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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 18 novembre 1850

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1850-1851)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 45) M. Ansiau procède àl'appcl nominal à 2 heures et un quart.

La séance est ouverte.

M. de Perceval donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Ansiau fait connaître l'analyse des pièces suivantes.

« Les électeurs de Mechelen présentent des observations contre la demande de séparation du hameau de Daelgrimby, dépendant de cette commune. »

« Des habitants de Daelgrimby demandent la séparation de ce hameau et sa réunion à la commune d'Opgrimby. »

« Même demande du conseil communal d'Opgrimby. »


- Renvoi à la commission des pétitions.

« Le sieur Théodore-Charlcs-François Bontier de Catus, propriétaire à Huy, né à Bruxelles, demande à recouvrer la qualité de Belge, qu'il a perdue en prenant du service à l'étranger sans avoir obtenu l'autorisation du Roi. »

- Renvoi au ministre de la justice.


M. Ducpetiaux fait hommage à la chambre d'un exemplaire de son mémoire sur le paupérisme dans les Flandres.

- Dépôt à la bibliothèque.


M. le président. - Voici une lettre qui m'a été adressée par M. le maréchal du palais :

« M. le président,

« J'ai l'honneur de porter à votre connaissance que le Roi recevra la chambre des représentants mardi 26 novembre, à midi et demi, au palais de Bruxelles.

« Veuillez agréer, etc.

« (Signé) de Marnix. »

La chambre ayant décidé qu'elle porterait l'adresse en corps, cette lettre sera insérée au Moniteur, et pourra être considérée comme une information suffisante pour tous les membres de la chambre.

Proposition de loi relative au libre exercice de la charité

Lecture

M. le président. - Les sections ont autorisé la lecture de la proposition suivante déposée par M. Dumortier :

« Considérant que la Constitution repose sur le principe de la liberté en tout et pour tous ;

« Considérant qu'alors que toutes les facultés du citoyen y sont déclarées libres, l'exercice de la charité ne peut être asservi à une autre volonté que celle du bienfaiteur ;

« Considérant que la liberté de faire le bien intéresse avant tout ceux qui vivent de la charité, c'est-à-dire les pauvres ;

« Article unique. La charité est libre.

« Nul ne peut être entravé dans l'exercice de celle liberté.

« L'Etat n'a le droit d'intervenir que dans l'intérêt des familles, et seulement dans les cas et les limites fixés par la loi.

« Toute administration de fondation charitable devra rendre son compte annuel au bureau de bienfaisance de sa commune.

« Fait au palais de la Nation, ce 16 novembre 1850.

« Signé : B.-C. Dumortier. »

M. Dumortier développera les motifs de sa proposition après les objets à l'ordre du jour.

- Adopté.

Ordre des travaux de la chambre

M. de Renesse (pour une motion d’ordre). - Messieurs, il y a, dans les sections, plusieurs budgets qui n'ont pas été examinés. Je voudrais que la chambre fixât l'ordre de la discussion de ces budgets, pour que nous pussions commencer le plus tôt possible à les examiner. Nous sommes déjà au 18 novembre, et il ne nous restera pas assez de temps pour les discuter et pour les envoyer au sénat.

Je propose que demain on commence à examiner le budget de la guerre, le budget des travaux publics et le budget des voies et moyens.

M. le président. - J'ai eu l'honneur de faire remarquer dernièrement à la chambre que plusieurs sections avaient déjà nommé leurs rapporteurs et pour le budget des voies et moyens et pour le budget de la guerre.

M. de Renesse propose que la chambre veuille bien fixer l'ordre du jour dans lequel ces budgets seront examinés. Il y a, en effet, le budget de la guerre, le budget des voies et moyens et le budget des travaux publics. Tous les rapporteurs peuvent être nommés, c'est la section centrale qui doit s'en occuper.

M. Rousselle - M. le président, je ferai remarquer qu'il serait convenable que la chambre ne s'occupât pas elle-même de régler l'ordre du jour des sections ; car elle ne saurait pas connaître en quel état se trouve le travail des sections, et il faudrait que chaque président de section vînt, à chaque ouverture de séance, déclarer à la chambre en quel état se trouvent ses travaux.

Le règlement prescrit que le président de la chambre veuille bien réunir les présidents des sections pour régler leurs travaux. C'est ainsi que cela se pratiquait aux sessions précédentes, je demande qu'il en soit encore ainsi.

M. Delfosse. - Je ferai remarquer que le budget des travaux publics a été examiné en section centrale avant la clôture de la dernière session. La section centrale avait posé quelques questions que j'avais communiquées au prédécesseur de M. le ministre des travaux publics. J'espérais que les renseignements désirés seraient fournis à la rentrée, jusqu'ici je ne les ai pas encore reçus.

M. le président. - M. le ministre des travaux publics étant absent, MM. les ministres présents voudront bien faire part à leur collègue de l'observation qui vient d'être faite.

M. Delfosse. - J'en ai parlé à M. le ministre des travaux publics qui m'a promis de m'envoyer, d'ici à quelques jours, les renseignements demandés.

M. de Renesse. - Je me rallie à la proposition de M. Ch. Rousselle.

M. le président. - Les présidents des sections seront réunis dans le cabinet du président, comme cela se pratique ordinairement pour régler l'ordre du travail en sections.

Proposition de modification du règlement de la chambre

Rapport de la commission

M. Bruneau. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la commission qui a été chargée d'examiner la proposition de MM. Dolez et consorts, relative à la modification du règlement de la chambre.

M. le président. - Ce rapport sera imprimé et distribué. M. le rapporteur demande que la discussion en soit fixée après le budget des affaires étrangères et l'élection de Dixmude.

M. Rodenbach. — Je demande qu'on veuille remettre cette discussion après ce qui est à l'ordre du jour ; il n'y a pas péril en la demeure : les vice-présidents sont nommés et ces messieurs se portent parfaitement bien.

M. Bruneau. - Sans doute, il n'y a pas péril en la demeure, mais il n'y a pas de raison pour ne pas s'occuper de cet objet ; le rapport est très bref ; le budget des affaires étrangères et l'élection de Dixmude nous prendront plusieurs jours qui permettront de prendre connaissance du rapport avant que le moment de le discuter arrive. Au reste, c'est si peu important que ce n'est pas la peine d'insister.

- La chambre, consultée, décide que la discussion aura lieu après le budget des affaires étrangères et l'élection de Dixmude.

Ordre des travaux de la chambre

M. le président. - L'ordre du jour porte en première ligne la continuation du budget des affaires étrangères.

M. Delfosse. - Je demande avant tout qu'on s'occupe de l'élection de Dixmude ; l'élu, si l'élection est valable, doit avoir le droit de prendre part à la discussion du budget des affaires étrangères.

M. de T'Serclaes, rapporteur du budget des affaires étrangère). - Messieurs, la chambre a décidé dans la séance de samedi qu'elle s'occuperait aujourd'hui de la discussion des articles du budget des affaires étrangères.

La discussion générale s'est terminée en mon absence à mon grand regret ; j'étais retenu loin de cette enceinte et j'en avais prévenu officieusement SI. le président.

Après être revenu une première fois sur la décision prise dans la séance du 13 novembre, décision qui postposait le budget des affaires étrangères à celui de la justice, voudrait-on aujourd'hui modifier une seconde résolution prise le 16 sur le même budget ? Je ferai remarquer à la chambre que la plupart des questions essentielles qui se rattachent au budget des affaires étrangères ont été agitées dans les séances précédentes ; aujourd'hui il s'agit du vote des articles ; je ne pense pas que l'examen de ceux-ci soit de nature à entraîner la chambre dans une longue discussion.

Il serait évidemment préférable dans l'intérêt des travaux de la chambre que la discussion générale ne fût pas séparée de la discussion des chiffres, chacun de nous ayant présentes à la mémoire les explications qui ont été échangées.

Je demande à la chambre de vouloir maintenir son ordre du jour et d'achever la discussion du budget des affaires étrangères, avant d'aborder l'affaire des élections de Dixmude qui peut nous entraîner à de longs débals.

M. Delfosse. - Je persiste dans ma proposition.

- La proposition de M. Delfosse est mise aux voix et adoptée.

MM. Thibaut et de Liedekerke prêtent serment.

Vérification des pouvoirs

Arrondissement de Dixmude

(page 46) M. Lelièvre. - L'objet de la discussion soumise à la chambre n'est pas une question de parti. Il est de ces choses sur lesquelles il y a, dans cette enceinte, unanimité d'opinion et que nous respectons tous, parce que, quel que soit notre drapeau, nous avons tous un mandat de justice, de loyauté et d'honneur, ce sont les principes éternels du juste. Tel citoyen a-t-il acquis légalement le droit de siéger parmi nous ? est-il représentant de la nation par la volonté du corps électoral ? C'est là, disons-le à l'honneur des assemblées législatives qui se sont succédé depuis 1830, une question qui a toujours été résolue sans égard aux opinions politiques du nouvel élu.

Elle a, du reste, pour objet, de décréter un droit, de maintenir une position acquise non moins sacrée que les droits les plus importants, et de faire respecter la volonté du pays, de qui tous les pouvoirs émanent. Aucune considération étrangère ne pourrait certes nous faire écarter de l'esprit d'impartialité qui doit présider à pareil débat. Il s'agit, messieurs, d'examiner la validité de l'élection de Dixmude, contestée par une partie des électeurs de l'arrondissement.

Votre commission vous propose, d'un avis unanime, d'annuler les opérations.

Je me hâte de dire que je ne puis partager cette opinion, qui ne me semble pas conforme à la loi, et je soumets à la chambre les motifs de mon vote à cet égard.

Si nous nous attachons au résultat du scrutin, la majorité absolue est acquise incontestablement à M. Desmaisièrcs. En faisant à celui-ci la position la plus défavorable et en défalquant de la somme des voix qu'il a obtenues le nombre des bulletins trouvés en trop lors du second dépouillement, il conserve la majorité suffisante pour siéger dans cette enceinte.

Il n'est donc pas possible d'argumenter de la circonstance qu'il s'est rencontré au second dépouillement un nombre de bulletins supérieurs à celui constaté lors du premier, puisque ce fait ne détruit pas l'état des choses qui justifie l'admission.

Si l'irrégularité qui a été signalée et reconnue sur ce point était de nature à influer sur la majorité légale, je concevrais qu'elle pût entraîner la nullité des opérations ; mais puisque, dans toutes les hypothèses, il reste à l'élu de Dixmude le nombre de suffrages exigé par la loi, il ne peut exister aucun motif fondé pour s'arrêter à une irrégularité qui ne saurait être considérée comme substantielle.

Ce chef de nullité écarté, nous devons nous occuper d'un second motif qui a déterminé l'avis de votre commission.

La liste des électeurs affichée régulièrement le 30 avril contenait cinq noms que le commissaire du district jugea avoir été indûment inscrits. Ce fonctionnaire interjeta appel contre l'inscription, et effectivement la députation permanente du conseil provincial prononça la radiation par décision du 23 mai.

Il est toutefois remarquable que l'ordonnance ne fut notifiée ni aux intéressés ni à l'autorité communale. Les individus furent, en conséquence, maintenus sur la liste qui fut adressée par le commissaire du district lui-même au président du collège électoral. En cet état de choses, il s'agit de savoir si la participation de ces électeurs au scrutin est de nature à vicier l'élection.

Il me semble évident que non. En effet, aux termes de la loi électorale, la liste des électeurs est permanente ; en conséquence l'inscription sur la liste donne la qualité d'électeur et le droit d'exercer toutes les prérogatives qui y sont attachées. Cette qualité, on la conserve tant qu'on n'en est pas légalement dépouillé. Or elle n'est enlevée qu'en vertu d'une décision légale notifiée aux parties intéressées et au commissaire du district qui doit immédiatement faire les rectifications nécessaires (article 13 de la loi électorale). Elle ne vient à cesser que sur la réclamation adressée au bureau par des électeurs munis d'une décision de l'autorité compétente constatant que des individus ne font pas partie du collège électoral (article 23 de la même loi).

Hors ces cas, tous ceux dont les noms sont inscritssur la liste ont droit de prendre part à l'élection. La conséquence à déduire relativement au cas qui nous occupe est facile à saisir. Les individus dont il s'agit ne pouvaient être écartés du scrutin, parce que l'autorité publique n'avait pas rempli les formalités nécessaires à cette fin. Ils avaient donc le droit de voter. S'ils avaient droit de voter, leur admission au scrutin a nécessairement constitué un acte légal. Or un acte légal ne saurait vicier les opérations électorales. Telle est, du reste, la jurisprudence admise par la cour de cassation de notre royaume.

Un arrêt du 20 décembre 1832 porte : « attendu que s'il peut dériver du système admis par la loi électorale quelques inconvénients dérivant de ce que quelques individus ayant perdu le droit électoral figureront encore sur les listes, tandis que d'autres individus qui ont nouvellement acquis le droit depuis la révision annuelle et la clôture des listes ne pourront pas néanmoins être portés avant une nouvelle révision annuelle et la clôture des listes. C'est à la législature qu'il appartient d'apprécier le degré d'importance de ces inconvénients, et à y pourvoir s'il y a lieu. »

Votre commission me semble avoir perdu de vue le point capital de la question. Alors que la décision de la députation permanente était restée à l'état de lettre morte, alors que non seulement elle était soumise au recours en cassation, mais que même elle était destituée de la formalité qui seule la rendit exécutoire, c'est-à-dire la notification aux intéressés ou la communication donnée au bureau électoral, l'inscription sur la liste qui forme le titre de l'élecleur restait intacte, et son droit à participer au vote, sain et entier. »

Il y aurait eu acte abusif à ne pas admettre au scrutin les individus dont il s'agit.

Le bureau ne pouvait se dispenser de les admettre au vote ; or, je le répète, les opérations ne sauraient être viciées que par un fait illégal.

Le système que je combats aurait encore pour conséquence d'abandonner les opérations à la merci des agents du gouvernement qui, en ne faisant pas notifier une ordonnance de radiation, pourraient se ménager un moyen d'impugner l'élection, si son résultat n'était pas conforme à leurs vues.

Du reste, les considérations déduites par votre commission ne m'ont pas frappé.

Il est d'abord essentiel de remarquer que la liste générale des élecleurs portant la date du 30 avril contenait les noms dos cinq individus en question. L'allégation contraire de la commission est le résultat d'une erreur de fait qui a produit les conclusions erronées du rapport.

Mais les cinq noms dont il s'agit figuraient tellement sur une liste régulière que le commissaire du district s'est pourvu contre l'inscription et que ce fonctionnaire laissa subsister les mêmes noms sur la liste qui fut transmise au bureau électoral. Il y a plus, les cinq individus prirent part à l'élection en présence du même commissaire du district et sans réclamation de sa part. Peut-on en semblables circonstances annuler des opérations électorales avec quelque apparence de justice ?

Un argument que nous trouvons consigné dans le rapport est déduit de la circonstance que les cinq individus dont nous avons parlé n'auraitent pas été convoqués lors des élections provinciales.

Cette considération me semble tellement faible que je suis étonne de la rencontrer sous la plume de l'honorable rapporteur.

Mais la question est précisément de savoir si les cinq individus avaient droit d'être convoqués. Nous avons prouvé qu'il en était ainsi. Si donc l'on a négligé de faire la convocation, on a commis une irrégularité. Eh bien, une omission illégale peut-elle ravir un droit fondé sur la loi ?

Mais le droit de participer à l'élection, ayant pour étai l'inscription sur la liste, était indépendant de la volonté du bourgmestre ou du secrétaire, etl'on voudrait que ce que ces fonctionnaires ne pouvaient nous enlever par un acte positif, ils pussent l'anéantir par une simple omission ! Cela ne peut être sérieusement maintenu.

En droit, l'opinion de la commission est directement opposée au principe de la permanence des listes, écrit dans la loi électorale. L'économie de cette loi est évidente. La qualité d'électeur est attachée à l'inscription sur la liste jusqu'à ce que la radiation effective soit exécutée en vertu d'un acte légitime de l'autorité publique. Méconnaître cette doctrine, c'est remettre en problème toutes les élections quelconques, c'est les livrer à la merci du pouvoir exécutif qui pourrait facilement, s'il le voulait, exclure de l'enceinte législative tous les hommes dont il redouterait l'indépendance.

Je ne m'arrête pas au fait signalé dans le rapport et que la commission elle-même a écarté, consistant dans la non-convocation d'un électeur. La convocation spéciale n'a jamais été considérée comme une formalité substantielle. Les électeurs sont convoqués en vertu de la loi même qui fixe les jour et heure de la réunion ordinaire des collèges électoraux pour élire les membres des chambres législatives. Ils sont spécialement appelés par un arrêté royal, que tous les citoyens sont réputés connaître après sa publication légale et que cette promulgation rend même obligatoire pour tous.

La convocation qui doit être faite au domicile de chaque électeur séparément est donc une formalité surabondante qui ne peut être considérée comme essentielle et prescrite à peine de nullité.

Messieurs, il importe peu, surtout dans la composition actuelle du parlement, qu'un membre professant telle ou telle opinion politique vienne prendre place parmi nous ; mais ce qui est indispensable c'est que la majorité soit juste envers la minorité. Ce n'est qu'à cette condition qu'elle conserve sa force et son influence. Les majorités se déconsidèrent, elles se suicident par des abus de pouvoir. C'est l'injustice qui toujours produit des réactions. Si l'on veut que la majorité à laquelle nous appartenons ait aux yeux du pays la dignité qui seule peut la consolider, elle doit prouver par des actes qu'elle respecte vis-à-vis de la minorité les principes de la plus sévère justice.

Du reste, il n'est personne de nous qui ignore que l'élection de l'honorable M. d'Hoffschmidt pouvait être critiquée par des considérations tout autrement concluantes. Eh bien, alors qu'on ne manquait pas de documents propres à l'impugner, il ne s'est pas élevé une seule voix pour la remettre en question, et c'est en cette occurrence que, contre tous les précédents de la chambre, nous annulerions une élection dans laquelle la loi a été respectée !

Pour moi, examinant la question comme juge impartial et faisant abstraclion de toute considération personnelle, je ne vois aucun motif sérieux et fondé qui permette d'annuler l'élection de Dixmude et je voterai pour sa validité.

M. Roussel. - Messieurs, la vérification des pouvoirs d'un élu est un acte d'une haute gravité. Il s'agit moins de poser un acte législatif que de faire une juste application de la loi. En ce moment, nous siégeons moins comme pouvoir législatif que comme pouvoir judiciaire. Je vais donc remplir une de mes fonctions habituelles, en examinant la question qui vous est soumise, et je viens vous dire qu'après vérification des pièces et documents qui vous ont été soumis et qui ont été livrés à la publicité, il m'est impossible en conscience de ne pas me (page 47) rallier aux conclusions de la quatrième commission, et de ne pas vous demander avec elle l'annulation de l'élection de Dixmude.

La vérification des pouvoirs d'un représentant n'est autre chose que la constatation de son mandat, c’est-à-dire de la volonté nationale qui l'a porté.

Nous avons deux questions à résoudre, dans l'occurrence : la première, celle de savoir si M. Desmaisières a réuni, à Dixmude, la majorité des suffrages ; la seconde, celle de savoir si cette majorité est sortie régulièrement et légalement de la réunion du corps électoral.

La première question se résout, en apparence, assez facilement : nous trouvons une majorité apparente fort exiguë, il est vrai ; mais enfin nous trouvons une majorité de deux voix.

Ce qu'il y a de malheureux pour l'élection, c'est que cette majorité, si peu considérable, diminue immédiatement de l'aveu de tout le monde ; car il ne vous aura pas échappé, par la lecture du document qui vous est soumis, que cette majorité, qu'on présentait d'abord comme emportant 355 voix pour M. Desmaisières contre 353, se réduit immédiatement à une majorité de 354 contre 553.

Voilà donc le terrain du débat en ce qui concerne la réalité matérielle de la majorité. Quand nous portons nos regards sur la régularité des opérations, il se trouve que cette majorité minime disparaît immédiatement par un seul fait que mon honorable collègue, M. Lelièvre, a traité fort légèrement. C'est le fait de la non-convocation d'un électeur inscrit.

Je conçois, messieurs, que l'on puisse alléguer des précédents dans lesquels la non-convocation d'un électeur n'a pas pu influer sur la résolution de la chambre à l'égard d'une vérification de pouvoirs. C'est lorsque la question de majorité ne présentait aucun doute, lorsque la non-convocation ne pouvait influer sur le résultat. Mais ici, remarquez-le bien, la question est une question de justice ; il faut que l'arrondissement de Dixmude ail pu émettre son vœu ; il faut qu'il ait pu choisir son représentant. Or, il se trouve que la majorité donnée à M. Desmaisières n'est que d'une seule voix ; il se trouve que cette majorité d'une seule voix est anéantie et détruite par la non-convocation d'un électeur qui avait le droit d'assister à la réunion du corps électoral, qui n'est pas venu, et qui pouvait tout changer, qui pouvait donner à M. de Breyne 554 voix, c'est-à-dire le même nombre de suffrages que celui qu'a obtenu l'honorable M. Desmaisières. De sorte que cette majorité minime, cette majorité si petite, si douteuse, si équivoque, en présence des autres irrégularités que nous rencontrons dans les procès-verbaux, cette majorité minime disparaît immédiatement sans qu'il en reste rien.

En vain prétend-on qu'on ne doit pas convoquer les électeurs, que l'arrêté royal de convocation suffit. La convocation n'cst-elle pas prescrite, indépendamment de l'arrêté royal, par la loi électorale ? Cette non-convocation ne peut-elle être un moyen de fraude, un moyen d'influence sur les élections ? Ne devez-vous pas consacrer ce principe de justice que tout électeur doit être convoqué, que tout électeur non-convoqué n'a pas reçu l'avertissement voulu par la loi, qu'en un mot, il n'a pas été mis en demeure d'exercer son droit, et que le fait de cette non-convocation prend un caractère de gravité qu'on ne peut méconnaître ?

Cette non-convocation est le fait de l'administration, je le veux bien. Mais en matière électorale, nous n'avons pas à voir d'où dérivent les irrégularités qui peuvent entacher une élection ; nous avons à voir le résultat ; nous devons nous enquérir du vœu du peuple et le faire respecter. Voilà notre mission. Si ce vœu est incertain, nous devons faire rappeler le corps électoral pour qu'il s'explique.

Vous voyez, messieurs, que nous n'aurions pas besoin d'aborder la question relative aux cinq électeurs dits « faux électeurs ».

Cependant subsidiairement, comme nous le disons au palais, et pour ne rien laisser d'indécis à vos consciences, nous allons étudier ce point soulevé dans nos débats. Mais, d'après moi, nous n'avons pas besoin d'autre chose que de la majorité numérique accordée à l'honorable M. Desmaisières, jointe à l'absence de convocation d'un électeur inscrit sur la liste électorale, qui par conséquent devait être convoqué, dont la convocation devait nous être produite ; nous n'avons pas besoin d'autre chose, dis-je, pour que nos consciences soient tranquillisées en décrétant l'annulation de l'élection de Dixmude.

li se présente encore, messieurs, relativement à ce point, des irrégularités administratives que je signale à M. le ministre de l'intérieur.

Car enfin il est incontestable que, dans tout ce dossier de l'élection de Dixmude, il y a quelques reproches à faire à l'administration.

En effet, messieurs, appel avait été interjeté de l'inscription sur la liste de ces cinq électeurs ; décision avait été rendue par la députation permanente. Comment se fait-il qu'au moment où l'élection allait avoir lieu, aucune notification aux intéressés n'ait eu lieu par l'autorité compétente ?

C'est une négligence grave, une négligence qui pourrait fort bien, comme l'a dit notre honorable collègue M. Lelièvre, avoir des conséquences graves et fâcheuses.

Mais nous n'avons pas à nous occuper ici des actes administratifs ; pour le moment, nous n'avons à nous occuper que des actes dans leurs rapports avec la validité de l'élection. Eh bien, messieurs, quant à la validité de l'élection, l'absence de notification de la décision de la députation permanente rendait cette décision comme nulle et non avenue. Cela est vrai, cela est incontestable. Mais (première question), l'appel lui-même de l'inscription sur les listes électorales des cinq électeurs dont il s'agit ne suspend-il pas la décision qui avait ordonné cette inscription ? (Deuxième question) : Dans le cas où la suspension de cette décision n'aurait point eu lieu, n'cst-il pas vrai de dire cependant que votre décision doit avoir un effet rétroactif conforme à la décision de la dépulation permanente ? Examinons : L'appel était-il suspensif ? C'est une question vivement controversée, j'en conviens ; cependant, quant à moi, tout appel me paraît suspensif quand la loi n'a pas dit le contraire. Il résulte de la nature de l'appel que c'est un acte déférant la contestation à une juridiction supérieure. Il résulte de la naturo de l'appel que l'autorité, qui doit juger en deuxième ressort, n'a plus rien à faire si l'appel n'est pas suspensif.

Le droit obtenu par l'une des parties, en vertu de la décision du premier juge, ce droit se trouve provisoirement énervé et paralysé par suite du pouvoir accorde au deuxième juge de connaître du mérite de cette décision. Ainsi, par sa nature même, l'appel est suspensif, en général ; pourquoi ne le serait-il pas en matière électorale ? En matière électorale, comme en toute autre matière, il y a un appelant, un intimé, un objet de contestation, une juridiction au premier degré, une jurisdiction au second degré ; toutes ces circonstances, qui donnent à l'appel le caractère suspensif, existent en matière électorale comme en matière ordinaire ; qu'est-ce qui en résulte ? C'est qu'il faudrait dans la loi une disposition expresse pour oter à l'appel, en matière électorale, son caractère suspensif.

Il est vrai, messieurs, qu'une disposition existe qui semble contredire notre doctrine : la loi, nonobstant l'appel, permet d'admettre au scrutin, en raison de la permanence des listes, les électeurs qui se présentent et contre lesquels aucune décision n'est apportée ; mais s'ensuit-il que lorsque le pouvoir législatif est appelé à vérifier les pouvoirs de l'élu, il n'ait pas le droit de vérifier la réalité de la capacité électorale des personnes qui se sont présentées et qui ont exercé le droit de voter ? Il résulte de ce raisonnement que si l'appel n'était pas suspensif, il serait encore vrai de dire que, pour nous, la décision de la députation permanente doit être la véritable loi, que cette décision ôté aux électeurs dont il s'agit leur capacité putative, que, par conséquent, l'appel n'empêche pas la décision d'avoir existé et dès lors d'avoir ravi aux personnes dont il s'agit l'exercice du droit électoral quant au fond des choses ?

Dès lors, messieurs, que devient le raisonnement de mon honorable ami M. Lelièvre ? Que vous fait maintenant la question de savoir si les opérations électorales peuvent être viciées par un acte légal dans la forme ? On démontre à l'évidence l'illégalité de l'intervention de ces électeurs, sinon dans la forme, au moins au fond. Si, dans la forme, ils avaient le droit de se présenter au bureau, le droit de voter, ce n'était qu'à titre provisoire et sauf vérification de notre part.

Du moment que nous trouvons que, à raison de la décision de la dépulation permanente, le droit de voter ne leur appartenait pas définitivement, qu'ils ne l'exerçaient que d'une manière putative et sauf ratification de notre part ; du moment où nous savons, d'un autre côté, que ce droit leur avait déjà été ravi par une décision qu'ils ne connaissaient pas encore mais dont l'existence est incontestée aujourd'hui, notre conscience ne nous prescrit-elle pas de considérer ces individus comme n'ayant pas fait partie du corps électoral de Dixmude, à l'instant où ils émettaient leur vote, et dès lors l'élection de M. Desmaisières ne vient-elle pas à tomber ?

Le raisonnement de mon honorable ami, M. Lelièvre, pèche en ce qu'il considère l'acte comme légal dans sa forme, et que dès lors ces électeurs ont pu le regarder comme définitif, légal et valable ; mais cet acte était suspendu lui-même quant à sa valeur, suspendu par l'appel qui avait été interjeté ; et du jour où la question nous a été soumise et où nous avons pu connaître la décision par laquelle l'autorité compétente avait été la capacité électorale à ces électeurs, ce jour-là cette apparence de légalité a disparu pour nous, et nous sommes obligés de reconnaître que le corps électoral qui a procédé à l'élection, était vicié par la présence de personnes qui ne possédaient pas en réalité le droit qu'elles venaient exercer.

On dit ensuite que notre théorie rendrait le gouvernement maître des élections, qu'il pourrait vicier quand il le voudrait, en ne prônant pas les mesures nécessaires afin d'empêcher le fait qui s'est produit dans l'occurrence. Certes, il pourrait se faire que le même cas que nous examinons ici se présentât dans toute autre élection et qu'il n'eût pas les mêmes effets. C'est en raison de la majorité peu élevée, majorité même nulle, comme j'ai eu l'honneur de le faire voir, que la question des cinq électeurs de Dixmude a pris les proportions qu'elle a prises. Sans cela, l'intervention de deux, trois, quatre ou cinq électeurs, si elle n'avait pu changer le résultat, n'aurait qu'une importance médiocre, et nous n'aurions pas même à nous en occuper en ce moment.

Le gouvernement ne devient donc pas maître de vicier les élections, hors le cas où les mêmes circonstances se présenteraient ; encore nous ne pouvons pas supposer que les hommes placés au timon des affaires et chargés par la loi de son exécution, aillent de gaieté de cœur poser d'avance, dans des intentions frauduleuses, des actes de négligence quï auraient pour conséquence de vicier l'élection. Je pense que le gouvernement sentira toujours le besoin de respecter le vœu populaire même avant qu'il soit émis et de montrer sous ce rapport que, tenant-tout son pouvoir des lois, il doit le premier obéir aux lois, et les exécuter sérieusement et avec sincérité.

M. Dumortier. - Messieurs, lorsque pour la première fois il fut question dans cette enceinte de la vérification des pouvoirs de l'élu de Dixmude, vous savez combien on a crié à la fraude électorale ; la fraude (page 48) sortait par tous les pores de cette élection ; il y avait fraude partout ; partout on n'avait vu que fraudes accumulées les unes sur les autres. Aujourd'hui nous voilà arrivés à une simple question de droit ; or, messieurs, je vous le demande tout d'abord, une question de droit peut-elle être un élément de fraude ? Déjà l'échafaudage élevé contre cette élection est donc tombé. Cependant comme la fraude a été trop souvent invoquée dans les discussions qui ont eu lieu jusqu'aujourd'hui au sujet de cette affaire, j'examinerai l'élection dans son ensemble et tous les faits qui s'y rapportent.

L'élection de Dixmude, vous le savez, messieurs, a eu lieu à une majorité faible.

Si vous examinez le résultat des procès-verbaux, vous voyez qu'au premier tour de scrutin le nombre des votants était de 707, que, par conséquent la majorité absolue était de 334 voix, et qu'au premier tour de scrutin M. Desmaisièrcs avait obtenu une voix de plus que celle majorité absolue.

Néanmoins dans le premier bureau, il y a au procès-verbal une réclamation pour une vérification de dépouillement du scrutin du second bureau et cette vérification a donné deux voles de plus à l'élu. Quelle peut avoir été la cause de cette augmentation de suffrages ? Si nous examinons la pétition faite le lendemain de l'élection, nous ne tarderons pas à la découvrir. Les pétitionnaires nous annoncent qu'une rumeur énorme règne à ce moment dans le second bureau électoral. Cela est consigné dans leur propre protestation. Ils nous disent : « Il règne à ce moment un grand tumulte, etc. »

C'est dans ce grand désordre que l'honorable Morel-Danheel, un des anciens membres de la chambre, procède à un second dépouillement ; ce second dépouillement amène à l'honorable M. Desmaisièrcs deux voix de plus. Si vous examinez le rapport du gouverneur, vous verrez que ces deux voix sont attribuées, suivant les uns, à une fraude ou plutôt à l'espèce d'émotion qu'éprouve l'honorable président, au milieu de ce désordre, signalé par les pétitionnaires eux-mêmes.

Vous voyez donc, qu'au milieu de ce désordre, il était possible à l'honorable président de nommer deux fois la même personne. Ce n'est pas la première fois que cela se voit, et le gouverneur lui-même reconnaît que cela peut avoir été ainsi.

Il ne me paraît donc nullement que les nouveaux bulletins aient été introduits frauduleusement ; personne ne le dit, personne ne saurait l'affirmer. En effet, les partisans de l'élu n'avaient aucun intérêt à introduire de nouveaux bulletins, puisque l'honorable M. Desmaisièrcs avait obtenu la majorité absolue dès le premier dépouillement.

Mais admettez que des bulletins aient été introduits, si l'on défalque du chiffre obtenu par l'élu, les suffrages excédant le nombre des bulletins, îl reste encore la majorité absolue à l'honorable M. Desmaisières, de sorte qu'en le plaçant dans la position la plus désavantageuse possible, il lui reste toujours la majorité absolue.

Mais une protestation est faite par les scrutateurs du premier bureau. Les opérations du deuxième bureau sont, disent-ils, suspectes. C'est là une déclaration sans caractère, car le procès-verbal du deuxième bureau mérite foi pour ses opérations, et leur régularité ne saurait être contestée.

Son procès-verbal en fait foi. Or, si vous défalquez à l'élu tous les votes excédant le nombre des bulletins, il lui reste toujours la majorité absolue, cette majorité lui est donc acquise. Voilà un fait incontestable. Il y a donc un élu.

Le lendemain de l'élection, une protestation est faite par des électeurs de Dixmude ; examinons-la.

D'abord, je ferai remarquer à l'assemblée qu'il est une différence notable entre les protestations faites au moment des élections et celles faites après l'élection.

Celles qui sont faites après l'élection n'ont pas à mes yeux un caractère aussi grave que celles qui résultent des procès-verbaux eux-mêmes.

La pétition qui nous est adressée repose sur des faits divers. Elle indique d'abord que certains électeurs n'ont point été convoqués dans les bureaux auxquels ils devaient être convoqués, pour le bureau dans lequel ils devaient voter, et M. le gouverneur déclare cette assertion en tous points fondée.

La commission a déjà fait justice de ce moyen ; elle a reconnu par les listes d'appel que les électeurs qui n'avaient pas été convenablement convoqués avaient pris part à l'élection dans leur bureau. Ce moyen n'existe plus.

En second lieu, les réclamants protestent contre les cinq électeurs de Clercken ; nous examinerons ce moyen tout à l'heure ; je vais d'abord passer aux autres, le troisième moyen est le dépôt des bulletins dans l'urne par plusieurs électeurs eux-mêmes. Cette allégation est contraire au procès-verbal. Le procès-verbal constate que le président a déposé tous les bulletins dans l'urne. Ce moyen est une affirmation qui ne repose sur rien.

Il est vrai que le gouverneur, dans son enquête, prétend que la déclaration du procès-verbal peut être contestée ; mais nous, nous ne devons voir que le procès-verbal ; il n'y a rien à opposer à un procès-verbal authentique.

Le quatrième moyen sur lequel s'est appesanti mon honorable ami, M. Adolphe Roussel, consiste en ce qu'un électeur n'a pas été convoqué, que le vote de cet électeur aurait pu changer la majorité, que par conséquent l'élection doit être annulée.

Quoi ! de ce qu'un électeur n'aurait pas reçu son billet de convocation, il faudrait annuler une élection ! Mais celle question s'est présentée vingt fois dans cette enceinte, et la jurisprudence constante de la chambre a été contraire à cette opinion,

Il s'agit de savoir si l'envoi à domicile des bulletins de convocation est une condition substantielle de l'élection ; la chambre a constamment déclaré qu'il n'en était rien ; comme l'a dit l'honorable M. Lelièvre, chacun est convoqué d'abord par la loi, puis par l'arrêté royal pris en exécution de la loi ; il doit savoir que les électeurs sont convoqués pour le deuxième mardi de juin, l'envoi des bulletins n'est qu'une formalité complémentaire.

Si on reconnaissait que l'élection pût être annulée pour un tel motif, il pourrait dépendre d'un bourgmestre de village par district, que toutes les élections fussent annulées. Voilà où conduirait l'argumentation de mon honorable ami M. Roussel. Du moment que vous regardez comme condition substantielle de l'élection la preuve de la remise des bulletins de convocation à domicile, il suffirait de la volonté d'un bourgmestre par district pour annuler toutes les élections de la Belgique, il suffirait même qu'un garde champêtre ne remît pas en temps utile des bulletins, de convocation pour faire annuler les élections.

M. Roussel. - Il en faudrait au moins un par district.

M. Dumortier. - Ainsi, il suffirait que le bourgmestre de Bruxelles, je sais que cela n'arrivera pas, négligeât d'envoyer des bulletins de convocation pour invalider les élections du district de Bruxelles ; il en serait de même des autres districts ; que deviendraient alors les élections de la Belgique ? Voilà la conséquence inévitable de l'argumentation de mon honorable collègue et ami.

C'est une question de principe que vous mettez en avant que la non-réception constatée du bulletin de convocation doit influer sur l'élection, si le nombre de suffrages obtenus est tel que l'élection puisse en être viciée ; qu'il faut en tenir compte et annuler l'élection. La question s'est présentée vingt fois, non en théorie, mais en fait ; à propos d'élection, où le principe recevait son application comme aujourd'hui et toujours, la chambre a écarté, à l'unanimité, les réclamations fondées sur des faits semblables.

S'il en était autrement, comme je le disais tout à l'heure, il dépendrait d'un agent inférieur qui ne fait en définitive que mettre la loi en action, de rendre une élection nulle.

Il n'en peut être ainsi. Chacun doit avoir connaissance de la loi et de l'arrêté royal pris en exécution. J'en appelle à la bonne foi de mon honorable ami ; lui qui a si profondément dans l'âme le sentiment du juste, n'est-il pas convaincu que l'électeur dont il s'agit savait que l'élection. avait lieu ce jour-là ?

M. Roussel. - La preuve, c'est qu'il n'est pas venu.

M. Dumortier. - Il était peut-être absent ; et puis, qui devait le convoquer, puisqu'il avait quitté son village ? Admettons même que la jurisprudence contraire à celle constamment admise par la chambre puisse prévaloir, où est la preuve que cet électeur n'a pas été convoqué ?

Il y a une affirmation, rien de plus ; la déclaration du gouverneur ne fait pas autorité. Il n'existe rien dans le dossier qui prouve que cet électeur n'ait pas été convoqué. Il y a, je le répète, une affirmation qui n'est appuyée d'aucune preuve. L'électeur a changé de domicile, la convocation a été remise au fils du garde champêtre de sa nouvelle résidence. S'il a manqué à son devoir, ce n'est pas une raison pour annuler l'élection.

L'allégation, qui n'est appuyée d'aucune preuve, fùt-elle vraie, serait sans importance, car, je puis trop le répéter, la jurisprudence de la chambre a toujours été que l'envoi des bulletins de convocation n'était pas une formalité substantielle et que son défaut ne devait pas entraîner l'annulation de l'élection. Si le système contraire était admis, on arriverait à cette conséquence que toutes les élections pourraient être annulées par le fait d'un bourgmestre, voire même d'un garde champêtre.

Voyons l'autre point traité par notre honorable ami M. Roussel : je veux parler des cinq électeurs. Il y a eu négligence grave de la part de l'administration, le fait est incontestable. Mais peut-on l'imputer à l'élu ? A cet égard, on ne peut contester ce principe, admis par mon honorable collègue, qu'à défaut de notification l'acte de déchéance est comme s'il n'existait pas. Un acte ne prend force que de l'instant de sa notification. Si un jugement rendu à portes ouvertes n'a d'effet que du moment de sa notification, à plus forte raison un arrêté rendu portes closes ne peut-il prendre valeur avant sa notification.

Messieurs, quels sont les faits en ce qui concerne ces cinq électeurs ? Je vais les exposer.

Le 30 avril, l'administration de Clercken arrête la liste des électeurs, et sur cette liste se trouvent les cinq électeurs dont il s'agit ; je tiens en mains la copie originale de cette liste. Peu de jours après, elle est remise, conformément à la loi, au commissaire d'arrondissement de Dixmude. Le 10 mai, ce dernier accuse réception des listes ; voici le récépissé. Tout est parfaitement en règle ; les cinq électeurs sont sur la liste permanente. Nous voyons cependant par la correspondance que le 18 du même mois le commissaire d'arrondissement avait interjeté appel quant à ces cinq électeurs.

Cependant cet appel n'est point connu de l'administration communale. Que fait celle-ci ? Evidemment elle fait ce qu'elle devait faire ; entendant vaguement annoncer qu'il y avait opposition contre l'inscription (page 49) de ces électeurs, elle se dit : Attendons ; voyons si la députation prendra une mesure. Enfin, rien n'arrivant, mon honorable ami M. le sénateur Cassiers, ordonne la convocation de ces cinq électeurs ; c'est ainsi qu'il y a eu, non pas deux listes électorales (car il n'y en a eu qu'une seule), mais deux états de billets de convocation. Mon honorable ami M. le bourgmestre de Clercken s'est donc conduit avec une extrême prudence ; il a fait ce que tout homme sage devait faire en pareil cas.

Apprenant par la rumeur publique que le commissaire d'arrondissement a fait appel pour ces cinq électeurs, il s'abstient de leur envoyer des bulletins de convocation ; mais voyant que la députation ne fait rien savoir et que ces électeurs sont portés par le commissaire d'arrondissement, il fait ce qu’il devait faire, comme bourgmestre : il envoie des bulletins de convocation aux cinq électeurs.

Voilà une conduite aussi loyale que possible.

S'il y a eu fraude, je désire savoir où est cette fraude ; elle n'est pas assurément dans la conduite de celui qui a attendu jusqu'au dernier moment pour voir s'il y a un arrêté d'annulation, et qui, voyant qu'il n'y en avait pas, a rempli son devoir, comme la loi le lui prescrivait.

Le 29 mai, le commissaire d'arrondissement écrit au juge de paix de Dixmude, président du bureau électoral, la lettre dont je vais avoir l'honneur de vous donner lecture :

« Furnes, le 29 mai 1850.

« Monsieur,

« Par ma lettre du 18 de ce mois, n°451, j'ai eu l'honneur d'adresser à la députation permanente du conseil provincial, cinq actes d'appel contre l'inscription sur les listes électorales de 1850, pour les chambres législatives et le conseil provincial, de la commune de Clercken, des nommés Verstraete (Charles), Bervoet (Charles), Crombez (Charles), Declercq (David-Silvestre) et Jaecques (Louis).

« Aucune décision ne m'élant parvenue à cet égard, je vous prie, monsieur, de vouloir bien me faire connaître, par le retour du courrier, si l'arrêté de la députation permanente ordonnant la radiation des électeurs susnommés, vous a été transmis directement par ce collège. »

Il me semble, d'après cette lettre, que le commissaire savait qu'un arrêté avait été pris par la députation permanente, puisqu'il demande au président du bureau électoral si cet arrêté lui est parvenu.

En effet, le 23 mai, six jours avant cette lettre, la députation permanente avait statué sur ces cinq électeurs, mais aucune signification n'en avait été faite ni aux autorités, ni aux intéressés. »

Le juge de paix répond immédiatement la lettre suivante :

« A M. le commissaire de l'arrondissement de Dixmude.

« 31 mai 1850.

« Pour satisfaire à votre lettre du 29 de ce mois, j'ai l'honneur de vous faire connaître que je n'ai reçu de la députation permanente aucune pièce relative à la radiation des électeurs dont vous y faites mention.

« Si l'arrêté ordonnant cette radiation me parvenait directement de la députation, j'aurai soin de vous en informer immédiatement.

« Verwilghen. »

Le commissaire d'arrondissement ne paraît donc pas avoir ignoré l'arrêté de la députation permanente.

Cependant que voyons-nous ? A la date du 3 juin, la liste officielle est arrêtée par le commissaire d'arrondissement. Dans cette liste figure qui ? Précisément ces cinq électeurs. Le commissaire d'arrondissement, vous le voyez, devait savoir ce qu'il faisait : il inscrit dans la liste permanente destinée à l'appel nominal ces cinq électeurs contre lesquels on réclame, pour lesquels on prétend que l'élection doit être annulée.

Je vous demande, en votre âme et conscience, si l'on aurait fait usage de ce moyen, dans le cas où la candidature opposée à celle de M. Desmaisières eût réussi.

M. Orts. - M. Desmaisières en aurait fait usage.

M. Dumortier. - Il n'aurait pas eu connaissance d'un arrêté pris en secret, non publié et qui n'avait pas été signifié. Il n'en aurait donc pas fait usage.

Le 3 juin, le commissaire d'arrondissement porte dans la liste qu'il signe de sa main et qui est destinée à l'appel nominal des bureaux les cinq électeurs de Clercken dont l'inscription avait été annulée le 23 mai par la députation permanente. Je me sers du mot porte avec intention, parce que lui, qui devait savoir par le gouverneur ce qui s'était passé, il porte ces cinq électeurs de la liste particulière à la liste générale.

Le 5 juin, il adresse la liste au juge de paix, président du bureau électoral, avec la lettre suivante :

« Furnes, le 5 juin 1850.

« Monsieur,

« J'ai l'honneur de vous faire parvenir, en doubles expéditions, et formées par sections, les listes des électeurs de l'arrondissement de Dixmude, qui sont appelés à concourir, le 11 juin prochain, à l'élection d'un membre de la chambre des représentants, en remplacement de M. de Breyne-Peellaert.

« Je vous prie, monsieur, de m'adresser après les opérations, un double du procès-verbal de l'élection, accompagné d'une des expéditions de ces listes pour être déposés dans les archives de mes bureaux, conformément à l'article 37 de la loi électorale.

« Le commissaire d'arrondissement,

« Deprey.

« A M. le juge de paix du canton de Dixmude. »

Voici donc les électeurs sur la liste permanente. Voilà la liste permanente arrêtée par le commissaire de district et comprenant les cinq électeurs dont il s'agit.

Cependant l'élection a lieu le 11 juin. Que se passe-t-il alors ? Le commissaire du district de Dixmude est en même temps commissaire du district de Furnes, où il habite, où il doit voter. Le jour de l'élection, il ne remplit pas là son devoir électoral ; il va remplir son devoir administratif à Dixmude. Il est là le 11 juin, près de trois semaines après l'arrêté de la députation ; il est présent à l'élection ; il voit les cinq électeurs venir voter ; il ne fait pas la moindre objection à leur vote. On laisse voter ces cinq électeurs ; ils prennent part au vote ; on ne leur signifie pas l'arrêté ; on ne leur dit pas qu'il en existe un ; ils votent donc ; ils se rendent à l'appel de leurs noms, et ce n'est que huit jours après le vote qu'on leur signifiera l'arrêté du 23 mai.

Suivons la marche des choses.

Le 16 juin (par conséquent, 5 jours après l'élection), le commissaire d'arrondissement envoie au juge de paix du canton de Dixmude la lettre dont je vais avoir l'honneur de vous donner lecture :

« Furnes, le 16 juin 1850.

« Monsieur,

« J'ai remis à M. le gouverneur de la province le procès-verbal du bureau principal au sujet de l'élection qui a eu lieu en votre ville, le 11 de ce mois. Ce document ne permettant pas à ce haut fonctionnaire de juger en parfaite connaissance de cause de ce qui s'est passé en cette occurrence, je vous prie donc, monsieur, de m'adresser par le retour du courrier, le procès-verbal de la deuxième section ainsi que la liste des votants tant au premier qu'au second bureau.

« Le commissaire d'arrondissement,

« Deprey.

« A M. le juge de paix de Dixmude. »

C'est donc cinq jours après l'élection que M. le commissaire de l'arrondissement commence à se rappeler ces cinq électeurs, c'est donc cinq jours après qu'il réclame les listes électorales. Ces listes lui sont envoyées par retour du courrier, conformément à sa demande, et le 21 juin, dix jours après l'élection, l'administration communale de Clercken reçoit une lettre portant la date du 18 et qui lui transmettait pour la première fois les arrêtés de la députation permanente. Cette lettre, reçue le 21 juin, mais qui porte la date du 18, est ainsi conçue :

« Furnes, le 18 juin 1850.

« Messieurs,

« J'ai l'honneur de vous adresser ci-joint les arrêtés pris par la députation permanente, en séance du 23 mai dernier, sur les appels interjetés, par moi, en matière électorale, à l'égard de cinq habitants appartenant à votre commune.

« Veuillez, messieurs, faire immédiatement la signification aux intéressés.

« Le commissaire d'arrondissement,

« Deprey.

« A l'administration communale de Clcrken. »

(Au haut est écrit : Reçue à Clercken, le 21 juin 1850.)

Ce n'est donc que dix jours après l'élection, remarquez-le bien, messieurs, que cet arrêté paraît pour la première fois ; ce n'est que cinq jours après l'envoi des listes des votants et lorsque l'on connaît le résultat de l'élection de Dixmude, que cet arrêté paraît ! Pourquoi donc n'avait-il pas paru auparavant ? Il y avait un arrêté, et vous le teniez en poche ; vous ne le communiquez que dix jours après l'élection. Et l'on parle de fraude ! Mais la fraude où est-elle ? Elle est tout entière du côté de l'administration. Après cela, que penser de ces accusations de fraude, d'immoralité lancées contre l'honorable M. Desmaisières ? N'est-ce pas une chose monstrueuse que de voir l'administration attribuer à l'élu ses propres actes et les qualifier de fraude ? Voilà pourtant ce qui se passe dans cette élection.

Messieurs, je le déclare, depuis vingt ans que je siège dans cette enceinte, je n'ai jamais vu chose semblable, rien d'aussi révoltant. En effet, si vous examinez la marche des faits, vous verrez qu'il y a eu dans cette affaire une action administrative inouïe pour empêcher la vérité de se faire jour à Dixmude.

Que faisait, en effet, M. le commissaire de l'arrondissement lors de l'élection ? Il était à écrire des circulaires à tous les bougmestres du district administratif de Dixmude pour empêcher l'élection de M. Desmaisières ; admonestant les uns, menaçant les autres, ordonnant à d'autres de lui rendre compte jour par jour de tout ce qui se faisait relativement à l'élection de Dixmude. (Interruption.)

Je vais le prouver.

Voici, messieurs ; et je prie la chambre de m'écouter, une circulaire de M. le commissaire de l'arrondissement. J'en déposerai au besoin l'original sur le bureau de la chambre.

« M. le bourgmestre, »

Ce n'est pas monsieur, c'est M. le bourgmestre, c'est donc en qualité de fonctionnaire et à un fonctionnaire que M. le commissaire d'arrondissement écrit.

(page 50) « Furnes, 7 juin 18S0.

* Monsieur le bourgmestre,

« Mardi prochain auront lieu à Dixmude les élections pour le renouvellement partiel de la chambre des représentants.

« M. de Breyne, membre sortant, a rempli son mandat avec honneur, et il a donné plus d'une preuve de son indépendance et de l'importance qu'il attache a la défense des intérêts qui lui sont confiés. Il mérite à cet égard la reconnaissance de tous les hommes impartiaux.

« J'ose me persuader, M. le bourgmestre, que la conduite parlementaire de M. de Breyne est assez bien appréciée par la généralité des électeurs, de l'arrondissement de Dixmude et qu'elle peut parfaitement se passer de recommandation spéciale.

« Cependant j'ai pensé que vous ne prendriez pas de mauvaise part, qu'en votre qualité de chef de la commune de …, je vous prie (sic) de bien vouloir soutenir cette candidature et la recommander à vos administrés.

« Recevez, M. le bourgmestre, l'assurance de ma parfaite considération.

« Le commissaire d'arrondissement,

« Deprey. »

Voilà donc un commissaire d'arrondissement écrivant en cette qualité à des bourgmestres et en leur qualité pour en faire des agents électoraux.

Messieurs, où est la sincérité des élections dont on parle, où est la sincérité électorale ? Comment ! lors des élections de 1848, les ministres ne sont-ils pas venus ici, dans cette enceinte, se faire donner un bill d'approbation de ce que (disaient-ils) ils s'étaient tenus neutres dans les élections. N'êtes-vous pas venus, dans le discours du Trône, dire que le gouvernement s'était tenu en dehors de la lutte électorale ? N'êtes-vous pas venus réclamer pour vous la sincérité de la politique nouvelle ? Et maintenant nous voyons des agents du gouvernement écrire, en leur qualité d'agents du gouvernement, des lettres aux bourgmestres pour les inviter à insinuer tel candidat à leurs administrés, tenant ainsi sur leur tête l'épée de Damoclès, leur destitution !

Mais ce n'est pas tout. Voici, messieurs, une autre lettre que j'ai trouvée dans le journal même de Dixmude, qui a été reproduite par tous les journaux de la Flandre occidentale et qui n'a jamais été démentie. Elle a, dit ce journal, été adressée aux bourgmestres du district. Elle n'a certainement pas été adressée à tous, mais elle a été adressée à une partie d'entre eux.

« Monsieur le bourgmestre,

« Le gouvernement attachant un grand intérêt au succès de la candidature de M. de Breyne, vous me rendrez compte, monsieur, des opérations que vous aurez faites en faveur de M. de Breyne, et vous m'indiquerez le chiffre des votes que vous aurez amenés à faire réussir la cause nationale.»

M. Rodenbach. - C'est un véritable scandale, un scandale inouï !

M. Dumortier. - On dit que c'est un scandale inouï, et l'on a raison.

Ainsi, voilà un commissaire d'arrondissement écrivant aux bourgmestres sous ses ordres de lui indiquer jour par jour quel est le nombre de voix obtenues par un candidat. Et vous parlez de sincérité des élections, et vous venez vous faire donner, dans des adresses au Roi, dans de libres émanations de la chambre, un bill de ce que vous n'exercez aucune influence dans les élections !

Ainsi, messieurs : « Le gouvernement attache un grand intérêt au succès de la candidature de M. de Breyne. Vous me rendrez compte des opérations que vous aurez faites en sa faveur, et vous m'indiquerez le chiffre des votes que vous aurez amenés, à faire réussir la cause nationale. »

Je m'arrête à ces derniers mots, « la cause nationale ». Il en résulte que, pour M. le commissaire de l'arrondissement de Dixmude, l'élection de M. Desmaisières était contraire à la cause nationale ! Eh quoi ! n'est-il pas notoire que l'honorable M. Desmaisières est l'un des hommes qui ss sont signalés à l'époque de la révolution, qui ont rendu depuis 1830 des services incontestables à la cause nationale ? Ne sait-on pas que l'honorable M. Desmaisières a siégé dans cette chambre depuis dix-sept ans, qu'il a été deux fois ministre du Roi ?

Et c'est un ennemi de la cause nationale aux yeux des agents du gouvernement ! Il faut le signaler comme tel aux bourgmestres pour qu'ils agissent sur leurs administrés ; son élection mettrait en péril la cause nationale !

Je le répèle, je n'ai pas vu, depuis vingt ans que je siège dans cette chambre, d'exemple d'un fait semblable, d'une corruption électorale aussi scandaleusement pratiquée par les agents du gouvernement. Et après cela, l'on attaquera cette élection pour cause de corruption ! Demandez-vous maintenant où est la corruption, où sont les agents corrupteurs, où sont ceux qui par une pression abominable cherchent à entraver la sincérité des élections ?

Mais l'élection est terminée. L'honorable M. Desmaisières, malgré les efforts inouïs tentés contre lui, et bien qu'on l'ait représenté comme un ennemi de la cause nationale, l'honorable M. Desmaisières triomphe. Que se passe-t-il ? D'abord les scrutateurs refusent de proclamer son nom. Cela ne fait rien à l'opération ; c'est le résultai du vote qu'il faut voir.

Plus lard on imagine de signifier les arrêtés relatifs à ces cinq électeurs. C'est alors seulement que l'on commence à savoir qu'il y avait là cinq électeurs dont on pouvait contester les droits. Que fait-on encore ? On fait une enquête secrète et souterraine, non point pour faire apparaître la vérité, non point pour réprimer les abus administratifs, et l'enquête elle-même est un démenti donné à cette assertion, mais pour annuler l'élection de celui qu'on avait inutilement cherché à faire succomber devant le peuple par les moyens inouïs que nous venons de signaler.

On fait donc une enquête administrative, une enquête par laquelle le gouvernement se met aux lieux et place de la chambre des représentants à laquelle seule appartient le droit de vérifier les pouvoirs de ses membres. Que porte, en effet, la Constitution ? Elle porte que chaque chambre vérifie les pouvoirs de ses membres. Ce n'est donc point au ministre de vérifier nos pouvoirs, c'est à la chambre ; ce n'est point au ministre de faire une enquête, c'est à la chambre. Il y a donc ici abus d'autorité, il y a usurpation de la prérogative de la chambre, qui a seule le droit de faire des enquêtes sur les élections.

Quand le peuple nomme des députés, il les envoie ici pour contrôler les ministres, et non point pour être les serviles exécuteurs de leurs volontés. Ce n'est donc pas au ministre de faire des enquêtes en pareille matière. La Constitution a défendu toute espèce d'intervention du pouvoir dans les élections.

Mais, messieurs, quel est le résultat de cette enquête ? L'enquête est imprimée. Vous l'avez sous les yeux. Le résultat en est que M. le gouverneur se permet d'adresser un blâme à des autorités même qui sortent de sa compétence, à des autorités même qui sont instituées par la loi pour empêcher les abus de l'administration. N'avez-vous pas vu, par exemple, dans cetle enquête, que M. le gouverneur se permet de dire :

« II est établi que le sieur (N) s'est montré indifférent dans l'exercice de ses fonctions de scrutateur, et qu'il a mis de la négligence à vérifier les bulletins. »

Comment ! les scrutateurs des bureaux placés par la loi pour vérifier le résultat du vote, ces scrutateurs seront responsables devant l'autorité administrative, pourront être réprimandés par l'autorité administrative ! Mais, messieurs, cela passe toute espèce de bornes.

Si vous examinez le rapport, messieurs, vous voyez du moins un homme de cœur et d'énergie, et je lui rends hautement hommage, c'est le juge de paix de Dixmude. Que répond ce magistrat ? Ouvrez le rapport de M. le gouverneur, vous y lirez ce passage qui fait à l'honorable juge de paix le plus grand honneur :

« M. Verwilghen a cru devoir protester contre la démarche faite auprès de lui, en déclarant faire toutes ses réserves au sujet de la compétence de l'autorité à qui la réclamation des électeurs de Dixmude a été adressée.

« D'après M. le juge de paix, cette réclamation aurait dù être envoyée directement aux chambres, et non à M. le ministre de l'intérieur qui, dit M. Verwilghen, n'avait pas droit d'intervenir pour prendre ces renseignements. »

Voilà, messieurs, un homme honorable qui est dans la vérité constitutionnelle. Voilà un honorable citoyen qui vient protester contre cet acte inouï de l'administration, contre cette intervention du gouvernement dans l'élection populaire. Eh bien, messieurs, que répond M. le gouverneur de Bruges ? « Je ne crois pas devoir m'arrêter aux singulières observations de M. le juge de paix. » Ainsi, parce que M. le juge de paix de Dixmude vient maintenir la Constitution, vient maintenir les prérogatives du parlement, ce sont de singulières observations auxquelles on ne croit pas devoir s'arrêter.

Messieurs, ces mots seuls prouvent toute la direction donnée à cette affaire.

On a fait des efforts sans exemple pour empêcher l'élection de M. Desmaisières. On n'a pu l'empêcher et, l'élection faite, on cherche par tous les moyens possibles à l'annuler, on cherche à l'empêcher de sortir ses effets.

Mais, messieurs, si le candidat opposé avait été nommé, croyez-vous, dans votre âme et conscience, que l'honorable ministre de l'intérieur eût ordonné une enquête ? Pensez-vous, dans votre âme et conscience, qu'on fût venu faire surgir les cinq électeurs dont il s'agit ? Pensez-vous, dans votre âme et conscience, que si le candidat du gouvernement avait réussi, on fût venu, un mois plus tard, exhumer un arrêt qui jusque-là était resté sans effet, parce qu'il n'avait pas encore vu le jour ? Quant à moi, dans mon âme et conscience, je n'hésite pas à dire : Non, l'on n'aurait point fait tout cela.

Quand je vois la passion qui a été mise dans cette affaire, je dis : Non, cette enquête n'aurait point été faite, ces moyens n'eussent pas été employés, si le candidat du gouvernement avait triomphé. On aurait couvert tous ces faits, on les aurait cachés, comme on l'a fait pour d'autres élections. Et parce que le vote populaire, malgré des efforts inouïs, a été favorable à un ancien ministre, à un homme de la révolution, à un homme qui, en 1830, s'est signalé par son dévouement au pays, parce que cet homme a triomphé, on le signale comme un ennemi de la cause nationale, et on veut l'écarter à tout prix.

Mais, dit mon honorable collègue et ami, l'appel qui avait été interjeté doit être considéré comme suspensif. Comment, je vous le demande, messieurs, est-il possible de considérer comme suspensif un appel qui n'avait pas même été signifié, qui n'a été signifié que 10 jours après l'élection ? Messieurs, la loi électorale a voulu une chose sérieuse ; elle n'a pas voulu livrer l'urne électorale aux intrigues du gouvernement, elle a voulu que tous ceux qui sont appelés à mettre leur bulletin dans l'urne puissent le faire sans aucune espèce de difficulté.

(page 51) Je n'admets pas, moi, comme mon honorable collègue, des votes provisoires en présence des manœuvres que je viens de signaler. Il faut la moralité dans les élections, et ici la moralité est tout entière du côté de l'élu. En présence de ces faits, j'ai le droit de dire : C'est à vous de réclamer en temps utile contre les inscriptions indûment faites, et si vous n'avez tiré de votre poche l'arrêté de la députation que dix jours après l'élection, tant pis pour vous, le vote est valide parce que la permanence des listes est la jurisprudence de la chambre et qu'ici elle est d'accord avec la sincérité des élections.

Mais si la permanence des listes est ici la sauvegarde de la sincérité des élections, si elle l'est même quand les tribunaux n'ont pas eu le temps de statuer sur les réclamations, elle l'est à bien plus forte raison lorsque c'est le commissaire de district qui agit de sa propre autorité, lorsque le commissaire de district retient pendant un mois dans sa poche l'arrêt qui a été rendu.

Dans la séance du 24 mars 1843, il s'agissait de la question de savoir si l'on accorderait aux commissaires d'arrondissement le droit d'interjeter appel sur les listes électorales arrêtées par les administrations communales. L'opposition d'alors, aujourd'hui la majorité, n'entendait en aucune manière adopter ce principe : elle ne voulait pas que le commissaire d'arrondissement pût en aucun cas interjeter appel sur les listes formées par les communes. Voici ce que disait à cet égard l'honorable M. Rogier, aujourd'hui ministre de l'intérieur :

« Quand le commissaire se porte lui-même candidat aux élections, y a-t-il égalité entre les deux concurrents dans un arrondissement ? A toute l'influence administrative que lui donne sa position, vous ajoutez celle qui résultera de la formation et de la vérification des listes. Souvent le maintien ou l'inscription d'un électeur sur la liste pourra devenir la condition d'un vote favorable au commissaire d'arrondissement. Il dira à l'un : Ou votez pour moi, ou je vous fais rayer pour telle cause. A un autre il dira : Je vais vous faire inscrire à condition que vous voterez pour moi. »

Est-ce que par hasard on n'aurait pas appliqué ici le principe qui a été posé en 1843 ? Est-ce que le maintien de ces cinq électeurs sur la liste électorale, alors que l'arrêté qui prononçait leur radiation était à la connaissance du commissaire d'arrondissement, est-ce que le maintien de ces cinq électeurs n'était pas l'effet d'un pacte entre le commissaire et les cinq électeurs ? Ne les conservait-on sur la liste qu'à la condition qu'ils voteraient pour le candidat du gouvernement ? (Interruption.)

C'était la supposition que l'honorable M. Rogier, alors député de l'opposition, faisait en 1843.

Je vais avoir l'honneur de relire le passage que j'ai cité :

«t Souvent le maintien d'un électeur sur la liste pourra devenir la condition d'un vote favorable au commissaire d'arrondissement. »

- Un membre. - Un commissaire d'arrondissement ne peut plus être élu aujourd'hui.

M. Dumortier. - Si les commissaires d'arrondissement ne sont plus éligibles, ils font élire ; et je doute qu'un commissaire d'arrondissement, alors qu'il pouvait se faire élire, eût osé écrire pour son propre compte des lettres semblables à celles dont j'ai donné lecture ; je ne pense pas surtout qu'il oùt osé se permettre de représenter son concurrent comme un ennemi de la cause nationale, et de prescrire aux bourgmestres de son district de le tenir au courant, jour par jour, des voix qu'ils acquerraient pour le compte du candidat du gouvernement.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Pour ce dernier fait, vous n'avez pas une lettre officielle.

M. Dumortier. - J'ai dit et je répète qu'une lettre avait été insérée dans le journal de Dixmude,et dans tous les journaux de la province, et jamais elle n'a été démentie.. Il était bien facile au commssaire d'arrondissement de la démentir.

Je dis de plus que son honneur était intéressé à la démentir ; et que dès lors, s'il n'avait pas écrit la lettre, il l'aurait démentie.(Interruption.) La lettre, me dit-on, est authentique. Donc toute discussion sur ce point devient inutile.

L'honorable M. Rogier en 1843 continuait ainsi :

« Il dira à l'un : Votez pour moi ou je vous fais rayer de la liste pour telle ou telle cause. »

Voilà quelle était l'opinion de l'honorable M. Rogier, en 1843, relativement à la faculté donnée au commissaire d'arrondissement d'appeler des listes électorales. Eh bien, ici tout se passe comme si le commissaire d'arrondissement avait exécuté les prévisions de M. le ministre de l'intérieur, député de l'opposition en 1843. Qui nous dit pour qui ont voté ces cinq électeurs ? C'est leur secret à eux. Si le commissaire d'arrondissement avait su que ces électeurs eussent voté contre le candidat du gouvernement, il est évident qu'il n'aurait pas attendu jusqu'au 21 juin, pour faire la signification ; et si le candidat du gouvernement avait passé, jamais, non, jamais la signification n'aurait été faite.

Messieurs, l'honorable M. Roussel s'est demandé : « L'appel est-il suspensif ? Notre décision doit-elle être rétroactive ? » Au sujet de la première question, l'honorable membre dit : « La loi ne dit pas que l'appel doive être suspensif ; donc l'appel doit être suspensif. »

Je répondrai à mon honorable collègue que je le prie de peser lui-même les conséquences de son système. Si l'appel ici était suspensif, voici à quel résultat vous pourriez arriver : un électeur viendrait interjeter appel, sans aucune espèce de raison, contre tous les électeurs qui se montreraient opposés à son candidat ; dès lors l'appel étant suspensif, ce candidat serait élu à l'unanimité des voix. Voilà quelle serait la conséquence inévitable de l'appel suspensif défendu par mon honorable collègue et ami. Au reste, cela a été décide en 1843.

Dans l'opinion que la jurisprudence de la chambre a consacrée, l'appel ne saurait être suspensif. Dans la discussion de la loi de 1843, l'honorable M. Delfosse disait :

« L'honorable M. Malou a commis une erreur très grave lorsqu'il a dit que l'appel en matière électorale était suspensif, il importe que cette erreur ne s'accrédite pas ; il résulte de l'article 25 de la loi électorale que l'appel n'est pas suspensif. »

Et c'est ce que nous apprend une autorité dont vous ne contesterez ni le talent, ni les opinions.

L'honorable M. Delebecque dans son commentaire sur les lois électorales, a écrit ces lignes sur lesquelles j'appelle toute votre attention.

« Mais le pourvoi est jugé le jour même de l'élection. Il est donc décidé que celui qui a voté, n'avait pas le droit de voter. Quel sera maintenant l'effet de cette décision souveraine sur l'élection ? Dira-t-on que l'électeur avait capacité au moment du vote, qu'ainsi l'élection doit être maintenue ? Dira-t-on au contraire qu'il n'avait pas de capacité, parce que l'arrêt définitif devant reporter ses effets au moment où est née la contestation, il y a ici la rétroactivité ordinaire suivant les règles de la procédure, et qu'en présence de la contestation déjà née au moment de l'exercice du droit attaqué il ne peut y avoir de capacité putative ? Ce dernier raisonnement serait en opposition manifeste avec le principe que le pourvoi n'est pas suspensif : l'élection est valide ; le vote a été bien et dûment déposé. »

M. Dolez. - L'auteur parle du pourvoi en cassation.

M. Dumortier. - C'est la même chose, c'est plus encore, car si l'opinion de l'honorable M. Delebecque est vraie quant à l'élection annulée en dernier ressort, elle l'est bien plus encore quand ce n'est qu'en appel.

M. Dolez. - C'est une erreur.

M. Dumortier. - C'est une erreur, voyons l'auteur.

M. Roussel. - L'auteur me l'a dit lui-même ce matin.

M. Dumortier. - Eh bien ! je vais répondre à l'auteur.

Qu'est-ce que la loi prescrit ? La loi prescrit que tous les arrêtés pris par la députation permanente seront immédiatement notifiés. Si ces arrêtés avaient été notifiés immédiatement le 25, le 26 ou le 27, les électeurs auraient réclamé en cassation. Ils se trouvaient alors dans leur droit, leur vote était valide. S'ils ne s'étaient pas pourvus en cassation, c'eût été la faute de l'administration.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Ils étaient rayés, comment pouvaient-ils voter ?

M. Dumortier. - Ils étaient rayés, par qui ? Ils ne l'étaient pas. Voici la liste générale d'appel des électeurs remise le 3 juin 1850 par le commissaire de district et signée par lui. Voyons s'il a rayé les électeurs dont il s'agit. Je prends la commune de Clercken ; j'y trouve d'abord Crombez Charles ; j'y trouve également Jaecques Louis ; j'y vois encore Vanderstraeten, enfin les cinq électeurs dont il s'agit sont sur la liste. La liste que je tiens en main est la liste originale sur laquelle l'appel s'est fait, la liste officielle qui a été remise par le commissaire d'arrondissement, sur laquelle on a voté. Pouviez-vous les rayer par jugement secret ? Un jugement ne prend vigueur qu'à partir de sa notification ; MM. Lelièvre et Roussel sont d'accord sur ce point ; c'est un principe hors de tout conteste, il est de droit qu'on ne peut être tenu d'exécuter un jugement qu'à partir du jour où il a été notifié. Le commissaire d'arrondissement, en gardant l'arrêté et en portant ou conservant sur la liste des électeurs les cinq individus dont il s'agit, put l'avoir fail pour en profiter ensuite.

Je demanderai pourquoi on n'a pas interrogé le gouverneur, M. Deprey sur les motifs de la non-notification de l'arrêté. Voilà ce qu'il fallait rechercher ; c'est là-dessus qu'il fallait porter ses investigations. Pourquoi le commissaire de district, qui à la date du 29 mai écrivait au juge de paix pour lui demander si l'arrêté lui était parvenu, ne le notifiait-il pas ? N'est-ce pas qu'on voulait avoir une arme à deux tranchants, pour s'en servir suivant le besoin de l'élection ? On voulait avoir une arme cachée qu'on laisserait dormir si M. de Breyne était nommé, mais dont on se servirait si M. Desmaisières passait. Et c'est en présence de tels faits que la moralité de l'élection serait du côté du gouvernement !

Il y a donc impossibilité d'invalider l'élection dont il s'agit ; le chiffre de la majorité a été atteint, toutes les prescriptions de la loi ont été observées, aucune fraude ne peut être reprochée à l'élu non plus qu'à ceux qui l'appuyaient ; s'il y en avait eu, elle serait le fait de l'administration ; ce serait chose inouïe de voir l'administration créer des moyens de fraude pour s'en prévaloir contre l'élu d'un district dont elle combattait l'élection. Voilà ce que vous justifieriez par votre vote si vous annuliez, l'élection de Dixmude.

- M. Jullien, dont l'admission a été prononcée dans une précédente séance, prête serment.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, je prends la parole, moins pour m'occuper du débat en lui-même, que pour relever quelques-uns des reproches adressés par l'honorable préopinant aux agents de l'administration. Il vient de supposer tout un système de fraude soigneusement organisé par le gouvernement et tous ses agents ; (page 52) il fallait à tout prix se débarrasser du concurrent redoutable opposé à M. de Breyne ; tous les moyens ont paru bons au gouvernement et à ses agents pour atteindre ce résultat.

Rien de plus faux que les allégations du préopinant. Que de pareils moyens aient été employés dans un autre temps, dans un autre camp, c'est ce que je ne veux pas examiner. Mais que, spécialemcnt dans l'élection de Dixmude, le gouvernement soit intervenu par des moyens frauduleux directement ou indirectement, c'est ce que le simple exposé des faits démontrera être entièrement contraire à la vérité.

S'il est une élection qui ait peu préoccupé le gouvernement, c'est l'élection de Dixmude. Le gouvernement n'aurait pu croire qu'on opposât un concurrent sérieux à M. de Breyne. En effet, il était difficile d'imaginer en quoi la conduite si sage, si modérée, si parfaitement constitutionnelle de M. de Breyne aurait pu lui attirer l'animadversion des électeurs.

Tout le monde dans cette chambre avait trouvé en lui le caractère le plus modéré, le plus inoffensif ; sans contester les sentiments patriotiques de son honorable adversaire, on peut dire qu'il était peu connu dans le district de Dixmude, où M. de Breyne, bourgmestre du chef-lieu, est aimé, estimé, parfaitement bien vu.

Lui-même, d'après ce que j'ai appris, ne soupçonnait pas la candidature de M. Desmaisières qui s'était produite dans, un district voisin concurremment avec celle de M. Malou. (Interruption.) C'était à Ypres que s'était produite la candidature de M. Desmaisières.

M. Malou. - C'était une erreur !

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Voilà ce qui avait été signalé au public. Je répéterai que le gouvernement ne soupçonnait en aucune manière la candidature de M. Desmaisières ; j'ajouterai que s'il l'eût connue et qu'il eût eu à faire connaître ses préférences, elles auraient été pour l'honorable membre qui représentait l'arrondissement de Dixmude.

Un commissaire de district aurait organisé un système de fraude et d'intimidation contre l'honorable M. Desmaisières.

Je proteste contre toutes les accusations dont cet honorable fonctionnaire a été l'objet, et je dirai, au surplus, que si des circulaires ont été adressées par un commissaire de district aux bourgmestres de son ressort, le gouvernement n'entend prendre en aucune manière la responsabilité de ces circulaires ; les commissaires n'ont reçu aucune espèce d'instruclion du gouvernement qui les autorisât à adresser des circulaires.

Du reste, de ces deux circulaires, celle qu'on prétend posséder en original, me paraît parfaitement innocente ; quant à l'autre, qu'on a extraite d'un journal, je ne dis pas qu'elle mérite d'être approuvée. J'ajouterai (car je n'ai pas lieu de suspecter le caractère de ce fonctionnaire) que s'il était capable de tenir la conduite qu'on lui prête et qu'on veut présenter sous un jour si défavorable, l'ancien gouverneur de la Flandre occidentale, l'honorable ami de M. Dumorticr ne lui aurait sans doute pas donné sa confiance : il se serait gardé de recommander sa nomination au gouvernement, et sous ce rapport, j'aime à croire que l'honorable M. de Muelenaere sera le premier à venir prendre la défense de cet honorable fonctionnaire ; il le connaît beaucoup plus particulièrement que moi.

Si j'ai bien compris le système d'accusation de l'honorable M. Dumortier, voici ce qui se serait passé : le commissaire d'arrondissement, qui devait savoir, par le gouverneur de la province, que cinq électeurs avaient été rayés de la liste et que nonobstant ils viendraient voter, se serait ménagé d'user, ou de ne pas user de ce moyen d'annulation suivant le résultat de l'élection. Voilà le système qui aurait été imaginé par cet honorable fonctionnaire.

Si nous voulions d'après des faits connus apprécier la conduite tenue par les partisans de l'adversaire de M. de Breyne, voici ce que nous trouverions : Les cinq électeurs contre l'inscription desquels on avait interjeté appel ne furent point convoqués pour les élections provinciales par le bourgmestre de leur commune et ils ne vinrent pas voter à ces élections qui avaient eu lieu le 29 mai, quelques jours avant les élections générales. Qui s'abstint de les convoquer ? Le bourgmestre de Clerken, bien que l'arrêté de la députation du 23 mai n'eût pas été notifié.

M. Malou. - Il n'était pas là.

M. Dedecker. - Il ne faut pas accuser légèrement.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je n'accuse pas légèrement, je constate les faits. Ces électeurs ne furent pas convoqués pour les élections provinciales. Viennent les élections générales. Une première convocation est faite ; on n'y comprend pas les cinq électeurs. Est-ce que le bourgmestre, est-ce que les agents de la commune étaient d'accord avec le gouverneur et avec le commissaire de district pour se réserver un moyen de faire annuler l'élection ?

Le 3 juin, je ne sais à l'instigation de qui, on envoie une convocation supplémentaire à ces cinq électeurs, qu'on n'avait pas convoqués pour les élections provinciales, et qu'on n'avait pas cru devoir convoquer d'abord pour les élections générales. Pourquoi cette convocation supplémentaire ? Je ne veux pas me laisser aller à des suppositions. Je ne veux pas supposer que l'honorable bourgmestre de Clercken, qui soutenait ouvertement la candidature de son ami M. Desmaisières, ait convoqué ces cinq électeurs parce qu'il savait qu'ils devaient voter pour lui.

M. Dedecker. - Il devait exécuter la loi.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Sans doute, mais comment convoque-t-il 4 ou 5 jours avant les élections ces individus qu'il n'avait pas convoqués pour les élections provinciales et qu'il n'avait pas compris dans la convocation générale pour les élections du 11 juin ? S'il y a eu une négligence grave, c'est sans doute de la part du bourgmestre de Clercken.

M. Dedecker. - Il est sénateur.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Oui ; mais il est bourgmestre, et j'infligerai un blâme à l'administration communale de Clercken pour la négligence qu'elle a montrée dans cette circonstance.

M. Dumortier. - C'est le commissaire de district.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Tous ceux qui sont coupables de négligence seront blâmés.

M. Dedecker. - Nous verrons.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Cette convocation tardive se trouve signée par le bourgmestre seul. Le contre-seing du secrétaire n'a pas été donné ; pourquoi ? C'est ce que l'enquête administrative n'a pas encore fait découvrir.

On reproche au gouvernement d'être intervenu dans cette affaire, d'avoir ordonné une enquête au moment où les passions étaient encore surexcitées par la lutte électorale. Mais qu'a fait le gouvernement ? Il a rempli son devoir. Il n'a pas pris l'initiative ; il a été saisi par une pétition et informé ainsi de diverses irrégularités administratives qui auraient été commises dans l'élection de M. Desmaisières. Cette pétition a été envoyée quelques jours après au gouverneur avec la lettre suivante :

« M. le gouverneur,

« J'ai l'honneur de vous communiquer une réclamation adressée à mon département signée par trente et un électeurs contre l'élection qui a eu lieu à Dixmude, le 11 de mois.

« Je vous prie, M. le gouverneur, de vouloir bien me faire parvenir des renseignements sur les faits qui sont allégués dans la pièce ci-jointe et notamment sur ceux qui font l'objet des n°1° et 2°. »

Ces faits sont : 1° que « des électeurs de Bovekerke ont reçu des lettres de convocation indiquant pour lieu de réunion le local destinée à la première section, tandis qu'ils devaient voter à la deuxième. Ils ajoutent que les lettres de convocation des électeurs de Nieuwcappelle ne faisaient aucune mention du local où l'élection devait avoir lieu. » Je tenais à vérifier si cette convocation avait été faite régulièrement. 2° « Que l'on a admis au vote cinq personnes contre l'inscription desquelles il avait été interjeté appel auprès de la députation permanente, comme indûment portées sur la liste des électeurs. »

Voilà, messieurs, le second fait sur lequel j'avais appelé l’attention de M. le gouverneur de la province. J'ai pensé que j'étais parfaitement en droit de le faire parce que la loi admet l'intervention de l'autorité administrative pour l'accomplissement de certaines formalités. C'était mon devoir de m'enquérir de quelle manière les agents administratifs avaient rempli ces formalités.

Qu'est-il résulté des renseignements que j'ai demandés ? Qu'en effet, et je m'arrête à l'objet principal, cinq électeurs avaient été rayés par la députation et que cependant ils ont été admis à voter. On a négligé de leur notifier la décision de la députation permanente ; c'est un fait regrettable, mais cela n'empêche pas que la décision de la députation permanente n'ait rayé moralement les cinq électeurs. Le fait de la radiation matérielle ne signifie rien à mes yeux. Ils ont été rayés de par la députation, ils n'étaient donc plus électeurs.

M. Moncheur. - Le pourvoi en cassation eût été possible si on leur avait notifié l'ordonnance.

M. Malou. - C'est pis que le tribunal secret de Venise ; on ne peut en Belgique soutenir un pareil système.

Je demande la parole.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Mon Dieu ! j'ai entendu soutenir bien d'autres systèmes, et celui-ci ne me paraît rien avoir d'exorbitant.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Avec votre système, les élections seraient à la disposition du gouvernement.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Ce n'est pas moi qui ai défendu l'intervenlion administrative dans les élections. L'honorable M. Malou qui s'indigne, sait fort bien que j'ai combattu le système de la loi qui nous régit aujourd'hui ; l'honorable M. Malou et ses amis ont beaucoup insisté, à l'époque où ils étaient majorité, pour introduire dans la loi une plus forte intervention de l'autorité administrative ; nous avons combattu ce système ; si donc il donnait lieu à quelques inconvénients, ces inconvénients retomberaient sur les auteurs de la loi.

M. Malou. - Il fallait l'abroger.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il est possible que si quelques abus venaient à se produire, nous n'hésiterions pas à faire disparaître celui-là comme plusieurs autres.

Si M. le gouverneur, en n'exécutant pas la décision de la députation permanente, enlève à cette décision toute espèce de force, remarquez que vous qui vous récriez contre l'intervention des agents du gouvernement, vous leur remettez le sort des élections entre les mains ; car supposons qu'un grand nombre d'électeurs soit inscrit faussement sur une liste, par l'influence du commissaire de district, par exemple. Les électeurs diligents de la commune font appel auprès de la députation. Celle-ci reconnaît l'inscription frauduleuse des électeurs, elle (page 53) ordonne leur radiation. Le gouverneur, complice du commissaire de district, ne notifie pas la radiation prononcée par la députation. Et vous voulez que ces faux électeurs ciennent apporter u cote valable ! Vous voulez qu’une chambre sanctionne le résultat d’un pareil vote ? mais vous n'y pensez pas ! (Interruption.) C'est votre système, mais je ne le comprends pas.

M. Malou. - Il est très simple.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Nous attendrons vos explications. Mais je vous expose d'une manière très claire les résultats du système que vous préconisez. Vous remettez le sort des élections entre les mains des agents de l'administration.

Si, messieurs, il fallait se livrer aussi à des suppositions, ne pourrait-on pas croire que la tactique, s'il y a eu tactique, est venue de tout autre part que de celle de l'autorité administrative supérieure ?

On dit que toute cette affaire, depuis le commencement jusqu'à la fin, ne révèle que fraude. Eh bien, d'abord comment se fait-il que cinq électeurs qui n'avaient pas le droit de figurer sur les listes, aient été inscrits ? Qui est l'auteur de la première inscription ?

En second lieu, qui a interjeté appel ? Ce n'est pas l'autorité communale ; c'est le commissaire de district. En vertu de la loi qui lui confère ce droit ? La députalion a annulé, elle a déclaré que l'inscription avait été indûment faite par l'administration communale.

L'administration communale, avertie qu'elle avait inscrit de faux électeurs, ne les convoque pas une première fois pour les élections provinciales, ne les convoque pas une seconde fois pour les élections générales ; mais elle les convoque à la dernière extrémité, quatre ou cinq jours après la convocation adressée aux vrais électeurs.

Suivez, messieurs, la marche que je vous indique, et dites, si l'on voulait se livrer à des accusations, si ces accusations ne pourraient pas retomber le plus directement sur le parti que soutiennent en cette circonstance nos adversaires.

J'ai dit, messieurs, que je ne voulais pas m'occuper du fond même de la question. La chambre est juge souverain en ces matières. Après tout, l'annulation d'une élection, qu'est-ce ? c'est une enquête à l'égard d'un acte sur la validité duquel la chambre a des doutes ; c'est un appel à l'opinion publique, un appel à la majorité des électeurs. Il n'y a rien là de blessant ni d'injurieux pour personne. Si la volonté des électeurs s'est produite d'une manière sincère la première fois en faveur d'un candidat, elle devra se traduire de la même manière une seconde fois. Si, au contraire, l'opinion véritable des électeurs ne s'est pas produite à l'élection dernière, une occasion se présentera pour la même opinion de se manifester. En renvoyant les deux candidats à leurs propres juges, aux électeurs, la chambre ne pose pas un acte de violence ni contre l'un ni contre l'autre ; elle les met en mesure de se produire dans cette assemblée revêtus d'un véritable mandat incontesté et incontestable.

Lorsqu'on veut faire entrer dans une chambre un représentant qui ne serait élu qu'à la majorité d'une voix, alors qu'un certain nombre d'électeurs seraient venus voter sans qualité, on peut dire que l'on ne pratique pas le gouvernement parlementaire dans toute sa sincérité.

M. Dedecker. - Messieurs, la question de la vérification des pouvoirs de l'élu de Dixmude présente une double face. Il y a, au fond de ces faits que nous discutons, une question de légalité, d'application de la loi et aussi une question plus importante à mes yeux, une question de moralité politique.

Messieurs, les différents orateurs que vous avez entendus jusqu'à présents ont traité surtout la question de légalité ; cette question sera encore, je pense, approfondie d'une façon spéciale par d'honorables amis que je crois parfaitement compétents pour la résoudre. Quant à moi, je vais m'attacher surtout à la question de moralité, parce que le rapport de M. le gouverneur de la Flandre occidentale, le rapport spécial de la commission de vérification des pouvoirs et le discours même que vous venez d'entendre ont placé le débat sur ce terrain.

Messieurs, tous les faits que nous avons sous les yeux et sur lesquels nous discutons, tous ces faits, nous ne les connaissons que par une seule pièce, par une enquête du gouvernement. Qu'est-ce que c'est que cette enquête ? D'abord, messieurs, je me joins énergiquement à mon honorable collègue et ami M. Dumortier pour flétrir devant vous cette manière d'agir du gouvernement. Le gouvernement n'a pas le droit d'ordonner une enquête électorale ; c'est aux chambres seules à vérifier le pouvoir de leurs membres. Le gouvernement n'a point fait ici, comme il le prétend, un simple examen des faits au point de vue de l'administration, pour savoir si tel ou tel de ses agents s'était ou ne s'était point rendu coupable d'irrégularités graves ; il résulte clairement du texte et de l'esprit du rapport de M. le gouverneur de la Flandre occidentale que l'enquête a été faite au point de vue purement électoral, c'est-à-dire pour trouver |es moyens d'annuler l'élection.

Eh bien, messieurs, rien que ce fait, rien que l’existence d'une telle enquête eût déjà été à mes yeux un motif suffisant pour demander une enquête contradictoire. C'est quelque chose d'élémentaire, messieurs, qu'avant d'asseoir un jugement sur des faits contestés et douteux, il faut entendre les deux opinions en présence ; cela est surtout de rigueur quand la seule opinion connue est celle de personnes elles-mêmes directement intéressées dans la question.

Quelle est notre position à nous, membres de la législature ? Nous sommes en présence d'une enquête, cette enquête a été faite au nom du gouvernement et par les seuls agents du gouvernement. Elle a été faite presque immédiatement après les élections, c'est-à-dire au milieu de la plus grande effervescence politique, alors que les passions étaient encore surexcitées par tout ce qui venait d'avoir lieu.

Je demande donc qu'on fasse une enquête contradictoire, non plus par les agents du gouvernement, mais par le pouvoir judiciaire ; aujourd'hui une enquête se fera dans de bien meilleures conditions, car il faut supposer, au moins, que le calme est revenu dans les esprits.

Mais, si le seul fait de l'existence d'une enquête gouvernementale était déjà à mes yeux un motif suffisant pour nécessiter une enquête contradictoire, elle me paraît bien plus indispensable encore depuis que j'ai pris connaissance du compte rendu de l'enquête du gouvernement. En effet, cette enquête m'a choqué autant par ce qu'elle dit que par ce qu'elle ne dit pas ; c'est-à-dire autant par les insinuations, par les accusations qu'elle renferme contre l'administration de la commune de Clercken, que par les réticences dont on use envers un fonctionnaire placé plus haut.

Le fait capital, messieurs, celui de la participation au vote de cinq électeurs indûment inscrits, ce fait et tous ceux qui sont relatifs à l'inscription de ces électeurs et à leur convocation, s'expliquent de la manière la plus claire, la plus naturelle.

M. le ministre de l'intérieur a dit : « Pourquoi ne les a-t-on pas convoqués lorsqu'il s'agissait des élections provinciales, et pourquoi, lorsqu'ils ont été convoqués pour l'élection d'un membre de la chambre, ne l'ont-ils été que par des lettres portant la seule signature du bourgmestre ? » Eh bien, messieurs, s'il y a des doutes à cet égard, c'est un motif de plus pour ordonner une enquête contradictoire ; mais ces faits s'expliquent de la manière la plus simple.

Examinons d'abord le fait de l'inscription de ces cinq électeurs sur la liste électorale.

Commençons par remarquer qu'à l'époque où cette liste fut dressée, il n'était pas le moins du monde question d'opposer un candidat à M. de Breyne. Aucune préoccupation politique n'a donc présidé à cette inscription.

Comment donc l'inscription des cinq électeurs en question a-t-elle ou lieu ?

L'administration communale de Clercken inscrivit les cinq cabaretiers dont il s'agit, parce que, dans sa pensée, elle devait le faire par suite de l'application de la nouvelle loi, relative à l'abonnement pour le débit de boissons distillées.

Vous savez, messieurs, qu'au mois de décembre dernier, nous avons décidé par une disposition légale, expresse, que l'abonnement payé pour le débit des boissons distillées compterait pour parfaire le cens électoral.

Le commissaire de l'arrondissement de Dixmude avait encore, avant la fin du mois de mars, rappelé cette disposition de la loi à toutes les administrations communales de son ressort.

Eh bien, le conseil communal de Clercken a inscrit ces cinq électeurs, croyant que l'abonnement qu'ils payaient depuis plusieurs années devait leur être compté rétroactivement, tandis que, d'après l'interprétation de M. le ministre des finances, que je crois la vraie, cet abonnement ne pourra être compté pour parfaire le cens électoral qu'à dater de 1850, sans rétroagir sur les années précédentes.

Or, il faut payer le cens électoral depuis trois ans, pour être admis au nombre des électeurs. C'est donc par suite d'une erreur d interprétation que l'administration communale de Clercken a inscrit les cinq électeurs dont il s'agit. La contre-enquête que je propose éclaircira parfaitement ce fait.

La liste électorale, ainsi dressée, fut affichée ; aucune réclamation n'eut lieu. La liste fut alors définitivement arrêtée et envoyée au commissaire d'arrondissement. Le commissaire d'arrondissement la renvoya sans faire la moindre observation. Seulement, quelques jours après, on apprit, par la rumeur publique, et sans avoir reçu aucune espèce d'avertissement officiel, que le commissaire d'arrondissement avait interjeté appel du chef de l'inscription de ces cinq électeurs.

Mais, dit-on, on ne les a pas convoqués pour les élections provinciales. D'abord, ce fait est-il constant ? Nous ne le connaissons que par une seule pièce. Mais quelle est la portée de ce fait, en le supposant exact ? D'abord n'y a-t-il eu que ces cinq électeurs seuls qui n'aient pas été convoqués ? Car ce n'est que dans ce cas-là que le fait aurait une signification. Mais, en définitive, pourquoi cette absence de convocation ?

Vous savez, messieurs, ce que c'est qu'une élection provinciale, surtout quand il n'y a pas de lutte : souvent on n'y attache pas d'importance. C'est ce qui explique pourquoi les cinq électeurs dont il s'agit n'ont pas réclamé. Après tout, que prouve cette non-convocation ? Qu'on a eu tort de ne pas les convoquer : voilà tout.

Remarquons aussi que l'honorable bourgmestre de Clercken n'est pour rien dans cette omission : il se trouvait, à cette époque, à Bruxelles.

On continue l'objection, ou plutôt l'insinuation. Pour l'élection d'un membre de la chambre, dit-on, ces cinq électeurs n'ont pas été convoqués le même jour que les quinze autres. Eh bien, cela s'explique encore très naturellement. L'administration communale avait appris, toujours par la rumeur publique, que l'appel existait : par prudente elle n'a convoqué que les quinze électeurs à l'égard desquels il n'y avait point de doute.

(page 54) Que devait faire le chef de l'administration communale, en ce qui concerne la convocation de ces cinq électeurs ? Il savait, comme le conseil communal, c'est-à-dire par la rumeur publique, qu'il y avait appel contre eux de la part du commissaire d'arrondissement ; mais précisément parce qu'aucune décision n'intervenait de la part de la députation permanente, il était d'autant plus autorisé à croire que l'appel n'avait pas eu d'effet, et il s'est dit : « Jusqu'à ce que la décision de la députation permanente m'ait été communiquée officiellement, je dois à mes devoirs de bourgmestre de faire convoquer immédiatement les 5 électeurs. » Et il les convoqua par un état séparé, signé de lui seul ; peu importe ici la signature du secrétaire, à l'absence de laquelle on semble vouloir attacher une importance ridicule et qui s'expliquerait encore parfaitement par une contre-enquête.

Ainsi, loin d'être en faute, le bourgmestre de Clercken a rigoureusement accompli son devoir.

Voilà donc les faits, qu'on proclame si graves et si irréguliers, parfaitement expliqués.

Mais il y a d'autres faits sur lesquels on glisse bien légèrement, et qui auraient bien besoin d'être expliqués. Il y a notamment un fait qui domine tous les autres, qui seul a provoqué toute cette discussion, je veux parler de la non-communicalion de la décision de la députalton permanente aux cinq électeurs. S'il y a de la négligence quelque part, elle est là.

Je ne veux pas imiter l’exemple de M. le ministre de l’intérieur ; mais si je voualis récriminer, il y aurait certes ici matière à récrimination ; car, ainsi que l’a dit l’honorable M. Dumortier, ce fait est tel qu’il est difficile de supposer qu'il n'y ait eu ici qu'un simple oubli.

Chose singulière ! Nous voyons le gouverneur de la province qui est coupable, dans cette affaire, de la plus grave négligence, déployer une rigueur extrême, dans son rapport, contre l'administration d'une petite commune ! Je ne veux pas, moi, qu'on vienne détourner nos regards de ceux qui sont coupables d'une négligence grave, pour porter notre attention sur un petit bourgmestre de campagne ; je veux chercher les fautes là où elles existent.

M. le ministre de l'intérieur dit qu'il est dans l'intention de blâmer l'honorable bourgmestre de Clercken ; ce blâme ne devra pas émouvoir beaucoup ce fonctionnaire, qui a la conscience d'avoir fidèlement rempli son devoir ; l'opinion publique a, d'ailleurs, d'amples compensations à ces blâmes officiels. Mais, si M. le ministre veut être conséquent et juste, il devra dire que la grande faute a été commise par le chef de l'administration provinciale, et que si l'on avait communiqué aux intéressés, en temps utile, la décision de la députation permanente, toutes ces difficultés électorales ne se seraient pas présenlées.

Ainsi, tous les faits reprochés à une administration communale sont clairement expliqués ; le fait justement reproché à une administration supérieure reste inexpliqué.

Puisqu'on a soulevé la question de moralité politique, je tiens à ce qu'elle soit vidée à la face du pays. Au nom de la dignité de la chambre, je demande donc formellement qu'avant tout on se livre à une enquête contradictoire qui se fera par une autorité indépendante éclairée, par l'autorité judiciaire, aux décisions de laquelle je m'en référerai complètement. Dans l'état actuel de l'instruction de l'affaire, nous ne pouvons pas émettre un jugement consciencieux : nous ne connaissons les faits que par une seule autorité qui s'est trouvée elle-même compromise dans l'affaire.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, nous sommes fort loin de nous opposer à ce que la chambre ordonne une enquête pour vérifier tous les faits qui se sont passés dans l'élection de Dixmude ; nous n'avons aucun motif pour nous y opposer. Mais je demande quelle sera l'utilité de cette enquête ?

Selon l'honorable M. Dedecker, tout ce qui est allégué pour invalider l'élection de Dixmude, résulte du rapport du gouverneur de la Flandre occidentale, et c'est parce que les preuves résultent de ce rapport seulement, que l'honorable membre ne paraît pas vouloir se prononcer dès maintenant.

Eh bien, l'erreur de l'honorable M. Dedecker est complète : on peut écarter tous les documents qui ont été publiés, (erratum, page 72) on peut déchirer le rapport de M. le gouverneur de la Flandre occidentale, et les preuves authentiques des faits qui invalident l'élection, se trouveront encore sous les yeux de la chambre. (Interruption.)

N'incriminons personne ; ne faisons pas comme l'honorable M. Dumortier qui imagine tout un système de fraude....

M. Dumortier ; - Je me suis borné à citer des faits.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - … Ecartons la supposition que l’administration communale de Clercken aurait elle-même commis quelque fraude ; admettons toutes les explications de l'honorable M. Dedecker ; mais demandons-nous seulement s'il est vrai que cinq individus n'ayant pas qualité, ont pris part à l'élection ? Ce fait, rien que ce fait, résulte-t-il de pièces authentiques ? La liste tenue lors de l'élection, constate que ces cinq individus ont pris part au vote ; il résulte d'une décision de la députation permanente que ces cinq individus n'avaient pas qualité pour faire partie du collège électoral. En faut-il davantage pour prononcer la nullité de l'élection ? (Interruption.)

L'honorable M. Malou me dit que la décision de la députalion permanente n'a pas été notifiée. Cela est vrai, je le reconnais, mais cela est parfaitement indifférent pour la chambre. La chambre doit se prononcer sur une question de bonne foi, sur le point de savoir si ce sont de vrais électeurs ou de faux électeurs.....(Interruption.) J'opposerai tout à l'heure M. Dumortier à M. Dumorticr qui m'interrompt. La chambre, je le répète, doit savoir si des électeurs vrais ou faux ont pris part à l'élection. Ce point une fois constate, la chambre n'a pas à s'arrêter à un défaut de forme, à l'absence de notification. Cela est parfaitement indifférent pour la chambre.

J'ai dit que je voulais opposer M. Dumortier à M. Dumortier. Voici ce qu'il disait dans la session de 1841, à propos de l'élection de l'honorable M. Cogels, en répondant à l'honorable M. Lebeau :

« L'honorable préopinant s'est longuement étendu sur la question de la permanence des listes. Je viens d'avoir l'honneur de vous dire que ni moi ni un grand nombre de mes honorables amis ne reconnaissons le principe de la permanence des listes, malgré les explications si lucides de l'honorable M. de Theux. Nous pensons que la chambre a toujours le droit d'examiner la fraude, s'il s'en trouve dans la formation des listes électorales. »

L'honorable membre ajoutait :

« Messieurs, je fais ici franchement cette déclaration, parce que je ne veux pas qu'un jour il soit possible que des hommes, quels qu'ils soient, sous prétexte de la permanence des listes, parviennent à vicier les élections et par suite la représentation nationale. Je le déclare, à mon avis, les questions d'élection sont, avant tout, des questions de bonne foi et de moralité. »

Voilà ce que disait alors l'honorable M. Dumortier.

M. Dumortier. - Je n'ai pas tenu un autre langage aujourd'hui ; la moralité et la bonne foi, voilà mon principe.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Eh bien, c'est ici une simple question de moralité et de bonne foi qu'il faut décider ; la question de savoir si de bonne foi l'élection est valable, lorsque cinq personnes sans qualité, ont pris part au vote.

M. Dumortier. - Et l'élection de M. d'Hoffschmidt ?

M. Coomans. - C'est la question.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Ce n'est pas la question.

M. Dumortier. - La question est de savoir...

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'admets encore l'interruption de l'honorable M. Dumortier. Mais il suffirait que cela fût possible pour que la chambre ne voulût pas valider l'élection. Comment ! il suffirait du mauvais vouloir du gouvernement pour que l'élection fût valide, pour que l'on maintînt une élection à laquelle des individus n'ayant pas droit ont pris part !

M. Dumortier. - Voyez l'élection de M. d'Hoffschmidt !

M. le président. - Il ne s'agit pas de l'élection de M. d'Hoffschmidt.

M. Delfosse. - Que M. Dumortier n'interrompe pas, on ne l'a pas interrompu.

M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Je demande la permission de faire remarquer que la chambre ne doit pas permettre que l'élection d'un de ses membres soit mise en question, alors qu'elle n'a excité aucune réclamation ni au-dedans ni au-dehors de cette enceinte.

M. le président. - C'est l'observation que je veux faire. Il n'appartient à personne de contester une élection contre laquelle il n'y a pas eu de réclamation, et que la chambre a validée à l'unanimité.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il est souverainement jugé que cinq individus ont pris part au vote sans en avoir le droit (interruption), cela est jugé par décision de la députation permanente ; elle a statué et il n'y a point de pourvoi contre sa décision.

M. Malou. - Nous répondrons demain.

M. le président. - Soit, mais n'interrompez pas.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - On parle de bonne foi et de moralité, et au lieu d'examiner cette question de bonne foi et de moralité, c'est à de misérables questions de forme que l'on s'attache.

De bonne foi, avait-on connaissance de la décision de la députation ? Les faits qui résultent du dossier ne permettent guère de le nier ; ces électeurs n'ont pas été convoqués pour l'élection provinciale...

M. Dumortier. - Ce n'est pas exact.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est exact.

M. Delfosse. - M. Dumorticr ne doit pas interrompre.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Surtout pour ne pas dire la vérité.

M. le président. - Je ne puis pas permettre des colloques. Lorsqu'on interrompt d'un côté on interrompt également de l'autre. Dans l'intérêt de la dignité de la chambre, j'interdirai toutes les interruptions, même celles qui auraient lieu du consentement de l'orateur. Je rappellerai à l'ordre ceux qui n'auraient pas égard à cette observation.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il résulte des pièces authentiques qui sont sous les yeux de la chambre que cinq personnes ont été rayées de la liste électorale, que ces cinq individus ont pris part néanmoins au vote, que ces mêmes cinq individus n'avaient pas été convoqués pour l'élection provinciale qui a eu lieu le 29 mai, preuve que l'on avait connaissance, selon moi, que ces individus n'avaient pas qualité pour voter. (Dénégations de M. Dumortier.)

Que l'honorable M. Dumortier le dénie s'il le veut, soit, mais telle est la conséquence que j'en déduis. Ces individus n'ont pas été convoqués le 31 mai avec les autres électeurs de la commune ; ils n'ont été convoqués que quelques jours avant l'élection ; on a fait pour eux une liste de convocation spéciale. Voilà ce qui résulte de pièces authentiques. Ces faits sont démontrés à l'évidence, et ils suffisent, assurément, pour que l'élection ne puisse être maintenue.

- La séance est levée à 5 heures un quart.