ne pas reconnaître le zèle que ces membres n'ont cessé de déployer daas des circonstances bien difficiles.

Il est dit aussi dans le même rapport que la loi devra recevoir son application à l'égard de « ceux qui, s'étant engagés, en qualité de volontaires, dans les quatre demiers mois de 1830, ont été chargés de faire le service de garnison. »

(page 611) On ne pourrait sans injustice ne pas appliquer aussi la loi nouvelle aux volontaires qui furent à la même époque détachés au département de la guerre. Je ne puis oublier le dévouement et l'activité de tout le personnel de ce département dans une situation aussi extraordinaire que les événements qui l'avaient fait naître.

J'aime à croire que M. le ministre de la guerre voudra bien donner quelques explications favorables aux deux catégories de personnes dont je viens de faire mention.

M. Rodenbach. - Je suis persuadé que pas une voix dans cette enceinte ne s'élèvera contre le projet de loi qui nous est soumis et qui est éminemment patriotique. Ce sont ces volontaires, ces officiers de la révolution qui ont puissamment contribué à fonder notre indépendance, nos libertés et même la prospérité matérielle du pays. C'est à ces hommes de cœur que nous devons notre nationalité.

Nous pouvons, messieurs, nous féliciter que notre révolution soit tombée entre les mains d'honnêtes gens, car il n'est point de révolution dans l'histoire qui ait porté des fruits plus mûrs et plus bienfaisants pour la nation.

M. Magherman. - Messieurs, j'avais demandé la parole pour présenter quelques considérations qui ont été très bien développées par l'honorable général Goblet et pour adresser à M. le ministre l'interpellation par laquelle l'honorable général a terminé son discours. Je crois que les officiers de santé, de même que les intendants militaires, doivent être compris dans la loi.

Cela me semble, du reste, résulter des explications échangées entre M. le ministre de la guerre et la section centrale ; mais pour qu'il ne reste aucun doute, je désire que M. le ministre veuille bien se prononcer à cet égard devant la Chambre.

Je n'en dirai pas davantage, messieurs, la Chambre a hâte d'en finir et nous sommes, je pense, tous d'accord pour voter en quelque sorte par acclamation l'acte de justice et de reconnaissance nationale qui nous est proposé par le gouvernement.

M. Dumortier. - Je félicite M. le ministre de la guerre d'avoir présenté ce projet de loi. Il était nécessaire de ne pas oublier les services rendus par les braves de 1830, auxquels nous devons notre émancipation politique. La loi a ma pleine sympathie, et elle aura mon entière adhésion.

Mais, messieurs, en examinant les détails de la loi, il me semble qu'il reste quelque chose à faire. Il y a un certain nombre d'officiers de volontaires qui, après avoir rendu de grands services à l'indépendance nationale, ont quitté l'armée pour entrer dans les fonctions civiles. Ceux-là, messieurs, n'ont point pu faire de l'état militaire leur carrière, ils n'ont pas eu l'occasion d'obtenir l'avancement qu'ils pouvaient espérer ; je ne veux faire ici aucune comparaison offensante pour d'autres, mais ce sont précisément là les hommes du plus grand dévouement qui n'ont eu qu'une seule chose en vue, c'était de conquérir notre indépendance, et qui sont entrés ensuite dans les fonctions publiques de l'ordre civil.

Or, il me semble que ces honorables et excellents citoyens ont également droit à notre sollicitude, et pour mon compte, je présenterai un amendement ayant pour but de compter aussi les années de campagne, au moins à ceux qui sont déjà pensionnés aujourd'hui.

Messieurs, par une interprétation assez étrange de la loi sur les pensions, lorsqu'un officier de volontaires est entré dans des fonctions de l'ordre civil et que sa pension vient à être liquidée, on refuse de lui tenir compte de ses années de campagne. C'est une criante injustice. Tel n'a pas pu être le but de la loi sur les pensions.

Puisque nous sommes occupés aujourd'hui à réviser une loi, quant aux officiers de 1830, la Chambre, dans son patriotisme, voudra tout au moins que les années de campagne soient comptées à ceux de ces officiers qui sont entrés dans les emplois civils, comme à ceux qui sont restés dans l'armée !

Je présenterai, en conséquence les deux rédactions suivantes :

« Art. 5 nouveau : Les anciens officiers de 1830, pensionnés pour services civils, jouiront des mêmes droits,

« § ... Les années de campagne seront comptées aux officiers de volontaires de 1830, qui depuis ont pris service dans l'administration civile. »

M. le ministre de la guerre (M. Greindl). - Messieurs, je pense que le premier amendement de l'honorable M. Dumortier est sans objet ; car les employés civils qui sont déjà pensionnés comme militaires avant leur entrée dans les emplois civils, tombent naturellement sous l'application de la loi.

Quant à l'amendement relatif aux employés civils auxquels on ne compte pas leurs années de campagne, lors du règlement de leurs pensions civiles, je ne puis en apprécier les résultats ni me rendre compte de l'opportunué de la mesure qui en fait l'objet. J'ai lieu de croire que les années de campagne accordées aux militaires ne leur sont octroyées que parce qu'on a pensé que les campagnes rendent prématurément inhabiles au service actif, aux manoeuvres de guerre ou au commandement tandis que les fonctions civiles n'exigent pas les mêmes qualités, on peut prolonger le service des fonctionnaires, quelles que soient d'ailleurs les circonstances dans lesquelles ils se sont antérieurement trouvés. En ce qui concerne les intendants militaires dont les honorables MM. Goblet et Magherman ont parlé, évidemment ceux qui remplissent toutes les conditions de l'article 1er, c'est-à-dire qui ont fait partie de l'armée combattante, ou qui ont été adjoints à l'armée, soit comme intendant soit comme médecin vétérinaire ou pharmacien, tombent dans les termes généraux de la loi.

Je ne sais pas combien il y a d'officiers de 1830 parmi les employés du ministère de la guerre qui ont été pensionnés. Le nombre, du reste, doit en être très restreint, et je m'engage à examiner cette question de la manière la plus bienveillante.

M. Dumortier. - Je dois faire remarquer que la loi n'interdit pas de compter les années de service ; ce n'est que par interprétation qu'on se refuse à les compter. C'est une injustice d'autant plus criante qu'il saute sous les sens que ceux de ces fonctionnaires qui ont contracté des infirmités corporelles pendant leurs années de campagne, ne peuvent pas servir dans l'état civil autant qu'ils pourraient le faire, s'il n'avait pas eu ces infirmités.

Messieurs, puisqne nous faisons ici un acte de générosité qui en définitive ne se reproduira plus, puisqu'il se rattache à notre émancipation politique de 1830, je crois que nous devons, par reconnaissance, ne pas décompter aux braves de cette époque, entrés dans l'ordre civil, leurs années de campagne, années que l'on compte à ceux qui sont restés sous les drapeaux. Ma proposition serait donc le complément du projet de loi présenté par le gouvernement.

M. le ministre des finances (M. Mercier). - Messieurs, j'avais demandé la parole pour présenter les mêmes observations qu'a faites M. le ministre de la guerre ; la carrière, dans les emplois civils, est beaucoup plus longue que dans l'état militaire, c'est pour ce motif que le législateur n'a pas permis que l'on comptât deux fois les années de campagne dans la liquidation des pensions civiles.

Il n'y a jamais eu à cet égard le moindre doute. Le ministre qui a proposé la loi, l'a appliquée dans ce sens, et la loi antérieure recevait la même application.

Je crois que maintenant l'honorable M. Dumortier restreint sa proposition. Il voudrait une disposition spéciale qui s'appliquât aux anciens officiers volontaires.

Je ne saurais pas apprécier la portée de cette proposition, au point de vue de la dépense à laquelle elle donnerait lieu. Je dirai seulement que c'est à titre de récompense que les volontaires de 1830 ont été admis dans l'administration civile de préférence à tous autres ; ils ont donc, par leur admission même, dont ils connaissaient, d'ailleurs, le» conditions, été traités avec une bienveillance particulière. Du reste, la Chambre appréciera.

M. Dumortier. - Messieurs, il est très facile de donner à M. le ministre des finances l'explication qu'il demande ; ma proposition ne concerne que les officiers déjà pensionnés. Or, remarquez que pour ceux-là leur temps est fini ; les infirmités qu'ils avaient contractées ne leur ont pas permis de continuer très longtemps à remplir des fonctions civiles. C'est un acte de justice à leur rendre que de leur compter leurs années de campagne.

M. Thiéfry. - J'ai remarqué une espèce de contradiction entre,le projet de loi et les proposi ions de la section centrale. C'est pour la faire disparaître que j'ai demandé la parole.

L'article premier du projet de loi est ainsi conçu :

« Par extension à l'article 35 de la loi du 24 mars 1838, il sera compté dix années de service aux officiers qui, en qualité de volontaires, ont pris part aux combats de la révolution, dans les quatre derniers mois de 1830. »

Pour jouir de la faveur des dix années de service, il faut donc avoir été réellement combattant.

La section centrale a proposé de comprendre sous la dénomination d'officiers, les médecins et les vétérinaires de l'armée. Elle a demandé, en outre, que la loi reçoive son application à l'égard de ceux qui, s'étant engagés en qualité de volontaires dans les quatre derniers mois de 1830 ont été chargés de faire le service des villes de garnison. Il n'est donc pas question ici de combattants.

Dans la pensée du gouvernement, dit le rapport de la section centrale, les officiers dont il s'agit auront droit au bénéfice de la loi, pourvu qu'ils satisfassent aux autres conditions de cette loi.

Voilà donc une restriction définie. Et quelles sont ces autres conditions ? Il n'y en a qu'une seule, c'est d'avoir pris part aux combats de la révolution.

Or, il est évident que la section centrale, en proposant d'accorder les dix années de service aux volontaires qui ont fait le service de garnison, a eu en vue d'étendre les bienfaits de la loi, à ceux qui n'ont pas été appelés à combattre, puisqu'elle ajoute que leur dévouement est absolument le même que celui de leurs frères d'armes envoyés sur le champ de bataille. Ce qui est vrai pour les volontaires l'est également pour les médecins qui ont abandonné leui clientèle pour soigner les blessés dans les hôpitaux.

Je crois donc que pour mieux rendre la pensée de la section centrale et du gouvernement, l'article premier devrait être rédigé de la manière suivante :

« Par extension de l'article 34 de la loi du 24 mai 1838, il sera compté dix années de service aux officiers qui en qualité de volontaires ont pris les armes dans les quatre premiers mois de 1830. »

M. Osy. - Je demande le renvoi de l'amendement à la section centrale ; d'ici là le ministre de la guerre et le ministre des finances pourront apprécier la portée des propositions qui sont faites.

- Le renvoi est ordonné.

La séance est levée à 4 heures trois quarts.