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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 8 mai 1857

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1856-1857)

(Présidence de M. Orts, second vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1509) M. Crombez procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

M. Tack lit le procès-verbal de la séance précédente. La rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Crombez présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

Pièces adressées à la chambre

« L'administration communale de Termonde prie la Chambre d'augmenter le personnel du tribunal de première instance de cette ville. »

- Renvoi à la commission du projet de loi sur l'organisation judiciaire.


« Le sieur Eugène-Louis Fornet, demeurant à Lampernisse, né dans cette commune, demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Le sieur Wester demande une loi portant que, pour être nommé président d'un tribunal de commerce, on doit avoir rempli les fonctions de juge pendant dix années. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Zoersel demandent que les élections aux Chambres aient lieu dans la commune. »

- Même renvoi.


M. le ministre de la justice transmet à la Chambre, avec les pièces de l'instruction, trois demandes de naturalisation.

- Renvoi à la commission des naturalisations.


M. Landeloos, forcé de s'absenter par suite de la mort de son beau-frère, demande un congé de quelques jours.

- Ce congé est accordé.

Motion d’ordre

Circulaire relative aux établissements de bienfaisance

M. Malou (pour une motion d’ordre). - On a reproduit dans les journaux deux passages d'une circulaire dont il a été question dans une de nos précédentes séances. J'exprime le vœu que cette circulaire soit imprimée en entier, le texte latin et la traduction française, dans le Moniteur. On pourra ainsi juger jusqu'à quel point sont inexactes les inductions qu'on en a tirées.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Je ferai volontiers insérer au Moniteur le texte latin. Mais quant à une traduction officielle, je ne pourrai la donner, attendu, que le gouvernement n'a pas de traducteur juré pour le latin.

M. Malou. - Mettez le texte en regard de la traduction.

M. Verhaegen. - Que M. le ministre ait la complaisance de faire faire la traduction n'importe pas qui ; on pourra la contrôler.

M. Malou.- Je crois qu'on peut éviter cet embarras à M. le ministre. Le Bien public publie une traduction. Je l'ai lue et je l'ai comparée au texte, je la crois exacte. En mettant le texte en regard, s'il y a quelque erreur, on pourra la reconnaître.

M. Vandenpeereboom. - Le Bien public est un journal officiel dans cette circonstance.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Je pourrai faire insérer la traduction en indiquant la source où elle est puisée.

- La Chambre décide que la circulaire dont il s'agit et la traduction seront insérées au Moniteur.

Rapports sur des pétitions

M. Vander Donckt, rapporteur. - « Par pétition datée de Tellin, le 1er mars 1857, des habitants de Tellin prient la Chambre d'allouer au budget des travaux publics les fonds nécessaires pour la construction d'une route de Halma à Grupont. »

« Même demande d'habitants de Grupont, de l'administration communale et d'habitants de Chanty.

- Renvoi à M. le ministre des travaux publics.

M. de Moor. - Lors de la discussion du budget des travaux publics, l'honorable M. Thibaut et moi, nous avons appelé l'attention du gouvernement sur les requêtes de plusieurs conseils communaux des arrondissements de Dînant et de Neufchâteau.

J'engage M. le ministre des travaux publics à faire examiner la question sérieusement et sur les lieux, par les directeurs des ponts et chaussées des provinces de Namur et de Luxembourg.

Aujourd'hui la commission des pétitions vous propose purement le renvoi des requêtes datées de Teilin-Grupont et Chanty, à M. le ministre des travaux publics. Je demande, moi, que la Chambre veuille bien ordonner qu'après l'examen auquel se sera livré le département des travaux publics, M. le ministre soit invité à nous donner des explications.

- La proposition de M. de Moor est adoptée.


M. Vander Donckt, rapporteur. - « Par pétition datée de la Hulpe, le 23 mars 1857, le sieur Wery demande que la compagnie du chemin de fer du Luxembourg soit obligée de remplir les obligations qui résultent de la loi de concession de 1846 et de la convention du 30 avril 1852. »

« Par pétition datée de Nivelles, le 26 mars 1847, la chambre de commerce de l'arrondissement de Nivelles demande que la compagnie du chemin de fer de Luxembourg soit mise en demeure d'exécuter la loi de concession du 18 juin 1846 et la convention du 30 avril 1885, ou du moins un embranchement qui relie Wavre à Bruxelles. »

La commission conclut au renvoi de ces deux pétitions à M. le ministre des travaux publics.

M. Osy. - La semaine dernière, nous avons eu une pétition de même genre, qui nous était adressée par la ville de Wavre. Il a été décidé qu'il y aurait une discussion spéciale sur cet objet, lorsque M. le ministre des travaux publics nous aurait fourni ses renseignements. Je demande que les deux pétitions sur lesquelles il vient d'être fait rapport soient jointes à la pétition de la ville de Wavre, pour qu'elles soient comprises dans une même discussion.

- La proposition de M. Osy est adoptée.

Projet de loi relatif aux établissements de bienfaisance

Discussion générale

La discussion générale continue.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - En me levant pour répondre aux accusations prolongées qu'on a fait retentir contre le projet du gouvernement, je remplis un devoir que cette discussion brillante rend bien difficile. J'ose espérer que l'indulgence de la Chambre me tiendra compte de ces difficultés de ma position.

Je ne vous dissimulerai pas, messieurs, qu'au milieu de ces accusations, le reproche qui touche le plus le gouvernement, c'est le reproche qu'on a fait au projet de s'être inspiré de l'esprit de parti et de manquer de sincérité. Aussi, ce que nous avons à cœur, avant tout, c'est de convaincre les hommes impartiaux, dans cette Chambre et dans le pays, de la sincérité et de la modération de la loi.

Je me propose donc d'établir devant la Chambre que la loi est sincère :

Qu'elle ne procède pas de l'esprit de parti, c'est-à-dire qu'elle est modérée ;

Que, dans l'état actuel de la législation et de la jurisprudence, elle est devenue nécessaire.

Pour affirmer la sincérité de la loi, je n'aurai pas recours à des protestations dont l'esprit de parti ne tient point compte, quelque loyales et quelque honnêtes qu'elles puissent être. Je le ferai, si je puis parler ainsi, par des actes.

En effet, le gouvernement n'hésite pas à écarter les objections pratiques qui se sont produites contre le projet de loi, soit en rendant plus claires et plus formelles les dispositions du projet, qui paraissent avoir été mal comprises de certains orateurs qui ont combattu la loi ; soit en ajoutant au projet des dispositions nouvelles qui compléteront le système de garanties qu'il consacre. Voici une première objection de ce genre :

L'honorable M. Thiéfry a le premier reproché à la loi d'imposer aux membres des commissions administratives un mandat gratuit, tandis qu'elle n'imposerait pas la gratuité de leur mandat aux administrateurs spéciaux.

L'honorable M. Delfosse a supposé qu'un ministre du culte pourrait, grâce à la loi, devenir l'administrateur largement rétribué d'une riche fondation.

C'est là une erreur complète.

L'article 87 du projet rend communes aux administrateurs spéciaux des fondations toutes les règles que le titre premier établit pour la gestion des biens des bureaux de bienfaisance et des hospices civils. Or, parmi ces règles, l'article 24 dispose formellement que les membres des commissions administratives exercent leurs fonctions gratuitement. Il est donc certain, par le texte même du projet, qu'il proscrit tout mandat salarié, soit qu'il s'agisse des membres du bureau de bienfaisance, soit qu'il s'agisse d'administrateurs spéciaux. Les uns et les autres ont le même mandat ; ils ont les mêmes devoirs Dans notre pensée, la supposition contraire serait chose impossible et absurde.

Aussi, puisque d'honorables membres paraissent s'y être trompés, le gouvernement proposera de rendre à cet égard la rédaction du projet plus claire encore. Il suffira d'ajouter à l'article 86 du projet ces mots : « Leurs fonctions sont gratuites. » Voilà donc une objection disparue.

M. Delfosse. - La gratuité des fonctions n'est dans l'article 87 ni explicitement ni implicitement.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Pardon, cela y était : je viens de vous le montrer.

(page 1510) M. Frère-Orban. - La gratuité des fonctions est une règle applicable à la personne des administrateurs, non aux biens.

M. Delfosse. - Cela n'était pas dans la loi, cela va y être.

Notre opposition aura été bonne à quelque chose.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Je vous demande encore une fois pardon. Tout cela était dans la loi. J'en appelle à tous les hommes impartiaux et dans cette Chambre et au dehors.

Mais encore une fois, je suis heureux de trouver cette occasion de satisfaire tous vos scrupules, de mettre à néant ces reproches à l'aide desquels on a non pas seulement cherché à agiter, je ne veux pas dire à égarer l'opinion publique.

M. Delfosse. - Si cela était dans la loi, il ne serait pas nécessaire qu'on l'y mît.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Vous nous reprochez maintenant d'aller au-devant de vos scrupules ! Vous nous reprochez d'être trop sincères ! Cela est vraiment curieux !

Je continue.

On en a fait une seconde. L'honorable M. Lelièvre, et après lui les honorables MM. Delfosse, Verhaegen, Tesch, etc. ont insisté sur la nécessité d'appliquer l'article 909 du Code civil aux dispositions testamentaires par lesquelles le confesseur qui a assisté un malade dans sa dernière maladie serait institué administrateur ou distributeur spécial. Vous connaissez, messieurs, cet article, en voici le texte :

« Art. 909. Les docteurs en médecine ou en chirurgie, les officiers de santé et les pharmaciens qui auront traité une personne pendant la maladie dont elle meurt, ne pourront profiter des dispositions entre vifs ou testamentaires qu'elle aurait faites en leur faveur pendant le cours de cette maladie.

« Sont exceptées : 1° Les dispositions rémunératoires faites à titre particulier, eu égard aux facultés du déposant et aux services rendus ; 2° les dispositions universelles dans le cas de parenté jusqu'au quatrième degré inclusivement, pourvu, toutefois, que le décédé n'ait pas d'héritiers en ligne directe, à moins que celui au profil de qui la disposition a été faite ne soit lui-même du nombre de ces héritiers.

« Les mêmes règles seront observées à l'égard du ministre du culte. »

Déjà vous avez vu par les considérations que je viens de présenter que les honorables membres auxquels je réponds partent de la supposition erronée qu'un administrateur ou un distributeur spécial peut être salarié. Or, leur mandat doit être essentiellement gratuit. Une institution d'administrateur spécial n'est donc par une libéralité dans le sens juridique du mot, en faveur de la personne désignée pour remplir ce mandat gratuit. Elle n'y a point d'intérêt personnel ; elle ne recueille ni directement ni indirectement un legs fait à son profit.

L'article 909 du Code civil, applicable aux libéralités qui excèdent les limites d'un don rémunératoire, n'est donc pas fait pour un mandat gratuit, dont le titulaire désigné ne peut rien recueillir personnellement.

Eh bien, quelle que soit la force de ces considérations, le gouvernement, dans le but d'aplanir les scrupules, même exagérés, de bannir des défiances, même injustes, ne reculera pas devant l'extension de l'article 909 du Code civil à l'institution d'un administrateur ou distributeur spécial.

Il proposera donc d'ajouter à l'article 80 un paragraphe 2 ainsi conçu :

« Ne pourront point être admis comme administrateurs, collateurs et distributeurs spéciaux, ceux qui se trouveront dans le cas d'incapacité prévue par l'article 909 du Code civil. »

C'est donc encore une objection qui disparaît.

Une troisième objection a été présentée par l'honorable M. Lelièvre, qui a insisté d'autant plus vivement sur ce point, qu'il y a vu, je ne sais quel piège, destiné à fausser tout le système que le gouvernement a formulé dans le projet.

C'est celle-ci : que l'administrateur spécial condamné à rendre compte et à des dommages-intérêts, ne pourra être destitué alors même qu'il resterait en défaut d'obéir à la condamnation. C'est encore une erreur.

Déjà, l'honorable M. Liedekerke y a répondu. Il a dit avec raison que le refus de rendre compte est la plus forte présomption du détournement des revenus que le comptable est chargé de gérer, elle est si forte que la destitution du comptable est de droit, à moins qu'il ne détruise la présomption de détournement par la seule preuve contraire qu'elle admette, c'est-à-dire, en rendant compte. Rendre compte ou être destitué, telle est l'alternative que le projet de loi impose nécessairement. Nous ne pensions pas que l'ombre d'un doute fût possible à cet égard, mais désirant que personne ne retombe dans l'erreur commise par l'honorable député de Namur, le gouvernement s'empresse de rendre le texte de la loi plus énergique encore, en ajoutant à l'article 92 ces mots :

« S'ils ne satisfont pas à cette condamnation, leur révocation sera prononcée par le tribunal conformément aux dispositions des articles suivants. »

Cette troisième objection n'existera donc plus. L'honorable député de Namur pourra se convaincre par là qu'aucune surprise n'avait été combinée dans la rédaction des articles qu'il a le plus vivement critiqués.

Une objection plus radicale contre le projet, une accusation pour mieux dire, qui avant et pendant cette discussion a été reproduite avec le plus d'insistance, c'est que dans les établissements charitables érigés en fondations spéciales, il y aura nécessairement, il y aura toujours un personnel religieux en dehors de toute proportion avec les besoins et les services charitables de l'établissement. Il y aura excès de personnel, dit-on, et cet excès sera sans remède, car il est inhérent à l'intervention du clergé !

Je ne chercherai point à résumer tout ce qui s'est dit à l'appui de cette accusation, l'une des plus graves aux yeux des adversaires de la loi. La Chambre n'a pas oublié qu'avant de jeter le cri d'alarme qui termine son discours, un honorable député de Liège exprimait ce reproche avec sa franchise habituelle en nous disant :

« Qui empêchera un évêque, devenu administrateur spécial d'un hospice ou d'une école, de confier cet établissement à une corporation religieuse ? Et qui sera juge, si ce n'est lui, du nombre des religieux nécessaires au service ?

« Il faudrait des abus bien criants, il faudrait un personnel religieux bien exubérant, bien envahissant pour qu'un procureur du roi se décidât, soit d'office, soit sur la demande de la députation permanente, par laquelle il n'est pas lié, se décidât à intenter à son évêque une action en détournement, à provoquer contre lui une mesure de rigueur...

« L'honorable M. Malou, pour l'opportunité, pour l'utilité de sa cause mettait hier en présence du procureur du roi un tout petit administrateur d'une toute petite fondation. Pour être dans le vrai, il faut y placer l'évêque, personnage très respecté et très puissant, et je maintiens que le procureur du roi réfléchira longtemps avant de poursuivre.

« L'honorable M. Malou nous a demandé si à ces garanties qui, d'après nous, seront très souvent illusoires, nous préférions l'absence de garanties. Ce n'est pas là, messieurs, un argument sérieux ni digne de l'honorable membre.

« Nous devons nous attendre à voir plus d'une fois se reproduire impunément le fait de la présence d'un religieux ou d'une religieuse pour deux malades, pour deux vieillards, pour deux enfants. A ceux qui se plaindraient, l'évêque administrateur spécial répondra qu'il tient à ce que les malades, les vieillards, les enfants soient bien soignés, et qu'un personnel trop nombreux vaut mieux qu'un personnel insuffisant.

« M. le ministre de la justice répondrait, lui, c'est le sens d'une réponse qu'il a faite à la section centrale : que le personnel religieux n'étant aux malades, aux vieillards, aux enfants que dans la proportion d'un à deux, reste l'accessoire de l'œuvre de bienfaisance, et que par conséquent les plaintes ne sont pas fondées. »

Eh bien ! permettez-moi d'abord de relever les erreurs que l'honorable M. Delfosse commet dans cette interprétation qu'il donne au projet de loi.

Après cela, j'aurai l'honneur d'indiquer à la Chambre comment ce grief, tant de fois reproduit contre nous, et hier encore si vivement par l'honorable M. Verhaegen, doit disparaître entièrement du débat, au moins pour tous ceux qui voient dans cette discussion, non pas un procès de tendance contre la loi, non pas une sorte d'enquête anticipée pour une réaction qu'on espère de l'avenir, mais un examen sérieux des dispositions du projet.

L'honorable M. Delfosse demande qui sera juge sinon l'évêque institué administrateur spécial d'un hospice ou d'une école, du nombre de religieux nécessaire au service ? Qui sera juge du nombre, messieurs ? Mais la députation permanente, éclairée par l'avis du conseil communal. C'est la disposition formelle du projet de loi. En effet, l'article 37 porte :

« Les médecins et chirurgiens sont nommés et révoqués par la commission administrative, sous l'approbation du conseil communal. En cas de dissentiment, il est statué par la députation permanente.

« Tous les autres employés des hospices et des bureaux de bienfaisance sont directement nommés et révoqués par la commission administrative.

« Les dispositions du présent article ne dérogent pas aux conventions conclues et ne font pas obstacle aux conventions à conclure par la commission administrative avec des associations religieuses ou laïques dans les limites de la loi.

« Ces conventions sont soumises à l'avis du conseil communal et à l'approbation de la députation permanente.

« Et l'article 37 est rendu commun aux établissements érigés en fondations spéciales par l'art. 84 du projet de loi. »

Il résulte clairement de là que pour introduire les membres d'une association religieuse ou laïque dans un établissement fondé, il faut de toute nécessité une convention approuvée par la députation permanente. Cette nécessité existe pour les administrateurs spéciaux, comme pour les commissions administratives des hospices civils. Personne ne peut se soustraire à cette prescription de la loi qui est égale pour tous, qui est la même pour tous.

Or, cette convention doit déterminer à coup sûr le nombre de personnes et les conditions auxquelles ces personnes sont admises à desservir l'établissement, et les éventualités qui peuvent faire admettre une augmentation ou qui peuvent rendre obligatoire une réduction de ce personnel, afin qu'il soit toujours dans une juste proportion avec les besoins et les services charitables de l'établissement. La députation permanente doit donc statuer sur tout cela ! Il faut son approbation pour tout cela ! C'est donc par erreur que l'honorable M. Delfosse a pensé que le seul juge, ce serait l'administrateur spécial.

Non seulement, il y a ici la plus parfaite identité de position pour (page 1511) les établissements érigés en fondation spéciale et les établissements exclusivement communaux (observation que j'ai faite en répondant à la section centrale). Mais l'avenir n'est pas moins libre et dégagé à l'égard des uns qu'à l'égard des autres. (Observation que j'ai également faite à la section centrale.) La durée des conventions doit en effet être appréciée par la députation permanente comme toutes les autres clauses des conventions dont il s'agit.

Y-a-il rien de plus décisif ? Cependant, on a absolument raisonné comme si la loi ne laissait rien à faire ni rien à dire à la députation permanente ; il ne pouvait en être autrement ; on a mis toute sa science à chercher dans le projet ce qui n'y est pas, on a fermé les yeux pour ne pas voir ce qui y est.

L'honorable M. Delfosse, dans le passage que j'ai cité de son discours, entend que l'administrateur spécial, ce soit nécessairement l'évêque, l'évêque toujours, l'évêque partout ; telle est à peu près sa formule. C'est encore supposer une impossibilité évidente. En effet, l'administrateur spécial doit être domicilié dans la commune comme tout membre du bureau de bienfaisance. C'est l'article 80 qui le dit expressément. L'évêque ne peut donc être administrateur spécial que pour les fondations établies dans la ville où il a son domicile, où est le siège de son évêché.

L'honorable M. Delfosse suppose encore que le procureur du roi ne donnera pas suite à la plainte de la députation permanente. Je réponds que l'article 89 n'est pas facultatif. Dès que la plainte lui est adressée, le procureur du roi est tenu de citer l'administrateur spécial qui refuse de rendre compte, ou qui est accusé de détourner les revenus de la fondation de leur destination charitable.

Nous n'avons donc pas à craindre, comme l'honorable M. Delfosse le craint, qu'on verra fréquemment deux religieuses pour un malade, et ce n'est pas sérieusement que l'honorable député de Liège suppose que la proportion d'un à deux est la règle de trois que je crois applicable en matière d'établissements de bienfaisance.

Je crois avoir démontré que, quant au personnel religieux ou laïque qui serait appelé à les desservir, les établissements érigés en fondations sont sur la même ligne, dans les mêmes conditions, sous le coup du même contrôle que les établissements purement communaux. Même garantie, même devoir, surveillance des mêmes autorités. J'ai démontré que les attaques contre la loi reposent, non sur l'interprétation de la loi, mais sur la négation des dispositions les plus formelles de la loi. Le gouvernement pourrait s'arrêter là. Eh bien, nous voulons que la possibilité de toute équivoque s'évanouisse. Le gouvernement vous proposera une rédaction qui reproduira le commentaire même que je viens d'avoir l'honneur de vous présenter, sur le sens et la portée des articles 84 et 37 du projet de loi. Cette rédaction consiste dans un paragraphe final de l'article 84 ainsi conçu :

« Chaque fois que la députation permanente donnera son approbation aux conventions à conclure avec des associations religieuses ou laïques, conformément à l'article 37 de la présente loi, elle limitera en même temps le personnel qui sera attaché au service de l'établissement fondé. La députation permanente pourra toujours, après avoir pris l'avis du conseil communal et sauf recours au Roi, autoriser l'augmentation du personnel quand les besoins de l'établissement l'exigeront, ou ordonner la réduction du personnel si celui-ci excédait les besoins de l'établissement d'après sa destination charitable. »

e le demande, messieurs, avec un texte aussi formel, y a-t-il encore une discussion sérieusement possible sur le point de savoir si la députation permanente, éclairée de l'avis du conseil communal, sera juge de la juste proportion entre le personnel et les besoins charitables de l'établissement ? Je le demande à l'honorable M. Delfosse lui-même, est-il possible de soutenir sérieusement que l'administrateur spécial sera seul juge du nombre de religieux ou religieuses, et qu'il pourra en exagérer le nombre sans tenir compte des besoins, des services, de la destination de l'établissement charitable ?

On a tant de fois appelé l'attention de la Chambre loin du projet de loi ou à côté du projet de loi, que je me crois autorisé à la convier à bien se fixer sur cette question du personnel. On est là dans le vif du débat, on est au cœur du projet de loi.

Nous avions dit que la destination charitable est la limite légale et nécessaire de l'immeuble qu'il est permis à la fondation de conserver. Nous en avons conclu que l'exagération de l'immeuble, dans un but exclusivement religieux, n'était pas possible d'après le projet. Je pense avoir le droit de maintenir cette conclusion.

Nous avons également dit que la destination charitable est la limite légale et nécessaire de l'emploi des revenus : nous en avons conclu que l'exagération du personnel religieux n'était pas possible d'après le projet.

Eh bien, ce que nous vous signalions comme la conséquence nécessaire des dispositions de la loi, comme la conséquence voulue et prévue par nous des dispositions de la loi, nous venons de l'y inscrire en toutes lettres : que reste-t-il dès lors des attaques qu'on nous a prodiguées sur ce point ?

Que reste-t-il de cette accusation de multiplier les couvents sous prétexte de charité, sous le manteau de la charité, qu'en reste-t-il ? Le bon sens et la conscience du pays l'apprécieront.

Oh ! je le sais bien ! Pour nos adversaires, il reste quelque chose encore ; c'est de crier à l'impuissance de la loi ! C'est de supposer que personne ne fasse son devoir. Que dis-je ? Que tout le monde dans l'administration comme dans l'ordre judiciaire, se donnera le mot pour forfaire aux devoirs que la loi impose dans l'intérêt des pauvres, dans l'intérêt le plus sacré de tous ! On suppose la complicité universelle. Le conseil communal, une autorité élective, aura peur, non des électeurs, mais du clergé : mais alors, pourquoi songeait-on, je vous prie, à lui imposer de par la loi le curé comme membre du bureau de bienfaisance ? Le procureur du roi aura peur, parce qu'ayant lu l'histoire de la révolution française et le discours de l'honorable M. Rogier, il craindra d'être appelé Robespierre ! Vraiment ! je ne m'attendais pas à cette puissance de logique. La députation permanente, encore un pouvoir élu, aura peur, non des électeurs, mais du clergé. Ainsi, la députation permanente du Brabant, de Liège, du Hainaut, de la Flandre occidentale, de la Flandre orientale, toutes enfin, seraient ou gangrenées de cléricalisme, ou dépourvues de toute espèce de courage civil, voire même du courage civil le plus facile, celui qui consiste à obéir aux lois ?

Ah ! prenez garde, messieurs, ces simulations, ces exagérations de la peur, ce système de suspicion à outrance, qui sont une injure pour tous les pouvoirs sociaux, donnent le droit de vous dire : que vous ne mettez le clergé au-dessus de toutes les lois, que pour pouvoir, en matière de charité, le mettre hors la loi !

Et ici, messieurs, les honorables orateurs qui combattant le projet de loi sont loin d'être d'accord.

J'ai montré l'action directe et prépondérante que le projet accorde à la députation permanente, sur les établissements et les œuvres de bienfaisance érigés en fondations spéciales. Or, tandis que la plupart des honorables membres prétendent que tout cela sera déception, parce que la députation permanente qui a le pouvoir d'agir, n'aura pas assez de courage ou, si on préfère, n'aura pas assez d'indépendance et de résolution pour agir, l'honorable M. Lelièvre, au contraire, nous reproche de n'avoir pas donné à la députation permanente le droit de révocation que le projet confère à l'autorité judiciaire !

Ainsi, l'honorable M. Lelièvre a assez de confiance dans la députation permanente pour croire qu'elle userait du droit de révocation avec plus de vigueur que les tribunaux, tandis que ses honorables amis n'attribuent pas à la députation permanente assez de vigueur pour requérir le procureur du roi de poursuivre la destitution !« Pourquoi, dit l'honorable M. Lelièvre, ne pas déférer.... même le droit de révocation à la députation permanente, dont l'action est plus efficace que celle des tribunaux et qui, sans contredit, exercera un contrôle plus sérieux ? » (page 1314 Annales, première colonne in fine).

N'est-ce pas la meilleure réponse à ceux qui soutiennent que la députation permanente sera impuissante ou inerte, quels que soient les abus, et qu'elle se bornera à laisser faire et à laisser passer ?

Ne croire à rien, n'avoir confiance en rien ; ne croire à personne, n'avoir confiance en personne : voilà le programme des adversaires de la loi. L'administration, depuis le ministre jusqu'au dernier conseiller communal, est suspecte ! La justice, l'arche sainte de tous les droits et de tous les intérêts, est suspecte !

Nous avons fait appel à la publicité, au pouvoir et au contrôle d'une presse qui jouit de la liberté la plus large ; la presse est suspecte ! Elle est suspecte au moins d'impuissance, si pas de complicité !

En présence de cet acharnement à se défier de tout et de tous, il ne nous reste qu'une ressource, messieurs, c'est de faire un appel au contrôle direct et permanent de l'opposition parlementaire elle-même. Oui, messieurs, c'est de faire l'opposition elle-même juge de tous les faits qui se produiront dans le domaine de la charité ; c'est de lui placer sous les yeux, c'est de lui mettre à la main, les éléments d'une inspection permanente des établissements charitables du royaume ; de telle façon, qu'elle puisse découvrir chaque abus, se rendre compte de l'emploi des ressources et de la situation de chaque œuvre charitable, en un mot, suivre pas à pas l'exécution de la loi.

Je dis l'opposition, messieurs, mais c'est en envisageant son rôle à la fois actif et critique, son rôle militant que je me suis exprimé ainsi, car pour suppléer à l'inefficacité, qu'on suppose, de la publicité et de la presse, vous avez compris que c'est au contrôle direct des Chambres que le gouvernement se propose de demander une garantie nouvelle.

Tel est le sens d'un article additionnel que le gouvernement s'est décidé à vous proposer.

Chaque année, messieurs, un rapport sera présenté aux Chambres sur tous les établissements de bienfaisance du pays.

Ce rapport indiquera :

La situation de tous les établissements de bienfaisance, les fondations comprises :

Leurs ressources,

Leurs dépenses,

Leur personnel,

Le nombre de personnes secourues à l'établissement,

L'importance des secours distribués en dehors de l'établissement,

Les frais d'administration,

Les budgets et les comptes,

Les libéralités charitables dont l'acceptation a été autorisée ou refusée,

Les fondations qui ont été autorisées ou dont l'autorisation a été refusée,

(page 1512) Les rapports de l'inspecteur nommé par le gouvernement, ainsi que l'indication de tous les conflits et difficultés qui auront surgi pendant l'année soit administrativement, soit judiciairement.

Je vous le demande encore une fois : où reste-t-il un refuge aux appréhensions de ceux qui craignent un régime occulte, qui doutent de l'efficacité de ce grand principe de la publicité que notre projet met si largement en action. Ce sont les Chambres qui jugeront ainsi en dernier ressort toutes les questions et tous les faits qui se rapportent à ce grand intérêt de la charité. Qui sait ? Peut-être la Chambre qui a des commissions permanentes des finances, du commerce, des naturalisations, jugera-t-elle plus tard qu'il est digne d'elle, digne de sa sollicitude pour l'indigence, de créer dans son sein une commission permanente de la bienfaisance publique.

Mais quelle que soit son appréciation à cet égard, qu'il me soit permis au point de vue de la discussion de conclure qu'avec le compte-rendu annuel, que le gouvernement lui devrait soumettre, la Chambre n'ignorera rien de ce qui se fera dans la sphère de la bienfaisance, et dès lors qu'il se trouvera sur ces bancs, pour dénoncer et faire redresser les abus, des voix qui auront le courage qu'on semble dénier à tout le monde. Il ne me faut rien de plus pour répondre à ce grief que la publicité elle-même serait impuissante contre les abus.

L'exécution de la loi se trouvera donc placée sous la garantie de la responsabilité ministérielle.

En 1854, lors de l'examen du projet de loi de M. Faider, il s'est agi également dans le sein de la section centrale de la question de savoir si un ministre ne pourrait pas abuser de cette loi, commettre des actes d'iniquité, éluder la loi, se laisser aller à l'esprit de parti. Et qu'a répondu un membre de la majorité d'alors ?

La responsabilité ministérielle sera là, il n'y aura pas de ministre qui osera éluder la loi, forfaire à la loi. Dans notre pays de publicité, dans notre pays de liberté de la presse, la responsabilité ministérielle est la garantie la plus efficace de la bonne exécution d'une loi.

Voilà ce qu'on disait en 1854 et ce que, pour ma part, j'accepte en 1857 pour moi et mes successeurs.

L'honorable M. Tesch a fait bon marché de la publicité ; il soutient que sans le principe de l'élection, elle n'est rien. C'est une confusion évidente. La publicité est le complément du système électif, parce qu'elle fait connaître à l'électeur les faits et gestes de l'élu. Mais le système électif n'est pas le complément de la publicité, parce que celle-ci exerce son empire sur toutes les fonctions même non-électives, et même sur tous les citoyens, chaque fois qu'il s'agit ou de dénoncer des abus ou des faits réprouvés par l'opinion. Est-ce que tous les fonctionnaires nommés par le gouvernement, est-ce que les ministres eux-mêmes ne relèvent pas de la publicité ? Est-ce que la magistrature, tout inamovible qu'elle est, ne subit pas son contrôle ? Or, les administrateurs spéciaux ne seront pas inamovibles, et le fussent-ils, assurément que la publicité aura prise et par conséquent exercera son contrôle sur leurs actes.

Dans notre pays nul n'est de force à secouer l'empire de l'opinion publique.

Messieurs, encore un reproche qui touche à la sincérité de la loi : c'est la théorie de l'honorable M. Tesch sur les budgets des établissements et sur le compte de ces établissements. L'approbation des uns et des autres par l’autorité publique n'est rien, s'il faut l'en croire. Tant à recevoir, tant à dépenser ; Voilà le budget. Tant reçu, tant dépensé. Voilà les comptes. Mais que voulez-vous, dit l’honorable membre, que le conseil communal et la députation permanente y voient ? La chose essentielle c'est le bon emploi, or, comment voulez-vous contrôler le bon emploi ? On donnera aux pauvres, ajoute-t-il, mais on ne donnera pas aux vrais pauvres ; au lieu de soulager la misère on engendrera la fainéantise.

Je demanderai à l'honorable membre ceci : si le conseil communal et la députation permanente ne peuvent rien voir au budget et aux comptes des fondations, ce que ces mêmes autorités peuvent voir aux budgets et aux comptes des bureaux de bienfaisance, si elles n'y voient rien, toute l'administration de la bienfaisance publique est donc sans contrôle sérieux ? Oh ! me dit-on, il y a l'élection ! mais je ne parle pas ici au point de vue des contribuables, je parle au point de vue des pauvres, dans l'intérêt des pauvres : il n'y a donc pas de garantie du tout pour eux.

Je dis : ou bien toute l'administration de la bienfaisance publique est aujourd'hui sous le régime du bon plaisir des commissions administratives, ou le contrôle efficace pour celles-ci sera efficace aussi pour les administrateurs spéciaux.

L'honorable M. Tesch suppose qu'on fera des comptes et des budgets dérisoires. Mais les règlements que l'article 104 autorise le Roi à faire pour l'exécution de la loi, imposeront à tous les établissements charitables la formule de budgets et de comptes sérieux et détaillés, qui seront de nature à permettre un contrôlé réel. Si le bon emploi est tout, la vérification de l'emploi sera assurée.

En effet, supposons un hospice érigé en fondation spéciale : la dépense autorisée au budget portera sur le nombre moyen des indigents à admettre à l'hospice. La dépense libellée au compte devra porter sur le nombre réel d'indigents admis dans les hospices. Si la dépense est autorisée pour cent indigents et qu'il n'en ait été recueilli que cinquante pendant l'exercice, la dépense admise en compte ne pourra être qu'en proportion des admissions effectives ; elle ne le sera pas d'après la prévision du budget. L'approbation du budget aura donc été un acte sérieux ; l'approbation des comptes sera un acte sérieux aussi. Je voudrais qu'on me dise quelle différence on découvre ici entre l'hospice spécial et un hospice communal ? On a, pour l'un comme pour l'autre, le contrôle intéressé du conseil communal ; on a, pour l'un comme pour l'autre, le contrôle éclairé de la députation permanente.

Supposons maintenant qu'il s'agisse, non d'un hospice, mais d'aumônes à distribuer. C'est surtout l'hypothèse qu'envisage M. Tesch.

Eh bien, ici encore on a les mêmes garanties pour le distributeur spécial de la fondation que pour les distributeurs officiels du bureau de bienfaisance.

Il faut qu'il renseigne ce qu'il a reçu ; il faut qu'il renseigne ce qu'il a distribué et à qui il a distribué. Notre projet faisait une seule exception en faveur des pauvres honteux.

L'article 88 dispensait les listes nominatives de pauvres honteux de toute publicité. La section centrale a supprimé ou plutôt elle a neutralisé cette exception en ordonnant communication de la liste au bureau de bienfaisance.

Ainsi, tout le monde pourra vérifier la réalité de la distribution faite aux pauvres que la distribution spéciale désignera ! Tout le monde pourra s'assurer s'il ment ou s'il dit vrai ! Même à l'égard des pauvres honteux, le bureau de bienfaisance pourra aller vérifier jusqu'au dernier centime des aumônes distribuées !

On a insisté dans le principe sur le danger du double emploi dans les distributions de secours. Je demande comment le double emploi reste possible ? Le bureau de bienfaisance saura le nom de toutes les personnes secourues : c'est donc lui qui devrait commettre le double emploi.

Après le double emploi, c'est du bon emploi que l'on argumente. Mais, messieurs, il est évident qu'un distributeur spécial ne pourra pas faire l'aumône à des gens qui ont des ressources pour vivre, au détriment de l'indigent qui meurt de faim.

Cela n'est, certes, pas possible avec la loi : pourquoi ? parce que ce serait détourner les revenus de la fondation de leur destination : parce qui ce serait un cas de révocation pour le distributeur spécial. Cela est clair, et c'est incontestable.

Les aumônes iront donc toujours à des indigents. Il est impossible en fait, il est légalement impossible, que les aumônes aillent à d'autres qu'à des indigents. Voilà ce que ce fait la loi, voilà ce qu'elle garantit.

Maintenant, je demanderai à l'honorable M. Tesch ce qu'il craint encore ? Il craint que les distributeurs spéciaux choisissent mal parmi les indigents à secourir ! Il craint qu'ils choisissent les plus fainéants, les plus vicieux, les moins digues d'intérêt et de secours ?

Mais, messieurs, appelons les choses par leur nom. Les distributeurs qui inspirent ces craintes ce sont les membres du clergé, les fonctionnaires ecclésiastiques. Je demanderai ce qui autorise à penser que les fonctionnaires ecclésiastiques soient ainsi exposés, eux dont l'aumône est le ministère de chaque jour et de toute la vie, à prostituer leur pitié aux indigents indignes de commisération ? de quel droit pense-t-on que les maîtres des pauvres du bureau de bienfaisance aient une charité plus éclairée, moins infaillible ? Eh bien ! les faits sont là : il n'en ressort pas d'infériorité pour le distributeur ecclésiastique. Le gouvernement a donc le droit de maintenir que les budgets et les comptes, soumis à l'approbation de l'autorité communale et provinciale, constituent un contrôle sérieux. Les arrêtés et règlements que le gouvernement est autorisé à faire par l'article 104 pour l'exécution de la loi, imprimeront d'ailleurs à la comptabilité des établissements de bienfaisance tous les caractères et toutes les règles qui seront de nature à assurer la fidèle exécution de la volonté charitable du fondateur. Si l'on trouvait l'article 104 trop peu formel, à cet égard, le gouvernement est prêt à admettre une rédaction plus positive.

Déjà par les considérations que je viens de soumettre à la Chambre, j'ai suffisamment fait voir que l'intervention du pouvoir judiciaire, que la députation permanente a le droit de provoquer, est une grande et forte garantie de la répression des abus qu'on ne cesse de nous prédire. Là encore, la loi est sincère. La magistrature n'a donné à personne le droit de la faire entrer dans cette complicité universelle, qui est la base de tout, le système d'attaque des orateurs et des écrivains de l'opposition.

(page 1513) Un mot encore, messieurs, pour compléter ce que j'ai à dire, afin de constater, à vos yeux et aux yeux du pays, la sincérité du projet de loi. Je veux parler de la personnification civile des fondations.

Le projet la leur refuse ; l'opposition veut, malgré le projet, qu'elle leur soit accordée ! Donnez-leur la personnification civile, nous dit-on, ce sera plus franc ! Non, messieurs, ce ne serait pas franc, car nous ne voulons pas la multiplicité des personnes civiles, nous ne voulons point de cette complication ni dans le présent ni dans l'avenir ; ce ne serait pas logique, car tout le système du projet suppose dans le bureau de bienfaisance le véritable domaine des biens de la fondation, qu'il est appelé à gérer temporairement dans un grand nombre de cas ou définitivement dans plusieurs hypothèses : et ce ne serait pas juridique puisque la spécialité de destination, qui commande le plus souvent la spécialité de l'administration, n'empêche pas les biens des fondations d'appartenir en réalité au même mineur perpétuel : C'est-à-dire aux pauvres. Or, cela suffit à justifier qu'on maintienne une seule et même personnalité civile, encore que le patrimoine général de ce mineur soit géré par un tuteur (le bureau de bienfaisance) et une partie distincte et spéciale du patrimoine par une sorte de protuteur (l'administrateur spécial). Ce système, conforme à une longue pratique administrative, ne heurte en rien les principes du droit civil. (Article 417 C. c.)

J'ai tâché de vous montrer la sincérité de la loi par tout ce que les garanties qu'elle établit ont de sérieux. Je ne puis répondre plus à propos à une partie du discours de l'honorable M. Tesch où, après avoir soutenu que nos garanties ne sont rien, il indique à son tour les garanties qu'il eût fallu inscrire dans la loi.

Voyons.

Première garantie de l'honorable M. Tesch : il l'emprunte à l'édit de Marie-Thérèse du 18 septembre 1753 ; il cite l'article 17.

Cet édit est-il fait contre les donations et legs charitables ? Non. Il était fait 1° contre les mainmortes religieuses qui s'établissaient sans autorisation du souverain et 2° contre les acquisitions directes ou indirectes d'immeubles que les établissements de mainmorte faisaient sans autorisation du souverain : deux genres d'infractions aux ordonnances antérieures sur la matière.

Mais, dira-t-on, c'était toujours contre la mainmorte : Evidemment, mais contre laquelle ? Contre la mainmorte purement ecclésiastique, mais non contre celle qui dérive des legs et dons exclusivement charitables.

Cet article 17 m'en donne la preuve, car il veut 1° que les donations dépassant certaines sommes (500 fl.) soient enregistrées du vivant du donateur ; 2° que celles qui dépassent 1,000 fl. une fois ou 50 fl. par an soient approuvées par lettres d'octroi du souverain.

Voici l'article 17. Mais lisons l'article 18.

« Il ne sera cependant pas nécessaire de faire l'enregistrement ni d'obtenir d'octroi pour les dispositions d'argent ou d'effets mobiliers qui excéderaient lesdites sommes lorsqu'elles se feront en faveur de la nourriture du pauvre dans les hôpitaux, hôtels-Dieu, maladreries, ou en faveur de tables des pauvres, établies dans les paroisses, écoles de charité, etc. »

Qu'est-ce qui a le plus d'analogie avec notre loi, l'article 17 ou l'article 18 de l'édit ?

Rien n'aurait donc justifié dans la loi nouvelle une mesure équivalant à la prohibition des legs charitables et restreignant les libéralités charitables à un seul mode de disposer : celui de la donation entre-vifs.

Interdire de disposer par testament au profit des pauvres ! Est-ce là une innovation qui soit dans les mœurs et que sollicitent les besoins du pays ?

N'est-ce pas proclamer qu'on craint un développement trop considérable du patrimoine de l'indigence ? Cette crainte, nous ne l'avons pas.

C'est l'insuffisance démontrée des ressources de la charité qui nous préoccupe. Nous ne saurions le répéter avec trop d'insistance.

Deuxième garantie que l'honorable M. Tesch eût voulue : C'est le règlement de la ville d'Anvers de 1779 qui prévient le danger des doubles emplois. Voyons cela :

« Les administrateurs des fondations devaient faire connaître au bureau de bienfaisance quels étaient les individus qui jouissaient de la fondation ; le bureau de bienfaisance de l'époque, dit l'honorable M. Tesch, pouvait ainsi donner à ses secours une autre direction. »

Je demanderai à l'honorable M. Tesch ce que fait le projet ? Ce qu'il fait ? Ce qu'il ordonne ? Mais d'après le projet : on doit faire connaître a tout le monde les pauvres secourus ! D’après le projet : on doit faire connaître au bureau de bienfaisance, même les pauvres honteux ! Ainsi le veut l'article 88 amendé par la section centrale.

On va donc plus loin que le règlement d'Anvers. J'avais bien raison de dire qu'à force de chercher dans le projet ce qui n'y est pas, on a oublié de voir ce qui y est !

L'honorable M. Tesch constate ainsi lui-même, que le bureau de bienfaisance, quand il connaît les pauvres secourus par la fondation, peut donner à ses secours une autre direction. M. Tesch constate donc que le projet de loi ferme la porte aux doubles emplois.

Troisième garantie de l'honorable M. Tesch.

« Le règlement d'Anvers obligeait les administrateurs de donner aux véritables pauvres sous peine de retrait de la collation. »

Et le projet que fait-il, s'il vous plaît ?

J'ai prouvé tantôt qu'il assure, qu'il garantit que les véritables pauvres recevront seuls les aumônes fondées. Si l'on donnait à d'autres il y aurait détournement, et le détournement de la destination emporte la révocation du distributeur spécial.

Voilà pour les garanties, en ce qui concerne l'emploi des revenus.

M. Tesch critique vivement les dispositions du projet destiné à empêcher le détournement des biens formant la dotation des fondations. La remise que l'article 90 du projet autorise des titres, lui paraît un grand danger en cas d'insolvabilité des administrateurs ou distributeurs spéciaux.

Cette accusation repose sur la plus fausse appréciation de la réalité des choses.

La discussion dans laquelle je vais entrer pourra vous sembler aride, mais je crois nécessaire de répondre aux objections pratiques faites contre cette partie de la loi par un homme d'un talent aussi sérieux que celui de l'honorable membre que je réfute.

Quels titres remettra-t-on ? article 90.

1° De propriété. Avec tous les titres du monde on ne peut ni mettre la propriété en poche, ni la vendre, ni la grever ; en effet, les propriétés sont transcrites au nom du bureau de bienfaisances ; donc, aussi inaliénables que tous les biens de la charité publique. La possession des titres de propriété est sans danger.

2° Constitution de rente.

Comment seront-elles ? Elles seront :

Ou bien au nom du bureau de bienfaisance et de la fondation : cession, aliénation, détournement également impossible !

Ou d'obligations au nom des donateurs ou testateurs, et dans ce cas le titre de la fondation et du bureau de bienfaisance aura été notifié au débiteur, donc, encore détournement impossible !

Ou bien au nom du donateur ou testateur : dans ce dernier cas, annotation aux hypothèques de la transmission faite à la fondation, c'est-à-dire au bureau de bienfaisance (article 5 loi hypothécaire du 16 décembre 1851) et notification au débirentier du titre, au profit de la fondation et du bureau de bienfaisance : donc, ni aliénation, ni détournement possible !

3° Titres d'obligations.

Ici encore il s'agit :

Ou d'obligations reconnues directement au profit de la fondation et par conséquent du bureau de bienfaisance ; et certes toute aliénation ou détournement est impossible.

Ou d'obligations au nom des donateurs ou testateurs, et dans ce cas le titre de la fondation et du bureau de bienfaisance aura été notifié au débiteur, donc, encore détournement impossible.

4° Titres d'actions ou actions.

Mais données à la fondation et au bureau de bienfaisance, elles doivent être transférées au nom du bureau de bienfaisance et de la fondation. Le patrimoine des pauvres ne peut pas consister en actions au porteur !

Supposez une donation d'actions au porteur : on l'autorisera sans doute, mais à la condition de vendre les actions et de placer le produit en rentes sur l'Etat ; rentes au nom du bureau de bienfaisance et de la fondation, cela va sans dire ! Comment donc supposer la possibilité du détournement ?

Dira-t-on qu'il y a danger dans le cas où le remboursement se fera soit de rentes, soit d'obligations ? Mais cette objection n'a pas de sens !

Les remboursements, comme les placements et remplois de capitaux des bureaux de bienfaisance doivent être approuvés par le conseil communal et la députation permanente (article 54 du projet).

Cela est applicable aux fondations (article 87).

Donc, l'abus est impossible.

La députation, le conseil communal ont le devoir et le droit de stipuler dans l'intérêt de la parfaite conservation des capitaux qui font partie de la dotation des fondations. L'insolvabilité de l'administrateur spécial est ici chose indifférente.

Toute idée, toute possibilité de détournement et de dilapidation des biens, est exclue par le système du projet. Les craintes témoignées par l'honorable M. Tesch ne sont pas chimériques seulement : elles sont, légalement et juridiquement irréalisables.

Que si aux considérations que je vous ai soumises, vous ajoutez messieurs, l’inspection, d'abord du fonctionnaire nommé par le gouvernement et dont les rapports passeraient chaque année sous les yeux de la législature, ensuite du bourgmestre de la commune qui accompagnera toujours le fonctionnaire du gouvernement ; et enfin, si vous y ajoutez le droit accordé à la députation permanente d'envoyer sur les lieux des commissaires spéciaux chargés de recueillir les faits et d'appliquer les règlements, je vous demanderai si l'on peut contester au projet de loi la pensée sincère et énergique d'augmenter les ressources de la bienfaisance par une liberté d'action plus large laissée à la charité privée, mais en entourant le patrimoine des pauvres des garanties les plus efficaces de conservation et de bonne gestion ?

Messieurs, j'ai eu l'honneur d'annoncer à la Chambre qu'après avoir établi la sincérité de la loi, je m'efforcerais d'établir que cette loi n'est pas l'œuvre de l'esprit de parti et qu'elle est modérée. Pour faire cette (page 1514) preuve, je vous montrerai quelle a été la pratique constante de toutes les administrations depuis 1830 jusqu'en 1847. Si je parviens à établir que le projet de loi que nous vous avons soumis n'est que le résumé, la consécration, la restauration, comme l'a justement dit l'honorable M. Malou, de toutes les solutions, de toutes les règles, quelquefois des expédients adoptés par toutes les administrations qui se sont succédé jusqu'en 1847, évidemment j'aurai prouvé par là même que le projet de loi s'a pu être l'œuvre de l'esprit de parti, puisque tout le monde y a concouru ; ce sera une œuvre éclectique, mais ce ne sera pas l'œuvre de l'esprit de parti.

C'est cette preuve que je vais entreprendre ; je préviens la Chambre que je serai long, que j'aurai beaucoup de lectures à faire ; mais enfin, je crois cette preuve nécessaire. On m'y a d'ailleurs amené.

On a dit, qu'avant l'avènement du ministère de 1847, les questions relatives à la charité, et principalement à l'application de l'article 84 de la loi communale, n'avaient pas été examinées.

On a, messieurs, cité, de très bonne foi, je le reconnais, le nom d'un homme éminent, de feu M. Ernst, comme ayant partagé cette opinion, que l'article 84 de la loi communale n'a pas la portée que nous lui attribuons et qu'il n'est pas applicable aux fondations futures. On a cité M. Ernst et, je le répète, c'était de bonne foi : l'honorable M. Moreau avait puisé ce renseignement dans la discussion, restée incomplète, de 1849, et il a effectivement dû conclure que l'opinion de M. Ernst était contraire à celle que nous soutenons. Je vais commencer par prouver que c'est inexact : M. Ernst était d'avis que l'article 84 est applicable aux fondations spéciales.

Pour faire cette démonstration, je suis obligé de parler encore une fois de l'affaire Hecquet-Berenger, parce que c'est dans cette espèce, comme on dit en style administratif, que la question a été traitée à fond. Voici, messieurs, comment cette affaire se présentait :

« Par testament olographe du 9 septembre 1835, Mme veuve Hecquet de Bérengcr, dispose comme suit :

« Je soussignée Jeanne-Marie Reinhard, veuve Hecquet de Bérengcr, rentière demeurant à Bruxelles, lègue :

« 1° Aux pauvres de l'église protestante de Bruxelles, sur la Vieille Cour, 40,000 francs ;

« 2° Aux pauvres des trois églises catholiques romaines suivantes, telles que l'église des Minimes, l'église de Notre-Dame de Bon-Secours et l'église de Sainte-Catherine, 50,000 francs, à Bruxelles ;

« Je désire que les capitaux ci-dessus légués soient placés sur des biens solides par les administrations respectives des églises et corporations, à un intérêt qui ne pourra être moindre de 4 p. c. et que lesdits intérêts soient distribués convenablement auxdits pauvres chaque année.

« Etc., etc. »

Des diligences furent faites, d'une part, par les membres du consistoire de l'église évangélique française et allemande ainsi que par les conseils de fabrique des trois églises catholiques et, d'autre part, par le conseil général des hospices et secours de Bruxelles, à l'effet d'être autorisés à accepter les legs résultant du testament.

Il surgit alors la question de savoir si l'autorisation devait être accordée soit au consistoire et aux fabriques d'églises, soit à l'administration des hospices et secours.

La députation permanente s'était prononcée en faveur de l'administration des hospices et secours de Bruxelles.

Le ministre de l'intérieur (M. le comte de Theux) estimant que le legs était fait au consistoire et aux fabriques dont les membres devaient être considérés comme des administrateurs spéciaux, écrivit le 14 avril 1838, à son collègue, le ministre de la justice (M. Ernst), pour faire lui remarquer que l'avis de la députation permanente était basé sur les lois relatives à la bienfaisance, antérieures à la loi communale dont elle méconnaissait l'article 84, n°2 paragraphe 4 qui réserve aux bienfaiteurs le droit de choisir des administrateurs spéciaux.

La Chambre ne perdra pas de vue que ceci se passait en 1838, deux ans après la publication de la loi communale, à laquelle avaient coopéré et M. de Theux, ministre, et M. Ernst, ministre.

Voici ce que répondait M. Ernst, le 23 avril 1838, dans une lettre adressée à M. de Theux :

« Je regrette de ne pouvoir partager l'opinion énoncée dans votre dépêche du 14 du courant, 2ème division, numéro 17,777, au sujet des legs pieux faits par la dame Hecquet de Bérenger. En présence de la disposition de l'article 937 du Code civil, l'administration générale des hospices de Bruxelles me paraît être seule apte à accepter ces legs.

« Mais afin de concilier autant que possible la volonté de la testatrice et le vœu des lois qui confèrent aux administrations des hospices la gestion des biens des pauvres, on pourrait stipuler dans l'acte d'acceptation les legs dont il s'agit qu'ils seront consacrés exclusivement à secourir les pauvres du culte évangélique et ceux des paroisses désignées, sauf à laisser intervenir dans la négociation du placement des capitaux légués et dans les distributions de ces secours les conseils de fabrique des différentes paroisses et le consistoire de l’église évangélique, chacun pour ce qui le concerne de concert avec l'administration des pauvres.

« Moyennant cet arrangement facile à régler, le principe resterait sauf, et les intention de la testatrice seraient remplies évidemment, car elle n'a voulu que doter les pauvres de telle et telle paroisse el nullement es églises elles-mêmes. Elle n'a point eu la prétention, non plus, de créer une fondation placée sous la tutelle d'administrateurs spéciaux, dans le sens de l'article 84 de la loi communale que vous citez (article dont l'interprétation dans ce sens est d'ailleurs sujette à controverse) ; et il-, parait assez évident qu'elle n'a été mue que par la présomption erronée que les églises étaient appelées à recueillir les libéralités faites aux pauvres, ignorant sans doute le but et la nature de l'institution des bureaux de bienfaisance.

« Admettre un principe contraire aux vues ci-dessus exprimées, ce serait créer dans une même localité plusieurs institutions de même nature, agissant isolément, sans accord et sans unité ; ce serait donner lieu à des doubles emplois dans la distribution des secours ; ce serait semer le désordre et la confusion dans la gestion des biens des pauvres, et faire manquer complètement le but que la législation des institutions de bienfaisance s'efforce d'atteindre.

« Quoi qu'il en soit, monsieur le ministre, j'attendrai que vous ayez bien voulu me faire connaître votre opinion définitive sur le tempérament proposé dans l'espèce, avant de formuler un projet d'arrêté concernant l'autorisation d'accepter les legs dont il s'agit.

« Le ministre de la justice, Signé Ernst. »

Voilà, messieurs, la première lettre émanée de l'honorable ministre et dans laquelle il y a cette phrase que l'interprétation que donne M. de Theux de l'art. 84 est sujette à controverse Ceci se passait au mois d'avril.

M. Ernst trouvait donc alors qu'il y avait matière à controverse. M. de Theux insista pour faire donner à l'article 84 sa véritable interprétation.

C'est alors que fut préparée une réponse tendante à combattre l'opinion de M. le comte de Theux dans un projet de lettre qui fut soumis à l'approbation de M. Ernst et conçu en ces termes :

« Or, des lois de principe, des lois organiques ont institué les bureaux de bienfaisance pour être chargés d'administrer les biens des fondations faites en faveur des pauvres, et de leur en distribuer le produit, et ce sont ces administrations que l'article 937 du Code civil désigne exclusivement comme aptes à être autorisées par le gouvernement à recevoir les dons ayant cette destination. Cependant, ainsi que vous le dites, M. le ministre, ces dispositions n'interdisent pas au donateur la faculté de choisir des tiers pour assurer l'exécution de ses volontés ; mais dans ce cas, le législateur a entendu seulement permettre le concours, la participation plus ou moins directe de ces tierces personnes à l'emploi et à la gestion des biens légués dans les limites tracées par le décret du 31 juillet 1809 (voir page 60 du code administratif des établissements de bienfaisance. Edition de 1837).

« Tel était l'ordre établi et consacré par le temps et par l'usage, avant la promulgation de la loi communale de 1836. Il m'est impossible d'admettre que la phrase finale du deuxième paragraphe de l'article 84 de cette loi ait eu pour objet de modifier ces principes et de détruire ces formes salutaires et conservatrices contre lesquelles aucune plainte ne s'est élevée et qui n'ont pas empêché les dotations de s'accroître d'année en année.

« Le but de la disposition incidente de la loi communale ne peut avoir été que de prévenir que les autorités municipales ne confondissent les administrateurs spéciaux, c'est-à-dire, les administrateurs désignés par les fondateurs, pour être adjoints aux administrateurs officiels, avec ces derniers, ou bien encore, afin qu'elles n'inquiétassent pas les administrateurs d'établissements particuliers non reconnus ni autorisés par le gouvernement.

« Donner une portée plus étendue à l'article 84, ce serait préparer l'anéantissement des administrations des hospices et secours, attendu que leurs droits passeraient insensiblement en d'autres mains, et telle n'a certes pas été la volonté de la législature. Elle a au contraire prescrit d'établir des bureaux de bienfaisance dans toutes les communes (article 92 de la loi communale). Ayant dès lors reconnu d'une manière aussi prononcée l'influence bienfaisante de cette institution et toute son utilité, il est évident qu'elle n'aurait pu simultanément vouloir restreindre le cercle de son action, sans commettre un contre-sens. »

Voilà, messieurs, quel était le projet soumis à M. Ernst, et ce projet émanait de la division de la bienfaisance, alors dirigée par l’honorable M. Soudain de Niederwerth.

Que se passa-t-il alors ? Ce projet fut anéanti, fut bâtonné et en marge du premier paragraphe, on lit la note suivante écrite de la main du secrétaire général de cette époque :

« Vu les articles 68 du règlement des villes et 10 de celui du plat pays qui réglaient cette matière sous l'ancienne loi fondamentale et qui permettaient la nomination pour les fondations d'administrateurs spéciaux. »

Voilà l'opinion du secrétaire général quant au premier paragraphe de la lettre. En ce qui concerne le deuxième paragraphe où l'ou soutenait que l'article 84 n'avait pas la portée que nous lui attribuons, ce fonctionnaire écrivait la note suivante :

« Ce système me semble difficile à soutenir en présence du texte de l'article 84 de la loi communale qui porte :

« Il n'est pas dérogé aux actes de fondations qui établissent des administrateurs spéciaux. Cette disposition et surtout les motifs qui l'ont dictée me semblent autoriser à l'évidence la nomination d'administrateurs spéciaux entièrement indépendants des bureaux de bienfaisance.

« Il me semble donc qu'on doit se borner à soutenir, en fait, que dans (page 1515) l’espèce la testatrice n'a pas exprimé son intention de soustraire la gestion de son legs à l'administration des hospices pour l'attribuer exclusivement aux fabriques d'église et au consistoire.

« Le secrétaire général. »

Et au bas, je vois le paraphe de M. Ernst qui approuve la note du secrétaire général. Il est difficile, messieurs, de fournir une preuve plus complète de l'opinion de M. Ernst.

La correspondance continue, et je trouve au dossier une lettre réellement remarquable du ministre de l'intérieur, M. de Theux, lettre dont la minute est entièrement écrite de sa main ; elle est du 11 octobre 1838, et j'y lis notamment ceci :

« Il reste toujours à décider si, aux termes de la loi communale, la testatrice a pu désigner le consistoire et le conseil de fabrique, plutôt que le conseil général des hospices, et quelle a été réellement sa volonté.

« (…) Cependant je ne verrais aucune difficulté à réclamer l'avis de jurisconsulte qui ont pris une part plus active à la discussion de cet article de la loi communale, dont il est à désirer que le sens soit bien fixé, pour que les personnes qui voudraient faire des dispositions de la nature de celle dont il s'agit, ne soient pas exposées à un mécompte. »

Remarquez, je vous prie, ce passage : « article de la loi communale dont il est à désirer que le sens soit bien fixé, pour que les personnes qui voudraient faire des dispositions de la nature de celle dont il s'agit, ne soient pas exposées à un mécompte. »

C'est une phrase bien digne d'attention pour avoir été écrite dès 1838 et qui donne la mesure de la haute raison et de la prescience d'homme d'Etat de l'honorable comte de Theux.

Vous avez entendu que l'honorable M. de Theux avait proposé de consulter des jurisconsultes sur la portée de l'article 84 de la loi communale.

L'honorable M. Ernst répond à cette partie de la lettre, le 22 octobre 1838.

« Monsieur le ministre,

« (…) Quant à la proposition que vous faites de réclamer l'avis des jurisconsultes qui ont pris part à la discussion des dispositions de la loi communale relatives au point qui nous occupe ; cette démarche serait inutile, attendu que je conteste non pas le sens que vous attachez à la loi, mais celui que vous donnez au testament.

« Il ne s'agit donc pas d’un principe, mais d'un fait. Il ne s'agit pas de savoir si un legs peut, d'après la volonté du testateur, être administré par une commission qu'il aurait spécialement désignée ; ce que je ne nie point.

« Le seul point sur lequel je ne partage pas votre opinion, c'est que l'on puisse inférer des termes du testament, que la dame de Bérenger ait eu la volonté d'exclure le conseil des hospices de Bruxelles de toute participation à l’administration du legs fait par cette dame aux pauvres des paroisses désignées ; pour que son vœu soit rempli, il suffit, selon moi, que les conseils de fabrique desdites paroisses et le consistoire protestant interviennent, chacun pour ce qui les concerne, mais de concert avec l'administration des hospices, dans le placement des capitaux légués.

« Je vous prie de vouloir bien me faire connaître si vous apercevez encore maintenant quelque obstacle majeur à ce que je provoque une disposition royale conçue dans ce sens. »

M. de Theux clôt la discussion par la lettre suivante :

« Dans votre lettre du 22 de ce mois, première division, n°4047, B, relative au legs de Mme Hecquet de Béreuger, vous me faites connaître que vous ne contestez pas le sens que j'attache à la loi, mais seulement celui que je donne au testament. Vous ajoutez qu'il ne s'agit pas d'un principe, mais d'un fait : de savoir si un legs peut, d'après la volonté du testateur, être administré par une commission qu'il aurait désignée, ce que vous ne niez point.

« Puisque vous reconnaissez, M. le ministre, qu'un testateur a le droit de déférer la gestion d'un legs charitable à une commission qu'il désigne et par conséquent au conseil de fabrique d'une église, la question se simplifie et se réduit à savoir si, dans le cas particulier qui nous occupe, Mme de Bérenger a institué ou non les trois conseils de fabrique intéressés et le consistoire protestant. »

A la suite de cette discussion, l'arrêté a été pris dans le sens transactionnel, comme le proposait M. Ernst.

Aussi l'honorable M. Ernst a-t-il appliqué constamment le principe qu'il avait reconnu.

Il a admis ce système dans mainte circonstance : je citerai quelques-uns des arrêtés qu'il a contresignés :

Entré au ministère de la justice le 4 août 1834, dès le commencement de 1835, M. Ernst proposa d'autoriser les bureaux de bienfaisance à accepter des libéralités dont le produit devait être distribué par les curés des paroisses.

Il a admis successivement ce système par les arrêtés des 5 avril 1835 pour Eerneghem, 19 juin 1835 et 17 juin 1836 pour Nivelles, 20 août 1836 pour Châtelet, 23 février 1837 pour Fallais, 23 février 1837 pour Wasseige, 20 juin 1837 pour Embourg, 25 août 1837 pour Temploux, 27 septembre 1838 pour Namur.

« Il a accordé encore le droit de collation pour l'admission de vieillards dans les hospices.

« 1° Par arrêté du 29 mars 1835 au profit du bourgmestre et du curé de Jambe.

« 2° Par arrêté du 11 mai 1836, au profit du curé de Saint-Nicolas à Liège.

« Il a admis enfin des administrateurs spéciaux :

« 1° Par arrêté du 31 juillet 1836, pour un hospice de vieillards à Grez-Doiceau.

« 2° Par arrêté du 27 septembre 1838, pour un hospice à Wavre.

« 3° Pour une école et atelier de travail avec faculté d'admettre des élèves payants et sans obligation de rendre compte.

« 4' Pour une école en faveur des pauvres.

« 5° Pour une fondation charitable.

« 6° Pour une école gratuite en faveur des pauvres. »

Voilà les actes multiples posés par M. Ernst pendant la durée de son ministère et desquels il résulte qu'il admettait sans difficulté des administrateurs, des collateurs et des distributeurs spéciaux.,

Nous pouvons donc revendiquer l'autorité de M. Ernst.

L'honorable M. Moreau reconnaîtra qu'il s'est trompé en le rangeant au nombre des adversaires du système.

Il me paraît qu'il est impossible d'établir plus clairement devant la Chambre l'erreur profonde des honorables membres qui prétendent qu'avant 1847 la question n'avait pas été sérieusement examinée.

Je viens de prouver qu'elle a été agitée à fond pendant quatre mois entre deux hommes éminents et qu'elle a été décidée dans le sens de l'applicabilité de l'article 84 aux administrations spéciales des fondations futures.

M. Frère-Orban. - Dans le sens du parti clérical.

M. Dumortier. - Il n'y avait qu'une opinion sur l'article 84 de la loi communale ; cet article a été adopté à l'unanimité.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Je suis vraiment étonné de voir mettre du clérical dans cette question agitée en 1838.

Comment ! on vient dire que la question n'avait pas surgi jusqu'en 1847 ! Mais je suppose un instant que cela soit, je suppose un instant que l'honorable M. Tesch ait raison de soutenir qu'avant 1847 personne n'avait pensé que la validité de l'institution des administrateurs spéciaux pût faire question ! Qu'est-ce à dire ? Ce serait le plus fort argument imaginable en faveur de l'interprétation que la cour de cassation a donnée à l'article 84 de la loi communale !

Comment admettre que des hommes de la valeur de M. Ernst n'aient pas vu de pareilles questions ; comment admettre qu'une pareille erreur aurait duré ? Je me demande comment elle n'aurait pas été soulevée avant 1847, comment de 1841 à 1846, à la veille de la réunion du congrès libéral, alors qu'on était à la recherche de tout ce qui pouvait agiter le pays, de tout ce qui pouvait jeter l'irritation dans les esprits, ob n'aurait pas trouvé cette machine de guerre ; je demande comment l’honorable M. Verhaegen lui-même ne l'a pas trouvée ! C'est pour moi une énigme. J'en demande l'explication.

M. Verhaegen et M. Frère-Orban. - Elle a été soulevée.

M. Frère-Orban - Je vous montrerai où elle l'a été.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - On vient d'accoler à la mémoire de M. Ernst l'épithète de clérical ; ce n'est pas, à coup sûr, pour lui faire un compliment. Je ne crois pas qu'il mérite ce reproche qui va au-delà de la tombe ; cela n'est pas généreux. M. Ernst a toujours passé pour un homme éminent, pour un jurisconsulte distingué. M. Moreau, qui m'interrompt, qui invoquait l'opinion de M. Ernst comme une autorité imposante, qui me condamnait au nom de M. Ernst, jurisconsulte éminent, qui n'aurait pas eu une opinion aussi absurde que celle que nous soutenons ; je lui demande de vouloir bien encore tenir M. Ernst pour un homme distingué, pour un jurisconsulte éminent, maintenant que je lui ai prouvé qu'il condamne son opinion.

Je vais citer l'opinion d'un autre ministre qui ne sera pas suspect de cléricalisme, de M. Leclercq qui, lui aussi, s'est occupé d'une des faces de la question.

Nous verrons comment M. Leclercq a agi. On ne dira pas qu'il décidait les questions sans les examiner. Je vais montrer comment il les examinait à fond.

L'honorable M. Leclercq, qui était aux affaires de 1840 à 1841, fut appelé à examiner le point de savoir si des fabriques d'église pouvaient, être autorisées à accepter des legs pour établir des écoles dominicales. Après un premier examen, M. Leclercq écrivit, de sa main une lettre, dans laquelle il se prononce pour la négative.

Remarquez que la première opinion de M. Leclercq est négative. M. Leclercq pensait que la fabrique d'église ne pouvait pas être autorisée à accepter une fondation pour établir une école dominicale.

La lettre est assez longue, elle est conçue en ces termes :

« Monsieur le gouverneur,

« J'ai l'honneur de vous informer que je ne crois pas pouvoir donner suite à la demande de la fabrique de l’église de Tamise, tendante à (page 1516) être autorisée à accepter la donation qui lui est faite par le sieur Corneille Buysrogge, sous la condition que la maison donnée servira d'école dominicale.

« Une fabrique est un établissement public, dont la destination est de pourvoir, par les revenus qui lui sont attribués, à l'entretien des églises et aux autres dépenses du culte, c'est dans ces limites, qu'indiquent clairement l’article 75 de la loi du 18 germinal an X et les articles 1, 36 et 37 du décret du 30 décembre 1809, que les fabriques sont des personnes morales, exerçant des droits civils et habiles à posséder et à acquérir des propriétés ; en dehors de ces limites, elles ne sont rien et n'ont aucune capacité civile ; elles ne peuvent, en conséquence, acquérir des biens dont les revenus ou les fruits soit naturels ou industriels, soit civils sont entièrement affectés à un service autre que celui qui forme l'objet de la destination de ces établissements, et tel est, d'après les rapports que vous m'avez transmis, celui auquel est affecté l'usage de la maison donnée par le sieur Buysrogge ; elles ne peuvent à plus forte raison, sans détourner leurs propres ressources de l'emploi que la loi leur assigne, faire de semblables acquisitions, quand elles doivent en outre, comme il arrive encore dans le cas dont il s'agit ici, employer une partie de ces ressources pour subvenir à la dépense que nécessite le service auquel doit être affecté le bien acquis ou pour payer les charges qui le grèvent.

« Je vous prie, M. le gouverneur, de communiquer ma résolution au conseil de fabrique de l'église de Tamise et de lui en faire connaître les motifs. »

Messieurs, je vous demande de l'indulgence pour ces lectures et citations ; elles sont aussi fatigantes pour moi que pour la Chambre, mais aussi elles sont très intéressantes ; elles touchent au nœud du débat. Je tiens à démontrer qu'en demandant ce que le projet de loi contient, nous sommes fidèles à toutes les traditions nationales. M. Leclercq refuse donc une première fois.

Dans une autre circonstance, à l'occasion d'un legs fait à l'église Saint-Remacle, à Verviers, par Mlle Henrard, M. Leclercq met en marge du projet d'arrêté qui lui était soumis, la note suivante :

« Autoriser l'acceptation du legs de 5,000 francs, c'est autoriser le changement de destination d'une propriété de fabrique et l'application de cette propriété à un usage pour les dépenses duquel les fabriques d'église ne sont pas instituées et auquel par conséquent les propriétés des fabriques ne peuvent être appliquées. »

Mais alors il prend connaissance, des notes qui lui sont remises en sens contraire, notes qui ne se trouvent pas au dossier et que j'ai vainement cherchées, et alors il ajoute de ta main, en marge : Voir les notes ci-jointes qui nécessitent une solution différente.

Voilà donc M. Leclercq qui, après avoir partagé l'opinion que les fabriques d'église ne pouvaient pas donner l'enseignement dominical, revient, après mûr examen, sur son opinion et résout la question dans un sens affirmatif.

Aussi, par suite de cette décision, la fabrique de l'église de Saint-Remaclc à Verviers, ainsi que la fabrique de l'église de Tamise furent autorisées à accepter les libéralités qui leur avaient été faites dans le but de donner l'enseignement dominical. Les arrêtés sont du 3 mars 1841.

M. Frère-Orban. - On pourrait encore décider cela aujourd'hui.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - On pourrait encore décider cela aujourd'hui ! mais en 1849, l'honorable M. de Haussy ne le décidait pas ainsi.

Il refusait pour l'église de Notre-Dame de Termonde. Il disait : Non, c'est illégal ; c'est contraire à la loi ; cela ne peut pas être ; M. de Haussy corrigeait M. Leclercq !

Messieurs, j'arrive à un autre point qui est toujours une fraction de la grande question qui nous occupe. Je veux parler des congrégations hospitalières.

Longtemps on nous a reproché d'avoir mis dans la loi un piège ; d'avoir inséré dans une disposition transitoire, inaperçue, vers la fin, l'hypocrisie de la loi. C'était, disait-on, dans l'article 99, celui qui autorise les congrégations hospitalières à tenir hospice, à donner l'enseignement gratuit et à y ajouter un enseignement rétribué pour une minorité d'élèves. C'était là le couvent. C'était là le piège ; c'était là l'innovation.

J'avoue que pour un temps j'étais bien aise d'entendre cette appréciation, parce que je me disais involontairement : Si le piège n'est que dans l'article 99, c'est un hommage involontaire rendu à toute la loi ; puisqu'on trouve uniquement le piège dans cet article, c'est qu'il ne se trouve pas ailleurs. Depuis avant-hier, cependant, la position a un peu changé, car l'honorable M. Verhaegen a entendu nous prouver que tous les articles de la loi, depuis le premier jusqu'au dernier, recelaient toutes les monstruosités contre lesquelles il s'élevait. Mais enfin je raisonne encore comme si l'article 99 était réellement le Delenda Carthago du projet de loi.

Voyons ce que sont les congrégations hospitalières et si nous avons fait réellement quelque chose de nouveau en introduisant cet article 99 dans notre projet.

Je déclare tout simplement que cet article 99 n'est pas du tout le point culminant de la loi ; qu'il est indifférent même à la loi. On pourrait le faire disparaître et la loi resterait entière.

Nous n'avons entendu innover en rien. Nous avons parlé des sœurs hospitalières, pour qu'on ne se fît pas une arme contre elles de leur omission dans la loi.

Vous savez que les sœurs hospitalières peuvent exister comme personnes civiles en vertu du décret de 1809.

Voici ce que porte ce décret :

« Art. 1er. Les congrégations ou maisons hospitalières de femmes, savoir, celles dont l'institution a pour but de desservir les hospices de notre empire, d'y servir les infirmes, les malades et les enfants abandonnés, ou de porter aux pauvres des soins, des secours, des remèdes à domicile, sont placées sous la protection de madame notre très chère et honorée mère.

« Art. 2. Les statuts de chaque congrégation ou maison séparée seront approuvés par nous, et insérés au Bulletin des lois, pour être reconnus et avoir force d'institution publique.

« Art. 3. Toute congrégation d'hospitalières dont les statuts n'auront pas été approuvés et publiés avant le 1er janvier 1810, sera dissoute.

« Art. 4. Le nombre des maisons, le costume et les autres privilèges, qu'il est dans notre intention d'accorder aux congrégations hospitalières, seront spécifies dans les brevets d'institution.

« Art. 5. Toutes les fois que des administrations des hospices ou des communes voudraient étendre les bienfaits de ce cette institution aux hôpitaux de leurs communes ou arrondissements, les demandes seront adressées par les préfets à notre ministre des cultes, qui, de concert avec les supérieures des congrégations, donnera des ordres pour l'établissement des nouvelles maisons, quand cela sera nécessaire : notre ministre des cultes soumettra l'institution des nouvelles maisons à notre approbation. »

Pour bien apprécier dans quel esprit était fait le décret de 1809, il est opportun que je vous fasse connaître un document très remarquable et très peu connu. C'est le rapport du conseiller d'Etat comte Regnaud de St-Jean d'Angely, rapport fait à la section de l'intérieur du conseil d'Etat et adressé à l'empereur.

Dans cette pièce nous verrons quelles ont été les intentions, quelle a été la volonté du législateur en 1809, quand il a créé les sœurs hospitalières comme personnes morales et quelles sont les attributions, quels sont les droits qu'il a entendu leur conférer.

J'en lirai quelques passages.

M. de Muelenaere. - Il faut faire imprimer tout le rapport au Moniteur.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Voici comment il s'exprime :

« Sire,

« Votre Majesté a chargé son ministre des cultes de lui faire un rapport général sur les congrégations religieuses, et de lui proposer le détail de leurs institutions, suivant l'esprit général de ces établissements.

« Les congrégations religieuses de femmes seront l'objet d'un premier rapport. Il convient de statuer sur ces congrégations par un décret séparé, parce que leurs régimes ne présentent point de grandes différences, et qu'il sera facile de les subordonner à un règlement commun.

« Première section. De l'objet et de l'utilité des congrégations religieuses de femmes actuellement existantes

« Les congrégations religieuses actuellement existantes se divisent en trois classes :

« Les unes se consacrent à la fois au service des pauvres malades ou infirmes, et à l'instruction gratuite des jeunes personnes du sexe ;

« D'autres sont entièrement livrées au service des pauvres ;

« D'autres seulement à l'instruction gratuite.

« Dans toutes ces congrégations, l'esprit général est le même : on y trouve partout les sentiments les plus purs de la religion, dirigés vers les œuvres les plus méritoires de la charité chrétienne.

« Pour juger de leur utilité, il faut les considérer sous leurs rapports principaux, celui du service des pauvres, et celui de l'instruction gratuite.

« Service des pauvres.

« Servir Dieu sur la terre en remplissant le premier des devoirs de la religion, celui de la charité ; choisir parmi les œuvres de la charité celles qui exigent que tous les moments de la vie entière y soient consacrées, celles qui, dans tous les détails, sont les plus pénibles, et pour lesquelles il faut, auprès des malades, surmonter sans cesse la répugnance dont la nature peut à peine se défendre ; remplir de pareils devoirs avec la tendresse la plus affectueuse pour les infortunés qui en sont l'objet : tel est le caractère commun de toutes les religieuses hospitalières. Ne reconnaît-on pas à tous ces traits la main tutélaire de la religion, qui semble élever au-dessus de l'humanité les êtres faibles qu'elle destine à la soulager ?

« Ces sentiments religieux et charitables prennent une nouvelle force par la réunion en congrégation des personnes qui les professent. L'exemple mutuel, la soumission à une même règle dont le seul but est (page 1517) de donner aux pauvres tout leur temps, l'abnégation de tout autre intérêt que celui des pauvres, la certitude d'avoir un état à l'abri de changements, tout se réunit pour que le dévouement soit entier, et qu'il soit invariable.

« C'est à la réunion en congrégation que l'on doit encore cette conservation admirable des mœurs les plus pures au milieu de la corruption d'un grand nombre de pauvres admis dans les hospices, ou que les religieuses vont secourir dans leur domicile. Ces femmes ont pour soutien de leur vertu, non seulement le sentiment de leurs devoirs et le respect qu'inspire l'œuvre même de la charité qu'elles exercent ; elles ont de plus cet esprit de corps qui fait craindre comme le plus grand des malheurs, celui de porter la moindre atteinte à la vénération publique.

« C'est ainsi qu'une femme que la nature a créée faible, réduit au respect ce que le vice a de plus audacieux ; c'est ainsi qu'elle n'est point obligée de laisser sans secours celui même qui, par sa dépravation, causerait de l'effroi ou de l'horreur à tout autre.

« Le désir de soulager l'humanité souffrante a été, dans tous les temps, l'objet de la sollicitude des princes et de la méditation des philosophes. Aucun n'a eu une idée plus féconde et plus sûre dans les résultats, que •elle qui a illustré la mémoire de saint Vincent de Paul, lorsque ayant à donner une règle à des cœurs fervents de religion, il s'est borné à leur dire : « De toutes les pratiques religieuses, le soin des pauvres est la première ; c'est elle qui doit être préférée. »

« C'est eu vain que l'on voudrait chercher d'aussi heureux résultats dans les institutions ordinaires. Ce serait une erreur de croire que les sentiments d'humanité sont assez généralement répandus pour qu'il soit facile de trouver des personnes de l'un ou de l'autre sexe qui, sans donner une partie de leur temps à des pratiques religieuses, le consacreraient entièrement au soin des pauvres.

« L'expérience en a été faite dans les temps de troubles religieux et civils dont nous avons été témoins. Les religieuses hospitalières redoublèrent alors de zèle : plus elles étaient tourmentées, plus la religion rendait leurs devoirs sacrés. Mais enfin tout culte religieux était proscrit ; elles furent emportées par le torrent dévastateur : on vit se présenter aux portes des hospices, pour soigner les malades, des gens qui y étaient attirés par leurs propres besoins ; des familles entières s'y introduisaient ; et sous prétexte de diverses fonctions qui jusqu'alors avaient été gratuites, une partie de la subsistance des pauvres fut dévorée : plusieurs hospices furent abandonnés.

« Ceux mêmes qui n'entrèrent pas dans les hospices avec des vues de spoliation, ne pouvaient y porter les sentiments d'abnégation personnelle.

« Ils avaient leurs propres affaires à soigner, leurs familles à soutenir, ils ne pouvaient renoncer aux plaisirs et aux habitudes de la société ; ils pouvaient encore moins avoir pour les pauvres cet empressement, cette affection dont la raison humaine s'étonne, quand elle n'est pas agrandie et perfectionnée par les sentiments religieux.

« Dans le pays de l'Europe où le gouvernement fait le plus de dépenses pour les pauvres, en Angleterre, ils sont bien loin d'éprouver les consolations et les soins qu'ils doivent en France à l'institution des sœurs hospitalières ; on y trouve, ainsi que dans les autres parties de l'Europe, les mêmes inconvénients qu'en Italie. On fait des établissements pour les pauvres en général, et il manque à chaque pauvre en particulier un bienfaiteur, un consolateur : Dans les hospices de France, chaque malade compte sur celle des sœurs qui le sert, comme s'il était l'unique objet de ses soins empressés.

« Il est donc vrai que les religieuses hospitalières forment une institution qui met la France au premier rang sous un des plus beaux rapports, celui du soulagement de l'humanité souffrante.

« Elles présentent en même temps le spectacle imposant des grands effets de la religion. Sans parler du respect dont se pénètre cette classe nombreuse, qui est l'objet direct de leurs bienfaits, combien tout homme incrédule et chancelant ne doit-il pas être frappé de ne trouver que dans la religion seule la force d'âme et la chaleur de sentiment nécessaires pour adoucir les maux de ses semblables ! Le tableau qu'offrent sans cesse, au milieu d'une grande partie de la France, les soins empressés de femmes religieuses qui volent au secours des pauvres, ou qui les servent dans les hospices, est le spectacle le plus propre à faire respecter la religion par toutes les classes de citoyens.

« Quelques congrégations se consacrent aussi au service des prisonniers ; ce service doit être considéré comme faisant partie de celui des pauvres.

« Elles distribuent aux prisonniers les secours que leur a confiés la charité publique : leur bonté fait le contraste le plus consolant avec la rigueur inévitable des gardiens. Elles portent dans les prisons leur ordre, leur propreté, leur économie.

« Instruction gratuite.

« Le second objet général des institutions religieuses actuellement existantes est l'instruction gratuite. Sans doute ces fonctions, comparées aux fatigues qu'entraîne nuit et jour le service des hôpitaux, ne doivent être mises qu'au second rang ; mais l'importance de ces fonctions, et la nécessité non seulement de les maintenir, mars encore de les encourager, n'en sont pas moins certaines.

« Après avoir démontré que la première instruction doit avoir pour bases des principes religieux, il est facile de se convaincre qu'à cet égard, comme à l'égard du service des pauvres malades, non seulement les associations religieuses conviennent le mieux, soit pour les jeunes garçons, soit pour les jeunes filles, mais même que ces associations doivent être regardées comme indispensables.

« Avec elles, ce n'est point le traitement et le sort d'autant de familles qu'il y a d'instituteurs et d'institutrices dont l'Etat est grevé : ce sont des gens à qui leurs principes religieux font un devoir de se contenter du plus étroit nécessaire ; leurs besoins dans la vie commune sont presque nuls ; bientôt même ils deviennent l'objet de l'affection et de la générosité publique, qui concourent à former et à soutenir ces utiles établissements.

« Quant la capacité des sujets, on la doit encore au zèle religieux. Les membres de l'association se surveillent et s'aident mutuellement pour se former et se mettre en état d'enseigner.

« On ne doit pas omettre de comprendre dans la grande institution qui va résulter de l'ensemble des congrégations religieuses, ce genre d'instruction gratuite que donnent les religieuses, qui se consacrent à ramener aux bonnes mœurs les filles qui se sont abandonnées à la dépravation.

« Le défaut d'instruction, dans les premières années, est l'une des principales causes de ce débordement. L'instruction peut seule, en exposant des principes de religion et de morale, et par des travaux propres à ce sexe, rendre ces femmes à la vertu, leur procurer un état et leur faire connaître l'abîme de maux dans lequel le libertinage aurait bientôt terminé leur vie (…)

« Section II. A quelle fin et par quelle autorité les congrégations religieuses de femmes devront-elles être à l'avenir autorisées

« (…) Ainsi, Votre Majesté, en limitant à ce genre d'associations celles qui seront autorisées, ne fera rien de contraire à ce qui existe. Elle ne changera même rien à la législation actuelle, puisque, comme on l'a vu, ces mêmes congrégations y ont été exceptées de la suppression générale. »

Voilà comment, dès 1809, on entendait ce que seraient les congrégations hospitalières.

Vous voyez qu'à côté du soin des malades, soin principal, on rangeait comme soin accessoire l'enseignement gratuit. Aussi, messieurs, dans la pratique, depuis 1809 jusqu'en 1847, n'a-t-on cessé d'appliquer ce principe.

Les sœurs hospitalières ont constamment été autorisées à donner l'enseignement gratuit, et très souvent à donner l'enseignement salarié, voire même à tenir hospice. Et ce ne sont pas des ministres appartenant à l'opinion catholique qui ont procédé de cette manière, ce sont des ministres appartenant à l'opinion libérale, des ministres dont on ne dira pas qu'ils agissaient sans avoir examiné les questions et sans connaître la législation.

Je citerai quelques-uns de ces actes émanés d'administrations antérieures.

Je trouve au Bulletin officiel :

I. Un arrêté royal du 13 mai 1840, contresigné par M. Liedts, qui autorise la communauté des sœurs de Saint-Vincent de Paul à Waerschoot, dont les statuts donnent aux sœurs la mission :

1° De tenir des malades et des infirmes des deux sexes et de les soigner.

2° De donner l'instruction gratuite aux enfants pauvres.

3° De tenir une école journalière pour les enfants de la bourgeoisie moyennant une légère rétribution.

4° De tenir une école dominicale gratuite.

II. Un arrêté royal du 3 juin 1840, contresigné par M. Liedts, qui reconnaît la communauté des sœurs de Saint-Vincent de Paul à Glustelles, dont le but est :

1° De secourir et de soigner les malades à domicile.

2° De tenir un pensionnat et une école journalière pour les jeunes filles.

3° De tenir une école pour les enfants pauvres des deux sexes.

III. Un arrêté royal du 2 septembre 1840, contresigné par M. Leclercq, qui reconnaît l'association des sœurs dites de Saint-Vincent de Paul à Anseghem, dont le but consiste :

1° A tenir un hospice pour soigner les vieillards des deux sexes et autres nécessiteux, et élever des orphelins et des enfants abandonnés.

2° A tenir une école gratuite pour les enfants pauvres.

3° A tenir une école rétribuée d'externes, ainsi qu'un pensionnat de jeunes filles.

(page 1518) IV. Un arrêté royal du 21 septembre 1840, contresigné par M. Leclercq, qui reconnaît l'association des sœurs dites sœurs hospitalières à Thielt, dont le but est :

1° De tenir un hospice de vieillards des deux sexes.

2° De tenir une école pour la jeunesse.

3° De tenir une école gratuite pour les enfants pauvres.

V. Un arrêté royal du 1er septembre 1840, contresign » par M. Leclercq, qui autorise la supérieure de la communauté de Waerschoot, reconnue ci-dessus, à accepter une donation de treize maisons, etc. : à la charge :

1° De services religieux.

2° D'entretenir des pauvres infirmes qui seront admis dans l’hôpital de la communauté.

3° De donner l'instruction aux enfants des deux sexes de la commune et de distribuer des prix et des vêtements aux enfants indigents qui fréquenteront l'école dominicale.

Voilà, messieurs, quels sont les actes de deux honorables ministres, dont l'opinion ne peut être suspecte et dont le talent éminent comme jurisconsultes est reconnu par tout le monde. Ils ont examiné la loi et ils ont appliqué le décret de 1809 comme nous voulons l'appliquer ; avec cette seule différence qu'ils allaient plus loin que nous ; car on autorisait les congrégations hospitalières à donner l'enseignement dans un pensionnat, moyennant rétribution des élèves externes, sans fixer le nombre. C'était le cas de dire que l'enseignement payé, que la spéculation, comme on s'est exprimé, pouvait devenir le principal et l'enseignement gratuit l'accessoire. Car dans ce système il pouvait y avoir majorité d'élèves payants, et dans le nôtre, c'est le contraire : l'enseignement gratuit des pauvres reste l'élément principal. L'honorable. M. Leclercq partageait tellement cette opinion, il était tellement convaincu, que je tiens ici un rapport au Roi dans lequel il énonce formellement ce principe. Il admet que le but des associations hospitalières reconnues est de donner l'enseignement. Il reconnaît ce but comme une de leurs attributions les plus utiles, les plus désirables de leur institution (Not du webmaster. Une note de bas de page reprend le texte de cette opinion. Elle n’est pas reprise dans la présente version numérisée).

Enfin, messieurs, c'est jusqu'en 1847 qu'on a admis ces principes, ils ont été soutenus, même au-delà de cette époque ; ils ont été reconnus en 1850 et ils l'ont été par l'honorable M. Rogier.

Il y a eu, en 1850, une discussion entre le ministre de la justice et le ministre de l'intérieur sur le point de savoir s'il fallait autoriser lest congrégations hospitalières à donner l'enseignement.

Vous savez que la jurisprudence, dite de 1847, refusait impitoyablement cette autorisation en disant que cet enseignement était illégal, que le décret de 1809 était positif, que tout ce qu’on avait fait jusqu’à cette époque était une violation flagrante de la loi. Une seule voix contestait cette assertion, et cette voix était celle de l'honorable M. Rogier, et, il la contestait d'une manière formelle.

J'ai une lettre dé lui qui établit les véritables principes à cet égard. Et je dois le dire, je suis arrivé, comme l'honorable M. Tesch, au ministère sans parti pris, avec le désir sincère d'examiner la question. Je n'ai voulu agir qu'après mûr examen. Eh bien, j'ai recherché si je devais autoriser les congrégations hospitalières à donner l'enseignement. J'ai longtemps hésité, et c'est la lettre de l'honorable M. Rogier qui m'a décidé à modifier en ce point la jurisprudence de l'honorable M. de Haussy. Je dirai plus tard pourquoi je ne l'ai pas modifiée dès ce moment dans toutes les parties.

Voici cette lettre, elle est très intéressante :

« Par dépêche en date du 29 août 1849 (3ème division, 2e bureau, n°26/2,214 q.) relative à l'exécution du décret du 18 février 1809, M. votre prédécesseur m'a consulté sur la question de savoir si les congrégations des sœurs hospitalières peuvent ou non se livrer à l’enseignement gratuit.

« Cette dépêche commençait par rappeler deux arrêts de la cour d'appel de Bruxelles, et un arrêt de la cour de cassation, qui ont dénié aux congrégations des Sœurs de Sainte-Marie, à Braine l'Alleud, et des Sœurs de la Charité du Sacré-Cœur de Jésus, à Mons, la qualité de personne civile, comme ne rentrant point dans les termes du décret du 18 février 1809.

« Ces arrêts sont fondés sur ce que ces congrégations n'étaient hospitalières que de nom et que leur but unique était l'enseignement, avec pensionnat.

«On voit, par cette seule indication, que ces arrêts ne sont nullement applicables à l'espèce qui fait l'objet de la question posée ci-dessus.

« C'est ce que reconnaissait aussi la lettre prérappelée, en ajoutant même, ce qui est vrai, que lesdits arrêts contiennent des réserves dont on pourrait se prévaloir pour décider que les congrégations hospitalières peuvent se livrer accessoirement à l'enseignement gratuit.

« Cependant, comme telle n'était point son opinion, votre honorable prédécesseur objectait qu'une telle concession, même restreinte dans ces termes, serait en opposition avec l'article premier du décret du 18 février 1809, dont le sens et la portée, disait-il, ont été déterminés par les avis du conseil d'Etat du 26 février et du 25 mars 1811.

« En ce qui concerne l'article premier en lui-même, une simple lecture de cette disposition me semble prouver suffisamment que les devoirs des congrégations hospitalières, qui y sont expressément indiqués, comportent implicitement l'enseignement gratuit comme service obligatoire et de charité. Et les avis cités du conseil d'Etat ne sont nullement contraires à cette interprétation, comme on pourrait le croire ; car ils se bornent à décider que des congrégations hospitalières reconnues, eu vertu du décret du 18 février 1809, ne peuvent tenir un pensionnat de jeunes filles et de dames, Ce qui serait incompatible avec le service des malades.

« Il résulte donc seulement de ces avis, comme des arrêts cités plus haut, que les congrégations hospitalières pourraient être considérées comme sortant du cercle de leurs devoirs, alors qu'elles donneraient un enseignement non gratuit avec pensionnat.

« Mais, admettant toutefois que, sous l'empire, les congrégations hospitalières aient pu être autorisées, en vertu de l'article 4 du décret, à donner un enseignement gratuit, M. votre prédécesseur pensait qu'une telle autorisation ne pourrait plus être accordée aujourd'hui par le pouvoir exécutif, et il fondait cette opinion sur ce que le droit arbitraire dont disposait à cet égard Napoléon n'a point survécu à la chute de l'empire, sur ce que la réserve de l'article 4, relative à l'octroi éventuel de privilèges spéciaux, a cessé d'exister.

« L'article 4 dont il s'agit porte :

« Le nombre des maisons, les costumes et les autres privilèges, qu'il est de notre intention d'accorder aux congrégations hospitalières, seront spécifiés dans les brevets d'institution. »

« Je ferai d'abord remarquer que les congrégations hospitalières ne paraissent pas avoir besoin d'une autorisation formelle pour pouvoir donner, accessoirement, un enseignement gratuit, cette œuvre de charité étant une conséquence toute naturelle des devoirs qui leur sont imposés par le décret ; cette interprétation résulte, d'ailleurs, de certaines réserves contenues dans les arrêts cités ci-dessus. Mais, supposons qu'il n'en soit pas ainsi et qu'une autorisation spéciale soit nécessaire à cette fin. Est-il vrai qu'une telle autorisation ne pourrait plus être donnée aujourd'hui par le pouvoir exécutif, en vertu de l'article 4 du décret d'organisation ? Je sais que, sous l'empire de nos institutions, il appartient au pouvoir législatif seul de conférer l'existence ou la capacité civile pour tous ou pour certains actes déterminés.

« Mais est-ce à dire que le pouvoir législatif ne peut point déléguer,, dans certains cas, l'exercice de ce droit au pouvoir exécutif ? L'affirmative ne me paraît point douteuse et l'article premier du décret du 18 février 1809 résout, d'ailleurs, cette question, en attribuant au gouvernement le droit d'instituer en personne civile les congrégations hospitalières.

« Pourquoi alors le gouvernement pourrait-il moins leur attribuer le droit d'enseigner gratuitement, en se prévalant de l'article 4 du même décret qui a force de loi ? Or, on sait que, par une loi du 3 juin 1839, le (page 1519) gouvernement a été autorisé à régler la circonscription territoriale de certaines communes du Limbourg, bien que cet objet soit placé spécialement dans les attributions du pouvoir législatif, par l’article 3 de la Constitution ; et que l’article 18 du Code civil donne au Roi le droit de relever les citoyens de la déchéance qu'ils ont encourue de leur qualité de Belge.

« La lettre déjà citée argumentait ensuite de l'article 17 de la Constitution, pour soutenir que les congrégations hospitalières ne peuvent donner un enseignement même gratuit. Elle ajoutait, que ces congrégations étant érigées en institutions publiques, l'instruction qu'elles donneraient serait aussi nécessairement publique.

« Or, l'institution publique ne peut être réglée que par la loi. Oui, l'instruction publique donnée aux frais du trésor, et c'est à ce titre, parce que la dépense en incombe au trésor, que la loi doit la régler. On ne peut donc tirer aucun argument sérieux de l'article 17 de la Constitution en faveur de l'opinion énoncée dans la dépêche du 29 août 1849.

« Quant aux raisons tirées de la concurrence que l'enseignement gratuit donné par les congrégations hospitalières ferait aux établissements particuliers d'instruction et de ce que les communes ont l'obligation de pourvoir à l'instruction gratuite des enfants pauvres, je puis me borner à faire remarquer, d'une part, que la loi ne contient aucune disposition interdisant ou limitant la concurrence à faire aux établissements particuliers, d'autre part, que l'obligation imposée aux communes ne saurait être un obstacle à ce qu'une congrégation aussi bien qu'un particulier s'applique à instruire gratuitement les pauvres, car il est à remarquer que la commune n'a point le droit de forcer les pauvres à profiter de l'obligation qui lui est imposée, en fréquentant les écoles.

« En résumé, il «si à observer.

« 1" Que le but de l'institution des congrégations hospitalières est notamment de servir les enfants abandonnés et de porter aux pauvres des soins et des secours de toute espèce.

« 2° Que le décret du 18 février 1809 n'a assigné aucune limite à la sphère de charité des maisons hospitalières et que les soins que réclame la jeunesse indigente sous le rapport de l'amélioration intellectuelle lui sont non moins importants que ceux qu'exige la perfection physique.

« 3° Que la liberté d'enseignement est un droit constitutionnel dont les associations légalement instituées et jouissant à ce titre des prérogatives d'une personne civile sont investies aussi bien que les individus ; que l'article 17 de la Constitution n'exige l'intervention de la loi que pour l'enseignement donné aux frais de l'Etat, ce qui n'est point le cas pour les maisons hospitalières.

« D'après ce qui précède, je ne puis me rallier à l'opinion émise dans la lettre susdite.

« Je pense qu'il est du devoir du gouvernement de se placer à un autre point de vue pour décider la question proposée et de prévenir, ainsi, des conflits que rien ne semble justifier.

« Mais si nonobstant les considérations que je viens d'exposer, il vous restait quelque doute, M. le ministre, sur le droit des sœurs hospitalières à donner l'enseignement gratuit, je ne verrais pas d'inconvénient à faire sur ce point une concession formelle dans le projet de révision du décret du 18 février 1809, en rattachant d'une manière plus ou moins directe, les écoles dirigées par des congrégations au système d'enseignement primaire consacré par la loi du 23 septembre 1842.

« Il me serait agréable de recevoir communication de la décision que vous croirez devoir prendre, dans le plus bref délai possible. »

Voilà, messieurs, quelle a été l'interprétation constante donnée au décret de 1809, et c'est cette interprétation que nous traduisons littéralement en la rétrécissant, en l'amoindrissant dans la loi.

Messieurs, puisque je me trouve sur il terrain des citations, je me permettrai d'en faire encore une. C'est une observation de l'honorable M. Tesch qui me la suggère. L'honorable M. Tesch nous reproche d'avoir sacrifie le droit des familles ; il a dit que nous les livrons sans précautions, sans garantie aucune à toutes les suggestions qui peuvent s'agiter au lit d'un mourant.

Déjà par l'amendement que j'ai présenté, j'ai répondu à cette observation. L'honorable M. Tesch, pour fortifier son opinion, nous a cité le nom de M. de Melun. C'est à nous à invoquer l'autorité de cet homme distingué ! Il est des nôtre ! Nous le revendiquons ! Ce nom est inséparable de la grande question de la liberté de la charité ! Ce nom est un des plus purs et des plus honorés de la France actuelle. Nous en faisons un auxiliaire pour notre loi.

On a parlé du congrès charitable de 1850, ou a invoqué les discussions de ce congrès et on a eu raison, car, je dois le dire, ces discussions sont la discussion anticipée de notre projet.

Toutes les grandes questions s'y sont fait jour ; on y a parlé de cette grave question de la garantie des familles, et M. de Melun a effectivement proposé de restreindre la quotité disponible, en ce qui concerne les legs charitables. Voici en quel sens cette disposition a été défendue et votée, car le congrès a voté un projet de loi, et dans ce projet de loi je lis ce qui suit :

« 3° Afin de garantir les droits des familles, on pourrait leur accorder le droit de demander la réduction des dons et legs charitables, chaque fois qu'ils excéderaient la moitié de la quotité disponible. Les demandes en réduction seraient portées devant le conseil d’Etat. »

Le n°2 portait :

« Après dix années d'existence, à partir du jour de la déclaration et du dépôt des statuts à la mairie, toute association charitable serait reconnue et admise à jouir de l'existence civile, c'est-à-dire posséder, vendre, acquérir et recevoir des donations ou legs, sans avoir besoin de recourir à l'autorisation du gouvernement.

« Toutefois, pendant les six mois qui suivront la demande en reconnaissance, le préfet aurait le droit de former opposition devant les tribunaux civils, qui seraient seuls juges de l'opposition. »

La Chambre sera frappée de la portée immense de ce n°2 ; c'est l'émancipation absolue de la charité privée.

Et M. Tesch de nous dire : Imitez cela, au moins, imitez au moins ceux qui veulent la liberté de la charité ailleurs, mais qui se prémunissent contre les captations auxquelles les moribonds sont exposés. Mais, messieurs, il y a quelque chose à ajouter : c'est une autre résolution du congrès charitable.

En même temps que le congrès charitable demandait la réduction de la quotité disponible, il demandait la liberté la plus illimitée vis-à-vis du gouvernement ; il demandait l'abolition de l'article 937 du Code civil, qui est la véritable garantie des familles. En effet, messieurs, quand un legs charitable est fait, il faut qu'il soit autorisé et accepté par le gouvernement qui ne l'accepte qu'après un long examen, une enquête minutieuse ; et si le gouvernement s'aperçoit qu'il y a eu indice de captation, il n'accepte pas, il refuse l'autorisation. Voilà, messieurs, ce qui résulte de l'article 937.

Eh bien ! le congrès charitable demandait l'abrogation de cet article ; voici comment la résolution était conçue :

« Les œuvres de charité publique, reconnues d'utilité, pourront-elles recevoir, sans l'autorisation préalable, les legs ou donations de biens meubles ou immeubles ? »

Cette question est résolue affirmativement, à une grande majorité.

Voilà, messieurs, ce que faisait le congrès charitable de 1850 ; j'ai cru devoir le faire connaître pour compléter la citation de l'honorable M. Tesch.

J'ai donc, messieurs, le droit de terminer comme j'avais commencé telle partie de la démonstration que la Chambre a eu l'indulgence d'écouter. J'ai dit que le projet ne renferme, en fait d'extension de la charité, rien de nouveau, absolument rien. J'ai dit que c'est la réunion de toutes les règles administratives suivies avant 1847, que c'est la consécration de nos traditions en matière de charité. Je crois, messieurs, en avoir fait la preuve et je maintiens, dès lors, que la loi que nous proposons n'est pas et ne peut pas être une loi de parti. Ce serait une loi de parti, messieurs, à laquelle auraient coopéré tous les ministres qui se sont succédé depuis M. Lebeau jusqu'à l'honorable M. Rogier, même après 1847, sur le point spécial que j'ai fait connaître ; tout le monde a coopéré à cette loi, M. Liedts comme M. Leclercq ; et ce serait là une loi de parti ! Messieurs, c'est impossible.

Il n'y a rien de nouveau dans le projet et, sous ce rapport, j'accepte très volontiers l'épigramme qu'on nous a adressée, en disant que la loi avait plusieurs pères ; on a voulu être bien piquant, on a cru être bien méchant, on n'était que dans le vrai : oui, messieurs, la loi a plusieurs pères. Elle a pour pères tous les ministres qui se sont succédé depuis 1830 jusqu'en 1847.

Ce sont eux qui ont fait la loi et le seul mérite du gouvernement, c'est un mérite de patience, c'est d'avoir réuni en un seul projet tout ce qui s'était traduit en actes officiels.

S'il y a des crimes dans le projet, s'il y a des énormités effrayantes, les auteurs, les coupables, les complices sont tous les ministres qui ont manié les affaires jusqu'en 1847. Je n'en suis que l'éditeur....., mais l'éditeur responsable !

Que deviennent donc, messieurs, toutes ces allégations qui ont retenti dans cette enceinte ? Tantôt c'est une loi d'une habileté effrayante, d'une habileté que l’honorable M. Delfosse admirerait si elle ne terrifiait ; pour l'honorable M. Lelièvre, c'est une loi d'une astuce sans pareille.

Pour d'autres, je dois le dire, c'est une conception absurde, c'est une conception qui fait demander comment nous avons eu le courage de la présenter à la Chambre, pour eux c'est une injure faite au bon sens de la Chambre. Eh bien, messieurs, je demande ce que deviennent ces accusations contradictoires ? Je dis que le projet ne mérite ni tant d'éloges, ni tant d'outrages. Ni si haut, ni si bas. (Interruption.)

L'honorable M. Delfosse répète à mes côtés :

« Il n'a mérité

« Ni cet excès d'honneur, ni cette indignité. »

Ce vers s'applique bien ici. Je remercie l'honorable député de Liège de me l'avoir rappelé.

On a dit et redit, et Dieu sait dans quelle intention bienveillante !, que le projet nous a été imposé, qu'il a été élaboré sous l'influence (page 1520) d'une puissance occulte, d'une puissance mystérieuse sous laquelle le ministère a plié tout tremblant ! Eh bien, messieurs, savez-vous ce que sont ces puissances redoutables ? Cette puissance occulte, ce sont les archives poudreuses de mon département ! Ce pouvoir occulte, c'est le Bulletin des lois. Voilà les puissances occultes dont on nous accuse d'avoir accepté l'œuvre ténébreuse ! Cet aveu peut coûter à notre amour-propre, mais c'est un hommage rendu à la vérité.

Il n'y a, messieurs, dans le projet qu'une chose nouvelle, une seule, et celle-là nous la revendiquons, mes collègues et moi, pour nous, pour nous seuls. Elle est à nous, à nous seuls. C'est le contrôle, ce sont les garanties, c'est la répression des abus, c'est la mainmorte limitée. Voilà ce qui est à nous, et, certes, les puissances occultes ne nous auraient pas imposé cette partie de la loi !

-La séance est levée à 4 heures et un quart.