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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 15 janvier 1857

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1856-1857)

(Présidence de M. Delehaye.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 449) M. Crombez procède à l'appel nominal à une heure et quart.

M. Tack donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Crombez présente l'analyse des pétitions adressées à la Chambre.

« Des agents expéditeurs patentés, admis près de l'administration des douanes à Gand, présentent des observations contre la pétition du sieur Van Loo qui tend à faire abolir les articles 118 et 119 de la loi du 26 août 1822. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur cette pétition.


« L'administration communale de Perwyze demande la libre entrée des charbons et du fer brut. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à la révision du tarif des douanes.


« Plusieurs juges de paix dans les arrondissements d'Ypres et de Furnes prient la Chambre d'améliorer leur position. »

- Renvoi à la commission chargée d'examiner le projet de loi sur l'organisation judiciaire.


M. Vandenpeereboom. - La pétition dont l'analyse vient d'être présentée à la Chambre est signée par tous les juges de paix de l'arrondissement d'Ypres et par trois juges de paix de l'arrondissement de Furnes. La position et la qualité des signataires méritent d'attirer sur la pièce signée par eux toute l'attention de la législature et du gouvernement.

Ces modestes et utiles fonctionnaires présentent des observations fort sages sur la question des traitements qui leur sont attribués et demandent que certaines règles soient adoptées pour garantir, à ceux d'entre eux qui le désirent, des promotions auxquelles ils ont plus de droit, par leurs anciens services, que les candidats nouveaux et souvent sans titres qui parfois obtiennent la préférence.

Ces questions de la plus haute importance sont très bien traitées par les pétitionnaires.

S’il entrait dans les usages de la Chambre de décider l'impression d'une pétition avant qu'elle soit examinée par une commission, je n'hésiterais pas à faire une proposition en ce sens ; mais par suite des précédents de l'assemblée, je ne le puis.

Je demande donc que cette pétition soit renvoyée à la commission spéciale chargée de l'examen du projet de loi d'organisation judiciaire et imprimée comme annexe à la suite du rapport de cette commission.

M. Lelièvre. - La pétition dont il s'agit intéresse tous les juges de paix du royaume. Dans l'intérêt de ceux-ci, je ne puis qu'appuyer une réclamation qui est fondée sur les plus justes motifs.

- La proposition de M. Vandenpeereboom est adoptée.


« Les membres du conseil communal de Hives demandent que la compagnie concessionnaire du chemin de fer du Luxembourg établisse une station à Marlage et que le gouvernement construise une route de raccordement entre le pont de Harsin et le village de Jemeppe. »

« Même demande des membres du conseil communal de Renneville. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Bosmans, facteur des postes à Bruxelles, et blessé de septembre, demande le bénéfice des 10 années de service accordé aux décorés de la croix de Fer. »

- Même renvoi.


« Le sieur de Saint-Roch, capitaine de cavalerie pensionné, réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir l'augmentation d'un cinquième de sa pension du chef de dix années de grade de capitaine depuis le 20 juillet 1846 jusqu'au 20 novembre 1856. »

- Même renvoi.


« Des négociants, banquiers, armateurs et commerçants à Ostende prient la Chambre de maintenir les fonctions de courtier de commerce. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur la pétition du sieur Van Loo.


« Des habitants de Faurœulx appellent l'attention de la Chambre sur la situation que font à l'agriculture les droits qui pèsent sur les houilles et sur les fontes. »

« Mêmes observations d'habitants de Turnhout, Aerschot, Haecht, Campenhout, Roisin, Longchamps, Grandglise, Saint-Amand-lez-Hornu, Tourbes-lez-Leuze, Moustier, Cambron-Saint-Vincent, Corbais, Jamoigne, Santour, Villers-Saint-Ghislain, des membres du conseil communal de Hives et des sieurs Vandael et Delescluze, président et secrétaire de la société d'agriculture dans l'arrondissement de Furnes. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi portant révision du tarif des douanes.


« Par message, en date du 14 janvier, le Sénat informe la Chambre qu'il a adopté le projet de loi portant création d'un timbre adhésif. »

- Pris pour notification.

Motion d’ordre

Commune de Capelle et inspection primaire

M. de Moor. - A la session dernière, au moment de nous séparer, M. le ministre de l'intérieur avait promis, je pense, de donner par la voie du Moniteur des explications sur le conflit si grave qui s'était élevé dans le sein de l'administration communale de Capelle. Ces explications, je ne les ai pas encore trouvées au Moniteur Je prierai M. le ministre de vouloir nous dire quand ces explications pourront être insérées au Moniteur, ou de vouloir bien fixer un jour pour les donner à la Chambre.

Je profilerai de la circonstance pour adresser par voie d'interpellation une autre question à M. le ministre, je lui demanderai s'il compte doter bientôt le Luxembourg d'un inspecteur de l'enseignement primaire.

Depuis plus de huit mois ces fonctions ne sont pas remplies. Dans l'intérêt administratif et surtout dans l'intérêt de l'instruction des classes studieuses, je prie M. le ministre de pourvoir sans tarder à ces fonctions si importantes. Parmi les candidats, il en est de très capables ; je serais très-heureux de voir faire cette nomination le plus tôt possible.

M. le ministre de l'intérieur (M. Dedecker). - J'ai en effet promis des explications sur les difficultés qui se sont présentées dans la commune de Capelle. Je ne pense pas qu'il soit d'usage d'insérer des explicitions de cette nature dans le Moniteur ; c'est à la Chambre qu'elles doivent être présentées et c'est à la Chambre à décider s'il convient de les faire imprimer comme document parlementaire. Je serai prêt, à bref délai, à déposer ces explications.

Quant au deuxième objet dont l'honorable membre a entretenu la Chambre, je dois avouer que la nomination de l'inspecteur provincial de l'enseignement primaire dans le Luxembourg s'est fait attendre. Ce retard s'explique par les difficultés particulières qu'on rencontre dans cette province où des conditions spéciales sont exigées, notamment la connaissance de la langue allemande. Pour les autres parties du pays, les choix sont plus faciles, mais ici il y a une difficulté particulière au pays. J'espère pouvoir la vaincre d'ici à quelques jours.

Relevé des bourses universitaires

M. le ministre de l'intérieur (M. Dedecker). - Messieurs, il y a environ un mois il a été convenu que le gouvernement ferait un relevé général des bourses de toute nature conférées aux élèves des quatre universités de Belgique.

J'ai l'honneur de déposer le relevé par catégories ainsi que le relevé général de toutes les bourses accordées aux élèves des quatre universités du royaume.

- Le document déposé par M. le ministre de l'intérieur sera imprimé et distribué.

Projet de loi sur les jurys d’examen universitaires

Discussion générale

M. de La Coste. - Messieurs, je compte me renfermer dans la discussion générale que je ne désire pas prolonger outre-mesure. Quant aux détails d'application, je crois que leur place est à la discussion des articles à laquelle, si l'occasion s'en présente, je me réserve de prendre également part.

Je commencerai par dire, messieurs, que, à mon avis, on a traité bien sévèrement et peut-être bien injustement cette jeunesse studieuse sortie de nos universités, ces jeunes hommes qui, a-t-on dit, ne sont rien, « pas même académiciens,» mais qui pourront le devenir. De cette jeunesse sortiront, je l'espère, des hommes qui démentiront l'accusation dont on l'a gratifiée. Il y entrait, je le pense, quelque peu d'humeur qui doit être attribuée aux froissements occasionnés par le mode actuel d'examen.

Quoi qu'il en soit, nous avons quatre difficultés importantes à résoudre et il serait fort désirable qu'elles pussent être résolues dans cette session.

Nous avons d'abord la question du grade d'élève universitaire, déjà résolue deux fois par la Chambre ; la première fois, on a dit que c'était une surprise, que la Chambre n'était pas préparée à la discussion : consultée une seconde fois, elle a répondu dans le même sens ; cependant on paraît douter encore qu'elle ait dit son dernier mot.

De là, messieurs, une incertitude qui réagit d’une manière fâcheuse sur l’enseignement moyen. Je regarde donc ce point comme important à décider de façon à ne laisser aucun doute dans les esprits.

Viennent ensuite les matières d'examen. La discussion est aussi très bien préparée à cet égard, et le moment semble venu où une solution pourra intervenir. Je ferai remarquer, sur ce point, que si la Chambre adopte (page 450) les changements relatifs à quelques matières qui feraient désormais l’objets de certificats, une objection sur laquelle l'honorable M. Frère s’est exprimée avec beaucoup de chaleur ne pourrait plus être faite.

L'honorable M. Frère a parlé de certaines matières d'examen sur lesquelles les opinions sont très divergentes et qu'on s'abstient de traiter ; d'un concert tacite, les questions les plus délicates qui s'y rattachent sont évitées, et l'on se borne à quelques détails insignifiants.

Messieurs, quant à moi, je vous avoue que je ne conçois pas, que je n'ai jamais conçu comment, dans un Etat organisé comme la Belgique, les jeunes gens pouvaient être interrogés sur ces questions par un jury. Je regarderais donc comme un grand avantage de les voir rayer des matières d'examen.

Je ne vois à ce silence concerté et encore moins aux collisions qui pourraient naître si ce silence n'était pas observé, je ne vois aucune espèce d'avantage. J'aime ici beaucoup mieux les certificats et je le répète à l'honorable M. Frère qui vient d'entrer, je pense que par là une partie de ces objections serait écartée.

La composition du jury est encore un point qu'il importe de régler, puisque la dernière loi a cessé d’être en vigueur.

Enfin il y a encore la question des bourses dont je ne m'occuperai pas en ce moment, mais sur laquelle une décision doit être prise.

Cependant, messieurs, le dirai-je ? Il se manifeste sur l'un de ces points, la composition du jury, une divergence, une subdivision pour ainsi dire à l'infini des opinions qui pourrait conduire à des résultats purement négatifs Cette division me semble telle, d'après les discussions publiques et les conversations particulières, que même parmi les honorables membres qui paraissent se grouper sous un même drapeau, l'on pourrait douter qu'il y eu ait deux qui soient parfaitement d'accord.

Messieurs, quant à moi, je suis bien loin de vouloir jeter dans la discussion un système de plus. Je n'ai pas proposé de système ; j'ai proposé un amendement, ce qui est bien différent. Cet amendement suppose un principe sur lequel il faudra d'abord que la Chambre se soit prononcée.

Je pense au surplus que de quelque manière que vous vous y preniez, à quelques hommes que vous ayez recours, à quelque forme que vous donniez la préférence, vous êtes en face de difficultés que vous ne résoudrez jamais complètement. Nous devons chercher le bien et le mieux même et surtout le juste, mais ce serait trop se flatter que de prétendre parer à tous les inconvénients.

Quelques membres se disent, et cela est bien naturel : Ces discussions sont interminables ; elles reviennent toujours ; toujours cette malheureuse question du jury d'examen ! Il faut en finir avec elle ; il faut trouver quelque chose de radical, un de ces remèdes héroïques dont on a dit méchamment que s'ils n'emportent pas le mal, ils emportent du moins le malade.

Mais, messieurs, la difficulté est réelle ; elle existe dans nos institutions, dans la manière dont elles ont été appliquées, dans les faits qui en découlent.

On a parlé de la liberté d'enseignement en Angleterre, aux Etats-Unis. Mais je ne sais pas s'il y a un autre pays où les choses se présentent de la sorte et où l'on trouve à la fois en pleine activité les deux principes opposés, l’enseignement aux frais de l'Etat, la centralisation fortement organisée et en face l’enseignement libre ; et de chaque côté deux établissements qui ont le même caractère, le caractère complet d'université.

On demandera peut-être à deux de ces universités la date du décret qui les organise. Elles montreront la Constitution. Après cela pour compliquer encore la question, vous avez un genre d'enseignement auquel on donne le nom d'études privées ; c'est un enseignement qui se donne en dehors des universités, soit dans d'autres établissements, soit dans le sein des familles. Il faut être juste aussi envers cet enseignement. D'abord, messieurs, parce que la justice est notre premier devoir, ensuite parce qu'elle est même une habileté suprême. Il n'y a rien de solide que ce qui a ce fondement.

Messieurs, si l'on veut parvenir à un résultat, il faut d'abord, je crois, s'entendre sur les principes.

Il y a des questions très vastes que je crois qu'il ne faut pas même aborder, parce que toute notre organisation les a résolues. Quand faut-il permettre le libre exercice de toutes les professions ? Sans doute la Chambre peut revenir sur ce qui a été décidé à cet égard ; mais ce serait élargir inaniment et indéfiniment le cercle de nos discussions actuelles.

Faut-il une intervention de l'Etat dans le haut enseignement ou faut-il s'en apporter a la liberté. C'est un point résolu aussi, et entamer cette question, ce serait sortir entièrement de l'objet de nos discussions.

Il faut donc partir des faits tels qu'ils sont, et des principes de notre législation qui sont en dehors du projet de loi. Mettant donc de côté tous ces systèmes qui rentrent un peu dans le vague des théories, je pente que la grande distinction entre les systèmes est ici : faut-il que les récipiendaires soient interrogés par des membres du corps enseignant ou par des étrangers. Et je dirai même qu'en disant le corps enseignant, je donne à ma pensée un peu trop de latitude : c'est par leurs professeurs que je voulais dire.

Eh bien, avec ces deux termes opposés ou peut faire une multitude de combinaisons. Au lieu d’adopter l’un ou l'autre de ces deux éléments, on peut les combiner de différentes manières.

Mais, dans la section centrale, nous avons examiné plusieurs plans où l'on combinait, des éléments divers et nous avons généralement reconnu que l'un des éléments absorberait l'autre, et ces systèmes, quoique recommandés par des noms très connus, n'ont trouvé aucune adhésion.

Messieurs, si l'on maintient le droit très ancien, accordé aux professeurs, d'interroger les élèves et de leur délivrer des diplômes, des brevets de capacité, alors se présente une autre question.

Ce droit, l'abandonnera-t-on sans contrôle ? Faut-il dire aux universités quelles qu'elles soient : Délivrez des diplômes ; nous nous fions à vous, sans restriction, sans condition. Celui qui aura reçu de vous un diplôme de médecin sera médecin, celui qui aura un diplôme d'avocat sera avocat ; s'il a du talent, il réussira ; s'il n'en a pas, il restera dans la foule, et alors, s'il est bien inspiré il choisira une autre profession. Ou bien, messieurs, faut-il qu'il y ait un certain contrôle, de certaines garantes ? C'est ce qui a lieu maintenant.

On a cru qu'il fallait un contrôle, on l'a cherché dans le corps professoral lui-même. Cela rentre tout à fait dans l'ordre d'idées qui fait examiner les élèves par leurs professeurs ; cela est d'accord avec ce que je viens de dire tout à l'heure, que si l'on joint aux professeurs un autre élément, celui-ci sera absorbé et formera un complément inutile.

En effet l'élément professoral a infiniment d'aptitude pour les examens.

Il connaît le chemin de l'esprit de la jeunesse, il sait la manière de tirer de ces jeunes intelligences l’expression vraie de ce qu'elles ont requis dans le cours des études.

C'est, messieurs, quand nous arriverons à ce point qu'il y aura lieu peut-être, de ma part, non pas formuler un système, mais de rappeler les idées que j’ai livrées à l'appréciation de mes collègues. Il s'agissait tout simplement, en continuant au corps professoral le droit d'examiner les élèves, le droit de délivrer des diplômes, en maintenant un contrôle exercé par le corps professoral lui-même, il s'agissait de rendre les froissements moins sensibles qu'ils ne le sont aujourd'hui, et, pourtant d'emprunter au mode en vigueur depuis 1849 les précautions propres à empêcher ce que redoute l'honorable M. Frère. L'honorable M. Frère disait: Dans le système du jury professoral. une université qui l'emporterait sur toutes les autres par le talent de ses professeurs, par l'affluence de ses élèves, pourrait être écrasée par les autres.

Eh bien, messieurs, c'est précisément là ce que je ne veux pas. J’aimerais encore beaucoup mieux accorder trop de facilités à l'admission des élèves, qu'à des coalitions tendantes à exclure les jeunes gens qui auraient fait leurs études avec quelques succès.

Il se manifeste quelquefois à l'égard des universités libres un scrupule qui n’est pas plus d'accord avec l'histoire qu'il n'est constitutionnel. Les anciennes universités étaient aussi des manifestations spontanées de la science. Les gouvernements s'y intéressaient vivement, les comblaient d'avantagé, de privilèges, exerçaient certaines fonctions de police à leur égard, une certaine influence, toute protectrice et bienveillante. Ces corps délivraient librement des diplômes, et leurs diplômes étaient respectés, non comme des actes de gouvernement, mais comme des déclarations de la science. Jamais les gouvernements ne se sont avisés de soumettre ces diplômes à une sorte de révision de la part de fonctionnaires publics. On a parlé de la Chine ; il me semble qu'une pareille révision serait un peu chinoise, car ce serait alors les mandarins qui feraient l'examen ou pourraient le défaire.

Je pense que l'examen par les professeurs est encore ce qui offre le plus de garantie, mais les diplômes à délivrer par les universités sans aucun contrôle laisseraient peut-être quelques inquiétudes. Cependant je ne veux pas me prononcer à cet égard. Je désirerais que d'honorables membres qui, je crois, regardent cette manière de procéder comme praticable, voulussent bien formuler leur système ; il se présenterait alors sous une forme bien nette et on pourrait l'examiner avec plus de connaissance de cause.

Si on ne pouvait pas adopter ce système, qui est certes fort libéral, alors il resterait, comme je l'ai dit, à laisser le contrôle au corps professoral, de manière à rendre moins sensibles les froissements qu'on éprouvait sous le système de la loi de 1849 et à empêcher ce que je craindrais de la proposition de M. le ministre de l'intérieur, à empêcher la possibilité de coalitions tendantes a détruire, pour ainsi dire, à écraser un établissement en faisant subir des échecs justes à une partie de la jeunesse studieuse.

Quant au droit â attribuer au gouvernement de contrôler les examens du corps professoral, d'exercer a cet égard une espèce de censure, de soumettre à des examens des élèves déclares aptes par les professeurs, ce serait là, comme on la déjà dit, une nouvelle complication ;. et il faut le dire, ce ne serait pas, ainsi que quelques-uns semblent le croire, un pas vers la liberté, ce serait un pas et un grand pas vers la centralisation La centralisation se lie étroitement à l’état de notre civilisation, elle produit plusieurs avantages, mais il faut avoir constamment l'œil sur sa marche progressive ; c’est un pouvoir qui n'est pas celui des rois, celui des peuples, celui des hommes qui gouvernent ; c'est un pouvoir qui, par une force intérieure qui lui est propre, tend incessamment à s’accroître, à s’étendre, a (mot illisible) dans ses tableaux, dans ses colonnes, tous les actes spontanés de 1 activité humaine, à tirer pour ainsi dire à son cordeau officiel les plus nobles élans de l’intelligence, les sentiments les plus profonds du cœur.

Voilà, messieurs, tout ce que j’avais à dire.

(page 451) M. de Brouckere. - Messieurs, j'ai attendu à dessein la fin de la discussion générale avant de demander la parole, parce que mon désir était de n'y pas prendre part.

Je romps le silence que j'aurais voulu garder, n'ayant, jusqu'ici entendu personne réfuter certaines assertions que je regarde, moi, sinon comme erronées, au moins comme excessivement exagérées.

On a, dans la séance d'hier, longuement parlé des distinctions qui existent entre les diverses races : la race germanique ; la race gauloise ; la race belge et même la race chinoise.

Je ne sais jusqu'à quel point ces distinctions sont fondées, mais ce qui est certain, c'est que la race belge a extrêmement de peine à établir en quelque matière que ce soit une législation stable, une législation qu'on ne vienne pas critiquer, censurer, attaquer, très peu de temps après qu'elle a commencé à fonctionner.

Nous avons eu déjà trois ou quatre législations en matière commerciale, nous en attendons une définitive, Sur les denrées alimentaires, nous sommes encore à chercher quel est le système qui conviendra à la Belgique. Pour l'administration du chemin de fer, depuis dix-sept ou dix-huit ans, chaque année nous faisons une chose pour la défaire l'année suivante et rétablir ensuite ce que nous avons défait. Nous avons sept ou huit commissions qui sont chargées de rédiger des projets de loi qui doivent remplacer la législation actuelle et à la fin de chaque année nous votons une dizaine de lois provisoires.

La loi sur le jury d'examen n'a pas été plus heureuse. Depuis 21 ans, nous nous débattions pour découvrir quelle est sur cette matière importante la législation qui convient à nos institutions, et je crois que ce ne sera pas encore après les débats qui se tout ouverts cette semaine que le problème sera résolu.

On attaque, et je dois dire en donnant d'assez bonnes raisons, on attaque vivement le système actuel, mais je ne vois pas qu'on y substitue rien qui soit à l'abri de tout reproche. Tout d'abord, je le déclare, je ne puis pas adhérer au système qu'a développé l'honorable M. Frère.

Déjà M. le ministre de l'intérieur l'a combattu, suivant moi, d'une manière victorieuse ; au surplus c'est une innovation et une innovation radicale ; quoi qu'on en dise, si le système devait être formulé en loi, je crois qu'on ne tarderait pas à apercevoir qu'il présente de très graves difficultés. Du reste il n'est pas présenté, M. Frère s'est borné à présenter des considérations générales, je ne pense pas que son intention soit de formuler un amendement sur lequel nous ayons un vote à émettre.

Le système présenté par le gouvernement pouvait avoir son bon côté ; on me fait remarquer qu'il s'est rallié aux propositions de la section centrale. (Interruption.)

Je parle de la composition des jurys seulement, et non des matières sur lesquelles les examens doivent porter.

M. le ministre de l'intérieur (M. Dedecker). - Le gouvernement ne s'est pas rallié aux propositions de la section centrale a cet égard.

M. de Brouckere. - Le système du gouvernement, quant à la composition du jury, peut avoir un bon côté, mais mon opinion est qu'il ne présentera pas moins de défauts dans l'exécution que le système actuel.

Comment s'y prend-on pour démontrer que le système actuel est mauvais, détestable, qu'il a produit les résultats les plus funestes ? On dit : Le niveau des études a considérablement baissé ; la cause pour laquelle le niveau des études a baissé, il faut la chercher dans la composition du jury. On en conclut qu'il faut absolument bouleverser la législation qui règle le jury.

Le niveau des études a baissé.

D'abord M. le ministre de l'intérieur a fait une distinction fort juste à cet égard. Oui, le niveau des études a baissé, quand on considère les études sous le rapport purement scientifique. Sous d'autres rapports, le niveau des études n'a pas baissé, au moins depuis 1835. Je prétends, moi, que les jeunes gens sortant des universités qui existent aujourd'hui, ayant subi des examens devant les jurys que vous avez-établis, en savent autant que nous en savions en sortant des universités du royaume des Pays-Bas, après avoir subi des examens devant nos professeurs, qu'ils en savent autant que les jeunes gens qui sortaient des écoles de droit et de médecine du temps de l'Empire.

Le niveau des études a baissé, depuis quand ? Depuis plus d'un demi-siècle. Je tiens pour parfaitement vraie cette assertion que les études aujourd'hui valent ce qu'elles valaient avant 1830, avant 1814 et que les jeunes gens sortant des universités de Belgique, valent les jeunes gens qui sortaient des universités du royaume des Pays-Bas, valent les jeunes gens qui sortaient des écoles appartenant à la période de l'empire.

Pourquoi le niveau des études a-t-il baissé au point de vue scientifique, non depuis 1835, mais depuis une époque de beaucoup antérieure ? Cela est très facile à comprendre.

Nous vivons dans un temps où la fortune est considérée comme procurant tous les agréments de la vie, comme donnant, malheureusement, plus que toute autre chose la considération et l'estime.

Quel est donc le but des jeunes gens qui vont aux universités ? C'est d'arriver à la fortune, c'est de se procurer une bonne position dans le monde. Or, je vous le demande, est-ce en Belgique un moyen d'arriver à la fortune que de devenir un savant ? Avez-vous vu beaucoup de littérateurs, beaucoup de poètes ?

On devient, me dit-on, commissaire d'arrondissement.

M. le ministre de l'intérieur (M. Dedecker). - M. Rogier a donné les mêmes fonctions à des hommes de lettres qui n'avaient certes pas les titres littéraires de celui auquel on fait allusion.

M. de Brouckere. - Remarquez que ce n'est pas moi qui ai fait cette allusion.

M. le ministre de l'intérieur (M. Dedecker). - C'est pourquoi j'adresse mon observation à l'honorable membre qui vous a suggéré l'allusion.

M. de Brouckere. - Je demandais donc à la Chambre si elle connaît beaucoup de littérateurs, de poètes, de mathématiciens, beaucoup d'écrivains, en quelque manière que ce soit, qui soient arrivés par leur science à une haute position de fortune. Il me serait très difficile d'en citer quelques-uns. Sont-ce même pour certaines carrières libérales, sont-ce toujours les plus savants, ceux qui ont fait les études les plus sérieuses qui réussissent le mieux ? Je ne le crois pas.

Je crois que malheureusement avec de certaines connaissances positives, avec certaines études pratiques, avec plus ou moins de savoir-faire, on aura, dans le siècle où nous vivons, tout autant de chances de parvenir qu' avec la science.

Cela est hélas ! vrai pour les carrières entièrement libres ; et cela est, en général, tout aussi vrai pour les fonctions qui dépendent du gouvernement.

S'il en est ainsi, si cela est de la notoriété de tous, peut-on s'étonner qu'un jeune homme se rendant à l'université ait, avant tout, un but en vue, d'acquérir le titre qui lui est nécessaire et les connaissances qu'il croit indispensables pour se procurer, aussitôt après qu'il a quitté l'université, une position lucrative dans le monde ?

Les grandes sources de la fortune, quelles sont-elles ? L'industrie, le commerce, la spéculation. A coup sûr, ce n'est pas parce qu'on s'est livré à des études extrêmement profondes dans une université, qu'on a le plus de chances de devenir un bon industriel, un négociant habile ou un adroit spéculateur.

Les parents, au surplus, sont le plus souvent parfaitement d'accord avec les jeunes gens, et je suis bien sûr que je puis résumer en cinq mots les instructions que la plupart d'entre eux donnent à leurs enfants, sat bene, si sat cito, c'est-à-dire faites en sorte d'acquérir, pendant les quatre années que vous allez passer à l'université, ce qu'il vous faut pour arriver le plus vite possible à une position complètement indépendante, et vous aurez parfaitement rempli nos intentions.

Si ce que je viens de dire est vrai, sont-ce les professeurs qu'il faut rendre responsables de ce que le niveau des études a plus ou moins baissé ? Est-ce à la composition des jurys qu'on peut adresser un reproche ? Non. Les professeurs sont parfaitement innocents, et de quelque manière que vous composiez les jurys, je crains fort que vous na parveniez pas à relever le niveau des études.

M. Dechamps. - Mon intention n'est pas d'entrer bien avant dans la discussion générale qui me parait épuisée. Je veux seulement motiver mon vote.

M. Devaux et M. Orts demandent la parole.

M. Dechamps. - Au fond, je partage assez l'opinion développée avec talent par l'honorable M. Frère, quoique je ne puisse me rallier aux conclusions auxquelles il est arrivé.

Les développements qu'il a donnés à sa pensée me dispenseront, à certains égards, des développements nécessaires pour exposer la mienne.

Le projet de loi soulève plusieurs questions importantes. On n'en discute que deux. Laissant de côté la question du grade d'élève universitaire et la question des bourses, questions spéciales que l'on traitera d'une manière spéciale, on s'est occupé exclusivement du cadre des examens et du mode de composition des jurys.

Pour le mode de formation des jurys, on paraît au fond d’accord sur les idées essentielles ; mais on varie sur le choix de la forme à adopter.

Je crains que sur ce point les nombreux systèmes présentés ne jettent la Chambre dans l’indécision et qu'on n’arrive, comme l'a dit l'honorable M. de la Coste, à un résultat négatif.

Mais une question sur laquelle on est unanimement d'accord, c'est la question des cadres des examens, de la simplification des examens, de la réduction des matières.

Permettez-moi de rappeler quelques faits que la Chambre a peut-être perdus de vue ; ils serviront à établir que, sur cette question, l’accord est fait depuis longtemps, et que la solution n'a été éloignée que pour des causes politiques qui ont dominé les questions d'enseignement.

Ainsi, dès 1838, lorsqu'il a présenté le premier projet de réforme, l’honorable M. de Theux avait signalé le vice radical du système de 1835. C'était l'extension démesurée donnée aux matières d'examen. Le projet de 1838 a été soumis à de longues enquêtes : enquête dans les universités, enquête dans le sein des jurys mêmes. Le résultat de ces enquêtes a été de constater qu'en effet la faute commise en 1835 avait été d'étendre outre mesure les matières d'examen et d'attribuer ainsi aux jurys une mission qu'ils ne devaient pas avoir. La réforme était signalée.

La conclusion de toutes ces enquêtes a été un projet formulé en 1842, par la section centrale, qui avait pour rapporteur l'honorable M. Dubus aîné, la section centrale s'est mise d'accord avec l'honorable M. Nothomb, ministre de l'intérieur, pour formuler un projet de loi, lequel avait un certain degré de parenté avec le système de l'honorable M. Frère.

(page 452) En 1842, on avait reconnu que le danger était, par l'extension des matières d'examen, de donner aux jurys le caractère d'un grand conseil des hautes études, interrogeant sur tout et ayant dès lors la véritable et suprême direction de l'enseignement universitaire.

On voulut circonscrire cette mission des jurys dans des limites plus justes, et pour cela on restitua aux quatre universités existantes le droit de conférer directement une partie des grades.

On divisa les grades en grades préparatoires et en grades spéciaux Les grades préparatoires correspondant aux examens de la candidature étaient délivrés par les universités elles-mêmes ; les grades spéciaux et professionnels, correspondant aux examens de doctorat, étaient délivrés par un jury central.

Mais les universités qui dans l'enquête qu'elles avaient dirigée avaient provoqué ce système, finirent par s'y opposer, mais par des raisons étrangères à la question qui nous occupe.

Les universités de l'Etat avaient une grande répugnance à reconnaître aux universités libres le droit de conférer des grades. Les universités libres avaient une grande répugnance à admettre le contrôle d'un commissaire royal. Ensuite les universités de l'Etat, dans cette enquête, repoussaient le mode de formation du jury d'examen, qui était dévolu aux trois branches du pouvoir législatif.

Voilà les causes d'opposition qui ont renversé le projet de 1842 bien plutôt que la question que nous discutons actuellement, question sur laquelle on était déjà d'accord alors.

Entre ce projet de 1842 qu'on a laissé tomber par les raisons que je viens de dire et la loi de 1844, dans cet intervalle la question du jury d'examen est devenue tout entière politique. On ne s'est plus préoccupe que d'une seule question, c'était du mode de formation des jurys ; on s'est partagé entre deux opinions ; comme vous vous le rappelez, les uns voulaient maintenir le système de nomination des jurys par les deux Chambres et le pouvoir royal, et les autres voulaient attribuer cette nomination au gouvernement. C'est la lutte qui s'est terminée en 1849.

Messieurs, sous le ministère de l'honorable M. de Brouckere, un projet de loi a été présenté. Ce projet de loi a été préparé par une commission spéciale, ou plutôt par deux commissions spéciales : une commission d'abord composée de tous les présidents du jury, et, en second lieu, une commission composée de deux présidents des jurys d'examen, de trois membres du conseil de perfectionnement et de deux professeurs des universités.

Messieurs, cette commission a été unanime aussi à reconnaître l'urgente nécessité de réduire le cadre des examens, et, pour y parvenir, elle a longtemps hésité entre le système des certificats, dont elle reconnaissait à un certain point de vue les avantages, et le système auquel elle a fini par se rallier et qui, au fond, revient à peu près au même: c'était de diviser les matières d'examen en matières principales et en matières accessoires, en faisant des matières principales l'objet de l'examen oral et en faisant des matières accessoires l'objet d'un examen écrit et sommaire.

Le projet présenté par l’honorable M. Piercot était le résultat du travail de cette commission spéciale.

Aujourd'hui la section centrale appelée à délibérer sur cette grave question, la section centrale et le gouvernement qui se rallie à son opinion, admettent la même base, c'est à-dire la division en matières principales et en matières accessoires ; mais au lieu du mode proposé dans le projet de l'honorable M. Piercot, la section centrale admet les certificats de fréquentation.

Vous voyez donc que depuis 1838, l'accord s'est établi sur ce joint important.

Seulement, connue je l'ai dit, la solution de la question a été ajournée à cause des questions politiques qui y ont été mêlées. Je crois donc qu'il faut une bonne fois résoudre au moins cette question. Si tout à l’heure nous nous trouvons devant des systèmes différents pour le mode de formation des jurys d'examen, j'espère qu'on se rapprochera, car au fond on est assez près de s'entendre ; j'espère qu'on trouvera une formule satisfaisante ; mais si l'on n'en trouvait pas, je prie la Chambre d'y réfléchir, ne faisons pas ce qu’on a fait depuis 1842, n'ajournons pas la solution d'une de ces graves questions sur laquelle tout dissentiment a cessé, au sort de laquelle l'avenir des élèves est attaché et qui cause au sein des universités beaucoup d'inquiétude et d'indécision.

Pour moi, messieurs, je suis de l'avis de' l'honorable M. Frère-Orban ; le mal, c'est le jury lui-même tel qu'on l'a compris.

Le jury, tel que nous l'avons compris, n'était pas un jury d'examen proprement dit : c'était un véritable conseil des hautes études ; c'était, comme j'ai déjà eu l'honneur de le dire en 1839 et en 1844, le programme vivant de toutes les études universitaires et depuis l'introduction du grade d'élève universitaire, le programme vivant des études d'enseignement moyen.

Les élèves avaient l'œil fixé beaucoup plus sur les examinateurs que sur les professeurs. Le professeur, dans ce système, n'était plus que le répétiteur de l'examinateur. Le corps professoral a été annulé ou du moins subalternisé au profil du jury d'examen.

Le jury d'examen, dans ce système, c'était le gouvernement de l’instruction supérieure et, depuis l'introduction du grade d'élève universitaire, le gouvernement de l'instruction supérieure et moyenne.

Eh bien, ce n'était pas là le but qu'on voulait atteindre en 1835. On s’est trompé. On voulait un jury pour ouvrir l'accès aux professions, tout en conservant à l'examen un caractère scientifique, afin de maintenir les études à un niveau assez élevé. Mais on n'avait pas voulu faire un jury exclusivement scientifique, un jury imposant son programme aux universités de l'Etat, aux universités libres, à l'enseignement moyen tout entier.

On n'y avait pas songé, et c'est cependant le fait qui s'est accompli. Or là est le vice, le mal radical. L'honorable M. Frère a eu raison de dire que la liberté d'enseignement dans ce système n'était sauvegardée qu'en apparence ; elle était je ne dirai pas annulée, mais compromise.

De la liberté d'enseignement il ne restait qu'une chose : le droit d'ériger des établissements. Mais au point de vue politique, il est certain que l'autorité qui nomme un pareil jury, centralisant dans ses mains les deux degrés de l'enseignement, et que j'ai appelé avec raison le gouvernement de l'instruction supérieure et moyenne, il est certain que le pouvoir à qui cette nomination appartient est maître de l’enseignement ; majorité dans l'ancien système, ou gouvernement dans le nouveau, il est maître de l'enseignement et il en tient les clefs. Je reconnais qu'on a usé avec modération de ce pouvoir dangereux ; je crois qu'on a été impartial, mais on pouvait ne pas l'être. Voilà comment la liberté de l'enseignement a été menacée et compromise au point de vue politique. Elle ne l'a pas été moins au point de vue scientifique. Il est certain qu'avec ce cadre de l'enseignement imposé à toutes les institutions privées comme aux universités de l'Etat et à l'enseignement moyen tout entier, il est certain qu'il n'y avait plus de liberté dans les programmes, les méthodes et les études.

Les programmes, les méthodes d'enseignement et d'études étaient imposée aux professeurs et aux élèves ; plus de spontanéité et d'élan scientifique pour les uns et pour les autres ; tout devait se courber sous ce niveau commun, qui a pu ne pas gêner les médiocrités, mais qui a tué les intelligences d’élite.

Aussi dans ce système, la liberté d'enseignement était menacée et compromise ; la science était comprimée et nivelée. Je ne dis pas qu'il y a eu déchéance dans l'enseignement, au degré qu'on le prétend, mais la cause de cette déchéance existe et on n'y résistera pas longtemps.

Sur ce point donc, on est d'accord, selon moi ; la question est résolue.

Sur l'autre question, celle de la formation du jury, bien qu'on soit assez d'accord quant au fond des idées, on l'est moins quant aux formules. De la discussion actuelle ont surgi deux systèmes différents et un troisième que j'appellerai une transaction et peut-être une transition.

Des deux premiers systèmes, l'un est celui qui a été développé par l'honorable M. Frère, le jury professionnel, le jury pratique. L'autre, qui a été indiqué par l'honorable comte de Theux, comme étant ce qui est destiné à triompher dans l'avenir, consiste à restituer aux universités existantes, le droit de conférer tous les grades, sous un certain contrôle du gouvernement. C'est le système en vigueur en Angleterre où les universités libres reçoivent des chartes d'incorporation.

Ces systèmes, comme l'a dit tout à l'heure l’honorable M. de Brouckere, sont des innovations plus ou moins radicales.

Peut-être les Chambres ne sont-elles pas assez préparées pour les discuter et admettre ce qu'ils peuvent offrir de bon et de sérieux. Pour moi, il y a longtemps que j'ai manifesté mon opinion à cet égard.

En 1844 ; dans les débats sur le jury, et en 1849, j'ai soutenu qu'on ne sortirait de la difficulté qu'en enlevant au jury le caractère politique qu'on lui avait donné et que, pour lui enlever ce caractère politique, il fallait entrer dans cette voie. Je penchais vers le système du projet de 1842 dont je vous ai parlé tout à l'heure ; ce système, qui repose sur les idées défendues par M. Frère, présente cependant sur le jury professionnel exclusivement pratique, tel que M. Frère veut l'organiser, des avantages réels et écarte les inconvénients qu'on redoute.

Les universités feraient les examens de candidature, et le jury délivrait les diplômes définitifs de docteur.

Ce système aurait cet avantage de conserver entre l'examen scientifique et l'examen pratique, l'examen final, un lien qui n'existe pas dans le système de l'honorable M. Frère. Dans l’autre système de M. Frère, il n'y a aucun lieu entre l'examen passé devant le jury scientifique, dans l’université elle-même, et l'examen final, l'examen professionnel ; tandis que dans le système de 1842 ce lien était conservé et le caractère scientifique n'était pas enlevé au jury final.

Ce,, système a été soutenu, à certaines différences près, dans une brochure très remarquable écrite par un professeur de Liège, et je pense que le conseil académique de l'université de Liège s'y est rallié en majorité. Eh bien, messieurs, jusqu'à étude plus complète et faisant toutes mes réserves, je pense que c'est dans celle direction-là que la solution définitive sera trouvée.

En attendant qu'on soit préparé à trancher cette question d'une manière définitive, nous sommes en présence de ce que j'ai appelé les projets de transition et de transaction, celui du gouvernement, celui de la section centrale et un troisième, qui me semble mieux conçu, formulé par l'honorable M. de La Coste.

Je parle ici du système qui a été exposé dans un amendement soumis à la section centrale, et c'est celui auquel je donnerai la préférence. Je n'en dirai que quelques mots, sauf à le discuter plus à fond quand nous en serons aux articles. Messieurs, le système de la majorité de la section centrale a un (page 453) défaut comme celui du gouvernement. On a fait au système présenté par le gouvernement, un reproche qui a déterminé la majorité de la section centrale à ne pas s'y rallier. On a dit : Dans un jury de 5 membres, comme le cinquième membre représentera les études extra-universitaires, les études libres, il en résultera qu'il y aura toujours dans le jury 3 membres représentant les études libres, contre 2 représentants de l'enseignement de l'État.

Il y a bien des choses à répondre à cette objection ; les éléments des études libres sont tellement divers et même opposés qu'au fond les coalitions ne sont pas à craindre.

Cependant, messieurs, ce reproche est sérieux, j'en conviens ; mais enfin il est bien plus fondé dans le système de la majorité de la section centrale. En effet, messieurs, là vous avez pour l'influence qui dirige les universités de l'État toujours trois membres contre deux ; les établissements libres seraient en minorité permanente et exposés au danger d'une coalition formée par des intérêts identiques.

Dans le système exposé par l'honorable M. de La Coste, cet inconvénient ne se rencontre pas ; ce système, au fond, réunit tous les avantages des jurys combinés et du jury central ; c'est une véritable transaction entre le système ancien du jury central et le système de 1849 des jurys combinés.

Qu'a-t-on voulu en établissant le jury combiné et quel est l'avantage qui en résulte ? C'était de faire interroger les élèves par leurs professeurs, de restituer au professoral son influence et son autorité sur les élèves.

Ce résultat nous l'avons obtenu par le jury combiné, mais à côté de cet avantage s'est placé un inconvénient : l'exclusion ou la connivence, la coalition ou le conflit. Eh bien, messieurs, dans le système de l'honorable M. de La Coste, l'avantage reste et les inconvénients disparaissent. Vous avez toujours dans ce système trois professeurs de l'université dont on interroge les élèves, contre trois professeurs des universités rivales et le pouvoir modérateur du président nommé par le gouvernement.

Les élèves sont toujours interrogés par trois de leurs professeurs, sous le contrôle de trois professeurs étrangers et d'un président qui représente l'influence modératrice et impartiale du gouvernement.

Il est difficile de trouver un système où l'on rencontre au même degré plus de garanties d'impartialité, plus de conditions de liberté et plus d'avantages pour la science. Il conserve l'avantage des jurys combinés, c'est-à-dire l'avantage immense de faire interroger les élèves par leurs propres professeurs, de maintenir le lien entre le corps professoral et les étudiants.

Messieurs, je ne m'étendrai pas davantage sur ce côté de la question nous aurons à y revenir probablement ; je veux seulement exposer les motifs de ma préférence en faveur du système développé par M. de La Coste qui est une heureuse transaction entre les jurys combinés et le jury central et une transition favorable à l'égard de systèmes plus complets auxquels, selon moi, l'avenir appartient.

Je crois donc, en résumé, que la Chambre ne peut pas abandonner cette discussion sans avoir résolu la première question, sur laquelle nous sommes tous d'accord, la réduction des matières d'examen, du cadre des examens. Une bonne fois, tranchons cette question, ce sera un grand service rendu et à la liberté d'enseignement, et à la science et aux bonnes études.

En ce qui concerne le mode de formation des jurys, j'attendrai les débats ; divers systèmes sont présentés ; on les discutera. Mais quant à présent, tout en croyant que l'avenir appartient à des systèmes plus complets, je pense que le système le plus impartial, celui qui présente le plus d'avantages, sans avoir les mêmes inconvénients, c'est celui qui a été soumis à la section centrale par l'honorable M. de La Coste.

M. Devaux. - Messieurs, je ne partage pas l'opinion que l'honorable M. de Brouckere émettait tout à l'heure. Il assignait pour cause à la décadence de l'esprit scientifique des universités les préoccupations de fortune qu'ont, aujourd'hui plus qu'autrefois, les jeunes gens qui y font leurs études. J'admets que la passion des richesses s'est accrue dans le monde, mais je ne crois pas que l'âme des jeunes gens de 18 à 22 ans en soit tellement imprégnée, que la science soit pour eux sans attraits. Je crois que la jeunesse a toujours les sentiments généreux qui de tout temps lui ont été propres, qu'elle s'échauffe comme autrefois pour le bien, le beau et le vrai, qu'elle s'enthousiasme encore pour la science, pourvu que cet enthousiasme on prenne quelque soin de l'entretenir et surtout qu'on ne l'éteigne pas.

Du reste, s'il y a parmi nous quelque différence d'appréciation de la gravité du mal dont souffrent les études, tout le monde en reconnaît l'existence. Presque tous les orateurs aussi sont d'accord pour en rapporter la cause à l'extension trop grande du programme des examens.

Il n'y a que deux moyens de faire disparaître cette cause du mal : ou diminuer le nombre des matières enseignées, ou ne pas faire porter l'examen sur tout ce qu'on enseigne. M. Orts vous propose le premier moyen et veut qu'on réduise considérablement le cadre de l'enseignement. M. Frère-Orban et la section centrale sont d'accord pour combattre sur ce point M. Orts, et proposent de faire porter la réforme sur l'examen.

Aux yeux de M. Orts, la solution du problème est facile. Si l'examen est surchargé, il n'y a qu'à retrancher de l'enseignement un nombre suffisant de cours pour que l'examen rentre dans les proportions qu'on veut lui laisser. L'honorable membre prend l'étude du droit pour exemple. Il se demande quel est ici le but de l'université et c'est, suivant lui, de fournir à la société des avocats et des magistrats. Il n'y a donc qu'à supprimer de l'enseignement tout ce qui n'est pas directement utile à la profession de l'avocat ou du magistrat. Que lui sert la philosophie du droit ? Que lui sert l'histoire ? Que lui servent les études philosophiques en général ? Retranchons tout cela de l'université.

Retranchons aussi l'économie politique ; l'honorable membre n'a pas prononcé le mot (peut-être a-t-il reculé devant un suicide), mais son raisonnement emporte l'économie politique comme le reste. Je ne sais vraiment pas pourquoi il fait grâce à l'histoire moderne, car elle s'enseigne au collège comme les autres histoires qu'il renvoie à l'enseignement moyen, ni pourquoi il épargne la littérature grecque, latine et française sans craindre le double emploi avec les éludes de rhétorique.

J'en demande pardon à mon honorable collègue, mais la solution du problème n'est pas aussi simple que cela. Si elle l'était, on n'aurait pas été vingt ans à la trouver. Ne s'aperçoit-il pas qu'en renversant un si grand nombre de chaires, en détruisant des facultés presque entières, en ne laissant pour ainsi dire débout pour l'élève en droit que l'enseignement du droit romain et des cinq codes, il change complètement le caractère de ces établissements d'instruction supérieure ? Il supprime toute la partie scientifique proprement dite. Ce ne sont plus des foyers de civilisation. Ce ne sont plus même des universités, Il faut supprimer le mot et le remplacer par celui de spécialités ; ce sont des écoles spéciales, des écoles professionnelles, où l'on dresse des jeunes gens à leur profession, avec le moins de travail et la moindre dépense de temps qu'il est possible.

C'est quelque chose, sans doute, de très respectable que l'enseignement du droit romain et des cinq Codes ; mais je crois que si un professeur belge devait confesser à un professeur étranger que l'université à laquelle il appartient ne fait rien de plus pour la civilisation de son pays, il trouverait l'aveu quelque peu humiliant.

L'honorable M. Orts ne sait-il donc pas les grands services que l'instruction universitaire a rendus à la civilisation du pays ? Ne savons-nous pas que si la Belgique de 1830 s'est montrée si supérieure à la Belgique de 1815, c'est en grande partie grâce aux effets de l'enseignement supérieur ? Jusqu'en 1816 cet enseignement avait été tout spécial. Aussi, il y avait des avocats distingués, d'excellents magistrats, des médecins de mérite ; mais l'instruction générale manquait, la civilisation politique, scientifique et littéraire du pays était dans un état déplorable. On eut beau lui donner une tribune libre et une presse libre ; l'une et l'autre ne prirent quelque vigueur que lorsque le nouvel enseignement universitaire eut eu le temps de se développer et de leur fournir des auxiliaires.

Messieurs, c'est une grande erreur de croire que les universités, que les facultés de droit même, n'ont pour but que de former des avocats et des magistrats, ce n'est là qu'une partie de leur mission. Il ne sort de cette faculté, il est vrai, que des docteurs en droit. Mais les docteurs en droit dans notre société belge ne se bornent pas à être avocats et magistrats, c'est-à-dire à défendre et à juger des intérêts privés ; ils remplissent encore un tout autre rôle, c'est cette classe de citoyens qui exerce l'influence la plus active et la plus décisive sur toutes nos affaires publiques.

Ce sont les docteurs en droit qui depuis 25 ans ont eu le plus d'action sur le sort de la Belgique. A l'approche de 1830, ce sont ceux qui préparèrent, dans la presse de nos grandes villes, ces idées politiques qui ont servi de base à nos institutions actuelles et, pour le dire en passant, cet idées ils les avaient puisées dans ces cours à certificats dont j'aurai à reparler. Au Congrès c'est aux hommes qui avaient fait des études en droit qu'appartint l'action prépondérante. Ils formaient la presque unanimité dans le comité de constitution et dans la section centrale du Congrès. Plus tard avec quelques autres adjonctions, ils fournirent aux divers partis leurs principaux orateurs dans les Chambres. Ils y siègent au bureau, ils forment les commissions importantes, ils remplissent le rôle le plus influent dans les ministères, enfin ils dominent dans les conseils provinciaux, comme dans le parlement, et ce sont encore eux qui ont le plus d'action sur les conseils communaux des villes. Faire abstraction de ce grand rôle politique et administratif auquel sont appelés les docteurs en droit, rôle auquel il faut ajouter toute l'influence qu'ils exercent en dehors des fonctions officielles, par le seul effet de leurs lumières et de leur position sociale, c'est évidemment tronquer et fausser l'enseignement qui doit les former, c'est l'empêcher de remplir une des parties les plus élevées de sa mission. Ne dira-t-on qu'on peut créer un grade et des cours spéciaux pour les hommes qui se destinent à la vie politique et aux fonctions électives ? Je réponds que cet enseignement spécial ne peut pas se séparer du droit. Les fonctions politiques et électives ne forment pas une carrière en Belgique, on ne s'y prépare pas d'une manière spéciale, personne ne sait d’avance s'il siégera un jour dans une Chambre ou dans un conseil électif. L'honorable M. Orts n'en savait rien quand il était à l'université. Je l'ignorais comme lui.

Messieurs, je ne veux pas dire que les matières d'enseignement soient aujourd'hui comptées et mesurées avec tant de justesse, qu'il n'y ait pas moyen d'en rien retrancher sans nuire. La section centrale a elle-même retranché certaines matières ; je ne dis pas qu'on ne puisse pas faire davantage ; je ne combats ici que le système radical qui tend en (page 454) quelque sorte à supprimer des facultés entières. Ainsi, l'on peut se demander s'il faut, oui ou non, maintenir le cours de procédure ; ce cours n'existait pas autrefois ; je ne serais pas très contraire à sa suppression.

Il y a des jurisconsultes qui pensent qu'il ne faut pas enseigner le droit commercial à l'université. Faut-il ou ne faut-il pas maintenir cette matière ? On peut différer d'opinion là-dessus.

Il y a eu divergence d'opinion dans le sein de la section centrale sur la question de savoir si le cours de droit civil devait être partagé en deux ou s'il ne devait y avoir qu'un seul cours.

Je le répète, je ne veux pas trancher ici ces questions de détail ; je ne combats en ce moment que ces larges modifications qui feraient disparaître une grande branche des connaissances humaines.

Ainsi, par exemple, bien que la philosophie ne soit pas directement utile, si vous le voulez, à la profession des avocats et des juges, on aurait grand tort de retrancher la philosophie du programme des universités, programme auquel sont soumis aujourd'hui, non seulement les avocats, mais encore les médecins ; je n'ignore pas le côté faible de cet enseignement, mais il exerce aussi une influence très utile sur les jeunes esprits ; et quand l'enseignement philosophique n'aurait pour résultat que de prémunir les esprits contre cette foule de systèmes qui naissent à chaque instant dans le monde, de montrer qu'ils avaient été réfutés avant de naître, de rappeler les objections qu'ils ont soulevées, comment on les a réduits à néant ; quand cet enseignement n'aurait pour résultat que d'habituer les jeunes gens à concentrer leur attention sur des questions abstraites, de donner ainsi à leur esprit plus de force et d'étendue, il serait utile, il faudrait se garder d'y renoncer.

L'enseignement de l'histoire a plus d'utilité encore, surtout chez une nation qui fait ses propres affaires. L'histoire, c'est l'expérience politique, l'étude des faits des temps passés c'est l'antidote et le contrepoids des systèmes creux et des utopies. Mais, me dit-on, on l'enseigne au collège, pourquoi l'enseigner dans les universités ?

Est-ce à un homme d'esprit comme l'honorable M. Orts que je dois apprendre que l'histoire qu'on enseigne à l'université ressemble a celle des collèges à peu près comme les mathématiques enseignées dans une chaire universitaire ressemblent à l'arithmétique des écoles ; on enseigne la grammaire, l'orthographe dans les écoles primaires et on enseigne la littérature à l'université ; des deux côtés on enseigne les langues, mais de deux points de vue différents. L'enseignement historique pour les enfants sera toujours un enseignement peu important, il doit en être ainsi.

Le gouvernement fait tous ses efforts pour concentrer dans des limites très étroites l’enseignement historique des collèges, on n'y fait que planter des jalons pour l'enseignement plus élevé des universités.

L'enseignement de l'histoire dans les collèges ne comporte aucune philosophie de l'histoire, aucune considération générale ; il comprend seulement les faits et les faits principaux ; c'est dans les universités seules que le professeur est sûr d'être compris par ses élèves en entrant dans les développements de critique historique qui seuls peuvent féconder cet enseignement. Retrancher cet enseignement de nos universités, supprimer les chaires de philosophie et d'histoire en Belgique, ce serait porter un coup funeste à la civilisation politique et scientifique du pays.

Les difficultés dans lesquelles nous nous trouvons sont une conséquence de la liberté d'enseignement. Si ces difficultés menaient à la suppression de la partie la plus importante de l'enseignement au point de vue de notre civilisation, ce serait une responsabilité terrible pour la liberté de l'enseignement, une responsabilité à laquelle elle aurait peine peut-être à résister. Ne lui rendons pas ce mauvais service, ne le rendons pas au pays. Qu'on renferme dans des bornes raisonnables l'enseignement de certaines matières, soit, mais quant à retrancher de l'enseignement universitaire l'économie politique, la philosophie du droit, la philosophie et l'histoire, il est impossible que la Chambre y consente.

Un autre moyen a été proposé par l'honorable M. Frère. Il reconnaît avec moi qu'il faut conserver à l'enseignement sa largeur, son étendue ; il combat la proposition d'appauvrir l'enseignement, de lui ôter ce qu'il a de plus civilisant, si je puis me servir de cette expression. Pour lui, comme pour la section centrale, le remède consiste dans la simplification des examens.

L'honorable M. Frère a commencé par des prémisses qui vont plus loin que sa conclusion. Il a commencé par faire une guerre très rude aux examens ; il a accusé les partisans des examens d'être quelque peu chinois ; mais qu'il me permette de le dire, il a fini par ressembler à ses adversaires et, dans ses conclusions, il est devenu à son tour quelque peu sujet du céleste empire.

Il a conclu par laisser subsister les examens dans les universités et en établir en outre à la sortie. Si les examens sont si fort à blâmer, il faut les supprimer et arriver à la liberté absolue des professions. Il faut dire au peuple : Choisissez votre avocat où vous le voulez, le gouvernement ne s'en mêle pas ; tant pis pour vous si vos intérêts souffrent entre des mains de celui qui devait les défendre, c'était à vous de mieux choisir ; tant pis pour vous aussi si votre médecin vous empoisonne, c'était à vous à découvrir celui qui pouvait vous guérir.

Au fond donc le système de l'honorable M. Frère s'éloigne beaucoup moins de celui de la section centrale que ne le ferait croire le début de ses développements. Tous les deux supposent des certificats. M. Frère commence par dire que pour être reçu docteur en droit ou en médecine, pour subir l'examen professionnel, il faut avoir fréquenté tous les cours indiqués dans la loi d'enseignement supérieur, apporter la preuve qu'on les a suivis. Il exige donc les certificats comme la section centrale ; sous ce rapport, le système est le même. Je tiens aussi à préciser nettement les différences.

M. Frère veut que l'examen porte sur les matières pratiques et qu'il n'y en ail qu'un à la fin de toutes les études universitaires, M. Frère, dis-je, veut que l'examen porte sur les matières pratiques, la section centrale veut que l'examen porte, non sur les matières pratiques, mais sur les matières les plus importantes. Prenons le droit : M. Frère fait porter l'examen quant au droit sur le Code civil, sur le droit criminel, sur le droit commercial, sur le droit public.

Les matières d'examen, pour le droit, sont d'après la section centrale le droit civil et le droit criminel, comme d'après l'honorable M. Frère-Orban. Mais au lieu du droit public et du droit commercial, elle ajoute le droit romain. Voilà la différence.

La section centrale prend le droit romain comme étant la branche la plus importante du droit. L'honorable M. Frère-Orban prend les branches les plus pratiques.

Reste à examiner s'il vaut mieux que l'examen porte sur les branches les plus pratiques, ou sur les plus importantes. Reste à décider si l'étude du droit romain, étude difficile et aride, pour les commençants surtout, ne sera pas négligée si le droit romain est remplacé dans l'examen par des branches plus pratiques et d'une étude plus facile.

Voilà la question qui se pose entre le système de l'honorable M. Frère et celui de la section centrale.

Une seconde différence, c'est que, dans le système de l'honorable M. Frère-Orban, il n'y a qu'un examen qui se trouve à la fin des études, tandis que dans le système de la section centrale, il y a un examen à la fin de chaque année. Vaut-il mieux un seul examen à la fin de toutes les études, ou à la fin de chaque année ? Je pense qu'il est plutôt de l'intérêt de l'élève d'avoir un examen chaque année, parce que cela l'empêche de se relâcher au travail et d'en négliger l'habitude.

Nous laissons beaucoup de liberté aux élèves pour les cours à certificats. J'en parlerai tout à l'heure. Mais il faut que sur certaines matières le travail de tous les jours ne discontinue pas et qu'il ait lieu sans interruption.

Tous les élèves ne sont pas de première force, il faut se le rappeler. N'est-il pas vrai qu'un examen à la fin de chaque année les tiendra tous en haleine ? N'est-il pas vrai aussi qu'il serait fâcheux que l'élève fût prévenu seulement à la fin de la quatrième année, comme il l'est dans le système de l'honorable M. Frère, qu'il a perdu son temps, faute de travail ou de capacité, au lieu de l'être seulement au bout d'une année comme il l'est dans le système de la section centrale ?

En réalité, ce sont là les différences principales entre l'examen que propose l'honorable M. Frère et l'examen que nous proposons.

Il y a même ceci à remarquer, c'est qu'aussitôt que M. Frère en viendra à appliquer son système, à le formuler d'une manière plus précise, il lui sera très difficile de se maintenir dans les matières pratiques et de ne pas y ajouter, soit pour le droit, soit pour la médecine, ce que j'appelle les matières les plus importantes.

En effet, pour la médecine, l'honorable M. Frère lui-même ne s'en tient pas aux matières pratiques ; il exige la connaissance de l'anatomie, des dissections anatomiques. Ce n'est pas là de la médecine pratique ; c'est une étude préparatoire. Mais il la juge si importante, qu'il la comprend dans l'examen.

Mais du moment que vous comprenez dans l'examen l'anatomie, c'est-à-dire la connaissance de la constitution des organes, pourquoi n'y comprenez-vous pas aussi la physiologie, c'est-à-dire la connaissance des fonctions des organes ? Vous finirez ainsi par comprendre dans les matières d'examen tout ce que nous comprenons dans les examens successifs. Et alors l'élève vous demandera grâce, et vous suppliera de diviser votre examen et de le soumettre, comme nous le faisons, à plusieurs épreuves successives.

L'honorable M. Frère regarde comme un avantage la composition de son jury, dans lequel il n'entre pas de professeurs. Tant que le jury, dit-il, sera composé de professeurs rivaux, ce sera la terreur de l'élève. S'il y a là un avantage, il y a aussi un inconvénient.

L'élève sera interrogé par un magistrat qui n'a pas enseigné, qui ne connaît pas l’enseignement. Or, il est très facile de poser les questions de manière que l'élève les méconnaisse, ne puisse y répondre. Il y a avantage à ce que les questions soient posées à l'élève par celui qui a donné l'enseignement.

Quant à la rivalité entre professeurs, il ne faut pas l'exagérer. Sur quoi porte-t-elle ? Se plaint-on de ce que le jury refuse des élèves qu'il devrait admettre, ou en admet qu'il devrait refuser ? Non. En général, les plaintes ne portent pas là-dessus. Là, il n'y a pas de querelle entre les professeurs. Lorsqu'il s'agit d'intérêts si importants pour les élèves, les membres des jurys sont facilement d'accord.

Là où la rivalité se produit, c'est lorsqu'il s'agit d'apprécier le mérite des élèves admis, d'accorder la distinction, la grande distinction. Là, commence la querelle, parce que là le sort des élèves n'est plus en jeu, parce que les distinctions sont regardées comme revenant plutôt aux établissements qu'aux jeunes gens.

(page 455) J'ajouterai que le jury professionnel me paraît, devoir exercer inévitablement une influence sur les études. Si le jury professionnel n'examine les élèves que sur certaines branches, il est presque impossible qu'à la longue ces branches ne deviennent pas principales dans les universités.

Si, en droit, on n'interroge pas sur le droit romain, il est presque impossible que l'élève n'attache pas plus d'importance aux parties sur lesquelles le jury professionnel interrogera qu'aux autres, et par conséquent je crains que l'instruction de l'université ne prenne cette tournure exclusivement pratique et que la partie théorique ne soit négligée.

Cette influence, la section centrale dans son système ne doit pas la redouter puisque pour elle c'est sur les parties les plus importantes que porte l'examen.

Le plus grand inconvénient du système du l'honorable M. Frère, c'est à mon avis d'être un projet tellement nouveau que ses résultats sont inappréciables. Ainsi qu'arrivera-t-il avec ce système d'examen, qu'arrivera-t-il de l'enseignement et des examens dans le sein des universités ? Qui peut le dire ?

Il peut arriver les choses les plus diamétralement contraires. Il peut arriver que les universités, rivalisant de complaisance pour les élèves, soient tellement faciles à accorder les diplômes, que leur obtention ne soit plus qu'une formalité dérisoire, et que l'enseignement y devienne aussi nul sous certains rapports que dans les universités étrangères citées par l'honorable M. Frère. Mais il peut arriver aussi tout le contraire ; il peut se faire que les universités s'entendent pour être rigoureuses et maintiennent des examens aussi compliqués qu'aujourd'hui et qui aient sur les études une tout aussi funeste influence. Cela pourrait arriver d'autant mieux, que les professeurs des branches que nous appelons assez improprement accessoires, sont en majorité dans les universités ; ils y font la loi. Ces professeurs tiendront à être mis sur la même ligne que les autres, et, par conséquent, à conserver à l'examen toute l'extension qu'il a aujourd'hui. Si cela avait lieu, on aurait un examen de plus qu'aujourd'hui, et voilà tout.

Je n'affirme pas que cela se ferait, possible mais c'est comme le contraire l'est également.

Messieurs, s'il y avait nécessité d'aviser à un système tout à fait nouveau, nous devrions affronter l’inconnu. Je ne suis pas plus éloigné du système de l'honorable M. Frère que d'un autre qui aurait des effets aussi problématiques. Je m'en rapproche par plusieurs élèves. Mais je dis qu'il n'y a pas nécessité de prendre une mesure aussi aventureuse. Je crois que nous pouvons agir plus sagement, plus prudemment, dussions-nous, quelques années plus tard, aller plus loin au prix même de ce provisoire que craint l’honorable M. de Brouckere, et que moi, dans des matières aussi difficiles, je redoute moins. J'appelle cela des essais et l'essai est l'ami du progrès. Je conçois une législation définitive là où l'on est sûr de son fait. Mais qui est sûr dans des matières pareilles ? N'oublions pas que la matière est, quoi qu'on en dise, neuve encore et que la Belgique marche ici dans une voie où il n’y a pas d'antécédent, et où personne ne lui donne l'exemple.

Messieurs, quelques mots sur le système de la section centrale et je finis.

L'honorable M. de Theux a bien voulu me faire l'honneur du système des certificats. Cet honneur, je ne l'ai pas mérité. Le système des certificats existait sous le régime des Pays-Bas. Il a été adopté par la commission des présidents du jury comme valant mieux que tout autre. Si l'on a tardé si longtemps à en venir là, en voici la cause. On a reculé devant cette objection que les établissements privés ne pouvaient pas donner force de loi à leurs certificats. Cette objection a été élevée, non pas par moi, mais pas l'honorable M. Frère dans son système d une manière ingénieuse. L'honorable M. Frère n'admet pas que le certificat fasse foi par lui-même. Mais il lui donne cette valeur lorsqu'il est admis par son jury. Eh bien, c'est le même système que celui de la section centrale. Les certificats ne font foi qu'autant que le jury les ait admis.

Messieurs, je ne regarde pas le système des certificats comme parfait, mais je ne vois pas de meilleur moyen de rétrécir le cadre de l'examen sans appauvrir et tronquer l’enseignement lui-même.

Messieurs, il faut bien comprendre ce que la section centrale entend par ces certificats, car tout le monde ne me paraît pas l'avoir compris bien nettement.

La section centrale veut des attestations d’assiduité, de fréquentation ; mais elle ne veut pas de certificats attestant que l'élève a suivi le cours avec fruit, et nécessitant par conséquent, un examen de la part du professeur. Ainsi, on a supposé des examens par le professeur ; c'est à tort. Il n'aura à constater que l'assiduité, la fréquentation.

Les élèves, m'a-t-on dit, seront donc présents matériellement, voilà tout ; ils ne travailleront pas ? Messieurs, pour ceux qui ont été aux anciennes universités, je crois que l'objection sera facilement résolue. Dans les anciennes universités ce système existait et même le professeur avait le droit de soumettre les élèves à un examen. Mais en fait, ils ne les y soumettaient presque jamais ; c'étaient des certificats de fréquentation qu'il accordait. J’ai fréquenté une de ces universités et je ne crois pas qu'on m'ait adressé plus de deux questions pour tous les cours à certificat que j'ai suivis. Mais on savait que j'y avais assisté.

Comment la présence matérielle de l'élève, dit-on, peut-elle être utile ? Cela ne servira à rien. C’est qu'on raisonne avec les idées des universités actuelles.

On voit exclusivement les élèves d'aujourd'hui, qui n'ont de temps pour rien, qui ne peuvent même pas lire un livre étranger à l'enseignement du professeur ; mais quand l'examen sera réduit dans des limites raisonnables, les élèves auront le temps d'écouter leur professeur sur des matières attrayantes, car, en général, les matières à certificat ne sont pas des matières arides et, soyez sûrs que si vous admettez les certificats, les professeurs de mérite sauront bien captiver l'attention de leurs élèves et les faire profiter de leurs leçons. On a parlé d'un cours qui n'était pas fréquenté, le cours de feu M. Anciaux, je pense ; j'ai suivi le cours de M. Anciaux, l'auditoire y était toujours nombreux, l'amphithéâtre était plein.

Il est possible que le professeur, qui plus tard a été très souffrant,, ait vu ses cours moins suivis, mais je me rappelle bien que quand il était dans la force de l'âge son cours attirait beaucoup de monde. Je citerai encore le cours de M. Wageman, qui était également très suivi, et qui a laissé des traces après lui. Le cours de droit public de feu notre ancien collègue M. Destriveaux était dans le même cas. C'étaient des cours à certificat. Il y aura dans l'application des élèves à ces matières un certain degré de liberté ; les uns s'y adonneront plus, les autres moins. Tel de ces cours préoccupera plus l'un que l'autre ; chacun, sous ce rapport, pourra suivre un peu ses préférences et ses goûts, mais c'est précisément cette liberté qui était féconde dans les anciennes universités, qui a eu des résultats tout autres que le travail mécanique d'aujourd'hui et a permis à des capacités diverses de se développer plus tard dans des directions différentes.

Le professeur n'enseignera pas la science de manière à en imprimer tous les détails dans l'esprit des élèves, mais il s'attachera aux points principaux ; les élèves puiseront dans ces leçons les notions les plus importantes, ils connaîtront sur les points les plus intéressants les opinions diverses.

Ils en sauront assez pour approfondir la science, quand ils le voudront plus tard et ils en auront puisé le goût à l'université.

Ainsi, messieurs, je pense que nous devons maintenir à l'enseignement son importance scientifique, faire une certaine part à la liberté des études dans certains cours, en nous bornant à exiger la présence des élèves et le maintien de l'enseignement.

Quant à l'examen nous pouvons le réduire aux branches importantes au point de vue de la profession, nous permettrons ainsi de le faire durer davantage, les élèves ne seront plus livrés au hasard des questions posées, celui qui aura été intimidé sur une question aura le temps de se remettre ; l'élève qui aura eu la mémoire en défaut sur deux ou trois points de détail, aura le temps de prouver qu'il possède la science dans ses parties les plus importantes.

L'élève saura qu'il lui suffit d'étudier consciencieusement pour faire preuve de savoir devant le jury et qu'il n'a nul besoin de se torturer l'esprit pour y imprimer des détails inutiles et que la mémoire ne peut conserver que quelques jours.

M. Orts. - Messieurs, mon intention, en demandant la parole, n'était pas de revenir sur la question des certificats ni sur la question parallèle de la suppression de certaines branches d'enseignement.

Cependant, le discours que vient de prononcer l'honorable préopinant, la réfutation personnelle de mon système que ce discours contient, m'oblige à dévier de la ligne de conduite que je m'étais tracé et à dire deux mots, en terme de réplique, à l'honorable M. Devaux.

Je n'ai pas du tout compris l'enseignement universitaire en Belgique comme l'honorable membre paraît le croire. Je n'ai pas eu l'intention de ramener l'étude du droit au point où elle se trouvait dans notre pays en 1815.

Je ne juge pas du mérite des établissements d'instruction de cette époque. Si on devait les juger par leurs fruits, nous pourrions peut-être émettre un jugement qui ne leur serait pas trop défavorable. Mais je me permettrai de répondre à l'honorable M. Devaux que c'est précisément parce que je comprends comme lui que l'enseignement du droit n'est pas uniquement destiné à faire des avocats et des juges, que j’ai conservé dans cet enseignement certaines matières dont l'honorable membre a parlé.

Ainsi, par exemple, si j’ai maintenu le cours de droit public et le cours d'économie politique, ce n'est pas que j’aie craint, en ce qui concerne ce dernier cours, d'aller jusqu'au suicide, c'est parce que je comprends qu'il faut former, dans la faculté de droit, d'autres hommes que des magistrats et des avocats. Je le sais parfaitement, ce n'est qu'en devenant docteur en droit que l'on acquiert ces connaissances dont on aura besoin plus tard si on est appelé à diriger les affaires publiques sous un gouvernement constitutionnel. Et parce que je le sais, je veux conserver à l'enseignement les caractères philosophique et scientifique sans lesquels il ne saurait être bon. Voilà pourquoi j'ai insisté sur le maintien du cours de droit romain, de l’économie politique, du droit public et des cours historiques. Je parle de l'histoire du droit.

Je n'ai pas non plus perdu de vue que les hommes qui ont étudié le droit doivent connaître l’histoire publique de l'Europe et je n'ai été en divergence avec l’honorable membre que sur une question de détail, celle de savoir où il faudrait étudier cette branche. Faudrait-il l'étudier dans la faculté de philosophie et lettres ou dans la faculté de droit ? Voilà tout ce qui nous divise. J'ai demandé le renvoi à l'enseignement moyen de certaines études historiques qui, selon moi, ne trouvent pas leur place dans la faculté de philosophie et lettres, aussi (page 456) longtemps qu'on ne les pousse pas au-delà de ce qui est exigé pour la candidature. J'ai dit que, ayant organisé votre enseignement moyen, ayant créé les programmes que nous connaissons tous et qui sont la charte, le code de l'enseignement, il y avait là assez d'histoire ancienne pour l'usage de ceux qui se destinent plus tard aux études juridiques.

N'oubliez pas que les élèves rhétoriciens ne diffèrent pas beaucoup, par l'âge et la raison, des élèves qui fréquentent la faculté de philosophie et lettres qui n'ont pas encore obtenu le grade de candidat ; n'oubliez pas que ces élèves-là quittent la rhétorique au mois d'août pour entrer en octobre dans la faculté de philosophie pour y prendre le grade de candidat.

L'honorable membre me prête une exagération facile à réfuter et dont je ne suis pas coupable. Selon lui, j'ai le tort de supprimer ce que, en définitive, je ne supprime pas.

J'ai le tort de considérer exclusivement la faculté de droit comme une fabrique d'avocats et de juges ; il ajoute, pour me le prouver, que c'est aux études faites dans cette faculté et précisément dans les cours à certificats, que s'était formée cette génération à laquelle nous devons tous les progrès politiques réalisés depuis 1815.

Que l'honorable membre me permette de lui faire une observation: je suis entièrement convaincu que l'étude du droit public, de l'économie politique a beaucoup servi à cette génération dont il parle, que cette étude peut nous servir beaucoup encore. Mais qu'ai-je demandé ? La suppression de l'encyclopédie du droit et du droit naturel, ou de la philosophie du droit, comme l'appelle l'honorable membre ; encore ne demandé-je pas la suppression du droit naturel d'une manière absolue.

J'ai dit que l'on pouvait très bien confier à un professeur de droit romain ou de droit civil le soin d'exposer sous ce rapport les notions philosophiques nécessaires pour la bonne intelligence du droit positif.

Revenant à l'objection qui m'est faite, je demanderai si les hommes politiques qui ont été formés dans les universités des Pays-Bas, qui ont préparé notre Constitution, qui, plus tard, ont aidé à la mettre en pratique, ont pour cette mission eu besoin de connaître l'encyclopédie du droit et la philosophie du droit.

L'honorable membre a cité des exemples, j'en citerai à mon tour ; nous sommes sur les bancs de cette Chambre trois hommes qui étions ensemble sur les bancs de l'université : Les honorables MM. Vervoort, Malou et moi, eh bien, tous les trois, nous n'avons pas reçu le moindre mot d'enseignement de l'encyclopédie du droit ; nous avons tous les trois été dispensés du certificat et de l'examen sur cette matière, parce que le titulaire du cours, l'honorable M. Ernst, avait été nommé à cette époque membre de la Chambre. Sommes-nous si insuffisants tous les trois au point de vue de la mission que nous remplissons ici, pour n'avoir pas eu le bonheur d'obtenir un certificat de fréquentation du cours de l'encyclopédie du droit ?

Revenant à la question des certificats, je crois que pour qu'un cours soit bien donné, pour que les élèves qui le suivent en profitent, pour qu'ils le suivent même, il faut que le cours aboutisse à un contrôle sérieux, et ce contrôle ne peut être confié qu'au professeur qui a enseigné.

J'abandonne ici la question des certificats.

La question la plus difficile, selon moi, c'est la question du jury d'examen ; je crois que la question de savoir si telle ou telle matière sera supprimée oui ou non dans l'enseignement ou si elle fera l'objet d'un examen ou d'un certificat, influera même un peu sur la composition du jury. J'y arrive.

Nous sommes en présence de plusieurs systèmes sur cette question ; ces systèmes jusqu'à présent ne sont pas formulés d'une manière précise, on les a exposés avec plus ou moins d'hésitation ; celui d'entre nous qui a le plus fermement caractérisé son système, c'est l'honorable M. Frère, et cependant il n'a pas encore proposé d'amendement.

Comme le disait tout à l'heure l'honorable M. Dechamps, il y a deux idées diamétralement opposées en matière de jurys d'examen.

Les uns veulent aboutir à un examen purement pratique destiné à donner des garanties à la société contre l'ignorance portée à un degré tel, qu'elle deviendrait un danger social ; de là des examens professionnels et ne portant que sur des matières pratiques.

D'autre part, on se dit ; Mais le caractère principal de l'enseignement, ce doit être le culte de la science.

Le culte de la science, si on veut le maintenir comme base d'une bonne organisation de l'enseignement universitaire, mène directement à une conséquence forcée, c'est l'examen, c'est l'appréciation de la science par le professeur qui est chargé de l'enseigner ; sinon, vous rendez le professeur l'esclave ou le copiste de l'examinateur, comme le disait tout à l'heure l'honorable M. Dechamps.

En parlant d'un autre système qui conduit à une épreuve purement pratique, l'honorable M. Frère a cependant reculé devant la conséquence de ce système. En effet, dans la pensée de l'honorable membre, si je l'ai bien comprise, l'examen professionnel serait plutôt une menace qu'une épreuve véritable ; ce serait une menace contre ceux qui n'auraient pas pris soin d'aller puiser dans les établissements d'enseignement une science dont la suffisance serait constatée par des diplômes ou certificats propres à inspirer confiance au jury professionnel.

L'honorable M. Frère-Orban veut qu'on cultiver la science pour la science ; il veut que les études universitaires soient théoriques et très théoriques, et il demande que plus tard on se présente pour vérifier nominalement sa capacité professionnelle, à condition toutefois d'avoir fait vérifier, auparavant, sa capacité scientifique. Si cette vérification de la capacité scientifique a été faite par une autorité qui inspire confiance à l'honorable M. Frère-Orban, il ne tient plus beaucoup à son examen professionnel.

L'honorable membre a insisté sur la nécessité de relever le niveau des études, sur l'utilité qu'il y a pour la Belgique à donner à l'enseignement un caractère plus scientifique, plus large ; il s'est associé, sous ce rapport, aux plaintes que d'autres avant lui avaient formulées.

Je crois avec M. le ministre de l'intérieur que ces plaintes sont quelque peu exagérées ; je ne crois pas que le niveau des études soit si singulièrement abaissé en Belgique et que nous nous trouvions, par rapport à d'autres pays ou à d'autres temps, dans un état d'infériorité ; je crois même qu'il y a amélioration ; et l'honorable M. Frère me tiendra compte sans doute de ce que je vais dire, cette amélioration date de la loi de 1849 ; le seul bon effet des jurys combinés, c'est qu'il a relevé quelque peu le niveau des études.

Je ne pense pas qu'à l'époque où nous vivons il y ait en Belgique moins de connaissances et qu'elles soient moins généralement répandues, qu'à d'autres époques.

Il est arrivé en fait de sciences ce qui est arrivé ailleurs. Je pourrais faire une comparaison, selon moi, exacte, et qui du moins rend parfaitement ma pensée : il est arrivé chez nous de la richesse intellectuelle comme il en est arrivé de la richesse matérielle, la richesse intellectuelle s'est généralement répandue, égalisée dans toutes les classes de la société.

Si nous avons un peu moins de savants aujourd'hui, nous avons par compensation beaucoup plus d'hommes instruits et éclairés ; de même, si nous avons aujourd'hui peu de grandes fortunes, nous avons par contre une aisance plus généralement répandue.

Il est arrivé des savants en « us » ce qui en est arrivé de toutes les aristocraties : c'est une aristocratie qui s'en est allée.

Est-ce un bien, est-ce un mal ? Je n'ai pas à me prononcer là-dessus ; le fait, je le constate ; est-ce un bien, est-ce un mal ? L'avenir répondra pour moi à la question.

Mais s'il est possible de relever le niveau des études, d'élever la moyenne des connaissances répandues dans ce pays, il faut le faire.

Pour arriver là il faut modifier le système actuel des examens. Aussi je le modifie, et voici comment.

Je crois que le système actuel d'examen a pour résultat de forcer les professeurs à abdiquer leur individualité et à donner, au lieu de leur enseignement propre, une sorte d'enseignement moyen qui correspond aux nécessités de la situation, un enseignement qu'on est sûr de rencontrer dans tous les établissements d'instruction supérieure, ni plus, ni moins. C'est un danger, selon moi, de faire perdre ainsi au professeur sa personnalité, de le forcer à une espèce d'abdication.

Où est le remède ? Dans la suppression de l'examen, dit l'honorable M. Frère. Non. Dans les examens ; en fortifiant dans l'examen l'influence du professeur sur l'élève. Voilà, selon moi, le remède véritable, le vrai moyen de sortir de la mauvaise situation où nous nous trouvons.

Ce que j'affirme est si exactement vrai, que si nous n'avions pas à compter avec la liberté d'enseignement, rendre la collation des grades aux universités de l'Etat serait le remède proposé, accepté par tous ; le professeur alors reprendrait sa personnalité, son indépendance ; le maître ferait école, ce qu'aujourd'hui il ne fait plus. Nous avons donc le remède devant nous ; mais il y a une difficulté, il faut faire compte avec la liberté d'enseignement. Il ne faut pas que la liberté soit dangereuse pour la société ; si la liberté inspirait autant de confiance que l'enseignement de l'Etat, la difficulté serait résolue. Cette confiance, peut-on l'accorder dans une certaine limite aux établissements libres, quand ils sont soutenus depuis un grand nombre d'années, comme ceux que vous avez dans le pays, par la popularité dont ils jouissent ?

L'affirmative peut se soutenir ; mais comme il faut formuler un système pour qu'on puisse le discuter, je proposerai cette formule. Je ne crois pas que ce que je vais proposer soit ce qu'il y a de meilleur, une sorte de pierre philosophale en fait de jury d'examen, mais, à mon avis, c'est le système auquel on arrivera un jour ou l'autre, à moins qu'on ne veuille arriver à la liberté absolue de l'exercice de toutes les professions, conclusion logique du système de l'honorable M. Frère-Orban

Je proposerai donc la réalité toute nue de ce que l'honorable M. de La Coste propose sous un déguisement.

Vous avez deux établissements de l'Etat complètement organisés ; vous avez ensuite deux établissements libres ; ces établissements présentent au point de vue de la science autant de garanties que les établissements de l'Etat, pourquoi ne concéderiez-vous pas avec certaines précautions à ces quatre établissements le droit de conférer les grades académiques à leurs élèves ? Pour les éludes privées, il y aura autre chose à faire, je dirai quoi.

Je demande donc franchement que les grades pour les élèves des quatre universités soient conférés par les facultés. Je sais que cette idée est de nature à effaroucher certaines personnes, qu'on craint d'accorder à des établissements une sorte de charte d'incorporation, comme on le disait tout à l'heure ; il faut sauver les apparences, ou ne demande pas davantage.

M. Frère-Orban. - Erreur ! je demande beaucoup plus.

M. Orts. - Vous accordez au moins des garanties pour les universités libres ? De deux choses l'une, ou vous: donnez des garanties (page 457) sérieuses d'impartialité dans le jury, et alors force vous est d'accorder aux établissements libres une prépondérance vis-à-vis des établissements de l'Etat, ou vous êtes obligé de donner une certaine prépondérance à l'Etat, en lui confiant la nomination de l'arbitre qui départage et l'impartialité n'existe plus en droit. Vous voulez donc sauver les apparences et j'y consens.

Je sauve les apparences de la manière que voici :

Je propose de faire examiner les élèves des universités par une commission nommée par le Roi, mais le Roi ne pourra prendre les membres de la commission que dans l'établissement et la faculté auxquels le récipiendaire appartient.

Ce ne sera pas pour l'université une charte d'incorporation, la prérogative royale sera sauvegardée, seulement le Roi sera circonscrit dans son choix ; cela existe pour beaucoup d'autres nominations.

Je donnerai aux pouvoirs publics une garantie de plus ; celle-ci, je la veux sérieuse ; c'est que dans les opérations de ces commissions, il faut que le gouvernement exerce un contrôle, sache ce qui se passe et que s'il s'y passait des choses mauvaises, la loi vienne faire ce que j'aurais proposé de faire. Cette commission composée en nombre pair de quatre ou six membres, s'adjoint un président nommé par le Roi. Ce président devra être étranger à l'enseignement ; il siégera, il votera et dirigera le débat. Outre la garantie de la publicité que j'exige aussi, vous aurez le contrôle d'un commissaire royal.

Je ne crains pas que, dans ce système, on arrive, par esprit de rivalité ou de boutique, à abaisser la science au point d'apporter une facilité dangereuse dans la réception des candidats ; je crois plutôt, que les établissements lutteront de sévérité pour donner un mérite, une considération plus grande aux grades conférés par eux.

J'en suis convaincu, malgré l'exclamation que fait derrière moi mon honorable ami, M. Tesch. J'ai été contemporain d'une lutte de ce genre. Les établissements sérieux, ceux qui n'avaient pas un intérêt momentané à présenter un plus grand nombre d'élèves, ont maintenu une sévérité qui était la condition de leur réputation et de leur popularité auprès des pères de famille.

A une époque, je le sais, l'université de Louvain s'était montrée d'une déplorable facilité pour la collation des grades ; de 1830 à 1835, menacée dans son existence elle voulait avoir un argument à invoquer en faveur de sa conservation, elle le cherchait dans le nombre des élèves inscrits.

Une des trois universités léguées par le gouvernement des Pays-Bas devait cesser d'exister. Louvain savait le sort qui l'attendait et luttait contre sa destinée. Mais Gand, mais Liège surtout était renommée dans toutes les parties du pays pour sa sévérité, particulièrement pour la sévérité de sa faculté de droit. C'est parce que l'université de Liège était sévère que j'ai eu l'honneur d'y faire mes études. Je crois donc aujourd'hui que l'émulation est la garantie de la sévérité que montreront les établissements libres et du bon usage qu'ils feront de la faculté que je veux leur conférer.

Où je craindrais l'abus, c'est dans la collation des distinctions purement honorifiques, je craindrais qu'on n'abusât des distinctions et des grandes distinctions. Contre cet abus, voici ma garantie. J'attribue au président le droit de veto pour les distinctions honorifiques, je n'admets pas ce droit pour l'admission simple.

Pour l'admission simple il votera ; il aura le droit de s'opposer aux distinctions.

A côté de cela, comme garantie, j'ajoute le caractère temporaire de la loi. La loi fonctionnera pendant trois ans. Ce terme maintiendra les établissements libres dans la bonne voie. Ils craindront que la législature n'intervienne au bout de cette période contre les établissements libres qui se montreraient indignes de la confiance que la législature aura mise en eux.

Contre ce système, je comprends une objection sérieuse. La voici, et voici comment je la lève. On me dira: C'est un monopole à quatre. Qui vous affirme qu'il ne s'élèvera pas demain un nouvel établissement libre semblable à ceux qui fonctionnent aujourd'hui après 25 ans d'existence ? L'objection a déjà été faite en 1849. J'y ai répondu. Je crois que l'honorable M. H. de Brouckere, à cette époque, y a également répondu. Lorsque le fait se produira, la législature comptera avec le fait. Au moment où l'établissement se produira, la loi l'appréciera. Ne créons pas à l'avance des difficultés, des fantômes qui peut être ne se présenteront jamais. Mais si un nouvel établissement d'instruction libre surgissait un jour dans le pays ; s'il présentait, comme les deux universités libres actuelles, des éléments de vitalité, de popularité attestés par le nombre toujours grandissant des élèves et par sa durée, je ne reculerais pas devant la difficulté. Ou plutôt, cette difficulté n'en serait pas une. Nous compterions un établissement utile de plus dans le pays et j'en serais fort heureux.

S'agit-il d'une simple faculté ? Si cette faculté se fondait, vous auriez à l'apprécier. Vous pèseriez les avantages et les inconvénients de cette situation nouvelle et imprévue ; puis législateurs, vous aviseriez.

Restent les études privées ; elles ont leur part, Les études privées se plaignent-elles de vos jurys ? Pas le moins du monde. Elles sont parfaitement satisfaites.

Il n'y a eu ni de la part des professeurs, ni de la part des élèves de l'enseignement privé aucune réclamation contre le mode d'organisation des jurys.

Il n’y a jamais eu de plaintes que de la part des universités de l'Etat et des universités libres. Pour les études privées, je maintiens le statu quo ; elles sont satisfaites. Elles conserveront ce qu'elles ont. Les universités se plaignent de ce que leur intervention dans la collation des grades n'est pas suffisante. Je fais droit à leurs plaintes. Je donne pleins pouvoirs aux universités sur leurs élèves ; maîtresses chez elles, plus de conflit.

Les études privées resteront ce qu'elles sont, munies du jury central, organisé par la loi de 1819. Seulement je leur offre une garantie de plus ; cette loi dit que les professeurs des universités de l'Etat ne pourront être en majorité dans le jury. Je vais plus loin, je demande que les professeurs d'une université quelconque ne puissent être en majorité dans le jury.

Je le répète, loin de moi la prévention d'avoir trouvé la pierre philosophale en cette nature. Mais ce système de liberté large peut, me semble-t-il, être opposé avec avantage au système de jury professionnel, système que je ne veux pas combattre. Il a déjà été combattu par des critiques parfaitement fondées.

Me reprochera-t-on de sacrifier la liberté d'enseignement ? Mais le jury professionnel compromet bien autrement cette liberté. Le jury pour être sérieux doit être exclusivement un jury de fonctionnaires. Or le jury professionnel, c'est la clef qui ouvre la porte de toutes les carrières. Cette clef, je ne veux pas la mettre dans la poche du gouvernement.

M. Frère-Orban. - Dans le jury professionnel tel que je le propose, il n'y a pas de fonctionnaires.

M. Orts. - Si vous rejetez les fonctionnaires, alors surgit un autre inconvénient: Force vous est de composer votre jury professionnel de médecins ou d'avocats, de prendre une corporation pour juge de ceux qui veulent y entrer.

Force vous est de rétablir pour les professions libérales le système des corporations qu'on a si justement, si heureusement aboli pour les professions industrielles.

Messieurs, je vous ai exposé mon système, je l'ai formulé afin qu'on le discute librement et loyalement sans arrière-pensée. S'il m'est démontré par la discussion que ce système, contrairement à mes prévisions, est défectueux ou impraticable, je le retirerai.

Mou désir d'être utile m'a seul inspiré, je ne mets dans cette affaire aucune espèce d'amour-propre ; aucune espèce d'intérêt ne me guide.

Voici du reste mon amendement :

« Les examens seront subis publiquement :

« A. Par les élèves inscrits aux universités de l'Etat ou libres, devant une commission de quatre ou de six membres choisis par le Roi parmi les professeurs de l’établissement et de la faculté auxquels appartient le récipiendaire.

« Cette commission sera présidée par un délégué du gouvernement, étranger à l'enseignement.

« Le président aura le droit de s'opposer au grade que la commission entendrait décerner au récipiendaire admis.

« B. Pour les élèves non inscrits aux universités, devant un jury nommé par le Roi et composé de façon telle que la majorité ne puisse appartenir aux professeurs des universités. »

- Plusieurs membres demandent le renvoi de cet amendement à la section centrale.

- Ce renvoi est prononcé.

M. Frère-Orban. - La discussion devient impossible.

M. de La Coste. - Je demanderai à la Chambre de vouloir bien renvoyer aussi à la section centrale, dès que je l'aurai rédigé, l'amendement que j'ai indiqué. (Adhésion.)

M. le président. - M. de La Coste fait, du reste, partie de la section centrale.

M. Frère-Orban. - Il me semble que la conséquence du renvoi de cette proposition à la section centrale, c'est la suspension de la discussion. Il est impossible que la discussion continue avant qu'on ait fait un rapport sur la proposition qui vient d'être déposée.

Quelles questions aurions-nous encore à examiner ? Elles seront résolues par le système, si ce système était adopté. Il ne s'agit plus de certificats dans le système de l'honorable M. Orts ; l'examen entier sur toutes les matières, a lieu dans les universités mêmes. Je ne vois plus une seule question du projet qui puisse être utilement discutée aujourd'hui.

M. de Theux, rapporteur. - Je pense que le renvoi de l'amendement de l'honorable M. Orts et de celui de l'honorable M. de La Coste à la section centrale ne doit en aucune manière entraîner la suspension de la discussion. J'exposerai à la Chambre ce qui s'est passé dans le sein de la section centrale. Après la discussion générale, nous avons essayé d'aborder l'examen de la composition du jury ; et après avoir discuté quelque temps, nous avons décidé qu'il était impossible d'arriver à une proposition sur la composition du jury, a moins d'avoir déterminé sur quelles matières porteraient les examens. En effet, il y a là une corrélation évidente. Avant de savoir de quelle manière vous composerez le jury, vous devez savoir ce qu'il aura à faire, quelles seront ses attributions.

Je propose donc que la discussion continue. Nous avons deux questions importantes à décider et qui faciliteront la solution, pour la section centrale même, de la question de la composition du jury : d'abord (page 458) adoptera-t-on l'épreuve préparatoire proposée par le gouvernement : en second lieu, admettra-t-on le système des certificats, proposé par la section centrale pour certaines parties de l'enseignement ?

La composition du jury n'arrive qu'à l'article 23. Je pose en fait que si la Chambre se prononce, d'une part, sur l'épreuve préparatoire, et d'autre part, sur les matières à certificats, la tâche de la section centrale quant à la composition du jury et la tâche de la Chambre elle-même seront beaucoup simplifiées.

Et notez que la simplification des matières d'examen se rapporte au système de l'honorable M. Orts, tout aussi bien qu'au projet du gouvernement et au projet de la section centrale, car en admettant que la Chambre arrive à adopter la proposition de l'honorable M. Orts, il faudra toujours savoir sur quoi porteront les examens dans chacune des universités, sur quoi porteront les examens du jury pour les études extra-universitaires.

Je prie donc la Chambre de ne pas perdre du temps en adoptant une motion d'ajournement pour la continuation de la discussion.

Il est urgent que l'on en finisse avec cette question. Le pays attend une solution avec la plus grande impatience. Les professeurs, les élèves ne savent plus à quoi s'en tenir. Il est de toute nécessité que, dans la session actuelle, cette question soit vidée. Elle ne peut plus subir de délai, sous peine de nuire essentiellement à l'enseignement.

Je demande donc que la discussion continue, et quand la Chambre rencontrera une difficulté réelle résultant d'un des articles mis en rapport avec l'amendement de l'honorable M. Orts, elle pourra ou ajourner cet article ou suspendre la discussion. Mais quant à présent, il n'y a pas de motifs pour la suspendre.

M. Rogier. - La proposition de l'honorable député de Bruxelles a une telle importance, qu'il est indispensable de la soumettre à l'examen de la section centrale. Elle doit avoir une influence décisive sur le règlement des matières de l’enseignement et de l'examen ; car je ne pense pas que si les universités ont la liberté absolue de conférer des grades, nous puissions avoir la prétention de leur imposer les matières d'enseignement.

M. Dechamps. - Pourquoi pas ?

M. Rogier. - Je voudrais savoir comment vous vous y prendriez pour forcer les professeurs libres à adopter un programme d'examen, alors que le représentant de l'Etat dans le jury n'aura pas le droit de s'opposer à la collation d'un grade. A l'avenir, les universités enseigneront comme elles le voudront, et elles accorderont des grades comme elles l'entendront. Voilà le système.

Je pense que ce système s'attaque d'une manière trop directe à l'essence même de la loi, pour qu'on puisse encore la discuter avant que ce système ail été examiné par la section centrale. Il est aussi essentiel d'avoir l'opinion du gouvernement en cette matière. C'est une proposition toute nouvelle, qui a une très grande portée. Il importe de savoir si le gouvernement est disposé à s'y rallier,

M. Tesch. - J'ai une observation à ajouter à l'appui de la proposition que fait l'honorable M. Rogier. Cette observation, la voici : c'est que la question de savoir si l'on admettra des matières à certificats ou si l'on n'en admettra pas, dépendra bien évidemment de la question de savoir comment le jury sera composé.

Ainsi je puis bien admettre que si ce sont les universités elles-mêmes qui délivreront dorénavant les diplômes, il y ait des matières à certificats ; il y ait des cours pour lesquels les professeurs examineront chez eux isolément, puisque en définitive ce sont eux qui délivreront aussi les diplômes ; tandis que si c'est un jury composé d'autres éléments, soit de professeurs des différentes universités, soit de.personnes étrangères à l'enseignement, alors je serais dans le cas de ne pas accepter des matières à certificats.

La question du jury domine donc toutes les questions que soulève le projet, même celle des matières à certificats et c'est pour cela qu'à mon avis la proposition de l'honorable M. Orts doit être mise aux voix avant tout. Il est évident que de la solution donnée à cette question dépendra pour beaucoup de membres la solution donnée à d'autres points en discussion.

M. Dechamps. - Messieurs, il me semble que la Chambre pourrait, comme l'a dit l'honorable M. de Theux, continuer la discussion et sur la question du cadre des examens et sur la question relative au grade d'élève universitaire et procéder comme la section centrale l'a fait elle-même.

La section centrale a commencé, si je ne me trompe, par l'examen de la question relative au grade d'élève universitaire ; puis elle s'est occupée des matières d'enseignement, et ensuite de la composition du jury.

On renvoie à la section centrale deux amendements : celui de l'honorable M. de La Coste et celui de l'honorable M. Orts. Eh bien, ces deux systèmes, par rapport aux matières d'enseignement, sont identiquement dans la même position que l'était le système des jurys combinés. Le jury combiné, c'était un jury à deux universités ; d'après le système de l'honorable M. Orts, chaque université existante, chaque établissement complet d'instruction supérieure examinerait ses élèves.

M. Frère-Orban. - Sous contrôle.

M. Dechamps. - Il y aurait le contrôle du président nommé par le Roi: c'est un autre genre de contrôle, mais le contrôle existe. Je ne discute pas le système ; mais je dis, messieurs, que nous devons tout aussi bien décider la question des matières d'examen, celle des certificats de fréquentation, dans le système de M. Orts, ou dans le système de M. de La Coste, que dans celui de la section centrale. Il faut dans tous les cas déterminer sur quoi porteront les examens ; et que nous adoptions l'un ou l'autre de ces systèmes, rien n'empêche d'exiger des certificats de fréquentation.

M. Orts. - Mon amendement exclut le système des certificats puisqu'il dit que les examens seront publics.

M. Dechamps. - Les examens sont actuellement publics ; les examens devant le jury combiné ou devant un jury central quelconque sont publics.

Il est très possible d'introduire les certificats dans le système de M. Orts comme dans le système de M. de La Coste, comme dans le système de la section centrale. En définitive, de quoi s'agit-il ? De la formation du jury. Eh bien, on peut à cet égard adopter des modes divers, mais cela ne change rien à la question des matières de l'examen ni à la question des certificats.

Je pense, messieurs, qu'il ne faut pas perdre de temps ; il est certain qu'à l'heure qu'il est les études, dans les universités, sont, pour ainsi dire, en suspens ; les élèves ne savent plus ce qu'ils doivent étudier, les professeurs ne savent plus ce qu'ils doivent enseigner. Eh bien, je crains que la suspension de la discussion n'amène un ajournement qui conserverait dans une incertitude complète et les élèves et les professeurs, qui entraînerait une véritable désorganisation de l'enseignement universitaire.

M. le président. - Il est possible que la section centrale, en se réunissant demain de bonne heure, puisse faire un rapport à l'ouverture de la séance.

M. Frère-Orban. - Messieurs, la proposition qui vient d'être faite par l'honorable M. Orts, est incontestablement la plus grave de toutes celles dont on a parlé jusqu'à présent ; c'est une innovation qui peut, à coup sûr, être qualifiée de radicale.

M. Orts. - Elle ne vient pas de la Chine.

M. Frère-Orban. - Elle ne vaut pas mieux pour cela.

Il est impossible d'apprécier sans réflexion les conséquences d'une pareille proposition. Je ne pense pas que les honorables MM. de Theux et Dechamps, à moins qu'ils n'en aient déjà délibéré, soient en état de nous dire quelles peuvent être ces conséquences sur les diverses dispositions du projet de loi. On dit : examinons la question du grade d'élève universitaire, examinons la question des certificats ; mais dans le système de l'honorable M. Orts nous aurions aussi probablement, pour le grade d'élève universitaire des jurys constitués dans les divers établissements, avec un commissaire royal se rendant de l'athénée de l'Etat au collège des jésuites ! Si ce mode est admissible pour l'enseignement supérieur il doit l'être aussi pour l'enseignement moyen. Ou ne peut donc pas discuter la question du grade d'élève universitaire avant d'être fixé sur l'amendement de M. Orts.

Il en est de même de la question des certificats. L'honorable M. Orts répudie les certificats ; il n'en veut point et cependant l'honorable M. Dechamps veut qu'on les discute, Je dis que toutes ces questions doivent être tenues en suspens, parce que l'ensemble des dispositions de la loi devra varier suivant le mode qui sera admis pour la formation du jury.

C'est là la question fondamentale. On ne gagnerait absolument rien en continuant la discussion, tout serait dans le vague. Il faut avant tout examiner d'une manière sérieuse, approfondie, les propositions de la nature de celle qui vient d'être faite. Après le rapport de la section centrale, nous délibérerons. Je recommanderai surtout à la section centrale la lecture du rapport de l'honorable M. de La Coste sur la proposition faite en 1844, de conférer à chaque université la faculté de délivrer les diplômes ; elle verra comment ce système était alors accueilli par la Chambre.

M. Malou. - L'honorable M. Frère vient de prouver que la question n'est pas si nouvelle, puisqu'elle a déjà fait l'objet d'un rapport de l'honorable M. de La Coste.

Messieurs, nous discutons le système à adopter pour le jury d'examen. Depuis 1835 nous la discutons pour la sixième ou la septième fois. Tous les systèmes se sont produits successivement, celui que l'honorable M. Orts a formulé aujourd'hui a été l'objet de plusieurs discussions. Celui que l'honorable M. Frère n'a pas proposé, mais qu'il a exposé, s'il était aujourd'hui formulé en projet de loi, donnerait-il lieu plus que tout autre, à ajourner la discussion ? Oui, si la Chambre veut aux causes nécessaires d'ajournement ajouter des causes purement volontaires, que rien ne justifie.

Très souvent, par les difficultés qu'offre la discussion, l'ajournement de questions importantes devient nécessaire et les sessions se terminent sans avoir produit grand-chose ; il faut subir cette nécessité mais il ne faut pas l'aggraver. Je dis qu'ici l'ajournement n'est pas justifié parce que la question n'est pas neuve ; en second lieu, parce qu'il y a des objets à discuter qui sont entièrement indépendants de la proposition de l'honorable M. Orts. En effet, messieurs, quel que soit le mode de composition des jurys pour les quatre universités, il vous reste, à vous Etat, deux universités dont vous devez faire le programme.

Vous devez arrêter le programme des cours de vos universités, la manière dont vous voulez que l'examen y soit subi. De sorte que, quel que soit le système qui sera adopté pour la composition du jury, vous pouvez utilement discuter dès à présent quel sera pour les établissements de l'Etat, le programme des cours et la question de savoir si (page 459) tous les cours feront l'objet d'un examen oral, ou si, pour certains cours on admettra des certificats.

Quant à la question du rétablissement direct ou déguisé du grade d'élève universitaire, elle ne se rattache à aucun des systèmes du jury d'examen. De 1835 à 1849, la loi sur l'enseignement supérieur a fonctionné avec un jury complet, alors que le grade d'élève universitaire n'était pas inventé ; il a été inventé en 1849, si je ne me trompe ; et quelques années plus tard, une grande majorité de la Chambre, pour ainsi dire sans discussion, l'a supprimé en quelque sorte à l'improviste, tant on était édifié sur les résultats qu'avait produits cette institution.

Je dis que cette question, si on veut la reproduire, est entièrement indépendante du système qu'on adoptera pour le jury universitaire proprement dit. Le jury d'élève universitaire proprement dit était un jury spécial, c'était un jury greffé sur l'enseignement moyen ; ainsi l'on peut très bien aborder les deux questions et renvoyer à la section centrale la proposition de l'honorable M. Orts.

Si la section centrale n'a pas terminé son examen, lorsque la Chambre aura discuté les deux points principaux que je viens d'indiquer, alors on pourra prononcer l'ajournement qui sera, dans ce cas, nécessaire et justifié.

M. Devaux. - Messieurs, une discussion qui avait commencé d'une manière paisible et grave, va devenir une discussion politique.

L'amendement que vient de lancer l'honorable M. Orts fait une révolution dans les principes qui régissent l'instruction publique en Belgique. Il est tout naturel que cet amendement tout à fait inattendu, et que nous ne croyions pas devoir surgir de nos bancs, jette une vive émotion dans ce côté de la Chambre et que désormais il soit impossible de discuter des questions de détail, tant que cette question principale ne sera pas vidée.

Il est sans doute, fâcheux de voir retarder le vote de la loi ; personne plus que moi ne désire que cette loi soit voile promptement ; mais s'il y a du retard, il faut s'en prendre à l'amendement.

Il faut que nous ayons le temps de l'examiner ; nous ne pouvons pas examiner quelques détails, lorsque le principe même de la loi est mis en question.

Remarquez que ce système n'a été produit ni dans les sections ni dans la section centrale. Aucun membre de la droite ne l'a mis en avant. Devant une telle proposition, il est impossible que l'attention puisse se porter sur une discussion d’intérêt secondaire.

M. F. de Mérode. - On nous réduit à l'état d'impuissance par une série perpétuelle d'absences, de vacances, d'ajournements, de reculs, et d'interruptions de tous débats, sauf le petit courant de votes de budgets ressassés depuis vingt-cinq années ; de la sorte on ridiculise le gouvernement constitutionnel, qui ne conduit à rien d'effectif et de productif.

Lorsque dernièrement il a été question de la loi sur la charité, on a dit qu'on allait bouleverser, effrayer le pays ; je me suis élevé alors contre ce prétendu fantôme, et j'ai dit que nous discuterions la loi sur la charité sans que le monde fût renversé. Il ne sera pas plus renversé quand nous continuerons à examiner la loi dont la discussion est commencée.

Je ne sais en quoi la proposition de l'honorable M. Orts est si émouvante ; cette proposition se rattache aux vrais principes de la liberté de l'enseignement ; je ne vois là rien qui puisse tant émouvoir.

Du reste, toutes les autres questions qui doivent être traitées, peuvent l'être aussi bien que si l'honorable M. Orts n'avait pas fait sa proposition. Ou n'a qu'à mettre son émotion de côté ; quant à moi, je n'en éprouve pas la moindre ; l'amendement de l'honorable M. Orts ne me remue pas le moins du monde.

M. le président. - Personne ne demandant plus la parole, je mets aux voix la proposition de M. Frère-Orban, qui demande que la discussion soit suspendue jusqu'après le rapport à faire par la section centrale.

- On demande l'appel nominal.

Il est procédé à cette opération.

74 membres sont présents.

2 (MM. Mercier et Dedecker) s'abstiennent.

39 répondent oui.

33 répondent non.

En conséquence, la proposition de M. Frère-Orban est adoptée.

Ont répondu oui : MM. Devaux, Frère-Orban. Goblet, Grosfils, Janssens, Laubry, le Bailly de Tilleghem, Lebeau, Lelièvre, Lesoinne, Maertens, Mascart, Moreau, Orts, Rogier, Sinave, Tesch, Thiéfry, Tremouroux, Vandenpeereboom, Van Iseghem, Van Renynghe, Verhaegen, Veydt, Allard, Anspach, Crombez, Coppieters 't Wallant, Dautrebande, David, de Breyne, de Bronckart, de Lexhy, Delfosse, de Moor, de Paul, de Perceval, de Renesse et Delehaye.

Ont répondu non : MM. Desmaisières, Desmet, de Theux, de T'Serclaes, Dumortier, Landeloos, Magherman. Malou, Matthieu, Moncheur, Osy, Rodenbach, Rousselle, Tack, Thibault, Van Cromphaut, Vanden Branden de Reeth, Vander Donckt, Van Goethem, Van Overloop, Van Tieghem, Boulez, Brixhe, Dechamps, de Haerne, de Kerchove, de La Coste, de Liedekerke, de Mérode (Félix), de Naeyer, de Pitteurs-Hiegaerts, de Portemont et de Rudderr de Te Lokeren.

Les membres qui se sont abstenus sont invités à faire connaître les motifs de leur abstention.

M. le ministre des finances (M. Mercier). - Il m'a paru convenable, comme membre du gouvernement, de m'abstenir dans une semblable question. Le gouvernement se tient à la disposition de la Chambre.

M. le ministre de l'intérieur (M. Dedecker). - Je me suis abstenu pour les mêmes motifs.

Projets de loi accordant des crédits supplémentaires aux budgets des ministères des affaires étrangères et des travaux publics

Dépôt

M. le ministre des finances (M. Mercier). - Messieurs, le Roi m'a chargé de présenter à la Chambre trois projets de loi.

Le premier projet de loi ouvre au département des affaires étrangères un crédit de 3,696 fr., à l'effet de solder une prime pour un service à voiles qui a été effectué entre Anvers et Istapa de Guatemala dans le courant du mois de novembre 1854.


Le deuxième projet de loi ouvre au ministère des travaux publics un crédit de 70,000 fr. destiné au payement des dépenses non liquidées du chef de travaux exécutés par le gouvernement sur la ligne concédée de St-Trond à Hasselt et à des dépenses d'exécution à faire à la station de Landen.

Ce crédit sera couvert par la somme de 70,000 fr. à rembourser à l'Etat par la société du chemin de fer de Maestricht à Aix-la Chapelle, conformément à l'article 7 du cahier des charges.


Enfin, le troisième projet de loi ouvre au département des travaux publics un crédit spécial de 300,000 fr. destiné à solder des créances arriérées résultant de réclamations reconnues fondées, de jugements définitifs ou de transactions approuvées par décisions ministérielles intervenues à l'occasion de la construction du chemin de fer de l'Etat.

- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation des projets de loi qu'il vient de déposer.

Ces projets et les motifs qui les accompagnent seront imprimés, distribués et renvoyés à l'examen des sections.

- La séance est levée à 4 heures et un quart.