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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 7 février 1857

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1856-1857)

(Présidence de M. Delehaye.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 781) M. Crombez procède à l'appel nominal à 1 heure et quart.

M. Vermeire donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Crombez communique l'analyse des pièces adressée» à la Chambre.

« Le juge de paix et le greffier de la justice de paix de Bouillon prient la Chambre d'améliorer leur position et demandent que le tarif des émoluments soit uniforme pour toutes les justices da paix. »

- Renvoi à la commission chargée d'examiner le projet de loi sur l'organisation judiciaire.


« Le sieur Vanarenbergh prie la Chambre de s'occuper du projet de loi sur la pharmacopée. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.


« Des habitants de Biévène présentent des observations sur la situation que font à l'agriculture les droits sur les houilles et sur les fontes. »

«Mêmes observations d'habitants de Corenne, Opheers, Marcq, Sottegem, Bassilly, Voormezecle, Ath et communes environnantes, Bruxelles, Resteigne, Jaudrain, Langdorp, Cortryck-Dulzel, Tellin, Tainlignies et communes voisines, et des conseils communaux d'Oostdunkerke et Adinkerke. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi portant révision du tarif des douanes.


« Le sieur Goethals, blessé de septembre, réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir une augmentation de subside. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

« Le sieur Eggerickx, blessé de septembre, ancien militaire, demande une augmentation de pension. »

- Même renvoi.


M. Maertens, retenu par une indisposition, demande un congé.

- Accordé.


M. David, obligé de s'absenter pour affaires urgentes, demande un congé.

- Accordé.

Projet de loi sur les jurys d’examen universitaire

Discussion des articles

Titre II. Des moyens d'encouragement

Article 40

La discussion continue sur l'article 40.

M. Malou. - Messieurs, à la fin de notre dernière séance, l'honorable M. Frère a soumis à la Chambre une proposition dont l'importance domine de beaucoup le projet primitif du gouvernement et de la section centrale. Il s'agit, si elle est adoptée, de révolutionner un régime qui existe dans notre pays depuis 500 ans et de dépouiller 781 familles de leur propriété. Cette question, soulevée pour la première fois en Belgique (et je regrette qu'elle le soit), mérite toute l'attention de la Chambre.

L'honorable membre s'est plaint, en premier lieu, de ce que le travail de la commission spéciale relatif aux fondations d'instruction n'avait pas été publié.

M. Frère-Orban. - Je n'ai pas dit cela.

M. Malou. - Je vais lire le texte du Moniteur, ne vous plaignez pas de ce que je vous attribue ce que vous n'avez pas dit :

« Cette commission a fait son travail. C'est cette même commission qui a été investie de l'attribution d'examiner les fondations charitables, lorsque les questions que vous connaissez ont été soulevées, et l'on a jugé à propos de détacher, du projet qui avait été préparé, les dispositions relatives aux fondations charitables, en se gardant bien de produire les propositions de la commission relativement aux fondations d'instruction. C'est que cette commission avait formulé un système à l'aide duquel les abus manifestes dont nous nous plaignons auraient été évités. »

Voilà ce que porte le Moniteur, « en se gardant bien de produire les propositions » de la commission relatives aux fondations d'instruction.

M. Frère-Orban. - Comme proposition de loi.

M. Malou. - Je suis d'accord avec vous ; voici un document parlementaire de 1854, qui contient tous les procès-verbaux de la commission, toutes les propositions que cette commission avait formulées. Voici à quelle époque et dans quelles circonstances les travaux de cette commission ont pris fin.

Je lis, page 113, une lettre par laquelle l’honorable M. Leclercq, président de la commission, a envoyé les procès-verbaux au ministre. On s'est bien gardé, nous dit-on, de donner suite aux propositions de la commission. Mais quel est donc ce monsieur qui s'est permis la malice de ne pas y donner suite ? C'est le cabinet dont faisait partie l'honorable membre. La commission remit ses propositions au gouvernement le 3 août 1850. Si je ne me trompe, le cabinet dont faisait partie l'honorable M. Frère ne s'est retiré qu'en 1852. Si quelqu'un est coupable de n'avoir pas donné suite aux propositions de la commission, c'est donc le cabinet dont l'honorable membre faisait partie.

Pourquoi le cabinet, d'abord, n'a-t-il pas donné suite aux propositions de la commission ? Parce que plusieurs de ces propositions s'écartaient, d'une manière essentielle, de l'opinion du ministère. Dans toutes les phases de ses délibérations, la commission a pris pour principe, le respect de la volonté des fondateurs ; ce principe est carrément méconnu par la proposition que nous discutons aujourd'hui.

La commission disait le 3 août 1850, deux ans avant la démission de M. Frère :

« Que dans l'état actuel des partis politiques en Belgique, elle considère cette communication comme purement confidentielle et destinée exclusivement à fournir au gouvernement tous les renseignements nécessaires pour qu'il puisse prendre une détermination définitive, au milieu des avis divers auxquels chaque question a donné lieu ; ces avis ne sont que provisoires, comme cela résulte des termes de la résolution ; ils auraient pu être modifiés lors de la rédaction du projet du loi, si la section centrale n'avait jugé convenable de s'abstenir de le faire. Les votes dans lesquels ils se résument doivent être, en conséquence, tenus moins pour des opinions arrêtées que pour le pivot indispensable autour duquel doivent se ranger les raisons en sens inverse émises dans toute discussion. L'on ne peut donner une autre interprétation à la rédaction sans lui enlever toute efficacité et sans laisser subsister tous les inconvénients auxquels elle a voulu parer en la prenant.

« II va de soi, M. le ministre, que, si vous jugiez à propos de l'approuver, elle s'empresserait de conduire sa tâche jusqu'au but qui lui était assigné dans l'origine. »

Voilà donc une commission nommée en 1849, qui remet ses procès-verbaux au ministre en 1850, qui lui dit : Si vous approuvez mou travail, je suis prêt à conduire ma tâche pour arriver au but indiqué. Et qui ne répond pas ? C'est le ministre de la justice. Personne ne dit à la commission: J'approuve ou je désapprouve. Et aujourd'hui on vient soutenir que l'on s'est bien gardé de transformer en projet de loi la proposition de la commission.

On n'a pas traduit cela en projet, la commission s'est dissoute à cause du dissentiment de système entre elle et le gouvernement d'alors. Le projet de la commission se basait sur le respect de la volonté des testateurs. Il disait qu’il fallait maintenir les fondations particulières. Mais pour l'avenir, on pouvait créer des commissions locales ou provinciales pour gérer l'administration des fondations privées.

Ce premier point me paraît suffisamment éclairci. Je vais maintenant, messieurs, au fond même du débat. Nous avons en Belgique, reconnues par le gouvernement, de 1818 jusqu'aujourd'hui, 781 fondations particulières d'instruction publique. La plus ancienne de ces fondations remonte à l'année 1399. Les plus récentes, faut-il le dire, datent de 1830 à 1847. Depuis lors, il n'y en a plus eu, et vous savez pourquoi.

Ces 781 fondations ont leur siège dans toutes les provinces. et voici, d'après l'état des fondations publié en 1846, quel est le revenu et le nombre de ces fondations par province (je cite les sommes rondes, sans chiffres fractionnaires) :

Anvers, 68 fondations, 68,000 fr.

Brabant, 412 fondations, 140,000 fr.

Flandre occidentale, 21 fondations, 6,000 fr.

Flandre orientale, 24 fondations, 11,000 fr.

Hainaut, 118 fondations, 79,000 fr.

Liège, 43 fondations, 32,000 fr.

Limbourg, 53 fondations, 26,000 fr.

Luxembourg, 16 fondations, 6,000 fr.

Namur, 26 fondations, 8,000 fr.

Ensemble, 781 fondations ayant, en 1846, un revenu constaté d'à peu près 390,000 francs.

Tels sont les faits, et pour le dire en passant, je rencontre ici les chiffres qu'a cités hier l'honorable M. Verhaegen, mais dont il a tiré la conséquence la plus étrange, la plus incroyable.

Comme je l'ai dit, messieurs, il y a des fondations qui ont leur siège dans chaque province. Ces fondations doivent rendre compte à l'administration provinciale, et l'honorable M. Verhaegen a rapporté à l'université de Louvain le compte de toutes les fondations dont le siège est dans le Brabant. Son siège était fait et je dois, à mon grand regret, en fane un autre.

La vérité des choses est que dans toutes les fondations qui ont été rétablies par le gouvernement des Pays-Bas, il y a une administration spéciale qui doit se conformer à la volonté du fondateur. On peut dire que les actes de fondation sont tous coulés dans le même moule, c'est-à-dire que l'affection pour la famille du fondateur ou l'affection locale, si je puis m'exprimer ainsi, c'est-à-dire l'affection pour le lieu de naissance a déterminé partout l'institution.

Si l'on parcourt l'état général des fondations, l'on voit partout (page 782) instituer les parents du fondateur, et, à leur défaut, des jeunes gens de la commune. Vous voyez presque partout comme collateurs ou proviseurs les plus proches parents du fondateur ou des titulaires d'offices ci vils ou ecclésiastiques.

Pour bien faire connaître le caractère de ces fondations, je citerai quelques formules particulières, afin que la Chambre sache bien que si elle transfère l'administration des fondations au gouvernement, ce n'est pas l'université de Louvain, mais 781 familles qu'e le dépouillera.

Dans la province d'Anvers se trouve une fondation créée par l'es décrets impériaux de 1808 et du 10 mai 1810. Toutes les études sont l'objet de l'institution. La bourse sera accordée par préférence aux parents du fondateur : le bureau de bienfaisance de la commune de Borsbeek est collateur.

Je pourrais multiplier beaucoup ces citations, mais, mon désir étant de ne pas prolonger le débat, je me bornerai à deux ou trois. Tous les actes sont d'ailleurs à peu près les mêmes.

Je citerai à Bruxelles par exemple une fondation de De Bronchorst de 1629, ayant pour objet la rhétorique, la philosophie, le droit, la théologie et la médecine. Rente fr. 1,119-23. Institués les sept lignages ou familles patriciennes de Bruxelles. Collateur le bourgmestre de Bruxelles et le premier curé de l'église de Ste-Gudule en cette ville.

Dans la Flandre occidentale, se trouvent également plusieurs fondations dont la collation appartient à l'autorité administrative. Ainsi un de nos collègues, l'honorable M. de Breyne, bourgmestre de Dixmude, est de droit collateur d'une fondation dont le siège est dans la Flandre occidentale.

Les fondations ont-elles une affectation spéciale à tel ou tel établissement ?

Je rencontre par exemple, en parcourant ce document, des fondations qui sont établies au profit des étrangers, et dont les collateurs sont étrangers. Ainsi il y a, à Louvain, un collège dit d'Irlande. Je trouve parmi les fondateurs des Irlandais.

Parmi les collateurs reconnus par le gouvernement des Pays-Bas, je trouve l'archevêque de Dublin ; parmi les institués, des jeunes gens de la famille des fondateurs.

Une autre fondation est en faveur de jeunes gens du Brabant septentrional et de la Zélande, et tout cela, dans le compte que l'honorable M. Verhaegen a fait hier, est présenté comme existant dans l'intérêt unique de l'université de Louvain. C'est un pur roman.

La vérité est que c'est le compte rendu par province des fondations qui existent sans que la puissance de ces fondations soit affectée à un établissement déterminé.

J'ai eu l'honneur, messieurs, de faire, pendant quelques années, partie du comité des fondations, comité institué en 1818, confirmé par le gouvernement provisoire en 1831 et qui est consulté par le gouvernement sur toutes les questions litigieuses relatives aux fondations ; il s'est passé, à cette époque, un fait assez singulier et assez significatif. Il y avait à Liège une fondation intitulée : Couvent des jésuites anglais, et le gouvernement avait pris un arrêté relatif à cette fondation ; or il s'est trouvé que les jésuites anglais, reconnus par l'acte de fondation, n'étaient pas satisfaits de la décision du gouvernement, et que des démarches diplomatiques très actives ont été faites par la gouvernement britannique, dans l'intérêt des jésuites anglais, pour lesquels cette fondation constituait un droit de propriété.

Le gouvernement britannique soutenait que le gouvernement belge n’avait pas le droit de modifier ou d'organiser d'une autre manière la fondation des jésuites anglais, attendu qu'elle constituait un droit privé et il ajoutait que la reine était bien résolue à faire respecter ce droit. Ainsi l'honorable M. Frère ne risque pas seulement de nous brouiller avec 781 familles belges, mais il pourrait bien aussi nous attirer quelques embarras diplomatiques auxquels il n'a peut-être pas assez songé.

M. Frère-Orban. - Je ne les crains pas du tout.

M. Malou. - Messieurs, l'erreur de l'honorable membre me paraît provenir de ce qu'il considère les fondations de bourses comme ayant été l'objet de la mainmise nationale, comme ayant été réunies au domaine de l'Etat. Chose très remarquable, les fondations de bourses d'études et les biens affectés à ces fondations ont, seules, eu le privilège d'échapper en grand à l'immense désastre de 1792, elles seules y ont échappé légalement. Je ne dis pas qu'elles y ont échappé en fait ; au milieu d'un pareil désordre il est évident qu'une grande partie des propriétés devait périr et a péri en effet ; mais, chose très remarquable, la convention nationale elle-même a reconnu que c'était une propriété sacrée et à laquelle on ne pouvait pas toucher.

Ainsi, par la loi de 1790, on a ajourné tout ce qui concernait les séminaires-collèges, les collèges, les établissements d'études ou de retraite et tous établissements destinés à l'enseignement public.

En 1792, en ordonnant l'amortissement de toutes les corporations, on a encore réservé les biens des bourses d'études.

En 1975, même décision. Et quand la loi de messidor an V est arrivée, loi réparatrice, loi qui reconstituait les administrations de bienfaisance comme les administrations des bourses d'études, que dit cette loi ? Dit-elle qu'un va rendre les biens que la nation a saisis ? Nullement. Elle dit qu'elle conserve aux administrations des fondations de bourses d’études la jouissance de leurs biens. Elle reconnaît directement que même sous le régime de la Convention on n'avait pas nationalisé les biens des fondations de bourses d'études.

Ces principes ont donc été reconnus à toutes les époques et sanctionnés notamment par la jurisprudence. En effet, il y avait des communes qui devaient des rentes aux fondations et qui ont refusé de les payer. Les administrateurs des fondations ont attrait les communes en justice et par des arrêts passés en force de chose jugée, non pas une fois, mais plusieurs fois, les communes ont été condamnées à payer les rentes des fondations de bourse d'étude. Je cite notamment la ville de Diest. Elles ont été condamnées à les payer.

La cour d'appel de Bruxelles et la cour de cassation ont expressément décidé que jamais les biens des fondations n'avaient été nationalisés et qu'ils avaient constitué une propriété privée. Je citerai, par exemple, un arrêt rendu contre la ville de Diest (Jurisprudence du XIXème, 1848, pages 452 et suivantes), je n'en lirai pas le texte ; mais je précise la citation et je dirai toute l'heure la raison pour laquelle je précise afin que mes honorables adversaires puissent vérifier.

Je le répète, ces arrêts décident expressément que ces biens n'ont pas été nationalisés.

J'arrive à la période de l'administration du gouvernement des Pays-Bas ; et d'abord, je dois confesser à mon honorable adversaire un grave embarras que j'éprouve ; j'ai cherché dans la Pasinomie et dans les autres collections cet arrêté de 1814 dont l'honorable membre n'a pas eu soin d'indiquer la date précise, et j'avoue que je ne l'ai trouvé nulle part. J'ai même quelques raisons de croire qu'il n'existe pas ; car dans les annotations qui se trouvent mentionnées à l'énoncé de l'arrêté royal du 26 décembre 1818, qui est un arrêté très réel, on n'en parle pas.

Or, tout le monde sait que les jurisconsultes qui ont rédigé la Pasinomie ont toujours eu soin d'établir la concordance.

Il y a un arrêté de 1814 ; mais il se borne à déclarer que certains jeunes gens appartenant au territoire de la France ne doivent plus jouir désormais des bourses qui avaient été conférées ; toutefois, en usant de ménagements à leur égard et à l'égard de leurs parents.

Je déclare très sincèrement qu'après toutes mes recherches, je n'ai pas trouvé d'autre arrêté de 1814, et j'espère que l'honorable M. Frère voudra bien me donner la date de l'arrêté inédit qu'il a cité.

Messieurs, un autre arrêté cité par l'honorable membre, se trouve simplement analysé dans la Pasinomie ; cet arrêté est du 5 octobre 1816, relatif (d'après l'analyse) aux bourses dont les biens n'ont pas été aliénés et appelant les réclamations de ceux qui croient y avoir droit ; et nous n'avons pas besoin du texte, puisque l'analyse nous montre que le gouvernement de cette époque ne faisait autre chose qu'appeler les réclamations de ceux qui croyaient avoir droit aux bourses, c'est-à-dire que le gouvernement se bornait à tenir ce langage aux ayants droit : « Produisez vos titres, je ferai droit à vos réclamations d'après les titres que vous produirez et d'après les actes de fondation. »

Tel est le principe que nous verrons dominer dans toute la législation depuis 1815 jusqu'en 1847 exclusivement.

Viennent les arrêtés organiques de 1818, de 1823 et de 1829, et enfin une disposition du gouvernement provisoire qui a maintenu le système, en y ajoutant même quelques garanties pour l'administration financière des fondations.

Le seul principe consacré par les arrêtés que je viens de citer, c'est qu'on doit rechercher partout les actes de fondation, qu'on doit s'y conformer autant qu'il sera possible d'après les circonstances actuelles, que le droit des institués doit être respecté, que le droit d'administration et de collation ne pas doit être méconnu. A côté de ces principes, il y en a un autre plus important : l'administration, dans cette matière, ne juge que provisoirement et sauf recours aux tribunaux.

Tel est le principe dominant. Pouvait-on le poser sans reconnaître que c'était une propriété de famille qui avait pour garantie, en cas de contestation, les tribunaux ? Pouvait-on reconnaître d'une manière plus complète que ce n'était pas un droit administratif, mais un droit privé ? Et, messieurs, pareilles contestations ne sont pas sans exemple.

L'honorable M. Verhaegen disait hier entre autres erreurs, qui lui sont échappées sans doute dans l'improvisation, que le fils d'un grand seigneur de Bruxelles avait obtenu à l'universilé de Louvain une bourse de 600 francs à laquelle on avait ajouté 300 francs, parce qu'on ne savait que faire du revenu.

Si l'honorable membre avait voulu consulter le régime légal des fondations, il n'aurait rien trouve de surprenant au fait qu'il a cité ; ce sont des droits de famille qu'on revendique, qu'on exerce, comme étant le plus proche parent du fondateur. En parcourant plusieurs actes de fondation, il verra qu’on y dit que le collateur devra donner la bourse au plus proche parent du fondateur sans égard à sa position de fortune.

Il est à ma parfaite connaissance qu'une des familles les plus opulentes de Bruxelles a revendiqué devant le tribunal de Malines le droit de collation à une bourse et que le tribunal ayant décidé en sa faveur, le gouvernement lui a reconnu le droit de la donner à ceux de ses membres qui se livrent aux études déterminées dans l'acte de fondation.

J'ai beau lire et relire la proposition de l’honorable M. Frère, j'ai beau la mettre en regard de l'état réel des choses, j’avoue très humblement que je ne la comprends pas.

S'agit-il de donner au gouvernement le droit de collation ? C'est ce que le texte paraît indiquer : « En attendant la révision du régime des (page 785) fondations de bourses en faveur de l'instruction, le gouvernement conférera les bourses de cette nature ayant pour objet l'enseignement universitaire, après avoir entendu les administrations de ces fondations. »

Je demande s'il s'agit simplement de transférer au ministre de l'intérieur le droit de collation.

S'agit-il exclusivement de cela, la proposition ne signifie absolument rien, car si le ministre est tenu de se conformer aux actes de fondation, s'il est obligé de prendre un apprenti philosophe parmi les enfants de chœur d'Antoing, s'il doit respecter la volonté des fondateurs, qu'aurez-vous fait ? Vous aurez déshérité, au profit de l'Etat, ceux qui depuis quatre siècles disposent des fondations dans les vues libérales de leurs auteurs, vous aurez fait de cela une grande tontine dont le ministre dispose, mais vous n'aurez rien de plus.

Ce n'est pas tout, il y a une réticence. Vous voulez, je le suppose un instant, qu'on respecte les droits des institués. Ce n'est pas assez, il faut une troisième partie ; il faut dire que le droit ne sera pas respecté, que ceux qui jouiront des fondations se rendront aux universités de l'Etat ; car si les boursiers se rendent où ils veulent pour faire leurs études, vous n'avez rien fait.

Si un grand seigneur a institué une bourse par acte de fondation, le gouvernement doit-il la conférer à un membre de cette famille s'il la réclame ? S'il ne le fait pas, je demande quel respect il a pour la volonté du fondateur.

Je demande si ce n'est pas une véritable confiscation d'une propriété qui a été reconnue, respectée, même par la convention nationale. (Interruption.)

M. Frère-Orban. - Je vous démontrerai par vos actes quel a été votre respect.

M. Malou. - Je reviens sur cette considération que si on veut seulement conférer au gouvernement le droit de collation en l'obligeant à respecter les actes d'institution, on n'a rien fait ; on n'a rien fait encore si on ne déclare pas que les bourses conférées devront être données à des élèves des établissements de l'Etat. La proposition fait trop ou trop peu.

Mais, messieurs, en voyant la réalité des choses, je me demande encore comment le ministre pourrait exécuter la disposition si elle était votée par la Chambre. Je trouve dans les 781 fondations que la plus grande partie sont des fondations mixtes pour les humanités, la philosophie, la théologie et le droit combinés. Je prends une fondation au hasard, il y en a des centaines de même espèce ; les fondations pour la philosophie et la théologie sont-elles comprises dans la proposition ?

Les cours de philosophie se donnent aux universités de l'Etat, ce sont des bourses ayant pour objet l’enseignement universitaire, l'Etat ou plutôt le ministre pourrait-il, en vertu de cette disposition, mettre sa main - car l'Etat je ne le comprends pas, je l'ai expliqué dans une autre circonstance - sur toutes les fondations où il y a à la fois philosophie et théologie, ou fera-t-on une ventilation à l'amiable pour diviser les bourses qui comprennent à la fois la philosophie ou le droit et la théologie ?

La proposition n'a aucun caractère pratique. Elle est même inexécutable. Je crois superflu de démontrer qu'elle est inexécutable, après avoir démontré qu'elle est injuste.

Maintenant je résume en quelques mots ces observations. Le droit de fondation particulière a toujours été reconnu en Belgique. Les biens des fondations proprement dites n'ont jamais été nationalisés.

Le gouvernement a reconstitué les administrations des fondations en leur prescrivant de suivre en tous points la volonté des fondateurs. Ces fondations sont un patrimoine de famille géré conformément à la loi, sous le contrôle de l'autorité publique qui a pour garantie les tribunaux.

Les fondations ont leur siège dans les diverses provinces à moins de dispositions, contraires ; les boursiers ont le droit d'étudier où ils veulent ; par conséquent c'est une erreur de dire, comme M. Verhaegen, que parce qu'il y a 200 mille francs de bourses dans la province de Brabant, l'université de Louvain profite de ces bourses.

Pour revenir sur ce point, il y a une grande partie de ces bourses qui ont exclusivement pour objet l'étude de la théologie. Il y a certainement une faculté de théologie à l'université de Louvain.

Mais il existe aussi des facultés de théologie dans les grands séminaires, et une grande partie de ces bourses de théologie sont affectées aux séminaires.

L'honorable membre me paraît s'être mépris encore sur un autre point. Il me paraît évident à priori, sans entrer dans la discussion des faits, qu'il doit y avoir dans le chiffre qu'a cité l'honorable M. Verhaegen, une assez notable part qui est afférente à l'université de Bruxelles. Puisque les études sont libres et qu'on ne demande pas au boursier s'il va à Bruxelles ou à Louvain, il doit y avoir dans le chiffre que l'honorable M. Verhaegen met sur le compte de l'université de Louvain une assez forte partie qui tourne au profit de l'université de Bruxelles.

M. Verhaegen. - Rien du tout.

M. Malou. - Je vous demande pardon. Quel motif aurait, par exemple, le bourgmestre de Bruxelles, qui est président honoraire de l'université libre, lorsqu'un membre des sept lignages de Bruxelles se présente pour une des bourses de la fondation dont j'ai parlé tout à l'heure, quel motif aurait-il d'envoyer cet étudiant plutôt à l'université de Louvain qu'à l'université de Bruxelles ?

Il me paraît évident, je le répète, d'après la nature des fondations, qu'il doit y avoir dans ce que l'honorable M. Verhaegen met au passif de l'université de Louvain une grande partie qu'il faut mettre à l'actif de l'université de Bruxelles.

C'est, comme on le dit à côté de moi, le libre choix des étudiants.

Ainsi, on attribue à la province de Brabant un revenu d'autant, c'est-à-dire qu'il y a autant de fondations dont les comptes doivent être rendus à la députation permanente du Brabant, et les jeunes gens qui ont ces bourses peuvent aller étudier, comme l'a fait remarquer l'honorable M. Van Overloop, soit à Gand, soit à Bruxelles. Cela détruit complètement les calculs que l'honorable M. Verhaegen a présentés à la séance d'hier.

On disait encore hier : Le clergé confère la plupart des bourses. D'abord, je demande si les actes de fondation veulent que le clergé soit collateur ; allons-nous défaire les actes de fondation ? Mais en fait, il ne s'agit pas seulement, d'après la proposition de l'honorable M. Frère, de défaire ces actes de fondation, c'est-à-dire de destituer les curés. Il s'agit aussi en même temps de destituer les bourgmestres, les commissaires de district, les procureurs du roi, les bureaux de bienfaisance, tous ceux enfin qui ont le droit de collation reconnu par les actes de fondation et en vertu de ces actes par le gouvernement belge et parle gouvernement des Pays-Bas.

Messieurs, je ne dirai qu'un mot sur la seconde question que j'appellerai désormais, en présence de celle-ci, la plus petite question du débat.

Faut-il que l'Etat donne les bourses aux établissement», ou faut-il qu'il les donne aux jeunes gens ? Voilà les deux systèmes qui se trouvent en présence : l'un celui de la loi de 1835, l'autre celui de la loi de 1849.

Messieurs, les fondations, telles que je viens de les décrire tout à l'heure, ne sont pas faites en faveur d'établissements déterminés. On n'a pas voulu créer une sorte de « compelle intrare » à certains établissements. On n'a pas voulu chercher à fournir des élèves à des professeurs qui seraient dans le cas d'en manquer ; mais on a voulu que les jeunes gens qui ont une aptitude réelle pussent, par cette intervention, arriver aux carrières libérales.

Pourquoi l'Etat agirait-il autrement ? L'Etal emploie-t-il, doit il employer le budget pour fournir un peu plus d'élèves à tel ou tel établissement, pour en retirer quelques-uns à tel autre, ou doit-il avoir en vue de faire dans l'intérêt de la société, dans l'intérêt des familles qui manquent de ressources, que les facultés de certains jeunes gens ne soient pas perdues pour la société, que ces jeunes gens puissent faire leur chemin ? Le principe le plus juste, le principe le plus social, ce n'est pas de faire, comme je le disais, le « compelle intrare », mais c'est de donner aux jeunes gens qui ont le plus de mérite. Le principe le plus constitutionnel, c'est de respecter pour ces jeunes gens la liberté de puiser la science où ils veulent.

Ainsi, voyez dans quelle position vous pouvez placer certaines familles. Une famille habile Bruxelles. Elle ne peut obtenir aucune bourse de fondation. Elle ne pourra non plus obtenir une de vos petites bourses de 400 fr., si elle n'a pas le moyen d'envoyer le jeune homme soit à Liège, soit à Gand. Il faudra donc, en vertu de votre principe, que ce jeune homme ne fasse pas ses études. Et vous faites cela, pourquoi ? Pour que l'université de Bruxelles et l'université de Louvain aient quelques élèves de moins, et celles de Gand et de Liège quelques élèves de plus.

M. Frère-Orban. - Tous vos arguments sont vrais pour les athénées et pour les collèges de jésuites.

M. Malou. - Je suis charmé de l'interruption et je vais y répondre.

On dit : tous vos arguments sont vrais pour les athénées et pour les établissements de jésuites. Les jésuites viennent toujours là-dedans. (Interruption.)

Messieurs, il n'y a pas une vérité qui, poussée à ses dernières conséquences, ne soit une absurdité. Je prends un exemple dans votre loi. Qu'avons-nous discuté au commencement de ce débat ? S'il y avait un intérêt social suffisant pour créer un examen et un jury dans l'éventualité que des jeunes gens qui n'auraient pas fait assez de rhétorique vinssent perdre deux ou trois mois à l'université avant de savoir qu'il peut suivre les cours ; et l'on a voulu, pour cela, en vue d'un intérêt social, créer une classe d'élèves universitaires.

Eh bien, poussons le principe plus loin. Il est très mauvais que les jeunes gens commencent leurs études humanitaires avant d'avoir fait de bonnes études primaires. Instituez donc un jury d'examen pour veiller à ce que les jeunes gens ne commencent pas leur sixième avant d'avoir achevé leurs études primaires. Faites-les ensuite examiner pour savoir si, au sortir de la sixième, ils sont assez instruits pour passer en cinquième, de la cinquième à la quatrième et ainsi de suite. Voilà un principe absolu et un exemple pris dans la loi même.

Mais, messieurs, il y a, entre les trois enseignements, une différence très considérable au point de vue des encouragements, et voici cette différence. Elle est parfaitement expliquée par les faits que j'ai cités tout à l'heure. Pour l'enseignement moyen, les établissements de l’Etat et les établissements libres sont tellement répandus et l'instruction y est tellement économique, tellement à bon marché, que toutes les familles, même celles qui sont dans la condition la plus humble, peuvent (page 784) trouver en elles-mêmes les ressources nécessaires pour faire faire les études moyennes à leurs enfants dans les villes mêmes qu'elles habitent. Je crois qu'il y a à cela peu d'exceptions.

Mais il n'en est pas de même pour les études universitaires ; vous n'avez que quatre établissements, et il y a là une raison de différence qui est facile à saisir. De même si j'applique votre raisonnement extrême à l'instruction primaire, les cas sont tout à fait dissemblables. Il n'y a pas là le même intérêt. Mais je demande pourquoi, si l'Etat veut encourager les jeunes gens, leur permettre d'arriver à une condition sociale plus élevée, pourquoi crée-t-il, pour les habitants de Bruxelles et de Louvain l'impossibilité de jouir d'une bourse de l'Etat ? Car c'est là qu'on aboutit en réalité.

Messieurs, si les 6 à 700,000 fr. que figurent au budget pour les universités de l'Etat que l'on plaint tant, ne suffisent pas, augmentez-les. Mais ne venez pas au moyen d'un principe faux, d'un principe inconstitutionnel, créer une inégalité 1res réelle entre certaines jeunes gens en haine de certains établissements Car c'est tout le système de la loi de 1849.

Messieurs, j'ai peut-être usé un peu de l'attention de la Chambre, Je lui demande pardon d'être entré dans toutes ces explications. Mais il m'a semblé que la question de principe soulevée par l'amendement de l'honorable M. Frère était assez importante pour exiger quelques développements/

M. de La Coste. - Messieurs, le discours que vous venez d'entendre me dispense en grande partie de la tâche que j'avais voulu entreprendre. Je me bornerai donc, pour ne pas tomber dans des redites, à quelques observations sur la législation des Pays-Bas, qu'a invoquée l'honorable député de Liège.

J'ai été à tel égard aussi malheureux que l'honorable M. Malou. Je n'ai pu, malgré toutes mes recherches, découvrir l'arrêté de 1814, sur les fondations de bourses, probablement il s'est égaré avant d'arriver au Journal officiel, le bulletin des lois de cette époque. La fameuse loi qui attribue les bourses à trois universités, ne figure pas davantage au Journal officiel. C'est un simple arrêté, qualifié d'organique, mais qui n'avait revêtu d'aucun des caractères qui donnaient aux actes du gouvernement la force obligatoire. Et. messieurs, quand il en serait autrement, quand même ce serait véritablement une loi, ce qui n'est point, cette loi subsisterait-elle encore avec notre Constitution, avec les lois qui nous régissent aujourd'hui ?

Quel serait donc le caractère exceptionnel de cette loi, toujours subsistante, non pas dans son principe, mais dans ses restrictions ?

Messieurs, l'article qu'on invoque est ainsi conçu : « Les bourses provenant de quelques contrats ou dispositions testamentaires de particuliers… »

Je m'arrête un moment pour dire à l'honorable député qu'il se donne une peine inutile, s'il veut chercher cette prétendue loi dans le Bulletin officiel. Elle est insérée dans, la Pasinomie comme ayant été extraite d'un Mémorial administratif, je crois, de la province de Luxembourg. Preuve surabondante qu'elle n'était pas dans le Bulletin officiel.

M. Frère-Orban. - Je ne me donne pas la moindre peine pour la trouver. Je l'ai sous les yeux.

M. de La Coste. - L'article porte donc: « Les bourses provenant de quelques contrats ou dispositions testamentaires seront administrées, pour autant que cela peut se concilier avec l'organisation nouvelle, conformément aux contrats et dispositions des fondateurs et celles que l'on pourrait découvrir de nouveau seront rendues, sous les mêmes conditions, à leur destination.

« En conséquence, toutes ces bourses seront partagées entre les trois universités. »

Maintenant il y a là deux choses : un principe général et une restriction. Le principe, c'est d'administrer les fondations conformément aux contrats et dispositions des fondateurs.

Ce principe est soumis à une restriction qui naissait de l'organisation des universités comprise dans le même règlement, du régime de l'instruction publique, de la concentration de l'enseignement entre les mains de l'Etat.

Messieurs, je pense qu'il n'est pas contestable que quand un principe est posé, principe d'ailleurs fondé sur le droit, sur la nature des choses et que l'exception n'a plus de raison d'être, c'est le principe qui demeure et non pas l'exception.

Messieurs, cet arrêté, comme je viens de vous le dire, n'avait aucun caractère de publicité, aucun caractère qui pût l'élever au rang des lois. Lorsque le gouvernement des Pays-Bas, qui, par la loi fondamentale, était investie, en matière d'instruction, d'un très grand pouvoir, posait des actes auxquels il voulait donner un caractère obligatoire comme est celui des lois, on peut même dire, en cette matière, un caractère de loi, il employait une autre forme, il prenait une mesure générale d'administration publique rendue en conseil d'Etat, en vertu d'une disposition de la loi fondamentale.

Eh bien, messieurs, une de ces mesures générales d'administration publique rendues en conseil d’Etat, c'est l'arrêté du 26 décembre 1818. Dans cet acte vous ne trouvez plus de trace de la restriction transcrite ci-dessus, ou y pose les principes suivants :

D’abord, la jouissance des biens appartenant aux fondations de bonnes et aux collèges est reprise à l'administration des domaines et rendue autant que possible à ceux qui ont été nommés à cet effet dans les actes de fondation.

Voilà les administrateurs spéciaux ; suit la clause que les dispositions de ces actes seront autant que faire se pourra scrupuleusement observées dans tous les points, et que dans le cas où la volonté des fondateurs ne pourrait plus être suivie, en tout ou en partie, le ministre proposera les moyens d'y suppléer, qui devront toujours être analogues au but que les fondateurs se sont proposé.

Les contestations étaient renvoyées aux tribunaux, comme en matière de droits civils.

Les arrêtés des 4 mai et 5 juillet 1819 ordonnaient la liquidation des rentes dues aux fondations par les communes, décidant qu'on ne pourrait opposer la prescription aux fondations qui n'avaient pas d'administrateurs spéciaux et légitimes. Notez que l'on rangeait dans cette catégorie les fondations attribuées à l'université impériale ; elles étaient considérées comme des mineurs qui n'avaient pas été suffisamment représentés. Vous voyez, messieurs, que c'était ici une véritable restitution « in integrum ».

Ces dispositions, messieurs, furent complétées par l'arrêté du 2 décembre 1823, que l'honorable M. Fière a aussi invoqué ; et là, messieurs, je reconnais avec lui, qu'il se rencontre une restriction dépendante du système général qui régissait l’enseignement à cette époque ; on exige en effet que les boursiers justifient d'avoir étudié dans un établissement reconnu par le gouvernement. C'est la même objection qui se produit et elle trouve la même solution. C'était une exception résultant du régime de l’enseignement à cette époque, et qu'on ne peut plus invoquer sous l'empire de notre Constitution.

Ainsi, messieurs, l'exception étant écartée, la volonté des testateurs est la loi suprême. Or, l'amendement de l'honorable M. Frère si, comme le disait l’honorable M. Malou, il signifie quelque chose, remplacerait la volonté des testateurs par la volonté d'un ministre, comme si la liberté d'enseignement n'avait jamais été proclamée, comme si les établissements d'instruction avaient encore besoin d'être reconnus pour avoir le droit d'exister.

Voilà, messieurs, le peu de mots que j'ajouterai aux observations très judicieuses de l'honorable M. Malou. Je m'arrêterai là d'autant plus que je ne suis guère eu état de parler davantage aujourd'hui.

M. de Theux, rapporteur. - Messieurs, dans la séance d'hier les trois orateurs qui se sont succédé pour combattre le projet du gouvernement, ont traité la question à un double point de vue ; les deux honorables préopinants que vous venez d’entendre ont répondu d'une manière complète et irréfutable à tout ce qui a été dit en faveur de l'amendement de l'honorable M. Frère.

Apprécions d'abord, messieurs, la moralité du grand débat qui est soulevé, et ce mot de grand débat est ici parfaitement à sa place.

Que propose-t-on à la législature ? On propose aux membres de cette Chambre qui sont supposés prendre spécialement à cœur les intérêts de l'université de Gand, de l'université de Liège, de l'université libre de Bruxelles, une coalition contre l'université de Louvain.

On sait, messieurs, ce que ces coalitions numériques, en l'absence de tout principe de justice, peuvent amener de résultats fâcheux dans l'ordre public et dans la propriété privée, qui sont le fondement de. la société et de la civilisation.

L'université de Louvain, messieurs, est l'établissement riche qu'il s'agit de dépouiller ; les autres universités ont besoin de ses dépouilles. Voyez cependant: l'université de Louvain, elle vit exclusivement de dons volontaires, les universités de Gand et de Liège vivent exclusivement du budget de l'Etat et des budgets des communes, c'est-à-dire de contributions forcées, que payent ceux mêmes qui désireraient ne pas concourir au maintien de ces établissements.

L'université de Bruxelles est dans une position mixte, elle vit en partie de contributions volontaires et en partie de contributions forcées. Ainsi les habitants de la ville de Bruxelles, les habitants de la province qui ne sont pas sympathiques à l'université libre sont obligés de contribuer de leurs deniers au soutien de cet établissement.

El voilà ce qu'on appelle des établissements pauvres, qui ont besoin de dépouiller celui de Louvain ! Je le demande, messieurs, y a-t-il une apparence de justice dans une semblable proposition ?

Le gouvernement même est venu en aide à l'université de Bruxelles lorsqu’il a fait passer une loi qui conférait une rente de 300,000 francs à la ville de Bruxelles, pour qu'elle pût restaurer ses finances, et faire face à toutes ses dépenses, même à celles qui n'ont pas un caractère communal, comme le subside qu'elle accorde à l'université de Bruxelles.

Qui donc, messieurs, a eu tort dans cette circonstance ? Sont-ce ceux qui ont demandé simplement l'égalité de participation aux bourses fondées aux frais du trésor, ou ceux qui veulent non seulement une affectation, par privilège, de ces bourses à deux villes, mais qui veulent encore dépouiller, spolier les anciennes fondations pour attribuer leurs bourses, forcément, d'une manière indirecte, à trois établissements eu vue desquels elles n'ont jamais été créées ?

Indépendamment, messieurs, de ces avantages d'argent dont jouissent les établissements qu'on met ici en rivalité avec Louvain, il est à remarquer qu'il existe pour ces trois établissements un avantage de position qui est immense, principalement au point de vue de la question que nous discutons, c'est que ces établissements ont leur siège dans de très grandes villes où les études universitaires sont en faveur, taudis que l'université de Louvain se trouve dans une ville d'un ordre beaucoup inférieur et qui fournit beaucoup moins d'élèves.

(page 785) Or, messieurs, quelle est la conséquence pratique de ce siège des établissements ? C'est que dans les grandes villes un grand nombre de jeunes gens suivant les cours universitaires n'ont aucunement besoin de bourses puisqu'ils étudient à domicile et qu'ils n'ont à payer que leurs frais d'inscription, tandis que ceux qui se rendent à Louvain doivent supporter des dépenses très considérables.

Vous voyez donc, messieurs, que toutes les considérations se réunissent pour écraser, au point de vue de la moralité, la coalition que l'on veut provoquer dans cette enceinte.

Il est encore, messieurs, une autre considération morale d'un grand poids, c'est qu'on ne doit pas perdre de vue que l'ancienne université de Louvain, en faveur de laquelle les fondations ont été créées, était un établissement religieux, placé sous l'autorité du saint-siége, et que la plupart des fondateurs appartenaient au clergé ; l'intention de ces fondateurs était, évidemment, que les études scientifiques fussent au moins en harmonie avec les sentiments religieux dont ils étaient animés Certainement, messieurs, aujourd'hui Louvain ne peut plus revendiquer la propriété de ces bourses, mais laissez au moins à ces fondations leurs collateurs légaux et laissez aux jeunes gens pourvus de bourses la faculté d'étudier à Louvain, s'ils le préfèrent soit à cause de leurs convictions religieuses, soit à cause d'autres convenances.

Le gouvernement français avait supprimé les fondations de bourses et les avait réunies au domaine de l'Etat ; mais, revenant bientôt sur cette disposition, il les a rétablies. Il a reconnu que les besoins de la société exigeaient le rétablissement de ces fondations de bourses, au même titre qu'ils exigeaient le rétablissement des fondations de bienfaisance. Le décret spécial de 1811, reconnaît les droits principaux des fondations. Il porte :

« Art. 172. Lorsque les fondations auront été faites à condition que les bourses soient à la nomination des fondateurs, ou qu'elles seraient données de préférence dans leur famille, ces dispositions seront maintenues et le grand maître les fera observer.

« Art 173. Lorsque les fondations auront été faites en faveur d'enfants originaires d'une ville ou d'une contrée déterminée, elles ne pourront être données à d'autres qu'à défaut de sujets de la qualité de ceux indiqués par les titres.

« Art. 174. Lorsqu'il vaquera des bourses de l'espèce de celles désignées à l’article précédent, ou dont la fondation ne serait faite en faveur d'aucune personne ou d'aucun lieu déterminé et dont les fondateurs ne se seront pas réservé la nomination ou n'auront pas laissé d'héritiers de leurs droits, elles seront données par nous sur la présentation qui nous sera faite de trois sujets par notre ministre de l'intérieur, sur l'avis du grand-maître, lesquels seront pris de préférence parmi ceux qui prouveraient qu'il appartenait à leur famille des bourses fondées dans des universités, académies ou collèges supprimés, dont les dotations sont perdues pour ces familles. »

Ainsi, messieurs, d'abord le décret maintient l'affectation des bourses soit à la famille soit à la localité. Il maintient, en outre, le droit de collation au profit des fondateurs, au profit de leurs représentants. Eh bien, messieurs, lorsque le fondateur avait déterminé la catégorie de personnes parmi lesquelles les collateurs seraient choisis dans l'avenir, cette condition doit également être remplie. C'est ainsi que le roi Guillaume a interprété le décret de 1811 et de là sont nés les arrêtés de 1818 et de 1823 sur les bourses qui reconstituaient les administrations les bourses et les fonctions de collateurs.

C'est donc une question légalement décidée et sur laquelle il est impossible de revenir, à moins qu'en l'an de liberté 1857 on n'adopte des dispositions arbitraires et que le gouvernement impérial et le gouvernement des Pays-Bas, contre lesquels nous avons élevé tant de griefs, ne soient aujourd'hui reconnus avoir été plus justes que nous ne le serions.

Le gouvernement des Pays-Bas a créé trois universités, notamment l'université de Louvain ; il a décrété que les boursiers seraient libres de fréquenter l'un ou l'autre de ces établissements. En effet, il n'y avait pas de motif de faire une distinction : c'étaient trois simples établissements d'enseignement supérieur, en dehors du principe religieux qui avait concouru à la fondation de l'ancienne université de Louvain.

La révolution de 1830 a créé une situation nouvelle ; elle a proclamé la liberté d'enseignement ; des trois universités de l'Etat, deux ont été maintenues ; celle de Louvain a été supprimée et remplacée par une université libre. Bruxelles a été doté d'une université libre. En vertu du principe de la liberté d'enseignement décrété par la Constitution, les boursiers ont été libres de faire leurs études dans les universités libres tout aussi bien que dans les universités de l'Etat. Il y a plus : les boursiers ont été libres de faire des études à l'étranger et de faire des études privées.

En voulez-vous une preuve qui ne sera pas suspectée parmi les partisans de la proposition de l'honorable M. Frère ? Je citerai l'autorité de l’honorable M. Rogier.

Dans une circulaire du 13 mars 1833, c'est-à-dire trois ans après la promulgation de la Constitution, alors que le sens de la Constitution ne pouvait être méconnu de personne, dans cette circulaire l'honorable membre décide que les boursiers peuvent faire des études privées, s'ils le jugent à propos, tout comme ils peuvent fréquenter les établissement soutenus aux frais du trésor, tout comme ils peuvent aller étudier l'étranger.

Voilà la véritable interprétation.

Qu'on ne vienne donc pas ici invoquer, à l'appui de la proposition de l'honorable M. Frère, le régime du royaume des Pays-Bas qui n'admettait pas la liberté d'enseignement.

Messieurs, on vous a parlé d'un arrêté du 7 novembre 1814 ; il existe, en effet, un arrêté de cette date ; que décide-t-il ? Que les biens celés au domaine et que le domaine pourra récupérer, pourront être affectés à des bourses d'instruction publique, au profit des établissements qui pourront être créés. Mais l'honorable membre ne peut tirer aucune conclusion logique de ce fait. Cet arrêté du 7 novembre 1814 est-il relatif aux fondations qui étaient reconnues ou qui sont rétablies ? En aucune manière ; c'est une dotation nouvelle qu'on crée en faveur de l'instruction publique et provenant de biens nationaux celés.

On invoque la disposition du gouvernement des Pays-Bas qui exigeait que les boursiers fréquentassent les établissements de l'Etat ; mais alors comment peut-on concilier ces arrêtés avec la liberté d'enseignement proclamée par la Constitution et que l'honorable M. Rogier a reconnue en termes si précis et sans restriction aucune ?

La Constitution a été appliquée jusqu'à ce jour de la même manière, et ce serait après 26 ans, au moment où nous venons de célébrer la fidélité avec laquelle la Constitution a été observée, que nous viendrions en décréter la violation dans une matière aussi importante, violation qui entraînerait en même temps la violation de la propriété privée, base de la civilisation !

L'honorable M. Verhaegen nous disait hier : « Je suis sympathique aux universités de l'Etat ; elles sont les alliées naturelles de l'université libre de Bruxelles. »

Elles sont les alliées de l'université de Bruxelles... Oui, si vous l'entendez en ce sens qu'elles vivent, comme l'université de Bruxelles, en grande partie, aux frais des contribuables, qui sont obligés d'en solder les dépenses, quelle que soit leur opinion, alors même que cela leur serait éminemment antipathique.

Elles sont les alliées de l'université de Bruxelles... Oui, elles le seraient, si certaines doctrines que j'ai entendu professer dans cette Chambre et au-dehors pouvaient être admises, soit par le gouvernement, soit par les universités de l'Etat, doctrines qui conduisent à cette conséquence : l'Etat solde les dépenses des universités de l'Etat ; la direction morale de ces établissements lui échappe.

Elles seraient les alliées de l'université libre de Bruxelles, si, ce qu'à Dieu ne plaise, il s'établissait entre les trois établissements une intimité d'opinion qui serait peu sympathique à celle de la majorité du pays.

Et de ce que nos sympathies ne sont pas acquises à un établissement dont les opinions ne sont pas celles que nous professons, qu'on ne conclue pas que nous voudrions directement ou indirectement apporter le moindre trouble à la libre existence de cet établissement.

Telle n'est pas notre pensée ; nous l'avons déjà déclaré dans une autre matière, en matière de cultes. Le culte n'admet pas deux opinions conciliables ; le culte est vrai ou il ne l'est pas ; eh bien, en cette matière, nous avons proposé des allocations pour le culte anglican qui est professé par des étrangers ; nous votons des subsides pour le culte israélite. Est-ce à dire que nos convictions sont acquises au culte israélite ou au culte anglican ?

De la même manière, nous ne nous opposons nullement à ce que les élèves d'un établissement, dût-il être diamétralement opposé aux doctrines qui sont les nôtres, profitent des bourses fondées par l'Etat ; et pourquoi ? Parce que nous n'avons qu'une chose à demander : Les boursiers font-ils des études distinguées ? Nous n'avons pas à nous inquiéter de leurs opinions religieuses et philosophiques ; nous n’avons à nous préoccuper que de ceci : font-ils de bonnes études en philosophie, en sciences, en droit ou en médecine ?

Le reste ne nous regarde pas.

Messieurs, les observations de l'honorable M. Verhaegen m'amènent à communiquer à la Chambre des réflexions que j'ai faites depuis longtemps. Depuis 1830, les questions d’enseignement reviennent fréquemment dans cette enceinte.

Pourquoi ? Parce qu'on a peine à admettre franchement, sincèrement, le principe de liberté proclamé par la Constitution, parce qu'on cherche constamment d'une manière quelconque, tantôt aux frais du trésor, tantôt au moyen de complications d'examens, à entraver les libres résultats du notre Constitution.

Cependant, qu'on ne l'oublie pas, la liberté de l'enseignement en Belgique est collatérale à la liberté des cultes, l'une et l'autre s'élèvent à la même hauteur : la liberté d'enseignement, quant à son importance aux yeux du pays, est presque l'égale de la liberté des cultes.

Dans beaucoup de pays, la question de l'enseignement devient un véritable embarras pour le gouvernement.

Si on n'entre pas franchement dans les principes de la liberté, il en sera de même chez nous ; et ces embarras, que provoqueront-ils ? Une lutte ardente entre les défenseurs de la liberté et ceux qui veulent d'une manière quelconque en altérer les résultats. Si d'un côté on se propose de porter atteinte à la liberté, de l'autre côté, n'en doutez pas, (page 786) il se trouvera des défenseurs de la liberté qui prendront la résolution de refuser des subsides pour un enseignement qui devrait tendre à son oppression.

Le gouvernement, vous a-t-on dit dans la séance d'hier, est le protecteur né des établissements de l’Etat ; on s'étonne que M. le ministre de l'intérieur soit venu proposer aux Chambres le retour à la législation de 1835, qui admet au partage des bourses les jeunes gens les plus méritants, sans distinction du lieu où ils font leurs études. Le ministre de l'intérieur est sans doute le protecteur-né des établissements de l'Etat, en ce qui est juste, en ce qui conduit au bien des études dans le but de les maintenir à la hauteur qu'elles doivent avoir dans l'intérêt du pays, et non pour faire l'office d'un méchant boutiquier qui, par de mauvaises manœuvres, attire les chalands.

Telle n'est pas la mission du ministre de l'intérieur ; s'il est le protecteur de l'enseignement aux frais de l'Etat, il est aussi, de par la Constitution, le défenseur de l'enseignement libre. Il a dans la société une seule mission à remplir ; c'est de faire en sorte, s'il en est besoin, que l'enseignement public comble la lacune que l'enseignement libre ou privé pourrait laisser ; qu'il comble cette lacune d'une manière large ; soit, mais qu'on ne vienne pas instiguer le ministre à négliger les intérêts de la science, du service de l'Etat, pour procurer quelques chalands à ses établissements.

L'université de Louvain, dit-on, a beaucoup de bourses, donc nous devons en attribuer la collation au ministre de l'intérieur pour qu'il en fasse la répartition entre les quatre universités.

Remarquez que dans cette répartition les études privées sont encore exclues. Mais à quel titre le ministre ferait-il cette répartition ? Qui lui a donné cette mission ? Sont-ce les fondateurs de bourses ? En aucune manière. Que le ministre fasse exécuter la Constitution et les lois, que les boursiers soient libres de fréquenter l'établissement qui leur convient le mieux, que les fondations soient fidèlement administrées, là se borne son droit de tutelle. On ne peut pas aller plus loin, sans usurpation de pouvoir. Il y a beaucoup de boursiers à Louvain ! Voyez, messieurs, combien la passion est aveugle.

Quelle identité y a-t-il entre les boursiers de l'université de Louvain et les boursiers de l'Etat ? Aucune. Les bourses de l'université de Louvain sont affectées à des localités ou à des familles, elles ne sont pas fondées sur le mérite extraordinaire des élèves ; s'il se trouve à Louvain des étudiants de grand mérite dépourvus de fortune, n'ayant droit à aucune bourse de famille ou de localité, ils ne pourront obtenir débourses de l'Etat, tandis que des élèves d'un mérite ordinaire des universités de Gand ou de Liège en obtiendront de 400 fr. Y a-t-il là un motif d'intérêt général ? Loin de là ; c'est un motif contraire qui doit dicter le vote de la Chambre.

La Chambre ne doit allouer de bourses qu'à des élèves d'un mérite supérieur, sans distinction de la manière dont les études se font et où elles se font. Telle est la manière large dont la loi de 1835 avait envisagé la question.

On a dit que de 1835 à 1847, les bourses, cependant, avaient été distribuées avec partialité. J'ai eu une part dans cette administration ; je repousse de toutes mes forces cette accusation de partialité ; elle ne peut m'atteindre, pas plus que les autres membres qui ont occupé le ministère sous l'empire de la même loi.

En effet, comment se faisaient les collations ? Sur l'avis du jury ; le gouvernement ne pouvait pas les accorder sans s'être assuré d'une part, du défaut de fortune, d'autre part, de l'aptitude extraordinaire à l'étude.

Mais, messieurs, indépendamment du grand nombre d'élèves de l'université de Louvain, il faut encore ici replacer cette considération que je faisais valoir tantôt, c'est que le siège des autres universités se trouve dans de grandes villes, fournissant beaucoup d'élèves pouvant étudier sans déplacement, qui ne sont pas sous ce rapport dans une condition aussi défavorable que ceux qui vont étudier à Louvain ; remarquez que je n'ai pas l'intention de dire que les études se font mal dans ces établissements, que c'est à ce titre qu'on leur a accordé moins de bourses qu'à l'université de Louvain ; je fais valoir cette considération fort simple qui n'a rien d'offensant pour personne, que les élèves des établissements libres dans de grands centres de population font leurs études à domicile et n'ont pas besoin de bourses.

Eh bien, à quel titre maintiendrait-on dans la loi actuelle soixante bourses affectées exclusivement aux universités de l'Etat ? Quand en 1835, après plusieurs années d'interruption des études universitaires à la suite de la révolution, les carrières libérales n'étaient pas encombrées, on a cru devoir accorder soixante bourses, non à des universités, mais à l'enseignement en général.

Et cette observation se justifie par ce que M. le ministre de l'intérieur a dit hier. On a dû dans la loi de 1849 effacer les mots : « Qui annoncent une aptitude extraordinaire à l'étude », et cela de crainte de ne pas pouvoir conférer toutes les bourses.

M. de Man d'Attenrode. - C'est cela.

M. de Theux. - On a craint qu'il n'y eût pas, dans les deux universités de l'Etat, soixante jeunes gens dénués de fortune, ayant une aptitude extraordinaire à l'étude.

Qu'a-t-on fait ? On s'est dit : donnons-leur toujours les soixante bourses ; cela aura pour effet d'y attirer plus de monde, plus d'aspirants aux bourses ; puis nous les donnerons à des étudiants qui ne manquent pas de mérite sans doute, mais, pour lesquels la société n'est évidemment pas obligée de faire des sacrifices,

Eh bien, je dis que cette manière de procéder a produit de mauvais résultats, qu'elle est contraire aux intérêts de la science et qu'elle n'est digne ni du gouvernement ni de la législature.

M. Frère-Orban. - Messieurs, je suis assurément un partisan convaincu et loyal de la liberté de l'enseignement : toutes les propositions que j'ai eu l'occasion de faire dans cette Chambre, toutes les opinions que j'y ai exprimées, attestent, à cet égard, la sincérité de mes convictions.

L'honorable M. de Theux semble pourtant revendiquer pour lui et ses amis le privilège exclusif d'être les défenseurs de la liberté de l’enseignement. Je ne puis pas concéder à l'honorable membre l'avantage de la position qu'il veut prendre. Je reconnais qu’il a été, qu’il est et qu'il continuera d'être le défendeur de l'université catholique.

M. de Theux. - J'ai ce droit-là.

M. Frère-Orban. - Sans doute ; mais c'est précisément ce qui établit la différence entre les véritables défenseurs de la liberté d'enseignement et les défenseurs de tel établissement déterminé.

M. de Theux. - Pas exclusivement. (Interruption.)

M. Frère-Orban. - L'honorable M. de Theux, dans les mesures qu'il a prises, soit qu'il ait agi directement ou indirectement, a certainement bien plus favorisé l'université de Louvain que tout autre établissement d'instruction du pays. Je ne pense pas que cela puisse être contesté.

M. de Theux. - Que j'aie plus de sympathie pour l'université de Louvain, cela est vrai ; mais que j'aie été injuste, c'est ce qui n'est pas.

M. Frère-Orban. - Injuste, c'est tout autre chose ! vous avez cru être très juste en vous abandonnant à vos sympathies. Vous avez été très convaincu que vous étiez parfaitement juste, comme la majorité d'autrefois était bien convaincue qu'elle était juste aussi quand elle faisait des choix d'une partialité révoltante, ainsi que le reconnaissait l'honorable M. Vilain XIIII, en faveur de l'université catholique.

En agissant ainsi, la majorité d'autrefois n'avouait pas non plus qu'elle fût injuste, partiale, violente ; qu'elle voulait détruire les autres établissements d'instruction, en faisant prédominer l'influence d'une institution dans les jurys.

Eh bien, c'est de la même façon qu'on est juste aussi quand la même question se présente à l'égard de tout autre établissement d'instruction. Et, messieurs, nous en avons une preuve dans la discussion actuelle.

Je pouvais me borner à faire une seule chose ; je pouvais me borner à sommer M. le ministre de l'intérieur d'exécuter la loi ou de venir en demander l'abrogation.

M. Malou. - Quelle loi ?

M. Frère-Orban. - La loi qui est votre titre, que vous invoquez, qui déclare qu'on ne peut admettre valablement en compte que les pièces produites par les boursiers et constatant qu'ils font leurs études dans les universités de l'Etat. Voilà la loi.

M. Malou. - De quelle date ?

M. Frère-Orban. - De 1825.

M. Dumortier. - La liberté existait alors.

M. Frère-Orban. - Nous y viendrons tout à l'heure. Je pouvais donc, je le répète, me borner à sommer M. le ministre de l'intérieur de faire exécuter la loi. Au lieu de cela, qu'est-ce que je viens proposer ?

M. Dumortier. - Je demande la parole. (Interruption.)

M. Frère-Orban. - Je viens proposer de laisser au gouvernement le soin de conférer équitablement les bourses de fondation ; c'est-à-dire d'y appeler tout le monde, les établissements libres, les établissements de l'Etat, tous les Belges indistinctement.

Et voici que nos grands partisans de la liberté d'enseignement, voici que ceux qui ne veulent, disent-ils, aucun privilège, mais qui tiennent assurément à conserver ce qu'ils possèdent illégitimement, déclarent cette fois que ce serait une indigne spoliation d'oser répartir avec justice les bourses de fondation, d'oser empêcher qu'on emploie des moyens artificieux pour les détourner au profit d'une seule institution. C'est un abus qui aurait cessé si les projets de la commission des fondations avaient été convertis en loi.

Messieurs, l'honorable M. Malou vous disait tout à l'heure, à ce propos, que j'avais, bien à tort, accusé le gouvernement de n'avoir point produit les documents relatifs aux fondations d'instruction. Il a fait remarquer aussi que, dès 1850, la commission avait adressé ses propositions, ses procès-verbaux au cabinet dont je faisais partie. Mais l'honorable M. Malou n'a point répondu à l'observation que j'ai faite à ce sujet.

M. Malou. - C'est que je n'aurai pas compris.

M. Frère-Orban. - Vous comprenez cependant très bien, en général ; mais il est quelquefois plus commode de comprendre mal.

Voici : j'ai fait observer que la même commission avait été instituée pour s'occuper du projet de loi sur les fondations d'instruction et sur les fondations charitables. Lorsque la commission eut renvoyé son travail au gouvernement, le gouvernement a fait élaborer des projets ; ils existent ; l'administration dont j'ai en l'honneur de faire partie aurait présenté un travail d'ensemble sur toutes ces fondations, le projet a été préparé ; ce que j'ai dit, c'est que, depuis lors, on a éliminé tout ce qui est relatif aux fondations d'instruction où les abus sont manifestes, pour ne plus s'occuper que d'un objet qu'on avait principalement eu vue, les fondations charitables.

(page 787) Oh ! dit l'honorable M. Malou, si l'on n'a pas donné suite aux propositions de la commission, c'est que celle-ci était en dissentiment avec le cabinet libéral.

Mais, messieurs, sur la question des fondations d'instruction, que proposait donc cette commission ? Elle proposait de décider que, dans un délai de cinq ans, à partir de la publication de la loi, la gestion des biens de toutes les fondations d'instruction instituées en personnes civiles distinctes, serait, par arrêté royal, remise aux administrations constituées par les articles premier et 2 de son projet et que les arrêtés du 26 décembre 1818 et du 22 septembre 1823 continueraient à les régir jusqu'au jour de cette remise.

On faisait donc disparaître toutes ces administrations particulières que nous avons aujourd'hui. On admettait précisément le principe contre lequel vous vous indignez en ce moment. Toutes les administrations spéciales auraient disparu pour être confondues dans les administrations provinciales nouvelles, organisées suivant la proposition de la commission.

Ainsi, il n'y avait pas de dissentiment à cet égard entre la commission dont a parlé l'honorable M. Malou et nous. Nous reconnaissions les uns et les autres le même principe et c'est ce principe que j'invoque en ce moment.

Que disait la commission ? Que rien ne s'opposait à la constitution à l'organisation de nouvelles administrations pour les fondations d'instruction.

En effet, messieurs, quel obstacle légal y a-t-il à ce que l'on organise des administrations pour des fondations de ce genre ? Les biens ont été nationalisés. (Interruption.) Ils ne l'eussent pas été, ce serait la même chose. L'honorable M. Malou prétend qu'ils n'ont pas été nationalisés. Mais l'honorable M. de Theux reconnaît qu'ils l'ont été et que la preuve de leur nationalisation résulte de la loi du 23 messidor an V, qui les rétablit. Mais, je le répète, cette question est, à mes yeux, indifférente, parce que, nationalisées ou non, les fondations de ce genre constituant des établissements publics, des biens de mainmorte, peuvent toujours être réglées par la loi, qu'elles l'ont été dans tous les temps, sous les gouvernements différents, sous l'ancien régime comme sous le régime moderne, et que par conséquent on ne peut sérieusement contester le pouvoir de régler l'administration de ces sortes de biens.

Messieurs, nous avons, dans ce qui s'est passé spécialement à l'égard des bourses, la preuve la plus manifeste que rien ne fait obstacle à des mesures analogues à celles que je propose.

Qu'a fait la loi de messidor an V, cette loi réparatrice, cette loi en vertu de laquelle les bourses subsistent ? Mais elle en a remis l'administration aux commissions des hospices et aux bureaux de bienfaisance, et ces commissions les ont administrées jusqu'en 1818. En 1818, le gouvernement des Pays-Bas par un simple arrêté (ce n'est pas une loi) a changé le mode d'administration, a enlevé la gestion aux hospices et aux bureaux de bienfaisance pour reconstituer d'une manière aussi analogue que possible les administrations anciennes. Mais s'il l'a fait, il pouvait s'en dispenser. Il pouvait continuer à les laisser dans les mains des hospices. Il pouvait organiser d'autres administrations de la même manière ; et nous n'avons pas perdu le droit, je présume, de régler par des lois ce que le roi Guillaume a réglé par arrêté royal.

Mais, messieurs, est ce que vous vous imaginez que jamais même administrativement on ait été arrêté par les grands mots et les scrupules que l'on invoque aujourd'hui ? Lorsque certaines administrations de bourses ne font pas ce que désirent certain parti, est-ce que vous croyez qu'où a plus d'égards pour elles ?

Il existe, par exemple, une fondation d'instruction dans la commune de Rochefort. Sous prétexte de la rétablir, en 1838, et de faire quelque chose d'analogue à ce qui se trouvait indiqué dans l'acte constitutif, on a constitué une administration dans laquelle se trouvaient le doyen de l'endroit et des curés des communes voisines, par cette raison que le fondateur avait appelé comme administrateurs des chefs d'institutions ecclésiastiques qui existaient autrefois dans celle localité.

En réalité donc, on mettait toute l'administration aux mains du doyen.

Usant de cette fondation, on en appliquait, pour le plus grand intérêt de l'instruction, une bonne partie à un couvent... un pensionnat qui se trouve dans la localité. Puis on essaya d'introduire les frères de la doctrine chrétienne dans la commune et de les faire profiter également du bénéfice de la fondation.

En vain, les conseillers communaux, les autorités publiques ont réclamé contre tous ces actes, demandant à jouir du bénéfice de cette fondation qui avait été faite dans l'intérêt des familles de Rochefort. Il a fallu attendre que l'opinion libérale vint au pouvoir pour que l'administration de cette fondation fût enfin régularisée d'une manière conforme à la loi.

Les revenus ont été appliqués en partie à l'instruction primaire ; une autre partie était destinée à être distribuée en bourses.

L'administration nouvelle a voulu les employer conformément à la volonté du fondateur, mais non précisément conformément aux intentions d'une opinion influente dans ces sortes d'affaires. Et qu'est-il arrivé ? Que l'on a cherché le moyen de changer la majorité dans l'administration de la fondation, afin de faire employer les fonds d'une ma mère qui était réprouvée par 1 administration locale. Et le gouvernement se prête à ces choses-là. Il ne voit à cela aucune espèce de difficulté. Il faut servir les desseins du parti !

Ce n'est pas un acte isolé, messieurs ; il y en a d'autres. Il existe quelque part dans le Hainaut une fondation qui était gérée par certains membres de la famille.

Je crois qu'ils étaient mal pensants. lis se prévalurent de certaines dispositions du testament pour refuser de se soumettre aux prescriptions des arrêtés de 1818 et de 1823. Que fit l'honorable M. d'Anethan, un très grand défenseur de la famille, de la propriété et sans doute aussi de la liberté ?

Mais il destitua ces administrateurs el il en nomma d'autres. Les membres de la famille se pourvurent devant les tribunaux. C'est le tribunal de Tournai qui connut de l'affaire, et, présidé par M. Dubus, il a condamné la prétention des membres de la famille ; il a maintenu la disposition qui avait été prise par le gouvernement.

En vertu de quel principe avait agi le gouvernement, si ce n'est en vertu du principe que j'invoque ? Je ne parle pas de l'usage que l'on en a fait, mais de droit.

On s'est pourvu en appel contre ce jugement et la cour de Bruxelles, sous la présidence de M. Corbisier de Méaultsart, a dit quels étaient les véritables principes en matière de fondation de bourses :

« Attendu que, dans tous les temps, de pareilles fondations, basées sur un titre très ancien produit, ou dont l'existence n'est pas contestée, ont été considérées comme des établissements de mainmorte ; qu'à ce titre, et à titre également d'institution de bourses pour les études, la fondation de Hautport se trouvait soumise, comme toutes les autres de même nature, à l'intervention el à la surveillance du gouvernement.

« Attendu que cette action tutélaire de l'Etat, qui était un des attributs du gouvernement sous les régimes précédents, formait également une de ses prérogatives et un de ses devoirs sous le régime de, la loi fondamentale des Pays-Bas, dont les art. 226 et 228 portaient que l'instruction publique, les administrations de bienfaisance et l'éducation des pauvres étaient envisagées comme, un objet constant des soins du gouvernement.

« Attendu que le roi Guillaume, en portant les arrêtés de 1818 et 1823, qui n'avaient d'autre but que de réaliser cette pensée et de tracer les règles à suivre pour la nomination et le remplacement des proviseurs el collateurs de fondations de bourses, leur administration el leur collation, n'a fait qu'user d'un droit constitutionnel eu harmonie avec nos lois et nos traditions nationales ; que ces arrêtés sont donc à l'abri de tout reproche d'illégalité ;

« Attendu que la fondation de Hautport, d'après sa nature, telle qu'elle a été décrite plus haut, et d'après son but et sa destination, tombait sous l'application desdits arrêtes ;

« Qu'il importe peu que les bourses qui en font l'objet n'aient pas été annexées à une université spéciale ou à un collège ; qu'en effet: 1° le silence du testament ne pouvait affranchir les gratifiés de l'obligation imposée aux Belges par les lois existantes de suivre le cours de philosophie à l'université de Louvain, ni de la défense qu'elles contenaient de faire leurs études à l'étranger (Sohet, liv. 1, lit. 21) ; 2° en fait, ces bourses ont été servies à l'université de Louvain, ainsi qu'il résulte d'un compte fourni en 1784, d'après les ordres du gouvernement autrichien, par les collateurs de la fondation, compte dans lequel figurent ces bourses et qui est déposé aux archives de l'Etat ; les arrêtes de 1818 et de 1823, non plus que le règlement organique de renseignement, du 25 septembre 1816, ne font aucune distinction entre les différentes espèces de fondations de bourses : toutes sont comprises dans la généralité de leurs termes, les mêmes motifs de surveillance et de haute tutelle s'appliquent aux unes comme aux autres, alors surtout que, comme dans l'espèce, les bourses peuvent devenir le partage de jeunes gens pauvres ;

« Attendu qu'on invoque en vain la partie filiale du testament, par laquelle le fondateur déclare que les administrateurs ne devront rendre compte à personne de leur gestion ;

« Attendu que la fondation dont il s'agit, étant, comme il a été dit plus haut, de celles sur lesquelles l'Etat n'a jamais perdu son droit d'intervention et de tutelle, on ne saurait admettre comme valable et pouvant produire un effet utile et sérieux une clause qui viendrait paralyser ce droit et transformer de simples administrateurs de mainmorte en juges absolus et en dispensateurs sans contrôle des biens et des revenus qui, de par de la loi et de par la volonté du fondateur, devaient demeurer exclusivement affectés aux services d'intérêt public et de bienfaisance ;

« Attendu qu'une semblable dispense de rendre à tout jamais compte établirait, dans le chef de simples administrateurs de la chose d'autrui, une indépendance qu'ont toujours repoussée les véritables principes en matière de mandat, etc. »

Il est donc bien évident, il est indubitable que les administrations de ce genre sont des administrations publiques, que le gouvernement exerce à leur égard sa tutelle, sa surveillance, son contrôle et qu'il peut régler leur action. Le gouvernement, qui autorise les fondations, doit, naturellement, faire en sorte que ces fondations soit respectées et il doit, dans toutes les mesures qu’il prend, s'attacher à faire observer les prescriptions licites des fondateurs el des bienfaiteurs.

C'est là le but essentiel. Lorsqu'une mesure ne peut pas avoir pour effet de contrarier les volontés licites des fondateurs, cette mesure est inattaquable, inattaquable au point de vue moral, au point de vue de la justice.

C'est pour faire respecter la volonté des donateurs qu'on règle (page 788) l'administration des fondations. Si l'on ne pouvait jamais modifier l'administration, mais qu'en résultera-t-il ?

Que toutes vos administrations actuelles de bienfaisance, il faudrait les dissoudre, il faudrait les faire disparaître et rétablir toutes les administrations anciennes, qui existaient de la même façon, dans les mêmes conditions que les administrations des bourses. Or, qui viendra soutenir que l'on doive procéder ainsi, sous prétexte du respect de la volonté des fondateurs ? Assurément personne.

Les lois ont donc disposé et pu disposer à l'égard des biens de fondation. Quelles sont les dispositions légales qui les régissent aujourd'hui ?

Les biens ont été affectés aux établissements d'instruction reconnus, organisés par l'Etat, et le décret de 1811 relatif à l'université de France, attribue formellement les bourses aux établissements universitaires.

J'ai dit qu'en 1814 les biens de cette nature ont été considérés comme devant également être affectés aux établissements à ériger ultérieurement dans le royaume des Pays-Bas et j'ai cité à cet égard un arrêté de 1814. L'honorable M. Malou ne le trouve nulle part ; l'honorable M. de La Coste n'a pas été plus heureux, mais s'ils avaient consulté l'honorable M. de Theux, cet honorable membre aurait pu les éclairer.

En effet, l'honorable M. de Theux a reconnu qu'il existe un arrêté de ce genre, il l'a commenté. Je vais reproduire les termes du considérant ; hier je n'avais pas le texte sous les yeux ; j'étais certain cependant d'avoir lu les paroles que je citais :

« Considérant que depuis que la Belgique est séparée de la France, les habitants ne peuvent plus participer aux avantages des établissements des invalides, des Quinze-Vingt ou de l'université du royaume de France ;

« Qu'il est naturel que les biens qui étaient situés en Belgique, qui étaient affectés à ces établissements, notamment par les décrets des 6 février 1810 et 3 janvier 1812, retournent au profit des établissements de l'espèce qui pourraient être créés en Belgique. »

Voilà ce que déclarait en 1814 le Prince souverain des Pays-Bas. Ce n'est pas un arrêté inédit ; l'honorable M. Malou ne l'a trouvé nulle part ; mais il est inséré au Journal officiel...

M. Malou. - Donnez-moi, s'il vous plait, le numéro du Journal officiel. Ce n'est pas un mystère.

M. Frère-Orban. - Cet arrêté se trouve dans le tome III, n°CVII, page 627 ; si vous voulez d'autres indications, je tâcherai de vous les donner.

Cet arrêté, je le reconnais, ne statue pas directement sur les bourses ; mais il ne laisse pas de doute sur la pensée du gouvernement de l'époque. Il était naturel que les biens qui étaient affectés à l'université de France, qui se trouvait supprimée par suite de la séparation, fussent destines aux établissements qu'on créerait en Belgique.

Maintenant, le gouvernement des Pays-Bas organise des universités, il les organise en venu de la loi fondamentale ; et qu'écrit-il dans le règlement universitaire du 25 septembre 1816, qui a la même force légal que l'arrêté de 1818 ? Il y déclare que les bourses seront partagées entre les trois universités de l'Etat.

Eh bien, cette disposition qui a affecté spécialement des bourses aux établissements de l'Etat, est-elle légale ? Indubitablement A-t-elle été abrogée par une autre disposition ? Jamais.

Le roi des Pays-Bas a rétabli ensuite les anciennes administrations, et il a subordonné la jouissance des bourses à l'obligation de faire ses études dans les établissements de l'Etat.

« Oh ! disent mes honorables contradicteurs, ces dispositions se concevaient à l'époque, où elles ont été prises ; mais depuis qu'on a proclamé la liberté d'enseignement, tout cela est changé. » Comment le fait de la proclamation de la liberté d'enseignement peut-il avoir eu pour effet d'abroger une loi positive qui affecte certains biens à certains établissements de l'Etat ? Il est de l'essence des lois de subsister en présence de simple déclaration de principe. Et en quoi une affectation de bourses serait-elle contraire, d'ailleurs, à la liberté d'enseignement ? Or, la loi qui a affecté ces biens à des établissements de l'Etat, existe encore ; qu'on propose donc une mesure qui change cette affectation spéciale. Aussi longtemps que cette loi ne sera pas modifiée, n'y aura-t-il pas une véritable usurpation des biens des fondations, lorsqu'ils seront affectés à d'autres établissements ?

Eh bien, ce que je propose, c'est de régulariser cette situation, c'est d'autoriser le gouvernement à conférer les bourses ; il les conférera sous sa responsabilité, d'une manière équitable, et l'on pourra faire des études dans les divers établissements d'instruction ; c'est une concession que je fais, une grande concession. J'admets tous les établissements à participer au bénéfice de bourses qui n'étaient attribuées qu'à des établissements de l'Etat.

Je montre ainsi que je suis véritablement favorable à la liberté d'enseignement et beaucoup plus favorables que mes honorables adversaires.

« Mais, dit-on, c'est une spoliation ; il y a des bourses qui sont affectées à des membres de certaines familles, à des habitants de certaines localités ; et vous allez priver les membres de ces familles et les habitants de ces localités de droits dont ils doivent jouir en vertu de la fondation. »

En aucune manière ; en respectant scrupuleusement toutes les prescriptions des actes de fondations à ce sujet, M. le ministre de l'intérieur fera la collation aux personnes désignées par le testateur.

Les actes de fondation continueront à être exécutés comme par le passé, en tant qu'ils peuvent l'être, au milieu des changements sociaux qui se sont produits. Ainsi, aucune espèce d'atteinte n'est portée aux droits qui sont consacrés par les actes de fondation.

Une seule mesure est prise : c'est d'empêcher les connivences, les abus, les mauvais moyens à l'aide desquels on dirige tous les boursiers des anciennes fondations vers l'université de Louvain. Or, on emploie, dans ce but, des moyens illicites, des moyens que les actes mêmes de fondation réprouvent.

Un grand mouvement de concentration a été opéré pour ces bourses ; c'étaient autant de personnes civiles distinctes ; eh bien, on en a réuni autant que possible dans les mêmes mains, au moins pour la recette. L'honorable M. Verhaegen nous a appris qu'un seul receveur de ces fondations en avait concentré dans ses mains pour une somme tellement considérable, que son denier de recette s'élevait de 15,000 à 16,000 fr. Eh bien, à l'aide de cette concentration, l'action à exercer en faveur d'un établissement déterminé devient extrêmement puissante et facile. Voilà l'abus contre lequel je proteste.

Si les élèves qui jouissent de bourses de fondations se rendaient librement, spontanément à l'université de Louvain, ah ! je le comprendrais ; mais ils sont en réalité contraints ; la liberté dont vous voulez les faire jouir, c'est la liberté d'aller seulement à l'université de Louvain. Je veux plus pour eux ; je veux qu'ils puissent aller dans les autres établissements, et ils n'en sera ainsi que lorsque la bourse leur sera conférée par des personnes qui n'auront pas intérêt à les pousser vers tel ou tel établissement déterminé ou qui tout au moins auront à répondre de leurs actes devant les Chambres.

Messieurs, je n'ai parlé que des bourses universitaires ; il en est beaucoup qui restent tout à fait en dehors de la proposition que j'ai déposée. Les bourses universitaires seules seront ainsi conférées par le gouvernement.

Il y aurait certes d'autres mesures à prendre même dans l'intérêt du trésor. Nous faisons des dotations, par exemple, aux séminaires ; eh bien, les bourses de théologie doivent venir en déduction de ces dotations, et au lieu de disséminer les bourses entre l'université de Louvain et d'autres établissements où se trouvent des facultés de théologie, on pourrait les réunir au profit des séminaires el diminuer d'autant la charge qui pèse sur l'Etat. De même, si par une équitable répartition des bourses de fondation, on parvenait à satisfaire aux différentes demandes, l'allocation portée au budget pour des bourses au profit des universités de l'Etat pourrait être réduite ou supprimée.

La mesure que je propose n'a aucun des caractères qui lui ont été bénévolement attribués par l'honorable M. Malou. Il a opposé de grands mots à une mesure qui change en réalité peu de chose à ce qui se pratique aujourd'hui. Il ne s'agit pas, comme on vous l'a dit, de révolutionner le régime des fondations ; on croirait vraiment que je propose de les supprimer ; il s'agit simplement de charger le gouvernement de conférer les bourses eu respectant autant que possible la volonté des fondateurs. Le gouvernement engagera sa responsabilité et fera une répartition équitable des fonds affectés à l'instruction.

Remarquons-le bien, s'il fallait remonter à la pensée des fondateurs, pour connaître où les boursiers doivent faire leurs études, nous serions fondés à soutenir qu'ils ont eu en vue des établissements dirigés par l'autorité publique. L'ancienne université de Louvain était dans ces conditions ; ils n'ont pas pu avoir en vue des établissements créé par de simples individus et dont la direction peut être incessamment changée.

Dans le sens de la volonté des fondateurs, il faudrait plutôt obliger les boursiers à étudier dans les établissements de l'Etat que de leur permettre d'étudier ailleurs. Mais je tiens compte des faits ; je laisse le gouvernement libre d'apprécier si les établissements offrent toutes les garanties d'une bonne instruction, et je crois ainsi me conformer à l'intention des fondateurs.

M. Dumortier. - J'admire beaucoup l'honorable prèopinant ! En commençant son discours, il se pose comme l'ami le plus chaud, le plus dévoué, le plus sincère de la liberté ; sur nos bancs, on veut de la liberté pour un établissement ; mais la conscience se prête aux convictions intimes, ce qui veut dire qu'on n'en veut guère que pour soi.

L'honorable préopinant veut de la liberté pour tous, cependant, dans la carrière de l’honorable membre, je ne puis voir qu'une chose, c'est que la liberté qu'il soutient, qu'il défend, est celle de faire concurrence à la liberté.

La preuve en est dans la loi que vous nous avez présentée sur l'instruction moyenne ; il s'agissait de faire une loi fondée sur ce grand principe de la liberté, qu'êtes-vous venu nous dire ? Qu'il fallait organiser l'instruction publique pour faire concurrence à la liberté ? Vous vouliez la concurrence à la liberté ; aujourd'hui vous vous en proclamez le plus ardent défenseur. Vous parlez de liberté, vous invoquez son nom, mais ensuite vous la déchirez, quand vous voulez que les bourses de fondation ne puissent servir que pour faire ses études dans les établissements de l'Etat.

La liberté chez vous c'est le masque, la vérité, c'est la liberté de pressurer les autres, d'opprimer ceux qui ne partagent pas vos convictions politiques.

On vient vous parler d'un principe ; c'est encore au nom de la liberté. (page 789) Qu'est-ce qu'on vous propose ? De remettre au gouvernement les fondations de la liberté, au profit de la liberté, pour en disposer à sa guise. Voilà comme vous entendez la liberté ; je vous comprends, les lauriers de M. de Cavour vous empêchent de dormir, vous voulez introduire chez nous « l'incamération ».

La Belgique est trop tranquille ; y jeter la perturbation n'est rien pour vous, si vos idées triomphent, peu vous importe que le pays soit agité ; on voudrait amener chez nous le despotisme gouvernemental que tout le monde repousserait en Belgique, parce que nous sommes dans un pays de liberté.

Vous invoquez la loi de 1823. Mais ignorez-vous que les arrêtés du roi Guillaume reposaient sur un principe exclusif de liberté en matière d'enseignement ? Sous le roi Guillaume, jamais l'université de Bruxelles ou de Louvain n'aurait existé ; un trait de plume l'aurait supprimée si elle avait pu se fonder, mais personne n'y aurait même songé ; vous n'auriez pas vu par tout le pays des pères de famille fonder des établissements d'enseignement, aucun de vous n'aurait pu ouvrir la porte d'une école qu'autant qu'il y aurait été autorisé par le gouvernement. Que sous un pareil régime, les boursiers aient été obligés de suivre les établissements de l'Etat, je le comprends ; mais ne parlez pas de liberté quand vous vous appuyez de ce qui s'est fait sous ce régime odieux que nous avons renversé par le fer aux grands jours de la révolution !

Ce régime, on a déjà essayé de le faire revivre ; ce fut le jour où dans cette même enceinte on a proclamé qu'il fallait que l'Etat prime, absorbe l'élément religieux ; c'est toujours la même tendance, on voudrait que l’Etat absorbât l'élément religieux ; voilà la liberté qu'on veut, qu'on défend, c'est la liberté de pressurer les autres ; je ne la vois pas autrement quand elle vient de ce côté.

Vous voudriez mettre entre les mains du pouvoir les bourses d'études fondées par certaines personnes au profit, avant tout, de membres de leur famille. Il a fallu vingt-cinq ans pour découvrir ce que ni le Congrès ni les législatures qui l'ont suivi n'avaient vu ; il a fallu que vous vinssiez dans cette Chambre pour nous apprendre ce que veut la Constitution, ce que veulent les lois, ce que veut le pays.

Eh quoi ! Toutes les législatures qui se sont succédé n'ont rien compris, n'ont rien vu et l'on voudrait nous ramener à un régime que nous avons brisé, rompu, chassé.

Mais ce régime même, messieurs, respectait du moins les bourses d'étude ; il en comprenait l'importance ; il les a reconstituées et cela en vertu du pouvoir que lui donnait la loi des lois, la Constitution.

Or, il n'est pas d'arrêtés royaux qui puissent en cette matière attribuer les pouvoirs dont le roi Guillaume était investi et qu'il puisait dans l'article 228 de la loi fondamentale, ainsi conçu :

« Les administrations de bienfaisance et l'éducation des pauvres sont envisagés comme un objet non moins important des soins du gouvernement. Il en est également rendu aux états-généraux un compte annuel. »

C'est dans cet article que le roi Guillaume puisait le droit de prendre des arrêtés-lois, des décrets, en quelque sorte ; tandis que, d'après notre Constitution actuelle, le roi n'a d'autres pouvoirs que ceux qui sont inscrits dans cette Constitution ou que lui confèrent les lois votées par le pouvoir législatif. Les actes du roi Guillaume ne peuvent donc pas être détruits par de simples arrêtés royaux et vous n'y pourrez point porter atteinte par de tels actes, quand vous serez revenus au pouvoir. Aussi, est-ce par la loi, par un vote des Chambres que vous voulez vous ramener à un régime dont le roi Guillaume lui-même n'a pas voulu.

Vous voulez nous donner des leçons de liberté ; eh bien, écoutez-moi. Quand nous avons discuté la loi communale, qui est, après la Constitution, la loi des lois de notre pays, qu'avons-nous fait ?

Nous avons posé un grand principe et nous le maintiendrons aussi longtemps que nous aurons l'honneur d'être dans cette enceinte. Ce principe, c'est le respect des volontés du testateur : Celui qui, par son testament fonde, a le droit de fonder comme il l'entend et vous n'avez pas le pouvoir de porter atteinte à sa volonté.

Voilà, messieurs, le principe que nous avons proclamé à deux reprises dans cette loi communale. Or, ce que vous voulez, c'est renverser ce principe de vos devanciers qui n'attendaient pas votre arrivée dans cette enceinte, pour écrire cette grande charte devant laquelle chacun se découvre avec respect en voyant dans quel esprit de liberté elle a été dictée.

Mais, dites-vous, la Constitution n'a posé que des principes et vous prétendez que les principes posés par la Constitution ne détruisent pas les lois antérieures.

Eh quoi ! la Constitution en posant des principes aurait laissé subsister toutes les lois antérieures qui la contrariaient ! En vérité, messieurs, je me demande s'il est convenable qu'une pareille opinion se soit produite dans cette enceinte.

Comment ! Quand la Constitution a proclame la liberté d’enseignement, elle n'aurait pas abrogé par cela même tous les arrêtés pris par le roi Guillaume pour l'anéantir !

Quand la Constitution a proclamé la liberté d'association, elle aurait laissé subsister tout ce qui, dans le passé, avait été fait pour l'anéantir !

La Constitution a proclamé la liberté de la presse et elle n'aurait pas anéanti du même coup toutes les lois odieuses qui bâillonnaient autrefois les organes de l'opinion publique ! Non, messieurs, il n'a pas fallu de loi spéciale pour abroger toutes ces lois d'un autre régime : la Constitution a parlé ; vous devez vous incliner devant elle ; toutes les lois qui y sont contraires sont tombées, tombées pour ne plus jamais se relever.

Quelle conséquence faut-il tirer de là, messieurs, pour le sujet qui nous occupe ? C'est que la Constitution, en autorisant la création d'universités d'enseignement libre dans ce pays, a, par cela même, abrogé toutes ces faveurs, qui étaient accordées sous le régime précédent aux seuls établissements reconnus par l'Etat. L'abrogation est formelle ; car la Constitution porte en termes exprès que toutes les lois contraires à son texte sont par ce fait abrogées. Ainsi, les arrêtés dont on a parlé sont abrogés en ce qu'ils ont de contraire à la Constitution, et l'arrêt s'il existe, qui dirait qu'on ne peut avantager que des établissements de l'Etat, serait par cela même abrogé.

Mais que porte l'arrêt du 2 décembre 1823 ?

Il dit que les bourses seront données dans les établissements d'instruction publique du royaume reconnus par le gouvernement. Il fallait donc qu'on allât dans un établissement reconnu par le gouvernement. Et vous osez prétendre que la Constitution n'a pas abrogé pareille chose ; elle qui permet d'ériger des établissements d'instruction, mais qui ne reconnaît pas, en principe, d'établissements du gouvernement !

Je le répète, messieurs, je ne comprends pas qu'on ose soutenir dans cette enceinte une pareille maxime et que, pour la soutenir, on invoque la liberté. Soyez plus francs, messieurs, et invoquez, non pas la liberté, mais le despotisme. Dites : Nous voulons gouverner parce que telle est notre volonté et nous vous écraserons... (interruption.) Mais, encore une fois, n'appelez pas la liberté au secours d'une pareille doctrine !

M. Malou. - Je regrette, messieurs, de ne pouvoir, malgré le discours de l'honorable M. Frère-Orban, modifier ou retirer aucune des qualifications que j'ai cru devoir donner à sa proposition.

Si petite que l'honorable membre ait voulu la faire, elle renferme le principe d'une véritable spoliation. Il n'y aurait qu'un seul Belge dont on prendrait les droits pour les transférer M. le ministre de l'intérieur ; on rendrait la proposition microscopique que je dirais encore que cette proposition, il est profondément regrettable de l'avoir vue surgir au sein du parlement belge, parce qu'elle tend à consacrer le principe de la spoliation ; c'est une atteinte directe à la propriété. On a donc beau vouloir amoindrir cette proposition, j'espère bien que ce sera la seule fois qu'elle aura jamais apparu au sein des Chambres belges, sous le régime de notre Constitution.

Ecoutez, messieurs, le langage qu'on nous tient :

On se borne, dit-on, à dire au ministre de l'intérieur : Disposez équitablement des bourses. On est même bon prince à ce point qu'on permet au ministre de ne pas donner toutes ces bourses aux établissements de l'Etat.

Voilà la concession qu'on veut bien nous faire. Mais, encore une fois, j'ai parlé d'une bourse à conférer par le bourgmestre de Bruxelles ; de quel droit, si ce n'est en vertu d'un droit révolutionnaire, le bourgmestre de Bruxelles pourrait-il être dépouillé du droit de collation de cette bourse, en faveur de M. le ministre de l'intérieur ?

Je suis donc autorisé à dire que, sous prétexte de droit, vous vous placez en dehors du droit.

Mais, nous dit-on, toutes les personnes civiles sont sous le domaine de la loi.

Assurément, messieurs, c'est-à-dire que, lorsqu'une personne civile s'éteint ou lorsqu'elle est détruite, ses biens fout retour à l'Etat ; c'est-à-dire encore que l'Etat doit régler l'administration des biens de cette personne civile parce qu'il y a ici autre chose qu'un intérêt prive, parce qu'il y a un intérêt public, parce que la sanction que la loi a donnée à cette personne civile en lui assurant la perpétuité confère aussi au gouvernement le droit et le devoir d'assurer la bonne administration des biens.

Je comprends donc parfaitement que la commission dont l'honorable membre a parlé ait proposé de centraliser certaines fondations. Mais est-ce là ce que l'honorable membre propose ? Le gouvernement des Pays-Bas, qui respectait la volonté des fondateurs, l'a fait pour des établissements de bienfaisance ici à Bruxelles. Il a réuni les administrations de plusieurs fondations. Mais comment ? En disant : Je respecte le droit des institués et le droit de ceux qui peuvent conférer les fondations. Est-ce là ce que vous faites ? Vous dites : Je respecte les institués ; c'est-à-dire que le gouvernement devra conférer les bourses à tel ou tel. Mais ce que vous ne respectez pas, c'est le droit de conférer. C'est ce droit civil que vous confisquez.

Mais il y a des lois, et ces lois sont violées... L'honorable membre, après avoir passé cinq années au ministère, s'aperçoit que ce régime, qui existe depuis un siècle, est une permanente violation de la loi. Cet honorable membre a l'humilité de s'accuser d'avoir passé cinq ans au ministère, en laissant se consommer chaque jour de flagrantes illégalités.

Eh bien ! voyons ces lois.

On nous cite un arrêté-loi de 1814, et grâce aux indications de l'honorable membre, je trouve cet arrêté de 1814. Est-ce que cet arrêté décide la question ? C'est une loi à côté de la question que l'on invoque, et je vais le démontrer.

(page 790) On trouve une mention de cet arrêté dans l'article « Fondations » du Répertoire de droit administratif de M. Tielemans. Mais ce répertoire ne donne que le considérant et ce considérant tend à faire croire en effet qu'il s'agit là de la dévolution aux établissements de l'Etat, qui devaient être créés ultérieurement, de l'administration des bourses. Mais le décret ne dit pas cela ; il dit précisément le contraire.

On confond très souvent deux choses complètement distinctes : les biens des fondations et les biens de l'université de Louvain.

En 1792, les biens de l'université, comme personne civile, comme corporation, ont été nationalisés Mais les biens des fondations, qui étaient des annexes et dépendances de l'université, ont été respectés et n'ont jamais été nationalisés. Cette distinction est capitale et elle a produit ses effets à toutes les époques.

Après la paix de 1815, il a été fait une immense liquidation de toutes les dettes continentales. Le gouvernement des Pays Bas avait fait une convention à l'égard de ces dettes continentales et il y avait un chapitre qu'on appelait le chapitre des liquidations françaises. Nos plénipotentiaires ont revendiqué au domaine français les biens de l'ancienne université de Louvain comme devant revenir à l'université de Louvain.

Les plénipotentiaires français ont répondu que, l'université de Louvain ayant été supprimée, les biens de la personne civile appelée l'université de Louvain avaient été acquis au domaine, que le domaine avait pu en disposer et qu'on ne pouvait pas rembourser aux Pays-Bas. Cet argument était juste ; il a été admis.

Mais autre chose sont les fondations de bourses qui, d'après les lois que j'ai citées tout à l'heure, n'ont jamais été nationalisées.

Maintenant que dit le décret ? Je vais le lire tout entier. Le décret déclare que les débiteurs de rentes et de fermages, provenant de biens celés au domaine, et que l'empereur, en vertu de décrets spéciaux, avait affectés à l'université impériale, devaient payer au bureau de monsieur un tel à Bruxelles, c'est-à-dire que le décret s'appliquait à une catégorie de biens que l'empereur avait affectés à l'université de France et nullement à nos anciennes et respectées fondations de famille. Je suis donc en droit de dire que c'est une loi que l'on cite à côté de la question.

Voici le texte tout entier :

« Nous, Guillaume, par la grâce de Dieu, etc.

« Considérant que, depuis que la Belgique est détachée de la France, ses habitants ne peuvent plus participer aux avantages des établissements des Invalides, des Quinze-Vingts et de l'université du royaume de France ;

« Qu'il est naturel que les biens situés en Belgique qui étaient affectés à ces établissements, notamment par les décrets des 6 février 1810 et 3 janvier 1812, retournent au profit des établissements de l'espèce qui pourraient être créés en Belgique ;

« Sur le rapport de notre conseiller d'Etat, commissaire général des finances ;

« Avons arrêté et arrêtons ce qui suit :

« Art. 1er. Les acquéreurs des domaines révélés en conséquence des décrets des 6 février 1810 et 3 janvier 1812, sont tenus de justifier dans les deux mois au receveur du domaine de leur situation de biens, à dater de la publication du présent arrêté, de leurs contrats d'acquisition et de produire et faire viser sans frais les quittances des termes payés.

« Art. 2. Les cinquièmes échus et à échoir qui étaient payables à la caisse d'amortissement seront désormais payés à la caisse du receveur des domaines de Bruxelles ; les sommes qui proviendront de ces prix de vente seront versées au trésor qui en tiendra compte jusqu'à l'emploi qui aura lieu au profit des établissements de bienfaisance de la Belgique et que nous nous réservons d'ordonner d'après le rapport de notre commissaire général de l'intérieur.

« Art. 3. Les acquéreurs des biens dont il s'agit, qui ne se conformeraient pas aux dispositions de l'article précédent, encourront la peine de déchéance qui s'opérera de plein droit sans aucune formalité, de manière que si l'administration des domaines parvient dans la suite à découvrir des biens de la nature dont il s'agit, elle pourra s'en mettre en possession sans être tenue à aucun remboursement des cinquièmes déjà acquittés au gouvernement précédent.

« Art. 4. Les acquéreurs et détenteurs qui satisferont aux obligations qui leur sont imposées par l'article premier, seront traités comme les autres acquéreurs des domaines nationaux.

« Art. 5. Nos commissaires généraux des finances et de l'intérieur sont chargés de l'exécution du présent arrêté, qui sera inséré au Journal officiel.

« Fait à La Haye, le 7 novembre 1814. »

Messieurs, ne suffit-il pas de lire cet arrêté pour vous montrer qu'il n'a aucun rapport avec les fondations de bourses d'études ? Il en résulte que l'on prenait une mesure administrative réglementaire relative à ceux qui avaient acheté des domaines nationaux.

Lorsque ces domaines avaient été celés, le gouvernement de l'empereur en avait autorisé la révélation au profit de l'université, et ceux qui les avaient acquis devaient aller payer chez le receveur des domaines à Bruxelles.

Voilà la loi d'où il résulte, à ce que l'on prétend, qu'aujourd'hui on peut faire tout ce qu'on veut. Mais, nous dit-on, vous ne pouvez invoquer qu'un simple arrêté de 1818.

Messieurs, nous invoquons quelque chose de plus, nous invoquons le droit historique, le droit national, le droit de propriété qui a toujours été reconnu, qui a toujours été respecté.

On signale un ou deux faits, une affaire à Rochefort, un procès à Bruxelles. Mais de cette citation il résulte précisément ce que j'ai voulu démontrer, c'est que dans l'administration des fondations il s'agit d'un droit civil, et qu'une contravention quelconque à ce droit est du ressort des tribunaux. L'honorable membre, en lisant l'arrêt de Bruxelles, a complété la démonstration que j'avais peut-être incomplètement faite.

Messieurs, j'ai une dernière observation à présenter. L'honorable membre a voulu voir quelque chose de caché, de mystérieux dans la concentration des bourses d'étude entre les mains d'un seul receveur ; s'il avait bien voulu lire l'arrêté organique, il aurait vu que ce n'est pas le receveur qui confère les bourses.

Cette réunion est un acte de bonne administration, mais le receveur doit tenir et rendre à la députation permanente un compte distinct pour chaque fondation. C'est une simple mesure d'économie, ce n'est pas un moyen de détourner les bourses de leur destination.

En un mot s'il y a trois cents fondations le receveur aura trois cents comptes à rendre et les revenus de chaque fondation seront attribués à qui de droit. Le système actuel est précisément l'antithèse de celui où l'on nous convie d'entrer et dans lequel, j'en ai la profonde conviction, la Chambre n'entrera pas.

- Plusieurs membres. - Aux voix ! aux voix !

- D'autres membres . - A lundi.

M. Rogier. - Messieurs, la question qui a été soulevée, on le reconnaît sur tous les bancs, est très importante. On a dit que, depuis vingt-cinq ans, jamais la Chambre n'a été saisie d'une pareille question. Je crois donc qu'il serait difficile d'aller aujourd'hui aux voix sur cette question, et pour ma part, je voudrais que la proposition de mon honorable ami M. Frère fût renvoyée à la section centrale ou à une commission spéciale.

- Plusieurs membres. - Non ! non !

M. Rogier. - Maintenant, messieurs, à côté de cette question il y en a une autre, qui ne me paraît pas avoir été suffisamment examinée, c'est la proposition du gouvernement.

D'après le projet du gouvernement, il faudrait, à l'avenir, partager entre les quatre universités les bourses que la loi de 1849 attribuait exclusivement aux universités de l'Etat. Mais avant de distribuer ces bourses entre les quatre universités du royaume, on s'est demandé : Ces quatre universités en ont-elles un égal besoin ?

Voyons ce qui s'est passé dans une de ces universités ; voyons la position de l'université à Louvain.

On a constaté que, loin d'avoir besoin de bourses nouvelles, l'université de Louvain jouit d'un nombre de bourses tellement considérable, qu'elle s'est vue obligée, dit-on, de les colporter pour ainsi dire de porte en porte... (Interruption.)

M. Frère-Orban. - Cela est positif. Il y en a qui en ont refusé.

M. Rogier. - Dès lors, messieurs, il était bon qu'on attirât l'attention de la Chambre et du pays sur cette situation privilégiée, que certains honorables membres, se proclamant les amis de la liberté d'enseignement, veulent encore agrandir.

Ainsi, l'université de Louvain, de l'aveu de tout le monde, jouit aujourd'hui, en fait, d'un nombre considérable de bourses. (Interruption.) Vous le contestez !Mais l'honorable M. de

Theux vient précisément d'argumenter de ce fait ; pour excuser la partialité dont l'université de Louvain a été l'objet dans la collation des bourses légales, des bourses distribuées par le gouvernement. En effet, messieurs, qu'a dit l'honorable M. de Theux ? Pourquoi, sous l'administration qui a exécuté la loi de 1835, pourquoi l'université de Louvain avait-elle un plus grand nombre de bourses légales que les universités de l'Etat ? 1° parce que le jury, composé avec une partialité révoltante, comme on l'a reconnu depuis, parce que le jury désignait cette université aux jeunes gens qui demandaient des bourses, et 2° parce qu'en possession d'un grand nombre de bourses elle avait un grand nombre d'élèves.

Ainsi, parce que l'université de Louvain, en vertu de ce grand nombre de bourses qu'on lui attribue, a un plus grand nombre d'élèves, il fallait lui procurer encore plus d'élèves par les bourses que lui conférait le gouvernement.

La morale est ordinairement de donner à manger à ceux qui ont faim et de ne pas donner à manger à ceux qui sont rassasiés ; mais cette morale n'était nullement pratiquée par l'administration à laquelle j'ai fait allusion, attendu qu'aux boursiers si nombreux dont jouissait l'université de Louvain, elle ajoutait encore de nouveaux boursiers au préjudice des universités de l'Etat et aussi de l'université de Bruxelles, qui, tandis que l'université de Louvain obtenait vingt-cinq bourses sur soixante, n'en obtenait qu'une, deux ou trois !

Voilà de quelle manière la justice était pratiquée vis-à-vis des universités rivales de celle de Louvain. Voilà comment on entendait, dans la pratique, la liberté d'enseignement.

Eh bien, messieurs, les choses étant ainsi, nous demandons : Y a-t-il aujourd'hui nécessité, y a-t-il justice à accorder de nouvelles bourses à un établissement qui en possède, à lui seul, plus que les trois autres, (page 791) plus que les deux universités de l'Etat et l'université de Bruxelles réunies ? Nous disons que ce n'est pas là de la justice, mais que ce serait de la partialité et de la prodigalité.

- Plusieurs membres. - A lundi.

M. Rogier. - Si on veut remettre à lundi, je ne m'y oppose pas.

Projet de loi relatif à la renonciation des concessions ferroviaires de fer de Tamines à Landen et de Groenendael à Nivelles

Dépôt

M. le ministre des travaux publics (M. Dumon) présente un projet de loi ayant pour objet d'autoriser le gouvernement à accepter éventuellement la renonciation de la Grande Compagnie du Luxembourg à la concession des chemins de fer de Tamines à Landen et de Groenendael à Nivelles, et à les concéder à une autre société.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce projet et le renvoie à l'examen des sections.

La séance est levée à quatre heures et un quart.