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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 28 mai 1857

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1856-1857)

(Présidence de M. Delehaye.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1687) M. Crombez procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

M. Tack donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Crombez présente l'analyse des pétitions adressées à la Chambre.

« Le sieur Van Saceghem demande que la loi déclare incompatibles les fonctions d'ordonnateur ou de distributeur du bureau de bienfaisance avec la profession de marchand-boutiquier. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif aux établissements de bienfaisance.


« Le sieur Jean-Pierre Drytli, ancien cantonnier à Solt, demande la naturalisation. »

- Renvoi au ministre de la justice.

Motion d'ordre

Atteinte à la dignité du nonce apostolique

M. le ministre des affairss étrangères (M. Vilain XIIII). - Hier un incident très regrettable s'est produit à l'issue de la séance ; le nonce apostolique, accrédité à Bruxelles, a été insulté devant le palais de la Nation. Ce fait déplorable avait lieu à cinq heures.

A cinq heures et demie, le ministre des affaires étrangères en uniforme était dans les salons de la nonciature et présentait à Son Excellence, au nom du gouvernement, les excuses que le nonce aurait eu le droit d'exiger, si je lui avais laissé le temps d'en formuler la demande.

De la nonciature, je suis allé directement au château de Laeken et j'ai rendu compte de ma conduite au Roi. Sa Majesté l'a approuvée, et a chargé son grand maréchal de se rendre ce matin chez le nonce pour lui exprimer les regrets personnels de Sa Majesté à l'occasion de ce triste incident que je considère aujourd'hui comme terminé.

- De toutes parts. - Très bien ! Très bien !

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au ministère des travaux publics

Dépôt

M. le ministre des finances (M. Mercier). - Par les ordres du Roi, j'ai l'honneur de présenter un projet de loi tendant à accorder au département des travaux publics un crédit supplémentaire de l38,086 fr. 74 cent.

- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ce projet de loi.

La chambre en ordonne l'impression et la distribution, et le renvoie à l'examen des sections.

Projet de loi relatif aux établissements de bienfaisance

Discussion des articles

Articles 70 et 99 (rapport de la section centrale)

M. Malou. - Messieurs, la Chambre a renvoyé hier à l'examen de la section centrale les amendements présentés par l'honorable M. Rousselle aux articles 70 et 99 du projet de loi sur les établissements de bienfaisance, ainsi que les amendements présentés par M. le ministre de la justice à la séance du 27 mai.

La plupart de ces derniers amendements se rattachent aux mêmes articles ; ils sont connexes.

Le premier amendement de M. Rousselle consiste à ajouter aux mots : « maisons de refuge », au n°3 de l'article 70, ces mots : « pour filles repenties ».

Déjà, messieurs, dans le rapport de la section centrale, le sens de cette expression maisons de refuge avait été expliqué.

Cependant la section centrale, pour éviter tous les doutes, ne voit pas d'inconvénient à adopter l'amendement de l'honorable M. Rousselle et de dire : maisons de refuge pour filles repenties.

Cette même expression se trouve à l'article 7 du projet de loi ; pour établir une concordance entre les diverses dispositions de la loi, il faudra également ajouter à cet article les mots : « pour filles repenties ». La section centrale a l'honneur de vous en faire la proposition.

Elle a délibéré ensuite sur les amendements présentés par M. le ministre de la justice, mais avant d'en aborder l'examen, un membre a cru devoir faire des réserves qui se sont produites, déjà plusieurs fois, sur la question de savoir si un ministre qui n'est pas membre de la Chambre a le droit d'amendement. Cet honorable membre s'est borné à faire des réserves, sans rien préjuger, la question étant soumise par la Chambre à une commission spéciale.

L'amendement de M. Rousselle, en ce qui concerne l'article 70, consiste à supprimer les deux derniers paragraphes de l'article, c'est-à-dire à défendre d'une manière absolue que les fondations reconnues en vertu de la loi tiennent des écoles où seraient reçus des élèves payants. La mission des fondations charitables devrait donc se borner d'une manière absolue à l'instruction gratuite.

La proposition du gouvernement consiste à maintenir le principe de la gratuité de l'enseignement, mais à le tempérer en autorisant les conseils communaux à déroger à ce principe dans une certaine mesure et par des délibérations qui seront soumises à la députation permanente et qui peuvent être déférées au gouvernement conformément à la loi provinciale.

L'amendement de M. le ministre de la justice à l'article 70 a été adopté en section centrale par 3 voix contre 2. Deux membres n'assistaient pas à la séance.

Les motifs de la minorité, qui n'attachait du reste pas une très grande importance à l'amendement eu lui-même, étaient principalement qu'en permettant d'admettre des élèves payants dans les écoles des fondations, on pouvait créer quelquefois l'antagonisme et la division dans la commune. On a dit, d'autre part, qu'il fallait se préoccuper avant tout des intérêts de l'enseignement primaire.

Plusieurs fois, dans le cours de cette discussion, nous avons entendu manifester la crainte que peu à peu les fondations ne vinssent se substituer au régime de la loi de 1842 et qu'en quelques années, une grande partie de l'enseignement primaire ne passât aux mains des corporations religieuses. Si l'amendement se concilie, se combine avec le régime de la loi sur l'enseignement primaire, si, en d'autres termes, il ne peut y avoir d'autre enseignement rétribué que celui que la commune demande moyennant l'approbation de l'autorité supérieure, on a la garantie que le régime de la loi sur l'enseignement primaire sera réellement maintenu dans toute son intégrité.

En effet, dans les communes, ou il existe des écoles spéciales pour les filles, objet principal, je dirai objet presque exclusif des fondations charitables, ou il n'en existe pas. S'il existe des écoles communales, le conseil qui doit subsidier, qui doit soutenir ces écoles, n'usera pas de la faculté qui lui est donnée par la loi nouvelle. Si au contraire il n'en existe pas, et si, d'après les circonstances locales, le conseil communal qui est le meilleur juge de ce qu'exigent l'intérêt de ses administrés et le service de l'enseignement- croit devoir autoriser, dans une certaine mesure, l'admission des élèves payants, c'est qu'il y trouvera à la fois le moyen de satisfaire à l'intérêt de ses administrés et de procurer à la commune une économie réelle pour le service de l'instruction publique.

Ainsi, d'une part, en acceptant l'amendement, on se rapproche d'une manière plus absolue, du principe du projet qui est la gratuité de l'enseignement ; on n'y autorise de dérogation qu'en le conciliant avec le système de la loi de 1842, et on laisse pour juge de cet intérêt le conseil communal, auquel incombe, d'après la loi, le service de l’enseignement primaire.

Le principal motif de cette dérogation est aussi, messieurs, la connaissance de quelques faits qui se produisent dans deux de nos provinces. Ainsi, dans les Flandres, dans une grande partie des Flandres du moins, malgré les efforts qu'a faits le gouvernement pour organiser d'une manière complète l'enseignement des filles, il reste beaucoup à faire, et de très grandes lacunes à combler.

Si l'on interdisait d'une manière absolue l'admission d'élèves payants, on ne produirait d'autre résultat que de priver du bienfait de l'instruction une grande partie de ce que j'appellerai la petite bourgeoisie des campagnes. Ainsi, dans les communes où il n'existe pas d'écoles communales spéciales pour les filles, il existe souvent une école gratuite, qui est la seule école ouverte aux jeunes filles. De deux choses l’une, ou bien il faut permettre que les personnes qui refusent, comme question de dignité ou question d'opinion, d'envoyer leurs enfants à l’école communale gratuite, puissent avoir une section payante, ou bien toutes ces personnes seront privées du bienfait de l'instruction dans la commune. C’est là un fait considérable, et dont il nous a paru qu'il y avait lieu de tenir compte.

On a soulevé hier la question de savoir si la délibération du conseil communal était révocable ou non. La section centrale a également délibéré sur ce point, et il lui paraît hors de doute que la décision du conseil communal est essentiellement révocable. En effet, on ne peut pas admettre dans notre droit administratif qu'un conseil communal puisse lier ses successeurs. Le motif que je viens d'indiquer à la Chambre, c'est précisément l'intérêt communal, l'intérêt de l'instruction dans la commune ; il faut donc, lorsque cet intérêt se transforme, que le conseil communal, qui en est l'appréciateur permanent, puisse aussi modifier l'état de choses existant, soit en retirant sa précédente délibération, d'une manière complète, soit en réduisant le nombre des élèves payants qui peuvent être admis.

M. le ministre de la justice entend la disposition dans le même sens.

La section centrale, déterminée par ces motifs, propose, messieurs, l'adoption du nouvel amendement à l'article 70.Il y aurait seulement lieu de faire un petit changement de rédaction. Le troisième membre commence par ces mois : « Dans ce cas, la délibération du conseil communal fixera, etc. ; » les mots « dans ce cas » peuvent être supprimés ; il n'y a pas d'équivoque possible.

L'amendement proposé par M. le ministre de la justice à l'article 80 contient deux changements au projet de loi. Le premier de ces changements, c'est l'obligation pour le fondateur d'établir au moins deux administrateurs, collateurs ou distributeurs spéciaux ; le second consiste (page 1688) à dispenser les membres de la famille institués à titre héréditaire de la condition absolue du domicile ou la résidence dans la commune. Cet amendement, messieurs, a été adopté par la section centrale, par 3 voix ; 2 membres se sont abstenus.

La nécessité d'instituer deux administrateurs spéciaux résulte, dans l'opinion du gouvernement et dans l'opinion de la section centrale, de l'amendement proposé comme article 80bis et qui assimile, quant à l’intervention du bourgmestre, les établissements dus à la charité privée, aux établissements officiels. En effet, l'article 80bis est rédigé dans les mêmes termes que l'article 91 de la loi communale, qui concerne l’intervention du bourgmestre dans l'administration des hospices et des bureaux de bienfaisance.

La section centrale a donc adopté et la pluralité des administrateurs et l'intervention du bourgmestre comme président de droit lorsqu'il veut assister aux délibérations.

La majorité a vu dans ces dispositions une garantie contre les abus éventuels.

Elle y a vu aussi, messieurs, une réponse à des craintes produites dans le cours des débats et qui consistaient à dire que l'administration communale ignorerait les abus.

Désormais le bourgmestre présidant, chaque fois qu'il le veut, l'administration spéciale, ayant une intervention directe dans l'administration, pourra toujours éveiller l'attention de l'autorité supérieure, si des abus se produisent.

Il me reste, messieurs, à rendre compte des délibérations de la section centrale sur l'amendement de M. le ministre de la justice à l'article 99.

Cet amendement est la conséquence de celui qui a été introduit à l'article 70. Dans le projet, les dispositions pour les écoles gratuites tenues à titre de fondations spéciales étaient identiquement les mêmes que les dispositions relatives aux écoles de ce genre, tenues par les hospitalières, conformément à l'article 99. L'identité de position a paru devoir être maintenue ; et comme conséquence naturelle, il y a lieu d'appliquer aux écoles tenues par des hospitalières le principe de l'article 70, c'est-à-dire que là aussi si des élèves payants sont admis, ils ne pourront l'être qu'en vertu d'une délibération du conseil communal, approuvée par la députation et soumise, s'il y a lieu, à un recours au gouvernement.

On a rédigé l'amendement en se référant simplement à l'article 70, pour éviter de répéter les quatre paragraphes dont il se compose.

Cet amendement a été adopté par la section centrale, à la majorité de 3 voix contre 2.

- La Chambre décide qu'outre l'impression aux Annales parlementaires, le rapport de la section centrale sera imprimé et distribué comme document de la Chambre.

Article 69

M. le président. - Conformément à une décision prise antérieurement par la Chambre, nous arrivons à l'article 69. Cet article est ainsi conçu :

« Art. 69. Il peut être créé des établissements et des œuvres de bienfaisance, à l'aide de fondations dues à la charité privée, et qui seront autorisées, acceptées, administrées et surveillées conformément aux dispositions qui suivent. »

La parole est à M. Delfosse.

M. Delfosse. - Messieurs, vous avez adopté hier les articles 71 et 78 du projet de loi. En les adoptant, vous avez déclaré qu'on pourra, sans l’intervention du pouvoir législatif, instituer administrateurs spéciaux de fondations charitables les membres de la famille à titre héréditaire et les titulaires qui occuperont successivement des fonctions soit civiles, soit ecclésiastiques.

Ce vote, qui m'a affligé profondément, imprime à la loi un caractère tel, que nous devons repousser toutes les dispositions du titre II, quels que soient les amendements qu'on y introduise ; nous ne pouvons, en conscience, prêter notre concours à l'amélioration d'un principe essentiellement mauvais.

Tel est le principe que vous avez consacré hier. Je vais le prouver en très peu de mots. J'en ai le droit, puisque je motive par là mon opposition aux articles du titre II qui ne sont pas encore votés, et notamment à l'article 69 qui est en discussion.

J'espère que la Chambre me tiendra compte de ce que j'ai accepté hier la clôture pour ne pas retarder le vote des articles 71 et 78 et qu'elle voudra bien me prêter quelques moments de bienveillante attention. Cependant s'il y avait des réclamations, je renoncerais à la parole...

- Un grand nombre de membres. - Non ! non ! parlez ! parlez !

M. Delfosse. - Les administrations spéciales que vous avez rétablies hier, ont été dans le passé, elles seront dans l'avenir, quoi que vous fassiez, quelques précautions que vous preniez, la source d'abus nombreux et déplorables.

Indépendantes, affranchies par l'inamovibilité, de toute subordination réelle, elles finiront, comme l'a fort bien dit M. Faider dans l'exposé des motifs de son projet de loi, par échapper à tout contrôle.

Les deux garanties que vous nous offrez contre le retour des abus signalés dans le passé, l'obligation de rendre compte et l'action en détournement, seront complètement illusoires.

Les comptes rendus feront connaître la recette et la dépense. L'emploi des fonds aura-t-il été intelligent ? Au lieu de soulager la misère, n'aura-t-on pas encouragé la fainéantise et par conséquent le vice ? C'est ce que les comptes ne diront point.

Quant à l'action en détournement, on n'y aura recours que dans des cas extrêmes ; elle ne remédiera d'ailleurs en rien ni à l'incurie, ni à l'incapacité d'administrateurs que la loi déclare inamovibles.

On peut être très apte à remplir des fonctions civiles ou ecclésiastiques, on peut être un savant jurisconsulte, un profond théologien et manquer entièrement des qualités qui font le bon administrateur.

En permettant de choisir les administrateurs spéciaux parmi les titulaires des fonctions civiles ou ecclésiastiques, vous exposez donc le bien des pauvres à être mal administré.

Vous voulez, dites-vous, laisser aux fondateurs toute la liberté compatible avec l'intérêt général !

Je pourrais répondre qu'il est contraire à l'intérêt général que les biens donnés aux pauvres soient compromis par une mauvaise administration, mais je laisse de côté cet argument et je demande pourquoi, si vous tenez tant à assurer la liberté du fondateur, vous ne lui permettez pas de choisir les administrateurs spéciaux dans une autre famille que la sienne, dans une famille amie, honorable, plus digne peut-être de sa confiance.

Pourquoi ? Je vais vous le dire : c'est que la liberté de la charité dont on parle sans cesse n'est qu'un prétexte, je ne veux pas dire un masque pour ne pas vous offenser, car vous êtes devenus depuis quelque temps très susceptibles, le but que l'on poursuit, c'est le monopole du clergé en matière de charité comme en matière d'enseignement ; on veut autant que possible mettre le clergé à l'abri de toute concurrence.

Les membres de la famille on ne pouvait pas les écarter, c'eut été trop odieux ; il fallait bien admettre aussi les fonctionnaires civils pour ne pas rendre le but transparent, pour faire passer les titulaires de fonctions ecclésiastiques ; mais on sait que la concurrence des fonctionnaires civils ne sera pas très dangereuse, ils ne sont pas, en général, très désireux de devenir administrateurs de fondations, et ils n'ont pas, comme les titulaires de fonctions ecclésiastiques, les moyens d'influencer, de diriger la volonté des mourants.

L'égalité que la loi établit entre les titulaires de fonctions civiles et les titulaires de fonctions ecclésiastiques, est plus apparente que réelle. Les titulaires de fonctions civiles, bien que placés en première ligne, ne sont là que pour la forme ; ils ressembleront un peu à ce renard de la fable qui, invité à un repas ne put rien en prendre parce qu'on avait servi dans un vase dont l'entrée était trop étroite, l'autre convive, grâce â son long bec, eut tout jusqu'à la dernière miette.

Comme je l'ai dit dans mon premier discours, on peut affirmer, qu'à très peu d'exceptions près, l'administration des fondations charitables sera confiée aux membres du clergé, et surtout aux évêques. Pour vous, messieurs de la droite, c'est un bien ; pour nous, pour tous ceux qui s'éclairent de l'expérience du passé, c'est un mal et un grave danger.

Autant le clergé est utile, autant les services qu'il rend sont dignes de reconnaissance et d'admiration quand il se borne à accomplir sa mission religieuse, autant il est dangereux, autant il faut le combattre énergiquement quand il veut se mêler de politique et d'administration.

Là est le motif de notre opposition à la loi, là est le secret de l'émotion, de la répulsion très vive qu'elle excite dans le pays.

Cette loi porte dans ses flancs non une révolution prochaine, je ne l'ai jamais dit, c'est à tort qu'on m'a attribué cette pensée ; aussi longtemps que les voies légales resteront ouvertes, que la Constitution sera une vérité, il n'y aura pas en Belgique, j'en atteste l'esprit d'ordre et le bon sens de nos populations, il n'y aura pas en Belgique de place pour une révolution.

Ce que cette loi porte dans ses flancs, c'est la spoliation des familles, la corruption du clergé, c'est la misère et la discorde. Du peuple que M. le ministre de l'intérieur appelait l'autre jour avec raison le plus heureux de la terre, cette loi ferait, si elle avait de la durée, un peuple de moines et de mendiants. Lorsque nous en serons là, messieurs, qui peut répondre (cela, je l'ai dit et je le maintiens), qui peut répondre que le pays, au jour du danger, trouverait encore en lui ces sentiments de patriotisme et de légitime, fierté qui, en 1848, ont sauvé la royauté et la nationalité ?

Je regrette infiniment, messieurs, que vous n'ayez pas suivi les sages conseils que quelques honorables amis vous ont donnés dans une précédente séance. Je regrette que vous n'ayez pas renoncé à la loi. Puisque vous persistez à nous imposer cette œuvre que je considère comme fatale, il nous reste à en appeler aux collèges électoraux, dont la moitié se réunira l'année prochaine. Les collèges électoraux, j'ai foi dans leur sagesse, nous sauveront tous, vous comme nous, des suites de votre aveuglement.

M. Malou, rapporteur. - Messieurs, la Chambre n'a pas l'intention, je pense, devoir s'ouvrir une troisième discussion générale. Par conséquent je laisserai de côté, comme ayant fait l'objet de cette discussion, la plupart des considérations présentées par l'honorable M. Delfosse.

Je dirai seulement que si l'on n'a pas donné plus d'extension au projet, c'est, à mon avis, pour ne pas donner lieu à un plus grand nombre d'objections. Ainsi l'honorable membre demande pourquoi on ne permet pas au fondateur de désigner une autre famille que celle à laquelle il appartient. Si cela ne devait pas soulever de difficultés nouvelles, je n'y verrais, quant à moi, aucun inconvénient. Mais la question n'a pas (page 1689) été soulevée jusqu'à présent. Je le répète, c'est le but de mon observation ; si l'on n'a pas été plus loin, c'est pour n'avoir pas plus d'objections de la part de ceux qui trouvent que nous faisons déjà beaucoup trop.

Messieurs, l'honorable membre nous dit que la Belgique doit devenir un peuple de mendiants.

- Plusieurs membres. - Un peuple de moines et de mendiants !

M. Delfosse. - A la longue.

M. Malou. - Je crois, en effet, que ce sera fort à la longue. Car voilà plus de vingt-cinq ans que nous vivons sous le régime de la liberté d'association religieuse et politique, et quiconque voudra examiner les faits dans leur ensemble, pourra se convaincre que la liberté d'association, dans l'ordre religieux, a tourné au profit de deux grands intérêts sociaux : la charité et l'enseignement.

C'est ce qui s'est produit, et, je ne puis trop le redire, ou plutôt je l'ai peut-être déjà trop dit, la loi actuelle ne présentera absolument rien que cela. Elle laissera les associations qui ne seront pas exclusivement charitables, qui ne voudront pas accepter le régime de la loi, dans le droit commun de la liberté constitutionnelle d'association.

M. Frère-Orban. - Comme les clarisses à Tournai'

M. Malou. - L'honorable M. Delfosse nous donné rendez-vous devant les collèges électoraux pour l'année prochaine. En ce qui me concerne, j'accepte volontiers. Je suis convaincu que l'exécution qui sera donnée à cette loi, que les suites qu'elle aura, dissiperont en grande partie les préjugés et la résistance qu'elle rencontre aujourd'hui.. Nous ferons l'un et l'autre un appel à l'expérience et à l'avenir. L'expérience, l'avenir et le pays prononceront.

M. Delfosse. - Je suis loin de demander que le fondateur puisse prendre les administrateurs spéciaux dans une famille autre que la sienne, je ne veux pas de vos administrateurs spéciaux. Mais je dis que si vous teniez réellement à assurer la liberté du fondateur, pour être conséquents, vous auriez dû aller jusque-là.

- La discussion est close.

L'article 69 est mis aux voix par appel nominal :

87 membres prennent part au vote.

59 votent pour l'article.

37 votent contre.

En conséquence, l'article est adopté.

Ont voté l'adoption : MM. Rodenbach, Rousselle, Snoy, Tack, Thibaut, T’Kint de Naeyer, Van Cromphaut, Vanden Branden du Reeth, Vander Donckt, Van Goethem, Van Overloop, Van Renynghe, Van Tieghem, Vermeire, Vilain XIIII, Wasseige, Wautelet, Boulez, Brixhe, Coomans, Crombez, Dechamps, Dedecker, de Haerne, de Kerchove, de La Coste, de Liedekerke, Della Faille, de Man d'Attenrode, de Mérode-Westerloo, de Muelenaere, de Naeyer, de Pitteurs-Hiegaerts, de Portemont, de Rasse, de Renesse, de. Ruddere de Te Lokeren, Desmaisières, Desmet, de Theux, de T'Serclaes, de Wouters, Dumon, Dumortier, Faignart, Jacques, Julliot, Lambin, Landeloos, le Bailly de Tilleghem, Licot de Nismes, Maertens, Magherman, Malou, Matthieu, Mercier, Moncheur, Osy et Delehaye.

Ont voté le rejet : MM. Sinave. Tesch, Thiéfry, Tremouroux, Vandenpeereboom, Van Iseghem, Verhaegen, Vervoort, Allard, Anspach, Coppieters 't Wallant, Dautrebande, de Baillet-Latour, de Breyne, de Bronckart, de Brouckere, de Lexhy, Delfosse, Deliége, de Moor, de Paul, de Perceval, Devaux, Dubus, Frère-Orban, Goblet, Grosfils, Jouret, Lange, Laubry, Lebeau, Lelièvre, Lesoinne, Loos, Mascart, Moreau et Orts.

Article 70

« Art. 70. Les fondations peuvent avoir pour objet :

« 1° L'institution d'hospices, d'hôpitaux, de fermes-hospices ;

« 2° La fondation de lits dans les hospices et hôpitaux ;

« 3° La création de maisons de refuge, de dispensaires, d'ateliers de charité et d’apprentissage, d'écoles de réforme, d'écoles gratuites pour l'enseignement primaire et l'enseignement professionnel du degré inférieur, d'écoles du soir et du dimanche, d'écoles gardiennes, de salles d'asile, de crèches et autres œuvres ayant le même caractère charitable ;

« 4° La distribution permanente ou périodique d'aumônes ou de secours à domicile.

« Il n'est pas interdit d'admettre dans les écoles indiquées ci-dessus des élèves non indigents et payant une rétribution ; mais le nombre de ces élèves doit, dans tous les cas, rester inférieur à celui des enfants pauvres.

« Ces écoles sont d'ailleurs soumises au régime d'inspection, établi par la loi du 23 septembre 1842. »

M. Rousselle a proposé d'ajouter au n°3°, après les mots : maisons de refuge, ceux-ci : pour filles repenties ; et de supprimer les deux derniers paragraphes.

M. le ministre de la justice propose de dire, après le n°4° : « Il est interdit d'admettre dans ces écoles les élèves non indigents et payant une rétribution ; toutefois, le conseil communal peut demander qu'il soit dérogé à cette interdiction ; dans ce cas, la délibération du conseil communal fixera le nombre des élèves payants qui peuvent être admis ; mais ce nombre doit, dans tous les cas, rester inférieur à celui des enfants pauvres.

« Cette délibération sera soumise à l’approbation de la députation permanente, qui statuera, sauf recours au Roi.

« Ces écoles sont d'ailleurs soumises au régime d'inspection, établi par la loi du 23 septembre 1842. »

La discussion est ouverte sur l'article et les amendements.

M. Rousselle. - En présentant mon amendement sur les articles 70 et 99 du projet de loi, j'avais surtout pour but de faire disparaître une disposition qui me semble de nature à donner éventuellement aux congrégations religieuses un privilège qu'il m'est impossible d'accorder.

La nouvelle, rédaction proposée par l'honorable M. de ta justice, dans la séance, d'hier et adoptée par la section centrale, remplit-elle complétement le but que je voulais atteindre ? Je ne le pense pas.

Sans méconnaître l'amélioration que cette nouvelle rédaction apporte au projet primitif, il me paraît que le vice radical que j'ai signalé, bien qu’atténué, subsiste toujours.

D'abord, je ne saurais admettre qu'une loi de principe, une loi de cadre sur les fondations charitables à autoriser par le gouvernement, vienne incidemment déroger à la loi organique de l’enseignement primaire, et, dans mon opinion, c'est y déroger que d'autoriser des établissements fondés comme œuvres de charité proprement dite, à donner accessoirement l'instruction rétribuée sans être soumis absolument au régime de l'adoption et à toutes les dispositions de la loi du 23 septembre 1842.

Mon amendement laisse cette loi intacte. Il circonscrit la compétence du gouvernement, quant à l'approbation des fondations, dans le cercle des œuvres exclusivement charitables. Avec la proposition ministérielle, au contraire, le gouvernement pourrait sortir de ce cercle et étendre la personnification civile au-delà des limites qu'il me paraît nécessaire de tracer dans la loi. Je ne puis donc me rallier à la proposition de l'honorable ministre de la justice et adoptée par la section centrale, et je crois devoir maintenir mon amendement. La Chambre appréciera.

Messieurs, je tiens à le répéter, si je suis partisan, en principe, de la liberté de la charité, et si, à ce titre, j'ai admis l'institution des administrations privées à côté des administrations publiques, je veux aussi éviter tout ce qui, de près ou de loin, pourrait être considéré dans la loi comme favorisant l'extension des couvents privilégiés. Je tiens encore à ce que le contrôle de l'autorité publique sur la gestion des administrateurs spéciaux soit fortement organisé et je me propose de voter toutes les améliorations pratiques dont la loi est susceptible à ce double point de vue, et qu'il sera possible d'introduire dans l'agitation, si regrettable, des esprits. Mon vote sur l'ensemble de la loi dépendra donc de l'adoption ou du rejet de ces améliorations.

M. Allard. - Lorsque dans la cinquième section, dont je faisais partie, nous nous sommes occupés du projet de loi en discussion, nous sommes arrivés à l'article 99 où il est dit : « Sont également valables les libéralités faites en faveur des maisons hospitalières de femmes ou des maisons dites de refuge et ayant pour objet : 1° l’établissement d'un hospice, etc., » j'ai demandé, dans le cas où l'on fondrait, en vertu de cet article et de l'article 70, des orphelinats ou des hospices d'enfants trouvés ou abandonnés, qui, dans ce cas, remplirait les fonctions de tuteur des enfants mineurs. Il paraît que le rapport de la cinquième section n'est pas très clair ; car la section centrale dit dans son rapport : « La cinquième section demande qui remplira les fonctions de tuteur des maisons hospitalières. »

Or ce n'est pas là ce que j'ai demandé. Je sais fort bien que les maisons hospitalières n'ont pas besoin de tuteur, non plus que les capucins, les récollets, etc., etc. J'ai demandé qui remplirait les fonctions de tuteur, qui formerait le conseil de famille des enfants mineurs admis dans es fondations d'orphelinats ou d'asiles d'enfants trouvés ou abandonnés.

La loi du 15 pluviôse an XIII dit qui remplit les fonctions de tuteur en pareil cas.

L'article premier de celle loi porte : « Les enfants admis dans les hospices, à quelque titre et sous quelque dénomination que ce soit, seront sous la tutelle des commissions administratives de ces maisons, lesquelles désigneront un de leurs membres pour exercer, le cas advenant, les fonctions de tuteur, et les autres formeront le conseil de tutelle. »

Cette loi détermine la manière dont les biens seront administrés. Le code civil, article 468, donne au tuteur le droit de requérir la réclusion du mineur résultant des dispositions sur la puissance paternelle. Je demande si ces administrateurs d'hospices, ces administrateurs de hasard, posséderont la puissance paternelle, s'ils pourront provoquer la réclusion des enfants, administrer les biens des enfants. Lorsqu'il y aura des actes à faire pour les enfants mineurs, ces administrateurs pourront-ils les faire ?

M. Malou, rapporteur. - Je regrette de ne pas avoir compris à la lecture le procès-verbal de la cinquième section. Ne l'ayant pas compris, je me suis borné à le citer. Maintenant que la question est précisée, je vais y répondre.

Je crois que lorsqu'il sera établi des fondations d'orphelinats ou d'asiles d'enfants trouvés ou abandonnés, l'acte de fondation, ou l'arrêté d'autorisation établira des règles comme celles qui sont établies par la loi du 15 pluviôse an XIII. Je ne sais même pas pourquoi cette loi ne serait pas applicable de plein droit aux enfants mineurs admis dans ces (page 1690) établissements, car c'est une loi générale qui a voulu protéger dans toutes les positions des personnes aux intérêts desquelles la loi veille parce qu'elles n'ont pas de parents.

M. Frère-Orban. - Il faut bien comprendre la portée de l'observation de M. Allard. Notre honorable collègue fait remarquer que, d'après nos lois actuelles, les administrateurs des hospices sont investis de certains droits relatifs aux enfants reçus dans ces établissements. Ils exercent les droits civils de ces orphelins ; ils sont leurs tuteurs, aptes à exercer une foule d'actes en leur nom. Vous créez des administrateurs en dehors de l'administration légale. Vous leur appliquez jusqu'à un certain point les règles qui s'appliquent aux administrations de charité publique. Ici les règles existant pour les administrations de bienfaisance publique leur seront-elles appliquées ? Ou bien, répondra-t-on, comme l'honorable M. Malou, que ces droits seront déterminés par l'acte de fondation ou par l'arrêté d'autorisation ? Ce serait une erreur évidente. L'acte de fondation, qui est déjà un acte exorbitant fait par un particulier, ne peut aller jusqu'à créer des droits civils, imposer des obligations, régler la tutelle des enfants. Cela doit être déterminé par la loi. La tutelle des mineurs ne peut être dévolue à des tiers par les arrêtés d'autorisation. émanés du gouvernement.

Il faudrait donc que, par une disposition expresse, vous attribuiez à ces administrateurs les droits qui sont conférés par la loi aux administrations officielles. Ainsi vous rendrez de plus en plus manifeste qu'il ne s'agit pas ici de charité privée mais de charité publique.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Je partage, quant à l'article en discussion, l'opinion de l'honorable rapporteur.

Je crois que les dispositions de la loi du 15 pluviôse an XIII sont réellement applicables aux administrateurs spéciaux.

Les fondations dont parle l'honorable M. Allard, et auxquelles se réfère l'article 70, peuvent être administrées ou par le bureau de bienfaisance ou par des administrateurs spéciaux. Dans le premier cas pas de difficulté. Ce n'est que dans le second cas que la difficulté surgit. Mais nous avons donné aux administrateurs spéciaux, en ce qui concerne la gestion des biens, les mêmes droits qu'aux administrateurs des bureaux de bienfaisance. Or, au nombre de ces attributions est la gestion des biens des mineurs ; les administrateurs spéciaux de fondations d'orphelinats rempliront donc les fonctions de tuteurs des enfants placés dans ces établissements.

Puisque j'ai la parole, je dirai un mot en réponse aux observations de l'honorable M. Rousselle.

L'honorable M. Rousselle critique les dispositions de l'article 70 en ce que l'on aurait dérogé selon lui, dans une loi incidente, à la loi sur l'enseignement primaire. C'est pour ce motif qu'il repousse les dispositions du gouvernement et de la section centrale.

Messieurs, nous avons inséré dans la loi des dispositions relatives à l'enseignement, parce que la charité véritable comprend évidemment l’enseignement. La charité ne doit pas se borner à des secours purement matériels, la charité entendue dans le sens, le plus large, dans le sens chrétien, dans le sens civilisateur, comprend les secours moraux ; l'enseignement devait donc y trouver le premier rôle, l'enseignement gratuit, mais nous avons admis l'enseignement rétribué, afin de développer l'enseignement gratuit qui, dans certains cas, ne pourrait pas être donné, faute de ressources suffisantes.

L'honorable M. Rousselle dit : Vous détruisez la loi sur l'instruction primaire. Messieurs, cette objection a perdu toute sa force devant les amendements que nous avons présentés hier. L'exécution de la loi sur l'enseignement est essentiellement confiée aux conseils communaux et aux députations permanentes.

Eh bien, les amendements présentés hier établissent exactement la même chose, puisque c'est sur la demande expresse du conseil communal que des enfants payants pourront être admis. Il ne peut donc pas résulter de là des inconvénients, puisque nous avons mis le bourgmestre même dans les administrations spéciales.

L'honorable M. Frère dit : Vous tombez de plus en plus dans la confusion, puisque vous voulez faire d'abord, des administrateurs spéciaux, des agents privés et maintenant vous leur attribuez un caractère public Nous n'avons jamais voulu faire des administrateurs spéciaux, des agents privés ; nous avons voulu leur donner le caractère d'agents d'utilité publique, si je puis m'exprimer ainsi, et nous entendons la loi en ce sens qu'ils sont chargés d'un ministère public et qu'ils sont, d'une part, protégés par le Code pénal contre la calomnie et d'autre part soumis au contrôle le plus large de l'opinion publique.

M. Frère-Orban. - Ce n'est donc pas delà charité privée, c'est tout ce que je voulais constater.

M. Allard. - Messieurs, les fondateurs peuvent nommer deux administrateurs spéciaux, et la loi leur adjoint le bourgmestre ; voilà trois personnes. Je demanderai qui remplira les fonctions du conseil de famille ? Dans les administrations officielles il y a un tuteur, et les autres membres de l'administration forment le conseil de famille.

Si, par exemple, le fondateur a désigné l'un de ses parents et s'il s'agit d'un enfant qui soit parent du fondateur, il pourra arriver que les intérêts du mineur se confondront avec ceux du tuteur ; comment agira-t-on dans ce cas ?

D’après la loi du 15 pluviôse an XIII, lorsque l'enfant décède sans héritiers, sa fortune appartient à l’administration des hospices ; est-ce dans ce cas-là que la fortune de l'enfant appartiendra à la fondation qui aura recueilli l'orphelin, l'enfant trouvé ou abandonné.

Je crois, messieurs, que toutes ces questions doivent être élucidées, avant que l’on ne passe au vote de l'article.

M. Tesch. - Messieurs, je suis adversaire des administrations spéciales et quoique la question soit vidée, je demande à la Chambre, de me permettre d'en dire encore quelques mots.

Une administration spéciale peut être mauvaise pour deux raisons : elle peut être mauvaise par suite de malversation, d'infidélités, elle peut être mauvaise par suite d'incapacité, d'ignorance, de négligence, eh bien, toutes les garanties qui ont été prises dans la loi si elles étaient scrupuleusement mises en pratique, ce qui n'arrivera pas, toutes ces garanties, tous les moyens répressifs ne s'appliqueraient qu'au détournement et au refus absolu de rendre compte, c'est-à-dire que vis-à-vis des administrateurs spéciaux la société n'a pas plus de garanties qu'elle n'en a vis-à-vis des voleurs et des faussaires. Mais quant à la mauvaise administration résultant de l'incurie, de l'incapacité, d'idées erronées, de systèmes faux, je défie qu'on me cite l'ombre d'une garantie sérieuse pour la société.

Mais, messieurs, au nombre des services que l'on veut faire administrer par des administrateurs spéciaux, il en est pour lesquels ce genre d'administration présente plus de danger que pour d'autres.

Et parmi ceux que je consentirais le moins à confier à des administrations spéciales, se trouve celui de la distribution des secours à domicile et à l'enseignement.

J'ai déjà eu l'honneur de le dire à la Chambre, pour que les secours à domicile puissent être distribués sans danger, il faut l'unité dans l'administration, dans la distribution.

Il faut l'unité dans l'administration, parce que le besoin, c'est la condition et c'est la mesure du secours. Le besoin de l'individu auquel des secours sont délivrés, est évidemment la condition des secours et la mesure des secours. Eh bien, il est impossible d'apprécier le besoin, d'apprécier l'étendue du besoin, sans unité dans l'administration. Lorsque vous avez des administrations multiples, agissant sans rapport les unes avec les autres et, quoi qu'on en dise, vous en aurez incontestablement, car, ainsi que je l'ai déjà dit, ni les budgets ni les comptes ne peuvent rien pour éviter les doubles emplois, vous ne saurez jamais si déjà l’individu que vous voulez secourir n'a pas été secouru antérieurement, si déjà il n'a été pourvu à ses besoins. Si déjà il a été secouru, vous dépasserez la mesure ; au lieu de ne lui venir en aide qu'en proportion de ce que son travail ne peut pas lui procurer, vous irez au-delà, comme le disait l'honorable M. Delfosse il n'y a qu'un instant, au lieu d'avoir soulagé une infortune vous aurez fourni les moyens de ne rien faire, vous aurez favorisé le développement de la paresse et de la fainéantise.

Il est donc indispensable que pour les secours à domicile il y ait unité d'administration, qu'il y ait une seule administration parfaitement au courant de la position de tous les malheureux et de la répartition qui est fane des secours qui sont à distribuer dans la commune.

Messieurs, des faits constatés de la manière la plus irréfragable par l'histoire des trois derniers siècles, attestent que la fainéantise, le vagabondage, la paresse se sont développés, précisément parce que l'unité manquait dans l'administration des secours à domicile, parce qu'il manquait d'intelligence et de contrôle dans la distribution des aumônes.

Toutes les ordonnances des souverains, et toutes les mesures prises par les autorités communales, tous les écrivains sont là pour attester que ce sont là les causes de la déplorable situation de la société sous ce rapport ; et c'est aussi ce qui explique la tendance continuelle de tous les pouvoirs à arriver à la bourse commune, à la centralisation de tous les secours qui étaient distribués à domicile, de toutes les aumônes qui étaient données à la suite de services, d'anniversaires, etc.

Messieurs, avec le système qu'on propose, les mêmes abus doivent se reproduire, les mêmes causes, je l'ai déjà dit, ramèneront les mêmes effets. On n'indique pas une raison sérieuse pour qu'il n'en soit pas ainsi. Il faudrait que la nature de l'homme fût changée. Il est évident que si un individu reçoit, par les secours distribués de toutes mains, plus que le travail ne peut lui procurer, il est évident, dis-je, qu'il ne travaillera plus. Si donc vous voulez éviter ce danger, vous êtes forcés de maintenir un système qui donne à ceux qui distribuent la mesure, du secours qu'ils doivent distribuer.

L'honorable M. Dedecker nous disait dernièrement que les abus que l'on avait signalés n'avaient pas existé seulement en Belgique. Je suis d'accord avec l'honorable ministre de l'intérieur, mais c'est un argument que je retournerai contre lui. Oui, partout où le même système a existé, on a vu se produire les mêmes abus ; partout où vous avez eu la décentralisation des secours à domicile, la distribution, on a vu se développer la mendicité et le vagabondage à un degré extrême. Partout aussi on a reconnu que la cause du mal est la décentralisation et qu'il fallait appliquer le remède, c'est-à-dire la centralisation.

Du reste, le remède a été essayé et pratiqué dans différentes villes de notre pays ; il l'a été à Ath, à Gand, à Ypres ; il l'a été à Iverdun, ville suisse. Eh bien, la centralisation a détruit le mal, au moins en grande partie.

Qu'on lise, par exemple, le rapport du magistrat d'Ypres, dans lequel on constate la différence entre la situation des pauvres avant et après l'introduction du nouveau règlement.

« Enfin pour conclure, MM. du magistrat déclarent qu'ils ne peuvent comprendre pour quelles raisons les quatre ordres cherchent ainsi à débattre et à détruire l'ordonnance, nonobstant l'approbation que lui (page 1691) ont accordée des personnes savantes et probes. Que chacun veuille bien remarquer de quelle manière étaient soignés auparavant les pauvres, les impotents et les vieillards ! Les jeunes filles pauvres couraient par monts et par vaux à des heures indues (te berghe en date in ontyden loopende), et étaient tellement adonnées au vice que leur front ne savait plus rougir. Des enfants en bas âge, souvent privés de père et de mère, tout déguenillés, parcouraient les rues, mangeant ou plutôt avalant ce qu'on leur donnait, ne songeant nullement à leur salut, ne fréquentant pas les églises, ne recevant aucun enseignement religieux !

« MM. du magistrat supplient toutes les personnes de cœur de vouloir comparer ce qui existait alors avec ce qui existe maintenant ; et, abstraction faite de toute opinion, de tout intérêt, ils demandent s'il n'est pas plus avantageux, plus salutaire, plus favorable de continuer à maintenir l'ordonnance (comme on l'a fait depuis environ cinq ans), nonobstant l'opinion et les observations d'un petit nombre d'individus, plutôt que de l'abandonner et de revenir à l'ancien état de choses. »

Voilà ce qui a été constaté, voilà la différence qu'offrent les deux systèmes.

Quand la ville d'Anvers a modifié complètement son système, et a introduit la centralisation, la ville d'Anvers citait la ville de Gand qui, disait-elle, avec des fondations moins nombreuses et une population pauvre plus considérable, entretenait cependant ses pauvres beaucoup mieux avec une somme de beaucoup inférieure à celle donc disposait la ville d'Anvers.

En présence de pareils enseignements, il faut fermer les yeux à la lumière, pour revenir à un régime qui a été pendant des siècles entiers une hideuse plaie sociale.

Il y a plus ; je vais citer un- exemple que M. le ministre de la justice ne récusera certainement pas.

J'ai déjà parlé des ordonnances qui avaient été prises dans le pays, et, particulièrement dans le Luxembourg. De 1780 à 1790 les vagabonds et les mendiants étaient traqués comme des bêtes fauves. Les administrations de la principauté de Liège informaient celles de la province de Luxembourg vers quels ponts, vers quels passages les mendiants et les vagabonds seraient traqués. Voilà ce qui se passait à la fin du dernier siècle dans le Luxembourg.

M. le ministre de la justice nous jetait à la face l'autre jour, à mon honorable ami M. Frère et moi, l'injure que nous faisions de la question de la charité une question de parti, puisqu'il n'y avait pas de pauvres dans nos provinces. A quelle cause M. le ministre attribue-t-il la différence que présente l'état de choses en 1790, comparé à l'état de choses actuel ?

Quant aux secours à domicile, il y a encore d'autres raisons pour ne pas les laisser administrer par des administrateurs spéciaux. Je demanderai, par exemple, quel sera le montant de la rente qu'il faudra créer pour que la libéralité puisse être érigée en fondation particulière. Suffira-t-il de créer une distribution de 5 francs par an, pour pouvoir fonder une administration particulière ? faudra-t-il 10, 20, 30, 40 fr. de rentes ?

Si vous admettez qu'il suffise qu'un individu donne 10 fr. par an, ou 20, ou 30, ou 40, pour créer une administration particulière, vous aurez une quantité innombrable d'administrations particulières ; chacun pourra créer une fondation particulière, à laquelle il attachera son nom et qu'il fera administrer par un de ses enfants ou un de ses parents.

Je demande comment, dans ce système, vous pourrez maintenir l'ordre ? Il n'y a rien dans la loi qui l'empêche, absolument rien. Aujourd'hui toutes ces fondations se font au bureau de bienfaisance, sont administrées par le bureau de bienfaisance, vont dans la bourse commune, sont administrées par les administrateurs communs. Les héritiers préféreront administrer les fondations que de les voir administrer par le bureau de bienfaisance, il se fondera une masse de ces petites administrations et distributions spéciales. Si vous les acceptez, vous allez à l'anarchie la plus complète.

Et si vous ne les acceptez pas, ce sera autant de perdu pour les pauvres ; vous devrez accepter les fondations fractionnées à l'infini ou les répudier, c'est-à-dire repousser les bienfaits destinés aux pauvres. Voilà où vous mène votre système des administrateurs particuliers en matière de secours à domicile.

Sous le rapport moral comme sous le rapport matériel, les fondations pour distributions de secours à domicile exigent le plus d'intelligence, le plus de soin et le plus de probité.

En effet, c'est précisément par la distribution de secours à domicile faite avec intelligence, qu'on empêche le paupérisme, la mendicité de se développer. Quand la charité est bien faite, on donne des secours dans certains moments, en cas d'accidents, de malheurs, de chômages et on restitue l'ouvrier au travail, quand ces circonstances sont passées.

Sous le rapport de l'administration matérielle, c'est là qu'il faut le plus de probité, parce que le contrôle est plus difficile.

Quand il s'agit de comptes à rendre, il serait déraisonnable d'exiger des quittances de ce qu'on a donné à des pauvres. Vous devez donc vous en rapporter pour ainsi dire exclusivement à la probité, à la loyauté des administrateurs spéciaux.

Précisément de ce que c'est à leur loyauté qu'il faut s'en rapporter, il s'ensuit qu'il faut laisser aux administrations locales le choix de ces agents.

Or c'est ce que vous ne faites pas. Au lieu d'hommes de choix, d'élite, vous aurez des administrateurs produits du hasard qui préféreront avoir pour eux les revenus des biens affectés à la fondation que de les faire passer aux pauvres ; vous aurez des détournements, il sera impossible de les éviter de la manière dont vous organisez les administrations et il vous sera impossible de les prouver.

Vous concédez qu'il peut y avoir deux administrateurs et ces administrateurs ce seront le plus souvent des parents ; c'est dans la famille qu'ils seront choisis ; ces deux administrateurs s'entendant entre eux, il peut arriver qu'ils détournent la plus grande partie des revenus des biens des pauvres, quelle garantie avez-vous que cela ne se passera pas ainsi ? Demanderez-vous des quittances des aumônes données, des distributions faites ?

Il y a quelque chose d'extraordinaire, d'exorbitant même dans cette loi ; quand il s'agit des autres administrations, des administrations laïques qui sont choisies, on les entoure de toutes les précautions imaginables ; il faut cinq administrateurs pour les bureaux de bienfaisance, on cherche une garantie dans le nombre ; s'agit-il d'administrateurs spéciaux, deux suffisent. On défend la parenté entre les administrateurs de bureaux de bienfaisance, jusqu'au troisième degré inclus ; on veut éviter la collusion, l'entente ; rien de pareil quand il s'agit d'administrateurs spéciaux, ils peuvent être parents.

Ainsi, quand il s'agit d'administrateurs choisis, où l'on a pu apprécier la moralité des hommes, on exige qu'ils soient au nombre de 5 et qu'il n'y ait pas entre eux de lien de parenté jusqu'au troisième degré, et quand il s'agit d'administrateurs spéciaux vous vous conteniez de deux qui pourront être parents. C'est traiter la société laïque d'une manière incroyable ; on dirait qu'il faut prendre contre eux des précautions comme si c'étaient des échappés de bagne ; quand il s'agit du clergé, d'administrateurs nommés sous son influence, tout est bien, il n'est plus nécessaire que des garanties soient données ni que des attributions soient déterminées.

Il y a encore autre chose qui va vous donner la mesure de ce que vaudra une administration de secours à domicile d'après le projet de loi. D'après le projet de loi, tel qu'il était d'abord présenté, l'administrateur spécial devait avoir son domicile ou sa résidence dans la commune. D'après un amendement présenté hier par M. le ministre, on a fait une exception en faveur des membres de la famille du fondateur.

Voilà des distributions faites par des hommes qui n'habitent pas dans la commune, qui ne connaîtront pas les pauvres, qui ne connaîtront ni ses besoins, ni les causes de sa misère. Mais n'est-ce pas là une véritable dérision ?

Quant aux fondations pour l'enseignement, avant de les discuter, je désire avoir quelques explications. Je demanderai à M. le ministre de la justice :

1° Quels sont les droits des administrateurs spéciaux ?

2° Ces droits sont-ils plus étendus que ceux d'un conseil communal sur l'école communale ?

3° Pourquoi n'a-t-on pas reproduit dans la loi la disposition adoptée par la commission chargée de rédiger un projet de loi sur les fondations, disposition ainsi conçue : Le fondateur pourra conférera une ou plusieurs personnes quant à la surveillance, à l'instruction et à l'administration, les mêmes pouvoirs que ceux qu'exerce l'autorité communale sur l'école communale. Toute clause qui aurait pour objet d'accorder aux administrateurs des pouvoirs plus étendus est réputée non écrite.

4° Les articles 5, 6, 9, 10, 11 et 12 de la loi sur l'enseignement primaire, sont-ils applicables aux écoles fondées ? Notamment : qui déterminera les matières de l'enseignement ? Qui décidera du choix des livres ? Qui nommera les instituteurs ? Si ce sont les administrateurs spéciaux, les instituteurs devront-ils être munis d'un diplôme d'une école normale ? Qui désignera les enfants pauvres ?

5° Les décisions des administrateurs spéciaux seront-elles soumises à la députation permanente dans le cas où leur sont soumises celles des conseils communaux ?

6° Peut-on admettre gratuitement des élèves non indigents ?

7° Qu'arrivera-t-il lorsque les administrateurs spéciaux refuseront de soumettre l'école à l'inspection ?

On me permettra maintenant de dire un mot de l'incident qui s'est élevé entre M. Dcehamps et moi bien qu'il soit peu important. Je tiens à prouver que je n'ai rien à retrancher des citations que j'ai laites et que je leur ai laissé leur véritable sens.

J'ai soutenu que l'opinion de M. Béchard se rapporte à la loi. Je n'attache pas une extrême importance à cette opinion. Mais je tiens à ce que la Chambre ne puisse pas croire que j'ai présenté d’une manière inexacte le sens d'une citation, en supprimant ce qui précède ou suit immédiatement les lignes citées.

Si l'honorable M. Dechamps était parvenu à prouver que M. Béchard a les mêmes opinions que la droite, il n'aurait rien prouvé contre moi ; il aurait prouvé contre M. Béchard, qui aurait parlé pour et contre ; il aurait prouvé que l'honorable M. Dedecker avait eu tort d'introduire cet auteur dans le débat. Mais je crois que l'honorable M. Dechamps s'est trompé, et que M. Béchard, quand il parle de charité légale, ne comprend sous ce nom que la taxe des pauvres.

Il y a des passages que l'honorable M. Dechamps a cités qui le prouvent à la dernière évidence. Quand M. Béchard parle d'assistance, (page 1692) l'honorable M. Dechamps cite comme si ce mot était synonyme de bienfaisance.

Ce sont cependant des choses tout à fait différentes. M. Béchard n'a pas confondu l'assistance avec la bienfaisance, il a au contraire, et dès le commencement du chapitre, fait la différence entre l'assistance et la bienfaisance.

Et les termes mêmes du passage cité maintiennent cette distinction. Il suffit de lire pour s'en convaincre.

« Abstenons-nous aussi, dit M. Béchard, d'un système de réglementation uniforme quoique locale.

« Gardons-nous de créer même dans les départements, dans les cantons ou dans les communes une administration spéciale de l’assistance. Elle fléchirait sous le poids de ses innombrables attributions et serait un rouage de plus dans le système déjà si compliqué de l'administration française.

« L'administration communale y prendrait son unité et l'antagonisme qui s'établirait entre les comités d'assistance et les municipalités deviendrait une occasion perpétuelle de doubles emplois, de conflits et d'embarras pour l'autorité supérieure qui serait presque toujours en butte à des influences contradictoires. »

C'est d'une administration à créer, d'un rouage de plus, que parle M. Béchard ; ce n'est donc pas le bureau de bienfaisance qu'il proscrit, c'est au contraire une autre administration qui donnerait lieu à de doubles emplois.

Puis il continue :

« D'ailleurs, l'administration par commune serait impossible, l'administration par département serait insuffisante et l'administration par canton, placée entre les deux grands centres d'administration locale, ne pourrait répondre que d'une manière très imparfaite de sa mission. Maintenons, perfectionnons ce qui est, abstenons-nous, autant que possible, d'innovations inutiles. »

Le dernier paragraphe achève la démonstration. Maintenons, perfectionnons, dit M. Béchard, abstenons-nous d'innovations inutiles ; je fais la même recommandation à nos adversaires.

M. Dechamps. - Je ne veux pas donner à cet incident une importance qu'il n'a pas. Deux mots seulement en réponse à l'honorable M. Tesch.

Je n'ai pas prétendu qu'il avait tronqué le passage qu'il a cité. J'ai seulement dit et je le maintiens que l'esprit qui a dicté tout le livre de M. Béchard est entièrement dans nos idées. Il combat deux choses : la sécularisation et la centralisation administrative. Il veut avant tout la charité religieuse, la charité privée et ecclésiastique. C'est elle, selon ses paroles, qui fonde l'œuvre charitable ; la commune vient en aide, et l'Etat protège. Voilà son principe. Il demande l'association de la paroisse religieuse et de la commune civile, du prêtre et de l'autorité communale.

Il préfère au chevet du mourant le prêtre au commis d'administration. Il professe le plus grand respect pour la volonté des fondateurs et admet des administrations spéciales.

Il se déclare l'adversaire de la sécularisation d'après les principes de 89 et de la constituante qu'il condamne comme faux, comme dangereux.

L'honorable M. Tesch a prétendu que M. Béchard, dans les passages que j'avais cités, n'avait entendu parler que de l'assistance, la charité légale. Vous savez qu'en France on confond l'assistance publique et la bienfaisance publique. Ce qui le prouve, c'est que le rapport de M. Melun et celui de M. Thiers sont intitulés, si je ne me trompe : Rapport sur le projet de loi relatif à l'assistance publique. M. Béchard veut d'abord décentraliser au profit de la charité religieuse et privée, puis la décentralisation au profit de la commune qu'il préfère à celui du département et de l'Etat. Avant tout, je le répète, il combat le principe de la sécularisation et de la centralisation de la bienfaisance publique ; c'est ce que nous voulons aussi.

M. Lelièvre. - A la séance d'hier, j'ai prié M. le ministre de la justice de vouloir fixer le sens de son amendement relativement à l'admission des élèves payants. Je viens renouveler l'interpellation. Je désire savoir si le conseil communal, après avoir autorisé l'admission d'élèves payants, pourra révoquer sa décision de sa propre autorité, ou si l'intervention de l'autorité supérieure sera nécessaire pour prononcer cette révocation.

M. Malou, rapporteur. - On a déjà répondu trois fois.

M. Lelièvre. - J'adresse l'interpellation à M. le ministre, qui est l'auteur de l'amendement et qui seul dès lors peut expliquer la pensée qui l'a dicté. Il s'agit de déterminer la portée d'une proposition qui ne saurait être mieux indiquée que par celui dont elle émane.

Je demande donc qu'on veuille me dire si le conseil communal aura pleine liberté de révoquer eu tout temps la décision relativement à l'admission d'élèves payants.

Puisque j'ai la parole, je crois devoir ajouter quelques mots aux considérations présentées par l'honorable M. Allard. Je conçois parfaitement qu'une commission des hospices qui est une autorité publique, une émanation de la puissance publique, soit chargée de l'administration de la personne et des biens des individus qui lui sont confiés. Mais ce que je ne conçois pas, c'est qu'une administration privée, qui tient son mandat d'un particulier, puisse exercer la tutelle à l'égard de tiers ; cela me paraît exorbitant.

La loi n'autorise que le survivant des père et mère à conférer une tutelle ; maintenant on veut attribuer ce droit au premier venu par cela seul qu'il établit une fondation. Pareil système me paraît contraire à toute l'économie de nos lois.

Qu'un testateur fasse gérer, par des administrateurs qu'il nomme, des biens d'une fondation qu'il institue, c'est déjà une énormité ; mais que de pareils administrateurs acquièrent des droits sur la personne de tiers, c'est ce que je ne puis admettre. Il est impossible, à mon avis, de soutenir sérieusement le système proposé par M. le ministre de la justice.

.M. Malou, rapporteur. - Nous pouvons d'abord terminer ce débat, en ce qui concerne les orphelins et les enfants trouvés qui seraient recueillis par les fondations particulières.

Supposons un instant que les règles établies par la loi ne s'appliquent pas de plein droit à la tutelle des orphelins recueillis dans les institutions privées.

Le Code civil, que je regrette de devoir rappeler à l'honorable M. Lelièvre, a pourvu d'une manière générale à la conservation du droit des mineurs. Ainsi je rappellerai à l'honorable membre, puisque cela est nécessaire, les articles 405 et406 du Code civil. Je les lirai :

« Art. 405. Lorsqu'un enfant mineur et non émancipé restera sans père ni mère, ni tuteur élu par ses père ou mère, ni ascendants mâles, comme aussi lorsque le tuteur de l'une des qualités ci-dessus exprimées se trouvera ou dans le cas des exclusions dont il sera parlé ci-après, ou verbalement excusé, il sera pourvu, par un conseil de famille, à la nomination d'un tuteur. »

« Art. 406. Ce conseil sera convoqué soit sur la réquisition et à la diligence des parents du mineur, de ses créanciers ou d'autres parties intéressées, soit même d'office et à la poursuite du juge de paix du domicile du mineur. Toute personne pourra dénoncer à ce juge de paix le fait qui donnera lieu à la nomination d'un tuteur. »

M. Allard. - Et les enfants trouvés ?

M. Malou. - Le Code y a expressément pourvu par les articles suivants. Voulez-vous que je vous les lise tous ? Mais je dis que le Code prévoit le cas où l'enfant a des parents ou alliés dans la commune.

M. Tesch. - Faites un article.

M. Malou. - Vous cherchez à faire naître des difficultés de droit civil.

M. Tesch. - Mais non !

M. Malou. - Je retire le mot. Vous entrevoyez des difficultés, et je cherche à prouver qu'elles n'existent pas. Un moment de patience ; je ne rentre pas dans la discussion générale.

M. Tesch. - Ni moi non plus.

M. Malou. - Je dis que les articles 407 et suivants du Code civil ont pourvu à toutes les circonstances qui peuvent se présenter. Ainsi l'on suppose en premier lieu que les mineurs orphelins se trouvent avoir des parents ou alliés dans la commune ou au moins à une distance de deux myriamètres de la commune, ensuite qu'ils n'en aient aucun ; et pour chacune de ces hypothèses le juge de paix doit instituer un conseil de famille soit d'office soit à la réquisition de toute personne. Je dis que la loi de pluviôse an XIII n'existât-elle pas, il y a dans le Code civil des mesures protectrices pour toutes les conditions dans lesquelles peut se trouver le mineur. Ainsi dans l'hypothèse que l'on a posée, la fondation spéciale demandera au juge de paix de constituer un conseil de famille pour les enfants trouvés.

On soulève une autre question. Y a-t-il déshérence pour les fondations particulières, lorsqu'un mineur, ayant quelque bien, décède dans un orphelinat ou une institution particulière d'enfants trouvés. Je crois qu'il n'y a de déshérence qu'en vertu d'une loi expresse. Ainsi quand cette hypothèse se présentera, ce sera l'Etat qui sera l'héritier en vertu du droit commun.

Messieurs, toutes ces hypothèses, on peut les multiplier à l'infini, seraient parfaitement discutables si nous pouvions dans une loi qui a déjà cent et autant d'articles, transférer toutes les dispositions du Code, en un mot tous les cas qui sont résolus d'avance par le droit commun.

Je viens de vous prouver que, pour ce qui concerne la tutelle des enfants mineurs, le droit commun y a pourvu. Je vous fais remarquer, en outre, que dans une loi spéciale comme celle-ci, il est bien entendu que pour le droit civil, pour le maintien des intérêts de la famille, le droit commun est le complément nécessaire et que nous ne pouvons reproduire tout le Code civil dans la loi.

Voilà une première réponse à la difficulté qui paraissait excessivement grave à l'honorable M. Lelièvre.

L'honorable membre a paru croire que je voulais usurper les fonctions de ministre de la justice. Je n'en ai pas la moindre velléité. J'ai seulement interrompu l'honorable membre pour lui faire remarquer que M. le ministre de la justice, s'étant rendu à la section centrale, d'accord avec lui, j'ai déclaré que les délibérations du conseil communal étaient essentiellement révocables et qu'il était de la nature des choses qu'elle les fussent, parce qu'il ne peut pas plus appartenir à un conseil communal de lier ses successeurs, qu'il ne nous appartient à nous qui sommes le pouvoir législatif de l'Etat, de faire une loi à laquelle nous donnerions une durée de cent ans.

Je fais remarquer, en second lieu, et encore d'accord avec M. le ministre, que cette révocabilité était inhérente à cette disposition, parce que le seul motif de la disposition était l'intérêt communal, que cet (page 1693) intérêt était variable et que l'appréciateur permanent de cet intérêt était variable et que l’appréciateur permanent de cet intérêt était le conseil communal.

Je pense que cette réponse, que je fais comme rapporteur et sans entendre usurper les droits de personne, satisfera l'honorable M. Lelièvre.

Messieurs, je ne parle plus de Béchard, je crois que son compte est fini.

L'honorable M. Tesch est revenu en grande partie sur la discussion générale, sur la discussion du système des administrateurs spéciaux.

M. Tesch. - Appliqué à un objet en discussion.

M. Malou. - Les abus, les doubles emplois, l'absence des garanties, ce qu'on fera pour de petites fondations. Nous avons fait, je crois, trois ou quatre appels nominaux sur le principe des administrateurs spéciaux, nais je ne crois pas que l'intention de la Chambre soit d'avoir quarante discussions générales sur chacun des articles qui se rapporteront aux administrateurs spéciaux. Je me borne, sur ce point, à cette seule observation.

On dit que l'unité des secours est un très grand bien. Je le reconnais ; nous sommes d'accord. Mais la question est de savoir si l'on peut faire une loi qui établit cette unité.

Décrétez l'unité de distribution des secours tant que vous voudrez, vous ne l'aurez pas pour cela. Ainsi aujourd'hui même, et depuis bien des années, avez-vous l'unité des secours ? L'avez-vous à Bruxelles ? L'honorable M. Vervoort nous citait la société philanthropique. Cette société est affiliée aux hospices de Bruxelles. Elle ressortit, pour l'administration de son hospice, à l'administration générale officielle. Elle est indépendante pour la distribution de secours. Elle les fait comme elle l'entend. La société dont je parlais dernièrement pour le secours spécial des pauvres honteux est dans la même position.

La question qui se présente aujourd'hui n'est pas de savoir s'il y aura unité de secours ; mais c'est de savoir s'il vaut mieux, pour l’intérêt des pauvres, lorsqu'un donateur ne veut pas conférer aux hospices la distribution ou l'administration de la donation, que cela reste libre et sans garantie, ou que cela rentre dans le cadre et sous le contrôle de la loi.

Voilà véritablement la question, car déclarer que vous voulez l'unité des secours, cela ne suffit pas ; vous ne pouvez l'avoir. On établira à côté de cela la diversité des secours ; et quant à moi, je ne considère pas la diversité des secours en matière de charité comme un mal aussi considérable que mon honorable adversaire. Je crois que l'action se spécialisera par la liberté ; je crois que le secours s'adressera, comme il le fait déjà, à des catégories spéciales de misères et que, grâce à la liberté, elle s'adressera aussi pour procurer des secours, à tous les moyens, qu'on aura l'abondance par la liberté, et qu'on aura réellement les secours les plus efficaces par la liberté de les distribuer.

Ainsi, par exemple, on, nous croit hostiles à la société Philanthropique. Eh bien, je trouve que c'est une excellente institution dans une capitale. La société Philanthropique crée des produits pour ses pauvres par des moyens que la charité ecclésiastique ne peut pas adopter : bals, spectacles, matinées musicales.

Elle a ses pauvres à elle, elle a ses distributions, elle a ses moyens d'obtenir des fonds. Ce que nous demandons c'est le concours de toutes les forces pour faire produire, et quant aux distributions vous aurez beau dire que vous craignez les doubles emplois, cela, dans notre pays, vous ne l'empêcherez pas.

Quant aux autres objections, messieurs, je crois pouvoir me référer aux Annales parlementaires et à toute la discussion générale qui est ouverte depuis cinq semaines. Je ne reviendrai pas non plus sur ce qu'on a dit des abus, de ce qui s'est passé dans les siècles précédents, comme ce fait qu'on traquait les mendiants et les vagabonds entre la province de Liège et le Luxembourg, par certain pont, seul passage possible.

Si nous voulions rappeler des faits anciens, nous pourrions faire bien des observations de la nature de celles qu'on nous oppose. Revoyons notre législation criminelle : a-t-il si longtemps que la torture est abolie dans Europe civilisée ? Y a-t-il si longtemps que les principes du droit pénal nouveau sont introduits ? Il y a à peine un siècle que paraissaient les premiers écrits sur la réforme pénale. Il n'y a pas un siècle que l'on connaît le système cellulaire, qui doit son origine en grande partie à notre pays, quant à la pensée de l'amélioration des détenus.

Messieurs, rendons un peu plus de justice à notre siècle et à notre temps, car lorsqu'on invoque ainsi ces vieux abus, je me demande, comme je l'ai déjà dit dans le rapport de la section centrale, si réellement on ne veut pas établir une assimilation entre des institutions complétement différentes, entre des époques complètement différentes. Permettez-moi, messieurs, un mot à cet égard. Dans notre pays, partout, avant 1789 quelle était la cause de l'impuissance des lois ? C'était l'existence de classes et de corps privilégiés et la grande conquête de ce siècle c'est l'égalité devant la loi, l'absence de corps privilégiés.

C'est là la cause de ce que les lois administratives ne sont plus aujourd'hui des lois sans cesse renouvelées, comme l'étaient la plupart des ordonnances de police qui rencontraient partout ou la résistance d'une caste ou la résistance d'un intérêt. Je crois donc que nous pouvons être rassurés, et pour ma part, je le suis complètement, en ce qui concerne les abus futurs. Je le répète encore, je ne crois pas que l'exécution de cette loi, pas plus que de toute autre, puisse être complètement exempte d'abus ; tant que vous aurez le droit pour l'homme, l'homme en abusera, mais je crois que dans notre pays moins que partout ailleurs, on ne doit pas supprimer le droit en haine de l'abus.

M. Deliége. - Je dois, messieurs, m'arrêter un instant sur la question importante qui a été soulevée par l'honorable M. Allard. J'ai demandé la parole quand j'ai entendu l'honorable M. Malou émettre sur cette question un avis diamétralement opposé à celui de M. le ministre de la justice.

Cette question, messieurs, ne sera pas soulevée tous les jours. Je sais qu'en général, les enfants qui sont admis dans les hospices ont peu de biens ; cependant, en Belgique la propriété est très divisée et il arrive souvent et il m'est arrivé plusieurs fois dans ma longue carrière notariale, de voir des enfants admis dans les hospices, propriétaires d'une certaine quantité de biens. Alors naît la question de savoir qui peut les administrer, qui peut les vendre. Il faut à cet égard des règles et des règles bien précises.

Lorsqu'un enfant sera admis dans un hospice créé par une fondation, à qui devra-t-on s'adresser pour pouvoir vendre le bien qui appartiendrait à l'enfant ? L'honorable ministre de la justice a dit : Cela pourra être réglé par l'acte de fondation ; si ce n'est pas réglé par l'acte de fondation, les administrateurs de la fondation sont là ; ces administrateurs ont en tout les mêmes droits que les administrateurs des hospices civils.

L'honorable M. Malou, au contraire, dit qu'il faudra s'adresser au conseil de famille. A qui donc maintenant s'adresser ? Quant à moi, je crois qu'il y a doute. Je crois qu'on ne peut pas assimiler les asiles créés par des fondations, aux hospices civils. La raison en est simple, c'est que la loi du 16 pluviôse an XIII, relative à la tutelle des enfants admis dans les hospices ne peut pas être applicable. Lisons l'article premier :

« Art. 1er. Les enfants admis dans les hospices, à quelque titre et sous quelque dénomination que ce soit, seront sous la tutelle des commissions administratives de ces maisons, lesquelles désigneront un de leurs membres pour exercer, le cas avenant, les fonctions de tuteurs et les autres formeront le conseil de tutelle. »

Remarquez donc, messieurs, que les fondations, en général, seront administrées par deux personnes, le curé elle vicaire. Il y aura peut-être à côté du curé et du vicaire, le bourgmestre, mais qui, certainement, n'administrera pas. La position qu'on lui fait n'est pas tenable. De deux choses l'une : ou le bourgmestre s'entendra avec le curé et alors il ne voudra pas assister aux délibérations ; il se fiera à ce que le curé fera ; où il ne s'entendra pas avec le curé et alors, je le répète, sa position ne sera pas tenable. Il s'ensuivra donc que deux personnes composeront le conseil de famille du mineur confié à l'hospice. L'une sera appelée aux fonctions de tuteur par l'autre qui composera par conséquent à elle seule le conseil de famille. Vous comprenez que c'est impossible.

Je ne pense pas qu'il faille donner moins de garanties aux malheureux qu'aux personnes qui n'ont pas besoin d'être placées dans un hospice. Le conseil de famille, aux termes de nos lois, est composé de six personnes. Sans nul doute vous devez donner aux malheureux placés dans un hospice les mêmes garanties qu'aux autres mineurs, quant à l'administration de leurs biens.

Je crois donc, messieurs, que la loi du 16 pluviôse an XIII n'est pas applicable, cependant je demanderai que la question soit résolue, que M. le rapporteur s'entende avec M. le ministre de la justice et que nous sachions à quoi nous en tenir.

M. Verhaegen. - Messieurs, la question que j'ai à traiter ne se rattache pas à l'incident qui a surgi ; elle se rapporte à l'enseignement primaire, dont s'occupe l'article en discussion ; je ne puis laisser passer un article de cette nature sans faire quelques observations.

Pour moi, il est évident que l’article 70 du projet de loi modifie, s'il ne l'abroge pas, la loi de 1842 sur l'enseignement primaire.

Messieurs, je n'ai pas été partisan de cette loi ; je l'ai combattue ; je suis un des trois membres qui l'ont rejetée lors du vote sur l'ensemble. Mais ceux qui en ont été les plus grands promoteurs ne s'en sont pas même contentés depuis, parce qu'ils ont rencontré dans l'exécution certains obstacles à leurs vues. Leur but était l'absorption de l'enseignement primaire au profit du clergé.

Je n'ai pas été le partisan de la loi de 1842, parce qu'elle a admis l'intervention du clergé à titre d’autorité. Mais puisque la loi existe, il faut au moins qu'on l'exécute loyalement et qu'on l'exécute aussi longtemps qu'elle existera.

D'après la loi de 1842, la commune seule a l'administration de ses écoles primaires, c'est la règle écrite dans l'article premier ; mais à cette règle il y a deux exceptions consacrées par les articles 2 et 3.

La commune peut être dispensée d'établir une école communale, alors qu'il est pourvu à l'enseignement par des particuliers (article 2). La commune peut être autorisée à adopter une école privée et alors cette école adoptée tient lieu d'école communale (article 3).

Les promoteurs de la loi de 1842 ont pensé qu'avec ces deux exceptions ils pourraient arriver au monopole de l'enseignement primaire au profit du clergé.

Aussi, dans beaucoup de communes où le clergé exerçait son influence, est-on parvenu à faire adopter les écoles qu'il avait créée et est-on allé jusqu'à soutenir que les communes ne pouvaient pas révoquer (page 1694) cette adoption, alors même qu'elles en avaient constaté l'insuffisance ou les inconvénients.

Pour prouver mon assertion, j'aurai encore une fois recours aux faits : à Ciney, dans la province de Namur, il y avait une école communale dirigée par un bon instituteur ; cet instituteur ayant obtenu une promotion dans l'enseignement moyen, l'école se trouvant privée de son talent fut abandonnée.

Le conseil communal adopta alors une école des frères de la doctrine chrétienne ; mais le niveau des études baissa considérablement et ce fait ayant été constaté ; le conseil communal fut obligé de révoquer l'adoption.

Que fit alors le clergé ? Il soutint que la commune n'avait pas le droit de révoquer d'emblée son adoption, qu'elle devait au préalable y être autorisée, non seulement par la députation permanente, mais encore par un arrêté royal, et si je ne me trompe pas, un arrêté royal cassa la délibération du conseil communal de Ciney.

Il est cependant évident, que s'il faut une autorisation, pour se placer dans l'une ou l'autre des deux exceptions prévues par les articles 2 et 3 de la loi, il n'en faut pas pour se remettre sous la règle de l'article premier.

Il y eut des réclamations sans nombre. La presse s'occupa du conflit ; et pour trancher la difficulté, le ministre de l'intérieur soumit à la signature du Roi un nouvel arrêté qui, conformément à la délibération du conseil communal de Ciney, considéra comme non avenue l'adoption des frères de la doctrine chrétienne.

Depuis lors, l'administration communale a établi une nouvelle école qui est dirigée par un instituteur laïque très instruit ; celui-là a relevé le niveau des études, fait prospérer l'école !

C'est cet incident qui a fait faire des réflexions aux promoteurs du monopole clérical. Ils s'étaient imaginés, en présence du texte de la loi de 1842, qu'une fois que les écoles du clergé auraient été adoptées par la commune, celle-ci aurait été à jamais liée et qu'il lui aurait été interdit de révoquer son adoption ; mais comme on leur a démontré qu'ils étaient dans l'erreur, ils ont dû recourir à un autre expédient. C'est le but de l'article 70 actuellement en discussion.

D'après cet article les bureaux de bienfaisance, les fabriques d'église, les administrateurs spéciaux auront des écoles à côté de l'école communale ou sous l'école communale ; et ce ne seront pas de simples écoles privées ; car ce qu'on a l'air de nous donner comme une garantie, à savoir l'obligation de la part des écoles dépendantes d'une fondation de se soumettre à l'inspection telle qu'elle est établie par la loi de 1842 est un véritable privilège, en ce qu'elle transformera ces écoles privées en véritables écoles publiques, sans qu'elle soient soumises à aucune des conditions prescrites pour la nomination des instituteurs, la formation du programme, le choix de livres, etc., etc.

Messieurs, la loi de 1842, pourquoi soumet-elle les écoles adoptées à l'inspection ? C'est, afin de les mettre sur la même ligne que les écoles publiques, et c'est ce que dit en termes formels le paragraphe 5 de l'article 13.

Ainsi ce qu'on nous a présenté comme une concession n'est qu'un piège, car le but est de faire d'une école privée une école publique sans que cette école privée soit soumise aux obligations imposées par la loi aux écoles publiques ou aux écoles considérées comme telles.

Tout est parfaitement agencé, les adoptions dans le sens de la loi de 1842 ne suffiraient plus ; on avait rencontré des difficultés, des obstacles que l'article 70 en discussion va faire disparaître : au moyen d'une inspection sans importance et ne donnant aucune garantie, les écoles privées du clergé remplaceront dorénavant les écoles communales.

Je dis qu'il y aura absence de toute garantie, car mon honorable ami M. Tesch avait demandé à M. le ministre de la justice si toutes les dispositions de la loi de 1842 établies dans l'intérêt d'un bon enseignement primaire, seraient applicables aux écoles dépendantes d'une fondation et M. le ministre n'a donné jusqu'ores aucune réponse. L'honorable M. Tesch avait demandé entre autres et je demande avec lui à qui, pour ces écoles, appartiendra la nomination des instituteurs ?

D'après la loi de 1842, c'est le conseil communal qui nomme les instituteurs parmi les élèves diplômes des écoles normales, c'est le conseil communal qui exerce un contrôle sur la marche de l'enseignement, sur le choix des livres ; à qui donc dans l'occurrence appartiendra cette nomination, ce contrôle, ce choix ? C'est au gouvernement à s'expliquer d'une manière catégorique.

La question est de la plus haute importance, car l'inspection semble être la seule condition requise pour que les écoles privées du clergé deviennent des écoles publiques est insignifiante, l'ors qu'on ne rencontre pas pour ces écoles toutes les autres garanties écrites dans la loi de 1842 ; en effet, c'est donner au clergé le moyen de se mettre partout à la place de la commune sans qu'il soit soumis à aucune obligation, c'est lui accorder un privilège et un monopole.

Au moins, quand il s'agit de dispenser la commune d'établir une école communale ou quand on lui permet d'adopter une école privée, il y a une certaine garantie dans l'article 4 qui est ainsi conçu :

« Dans les cas prévus par les articles précédents, la députation permanente du conseil provincial, sauf recours au Roi, statue sur les demandes de dispense ou d'autorisation faites par la commune.

« Il sera annuellement constaté par les soins du gouvernement s'il y a lieu ou non de maintenir la dispense ou l'autorisation. En cas de négative, la dispense ou l'autorisation sera retirée par arrêté royal. »

Cela peut encore gêner alors qu'on a adopté une école privée et que chaque année on est dans la position de voir révoquer cette autorisation. Mais si l'article 70 est adopté, il n'y aura plus de gêne, plus de crainte pour le futur. Une fois une école instituée par suite d'une fondation, elle le sera pour toujours, par cela seul qu'elle sera soumise à l'inspection ; les fondateurs feront tout ce qu'ils voudront, et ils ne seront soumis à aucun contrôle. Que le gouvernement me dise si je suis dans l'erreur.

L'amendement présenté par M. le ministre à titre de concession est complètement illusoire, il porte :

« Il est interdit d'admettre dans ces écoles des élèves non indigents et payant une rétribution. Toutefois le conseil communal peut demander qu'il soit dérogé à cette interdiction ; dans ce cas, la délibération du conseil communal fixera le nombre des élèves payants qui peuvent être admis ; mais ce nombre doit, dans tous les cas, rester inférieur à celui des enfants pauvres ; cette délibération sera soumise à l'approbation de la députation permanente qui statuera sauf recours au Roi. »

Ainsi la règle est qu'on ne pourra admettre dans les écoles dont il s'agit les élèves non indigents et payant une rétribution. Mais cette règle fléchit si le conseil communal le demande par une délibération qui sera soumise à la députation permanente, sauf recours au Roi.

Je demande si c'est là une garantie ; si ce n'est pas détruire à la fin de l'article ce qu'on a établi dans son commencement.

Messieurs, en résumé, il est évident qu'on veut modifier sinon abroger la loi de 1842 sur l'enseignement primaire, et que si l'article 70 en discussion est adopté tel qu'on vous le présente, il n'y aura plus dorénavant ni écoles communales, ni écoles adoptées, mais uniquement des écoles créées et dirigées par le clergé.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - L'honorable préopinant, ainsi que l'honorable M. Tesch s'alarment bien à tort au sujet de l'exécution de la loi de 1842 sur l'enseignement primaire. Ce n'est certes pas moi qui voudrais contribuer à y porter atteinte. Quand le projet dit que ces écoles sont d'ailleurs soumises au régime d'inspection établi par la loi du 23 septembre 1842, nous entendons par là qu'elles seront réellement sous le régime de cette loi.

Nous autorisons, dans l'article 70, les fondations pour l’enseignement, mais pour l'enseignement primaire et non pour un autre. Dès lors nous voulons qu'on se conforme à la loi de 1842. Et c'est dans ce but que nous disons que le régime de l'inspection sera appliqué à ces écoles.

M. Lelièvre. - Si telle est votre pensée, bornez-vous à dire : « soumises au régime établi par la loi du 25 septembre 1842 » en supprimant, le mot « inspection ».

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Que deviendra, dit l'honorable M. Verhaegen, la nomination des instituteurs ?

Voici, selon moi, comment dans la pratique, les choses se passeront ! un fondateur fera les fonds nécessaires pour la construction et l'entretien des bâtiments de l'école et le traitement de l'instituteur. Ou il réglera la manière dont l'instituteur sera nommé, ou il ne la réglera pas.

S'il n'a rien réglé, le conseil communal aurait le droit de nommer l'instituteur en se conformant aux conditions prescrites par la loi de 1842.

Deux modes sont indiqués par la loi de 1842 pour la nomination des instituteurs. D'une part le conseil communal peut choisir ceux qui ont fréquenté les cours normaux et qui remplissent les autres conditions, requises pour être nommés instituteurs primaires ; d'autre part, il peut, par dérogation à ce mode de nomination, et avec l'autorisation du gouvernement, choisir des candidats ne justifiant pas de l'accomplissement de toutes les conditions.

Voilà comment se feront les nominations d'instituteurs primaires des écoles dont il s'agit ici.

M. Frère-Orban. - Il n'en sera pas ainsi lorsqu'il y aura des administrateurs spéciaux.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Les administrateurs spéciaux administreront les biens ; mais pour le régime de l'école primaire ; il est évident que nous admettons la loi de 1842.

M. Verhaegen. - Dites-le dans la loi.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Je vous répète que c'est ce que nous entendons en disant que ces écoles sont d'ailleurs soumises au régime d'inspection établi par la loi du 23 septembre 1842.

Il pourra arriver, dit l'honorable M. Tesch, que l'instituteur refuse de se conformer aux prescriptions de la loi ; que ferez-vous alors ? Mais le conseil communal, qui aura eu le droit de nommer l'instituteur, aura aussi celui de le révoquer lorsqu'il s'écartera du régime de la loi de 1842 ; car, encore une fois, dans ma manière de voir, le régime de la loi de 1842 doit être applicable au cas dont nous nous occupons.

J'ajouterai quelques observations en réponse à ce qui a été dit par les honorables MM. Lelièvre et Deliége.

Je répéterai d'abord la réponse qui a été faite par l'honorable rapporteur à la question soulevée par l'honorable M. Lelièvre, la question de savoir si le conseil communal qui aura donné son consentement à la fondation d'un hospice pourra la retirer. Certainement, il pourra le retirer. Dans la section centrale, j'ai émis cette opinion, que l’honorable rapporteur vient de confirmer., L'honorable député de Namur et l'honorable M. Deliêge sont revenus sur la question qu'avait soulevée l'honorable M. Allard. L'honorable M. Deliége a dit que j'étais en contradiction avec l'honorable. M. Malou. Pas le moins du monde.

(page 1695) L’honorable M. Malou a dit le premier que dans son opinion la loi de pluviôse an XIII serait appliquée aux enfants placés dans les hospices. J'ai reproduit cette observation, parce qu'elle était conforme à ma manière de voir.

Nous donnons aux administrateurs spéciaux les droits que la loi donne à l'administration officielle. Comme l'a fait remarquer l'honorable M. Malou, nous tombons dans le droit commun établi par la loi de pluviôse an XIII, laquelle a pourvu d'une manière efficace et complète à la tutelle des enfants mineurs placés dans les orphelinats.

Il faut bien qu'il en soit ainsi.

Il y a des orphelinats fondés par la charité privée, dirigés par des administrateurs spéciaux Je n'ai jamais entendu que les enfants qui sont dans ces établissements ou qui en sortent fussent privés de la protection que la loi assure à tous les mineurs.

Mais, dit l'honorable M. Deliége, comment établir un conseil de famille composé de deux personnes, puisque d'après le Code civil, il est composé de six personnes. Je réponds à cela que dans les établissements de charité officielle, le conseil des hospices qui est composé de cinq personnes forme le conseil de famille des enfants mineurs placés dans l'établissement.

Vous voyez donc que, dans ce cas spécial, la loi admet un conseil de famille moins nombreux que dans les cas ordinaires.

Toujours est-il que la législation actuelle est suffisante pour sauvegarder les intérêts des mineurs.

L'honorable M. Tesch disait tout à l'heure que la loi contenait bien des garanties contre le détournement proprement dit, contre le dol, mais pas contre la négligence, contre la maladresse. C'est une erreur.

La loi fournit le moyen de ramener à la régularité l'administrateur qui s'en écarte, c'est l'envoi de commissaires spéciaux aux frais de l'administrateur, moyen emprunté à la loi communale et à la loi provinciale, et que le gouvernement emploie à l'égard des fonctionnaires qui ne remplissent par leurs devoirs.

L'honorable M. Tesch a demandé si le gouvernement autoriserait des fondations de cinq francs, de dix francs. D'abord il n'est pas probable que l'on fasse de telles fondations.

Ensuite le gouvernement qui reste maître d'accepter ou de refuser les fondations n'en accepterait pas une d'un produit minime. C'est ainsi que dernièrement j'ai refusé d'autoriser une fondation d'une bourse de 200 francs parce qu'elle ne me paraissait pas suffisante.

Mais, dit-on, vous violez la libellé des fondateurs. Il faut cependant admettre chez eux du bon sens. Ils n'iront pas créer des fondations saris importance. Il ne faut pas admettre de pareilles idées.

Enfin, l'honorable M. Tesch m'a posé une question que je n'ai pas comprise. Il m'a demandé quels seraient les droits des administrateurs. Nous les discutons en ce moment, depuis l'article 69 jusqu'au bout de la loi. C'est là que nous trouverons les droits et les devoirs des administrateurs.

M. Frère-Orban. - Je demande la parole pour une motion d'ordre.

On discute en même temps un grand nombre de questions. Des explications sont données sur divers points, et il semble qu'il y aura nécessairement quelque confusion dans le débat.

M. le ministre de la justice vient de faire une déclaration d'une extrême importance relativement à l'enseignement primaire. Il vient de déclarer que pour les fondations avec administrateurs spéciaux, ayant pour objet l'enseignement primaire, la nomination des instituteurs et des institutrices appartenait au conseil communal. (Interruption.)

Je rapporte ce que vient de dire M. le ministre de la justice. Je crois que je reproduis ses termes.

J'ai interrompu en disant que selon moi, il ne pouvait pas en être ainsi, parce qu'il s'agit d'administrateurs spéciaux. M. le ministre de la justice m'a répondu ; les administrateurs sont là pour gestion des biens. Mais quant à l’école, M. le ministre de la justice vient de déclarer que le régime de l'enseignement primaire, auquel il ne voulait pas porter atteinte, doit être maintenue ; que les instituteurs et les institutrices continueraient à être nommés par le conseil communal dans ces écoles, que le régime de la loi de 184 serait complétement applicable à celles-ci.

Cette déclaration est de la plus haute importance.

M. de Theux. - Je crois que la pensée du gouvernement n'a pas été bien comprise.

M. Frère-Orban. - Je crois qu'en effet ce n'est pas là la vôtre ; et c'est précisément pour cela que j’ai demandé la parole pour une motion d'ordre. J'ai voulu constater ce qui a été dit et obtenir des explications. Je crois que nous ne serons pas d'accord. Jusqu'ici nous sommes d'accord avec le gouvernement. Nous croyons que ces écoles doivent être soumises au régime de la loi de 1842, que la nomination des instituteurs et des institutrices doit être faite conformément à cette loi. Mais est-ce bien la pensée du gouvernement ?

M. de Theux. - Messieurs, d'après le projet de loi, les instituteurs communaux sont nommés par le conseil communal, quand les fondations n'en ont pas disposé autrement. (Interruption). Le texte ne peut pas laisser de doute à cet égard.

Messieurs, s'il en était autrement, l'article du projet de loi serait complètement inutile. Les fondations seraient faites au profit de la commune, et la loi sur l'instruction primaire les permet comme la loi communale.

M. Frère-Orban. - Alors M. le ministre de la justice a eu tort.

M. de Theux. - Il est donc évident que le texte du projet primitif comme le texte de l’amendement laissent aux administrateurs spéciaux le soin de nommer les instituteurs, quand le fondateur l'a ainsi ordonné.

Messieurs ; quel est le but de la loi ? Evidemment ce but est de faciliter l'établissement des écoles pour les indigents. C'est là exclusivement le but. Ces écoles manquent dans un grand nombre de localités. Il est évident que l’enseignement des indigents est insuffisant presque partout.

M. Rodenbach. - Surtout pour les filles.

M. de Theux. - Eh bien, le but de la loi, c'est de pourvoir à cette lacune, d'une part, de propager l'enseignement des indigents, et d'autre part de soulager les bureaux de bienfaisance et les communes pour qui cet enseignement est une dépense excessive. Voilà la vérité.

Vous faites concourir diverses influences à l'envoi des enfants indigents aux écoles. C'est encore, messieurs, une chose capitale que de multiplier les influences qui conduisent les enfants indigents à l'école. Car c'est ce qu'il est très difficile d'obtenir.

D'après la nouvelle rédaction du projet de loi, le principe de l'enseignement exclusif des enfants indigents est admis Mais. la commune, dans certain cas, peut demander au gouvernement l'autorisation d'admettre dans ces écoles des élèves payants. Je dis que cette disposition est extrêmement utile. Car de ce qu'un fondateur généreux a donné un bâtiment d'école, il ne s'ensuit pas qu'il soit toujours en son pouvoir ni même dans sa volonté d'ajouter tous les frais de l'écolage. Eh bien, les frais de l'écolage payés par un certain nombre d'élèves non indigents viennent en aide pour soutenir l'instituteur, et de cette manière les enfants indigents reçoivent l'instruction sans qu'il en coûte rien à la commune. Si vous n'admettez pas cela, qu'arrivera-t-il ? C'est qu'on s'arrêtera devant la dépense excessive d'une école exclusivement destinée aux indigents. Ce n'est pas sans frais considérables pour les bâtiments, pour le mobilier, pour le personnel que ces écoles s'établissent.

Faut-il alimenter ces écoles à perpétuité avec les souscriptions volontaires ? Mais il peut arriver que des cœurs généreux viennent à disparaître d'une commune. Voilà l'existence de l'école compromise, si la commune ne peut pas permettre d'admettre des élèves payants ou si elle ne peut accorder elle-même des subsides.

La commune est donc le juge principal, et c'est aussi le principal intéressé dans la question. La commune n'ira pas, sous prétexte de favoriser une école exclusivement destinée aux indigents, faire tomber l'école communale qu'elle doit protéger avant tout et qu'il est de sou intérêt de conserver pour les familles aisées de la commune.

Messieurs, la mixtion des enfants dans ces écoles a deux avantages extrêmement considérables sur lesquels j'appelle l'attention de la Chambre.

Le premier de ces avantages, c'est que, quand il y a des élèves payants, il faut que l'instruction primaire soit portée pour les indigents, au même niveau que pour les élèves payants, c'est-à-dire au plus haut niveau de l'instruction primaire.

Second encouragement utile aux indigents. Il arrive qu'en prenant quelques précautions pour que les enfants soient convenablement habillés, ce qui est encore souvent dû à la générosité des bienfaiteurs, ces enfants peuvent être mêlés avec les enfants payants, et ceci est d'une importance énorme pour relever l'abaissement des classes indigentes et établir une espèce de fraternité entre les classes plus aisées de la commune et les classes indigentes.

Mais voyons, messieurs, si ces écoles sont utiles. Consultons les faits. Ne voyons-nous pas tous les jours de grands établissements industriels faire des sacrifices considérables pour créer ces sortes d'écoles ? Mais ces établissements industriels n'excluent pas l'élève payant de la fréquentation des écoles faites exprès dans l'intérêt de leurs ouvriers, dans l'intérêt des indigents.

Voilà cependant des hommes haut placés, capables de juger de tous les bons résultats de l'instruction primaire ! Nous voyons ces écoles se multiplier dans les plus grands centres industriels, où l'opinion libérale domine. Nous le voyons dans le Hainaut, nous le voyous dans la province de Liège. Nous voyons des administrateurs qui ne professent pas le culte catholique, demander des religieuses et quelquefois des frères de la doctrine chrétienne. Je ne comprends donc pas quelle répugnance on pourrait éprouver à autoriser ces sortes d'écoles lorsque les communes le demandent.

Supposons, messieurs, que vous ne les autorisiez pas et que vous restiez sous le régime actuel, qu'il ne soit pas possible de fonder ces écoles.

Eh bien, ces écoles resteront complétement en dehors du régime d'inspection ; personne n'aura rien à y voir ; si, au contraire, ces établissements, libres aujourd'hui acceptent : pour être autorisés à recevoir des donations, acceptent le régime de la loi, vous aurez la comptabilité des écoles, vous aurez l'inspection des écoles.

Mais, dit l'honorable M. Verhaegen, alors les écoles pourront recevoir en outre des subsides des communes. Pour cela, messieurs, il (page 1696) n’est pas besoin de la loi, la loi sur l'enseignement primaire permet d'accorder des subsides aux écoles, alors même qu'elles ne sont pas adoptées ; elle n'exige pour cela que l'inspection. Rien de plus.

Quant à moi, messieurs, je ne vois aucun motif sérieux de s'opposer à la proposition qui nous est faite ; au contraire, je trouve à cette préposition des avantages à tous égards. Si l'école est fondée, à cause d'une petite donation qu'elle reçoit, elle rentre dans un régime d'administration, de comptabilité qui ne peut que lui être très utile ; si, au contraire la proposition n'est pas admise, on continuera à faire ce qu'on fait aujourd'hui, à fonder des écoles qui ne sont soumises à aucun contrôle, à aucune inspection ; mais il restera dans certaines localités des lacunes qui ne seront pas comblées. On ne peut pas, en effet, compter sur les souscriptions permanentes.

Est-il de l'intérêt public que ces lacunes soient comblées ? Quant à moi, je n'en doute pas.

Un mot, messieurs, sur la question de la tutelle dans les hospices fondés. De deux choses l'une, ou ces enfants resteront sous les règles ordinaires de la tutelle, ou bien on découvrira dans la législation des dispositions que soient applicables à ces cas et alors le gouvernement donnera des instructions fondées sur la législation existante.

Mais avons-nous besoin de discuter maintenant en avocats tous ces détails de la législation, comme si nous étions devant un tribunal ? En aucune manière, ce sont là des questions d'application extrêmement rares et dont le gouvernement trouvera la solution, soit en s'éclairant des précédées, soit en prenant l'avis de jurisconsultes.

Examinons à fond la question et ne nous arrêtons pas à discuter tous ces petits incidents, dans une loi si importante ; c'est le moyen de n'en finir jamais.

M. Frère-Orban. - Messieurs, quand on discute un texte de loi, je désire être bien fixé sur la pensée du gouvernement. Je ne prétends pas tirer avantage de ce que M. le ministre a dit, je me borne à le constater tel. Il a dit que les écoles fondées seraient soumises à la loi sur l'enseignement primaire, que les instituteurs et les institutrices seraient nommés par le conseil communal (interruption), à moins qu'ils ne soient désignés par le testateur, dit-on. Ceci est le post-scriptum de M. de Theux et c'était si peu la pensée et l'expression de M. le ministre de la justice qu'il a dit formellement que s'ils étaient désignés par le testateur, ce serait encore le conseil communal qui les nommerait. (Interruption.) Qu'on prenne les paroles de M. le ministre, comme elles ont été recueillies par la sténographie.

- Un membre. - Il vaut mieux convenir qu'on s'est trompé.

M. Frère-Orban. - Je ne m'oppose pas à ce que M. le ministre change d'opinion, s'il admet le post-scriptum de M. de Theux, s'il admet que les écoles fondées ne sont pas soumises au régime de la loi de 1842, qu'il nous le dise ; nous saurons ce que nous faisons ; nous saurons que nous sommes appelés à consacrer des écoles publiques soumises à la volonté de particuliers.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - En disant que les conseils communaux nommeraient les instituteurs, j'ai voulu parler de l'hypothèse où l'acte de fondation ne porte pas une autre stipulation ; mais lorsque l'acte de fondation, réglant le mode d'organisation de l'école, attribue cette nomination aux administrateurs spéciaux, cette disposition doit être exécutée, mais alors encore, je crois que ces administrateurs doivent choisir des candidats réunissant les conditions ou rentrant dans l'exception prévues par la loi de 1842. Tel est mon sentiment. En supposant, d'ailleurs, que je me sois mal expliqué, ce qui peut arriver à tout le monde, il est manifeste que je ne pouvais avoir une autre pensée, en présence de la discussion de la loi même de 1842 que j'ai rappelée dans l'exposé des motifs.

Et au surplus, si je m'étais mal exprimé, qu'y aurait-il à cela d'étrange ? A chaque instant je suis interrompu, pour les choses les plus indifférentes et, je dois le dire, avec bien peu de bienveillance. Si je rencontrais d'autres procédés de ce côté de la Chambre, nos débats seraient abrégés et il y aurait moins de malentendu.

M. Verhaegen. - Messieurs, j'avais demandé la parole pour déclarer que j’étais heureux, cette fois, d'être dans une parfaite entente avec M. le ministre de la justice, mais si j'avais pu parler à mon tour, j'aurais ajouté que j'étais convaincu que cette entente n'aurait pas été de longue durée.

Je vais rappeler ce qui s'est passé il n'y a qu'un instant et je ferai un appel aux honorables membres qui siègent à mes côtés ainsi qu'à certains honorables collègues de la droite qui m'ont interrompu :

M. le ministre de la justice, pressé de répondre à l'interpellation de mon honorable ami, M. Tesch, interpellation que j'avais moi-même renouvelé à la fin de mon discours, M. le ministre de la justice a dit :

« Il ne s'agit pas simplement du régime d'inspection tel qu'il est établi par la loi de 1842. Il s'agit de tout le régime de la loi de 1842. »

Certes, nous sommes d'accord jusque-là. Quelqu'un, ensuite, a prononcé à voix basse ces mots : Mais qu'arrivera-t-il si, dans l'acte de fondation, il y a eu désignation d'instituteurs ou si le fondateur a laissé aux administrateurs spéciaux le choix des instituteurs, et M. le ministre de la justice a répondu : « Encore dans ce cas, le conseil communal aura à examiner si l'instituteur désigne réunit les conditions exigées par la loi de 1842. » Il est si vrai que M. le ministre a fait cette réponse, que l'honorable M. Dechamps me disait au même instant : « M. le ministre s'explique mal, il se trompe. »

Et précédemment, M. le ministre répondant à une autre interpellation de l'honorable M. Tesch, avait dit que puisque le conseil communal nommait, ce serait aussi le conseil communal qui distribuerait, ajoutant que les administrateurs ne faisaient qu'administrer les biens.

Maintenant, je le demande itérativement à M. le ministre, sommes-nous bien d'accord sur les faits ? Si le fondateur a désigné l'instituteur ou s'il a abandonné le choix de l'instituteur aux administrateurs spéciaux, cet instituteur désigné par le fondateur ou nommé par les administrateurs spéciaux, doit-il oui ou non être confirmé par le conseil communal, en d'autres termes cet instituteur doit-il remplir les conditions exigées par la loi de 1842 ? Sommes-nous d'accord ?

- Des membres. - Oui.

M. Verhaegen. - Ici, le ministre de la justice est-il d'accord ?

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Je viens de le dire.

M. Verhaegen. - C'est M. le ministre de la justice qui est censé avoir fait la loi et qui est censé diriger la discussion. Je sais bien que certains membres de la droite voudraient se charger de ce soin ; mais je n'ai pas à m'adresser à ces honorables membres, c'est au ministre lui-même que je m'adresse.

Eh bien, la concession qu'il vient de faire est énorme. Savez-vous, messieurs, quelle est la condition requise par la loi de 1842 ? En règle générale les instituteurs doivent sortir d'une des écoles normales primaires.

Cette disposition, sauf une seule exception, dans le conseil communal est juge, écarte, pour le dire en passant, tous les frères des écoles chrétiennes qui ne sont pas sortis d'une école normale. (Interruption.)

L'honorable M. de Theux prétend que cela n'est pas. Je serais excessivement curieux de savoir comment il conciliera sa prétention avec la déclaration de M. le ministre de la justice ? Cette déclaration restant et elle doit rester, le but qu'on a voulu atteindre par l'article 70 vient à manquer.

M. Malou, rapporteur. - Messieurs, je n'ai pas la prétention de diriger la discussion, mais je voudrais concourir à l'abréger et à l'éclaircir.

Les écoles dont il s'agit aux articles 70 et 99, car nous discutons en réalité ces deux articles, sont-elles à toutes fins des écoles rentrant dans le régime de la loi de 1842 ? S'il en est ainsi, pourquoi faisons-nous une loi ? Pourquoi mettons-nous une disposition à cet égard dans l'article 70 ?

Voyons maintenant en quoi ces écoles peuvent s'écarter des dispositions de la loi de 1842. A mon avis, elles peuvent s'en écarter en tout ce qui n'est pas radicalement contraire au but essentiel de cette loi.

Ainsi, je n'admets pas que, dans tous les cas, les instituteurs de ces écoles doivent être choisis parmi les élèves sortis d'une des écoles normales primaires.....

M. Frère-Orban. - Vous n'êtes pas d'accord avec M. [e ministre de la justice.

M. Malou, rapporteur. - Nous cherchons tous, je pense, à nous mettre d'accord sur le secs de la loi, permettez-moi de vous expliquer comment je l'entends.

Si les instituteurs doivent être nécessairement choisis dans une école normale primaire, il était inutile de parler d'écoles dans le projet de loi en discussion ; il fallait rester dans les termes de la loi générale sur l’instruction primaire.

Il me paraît évident que puisque nous établissons des dispositions dans la loi, nous n'entendons pas accepter le régime de 1842 dans toutes ses parties.

Quel est véritablement le régime de la loi de 1842 ? J'avais déjà l'honneur de faire partie de la Chambre à l'époque où cette loi a été discutée. L'on cherche quelquefois à expliquer le système de la loi de 1842, comme si cette loi devait nécessairement, dans toutes les hypothèses, constituer un monopole tout d'une pièce, à côté duquel rien ne puisse exister, avec lequel rien ne puisse s'agencer.

Je ne comprends ainsi ni le texte, ni l'esprit de la loi de 1842. D'abord, je ne comprends pas ainsi le texte. En effet, si vous parcourez la toi, vous y trouverez presque partout ce principe, que la commune ne doit faire que ce que la liberté n'a pas fait. (Interruption.)

C'est une des principales questions que soulève le projet de loi ; nous gagnerons tous à nous expliquer franchement sur le système.

Je disais que le régime de la loi de 1842 n'est pas un monopole absolu, n'admettant rien à côté de lui, ne s'agençant avec rien et que le point de départ réel de la loi est ce principe belge, ce principe constitutionnel que l'autorité publique doit faire pour le bien social ce que la liberté n'a pas fait.

Il y aura dans chaque commune du royaume (porte l’article premier) au moins une école primaire.

Le principe, c’est qu'il doit y avoir un enseignement primaire. Voilà l'article premier, le principe de la loi.

L'article 2 porte ce qui suit : « Lorsque dans une localité il est suffisamment pourvu aux besoins (page 1697) de l'enseignement primaire par les écoles privées, la commune peut être dispensée de l'obligation d'établir elle-même une école. »

Voilà déjà un premier indice du principe que je m'attache à mettre en lumière.

L'article 3 porte : La commune pourra être autorisée à adopter dans la localité même une ou plusieurs écoles privées réunissant les conditions légales pour tenir lieu de l'école communale.

Ainsi d'abord, l'école communale ; quand la liberté suffit, dispense pour la commune de créer une école ; quand la liberté ne suffit pas, droit d'adoption.

Les dispositions des articles 70 et 99 tendent à reconnaître une nouvelle catégorie d'écoles adoptées. C'est là la nouvelle signification que nous devons donner au projet de loi.

Permettez-moi de rechercher dans les dispositions de la loi quel est le point de départ de notre législation sur l'enseignement primaire. Nous avons à l'article 23 une disposition dont le sens n'est pas douteux, elle est ainsi conçue :

A défaut de fondations, donations ou legs qui assurent un local et un traitement à l'instituteur, le conseil communal y pourvoira au moyen d'une allocation sur son budget.

Ainsi à défaut de fondations, de donations ou de legs, on doit demander à l'impôt, à l'autorité publique de venir suppléer aux lacunes que laisse la liberté.

Pour faire saisir la raison d'être de la loi sur l'enseignement primaire il me suffit de poser une hypothèse extrême.

Je suppose que dans une commune il se trouve un riche célibataire qui dise : Pour qu'il soit complètement pourvu à l'éducation des filles et des garçons et pour que cette éducation soit complètement gratuite pour tout le monde il en coûterait dix mille francs par an ; je constitue une rente perpétuelle de 15,000 francs pour assurer les besoins présents et futurs. Faudra-t-il dans ce cas, par amour de la loi, pour faire de l'art pour l'art, à côté des écoles libres créées par cette fondation qui suffiront et au-delà aux besoins de la commune, faudra-t-il faire payer aux contribuables les frais d'écoles qu'on créerait à côté des écoles libres ? (Interruption.)

C'est le contraire de l'intérêt de la commune si vous dites oui ! Je dirais même c'est le contraire du bon sens si ce mot était parlementaire. Faire payer des contributions pour créer une école communale quand il n'est pas besoin d'école communale ! Si vous persistez à dire oui. - mais je pense que vous ne persisterez pas. Malheureusement l'hypothèse n'est pas réalisée ; elle ne se réalise pas, mais de ce qu'elle est incomplète quelque part, s'ensuit-il qu'il ne faille pas tenir compte de ce que la liberté fait ? Il faut bien s'entendre sur le but de la loi d'instruction primaire.

Pour moi, les discussions auxquelles elle a donné lieu et auxquelles j'ai assisté sont encore présentes à mon souvenir ; son caractère n'est pas douteux, il faut qu'il soit pourvu à l'enseignement primaire ; il y est pourvu par la liberté ou il y est pourvu par la commune, mais l'Etat vient chaque année constater qu'il est encore réellement satisfait au besoin de l'enseignement dans les communes ; quand la liberté ne suffit pas il peut y être satisfait par l'école adoptée ; mais il n'est pas exact de dire que toute école qui se créera en vertu de la loi devra rentrer dans une école à toute fin de la commune aux termes de la loi de 1842.

Nous arrivons maintenant plus directement à l'article du projet de loi. Le régime de l'adoption est un régime intermédiaire entre l'école privée et l'école communale, proprement dite. Or, quelles peuvent être les dérogations qu'on puisse admettre à ce régime ? Toutes celles que le conseil communal reconnaît légitimes pourvu que le bon et complet service de l'instruction primaire soit assuré.

Une commune trouve qu'au moyen d'une école adoptée elle peut satisfaire à ses obligations à moindre prix qu'en créant une école, elle adopte ; elle trouve que pour pourvoir à son école il lui coûterait deux mille francs par an, elle adopte une école et elle lui donne un subside de mille francs par an. Là, comme partout, arrive l'intervention de l'autorité supérieure, l'inspecteur civil, l'inspecteur ecclésiastique, la députation permanente, le gouvernement pour s'assurer que l'adoption n'est pas un moyen de se soustraire à l'obligation imposée par la loi, mais que la commune la remplit. A mon point de vue, les articles 70 et 99 ont pour objet de permettre aux communes d'adopter ces écoles spéciales.

On nous dit : La commune aura-t-elle le droit, dans tous les cas, de nommer les instituteurs ? Mais alors vous changeriez le caractère et le but du projet de loi. Comme le disait M. Verhaegen, il n'y aurait plus rien. Faut-il que ces écoles rentrent complètement dans le régime de la loi de 1842 ? Mais alors il ne faudrait pas faire la loi actuelle.

Les communes, en vertu de l'article 70, pourront adopter des écoles de fondation, et même subsidier ces écoles ; à quelles conditions ? A la condition que ces écoles acceptent le régime de l'inspection. L'exécution de la loi de 1842 est uniquement fondée sur la double inspection de l'autorité civile et de l'autorité ecclésiastique.

Ainsi l'art, 26 de la loi, le dernier que j'ai besoin de citer, précise ces conditions : le conseil communal peut subsidier l'école adoptée, maïs si l'école ne remplit pas sa destination d'une manière complète, il y a des formalités pour le retrait des subsides, ils peuvent être retirés même malgré la commune par arrêté royal, il y a la garantie de toutes les autorités qui concourent à l'exécution de la loi que ces écoles adoptées d'une catégorie spéciale pourvoiront aux besoins de l'enseignement Il est bon de s'expliquer complètement. J'attendrai les observations, si je me suis trompé, tout le monde peut se tromper, surtout quand on est interrompu, si je me suis trompé, je m'empresserai de le reconnaître.

M. Rousselle. - La discussion qui vient de s'élever me force expliquer le sens de mon amendement.

Comme je ne me suis pas rallié à l'amendement de l'honorable ministre de la justice, le mien devra nécessairement être mis aux voix, et il faut qu'il n'y ait ni surprise ni équivoque. En demandant la suppression des deux derniers paragraphes de l'article 70 et de l'article 99, mon intention été de placer les écoles à établir sous le régime absolu de la loi de 1842.

M. Thibaut. - Messieurs, je demande à rectifier un fait. L'honorable M. Verhaegen, au commencement de son premier discours, a cité un fait qui s'est passé dans la commune de Ciney. L'honorable membre a fait appel au témoignage de notre collègue M. Lelièvre, mais comme celui-ci n'a pas jugé à propos de demander la parole, je prie la Chambre de me permettre de prendre sa place. La commune de Ciney se trouve dans l'arrondissement que j'ai l'honneur de représenter et je puis donner quelques renseignements à la Chambre.

Une école de frères de la doctrine chrétienne fut érigée à Ciney en 1844.

M. Lelièvre. - En 1842.

M. Thibaut. - Je n'ai aucune pièce par devers moi pour contredire sur ce point l'honorable M. Lelièvre. Mais au moins il m'accordera qu'en 1844, le conseil communal de Ciney adopta l'école des frères et que sa délibération fut approuvée par l'autorité supérieure. Ce qui prouve, soit dit en passant, que les écoles dirigées par ces instituteurs ne sont pas complètement en dehors de la loi de 1842.

L'école autorisée prospéra et répondit aux vœux des pères de faraud» Tout le monde en était satisfait. L'enseignement primaire y était bon et nullement insuffisant, comme l’a prétendu l'honorable représentant de Bruxelles. Ce qui le prouve, c'est que les élèves de cette école ont obtenu beaucoup de succès dans tous les concours institués par le gouvernement. Le trait que l'honorable M. Verhaegen voulait lancer contre les frères de la doctrine chrétienne porte donc à faux.

En 1855 à 1856, je ne me rappelle pas exactement la date, le conseil communal exprima le désir qu'une classe supérieure fût ajoutée à l'école. Pour satisfaire à cette demande, un nouveau frère fut envoyé à Ciney pour tenir cette classe. Au bout d'un certain temps, ce frère quitta l'école sous des prétextes que, pour abréger, je ne vous exposerai pas. Et puis il revint à Ciney sous un autre habit que celui des frères de la doctrine chrétienne. Il s'offrit à quelques membres du conseil communal, pour diriger une école communale proprement dite.

De là datent toutes les difficultés qui sont survenues. Le conseil était renouvelé et la majorité pensa que l'école des frères ne suffisait pas aux besoins de la jeunesse. Elle retira donc la délibération par laquelle l'école des frères avait été adoptée, et nomma d'autres instituteurs.

Cette dernière délibération fut annulée par le gouvernement. L'honorable M. Verhaegen a critiqué la décision de M. le ministre de l'intérieur par laquelle est annulée la délibération du conseil communal. Je crois qu'il est dans l'erreur. Je n'ai pas l'intention de défendre l'acte de M. le ministre de l'intérieur, il peut beaucoup mieux que moi le défendre lui-même. Mais il me paraît évident que la loi de 1842 avait été violée ; en effet, un conseil communal ne peut, sans l'autorisation du gouvernement retirer une délibération par laquelle il adopte une école privée, fût-ce même une école dirigée par des frères de la doctrine chrétienne.

Le conseil communal de Ciney le reconnut lui-même, et la majorité prit une autre résolution par laquelle elle sollicitait le gouvernement, de l’autoriser à retirer l'adoption de l'école des frères.

Conformément aux dispositions de la loi de 1842, le gouvernement ordonna une enquête. Cette enquête tout entière fut favorable au maintien de l'école adoptée.

Cependant, le gouvernement crut devoir accéder à la demande de la majorité du conseil communal de Ciney.

L'école des frères existe maintenant comme école libre ; elle est entourée de l'estime et de la sympathie du grand nombre des pères de famille.

Tels sont les faits, messieurs, qui se sont passés à Ciney. Je ne pense pas qu'ils justifient l'argumentation de l'honorable M. Verhaegen.

- La discussion est continuée à demain.

La séance est levée à 4 heures 3/4.