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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 2 février 1850

Séance du 2 février 1850

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1849-1850)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 637) M. Dubus procède à l'appel nominal à une heure et quart, et donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

Il présente ensuite l'analyse des pétitions adressées à la chambre.

« Les cultivateurs et le comice agricole du canton de Genappe demandent une protection efficace pour l'agriculture.

« Même demande du comice agricole du premier district de la province de Hainaut. »

M. Lange. - Je demande le dépôt de ces pétitions sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur les denrées alimentaires; et, dans le cas où cette discussion ne serait pas terminée aujourd'hui, je demande l'impression et la distribution de l'analyse de ces requêtes.

- Cette proposition est adoptée.


« Les membres de l'administration communale de Neerlanden prient la chambre de rejeter le projet de loi du gouvernement sur les denrées alimentaires, et de protéger l'agriculture. »

M. Desoer. - Messieurs, j'ai pris lecture de cette pétition qui provient d'une localité que je connais particulièrement. Je puis certifier que tous les faits qui y sont contenus sont parfaitement exacts. Je demande le dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet.

- Cette proposition est adoptée.


« Les sieurs Lavry et Bouillon, maçons à Chaumont-Gisloux, réclament l'intervention de la chambre pour obtenir une indemnité du chef de la perte qu'ils ont subie dans la construction d'une église dont ils ont été adjudicataires. »

- Renvoi à la commission des pétitions. ;


« Les membres de l'administration communale de Frameries demandent une diminution de péages sur le canal de Mons et sur celui de Pommerœul à Antoing, la liberté de passer par l'Escaut français sans devoir acquitter les droits de ce dernier canal, et l'exécution du canal de Jemmapes à Alost. »

« Même demande des membres du conseil communal de Wasmes. »

- Même renvoi.

Projet de loi sur les denrées alimentaires

Discussion générale

M. David. - Je demande la parole pour un fait personnel.

Messieurs, dans la chaleur de l'improvisation, l'honorable M. Dumortier m'a fait hier un reproche assez grave sur la conduite que je tiens à la chambre. Il m'a dit que je manquais à mon devoir de député de Verviers en me montrant favorable au libre-échange. Je vais prouver à l'honorable membre que les électeurs et les industriels de l'arrondissement de Verviers pensent complètement comme moi sous ce rapport.

Je suis entré à la chambre en 1847. Avant mon élection, je n'ai pris aucun engagement envers le corps électoral et j'ai été nommé par 689 voix. Immédiatement après l'élection le 9 juin 1847, je tins cependant à honneur de donner aux électeurs le programme de la conduite politique et commerciale que je me proposais de tenir à la chambre, et voici ce que je leur écrivais, sous ce dernier rapport; ma lettre se trouve aux archives de l'Association libérale, l'Union constitutionnelle :

« Vous appartenez, messieurs, à un arrondissement industriel et vous tiendrez ainsi, j'en suis certain, à connaître ma manière de voir sur les graves questions d'intérêts matériels. Sous ce rapport aussi je serai, je crois, d'accord avec vous. Partisan dévoué du libre-échange, tous mes actes découleront des maximes de la vraie économie politique. C'est ainsi que mes efforts tendront à l'abrogation des lois funestes sur les céréales d'abord et d'une quantité d'autres lois restrictives, ensuite, qui empêchent nos belles industries d'atteindre au grand développement que devraient lui assigner le talent et l'activité des habiles négociants et manufacturiers de notre vivace Belgique. »

Messieurs, vous voyez, d'après cette lettre, que je me donnais pour ce que j'étais.

Il y eut dissolution des chambres en 1848. Les élections eurent lieu précisément un an après ma profession de foi ci-dessus aux électeurs de l'arrondissement de Verviers. Or en 1847 j'avais été élu par 689 suffrages ; et en 1848, sur 1,649 électeurs, j'ai obtenu 1,461 suffrages. Voilà, messieurs, comment répudient mes principes et ma conduite parlementaire les électeurs et les industriels de l'arrondissement de Verviers.

Mais, messieurs, pendant que j'exprimais ces sages principes d'économie industrielle et commerciale, à mon insu ces maximes recevaient une consécration nouvelle dans l'arrondissement de Verviers.

A la suite du traité du 15 décembre 1843 avec la France, et de l'augmentation des primes de sortie accordées par cette puissance sur les produits huniers, primes qui furent doublées sur les fils de laine, et notez-le bien s'il vous plaît, cet état des choses n'a changé qu'au 1er janvier 1849, il y eut un moment de perturbation au commencement de 1846 dans notre belle et forte industrie ; ces primes d'exportation excédaient de beaucoup les droits d'entrée, payés à la frontière belge; elles couvraient et au-delà les frais de transport de France jusque sur nos marchés intérieurs.

Eh bien, messieurs, l'industrie de Verviers se recueillit un moment; ses courageux et intelligents exploitants, aiguillonnés par la concurrence, firent de nouveaux efforts, perfectionnèrent encore et l'outillage et les fabricats; les affaires se ranimèrent, et à partir de la dernière moitié de 1847, elles reprirent à tel point que nos fabriques suffisent à peine pour remplir leurs commandes. Les fabriques de fils de laine, messieurs, qui, en 1846 avaient le plus souffert et ne comptaient alors que deux ou trois établissements, sont aujourd'hui, malgré le régime de primes qui a duré jusqu'au 1er janvier 1849, en grand nombre, ne suffisent plus et de nouvelles vont surgir.

Voilà, messieurs, les dangers que font courir à la prospérité de la Belgique mes principes et ceux de mes honorables amis), ils consistent à provoquer le progrès, le bon marché et le bien-être par la concurrence.

Je proteste donc de toutes mes forces contre le reproche, que m'a adressé l'honorable M. Dumortier.

(page 648) M. Faignart. - Messieurs, comme je l'ai dit hier, je n'ai pas la prétention de jeter de nouvelles lumières dans cette discussion. Je ne suivrai môme pas les différents orateurs qui y ont pris part. Je laisse à de plus habiles que moi, si cela est encore nécessaire, le soin de démontrer les contradictions dans lesquelles plusieurs des honorables membres sont tombés.

Néanmoins, je ferai remarquer à un honorable préopinant qui a déclaré se préoccuper autant que qui que ce soit des intérêts de l'agriculture, qu'il me paraît que le système qu'il préconise ne peut recevoir son application dans les circonstances actuelles.

En effet, l'honorable membre nous dit : « Que ce n'est pas dans l'élévation du prix des céréales que réside l'avenir de l'agriculture, mais dans une exploitation plus intelligente et plus fructueuse du capital foncier. »

Je reconnais, messieurs, que l'agriculture n'a pas fait tous les progrès dont elle est susceptible ; mais vous voudrez bien reconnaître avec moi, que l'on n'obtient pas ces progrès, ces améliorations sans sacrifices. Personne ici n'ignore que, pour exploiter avantageusement, il faut disposer de capitaux suffisants, et qu'indépendamment d'une première mise, des dépenses et des soins journaliers sont indispensables avant de recueillir les fruits de vos sacrifices.

Vient enfin le moment de la récolte ; vous voulez réaliser afin de commencer une rotation nouvelle, et il se trouve (comme c'est le cas aujourd'hui) que vous ne parvenez pas à recouvrer les sommes dépensées.

Je suppose qu'un cultivateur ait dépensé en améliorations, engrais, défoncements, sarclages une somme de 60 fr., et qu'au moyen de cette somme il soit parvenu à obtenir 3 hectolitres par hectare de plus qu'une récolte ordinaire. Ces trois hectolitres, au prix où sont les céréales actuellement, lui donneront au plus une somme de 48 fr. Mais si, par une dépense de 60 fr., on n'obtient qu'une recette de 48 fr., évidemment on ne peut pas continuer ce système; il faut qu'on délaisse les améliorations, il faut qu'on suive la routine.

Car, je vous le demande, peut-on recommencer avec zèle une opération qui vous a mis en perte? Peut-on surtout améliorer lorsqu'on ne rentre pas dans ses fonds à la suite d'une première opération? Evidemment non, et l'on voudrait, pour augmenter les produits alimentaires, que l'on cultivât des sols ingrats, des terres incultes, lorsque celles qui sont de bonne qualité, et depuis longtemps assolées, couvrent à peine les frais !

Si les céréales restent au prix où elles sont en ce moment, les progrès de l'agriculture seront lents, les bruyères resteront ce qu'elles sont; car, quoi qu'on fasse, leurs produits n'atteindront pas les dépenses que nécessiterait leur mise en culture; croyez bien que, pour que le fermier améliore, il doit y trouver du bénéfice.

Comme remède à ce mal, l'honorable M. Prévinaire nous dit : « Mettez un terme à cette progression factice de la valeur territoriale et des baux. »

Belle théorie au moyen de laquelle on voudrait rassurer les campagnards! Mais ne vous y trompez pas, messieurs, ils savent mieux que personne que cette théorie ne recevra jamais d'application.

Au point de vue des gens de la campagne, je la regarde comme imprudente et dangereuse, dangereuse en ce sens qu'elle fait naître la haine entre les propriétaires et les cultivateurs, lorsque la concorde et l'intelligence parfaite devraient toujours exister dans leur intérêt commun.

Ce n'est pas avec des phrases que vous apporterez un adoucissement à (page 649) leurs souffrances, il faut autre chose à l'agriculture que des discours spécieux, il lui faut une protection et une protection réelle. Elle l'aura, a dit M. le ministre de l'intérieur, dans la séance du 25 janvier.

A ce sujet je vais examiner quelles sont les protections accordées à l'agriculture par le gouvernement.

Je place en première ligne la voirie vicinale. Incontestablement une bonne voirie vicinale est une cause de bien-être pour l'agriculture. J'en félicite le ministère, je désire qu'il marche à pleines voiles dans ce chemin qui conduira à de parfaits résultats; mais si l'agriculture est protégée par la voirie vicinale, le commerce et l'industrie en ont nécessairement leur part et je m'en réjouis.

On a cité ensuite l'enseignement primaire, messieurs! Mais je ne vois là une faveur pour l'agriculture particulière, car enfin tout le monde en profite. Ce ne sont pas les agriculteurs seuls qui sont appelés à jouir des bienfaits de l'enseignement primaire; les industriels, les ouvriers de toute espèce peuvent en profiter. Qu'on ne dise donc pas qu'il est institué exclusivement au profit des classes agricoles. Je conviens qu'elles y participent, que c'est un bien-être pour elles; mais, encore une fois, tout le monde en profite.

Du reste, messieurs, l'enseignement primaire constitue, pour certaines communes, une charge très lourde, et qu'elles ont grand-peine à supporter. Néanmoins, je regarde toujours cet enseignement comme un bienfait, mais un bienfait qui ne s'applique pas exclusivement à l'agriculture.

L'honorable ministre a ensuite énuméré bien d'autres choses : l'école vétérinaire, etc. (Interruption.) Je ne conteste pas l'utilité de l'école vétérinaire; mais ce que je dirai, puisque l'honorable ministre m'interrompt, c'est que je pense que l'école vétérinaire aurait pu rendre d'aussi grands services au pays et à l'agriculture si elle eut coûté beaucoup moins.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'ai réduit les dépenses de 40,000 francs.

M. Faignart. - Vient ensuite le défrichement!... Vous voulez qu'on pousse au défrichement. Mais est-ce bien au prix actuel des céréales que vous pouvez obtenir des résultats satisfaisants? Où serait l'homme assez insensé, dirai-je, pour exposer ses capitaux à défricher une terre ingrate, lorsqu'il ne sait pas obtenir d'une terre assolée le prix rémunérateur de ses récoltes? Je pense qu'on ne doit pas faire tant d'étalage des défrichements, surtout dans les circonstances actuelles. Je conçois le défrichement, lorsque le prix des céréales monte à un taux normal ; mais tout le monde sait qu'aujourd'hui le cas n'existe pas...

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - On défriche cependant.

M. Faignart. - Avec perte.

On nous a parlé de pépinières. Sur ce point, je vous déclare que je me récuse entièrement. Je ne suis pas compétent. Ne connaissant pas les pépinières, je ne puis rien en dire. J'aime à croire cependant qu'elles peuvent être utiles.

Vient ensuite un objet d'une plus haute importance, à mon avis; je veux parler du drainage. Le drainage est fort usité en Angleterre et produit d'heureux résultats. Le gouvernement, et je l'en félicite, a introduit dans le pays des machines propres à confectionner les tuyaux servant au drainage. Mais ce n'est qu'un acheminement vers une amélioration qui n'est pas encore passée dans la pratique ; cette amélioration n'est qu'à l'état de projet et les cultivateurs l'attendent impatiemment. Et certes, ce n'est ni cette année, ni l'année prochaine, ni peut-être dans deux ans, qu'ils pourront obtenir des résultats satisfaisants du bienfait qu'on vous annonce.

Au reste, je conçois que le gouvernement ait eu les meilleures intentions, et encore une fois je l'en félicite, en introduisant ce système pour l'amélioration de nos terres humides.

Mais voyons, d'un autre côté, s'il est accessible à tout le monde. Qui est-ce qui utilisera ce moyen? Le gouvernement ne fera sans doute pas cadeau à ceux qui possèdent des terres humides, de ces tuyaux nécessaires pour les assécher; ce serait, à mon sens, une injustice. Sera-ce le petit cultivateur qui pourra acheter ces objets? Sera-ce le propriétaire, lorsqu'il a de la peine à être payé de son loyer? J'en doute; il y aura des exceptions, je le veux bien ; je reconnais que ce moyen doit procurer de grands résultats; mais qu'on ne s'y trompe pas; peu de cultivateurs pourront faire les frais nécessaires pour les obtenir.

M. le ministre de l'intérieur nous citait également la propagation des engrais à prix réduits. Encore une fois, c'est un excellent moyen d'être utile à l'agriculture; mais depuis quand datent ces mesures? Et quand produiront-elles leurs effets?

Ce n'est pas que je doute qu'elles en aient de bons dans l'avenir.

L'honorable ministre nous a aussi annoncé qu'il y a un projet de dégrever le transport des engrais par les canaux et rivières. C'est une excellente mesure dont l'agriculture ressentira les bons effets...

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - On propage de cette manière les engrais à prix réduit.

M. Faignart. - Je ne le nie pas. On vous a parlé de stations pour l'amélioration des races bovine et porcine. Vous savez tous à quoi vous en tenir à cet égard.

On nous a cité aussi une chose qui pouvait être excessivement profitable à l'agriculture, je veux parler de la culture du murier; je me déclare incompétent dans la matière.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous êtes cependant un homme pratique.

M. Faignart. - Permettez, M. le ministre. Je ne suis pas universel ; je puis être un homme pratique pour la culture des céréales sans être versé dans la question de l'élève des vers à soie, et je doute fort que M. le ministre soit plus expert que moi en cette matière.

On a fini par nous parler des expositions. Je les approuve en principe ; les expositions tendent à donner de l'émulation aux cultivateurs, à les mettre en contact, et à faire apprécier les produits plus ou moins bons que l'on peut obtenir. Si j'approuve les expositions en principe, je n’en approuve pas les détails et l'organisation, tant s'en faut. Je me permettrai de dire à l'honorable ministre qu'il reste beaucoup à faire sous ce rapport. Les expositions sont bonnes, comme j'ai eu l'honneur de le dire tout à l'heure; mais, à mon sens, dans la plupart des circonstances les expositions sont un mensonge.

J'en excepte les expositions de bétail et d'instruments aratoires, car on peut juger, apprécier les objets exposés. Il n'en est pas de même des céréales, des racines et plants légumineux. La plupart des membres de cette chambre savent, comme moi, que le cultivateur qui veut exposer et concourir pour obtenir une prime, cherche dans son champ tout ce qu'il peut rencontrer de plus beau en fait de récolte, n'importe quoi, pour l'exposer; tandis que celui qui veut exposer loyalement réunit ce qu'il trouve sur un mètre carré comme il est prescrit par les règlements, et il se trouve en concurrence avec des gens qui, pour faire une gerbe, ont mis à contribution 10 hectares de terre et obtiennent une prime; il en résulte que l'exposant loyal aboutit souvent à une mystification.

Vous le voyez, les expositions ainsi faites ne sont pas tenables. Il est impossible de continuer à y prendre part quand on a été dupe une fois; et si on se décide à courir une seconde chance, il est certain qu'on ne le fera pas une troisième, et vos expositions seront bientôt désertes.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Nous verrons cela.

M. Faignart. - Et quoiqu'en dise l'honorable ministre des finances., en présence de la protection accordée aux autres industries, l'équité nous fait un devoir de protéger l'agriculture qui est la mère de toutes nos industries. Il est reconnu de tout le monde que l'agriculture en Belgique est de la plus haute importance pour toutes les classes de la société ; or, le projet de loi qui nous est présenté ne peut faire disparaître la gêne qui pèse sur les producteurs.

Quoique je ne sois pas partisan d'un droit fixe sur les denrées alimentaires, je désire que, pour le moment du moins, la chambre, pour être conséquente, les impose d'un droit d'entrée comme moyen d'arrêter l'avilissement des prix.

C'est une erreur de croire, messieurs, que l'aisance se répand dans le pays, en raison du bas prix des denrées alimentaires ; vous savez tous que quand l'agriculture est en souffrance, le commerce en ressent les premiers effets. Car, quel est le cultivateur qui, trouvant à peine dans le prix de ses récoltes de quoi payer son loyer, ses contributions et les autres charges qui lui sont imposées ; quel est, dis-je, le cultivateur qui, ayant peine à élever sa famille, pourra se permettre la moindre dépense de fantaisie? Il doit, au contraire se restreindre au plus strict nécessaire.

Dès lors le commerce souffre, les villageois se tiennent chez eux, et se gardent bien d'aller en ville alimenter ce petit commerce de détail, toujours si florissant quand les gens de la campagne peuvent dépenser quelque argent ; je parle ici au point de vue des petites villes, là où le commerce est la principale ressource. Pensez-vous que si les campagnes qui les environnent sont dans la misère, elles ne souffrent pas aussi cruellement? Et ces souffrances sont-elles moins dignes d'intérêt, parce que leurs plaintes n'arrivent pas jusqu'à vous, comme celles de ces grands centres de population qui revêtent quelquefois un caractère menaçant? Serait-ce pour cela que l'on fait peu de cas de leurs plaintes et de leurs réclamations?

On nous a adressé une foule de pétitions qu’on dit avoir été provoquées; j'en conviens jusqu'à un certain point ; je crois que plusieurs de ces pétitions ont été provoquées ; mais je pense messieurs, que parmi celles-ci il y en a autant qui ont été provoquées dans un sens que dans l'autre; et, certainement, les pétitions qui nous sont parvenues ici en faveur du projet de loi, sont en nombre bien moindre que celles qui lui sont contraires.

Abordant maintenant un autre ordre d'idées, je dirai que si le locataire, malgré toutes les privations qu'il s'impose, ne trouve pas, dans le produit de sa récolte, le moyen de satisfaire à ses obligations, les fermages s'acquittent lentement et s'arrièrent en partie; le propriétaire à son tour, éprouve de la gêne et se voit forcé de limiter ses dépenses. C'est ainsi que le malaise agricole, remontant à tous les degrés de la société, exerce une influence désastreuse sur les intérêts matériels, en diminuant la circulation du numéraire, et en tarissant en partie les sources fécondes de la consommation et du luxe qui engendrent le travail.

J'ajouterai que le cultivateur, forcé de produire au jour le jour le pain quotidien, n'ayant le moyen ni d'essayer les inventions nouvelles, ni d'attendre les résultats, qui demandent du temps et de l'argent, est forcé de tourner dans une routine bien éloignée de l'impulsion progressive que les efforts du gouvernement cherchent à imprimer à l'agriculture. Il faut non seulement que la lumière se fasse, mais encore que ceux qui en ont besoin soient à même d'en profiter; vous aurez beau préconiser (page 650) les instruments perfectionnés, la production des engrais par l'accroissement du bétail et tant d'autres moyens qui nous ont été longuement énumérés par M. le ministre de l'intérieur; si l'agriculteur ne trouve pas dans le mouvement de son industrie les ressources nécessaires, il sera bien forcé de renoncer à ces essais qui amènent le progrès, et qu'il est si utile d'introduire dans les campagnes.

Mais, messieurs, si nous voulons réellement le progrès, ne le compromettons pas en renversant d'un seul coup notre système agricole, à l'ombre duquel l'agriculture a progressé, comme l'indiquait l'honorable M. Lebeau, dont les opinions sont ordinairement pour moi d'un grand poids; mais qui, je dois le dire, dans cette circonstance, nous a prouvé qu'il est tout à fait étranger à la matière.

L'honorable membre, dans une séance précédente, appelait l'attention de la chambre sur l'aptitude très complexe de la terre, et nous disait que les céréales pouvaient être remplacées par beaucoup d'autres produits; mais ce que l'honorable membre ne nous a pas appris, c'est le moyen de transformer ainsi notre agriculture, et comment il remplacerait les engrais produits par la paille dans les localités éloignées des grands centres de population.

Je conçois, messieurs, que ce changement de rotation pourrait se faire dans un rayon très restreint des grandes villes, où toute espèce d'engrais se trouve en abondance, et où déjà l'on cultive beaucoup de plantes légumineuses. Mais il n'en est pas de même pour les localités éloignées de ces villes qui manquent toujours de matière fertilisante, et que la culture que l'on propose tend à réduire considérablement.

Remarquez, messieurs, que les frais de transport par voitures des engrais, à quatre ou cinq lieues de distance, en doublent au moins le prix, et si, comme on vous l'a dit, les dépôts de la capitale en sont si bien pourvus, c'est que les cultivateurs n'ont pas le moyen de les acheter.

On ne tient pas compte qu'un changement d'assolement ne peut s'opérer qu'à la longue, sous peine d'éprouver le plus triste mécompte.

Je suis d'autant plus étonné d'entendre préconiser la culture des betteraves et d'autres plantes, au sujet de la question qui nous occupe, que, lors de la discussion de la loi des sucres, d'honorables orateurs conseillaient de remplacer la betterave par des céréales; il faut n'être pas fort expert en cette matière pour penser que la culture puisse subir toutes ces modifications sans de graves inconvénients.

Je suis partisan de la culture des plantes-racines en seconde récolte, c'est une amélioration réelle apportée à l'ancien système. J'en conseille même l'application, mais il ne faut pas se dissimuler que pour obtenir de bons résultats, la terre doit être mieux fumée et qu'elle réclame plus de soins et de dépenses. On nous engage à cultiver le lin et le colza, sans tenir compte que la plupart des terres ne leur conviennent pas et que ces plantes ne rendent pas d'engrais pour remplacer celui qu'elles ont absorbé. Je ne repousse pas la culture des plantes oléagineuses, mais elle doit être pratiquée avec modération et intelligence; car croyez bien, messieurs, que le cultivateur qui, n'étant pas abondamment pourvu d'engrais, s'adonnerait à la culture de ces plantes dans une trop grande proportion, travaillerait à sa ruine. Il serait dangereux de se jeter légèrement dans ces entreprises et de prendre au sérieux ces conseils.

Je dois quelques mots de réponse à l'honorable M. Dedecker.

L'honorable membre, dans le brillant discours qu'il a prononcé, avant-hier, nous disait : « Quoiqu'on fasse, c'est la Providence qui donne le plus ou le moins de récolte; pour faire dix pièces de toile, nous disait l'honorable membre, il faut le double de matière et de main-d'œuvre que pour en faire cinq. » Mais, messieurs, croyez-vous qu'il n'en soit pas de même en agriculture, croyez-vous qu'il ne faille pas dépenser davantage pour obtenir une bonne récolte qu'une médiocre ou une mauvaise ? Croyez-vous qu'un cultivateur inhabile, quelque favorables que soient les années, obtienne autant de produits de sa terre que celui dont les dépenses sont plus grandes, les soins plus assidus, et les travaux mieux entendus? Evidemment non, la Providence fait beaucoup, j'en conviens; mais l'aptitude et l’intelligence font le reste. Aide-toi, le ciel t'aidera.

L'honorable membre, s'appuyant sur des déclarations qui lui ont été faites par des cultivateurs de l'arrondissement de Termonde, nous a dit que dans la petite culture on fait moins travailler lorsque le grain est cher. Il en tire la conclusion que le bas prix des céréales est un bonheur pour les petits cultivateurs et les ouvriers agricoles. Qu'il me soit permis de faire remarquer à l'honorable membre, qu'en ne tenant pas compte de l'ensemble des faits, il est arrivé à des conclusions complètement fausses quoique ayant une justesse apparente.

En effet, dans l'arrondissement de Termonde, si mes renseignements sont exacts, chaque cultivateur n'occupe généralement que quelques hectares de terre, dont la majeure partie est employée à la culture de plantes industrielles; ce qu'il récolte de céréales et de pommes de terre n'excède pas de beaucoup sa consommation et celle de sa famille. Or, en 1846 et 1847, par suite d'un concours fatal de circonstances, la récolte du blé et des pommes de terre étant venue à manquer, au lieu d'avoir un petit excédant, certains cultivateurs durent acheter eux-mêmes, à un prix excessif, de quoi se nourrir jusqu'à la récolte suivante. Est-il étonnant dès lors qu'ils n'aient pu dépenser en travaux agricoles autant d'argent que dans les années ordinaires, et qu'ils aient cherché à faire par eux-mêmes ceux qu'il confiaient ordinairement à des ouvriers?

Il me paraît donc démontré que l'honorable M. Dedecker est tombé dans une erreur complète en raisonnant sur une année exceptionnelle et relativement à une culture exceptionnelle comme celle de l'arrondissement qu'il représente.

Le cultivateur ordinaire, au contraire, qui n'a pour ressource ordinaire que son gain et son bétail, se voit dans l'impossibilité de faire la moindre amélioration, s'il n'obtient un prix suffisant de ses denrées; ce n'est que dans le cas où il fait des bénéfices qu'il peut perfectionner, c'est du reste ce qui se pratique généralement quand les céréales sont à des prix convenables.

Loin de moi, messieurs, de désirer le retour des années calamiteuses qui ont été funestes à tout le monde, sauf à quelques négociants en grains qui ont fait d'énormes bénéfices, bénéfices auxquels ont excessivement peu participé les agriculteurs.

Messieurs, je ne terminerai pas sans vous communiquer quelques rapports que j'ai obtenus de la commission provinciale d'agriculture du Hainaut.

M. le ministre de l'intérieur a cité, dans un discours précédent, certains rapports, et notamment ceux de la chambre de commerce de Bruxelles, de M. le commissaire d'arrondissement de Gand, de la commission d'agriculture de la Flandre, de la société d'agriculture de Thielt, et enfin de la commission médicale provinciale de la Flandre.

A mon tour, je me permettrai de vous citer aussi quelques rapports qui me paraissent émaner de personnes très compétentes. Mais, avant tout, je témoignerai à M. le ministre de l’intérieur mon étonnement de ce que, ayant demandé des rapports de différentes localités, et notamment aux commissions d'agriculture, peut-être même aux comices agricoles, ou enfin au conseil supérieur d'agriculture, ces rapports n'aient pas été communiqués à la chambre ; car ils me semblent de nature à jeter beaucoup de lumière sur la question qui nous occupe. Ces rapports devaient nécessairement faire connaître l'état des populations par suite de la dernière récolte.

Eh bien, à en juger par ceux dont je vais vous donner une analyse très courte, je pense qu'ils ne sont pas favorables au projet de loi qui a été présenté par le gouvernement :

« Renseignements sur la situation des populations des campagnes par suite de la dernière récolte. »

(C'est l'intitulé de la demande de renseignements adressée à ces diverses commissions.)

« Premier district agricole.

« Loin d'apercevoir, cette année, une amélioration parmi les populations des campagnes, la misère semble, au contraire, atteindre certaines classes de ménagers et même de fermiers qui, jusqu'à présent, y avaient été soustraits. Les receveurs des contributions pourraient être utilement consultés à cet égard. Peut-être faut-il attribuer cet état de choses à la difficulté qu'éprouvent les cultivateurs à vendre leurs denrées à un prix suffisant pour couvrir les frais de culture et les charges qui pèsent sur eux. »

En voici un autre :

« La dernière récolte ayant été assez abondante, et les travaux des charbonnages ayant repris quelque activité, la situation de la classe ouvrière est, jusqu'ici, peu souffrante.

« Quant au cultivateur, il se trouve, à cause du bas prix des céréales, dans un état de gêne qui le met dans l'impossibilité de remplir ses engagements. Cet état de choses forcera indubitablement, aussitôt que les travaux du battage seront terminés, à restreindre, outre mesure, les frais de culture et de main-d'œuvre, et réagira ainsi sur la classe ouvrière qui, par suite, sera en grande partie sans travail et conséquemment plongée dans la misère dès le mois de février prochain. Cet état de détresse est d'autant plus inévitable, que toujours, vers cette époque de l'année, les approvisionnements d'hiver étant terminés, les charbonnages cessent en partie leurs travaux. »

Je ne sais pas, messieurs, si je dois continuer la lecture de ces rapports qui sont tous, à peu près, dans le même sens.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - De quelle province et de quelles localités sont ces rapports?

M. Faignart. - Ce sont les rapports de la commission provinciale d'agriculture du Hainaut.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Voulez-vous donner l'analyse générale des rapports? Il y en a pour; il y en a contre...

M. Faignart. - Je vais continuer. Alors la chambre jugera :

« Par suite de l'abondante récolte de l'année dernière, les manants, qui ne sont que de petits cultivateurs, sont dans une position favorable sous le rapport des besoins alimentaires. Les ouvriers peuvent trouver à très bon compte les céréales sur les marchés; mais les grands cultivateurs, et surtout les fermiers locataires souffrent du vil prix auquel ils doivent vendre leurs denrées et éprouvent des difficultés à payer leurs fermages. »

Voici encore un résumé :

« Notre population ouvrière uniquement employée par l'agriculture est nombreuse et souffre, quoique la récolte ail été abondante. Ce n'est rien que d'avoir du pain à bon marché, il faut gagner de quoi en acheter.

« La classe ouvrière est dans une situation convenable, un esprit d'ordre et de tranquillité la distingue, elle désirerait avoir le grain à un prix plus élevé et l'ouvrage moins rare.

« Les cultivateurs sont dans la gêne, ils ne savent se défaire de leurs nombreux produits, ils sont dans la souffrance au milieu de l'abondance. Je regarde cette catégorie de travailleurs comme étant la plus malheureuse actuellement. »

(page 651) J’en cite un autre

« L’abondante récolte dernière succédant à deux autres récoltes favorables, a produit sur le bien-être de la population de ces campagnes un très sensible effet. Tous les ouvriers sont occupés, quelques femmes seulement sont oisives. A l'amélioration produite par la récolte, est venue s’en joindre une autre, celle d'une nouvelle industrie, la fabrication des étoffes (articles de Roubaix), qui a pris un très grand développement dans tout le canton de Templeuve, et qui commence aussi à s'étendre dans le canton de Celles. »

Permettez-moi de vous en lire encore un autre pour terminer :

« En résumé, le nombre d'indigents est beaucoup moins considérable; mais il est à craindre que, par suite du malaise toujours progressif de l’agriculture, le défaut de travail n'engendre parmi la classe ouvrière une misère plus profonde et plus générale que lorsque les grains se soutiennent à un prix normal et suffisamment rémunérateur pour permettre aux cultivateurs locataires de faire les travaux d'amélioration que la culture réclame.

« Maïs l'impérieuse nécessité de payer les fermages force les cultivateurs de cette catégorie à se borner, dans leurs travaux, au plus strict nécessaire; c'est une remarque qui a été faite de tout temps que, dans les périodes prolongées du bas prix des céréales, la culture rétrograde par l’impuissance de faire face à des dépenses d'amélioration et même de nécessité, dont le montant ne serait pas couvert par la plus-value de la récolte ; ainsi suppression de sarclages, d'achat d'engrais, d'entretien convenable du matériel ; diminution dans la consommation, dans le personnel et surtout dans les objets de bien-être qui sont le luxe relatif à la campagne dans les bonnes années, etc. »

Messieurs, je crois pouvoir borner là mes citations. Mais ce que j'aurais désiré, c'est que l'honorable ministre de l'intérieur nous eût communiqué les divers renseignements qu'il a demandés et qu'il a dû nécessairement obtenir. J'aurais voulu que la chambre fût ainsi éclairée. C'est la vérité qu'on a besoin de savoir, c'est ce qu'on doit chercher.

(page 637) M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je n'ai que peu d'observations à faire.

Il paraîtrait, d'après l'honorable préopinant, que j'aurais cherché à dissimuler certains rapports à la chambre, à cacher les renseignements que j'ai demandés aux diverses commissions d'agriculture.

Mon intention, messieurs, n'est nullement de rien cacher à la chambre. Je suis prêt à fournir tous les renseignements qui me seront demandés; si la section centrale m'avait fait l'honneur de me demander les rapports qui m'avaient été envoyés par les commissions d'agriculture, immédiatement je les lui aurais remis. Voilà la première fois que j'entends parler d'une absence de renseignements.

Si je n'ai pas fait imprimer les rapports des commissions d'agriculture, c'est qu'en analysant ces rapports, j'ai pu me convaincre qu'ils ne concluaient absolument rien de positif. C'est une collection d'opinions contradictoires. L'honorable député de Soignies a cru produire un grand effet en venant lire les avis de quelques districts de sa province.

M. Faignart. - Je n'ai pas la prétention de produire de l'effet.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - On peut en produire sans le vouloir.

L'honorable membre a voulu rectifier quelques-uns des renseignements que j'avais produits dans cette enceinte, et il a cité l'opinion de quelques districts agricoles de sa province. Mais ces opinions-là même sont entre elles très peu concordantes. Dans certains districts, on signale la bonne situation de la classe ouvrière, le travail qui règne partout par l'abondance. Ailleurs, on trouve que l'abondance est une cause de gêne et de misère. Nous retrouvons dans ces opinions individuelles, la diversité des opinions qui se manifestent dans cette enceinte.

Je déclare que je suis prêt à livrer à la chambre tous les renseignements qui me sont parvenus de toutes les provinces. Loin de vouloir fuir la lumière, je la cherche. J'ai provoqué la création de tous les comices agricoles qui sont répandus aujourd'hui sur toute la surface du pays, précisément pour qu'ils puissent, au besoin, éclairer le gouvernement. La création de ces comices agricoles annonce, de la part du gouvernement, l'intention de s'éclairer. Ils prouvent qu'il n'a pas peur de l'opinion des campagnes. Loin de là. Il ne demande pas mieux que de recevoir la lumière de tous les côtés et particulièrement des campagnes, dans les questions qui touchent à l'agriculture. Ces comices renferment aujourd'hui 5,000 associés. Ce sont 5,000 agriculteurs dont le concours, dont les lumières ne manqueront pas d'être invoqués par le gouvernement.

Le gouvernement, messieurs, n'a aucune espèce de défiance des campagnes. Il est plein de confiance dans leur bon sens, dans leur esprit impartial. Il ne doute pas que progressivement l'opinion des campagnes se rectifiera en beaucoup de points. Il y a déjà progrès en ce qui concerne l'importance du commerce pour l'agriculture. Aujourd'hui le commerce n'est plus considéré par la plus grande partie de nos campagnes comme un fléau. Au contraire, il est considéré comme une institution de nature à rendre de grands services à l'agriculture.

On a rappelé que j'avais cité l'opinion d'une commission médicale provinciale, comme si une commission médicale provinciale était incompétente en ces matières.

Et pourquoi, messieurs, ai-je cité l'opinion d'une commission médicale? Je l'ai citée alors que je vous avais démontré l'influence d'une mauvaise récolte sur la santé publique et sur la mortalité. Il y a deux ans à peine, ne l'oubliez pas, 25,000 de vos concitoyens sont morts des suites de la disette; je pense donc que les commissions médicales provinciales sont parfaitement compétents pour apprécier l'influence d'une mauvaise récolte sur la santé publique. On se hâte beaucoup trop d'oublier les malheurs par où la population a passé, il y a à peine deux ans. Ne soyez pas si pressé de l'oublier, laissez-lui au moins le temps de respirer.

Si la chambre désire que je livre à l'impression les rapports des commissions d'agriculture de toutes les provinces, je suis prêt à le faire. Je le répète, nous n'avons aucune espèce d'intérêt à cacher les renseignements qui nous sont parvenus; mais, je le répète aussi, ces renseignements sont parfaitement contradictoires. Je puis déposer sur le bureau l'analyse de tous ces rapports : Voici le résumé de celui de la commission d'agriculture du Hainaut.

(page 638) « Les renseignements fournis par la commission d'agriculture du Hainaut sont contradictoires. Dans quelques districts, on attribue le malaise des populations rurales au bas prix des grains, dans d'autres à la crise que subissent le commerce et l'industrie; dans d'autres, enfin, on dit que l'abondance et le bas prix ont produit les plus heureux effets sur les populations rurales qui ont un travail régulier et une nourriture saine et peu chère. »

Voilà, messieurs, l'analyse qui répond à celle que vous a donnée l'honorable représentant de Soignies (Interruption.)

Voilà déjà cinq ou six fois que l'honorable M. de Mérode m'interrompt pour me dire : Nous n'avons pas besoin de l'étranger. L'étranger, comme je l'ai démontré, n'a pas été très nuisible à l'agriculture belge, qui a envoyé l'année dernière à l'étranger pour près de 50 millions de ses produits. Peut-être l'honorable M. de Mérode trouve-t-il mauvais que l'étranger mange nos produits; mais comme l'étranger les paye bien, je pense que l'agriculture ne partage pas cette espèce d'aversion que l'honorable M. de Mérode professe pour l'étranger. (Interruption.)

D'abord les grains étrangers, on ne peut trop le répéter, n'entrent pas dans le pays quand il n'en a pas besoin. En 1849, le froment étranger n'est pas entré dans le pays. (Interruption.) D'autres grains, vous en avez eu besoin. Ainsi vous seriez les premiers à appeler à vous l'orge étrangère, si elle ne venait pas. C'est tellement vrai que les protectionnistes les plus renforcés veulent un droit minime pour l'orge.

Comment se fait-il que l'on vienne dire sans cesse que nous produisons trop, que nous n'avons pas besoin de l'étranger? Par des lois spéciales, par des articles de traités internationaux, vous avez attiré de l'étranger, avec des droits de privilège, une certaine quantité de céréales.

M. de Mérode. - Ce sont des exceptions.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Des exceptions, soit; mais pour certains de nos districts vous êtes obligés d'insérer dans vos traités des clauses spéciales admettant les denrées à des prix réduits. C'est ainsi que vous admettez dans le Luxembourg 3 millions de kilog., et dans la province de Liège, par la frontière du Limbourg, 12 millions de kilog. Vous avez donc besoin de l'étranger.

M. de Mérode. - L'exception confirme la règle.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Quand vous produisez beaucoup, vous n'avez pas besoin de l'étranger, et alors l'étranger ne vient pas; mais l'étranger vient quand vous ne produisez pas assez, et alors il vous rend de grands services. Direz-vous que vous produisez trop? Il est constant que, année commune, vous ne produisez pas assez, il faut produire davantage parce que, comme je l'ai dit, il n'est pas donné à tout le monde en Belgique de manger du pain.

Messieurs, je ne veux pas interrompre le cours de la discussion et sortir des limites de la réponse que je voulais faire à l'honorable député du Hainaut. Je me serais même abstenu de cette deuxième partie sans les interruptions réitérées de l'honorable comte de Mérode.

- Plusieurs membres. - La clôture !

M. Orts. - Si la chambre veut clore, je suis prêt à renoncer à la parole.

- La clôture est demandée.

M. de Haerne (sur la clôture). - Messieurs, je ne voudrais pas m'opposera la clôture. Cependant il me semble qu'il faut éviter ici toute espèce de déception. Or, nous savons qu'un grand nombre de membres ont présenté des amendements afin de pouvoir prendre encore la parole dans le cas où la clôture serait prononcée. Eh bien, je dois dire que rien n'est plus facile que de présenter un amendement et d'obtenir ainsi la parole. Si quelques membres usent de ce moyen, je demande ce que l'on fera. Ne vaudrait-il pas mieux de ne pas prononcer la clôture, qui pourrait devenir tout à fait inutile?

Si la clôture est dans les vœux de la majorité de la chambre, les membres qui ont présenté des amendements devraient avoir la générosité de les retirer; sans cela je ne sais pas trop si je ne serais pas tenté moi-même de présenter un amendement; si je vois que nos honorables collègues ne renoncent pas sérieusement à la parole, je ne sais pas pourquoi je devrais y renoncer.

Il me semble, messieurs, que c'est bien là réellement la position dans laquelle nous nous trouvons, et j'ai cru devoir la signaler à l'attention de la chambre, afin qu'elle fasse ce que la justice lui conseillera.

M. Coomans. - Messieurs, c'est précisément parce que j'ai déjà eu l'honneur de prononcer un long discours devant vous, que je demande à parler encore. (Interruption.) Mon premier discours était peut-être inutile, mais le deuxième est indispensable. (Interruption.)

Messieurs, la réplique est de droit entre orateurs civilisés ; il deviendrait fort dangereux de prononcer des discours, de dire quoi que ce soit, si on ne pouvait pas répliquer, ne fût-ce que pour rétablir le véritable sens des opinions tronquées ou dénaturées.

Du reste, c'est dans l'intérêt du ministère que je demande surtout la parole. (Interruption.)

- Plusieurs membres. - Parlez ! parlez !

M. Coomans. - Les amis du ministère ont professé cette étrange opinion que le droit d'un franc, accepté, je pense, par le ministère, constitue un impôt de 9 millions sur le pain du peuple belge. Il ne faut pas que cette assertion, qui n'a pas été réfutée par le cabinet et que l'honorable M. Prévinaire maintient....

M. Prévinaire. - Oui ! oui!

M. Coomans. - L'honorable M. Prévinaire maintient son dire! Je le regrette pour lui et pour les ministres. Il ne faut pas que cette assertion plus qu'étrange pèse sur la loi comme une flétrissure. Le cabinet doit s'y opposer autant que moi. Dire que nous imposons le pain du peuple au profit des riches, voilà une assertion aussi fausse que dangereuse. Le ministère n'a pas réfuté cet incroyable argument qui a été soutenu et développé avec complaisance par ses amis, ou du moins par ses défenseurs. Je l'essayerai, moi, et si je réussis, j'espère qu'il m'en aura quelque reconnaissance. Il me paraît avoir besoin qu'on lui vienne en aide sur ce point comme sur d'autres. Il ne doit pas être plus désireux que moi de passer pour un partisan d'impôt sur le pain des ouvriers, quoiqu'il finisse par eu accepter un.

Enfin, messieurs, il serait véritablement étrange que dans une assemblée, où l'on vante si haut les bienfaits du libre-échange des marchandises, on ne permît pas le libre-échange des arguments; qu'on empêchât le libre échange intellectuel qui doit exercer une grande influence sur les choses vénales.

- Un membre. - C'est cela! continuons.

M. Coomans. - Du reste, je respecterai la décision de la chambre. Il m'a suffi d'invoquer le droit de défense, qui est le dernier qu'on enlève aux minorités. J'ai été le plus attaqué dans cette enceinte. Votre loyauté exige que je puisse répondre aux principales attaques qu'on a dirigées, moins contre mes arguments que contre mes intentions.

M. le président. - Il est bon de fixer l'état de la discussion. Je viens de recevoir encore un nouvel amendement de MM. Alphonse Vandenpeereboom et Delehaye, relativement aux bestiaux. Il y a encore quatre autres amendements et un sous-amendement qui n'ont pas été développés et qui n'ont pas été appuyés. Si la chambre prononçait la clôture, on pourrait, me semble-t-il, car je ne préjuge rien, réduire les développements des amendements à l'objet que ces amendements concernent; en effet, ils ne se rattachent qu'à certaines parties du projet.

Si, pour chaque amendement, on allait rentrer dans la discussion générale, comme l'a très bien fait remarquer l'honorable M. de Haerne, les membres seuls qui ont présenté des amendements pourraient parler sur le tout. La chambre se prononcera à cet égard. Il y a donc cinq amendements: celui de M. Mercier, celui de M. de Mérode, celui de M. Mascart, celui de M. Sinave et celui de MM. Alphonse Vandenpeereboom et Delehaye, qui se rattachent à des objets spéciaux, et qui n'ont pas été développés ; il en est de même du sous-amendement de M. Coomans.

M. de Mérode (contre la clôture). - Messieurs, il est évident que la question qu'on traite est capitale pour le pays. Il ne s'agit pas simplement de savoir s'il y aura un droit plus ou moins élevé sur les céréales. Mais ici toute la question de la protection de l'industrie manufacturière et agricole est en jeu ; ne vaut-il pas mieux une bonne fois la traiter complétement; prendre quelques jours de plus en laissant aux orateurs inscrits qui n'ont pas encore parlé, le temps de s'expliquer? Sinon, ce sera une discussion écourtée, quoiqu'elle soit déjà assez longue. (Interruption). Oui, elle sera encore écourtée, parce qu'il s'agit d'un objet du plus haut intérêt pour tous les habitants du pays; et lorsque des orateurs qui sont inscrits depuis plusieurs jours n'ont pas encore pu prendre la parole dans une question si grave, il me semble qu'on doit leur laisser au moins leur tour de parole; si on ne veut pas admettre les répliques, qu'on permette au moins à ceux qui n'ont rien dit de s'expliquer.

M. Mercier (contre la clôture). - Messieurs, il paraît que plusieurs orateurs veulent donner à la loi un caractère définitif. Dès lors, on veut lui donner une portée qu'elle n'avait pas, lorsque la question a été examinée en section centrale; et qu'elle n'avait pas non plus, lorsque le gouvernement nous a soumis sa proposition. Il n'est donc pas étonnant que, la discussion ayant ainsi changé de caractère, les débats se prolongent plus longtemps.

Si la section centrale avait eu à proposer une loi définitive, elle eût demandé certainement bien d'autres renseignements au gouvernement. Maintenant que ces renseignements n'ont pas été demandés, nous devons les recevoir des lumières que chaque membre peut apporter dans la discussion.

Evidemment, la section centrale ne se serait pas bornée à ce petit rapport, s'il s'était agi d'une loi permanente. Je pense, qu'eu égard à la lacune que présente le travail de la section centrale, il convient de laisser continuer la discussion. Nous n'avons pas à l'ordre du jour un objet urgent. D'un autre côté, le sénat ne se réunit que jeudi prochain. Si la discussion pouvait encore se prolonger deux ou trois jours, nous y gagnerions tous en lumières, et il n'y aurait pas grand inconvénient pour les affaires qui doivent être traitées en ce moment.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) (sur la clôture). - Messieurs, je ne demande pas la clôture; je laisse la chambre entièrement libre de prolonger les débats aussi longtemps qu'elle voudra.

Je dois seulement faire observer une chose, c'est que, si un droit fixe est établi, il y aura un tarif à faire pour toutes les espèces de grains et pour le bétail ; il est probable que ce tarif donnera lieu à une discussion; donc tout ne sera pas fini, si on clôt aujourd'hui. La chambre comprendra d'ailleurs la convenance de renvoyer le projet de loi au sénat le plus tôt possible.

(page 639) M. Rousselle (contre la clôture). - Messieurs, lorsqu'on a demandé hier la clôture, il avait été entendu que le rapporteur pourrait prendre la parole. (Oui! oui !) Si la clôture avait été alors prononcée sous cette réserve, j'aurais fait à la fin de mon exposé une proposition, qui peut-être eût satisfait la chambre. Je demande donc que la même réserve ait lieu, car je crois qu'il sera nécessaire déposer une question de principe, et ensuite, selon que la question de principe sera décidée, de voter sur le projet de la section centrale, ou de renvoyer tous les amendements à la section centrale, pour qu'elle formule un nouveau projet de loi, à raison de la décision que la chambre aurait portée sur le caractère de la loi; c'est-à-dire, si la loi doit être définitive ou temporaire, car je pense que la loi devra être formulée différemment dans l'une ou l'autre hypothèse.

M. le président. - Je viens de recevoir un amendement de M. de Haerne.

M. Julliot. - Je demande la parole pour adresser une interpellation au gouvernement, avant qu'on ne passe au vote.

M. le président. - Il ne s'agit pas encore de voter.

Il s'agit de mettre aux voix la clôture; il serait entendu, si la clôture est prononcée, que le rapporteur aurait la parole; il serait entendu que les auteurs des divers amendements pourraient les développer. (Non! non!) Que ferait-on des amendements? Les amendements n'ont pas encore été appuyés ; il faut que la chambre, avant de voter, sache à quoi s'en tenir.

M. Dumortier, - Messieurs, l'observation que fait M. le président est parfaitement juste. En supposant que la chambre prononce la clôture de la discussion générale, il est évident que d'abord M. le rapporteur doit être entendu; en second lieu, il faut que les auteurs des amendements puissent les développer. Mais voici la différence : il faut que la chambre sache la portée du vote.

Si la clôture n'est pas prononcée, les auteurs des amendements pourront donner à leurs discours tous les développements que comporte une discussion générale ; si, au contraire, la chambre ferme la discussion générale, les auteurs des amendements devront borner leurs développements à l'objet spécial auquel leur amendement se rapporte. Voilà les deux hypothèses : c'est à la chambre de choisir.

M. le président. - C'est ce que j'avais l'honneur de faire observer à la chambre : si la clôture de la discussion était prononcée, les auteurs des amendements pourraient les développer, en se renfermant dans les strictes limites des amendements ; l'on accorderait aussi la parole à M. le rapporteur.

Je mets la clôture aux voix dans ces termes.

- La clôture, dans ces termes, est mise aux voix et prononcée.

Discussion des amendements

Il me paraît d'ailleurs que l'on a trop perdu de vue dans cette savante discussion le point de départ de la question et la mission que la section centrale avait reçue. Vous me permettrez, messieurs, de le rappeler à votre attention, ce sera le moyen de défendre notre travail contre les attaques dont, en passant, il a été l'objet.

Le gouvernement a demandé à la chambre de proroger pendant 1850 la loi du 31 décembre 1848, comme l'année dernière, il lui avait proposé de proroger pendant 1849 la libre entrée des denrées alimentaires.

L'année dernière, le gouvernement se ralliant au vœu de la section centrale dont était rapporteur l'honorable M. de Bocarmé, si versé dans la science et la pratique agronomique, avait consenti à l'établissement d'un droit de 50 centimes par 100 kilogrammes sur l'entrée des céréales étrangères.

C'était, par une transition fort douce, rentrer dans le système général des lois douanières, suspendu depuis 1845 quant aux denrées alimentaires, par suite de circonstances tout à fait exceptionnelles et qui avaient entièrement cessé.

La section centrale, dont j'ai l'honneur d'être le rapporteur, a pensé que, cette année, il fallait faire un pas de plus dans cette voie, vu le nouvel abaissement du prix des céréales, convaincue qu'elle était d'ailleurs que si le froment au mois de décembre 1848 avait été non de fr. 17-15 l'hectolitre comme il était alors, mais en dessous de fr. 16, comme il est aujourd'hui, la section centrale de 1848 eût déjà proposé et la chambre eût probablement adopté le franc que nous demandons aujourd'hui.

Du reste, il y avait à craindre que si l’on ne proposait une certaine élévation du droit d'entrée sur les céréales étrangères, propre à amener quelque ralentissement à l'encombrement de nos marchés, cause de l'avilissement par trop rapide du prix de nos propres grains, la chambre ne rejetât le projet du gouvernement, et alors nous serions retombés sous l'empire de la loi de 1834 dont, j'en suis persuadé, la majorité de cette chambre ne veut plus.

Cette loi n'est pas morte et enterrée, comme dit M. le ministre des finances, elle n'est que malade et elle reparaîtrait en pleine sauté le jour même où la suspension n'en serait pas continuée, le jour même où vous ne remplaceriez point par une autre loi, la loi du 31 décembre 1848. Sur ce point il ne peut y avoir de doute, puisque tous les huit jours, le gouvernement fait publier le prix moyen des grains, sur les marchés régulateurs, en exécution de l'article 4 de la loi de 1834 et de l'arrêté royal du 7 août de la même année.

Après la reconnaissance qui a été faite de l'extrême modération de la proposition de la section centrale, je n'ai certes pas besoin de m'appesantir sur ce sujet ; je m'étonne donc avec M. le ministre de l'intérieur qu'elle ait soulevé un si grave et si long débat. Mais quelle en est la cause?

Assurément ce n'est pas la section centrale, qui avait prudemment évité de se prononcer entre les doctrines du libre-échange et celles du régime protecteur.

C'est, selon moi, que, prématurément, les partisans du libre-échange ont voulu entrer en lice pour le triomphe de leurs théories contre les partisans du régime protecteur ou restrictif; je dis prématurément, messieurs, car « ce n'est point à l'occasion de lois temporaires qu'il convient de discuter les principes qui doivent régir le commerce des céréales; l'importance de la matière réclame un examen spécial et approfondi. »

Ce n'est point, messieurs, mon opinion seule que j'exprime en ce moment; je répète textuellement ce qui se trouve dans un exposé des motifs présenté à la chambre le 10 novembre 1840, par le ministre de l'intérieur d'un cabinet dont faisait partie le chef du cabinet actuel.

Selon moi, le débat a été prématuré et ne doit pas aboutir, quant à la question de principe, parce qu'il serait inouï, j'ose même dire imprudent, de penser à changer de principe et par suite d'application, sans avoir sous les yeux les avis des autorités et des collèges que l'on consulte toujours en pareil cas; sans avoir aussi fait un appel à tous les intérêts engagés dans une question si importante et si ardue.

La divergence des opinions manifestées dans cette enceinte ne devrait-elle pas même commander cette marche, si déjà elle n'était consacrée par les usages constants du parlement.

Nous le reconnaissons sans détour, messieurs, la décision de l'année dernière, comme la proposition de cette année, repose sur le principe de la protection ; mais pourquoi ? C'est parce que ce principe est celui qui régit actuellement le système commercial du pays; et qu'il ne peut y avoir lieu d'en changer pour le travail agricole, tant qu'on n'en change pas pour le travail manufacturier. Contre cette opinion, il a été produit de nombreux arguments, encore trop présents à vos esprits pour que je doive les répéter; la réfutation qu'ils ont reçue doit dissiper tout doute pour tous ceux qui recherchent l'uniformité et l'harmonie de la législation, une exacte justice distributive et le bien général du royaume. Si l'on veut abandonner tout à fait le système protectionniste, ou seulement s'en relâcher avec mesure, il semble que cela ne doit pouvoir se faire sans des études spéciales, et que c'est au gouvernement qu'il appartiendrait de formuler des projets dans des vues d'ensemble, de les soumettre aux avis des autorités et des collèges ordinairement consultés à cet égard; puis de les apporter à la chambre qui prononcerait ; mais jusque-là il convient de ne point effacer la protection ou la restriction pour la production agricole, quand on entend la conserver pendant un temps plus ou moins long pour les autres branches du travail national.

Il ne faut pas se faire illusion ; si les partisans de l'abaissement des tarifs en ce qui concerne les objets manufacturés ne maintenaient pas avec sévérité l'assimilation complète, en fait de protection, contre l'industrie étrangère, du travail agricole et du travail manufacturier , ils se dépouilleraient des moyens principaux d'obtenir dans l'avenir l'objet de leurs vœux. Il faut donc s'armer de toutes pièces, et n'en céder aucune qu'au fur et à mesure que l'industrie commerciale et manufacturière cédera des siennes. Du reste, l'intérêt de cette industrie n'est pas moins lié à la prospérité de l'agriculture, que l'intérêt de l'agriculture ne l'est à la prospérité du commerce et des manufactures.

Les arguments présentés contre les conclusions de la section centrale, ont été empreints d'une grande exagération. On a raisonné comme si elles devaient avoir pour conséquence d'élever outre mesure le prix du grain, et par suite le prix du pain; il n'en est rien cependant, force a été de le reconnaître, et je le dis avec une entière conviction, dût même cette proposition être légèrement augmentée par un vote de la chambre, elle n'apportera aucun changement au bon marché du blé et de la vie des travailleurs, vu l'abondance de la récolte.

Ici, messieurs, vient naturellement se placer ce que j'ai à soumettre à l'attention de la chambre, relativement à ce que nous appelons le prix rémunérateur du travail agricole.

On s'est élevé avec une grande force contre l'impossibilité de procurer par une loi quelconque le prix rémunérateur du travail agricole, pas plus que de tout autre travail; nous sommes entièrement de cet avis; parce que c'est par la concurrence et de libres conventions, que les salaires de toute espèce s'établissent; mais par ces mots, nous avons voulu exprimer que, lorsque le grain, soit par l'effet d'une insuffisance de récolte, soit par un événement quelconque, serait arrivé à ce prix, alors l'action législative ou celle du gouvernement par une délégation de la loi devrait intervenir, afin de prendre les dispositions nécessaires dans l'intérêt des consommateurs. Ce n'est pas là un retour au système de l'échelle mobile, c'est l'accord équitable des intérêts de la production et de la consommation: (erratum, page 659) jusqu'à ce prix, la subsistance du peuple sera toujours assurée à un taux modéré, facilement accessible, la vie à bon (page 640) marché ne sera pas compromise; il n'y aura aucune gêne, aucune entrave aux opérations commerciales. Au-delà, il y aura lieu d'aviser.

Et je dois dire, messieurs, que lorsque la section centrale a adopté le droit fixe très modéré d'un franc sur l'entrée des céréales étrangères et laissé au gouvernement de régler la sortie, elle n'a pas entendu comme M. le ministre de l'intérieur, que la sortie pourrait toujours avoir lieu, qu'aucune raison ne devrait porter à la suspendre ; elle n'a pas eu à se prononcer sur ce point; mais quant à moi, je pense ne pas me mettre en contradiction avec son sentiment en exprimant que si les circonstances amenaient un renchérissement des substances alimentaires disproportionné avec les salaires, on devrait prendre des mesures dans l'intérêt de la consommation.

C'est en ces matières surtout, messieurs, qu'un législateur, pénétré de sa haute mission, ne doit pas avoir de règles absolues. Il doit consulter les temps, les circonstances, les besoins variables des populations, les accidents de la production, et se décider alors suivant les principes de la justice distributive comme par les inspirations de son cœur envers les classes souffrantes. Personne ici ne voudrait que la vie du travailleur devînt difficile, pénible par l'effet de la loi. Au contraire, la loi viendra toujours au secours du travailleur quand les circonstances le commanderont.

Maintenant, messieurs, permettez-moi quelques observations concernant certains points sur lesquels le débat ne me parait pas s'être suffisamment appesanti.

Un honorable député de Bruxelles a reproché à la section centrale d'avoir éludé, par un expédient, la question si vitale, selon lui, du prix des baux et de la marche ascendante du prix des grains. Quel est cet expédient? Le voici :

« Nous ajouterons que la valeur de l'argent baisse constamment, que les capitaux employés à l'acquisition de la terre rendent un intérêt excessivement modique; et enfin nous dirons que le prix de la terre, le prix des baux, le prix du grain, le salaire de l'ouvrier, tout cela (erratum, page 659) suit la loi générale de l'offre et de la demande, et, quoi qu'on fasse, on n'échappera pas aux conditions de cette loi, applicable aussi bien à l'industrie agricole qu'aux branches de l'industrie manufacturière et commerciale. »

J'en appelle à l'honorable membre lui-même, tout ce qui a été dit dans la discussion n'a-t-il pas confirmé cette proposition qu'il appelait un expédient?

Parmi les arguments présentés en faveur de la libre entrée des céréales, on allègue que c'est dans les années d'abondance seules que l'agriculture de la Belgique pourvoit aux besoins de sa consommation, et d'honorables membres, auxquels s'est joint M. le ministre de l'intérieur, évaluent même à 500,000 hectolitres l'insuffisance de la récolte ordinaire.

J'avoue que je ne suis pas entièrement édifié sur cette insuffisance, surtout quand je consulte l'annexe 4 de l'exposé des motifs du projet de loi, page 20.

En effet, messieurs, cette annexe constate :

1° Que dans une année ordinaire, sur une étendue cultivée en froment, seigle, épeautre et méteil, de 599,274 hectares 47 ares, on obtient 11,494,920 hectolitres de ces grains; et 2° que sur une étendue de 112,135 hectares cultivés en pommes de terre, on obtient un produit de 22,514,917 hectolitres. Or, si la consommation des habitants peut être évaluée, comme les données du gouvernement le supposent, à 2 hectolitres 70 litres de substances farineuses, je trouve qu'il faudrait, à raison de la population, 11,710,420 hectolitres par an, d'où un manquant seulement de 215,509 hectolitres, qui me semble bien plus que compensé par les 22 millions et demi d'hectolitres de pommes de terre.

Si ces calculs sont fondés comme je le crois, les arguments tirés d'une insuffisance presque continuelle de récolte ne reposeraient pas sur un fait incontestable.

La récolte de 1849, suivant les documents ministériels, serait d'environ un sixième en sus d'une récolte ordinaire; elle doit donc donner un surcroît considérable ; et nous sommes loin encore de la production que l'industrie et les efforts de nos agriculteurs doivent nous assurer dans l'avenir, s'ils ne sont pas découragés par la faveur à donner aux produits de l'étranger.

Pour combattre les propositions pourtant modérées et conciliantes de la section centrale, d'honorables membres ont cherché à établir par des chiffres le rapport du prix des céréales avec les recettes de l'Etat, avec les décès, avec les mariages, et ils n'ont pas craint d'émettre ces trois propositions :

1° Que les excédants elles déficits des recettes de l'Etat suivent la baisse et la hausse du prix des céréales ;

2° Que la mortalité s'accroît avec la hausse de ce prix ;

3° Que le prix élevé du grain arrête les mariages et empêche le plus grand nombre des travailleurs de goûter les joies de la famille.

Propositions hasardées qu'on n'eût pas dû lancer si légèrement dans une discussion aussi délicate que celle qui occupe la chambre et que l'on regrettera, j'en suis convaincu, après qu'on y aura plus mûrement réfléchi et que l'on aura vérifié les calculs que je vais opposer à ceux de l'honorable membre.

Je ne veux pas nier que la statistique ne puisse être quelquefois utilement invoquée ; mais il faut qu'elle soit bien faite, discutée surtout et soumise à la recherche de toutes les causes accidentelles de temps et de lieux ; car, comme on l'a fait très justement remarquer, selon l'art avec lequel on dispose les chiffres, on peut leur faire dire blanc ou noir.

Pour affirmer que l'excédant ou le déficit des recettes de l'Etat suit la baisse et la hausse du prix des céréales, avait-on vérifié auparavant si l'évaluation des recettes aux divers budgets n'avait pas été forcée là où l'on trouve un déficit, et atténuées là où l'on trouve un excédant? Avait-on vérifié sur quelle branche de revenu l'excédant ou le déficit s'est fait sentir, et recherché les circonstances particulières qui ont pu exercer à cet égard quelque influence? Non ! on n'a rien vérifié, on ne donne aucun renseignement appréciable par les lumières du sens commun; on livre un chiffre purement et simplement.

Je ne vois pas en vérité quelle espèce de relation il pourrait y avoir entre le prix des céréales et la réalisation plus ou moins complète des prévisions de recette aux budgets; au moins, si l'on avait pris pour terme de comparaison le produit des douanes et des accises, qui résument la consommation du pays, cela aurait présenté un peu plus d'apparence. Mais alors l'honorable membre, qui a fait cette remarque, serait arrivé à un résultat fort peu conforme à celui qu'il produit pour étayer sa thèse.

En effet, si je consulte l'annuaire de l'observatoire de 1850, page 213, pour connaître le produit des douanes et accises pendant les 12 années de 1836 à 1847, et si je forme deux périodes composées la première des années 1836, 1837, 1841, 1845, 1844 et 1845 où le prix du froment a été le plus faible, et l'autre des années 1838, 1839, 1840, 1842, 1846 et 1847 où le prix a été le plus élevé, je trouve que pour la première période le prix moyen de l'hectolitre de froment a été de fr. 18-26 c, et le produit moyen des douanes et des accises, de 29,064,080 francs, tandis que pour la seconde période, le prix moyen de l'hectolitre de froment a été de fr. 24-13 c, et le produit moyen des douanes et accises de 29,027,611 francs. Ainsi un produit moralement égal avec une différence en plus de fr. 5-87 par hectolitre de froment.

Passons à la deuxième proposition. Je veux bien reconnaître qu'une succession d'années ou même une seule année de grande cherté du grain, jointe à l'absence ou à l’insuffisance du travail, puisse engendrer la misère et avec la misère un excédant de mortalité. Mais dans le travail que je critique il ne s'agit pas d'une pareille calamité qui ne serait pas d'ailleurs imputable à la loi, pas plus que dans les propositions de la section centrale, il ne s'agit de porter les substances alimentaires du peuple à un taux capable de le priver de la vie à bon marché et de produire la misère : dès lors, il est impossible d'admettre que parce que l'on aura remarqué qu'en certaines années la mortalité dans le pays a été ou concomitante ou subséquente à une certaine élévation du prix des denrées alimentaires, cette élévation soit une cause constante de mortalité. Pas plus que les chiffres sur les excédants et les déficits constatés par les recettes de l'Etat, ceux de la mortalité n'ont été soumis à aucune discussion.

On ne s'est pas enquis sur quel âge, dans quel lieu, en quel temps l'excès de mortalité s'est manifesté ; on ne s'est pas enquis s'il n'y a pas eu des épidémies, des causes extraordinaires de maladies, très indépendantes du prix des grains. On produit le chiffre sans commentaire. Je me trompe : avec un commentaire des plus alarmants ; il en arrivera ce qu'il pourra.

Je repousse le chiffre et les conséquences périlleuses que l'on en tire. Si je consulte l'ouvrage de MM. Quetelet et Smits, publié en 1832 et intitulé : Recherches sur la reproduction et la mortalité de l'homme aux différents âges et sur la population de la Belgique, j'y puise ces résultats.

Nombre de décès de 1815 à 1824, 85,787. Et le prix moyen du froment était de fr. 19,75.

Nombre de décès de 1825 à 1829, 94,258. Et le prix moyen du froment était de fr. 17,22.

Ainsi, 8,471 décès de plus par année moyenne dans la période où le prix du (erratum, page 659)grain était inférieur de fr. 2 53 par hectolitre de froment, et réciproquement 8,471 décès de moins dans la période où le prix du blé était supérieur de fr. 2 53.

Je n'ai plus un pareil ouvrage à citer pour les années suivantes, mais l'annuaire de l'Observatoire que j'ai consulté, m'apprend qu'en l'année 1831 la mortalité a été de 98,088 âmes et le blé à 22 71.

En 1834, mortalité, 116,573. Prix du blé, fr. 13 86;

En 1841, mortalité, 97,108. Prix du blé, fr. 19 98;

En 1835, mortalité, 101,143. Prix du blé, fr. 14 67 ;

En 1843, mortalité, 97,035. Prix du blé, fr. 19 41;

En 1837, mortalité, 118,142. Prix du blé, fr. 16 62;

Je ne pousserai pas plus loin ces comparaisons, qui démontrent que les chiffres recueillis par mon honorable adversaire et les conséquences qu'il en a tirées sont inadmissibles.

Voyons maintenant ce qui concerne la troisième proposition, concernant le rapport des mariages avec le prix des céréales, dont l'honorable M. Lebeau nous a, du reste, dit être assez peu touché. J'avoue que je n'en suis pas plus touché que lui.

En 1839, le prix du froment étant à fr. 23 85, on trouve 29,758 mariages;

En 1845, on trouve 29,210 mariages, un peu moins, avec un prix inférieur du blé, fr. 20 22 ;

En 1834, prix du blé, fr. 15 86, mariages, 30,455 ; mais en 1831, il y a 30,915 mariages, et le prix du blé est de fr. 22 71 ; fr. 8 85 en plus par hectolitre; et en 1838, avec le prix du blé à fr. 21 17, il se contracte 31,604 mariages, c'est-à-dire, que malgré une augmentation de fr. 7 31 par hectolitre de froment, il y a 1,149 mariages de plus.

Enfin en 1835, le prix du grain est à fr. 14 73, il se trouve 26,770 mariages, et en 1843, le prix du blé étant de fr. 19 41, il y a 28,220 mariages.

L'honorable membre et ceux qui se sont appuyés de ses chiffres auraient donc bien fait de répudier ce mode d'argumentation, moins à cause de ses lueurs trompeuses, que parce qu'incapable de faire une (page 641) impression sur des esprits sérieux, réfléchis, il est très propre à égarer les masses inintelligentes et à exciter les mauvaises passions.

Messieurs, pour vous entraîner à appliquer immédiatement les doctrines du libre-échange au commerce des céréales, on vous a particulièrement cité l'exemple de l'Angleterre qui, depuis un an environ, reçoit ses denrées au simple droit de fr. 0-43 par hectolitre (1 schilling par quarter), on vous a fait tout un cours de son histoire agricole.

En outre, un honorable député de notre métropole commerciale, de son côté, après vous avoir rappelé qu'en 1845, la chambre de commerce d'Anvers avait, à la vérité, demandé un droit modéré de 2 fr. (il négligeait les 38 centimes) par 100 kilogrammes de froment, c'était afin d'obtenir l'abolition de la loi de 1834, afin d'avoir des droits définitifs, de la stabilité...

« Anvers, disait-il, ne regarde pas à ce que le droit soit de 50 centimes ou de 2 francs. Ce qu'il lui faut, c'est la stabilité. » Et l'honorable membre déclarant qu'il votera dans ce sens ajoutait : qu'à raison du changement survenu dans la législation anglaise, qu'à raison de ce que tous ses ports nous étaient ouverts, il fallait descendre à un franc le droit plus élevé demandé en 1845.

Messieurs, la lettre de Robert Peel, que l'on a tant citée dans cette discussion, rappelle un fait qui me semble d'une grande importance dans l'histoire agricole de l'Angleterre : C'est qu'à égalité de faveur, quant à la qualité des terres, le produit peut aller de 18 ou 20 boisseaux par acre jusqu'à 40 (c'est-à-dire de 18 jusqu'à 36 hectolitres par hectare). Or, Robert Peel le dit, si les fermiers obtiennent ce résultat, c'est « non pas en forçant la production, mais par un système d'économie bien entendu, par l'exploitation d'un capital proportionné, en économisant avec soin la plus minutieuse particule d'engrais, en restituant à la terre son élément de fertilité que chaque récolte en tire; en un mot par l'application scientifique et entendue du travail. »

Eh bien ! messieurs, ces choses si essentielles pour se livrer avec succès à accroître la production du sol, le capital et (erratum, page 659) l'instruction, comment les fermiers anglais les ont-ils obtenues si ce n'est pas la protection dont ils ont joui pendant de si longues années? La couronne d'Angleterre, dans le discours d'ouverture du parlement, qui a eu lieu il y a deux jours, s'exprime ainsi :

« Sa Majesté éprouve une grande satisfaction à vous féliciter de l'amélioration qui s'est manifestée dans le commerce et les manufactures. C'est avec regret que Sa Majesté a remarqué les plaintes qui, dans plusieurs parties du royaume, ont été émises par les propriétaires et les tenanciers. »

MiR et M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Continuez ; lisez le paragraphe suivant.

M. Rousselle. - Je n'en ai pas plus besoin pour mon argumentation que M. le ministre de l'intérieur n'a eu besoin des rapports des commissions d'agriculture pour la sienne.

Attendons donc, messieurs, une expérience plus longue que celle d'une année, de la grande mesure adoptée en Angleterre pour apprécier ce qu'elle peut avoir d'applicable à la Belgique; et ne nous exposons pas à avoir aussi l'année prochaine à entendre des plaintes et à éprouver des regrets.

Si la proposition de la section centrale ou une autre dans le même sens, en réservant toutes les questions de principe, est adoptée par la chambre, nous posséderons, pour un avenir prochain, les plus puissants moyens d'appréciation : l'expérience de l'échelle mobile, celle du droit de cinquante centimes, celle d'un droit plus élevé, et enfin celle de l'épreuve hardie qui se tente en Angleterre.

Un mot maintenant sur les nombreux amendements proposés à la chambre et qui, dans l'esprit de leurs auteurs, tendent à établir une échelle mieux graduée des droits pour les différentes espèces de céréales, et à poser, en ce qui concerne le bétail, des règles que l'on regarde comme plus favorables que la proposition de la section centrale à l'engraissement du bétail et à l'intérêt des consommateurs. Il me paraît, messieurs, que si nous voulons sortir de la complication où nous sommes, si nous voulons que la discussion des détails de la loi ne prenne pas autant du temps que la discussion générale, il conviendrait de renvoyer tous les amendements à la section centrale, pour formuler un nouveau projet, après avoir décidé une seule question de principe : celle de savoir si la loi sera transitoire ou sans terme, parce que la loi devra recevoir une combinaison différente, selon l'une ou l'autre hypothèse.

La chambre comprendra pourquoi je me dispense de lui présenter d'autres développements que ceux consignés dans le rapport de la section centrale, au sujet du terme de la loi. Je n'ai pas fait partie de la majorité sur ce point, et je sacrifie mes convictions personnelles au devoir que j'ai eu à remplir envers la chambre.

M. le président. - J'ai omis de demander si l'amendement de M. Faignart était appuyé.

M. Faignart. - Je le retire.

M. Delehaye (pour une motion d’ordre). - D'après la résolution que !a chambre vient de prendre, la parole sera accordée aux auteurs des différents amendements qui ont été soumis.

Il va de soi que beaucoup de ces amendements se modifieront par suite du caractère définitif ou provisoire qui sera donnée la loi. Ne conviendrait-il pas par conséquent, en vue même de ces amendements, de voter d'abord sur le caractère de la loi et de laisser ensuite aux auteurs de ces amendements la faculté de les développer?

En agissant ainsi nous gagnerions beaucoup de temps et nous donnerions à chaque membre le moyen de se prononcer en parfaite connaissance de cause.

Vous comprenez, messieurs, que tel amendement, conçu dans le doute du caractère qui sera donné à la loi, pourrait être retiré ou modifié lorsque ce doute serait dissipé. Je demande donc que la chambre veuille statuer d'abord sur la question de savoir si la loi sera temporaire ou définitive, sauf à accorder ensuite la parole à ceux des auteurs d'amendements qui croiraient devoir les maintenir.

M. Dechamps. - La motion de l'honorable M. Delehaye me paraît contraire au règlement, qui exige que les auteurs d'amendements aient le droit de les développer immédiatement. Je crois qu'il est difficile, d'ailleurs, que la chambre procède par question de principe. Comment voter sur la question de savoir si la loi sera permanente ou provisoire, indépendamment du chiffre à fixer? Ainsi, par exemple, si l’on pose cette question : La loi sera-t-elle permanente ou provisoire? Evidemment la plupart des membres de la chambre seront dans la même position que moi; ils répondront qu'ils n'en savent rien; que cela dépend du chiffre que la chambre aura adopté. Pour ma part, je veux bien que la loi soit permanente, si l'on adopte le chiffre de 1 fr. 50; dans le cas contraire, je veux qu'elle reste provisoire. D'un autre côté, je reconnais qu'il est difficile de voter sur un chiffre isolé, indépendamment de la question de permanence ou de durée provisoire de la loi; ainsi, si l'on demandait à la chambre : Voulez-vous le chiffre de 1 fr. 50 c? on devrait également répondre : Je n'en sais rien ; cela dépend de la question de savoir si la loi sera permanente ou provisoire.

Dans cet état de choses, le seul moyen logique, le seul moyen rationnel, c'est de voter sur les amendements qui présentent un sens complet; je demande donc que la question de la durée de la loi et la question du chiffre soient posées simultanément ; l'amendement de M. de Binckum décide par la même disposition et la permanence de la loi et la question de chiffre : de cette manière la chambre sait ce qu'elle fait. Elle acceptera, ou elle repoussera le chiffre de fr. 1-50 , en tenant compte du caractère provisoire ou permanent de la loi.

En procédant ainsi, chacun pourra voter en connaissance de cause, toutes les conscience seront à l'aise, la liberté du vote ne sera pas entravée; mais si l'on procède par questions de principe ou si l'on vote sur des chiffres isolés, évidemment, le vote sera remis au hasard ; il n'y a ni liberté de vote ni franchise. Du reste, je le répète, le règlement à la main, on ne peut pas empêcher les auteurs des amendements de les développer.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'ai demandé la parole pour m'opposer à la proposition de l'honorable M. Dechamps. Il demande qu'on vote par proposition complexe le chiffre du droit et le caractère provisoire ou permanent de la loi. Cela est contraire au règlement; car la division serait demandée, elle serait de droit, elle ne pourrait pas être refusée; il est impossible de forcer de voter sur une proposition de cette nature.

M. de Theux. - La question de savoir de quelle manière le vote aura lieu est prématurée ; il faut d'abord laisser développer les amendements par leurs auteurs; ce ne sera qu'après que les amendements auront été développés qu'il y aura lieu de s'occuper de la manière de les soumettre au vote de la chambre.

M. Delfosse. - M. le ministre des finances a fait la proposition que je voulais présenter. Je renonce à la parole.

M. le président. - Il y a un amendement de M. Jullien qui propose de décider en principe avant toute tarification :

Que le droit qui sera perçu à l'entrée des produits alimentaires sera définitif; etc.

M. Delehaye. - Je n'insiste pas.

M. le président. - La chambre a décidé que les auteurs des amendements non développés et appuyés seraient admis à les développer, en restant dans les limites de leur proposition. Voici l'amendement nouveau proposé par M. Coomans : « Les droits de douane fixés par l'article premier, pour le froment et le seigle pourront être supprimés ou réduits par arrêté royal, quand la moyenne du prix du froment, d'après la mercuriale officielle, aura atteint 20 fr. par hectolitre. »

M. Coomans. - Avant de reprendre la parole pour développer mon amendement, je demanderai encore un erratum aux Annales parlementaires. (Interruption.) Je le ferai, messieurs, moins dans mon intérêt que dans celui de la dignité inviolable de cette assemblée. On m'a fait dire, au milieu du discours de l'honorable M. de Brouckere, que je ne reçois de leçons de personne.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Mais vous l'avez dit!

- Plusieurs voix. - Nous l'avons entendu !

M. Coomans. - Erreur, M. le ministre, vous ne l'avez pas entendu, car ce mot présomptueux n'est pas sorti de ma bouche, (Interruption.)

- Plusieurs membres. - Non ! non ! vous avez dit autre chose.

M. Coomans. - Je ne l'ai pas prononcé ; je n'ai pas pu le prononcer, car je n'ignore pas que je suis de ceux qui ont beaucoup à apprendre encore; surtout, je me serais gardé de le prononcer dans une assemblée (page 642) comme celle-ci, où j'apprends tous les jours des choses précieuses.

J'ai dit : Je ne reçois ici de leçons de convenance que de M. le président!

- Un grand nombre de membres. - Oui, Voilà ce que vous avez dit.

M. Coomans. - En effet, quoiqu'il y ait des bancs dans cette chambre, ce n'est pas à dire qu'elle forme une classe, qu'il y ait ici des maîtres et des élèves, et ici nous sommes tous égaux; nous représentons tous 40,000 compatriotes, et il n'y a au-dessus de nous que le règlement dont notre honorable président, nos trois honorables présidents sont la vibrante et, j'ajouterai, la fidèle image.

Messieurs, nos honorables adversaires prennent réellement le beau rôle, le rôle le plus agréable et le plus facile dans ce débat; ils ne raisonnent que dans ces deux hypothèses : ou la récolte a manquée et il y a disette, ou la récolte est d'une abondance extrême et tout est au mieux; puis ils prouvent éloquemment, bravement que l'abondance est un bien, que la disette est un mal, qu'ils aiment mieux l'abondance, et que nous sommes, nous, de grands coupables en n'étant pas de leur avis. Ils ne daignent pas même nous en croire quand nous disons aussi que l'abondance est un bienfait.

Ce n'est pas tout. On a été plus loin; l'honorable ministre de l'intérieur, dans le premier discours qu'il a prononcé, s'est permis de vous dire : « On nie les bienfaits de l'abondance; ce qui afflige les partisans de droits élevés, c'est précisément l'abondance; vous (vous c'est nous, messieurs) vous êtes nécessairement entraînés dans cette conclusion, que les récoltes abondantes sont un malheur pour le pays. » Plus loin, il a ajouté: « A l'absence de travail avait succédé l'absence d'aliments, la disette des pommes de terre, la mauvaise récolte qui suivit, les maladies exercèrent leur influence pernicieuse sur ces populations, et vous vous rappelez comment, même déjà avant le choléra, la moralité les frappait. Le choléra est venu depuis ; la crise financière a succédé à la crise alimentaire ; la crise politique à la crise financière. Mais il paraît, aux yeux de certains de nos adversaires, que ce n'était pas assez que tout cela : la crise financière, la crise politique, la disette, le typhus, le choléra ! il nous était réservé un dernier malheur, à leurs yeux, une dernière catastrophe, qui devait jeter le pays dans cette détresse où l'on se plaît à le dépeindre; il nous était réservé de passer... par quoi? Par une nouvelle disette? Non, messieurs; mais de passer par une année d'abondance. Voilà le comble des catastrophes; voilà le couronnement de tous les châtiments que la Providence semblait avoir réservés à notre pays! »

Oui, messieurs, c'est là que toute votre argumentation aboutit, là que votre opposition vous mène ; oui, messieurs, voilà les conséquences que vous êtes forcés de déduire des bienfaits d'une abondante récolte...

- Un membre. - A quoi bon nous lire cela ?

- Un autre membre. - Restez dans la question.

M. Coomans. Je suis au cœur de la question.

Mon amendement a pour but d'empêcher la disette de naître; par conséquent, je suis libre de prouver, vous me laisserez, je pense, la liberté de prouver que je ne suis pas un affameur du peuple. Oui, messieurs, c'est là l'incroyable langage tenu par M. le ministre pour nous rendre.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Le Moniteur est parfaitement exact ; je n'y ai pas un mot à changer.

M. Coomans. - Oui, il est exact, je le sais; mais je ne vous en fais pas mon compliment, M. le ministre.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je maintiens tout ce que j'ai dit.

M. Coomans. - Je le regrette pour vous, M. le ministre; car vous avez commis là la plus cruelle injustice que vous pussiez commettre à notre égard.

Messieurs, cette argumentation, je l'avoue, m'a blessé au cœur. De tout ce qu'on a dit dans cette enceinte, c'est la seule chose qui m'ait péniblement froissé. Eh quoi! nous présenter, nous, ou tout au moins nos idées comme tendant à souhaiter, à préparer le retour des catastrophes les plus épouvantables qui puissent frapper un peuple! Nous présenter , nous , comme redoutant l'abondance ! Nous, les organes fidèles des campagnes, ici, les défenseurs de plus de 3 millions de Belges, nous dépeindre sous ces couleurs odieuses, nous accuser d'appeler la disette ! Mais, messieurs, qui mieux que nous peut apprécier les bienfaits d'une année d'abondance ? N'est-ce pas à la campagne, dans l'humble chaumière qu'on entend sans cesse cette prière : Donnez-nous notre pain quotidien? Seraient-ils les amis de l'agriculture, seraient-ils des chrétiens ceux qui prononceraient tout haut ce vœu sacré, et qui, tout bas invoqueraient le génie du mal pour que son souffle vînt dessécher les récoltes en herbe ? N'est-ce pas le paysan qui inonde de ses sueurs le sillon qui produit notre pain, et dans quel intérêt infernal désirerait-il la famine ? Les cultivateurs savent que l'abondance est un grand bonheur; l'abondance produite par le travail national et sortie du sol national ; elle est un bien réel, parce qu'elle permet de donner du pain à ceux qui le produisent comme aux autres consommateurs, et parce que, alors, la faiblesse de prix est compensée exactement par la quantité plus grande de la récolte ; mais, ce que les cultivateurs, grands et petits, savent également, c'est que l'équilibre qui existe naturellement entre le prix et la quantité produite, est rompu par une importation anomale de blés exotiques. C'est la rupture de cet équilibre qui cause les souffrances dont nous nous plaignons

Eh ! qui donc de vous ou de nous, veut amener l'abondance dans le pays? Sont-ce vos doctrines ou les nôtres qui mènent à la famine ? Ce sont les vôtres. N'est-ce pas vous qui faites appel aux cultivateur étrangers, et qui découragez les travailleurs indigènes? N'cst-ce pas nous qui voulons que la Belgique cultive elle-même son pain, que tous ses champs fleurissent, que tous ses enfants travaillent, que toutes ses bruyères soient défrichées? C'est nous qui voulons l'abondance et qui sommes amis des riches récoltes et du progrès agricole ; nous qui désirons que la Belgique suffise à ses besoins, que les pauvres travailleurs, nos frères malheureux, produisent le pain du riche. Notre but, évidemment, est d'augmenter le rendement, tandis que le vôtre tend à remplacer la production intérieure par une autre, par la production française, allemande, russe ou américaine.

On a cru nous faire une objection accablante (interruption) en nous disant que nous voulions faire de la Belgique une sorte de campagne romaine, un désert protégé par la douane.

Je retourne cet exemple contre ceux qui l'ont imprudemment invoqué, et je vous rappelle, messieurs, que la campagne romaine était un magnifique jardin, alors que les vieux Romains cultivaient leur pays, alors que les Romains de la république (de la bonne, de celle d'il y a 2,000 ans), produisaient leur pain eux-mêmes. Quand la campagne romaine a-t-elle décliné, quand est-elle devenue une sorte de Campine? C'est après les importations anomales de blés étrangers, de blés siciliens et de blés africains. C'est lorsque les Romains se sont habitués à recevoir leur pain de l'étranger, qu'ils ont cessé de cultiver leur propre sol; se reposant sur l'étranger du soin de les nourrir, et sur les empereurs du soin de leur fournir le panem et circenses, et ils ont laissé les plaines fertiles de la Romagne se convertir en marais et en landes.

Je demande pardon à la chambre si je remonte aussi loin ; ce n'est pas ma faute si l'on m'a attiré sur ce terrain, et si j'ai dû suivre mes honorables adversaires, tantôt dans la vieille Egypte, tantôt au sein de la vieille Italie. Ils ont été chercher leurs arguments fort loin, faute d'en avoir sous la main.

Nous croyons, messieurs, que la Belgique ne produit pas assez de céréales; nous croyons qu'elle peut en produire davantage; qu'elle doit se suffire à elle-même, et, pour atteindre notre but, nous adoptons le chemin que vous suivez vous-mêmes lorsque vous voulez conduire les autres industries à la prospérité. Nous protégeons le travail national ; c'est exactement ce que vous faites. Nous sommes logiques; vous nagez dans l'arbitraire, vous avez deux poids et deux mesures, et nous pas.

La preuve, messieurs, que la protection est bonne vous a été fournie hier encore par l'honorable M. de Brouwer de Hogendorp. Cet honorable membre a constaté qu'il y a aujourd'hui une sorte de pléthore dans notre fabrication, que toutes les fabriques travaillent activement. Il n'a peut-être pas remarqué un fait cependant évident, c'est que la protection existe, qu'elle existe, pour l'industrie manufacturière, à l'état de prohibition.

Nous voulons également amener le progrès agricole et l'abondance par l'emploi du travail national sans cesse développé; nous voulons que la Belgique fasse ce que fait un bon père de famille, qui occupe ses propres enfants avant de recourir à des commis étrangers, et qui ne chasse pas ses enfants de chez lui, sous prétexte qu'ils sont moins habiles que des étrangers.

On a traité trop légèrement, messieurs, notre argument que l'agriculture est une industrie comme les autres, et que, sous le rapport de la protection il n'y a pas de distinction à faire. Après tout, on ne nous a pas démontré la grande différence qui existerait entre ces deux genres de travail. L'agriculture a ses capitaux et ses travailleurs tout comme l'industrie manufacturière a les siens; et s'il est vrai, s'il est incontestable que l'agriculteur paye une prime à l'industrie, n'est-il pas juste que l'industriel paye aussi quelque chose à l'agriculture? Chacun faisant un sacrifice égal, tout le monde prospérera.

L'honorable ministre de l'intérieur nous disait l'autre jour : Mais lorsque le fermier obtenait 35 fr. de l'hectolitre de grain, il empochait tranquillement ses bénéfices. Messieurs, la vérité est que le fermier se ruinait à vendre son froment à 35 fr. l'hectolitre. Le fermier a été plus malheureux dans les années de disette que dans les années d'abondance, et il le sera toujours, à cause du paupérisme qui pèse lourdement sur ses épaules.

Il ne faut pas avoir mis le pied à la campagne pendant les désastreuses années de 1845 et 1846, pour ne pas savoir combien tout le monde y souffrait, le fermier le premier. Qu'on ne vienne donc pas lui reprocher ces 35 fr. qu'il aurait mis tranquillement dans sa poche. Il n'était pas à l'aise, je vous l'assure. Pour être vrai, messieurs, disons que le bon marché est un bien, que l'avilissement est un mal. Le juste milieu, c'est le prix rémunérateur.

Messieurs, on a beaucoup plaisanté sur le prix rémunérateur. On nous a dit : Le prix rémunérateur, c'est du socialisme, c'est une utopie communiste, c'est une prétention absurde. Le gouvernement ne peut pas, vous ne pouvez pas garantir le prix rémunérateur. (Interruption.)

M. le président. - Ceci me semble étranger à l'amendement. J'engage l'honorable M. Coomans à se restreindre autant que possible.

M. Coomans. - Messieurs, le prix rémunérateur, selon moi, est le chiffre de 20 fr. environ qui se trouve dans mon amendement. Je suis donc dans la question, et je vous prie de ne pas m'interrompre. Je ne (page 643) suis pas aussi exercé dans l'improvisation que quelques-uns de mes interrupteurs.

Comme on a semblé ne pas comprendre notre idée quand 'nous avons demandé un prix rémunérateur, je désire l'expliquer. Je serai court, soyez tranquilles; je sais que vous avez hâte de terminer cette discussion et de voter la loi.

Sans doute, messieurs, vous ne pouvez pas garantir au paysan, pas plus qu'à tout autre ouvrier, un prix rémunérateur invariable; sans doute ce serait du socialisme, si vous admettiez que le fermier pût venir, à la fin de l'année, établir son compte devant M. le ministre des finances, et dire: J'ai vendu tant d'hectolitres à 19 fr., vous allez me suppléer un franc par hectolitre; tandis que M. le ministre pourrait dire au fermier, dans une autre circonstance : Vous avez vendu tant d'hectolitres à 21 fr., vous allez me payer, à moi, un franc par hectolitre.

Cela n'est pas possible évidemment et il est facile de plaisanter sur ses propres inventions. On répond à ce que nous n'avons pas dit et l'on ne souffle mot de nos arguments les plus solides.

Le prix rémunérateur dont nous parlons, c'est le prix que vous assurez, dans les limites du possible, aux industriels par l'octroi de la douane, par ce bouclier protecteur que vous refusez à l'agriculture. Certes, il serait désirable que nous pussions arriver à un prix rémunérateur pour tous les travailleurs nationaux, comme pour les fonctionnaires. Ne le pouvant assurer à l'agriculteur d'une manière certaine et fixe, il convient de s'en rapprocher autant que faire se peut, et d'employer en sa faveur les moyens que vous trouvez bons pour l'industrie et le commerce, moyens que vous maintenez soigneusement, en dépit de votre enthousiasme stérile pour le libre-échange.

L'honorable ministre de l'intérieur nous a dit dix fois dans cette discussion qu'il n'entrait pas de céréales en Belgique.

Il nous a énuméré fort longuement les exportations ; il les a même converties en valeurs monétaires dans des tableaux que j'ai sous les yeux. Mais l'honorable ministre ne nous a pas donné la contrepartie de ces calculs, pas plus que les rapports des autorités agricoles. Il ne nous a pas donné les importations de 1849.

Or, en présence de la déclaration de M. le ministre qu'il n'entre pas de céréales en Belgique, ne serez-vous pas étonnés quand je vous dirai (et je suis à même de le prouver) que les importations de céréales ont excédé les exportations? Les importations en masse de céréales ont excédé de plusieurs millions de francs le chiffre des exportations. Mais pour faire la partie belle à M. le ministre... (Interruption.)

- Plusieurs membres. - A la question !

M. Coomans. - Je ne parlerai que du froment et du seigle. Or, voici à cet égard la vérité : l'année dernière les exportations se sont élevés au chiffre de 56 millions pour ces deux espèces de grains; les importations ont monté au chiffre de 53 millions : différence, 3 millions en faveur des exportations.

Mais il a été reconnu dans cette discussion qu'une assez forte quantité de grains a été déclarée en consommation pour en faciliter le transit. J'en ai d'ailleurs la preuve en mains. Beaucoup de négociants ont agi ainsi pour pouvoir disposer plus librement de leurs marchandises. Or, si vous supposez que 1,500,000 kilog. seulement ont été déclarés en consommation, alors qu'ils étaient destinés au transit (et je connais un négociant qui en a transité au moins autant pour sa part, après avoir acquitté le droit de 50 centimes), vous arrivez à un équilibre complet; vous arrivez à ce résultat que les importations ont égalé les exportations. Pourquoi donc vient-on nous dire que les importations ont été insignifiantes, alors qu'on attache tant d'importance aux exportations?

Que deviennent alors ces chiffres qu'on a fait sonner si haut? Que devient ce vaste marché de l'Angleterre qui nous a ouvert ses ports et qui devait favoriser notre prospérité agricole? Tous les bienfaits du commerce d'exportation, bienfaits évidents et dont aucun de nous ne voudrait priver le pays, sont ainsi détruits ou du moins atténues par les importations.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vos chiffres sont erronés. Vous comprenez l'orge dans vos calculs.

M. Coomans. - Pas le moins du monde, M. le ministre. J'y comprends le froment et le seigle seulement. Si mes calculs sont erronés, c'est la faute de l'honorable ministre des finances, qui me les a fournis par la voie du Moniteur. Mais voici peut-être en quoi je dois compléter mes chiffres. Il est vrai que les importations en froment ont été moindres que les exportations, mais l'équilibre a été rétabli par les importations de seigle qui ont été très considérables. En somme, il nous a été apporté plus de céréales, en quantité et en valeur, que nous n'en avons exporté.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il a été exporté 54 millions de kil. de froment, et il en a été importé 38 millions.

M. Coomans. - Et le seigle, n'est-ce pas du grain aussi? J'ai vos chiffres sous les yeux. S'ils sont inexacts, je m'en lave les mains, mais je les crois exacts.

- Plusieurs membres. - Allez ! ne vous laissez pas arrêter.

M. Coomans. - Messieurs, je passe sur beaucoup d'observations que je complais avoir l'honneur de soumettre à la chambre. Je tiens compte de sa fatigue et de la mienne. Cependant je dois répondre un mot à l'honorable ministre, qui a la prétention de faire considérer la protection qu'il accorde à l'agriculture comme compensant tout à fait la protection douanière qu'il lui refuse. Sur ce point, j'abonde dans le sens des bonnes observations de M. Faignart.

Je ne nie pas la sympathie de l'honorable ministre de l'intérieur pour l’agriculture; j'y crois assurément; mais je la trouve inefficace et je désire qu'il ne se fasse pas illusion sur ses tentatives pour satisfaire les campagnes, pour leur faire oublier qu'elles sont mises hors le droit commun, qui est la protection douanière pour le reste du pays : toutes ses démonstrations en faveur de l'agriculture n'augmentent pas sensiblement son bien-être; il lui faut autre chose que de grandes phrases et de petits faits. C'est ce qu'un cultivateur me disait dernièrement d'une manière très originale et très énergique : Le gouvernement, disait-il, dore la selle et les brides du cheval agricole, mais il lui retire l'avoine; ce n'est pas le moyen de le faire marcher longtemps et d'en retirer beaucoup de services.

Messieurs, j'aurais désiré répondre quelques mots à un discours assez vif que l'honorable M. de Brouckere a prononcé contre moi. (Interruption.)

M. le président. - En ce qui concerne l'amendement.

M. Coomans. — Le beau idéal de l'économie politique, a dit l’honorable M. de Brouckere, c'est la gratuité. (Interruption.) Tous les dons de la Providence, a-t-il dit, sont gratuits, et les gouvernements doivent tâcher d'imiter cet exemple. Messieurs, c'est encore là une belle utopie. (Interruption.)

- Plusieurs membres. - Laissez parler !

- D'autres membres . - Non ! non ! Aux voix !

M. Cans. - Je demande la parole pour un rappel au règlement.

La chambre vient de clore la discussion générale, et de décider que la parole sera encore accordée aux membres qui ont des amendements à développer. La chambre, en prenant cette résolution, n'a pas entendu retirer la parole à tous les orateurs inscrits pour la donner à l'honorable M. Coomans qui n'a fait jusqu'à présent que répondre aux discours de MM. les ministres, et qui s'apprête à répondre à l'honorable M. de Brouckere.

M. le président. - Tout ce qui se rattache au chiffre de 20 fr., toutes les considérations que M. Coomans veut faire valoir relativement à ce chiffre, qu'il considère comme le prix rémunérateur, rentre dans l'amendement, et par conséquent la parole lui est continuée.

M. Coomans. - Mon sous-amendement est à peu près la loi tout entière. En établissant un droit au-dessus de 20 fr., il répond à ce reproche continuel qu'on nous a fait de vouloir affamer le peuple. Puisque le mot « famine » rentre dans le cercle de mon amendement, j'ai certes le droit de dire ici que ceux qui nous appellent encore affameurs du peuple, m'autoriseront à les appeler, eux, abuseurs du peuple! Ma récrimination sera plus juste que leur accusation, car on a bourré l'opinion publique de préjugés contre nous.

M. le président. - J'engage l'honorable M. Coomans à se renfermer dans les développements de son amendement.

- Plusieurs membres. - Laissez-donc parler l'orateur !

- D'autres membres . - Non, non, finissons aujourd'hui.

M. Coomans. - Je renonce à la parole. Je ne veux pas lutter plus longtemps contre les interruptions systématiques d'une partie de la chambre.

M. le président. - L'amendement de M. Coomans est-il appuyé?

M. Coomans. - Je le retire, puisqu'on ne m'en laisse pas expliquer le sens et la portée.

M. le président. - Nous avons maintenant l'amendement de M. Mascart.

M. Mascart. - Je le retire.

M. le président. - Vient alors l'amendement de M. Mercier. Il est ainsi conçu :

« Je demande de fixer au 1er mars 1851 le terme du 31 décembre 1850 proposé par la section centrale. » La parole est à M. Mercier pour développer cet amendement.

M. Mercier. - Messieurs, la loi provisoire, telle qu'elle est présentée par le gouvernement et par la section centrale, ne doit avoir de durée que jusqu'au 31 décembre prochain, c'est-à-dire de 10 mois et demi seulement. Ce serait trop peu pour acquérir une expérience suffisante des effets d'un nouveau droit. J'ai présenté un amendement qui a pour objet de prolonger cette durée jusqu'au 28 février 1851, ce qui permettra d'ailleurs de discuter à loisir une législation définitive dans la prochaine session.

M. le président. - Nous avons maintenant l'amendement de M. de Mérode, qui se rattache exclusivement au droit sur l’orge. Il est ainsi conçu :

« Je propose d'établir sur l'orge un droit de 80 centimes par 100 kilogrammes. »

La parole est à M. de Mérode pour développer cet amendement.

M. de Mérode. - Si on n'est pas libre de donner complétement les motifs d'une proposition, tels qu'on les entend, j'aime mieux renoncer à mon amendement.

M. le président. - La chambre a décidé que les amendements pouvaient être développés dans les limites que leurs auteurs y ont assignées en les rédigeant. Dans l'amendement de M. de Mérode, il ne s'agit évidemment que de l'orge.

M. de Mérode. - Je vois qu'on est trop limité dans ses développements. Je renonce à mon amendement.

(page 644) M. le président. - Voici l'amendement de M. Sinave :

Rédiger de la manière suivante l'article premier du projet de la section centrale :

« A partir du 15 février 1850, jusques et y compris le 31 décembre 1854, le froment, le seigle, l'avoine, le sarrasin, le maïs, les vesces, les pois, l'orge et les graines oléagineuses, à l'exception de la graine de lin à semer, seront soumis à l'entrée à un droit d'un franc, et les farines à un droit de quatre francs cinquante centimes les cent kilogrammes.

« Le gouvernement pourra, pendant le terme fixé, réduire jusqu'à cinquante pour cent les droits à l'entrée, soit partiellement soit sur tous les articles spécifiés ci-dessus, avec l'obligation de soumettre la loi à un nouvel examen des chambres à la session suivante. »

M. Sinave. - Permettez-moi d'adresser un mot aux libre-échangistes. Dans aucune discussion précédente, on ne s'est tant occupé du libre-échange. On a émis des opinions très divergentes sur la théorie de ce nouveau système. Quant à moi, je crois que tous nous admettons ce principe comme le seul vrai, mais que nous cessons d'être d'accord sur l'opportunité de son application. Les plus ardents partisans de cette école sont forcés de convenir que cette question est loin d'approcher d'une bonne solution. On cite pour modèle l'Angleterre, et avec complaisance ses grands hommes d'Etat. C'est, en vérité, peu connaître ces hommes; tous indistinctement professent le plus audacieux machiavélisme. Le gouvernement d'Angleterre est, sans contredit, le plus injuste, le plus égoïste et le plus spoliateur quant aux intérêts matériels de tous les peuples, tour à tour victimes de sa politique.

Cependant on admire avec enthousiasme ses tendances libérales. Mais pour y croire il faut avoir oublié l'histoire, ses pirateries en pleine paix, et surtout ce qui s'est accompli de nos jours. L'Angleterre est parvenue après plus d'un siècle de convoitise, à assouvir son insatiable ambition en profitant avec une rare habileté et une persévérance de tous les événements favorables, et de toutes les vicissitudes politiques qui accablent périodiquement le continent européen, pour compléter le monopole du commerce universel; elle s'est emparée, et elle occupe actuellement plus de cent Gibraltars sur les divers points des deux hémisphères, sans que l'Europe ait eu l'énergie de jeter un seul cri d'alarme pour se soustraire à son emprisonnement.

Le Léopard tient aujourd'hui dans ses griffes sa belle proie, c'est dorénavant son domaine. Gare à nous d'y toucher!

La mitraille de mille vaisseaux de haut-bord d'Angleterre a victorieusement résolu le problème : Le trident de Neptune est le sceptre du monde.

Qu'on veuille remarquer avec quel dédain, avec quel ironique persiflage et sans la moindre pudeur, l'Angleterre humilie maintenant le continent, en présence de ces faits accomplis. Viennent après cela les savants en économie politique, avec un imperturbable aplomb, prôner à leur tribune que la chétive Belgique est de taille à se mesurer dans la lutte du libre-échange en tout et pour tout. Non, jamais! Tant que l'hydre dominera, la lutte sera de toute impossibilité.

La France est une grande nation; elle aussi suit avec constance, depuis soixante années, un système qu'aucune de ses révolutions n'a pu ébranler, et le jour où elle cédera aux obsessions incessantes de l'Angleterre sera celui de sa décadence et de sa ruine.

Je suis loin d'approuver la direction que depuis 1830 le gouvernement a donnée aux intérêts matériels du pays. Néanmoins j'approuve beaucoup la grande prudence du ministère actuel dans la solution à donner de la question du libre-échange.

Lors de la discussion sur la prorogation de la loi qui nous occupe, j'ai voté pour les motifs que j'ai fait valoir contre le projet de loi de la section centrale.

Si le projet de loi de la section centrale, que nous discutons en ce moment, ne reçoit aucune modification je voterai encore dans le même sens, parce qu'elle propose un droit isolé sur les denrées alimentaires. S'il est vrai qu'une protection quelconque est nécessaire à l'agriculture, mon opinion est qu'elle doit comprendre certains autres produits du sol. Dans cette intention, j'ai déposé un amendement.

La section centrale propose la loi pour le terme d'une année. Cette instabilité dans nos lois a des conséquences déplorables; elle constate l'absence de tout système; elle détruit toute confiance; elle paralyse les transactions commerciales ; elle donne à l'agriculture une continuelle inquiétude; il ne peut convenir au pays de renouveler annuellement cette discussion.

Je ne citerai que la loi de 1848. Le gouvernement avait proposé à la chambre le renouvellement de la loi précédente pour une année ; la chambre avait repoussé cette proposition, et elle a adopté la loi de.50 cent, de 1849.

Le gouvernement demande aujourd'hui le renouvellement de celle-ci. Les sections renient leur propre ouvrage, et la section centrale exige le droit d'un franc. Le gouvernement et la chambre semblent être d'accord que ce droit est très modéré. Il ne paraît y avoir de dissidence que sur une certaine stabilité à donner à la loi. Je propose, par mon amendement, de fixer le terme à cinq années, en laissant au gouvernement le pouvoir de réduire le droit de la moitié.

Plusieurs orateurs ont observé qu'au droit même d'un franc les 100 k., il convenait d'établir une gradation dans le droit entre le froment et les autres articles imposés. S'il était question d'admettre un droit plus élevé, je partagerais cette opinion. Mais le droit proposé est tellement minime qu'il est tout à fait inutile d'établir la moindre différence, on le comprendrait encore si le droit était établi par mesure, l'hectolitre; le poids comparativement avec la mesure établirait alors une notable différence entre le froment qui pèse 80 kil. et les autres articles qui sont d'un poids beaucoup inférieur par hectolitre.

J'admets le droit d'un franc indistinctement pour tous les articles; mais pour être conséquent, on ne devrait pas se borner à frapper la partie la moins populaire des denrées alimentaires comme on a fait jusqu'à présent, on devrait étendre le même droit protecteur modéré aux autres produits agricoles, tels que les graines oléagineuses, dont il faudrait excepter pourtant la graine de lin à semer.

Je ne conçois point le motif pour lequel on a mis tant d'acharnement à maintenir une pareille distinction, d'autant plus qu'elle semble donner prise à ceux qui veulent en profiter pour accréditer cette opinion vulgaire, qu'on veut frapper d'un droit le pain du peuple. S'il est utile de protéger l'agriculture, quelle peut être la raison pour laquelle on s'est arrêté exclusivement aux seules denrées alimentaires ? Veut-on prétendre, par hasard, que les autres produits agricoles ne méritent pas la même sollicitude? Si cela était, on se méprendrait singulièrement.

Il me semble, au contraire, qu'il faut, par tous les moyens possibles, engager le cultivateur à diviser ses risques, c'est-à-dire à varier ses produits. La culture de la graine de lin, du colza, du chanvre et des autres graines grasses est de la plus haute importance ; elle est d'un bon rapport, mais elle exige plus de main-d'œuvre et est la plus capricieuse de tous les produits agricoles; car, d'abord, la cultivateur se voit souvent, après avoir fait tous les frais, exposé à perdre une récolte sur trois, ensuite la rotation dans la culture exige un terme de cinq à sept années.

En présence de ces faits, on conviendra qu'un droit à l'entrée d'un franc par cent kilogrammes sur les graines grasses est infiniment plus rationnel, que d'ailleurs un pareil droit pourra rester permanent, tandis que celui sur les denrées alimentaires disparaîtra à la plus légère atteinte défavorable portée à la récolte. Il y a un grand nombre de protectionnistes qui prétendent qu'il faut mettre un droit élevé à la sortie du lin peigné, parce que c'est une matière première pour la fabrication. C'est là encore une grave erreur ; ce serait restreindre la culture du lin, qu'il faut au contraire protéger de toute manière.

Si l'on met un droit à l'entrée sur les graines grasses, on assure au cultivateur un placement immédiat et plus certain de la graine dont il ne peut plus se servir pour semence, et on lui procure en même temps les moyens d'acheter la graine à semer de Riga, qui lui est indispensable, et dont un plus général usage aurait pour résultat une production infiniment plus abondante et une qualité bien supérieure pour la fabrication des toiles. Tout en demandant le droit d'un franc sur les graines grasses à l'entrée, je demande au gouvernement de proposer à la chambre la suppression totale des droits à la sortie. Si la chambre persiste à exiger isolement un droit à l'entrée sur les denrées alimentaires à l'exclusion de celui sur les autres produits, je ne saurais m'associer à une pareille mesure, je voterai contre toutes les propositions.

Je propose par mon amendement de fixer le droit à l'entrée sur les farines à 4 francs 50 centimes. D’un côté c'est en vue de protéger le travail national et en même temps pour éloigner de nos ports les farines étrangères qui malheureusement sont pour la plupart confectionnées avec des céréales de mauvaises qualités ou avarices qu'on peut livrer à la consommation à des prix très réduits.

Ainsi avec un droit modéré bien moindre que ceux proposés par plusieurs membres, il est facile de voir qu'on obtiendrait une protection plus étendue pour l'agriculture et une recette plus élevée.

Quant à moi, je ne considère pas le droit d'un franc comme une protection efficace pour l'agriculture, mais comme un frein, un faible obstacle à l'introduction dans le pays des denrées avariées qui viennent faire une rude concurrence à nos produits et servent de nourriture malsaine à nos classes peu aisées. Vous savez que les consommateurs d'Angleterre et ceux des autres pays repoussent les denrées avariées et que c'est vers la Belgique qu'on les dirige de préférence.

On a affirmé dernièrement que la Belgique est le pays le plus riche du monde. Cependant la richesse recherche, l'aisance dans toutes les classes de la société. Rien ne le prouve chez nous. Le Belge, en général, est très peu soigneux pour sa nourriture, principalement dans les Flandres. Je n'en rechercherai pas la cause; il l'est même moins que le nègre. Le Javanais, par exemple, conserve son meilleur riz pour sa consommation, il ne s'en dessaisit à aucun prix. Il n'en est pas ainsi chez nous : examinez le tableau de nos importations et de nos exportations; nous recevons en général de l'étranger des céréales de très médiocre qualité er avariées, tandis que nous exportons nos meilleur produits. C'est le contraire en Angleterre, là on exige en toutes choses la toute première qualité ; les Anglais achètent nos premières qualités de froment blanc sur nos marchés au prix de 18 fr. 50 c. l'hectolitre de 80 kilogrammes, et nous, nous achetons des froments étrangers de 7 à 12 fr. selon le degré d'avarie.

Comme ce que je crains pour notre agriculture, ce n'est pas tant la concurrence des denrées étrangères bonnes et saines que celle des qualités inférieures ou avariées, je voudrais voir mettre en pratique une mesure convenable pour éloigner celles-ci de nos marchés, ou tout au moins de les rendre impropres à l’usage de l'homme. Quant à moi, je ne connais d'autres moyens que l’établissement d'un droit à l'entrée.

Combien n'est-il pas erroné de prétendre, comme plusieurs orateurs l'ont fait, qu'un droit modéré d'un franc détermine une charge énorme pour le consommateur! Car il faudrait en conclure que les calculs sont chimériques, que l'Angleterre ne connaissant pas ses intérêts poserait (page 645) gratuitement un prix plus élevé de cinq à six francs par hectolitre pour ne consommer que la première qualité.

La province de Luxembourg se plaint de la position isolée où elle a été laissée jusqu'à présent et demande avec la plus vive instance une voie de communication pour le transport à bon marché, en vue de faire écouler l'excédant des produits agricoles vers le centre de la Belgique. Pour constater la position désavantageuse de l'agriculture dans cette localité, on a eu recours à la cote officielle des prix des froments à Arlon, en les comparant à ceux du marché de Namur. En effet, il existe dans cette dernière ville une différence permanente en plus de trois francs par hectolitre. Ainsi le jour où cette voie de communication serait établie, le prix du froment augmenterait dans le Luxembourg; mais d'après l'opinion émise par nos savants en économie politique, ce serait aux dépens du consommateur du Luxembourg.

Un honorable membre a émis l'opinion qu'il faut bien se garder de mettre un droit sur les céréales, que ce serait se priver du moyen de voir établir par le commerce des dépôts permanents de céréales dans le pays, qui pourraient, au besoin, prévenir les disettes éventuelles. Je crois qu'un droit quelconque ne pourrait avoir la moindre influence, que, d'ailleurs, de nos jours, avec la facilité des communications, on pourrait s'approvisionner de l'Amérique du nord endéans le mois ; ainsi les disettes ne sont plus à craindre. Il peut arriver qu'on payera un peu plus ou un peu moins, voilà tout. Les récoltes ne manquent jamais sur tous les points du globe qui, aujourd'hui, est à portée des consommateurs. Pour ce motif, dans aucun cas, il ne peut encore surgir de ces dépôts permanents, et d'ailleurs, parce qu'il en coûte plus de douze pour cent du capital pour garder pendant une année des céréales en magasin, on verra, par continuation, ce qu'on a vu depuis longtemps; il y aura parfois des quantités en entrepôt plus ou moins fortes, surtout quand les prix sont momentanément avilis, mais ces dépôts disparaissent bien vite pour aller trouver un meilleur débouché, et on ne les gardera pas en magasin dans la prévision d'une récolte manquée. Si l'on croit utiles les dépôts permanents de céréales dans toutes les villes du pays de quelque importance , sans qu'il en coûte au trésor, rien n'est aussi facile ; on n'a qu'à suivre le régime en usage à Paris.

La production des céréales en Angleterre, malgré tous les efforts qu'on mettra en usage, ne pourra plus suffire aux besoins de la population toujours croissante; il ne faut donc plus s'étonner de la mesure que l'Angleterre a été forcée de prendre, quel que soit l'inconvénient qui en résultera pour elle. Heureusement il en est tout autrement de la Belgique où, avec quelques mesures énergiques, on parviendra, et pour bien longtemps encore à se suffire à soi-même.

On est d'accord que les propriétaires doivent employer tous leurs moyens pour obtenir du sol une plus abondante production ; on ne doit pas se dissimuler qu'on ne peut pas attendre d'une protection quelconque le moyen d'équilibrer notre production avec le besoin de la consommation dès qu'on est exposé à avoir un manquant ; il s'ensuit que la protection ne pourra être permanente et qu'elle disparaîtra au moindre déficit dans la récolte. C'est aux propriétaires à bien se pénétrer de cette vérité. Ce qui manque pour obtenir le bienfait d'une production plus forte, c'est d'abord le capital à un intérêt modéré de deux pour cent, c'est donc un crédit agricole qui manque pour améliorer l'agriculture et pour défricher les terrains incultes ; c'est ensuite l'engrais à un prix convenable. Lors de la session dernière, j'avais déjà fixé l'attention du gouvernement sur ce besoin, en indiquant le moyen de se procurer directement du lieu de provenance un engrais extrêmement précieux et dont l'immense résultat, à l'exception de la Flandre occidentale, est presque totalement inconnu dans les autres provinces. Il ne paraît pas que ma demande ait été prise jusqu'à présent en considération par le gouvernement.

M. le président. - Il y a maintenant un amendement présenté par MM. Delehaye et Alph. Vandenpeereboom ; il est ainsi conçu :

« Bœufs, etc., comme au tarif.

« Veaux pesant plus de 30 et moins de 75 kilogrammes, par kilogramme, poids brut, quatre centimes.

« Le reste comme au tarif du 31 décembre 1835. »

M. Delehaye. - Messieurs, la section centrale propose de substituer, pour le bétail, le droit au poids au droit par tête. Dans les développements que j'ai eu l'honneur de soumettre à la chambre, je lui ai fait remarquer que l'un des griefs de l'agriculture était le peu de protection dont elle jouissait pour l'élève du bétail, et le manque de bétail, que l'on peut envisager comme matière première. Par ma proposition, j'attire dans le pays la plus grande quantité possible de jeune bétail; j'admets le bétail qui ne pèse pas 15 kilog. ; le droit que nous proposons est un droit tout à fait minime; ce droit est fixé à 4 c; par suite de la convention faite avec la Hollande, ce droit est réduit à 5 c. par kilog. Je dois faire remarquer que la proposition tombe dans les dispositions de l'amendement de l'honorable M. Jullien, avec lequel elle concorde parfaitement; par là nous donnerons à l'agriculture une protection qui lui manque aujourd’hui.

Messieurs, je me renfermerai dans les limites tracées par votre résolution. J'aurais voulu répondre un mot à ce qui a été dit relativement à la perception de la taxe sur la farine de froment admise dans le chef-lieu du district qui m'a élu.

On a dit que Gans percevait percevait annuellement 400,000 francs de ce chef, c'est une erreur : la somme n'atteint guère que la moitié. Puisqu’il ne m'est pas permis de répondre aujourd'hui aux reproches adressés à la ville où je remplis des fonctions communales, je prouverai que l'emploi qui est fait des sommes perçues de ce chef justifie amplement le maintien de la taxe.

M. le président. - Voici l'amendement qui a été présenté par M. de Haerne :

« A dater du 15 février prochain, il sera perçu, par chaque cent kilogrammes, un droit, de douane de 6 fr. sur les farines de froment et de 4 fr. sur les farines de seigle. »

M. de Haerne. - Messieurs, je serais désolé d'abuser des moments de la chambre qui doit être impatiente de clore, après une si longue discussion. J'ai bien l'intention de me borner aux développements qu'exige la pensée déposée dans mon amendement, et d'entrer le moins possible dans des détails étrangers à cet amendement.

Messieurs, vous avez remarqué d'abord que mon amendement a un but complexe; il ne tend pas seulement à favoriser l'agriculture, mais il a encore pour objet de protéger une industrie très importante dans le pays, l'industrie de la mouture. Je crois pouvoir invoquer à cet égard, outre l'autorité des protectionnistes agricoles, les arguments qui ont été avancés à plusieurs reprises dans cette discussion par un grand nombre d'honorables membres qui pensent ne pas pouvoir favoriser par un droit quelconque l'agriculture, mais qui réservent toutes les faveurs du tarif pour l'industrie.

Je comprends, puisqu'il s'agit de protection, que j'aie à combattre le libre-échange. Evidemment, les libre-échangistes de toutes les nuances, ceux qui acceptent le système d'une manière absolue, et ceux qui l'acceptent d'une manière restreinte, ceux qui admettent le libre échange en dehors des traités, et ceux qui n'en veulent pas même dans les limites des traités (ces derniers sont rares, je l'avoue) doivent s'opposer à mon amendement. (Interruption.)

Comme je viens de le dire, je ne veux pas entrer dans des détails étrangers à mon amendement, mais si la chambre voulait me le permettre, je lui présenterais une seule observation à l'égard du libre-échange que je dois combattre dans l'intérêt de la proposition que j'ai eu l'honneur de vous soumettre.

Messieurs, il me semble que le libre-échange qui respecte les traités est le plus dangereux, en ce qu'il défend nos grandes industries pour le moment, afin de les compromettre d'autant plus sûrement dans l'avenir. Je dirai à mes honorables adversaires qui embrassent cette opinion : Vous admettez la liberté, tant pour l'agriculture que pour l'industrie, en dehors des traités, et vous voulez introduire cette liberté autant qu'il est en votre pouvoir. Eh bien, permettez-moi de poser un seul cas qui se rapporte à notre législation et qui suffira pour faire voir que votre système de libre-échange conduit à ce qu'il y a de plus fatal pour nos grands intérêts, à un bouleversement complet de ces intérêts.

Nous avons un traité international des plus importants pour les intérêts belges : c'est le traité qui a été conclu entre la Belgique et la France et qui expire dans deux ans; alors vous aurez les coudées franches pour appliquer le libre-échange. Dans ce système, qu'arrivera-t-il? Il arrivera que vous ne pourrez maintenir les droits que la France nous a obligés d'adopter pour les fils et les toiles de lin, vis-à-vis de l'Angleterre, droits qui sont très élevés et que je trouverais moi-même trop élevés, s'ils ne nous étaient pas imposés par nos relations avec la France. D'un autre côté, le libre-échange vous défendra aussi d'élever les droits actuels sur les vins, les soies, les laines qui nous arrivent de la France.

Vous devrez donc abaisser alors les droits qui, en vertu du traité franco-belge, frappent les fils et les toiles de lin à la frontière de Belgique.

Eh bien, du moment que vous proclamez ces principes, vous ne pouvez plus traiter avec la France, à moins de prendre d'autres bases et de renoncer aux droits différentiels, à la faveur différentielle dont jouissent nos toiles et nos fils en France.

Le libre-échange, qui vous défend de renforcer les tarifs, vous empêchera de retirer à la France la faveur que nous avons stipulée pour ses vins, ses soieries, ses lainages. Mais comme il serait par trop absurde d'accorder cette faveur sans compensation, la France vous en présentera une, en concédant de nouveaux avantages pour nos matières premières, pour nos houilles et nos fers bruts qu'elle a intérêt à recevoir.

Cela nous conduira nécessairement à une division profonde entre les intérêts de nos provinces manufacturières et ceux des provinces dont les principales richesses sont dans les mines. Il faudra faire des concessions à la France pour en obtenir des concessions. La France ne demandera pas mieux que de recevoir nos matières premières à bon compte et de renoncer à vos produits fabriqués; elle vous fera des faveurs pour vos fers, vos houilles, vos matières premières dont elle a besoin, et vous continuerez le traitement favorable dont jouissant chez nous les principaux produits français.

Voilà quelle sera nécessairement le résultat de votre système libre-échangiste, si vous voulez rester conséquents avec vous-mêmes.

D'après notre système protectionniste, au contraire, nous pourrions sans inconséquence maintenir les droits adoptés vis-à-vis de l'Angleterre, nous pourrions rétablir l'ancien tarif sur les produits français. Et remarquez, messieurs, que cette rigueur de tarif n'a pour but de notre part d'arriver à des réductions réciproques et d'amener un libre-échange de nation à nation, libre-échange basé sur l'égalité, et qui est une bonne et heureuse conception, un des plus beaux progrès de la civilisation.

Le libre-échange, entendu de cette manière et amené par ces moyens, est dans mes vœux, non seulement à l'égard de la France, mais à l'égard des autres pays. Si ce beau rêve venait à se réaliser, je ne dis pas (page 646) qu'il n'y aurait pas de nations sacrifiées, qu'il n'y aurait pas de victimes ou de dupes, mais je pense qu'au total la Belgique aurait à gagner à ce système de liberté réciproque.

De cette manière, nous pourrions tenir d'une main ferme la balance de la justice et de l'équité entre les divers intérêts du pays.

Je conçois que quelques-uns de nos honorables adversaires nous disent: Nous voulons le libre-échange en tout, même pour les fers et les houilles. Je conçois ce langage; car enfin, d'après la position qui nous est faite par le traité français, la liberté commerciale absolue doit nécessairement tourner à l'avantage des industries de la houille et du fer.

D'un autre côté, les concessions que vous fera la France seront au détriment des fabricats du pays, au détriment des filatures, au détriment du tissage; c'est une conséquence inévitable, à moins que vous ne renonciez au système de libre-échange.

Messieurs, on a dit que la protection était le masque de la prohibition. Je proteste contre cette assertion. Si je ne craignais de prononcer un mot peu parlementaire, je dirais que le libre-échange est le masque d'intérêts locaux, d'intérêts particuliers, le masque d'un protection déguisée, le mot « masque » n'est pas parlementaire , j'en conviens ; il ne m'appartient pas; je le restitue à son auteur; mais je dirai alors que le libre-échange est le bouclier de certains intérêts locaux, de certains intérêts particuliers. Cela, je pense est parlementaire.

Messieurs, j'avais besoin de développer cet argument en faveur de mon amendement, car ce sont ces conséquences pratiques du libre-échange qui en font voir tout le danger dans ses applications à nos intérêts en général et à celui que mon amendement a pour objet en particulier.

Je demande un droit de 6 fr. pour la farine de froment et un droit de 4 fr. pour la farine de seigle. Je l'ai déjà dit, ce n'est pas seulement l'intérêt de l'agriculture que j'invoque, mais encore l'intérêt d'une industrie dont les nombreux établissements de tout genre, grands et petits, méritent toute notre sollicitude. C'est déjà là un point très important. Mais il y en a un autre qui vous touchera peut-être davantage ; c'est la santé publique, que j'invoquerai encore à l'appui de mon amendement. La plupart des farines importées dans le pays sont des farines falsifiées. Vous savez qu'on ne craint pas de mêler aux farines les substances les plus malsaines, on va jusqu'à mêler une quantité de craie à cet aliment qu'on jette au malheureux peuple.

- Un membre. - Cela se fait bien dans les campagnes.

M. de Haerne. - Je signale ce méfait; si on le commet dans le pays, je demande qu'on le réprime; mais je ne veux pas qu'on laisse venir de telles farines de l'étranger. Encore un mot ; je n'abuserai pas de la patience de la chambre. Si le chiffre que j'ai l'honneur de proposer vous paraît un peu élevé, je vous dirai, messieurs, que j'ai eu un motif autre que ceux que je viens d'indiquer pour m'y arrêter ; c'est qu'en fait de traités et particulièrement pour celui auquel j'ai fait allusion, il faut se ménager des moyens de négociation, si on veut arriver à des résultats heureux ; sans tarif élevé, cela est impossible; car sans un tel tarif, vous ne pouvez faire de concessions au pays avec lequel vous voulez entrer en relations. C'est donc en raison d'un traité de commerce spécial et en raison de l'importance du principe en lui-même que j'ai formulé l'amendement que j'ai l'honneur de soumettre à vos délibérations.

Un dernier mot : On nous a reproché de vouloir faire renchérir le pain par la protection en faveur des céréales. On ne peut pas nous adresser ce reproche au sujet des farines. Car enfin le droit, quel qu'il soit, sur cette denrée, ne peut pas empêcher l'entrée des subsistances à l'état de matière première.

Tels sont, messieurs, les motifs qui me semblent devoir faire accueillir mon amendement avec faveur.

M. le président. - Voilà tous les amendements développés.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je compte ici encore une vingtaine d'amendements.

Est-il entendu qu'après les développements des amendements on en commencera la discussion? il y a un amendement de M. Coomans qui propose le droit de fr. 1-50.

Il faut discuter cet amendement ; est-ce, quand la question commence à se préciser par des chiffres, que nous allons abandonner la discussion? Est-ce que le chiffre de fr. 1-50 est retiré? (Interruption.)

M. le président. - Il a été décidé que la discussion serait définitivement close sur l'article unique et les amendements, du moment qua tous les amendements déposés non encore développés l'auraient été par leurs auteurs et auraient été appuyés. Nous en sommes arrivés à ce point; si la chambre veut revenir sur sa décision, elle en est maîtresse.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Ni dans la discussion générale, ni dans les développements des amendements, il n'a été question du bétail ; c'est à peine si quelques mots ont été prononcés sur cette question, qui est très importante. On propose de substituer au droit par tête le droit au poids ; on propose d'autre part d'augmenter le droit; ce point n'a été l'objet d'aucune discussion: aucun renseignement du gouvernement n'a été entendu.

On a traité d'une manière très large la question de principe. Je crois avoir, sur le point particulier dont je viens de parler, des renseignements importants à soumettre à la chambre.

M. Rodenbach. - Comme M. le ministre des finances vient de le dire, nous devons pouvoir émettre notre opinion sur les divers amendements qui sont proposés. Il est impossible de parler des amendements sur le bétail et les céréales sans s'occuper de l'article premier. Je crois que nous pouvons, que nous avons même le droit d'attaquer ou d'appuyer les amendements; sans cela il faudrait voter tout de suite sans discussion. Je ne pense pas que dans un parlement belge, on puisse voter sans discussion des articles de loi et des amendements

M. le président. - M. Rodenbach propose de rouvrir la discussion.

M. Rodenbach. - Je ne demande pas cela, M. le président, vous ne m'avez pas compris. Je dis que nous avons le droit de parler sur les articles et les amendements ; la chambre ne peut pas vous en empêcher; le gouvernement, qui a des renseignements importants à donner sur la question du bétail, n'a pas été entendu ; on ne peut pas voter sur l'amendement relatif à cet objet, non plus que sur les autres, sans avoir entendu un seul membre; cela ne serait pas rationnel, ne serait pas convenable, et je doute fort que le pays apprenne une pareille décision avec plaisir.

M. Delehaye. - Comme l'a dit M. le président, la chambre a déclaré qu'elle prononçait la clôture sur l'article et les amendements quand ils auraient tous été développés. Mais, d'un autre côté, ce que vient de dire M. le ministre des finances est très fondé ; vous n'avez pas les éléments nécessaires pour prononcer en connaissance de cause sur la question du bétail; vous n'avez pas non plus le temps nécessaire pour méditer les propositions qui vous sont faites. J'ai exprimé mon opinion ; mais je n'ai pas la prétention de croire que, parce que j'ai présenté quelques considérations à l'appui de ma proposition, la chambre soit suffisamment instruite pour prononcer.

Qu'y a-t-il à faire? La chambre ne peut se prononcer en ce moment que sur le caractère de la loi; ce que j'ai déjà dit, je le répète, ce serait décider aujourd'hui la question de savoir si la loi sera temporaire ou permanente.

Quelle serait la conséquence de cette décision? Ce serait celle-ci: comme vient de le dire M. le ministre des finances, vous seriez amenés à apprécier la portée de toutes les propositions faites. On les renverrait à la section centrale qui pourrait s'entourer de tous les renseignements que peut fournir le gouvernement, et à la séance de lundi ou de mardi vous seriez à même d'émettre un vote sur toutes les propositions après avoir consulté une commission émanée de vous.

Je propose donc formellement que la section centrale soit chargée de se prononcer sur les propositions qui ont été faites, après avoir consulté le gouvernement; qu'elle saisisse la chambre d'un nouveau rapport; et je demande subsidiairement que la chambre statue sur le point de savoir si la loi sera définitive ou temporaire. Si vous ne prenez pas ce point de départ, vous allez de nouveau nous jeter dans le vague et l'on discutera longtemps sans aboutir à aucun résultat.

M. le président. - La proposition de M. Delehaye a pour objet de renvoyer tous les amendements à la section centrale, qui ferait un nouveau rapport après avoir entendu le gouvernement, et de décider aujourd'hui la question de savoir si la loi sera définitive ou temporaire.

M. Mercier. - Je me rallie à cette proposition.

M. de Theux. - Si l'on veut établir une distinction relativement à la question du bétail, je ne m'y opposerai pas ; mais en ce qui concerne les céréales, la question est bien et dûment close, je pense; sans cela il faudrait, pour être juste, accorder de nouveau la parole aux orateurs qui sont inscrits; adopter la proposition de l'honorable M. Delehaye, c'est évidemment rouvrir la discussion ; car dès maintenant, pour ma part, je me ferais inscrire sur le rapport que la section centrale serait appelée à nous présenter. Mais, si l'on veut suivre la marche pratique, c'est celle-ci : Que la chambre émette maintenant un premier vote sur la question des céréales ; si, par suite du vote de la chambre, il semble qu'il n'y ait plus de concordance entre les dispositions du projet de loi, qu'on adopte alors la proposition de l'honorable M. Delahaye et que la section centrale soit chargée d'établir cette concordance avant le second vote.

C'est la marche la plus rationnelle que l'on puisse suivre, car, renvoyer aujourd'hui les amendements à la section centrale pour en faire l'objet d'un rapport, c'est évidemment donner ouverture à une nouvelle discussion.

M. Jullien. - Le gouvernement nous a saisis d'un projet de loi temporaire; la section centrale, de son côté, nous a proposé également une législation temporaire; tous deux, et le gouvernement et la section centrale, s'accordent à nous proposer un droit uniforme. Dans cet état de choses, alors surtout que la discussion a porté sur le point de savoir si la loi aurait un caractère définitif ou temporaire, il faut, avant tout, me semble-t-il, que la chambre se prononce sur cette question. Il faut, en second lieu, que la chambre se prononce sur le point de savoir si le droit de douane sera un droit uniforme sur tous les produits, ou si ce droit sera assis sur leur valeur relative.

J'ai proposé un amendement dans lequel j'appelle la chambre à se prononcer avant tout sur ces deux questions. Je ne vois pas d'inconvénient à ce qu'on disjoigne du vote tout ce qui concerne la question du bétail; mais il importe que la chambre statue de suite sur cette double question : Le droit sera-t-il définitif; le droit sera-t-il uniforme? (Interruption.)

On m'objecte qu'il faut d'abord voter le chiffre; je n'admets point cette objection, il ne faut pas voter le chiffre d'abord

- Plusieurs membres. - (page 647) Si ! si !

M. Jullien. - Je dis qu'il ne faut pas au préalable voter le chiffre, parce que les questions de principe que j'ai soulevées dominent la question de chiffre ; ces questions résolues, chacun aura le droit de se prononcer sur le taux du chiffre ; les convictions resteront à cet égard tout à fait entières, lorsque la chambre aura statué sur le caractère définitif ou temporaire à donner à la loi, chacun pourra voter tel chiffre qui lui conviendra.

M. Rousselle. - J'avais demandé la parole pour appuyer la proposition de l'honorable M. Delehaye. Je crois qu'avant toute autre chose, ta chambre doit décider si la loi sera définitive ou temporaire. Je crois même qu'elle doit se borner à statuer sur cette question; et je n'admets pas la proposition de l'honorable M. Jullien qui tend à décider si le droit sera fixe ou gradué.

- Un membre. - Il n'a pas proposé cela !

M. Rousselle. - Je crois l'avoir bien compris ainsi. La chambre n'est pas assez éclairée, je pense, pour décider cette question. Plusieurs amendements sont présentés qui demandent l'un 50 centimes pour telle denrée, l'autre 60 cent. un troisième 50 cent.; il faut que tous ces chiffres soient médités et que la chambre ait un rapport sur ces diverses propositions. (Interruption.)

J'admettrais, jusqu'à un certain point, si l'on ne préjuge pas la graduation des droits, que la chambre décidât aujourd'hui un chiffre-type pour le froment. Mais, je le répète, il faut commercer par décider si la loi sera définitive ou temporaire ; car je le déclare, quant à moi, le chiffre-type du droit que je voterai dépend de cette décision.

- Plusieurs membres. - Aux voix! aux voix ! (Longue interruption.)

M. David. - Je viens m'opposer à la proposition de l'honorable M. Delehaye, qui tend à renvoyer les divers amendements à la section centrale. (Aux voix! aux voix!) Nous devrons attendre au moins huit jours pour avoir ce rapport de la section centrale. (Interruption.) Je propose le renvoyer à lundi toute espèce de vote qui devra avoir lieu.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - La proposition de l'honorable M. Jullien me paraît la plus acceptable, dans l'état actuel de la discussion. La proposition du gouvernement est celle-ci : 50 centimes pour une année; celle de la section centrale est : un franc, également pour une année.

A cette proposition de la section centrale le gouvernement ne se rallie pas et il ne s'y ralliera pas.

Si la section centrale avait proposé 1 franc comme droit définitif, comme emportant une législation définitive et fixe en cette matière importante, nous aurions pu, dès le principe, examiner une proposition ainsi faite et jusqu'à un certain point nous y rallier. Mais un droit provisoire d'un franc, nous ne nous y rallions pas.

Une autre proposition porterait le droit à 1 fr. 50 ; de celle-là, ni comme provisoire, ni comme définitive, nous n'en voulons à aucun prix; nous la repoussons complètement.

De là, messieurs, le lien assez naturel qui se présente entre le caractère définitif ou provisoire que l'on voudrait donner à la loi et le taux du droit à établir.

On conçoit que les partisans d'un régime libéral, en matière de céréales comme en toute autre matière, acceptent un certain droit, lorsque ce droit fixe définitivement, et dans un cercle libéral, la législation. Mais adopter ce même droit à titre provisoire, comme un premier pas fait vers un régime plus restrictif, c'est ce que nous ne pourrions admettre à aucun titre.

La seconde partie de la proposition de l'honorable M. Jullien serait celle-ci : Admettra-t-on un droit uniforme ou un droit qui variera suivant la valeur? La chambre est parfaitement en mesure de se prononcer sur cette question, Il est évident que si l'on adopte le droit d'un franc pour le froment, personne ne voudra appliquer ce droit à toutes les denrées alimentaires, sans distinction de leur valeur. Si, au contraire, le droit de 50 centimes était adopté à titre provisoire ou définitif, vu son peu d'importance, il ne serait pas nécessaire d'établir une échelle variable suivant la valeur des objets auxquels le droit s'applique; car le droit de 50 centimes est un droit de balance, un droit en quelque sorte nominal, qui n’exerce pas une influence assez grande sur la valeur des choses pour la faire varier.

Le droit d'un franc pèse davantage, et il ne serait pas juste de l'appliquer également à des valeurs inégales. En admettant l'hypothèse de l'adoption du droit d'un franc, il faudra donc un tarif combiné d'après la valeur des marchandises.

A plus forte raison, en faudrait-il un, si la chambre adoptait le droit de 1 fr. 50 ; mais, je le déclare, afin qu'il n'y ait pas, sous ce rapport, de malentendu, le droit de 1 fr. 50 ne recevrait pas la ratification du cabinet.

M. de Theux. - Messieurs, je dois combattre la proposition de mettre en ce moment aux voix la question de savoir si le droit sera uniforme ou gradué. Vous ne pouvez décider cette question dans l'état actuel des choses. Ainsi je suppose que vous décidiez que le droit ne sera pas uniforme et que la chambre adopte ensuite le chiffre de 50 centimes pour le froment, quel droit aurez-vous sur les autres céréales?

3J demande donc qu'on commence par voter, soit sur la durée de la loi, soit sur le droit qui atteindra le froment.

M. Dumortier. - Messieurs, la question que je me pose est celle-ci : Faut-il d'abord voter sur le chiffre du froment comme type, ou faut-il voter d'abord sur la question de savoir si la loi sera annuelle ou permanente ? Eh bien, pour peu qu'on réfléchisse, il est de toute évidence que le premier vote à émettre est celui qui concerne le droit sur le froment. Si nous ne procédons pas ainsi, nous votons sur l'inconnu, et c'est ce que personne ne doit vouloir, ni le gouvernement, ni aucun membre de cette chambre.

Je demande donc que le droit sur le froment soit d'abord mis aux voix.

- La discussion est close.

M. le président. - M. Delehaye persiste-t-il dans sa motion ?

M. Delehaye. - Oui, M. le président.

- La motion de M. Delehaye est mise aux voix; elle n'est pas adoptée.

M. le président. - Il reste deux autres motions : l'une tend à faire voter d'abord sur la permanence de la loi, l'autre tend à faire voter avant tout sur le droit à établir sur le froment.

Je mets aux voix la question de savoir si l'on votera d'abord sur le droit qui frappera le froment.

- Cette question est résolue affirmativement,

M. le président. - Vous êtes, messieurs, en présence de trois chiffres: fr. 1-50 par 100 kilog. proposé par M. Vanden Berghe de Binckum; M. Coomans propose le même droit par hectolitre; 1 fr. proposé par la section centrale; 50 centimes proposé par le gouvernement.

M. Delfosse. - L'honorable M. Bruneau propose aussi le droit d'un franc.

M. Coomans. - Pour simplifier les travaux de la chambre, je retire mon amendement.

Il est procédé au vote par appel nominal sur le droit de 1 fr. 50 c.

En voici le résultat :

95 membres sont présents.

38 membres adoptent.

57 membres rejettent.

En conséquence, le chiffre de 1 fr. 50 c. n'est pas adopté.

Ont voté l'adoption : MM. Clep, Coomans, de Bocarmé, Dechamps, de Denterghem, de Haerne, de Liedekerke, de Luesemans, de Man d'Attenrode, de Mérode, de Renesse, Desoer, de Theux, de T'Serclaes, G. Dumont, Dumortier, Faignart, Jacques, Jullien, Julliot, Lelièvre, Mascart, Mercier, Moncheur, Moxhon, Pierre, Rodenbach, Tesch, Thibaut, Tremouroux, Vanden Berghe de Binckum, Vanden Branden de Reeth, A. Vandenpeereboom, Van Renynghe, Vilain XIIIU, Ansiau, Boulez et Christiaens.

Ont voté le rejet : MM. Cools, Cumont, Dautrebande, David, H. de Baillet, de Baillet-Latour, de Brouckere, Debroux, Dedecker, Delehaye, Delescluse, Delfosse, Deliége, de Meester, de Perceval, de Pitteurs, De Pouhon, Dequesne, de Royer, Destriveaux, Devaux, d'Hoffschmidt. d'Hont, Dolez, Dubus, A. Dumon, Fontainas, Frère-Orban, Jouret, Lange, Lebeau, Le Hon, Lesoinne, Manilius, Moreau, Orts, Osy, Peers, Pirmez, Prévinaire, Rogier, Rolin, Rousselle, Sinave: Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Toussaint, Van Cleemputte, Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Vermeire, Allard, Anspach, Bruneau, Cans et Verhaegen.

- Il est procédé au vote par appel nominal sur le chiffre de 1 fr.

En voici le résultat :

95 membres sont présents.

1 s'abstient.

67 membres adoptent.

27 membres rejettent.

En conséquence, le droit de 1 fr. est adopté.

Ont voté l'adoption : MM. Clep, Cools, Coomans, Cumont, de Baillet (Hyacinthe), de Baillet-Latour, de Bocarmé, Debroux, Dechamps, Dedecker, de Denterghem, de Haerne, Delehaye, Delescluse, de Liedekerke, de Luesemans, de Man d'Attenrode. de Meester, de Mérode, de Perceval, de Pitteurs, de Renesse, de Royer, Desoer, de Theux, de T'Serclaes, Bubus, Dumon (Auguste), Dumont (Guillaume), Dumortier, Faignart, Jacques, Jouret, Jullien, Julliot, Lange. Le Hon, Lelièvre, Mascart, Mercier, Moncheur, Moxhon, Peers, Pierre, Pirmez, Rodenbach, Rousselle, Sinave, Tesch, Thibaut, Toussaint, Tremouroux, Van Cleemputte, Vanden Berghe de Binckum, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom (Alphonse), Van Grootven. Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Renynghe, Vermeire, Vilain XIIII, Allard, Ansiau, Boulez, Bruneau et Christiaens.

Ont voté le rejet : MM. Dautrebande, David, de Brouckere, Delfosse, Deliége, De Pouhon, Dequesne, Destriveaux, Devaux, d’Hoffschmidt, d'Hont, Dolez, Fontainas, Frère-Orban, Lebeau, Lesoinne, Manilius, Moreau, Orts, Prévinaire, Rogier, Rolin, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Anspach, Cans et Verhaegen.

M. Osy s'est abstenu.

M. le président. - M. Osy est prié, aux termes du règlement, de faire connaître les motifs de son abstention.

M. Osy. - Messieurs, je n'ai pas voulu me prononcer sur le chiffre, avant de savoir si la loi sera définitive ou provisoire. Si elle est définitive, (page 648) je voterai pour 1 franc; si elle est provisoire, je ne voterai que 50 centimes.

M. le président. - Je mets maintenant aux voix la question de savoir si la loi sera définitive ou temporaire.

M. Dumortier. - L'honorable ministre de l'intérieur a fait tout à l'heure des réserves à l'égard de la question sur laquelle nous avons à voter. Je désire connaître la portée de ces réserves pour diriger mon vote en conséquence. Je prie M. le ministre de l'intérieur de nous dire avec franchise si de ce vote il fait une question de cabinet. (Aux voix !)

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'ai besoin de m'expliquer pour ceux qui ne m'ont pas compris; j'ai déclaré que le cabinet ne se rallierait pas à un franc provisoire.

- De toutes parts. - Aux voix ! L'appel nominal !

M. le président. - Il va être procédé à l'appel nominal; les membres qui veulent que la loi soit définitive répondront oui; ceux qui veulent que la loi soit temporaire répondront non.

Voici le résultat du vote

94 membres ont répondu à l'appel nominal.

58 membres ont répondu oui.

32 membres ont répondu non.

4 membres se sont abstenus.

En conséquence, la chambre décide que la loi sera définitive.

Ont répondu oui : MM. Cools, Cumont, Dautrebande3 de Baillet (Hyacinthe), de Baillet-Latour, de Bocarmé, de Decker, Delehaye, Delescluse, Delfosse, Deliége, de Meester, de Perceval, de Pitteurs, De Pouhon, Dequesne, de Royer, Destriveaux, de T'Serclaes, Devaux, d'Hoffschmidt, d'Hont, Dolez, Dubus, Dumon (Auguste), Fontainas, Frère-Orban, Jacques, Jouret, Jullien, Lange, Lebeau, Le Hon, Manilius, Moreau, Moxhon, Osy, Pierre, Pirmez, Rogier, Rolin, Rousselle, Sinave, Tesch, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Toussaint, Van Cleemputte, Vandenpereboom (Alphonse), Van Grootvcn, Van Hoorebeke Van Iseghem, Vermeire, Vilain XIIII, Allard, Anspach, Bruneau et Verhaegen.

Ont répondu non : MM. Clep, Coomans, de Brouckere, Debroux, Dechamps, de Denterghem, de Haerne, de Liedekerke, de Luesemans, de Man d'Attenrode, de Renesse, de Theux, Dumont (Guillaume), Faignart, Julliot, Lesoinne, Mascart, Mercier, Moncheur, Orts, Peers, Prévinaire, Rodenbach, Thibaut, Tremouroux, Vanden Berghe de Binckum, Vanden Branden de Reeth, Van Renynghe, Ansiau, Boulez, Cans et Christiaens.

Les membres qui se sont abstenus sont invités à énoncer les motifs de leur abstention.

M. David. - Il résulte de ce que j'ai dit l'année dernière et répété cette année, qu'un droit de 50 centimes dépassait ce que je pouvais admettre à l'entrée du froment en Belgique. Dans cette position je n'ai pu voter pour la proposition.

Je n'ai pas voulu non plus voter contre, dans la crainte de donner gain de cause à ceux qui, en faisant une loi provisoire, espéraient obtenir l'année prochaine des droits plus élevés.

M. de Mérode. - Je me suis abstenu parce que le ministère prend maintenant dans les chambres une manière despotique qui jusqu'à présent n'avait pas été en usage, en déclarant qu'il refusera l'adoption d'une loi votée par les majorités sans néanmoins poser une question de cabinet. C'est là un sans-gêne nouveau, une compression que je n'accepte point; et comme, après tout, les lois sont toujours susceptibles de réforme, devant une telle altitude du ministère, je préfère m'abstenir.

M. Dumortier. - Je me suis abstenu, d'une part, parce que je n'ai pas compris la portée des paroles de M. le ministre de l'intérieur lorsqu'il a fait des réserves, et d'autre part, parce que je trouve que le droit d'un franc comme mesure définitive n'est pas suffisant.

M. Lelièvre. - Je me suis abstenu parce que la loi n'ayant pas été votée en entier, je n'ai pu me prononcer sur son caractère définitif ou provisoire.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'ai demandé la parole pour prévenir la chambre que le cabinet se rallie à celle des dispositions proposées par MM. Dedecker et Vermeire qui a pour but d'autoriser le gouvernement, en l'absence des chambres, à supprimer les droits à l'entrée des denrées alimentaires. Nous appuierons donc cette proposition qui est destinée à remplacer l'amendement de M. Coomans, que nous aurions combattu par des raisons inutiles à donner, maintenant qu'il est retiré.

Quant aux motifs d'abstention d'honorables membres, je pense qu'ils leur sont tous personnels, car je n'ai pas remarqué que les déclarations que j'ai faites aient le moins du monde influencé le vote de qui que ce soit. Du reste, le cabinet comme chacun des membres de cette chambre doit avoir la liberté de dire quelle est sa pensée. Je ne crois pas que personne ait changé d'opinion par suite de mes déclarations. Il faut ici la liberté pour tout le monde.

- Un grand nombre de voix. - A lundi ! à lundi !

M. le président.- La chambre entend-elle continuer la discussion à lundi et renvoyer tous les amendements à la section centrale à l'effet de faire un rapport? (Non! non! non !)

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il n'est pas nécessaire de renvoyer les amendements à la section centrale à l'effet de faire un rapport; mais il me semble indispensable de préparer un tarif sur lequel la chambre serait appelée à voter; un tarif devrait être fait et pour les céréales et pour le bétail; la section centrale n'aurait pas à faire de rapport, elle serait seulement chargée de s'entendre avec le gouvernement pour formuler ce tarif, d'après les bases qui ont été adoptées par la chambre. (Adhésion,)

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - On me fait l'observation que la proposition de MM. Vermeire et Dedecker donne au gouvernement la faculté de prohiber les denrées alimentaires à la sortie; nous ne nous rallions pas à cette partie de la proposition, nous entendons bien laisser entière la liberté de sortie.

M. le président. - S'il n'y pas d'opposition, le renvoi à la section centrale pour formuler le tarif d'après les bases qui viennent d'être adoptées, est ordonné. (Adhésion.)

Ordre des travaux de la chambre

M. Lelièvre (pour une motion d’ordre). - Le premier objet à l'ordre du jour, après les denrées alimentaires, est le projet de loi relatif aux communes de Moignelée et Lambusart ; comme une pétition a été renvoyée à la commission, et que la commission doit se réunir demain pour l'examiner, je propose de postposer ce projet après celui concernant le régime des aliénés.

- Adopté.

La séance est levée à 5 heures et quart.