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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 18 décembre 1850

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1850-1851)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 322) M. Ansiau procède à l'appel nominal à une heure et un quart.

La séance est ouverte.

M. de Perceval donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Ansiau présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la chambre.

« La dame Rose Van Beveren, qui a perdu son mari à la suite d'un incendie auquel il a assisté, prie la chambre de lui accorder un secours.»

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Plusieurs habitants de Wacken demandent le maintien des primes sur les toiles de lin. »

- Même renvoi.


« Plusieurs habitants d'Andenne demandent la construction du pont projeté d'Andenne à la station du chemin de fer de cette ville. »

M. Moncheur. - Cette pétition présente un caractère d'urgence incontestable ; je demande qu'elle soit renvoyée à la commission des pétitions, avec demande d'un très prompt rapport.

- Adopté.

Rapports sur des demandes en naturalisation

M. Destriveaux. - J'ai l'honneur de déposer, au nom de la commission des naturalisations, des rapports sur plusieurs demandes en naturalisation ordinaire.

- Ces rapports seront imprimés et distribués.

La chambre les met à l'ordre du jour à la suite des objets qui y sont déjà.

Projet de loi approuvant le traité de commerce et de navigation conclu avec l’Etat de Nicaragua

Rapport de la section centrale

M. Van Iseghem. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le traité conclu entre la Belgique et l'Etat de Nicaragua.

- Ce rapport sera imprimé et distribué. La chambre le met à l'ordre du jour.

Rapport sur des demandes en naturalisation

M. Peers. - J'ai l'honneur de déposer, au nom de la commission des naturalisations, des rapports sur plusieurs demandes en naturalisation ordinaire,

- Ces rapports seront imprimés et distribués. La chambre les met à l'ordre du jour.

Nomination d'un membre de la cour des comptes

La parole est à M. Lelièvre.

M. Lelièvre. - Messieurs, quoique mon opinion, dans le sens favorable à la validité de l'élection de M. Jacques,, ait été formée dès le début de la discussion soulevée dans votre séance d'hier, je ne me suis pas opposé, en dernier lieu, à ce que les débats fussent continués à ce jour, parce que je suis convaincu qu'un système appuyé sur la vérité acquiert toujours un plus grand degré d'évidence lorsqu'il a été l'objet de méditations sérieuses.

La question qu'à fait naître la motion de l'honorable M. de Perceval touche de trop près à la dignité de la chambre et à la prérogative parlementaire pour ne pas mériter toute notre attention.

Qu'on ne se le dissimule pas ; il s'agit de savoir si l'exercice du droit que nous confère l'article 116 de la Constitution est soumis à la modification signalée par l'auteur de la proposition ; il s'agit de décider si la chambre peut être entravée dans son action de liberté entière lorsqu'elle nomme ce que j'appelle ses délégués à la cour des comptes : je dis ses délégués puisqu'elle ne leur confie qu'un mandat temporaire et même révocable en tout temps.

Or, en ce qui me concerne, je n'hésite pas à répondre négativement, et ce sont les principes ordinaires du droit qui me paraissent résoudre la difficulté.

La loi de 1848 sur les incompatibilités est une disposition générale qui, d'après les règles reçues en cette matière, ne déroge jamais aux lois spéciales et exceptionnelles.

Ce principe est aussi ancien que le droit. Jamais les lois générales ne s'appliquent à ce qui est réglé par des dispositions spéciales qui forment pour ainsi dire une législation à part, à laquelle on ne peut déroger que par des dispositions formelles portant sur la matière particulière dont il s'agit.

Or tout ce qui concerne la cour des comptes fait l'objet d'une loi exceptionnelle que par conséquent la disposition générale de 1848 n'a nullement atteinte.

En voulez-vous une preuve positive ? C'est que relativement à la cour des comptes le législateur n'avait pas même à s'occuper des incompatibilités. Cet objet était traité dans les lois et décrets concernant l'organisation de cette cour.

C'est ainsi que l'article 2 du décret du congrès national du 30 décembre 1830, confirmé par la loi du 27 octobre 1846, spécifie clairement les causes d'incapacité ; et ce qui est décisif, c'est que déjà cette disposition du pouvoir constituant avait établi l'incompatibilité entre la qualité de membre des chambres législatives et celle de membre de la cour des comptes. Il me semble dès lors évident que lorsqu'en 1848, le législateur s'est occupé des incompatibilités, il n'a pu nullement avoir en vue les membres de la cour des comptes, puisque à cet égard il existait une loi particulière qui satisfaisait aux exigences de la situation.

Pour changer la loi spéciale, il aurait fallu une disposition expresse innovant formellement la législation exceptionnelle.

Voilà à mes yeux la considération capitale qui, puisée dans les principes généraux du droit, repousse le système de l'honorable M. de Perceval.

Mais, messieurs, il existait de graves motifs pour ne pas soumettre l'exercice du droit de la chambre à une disposition générale qui n'était pas faite pour une matière spéciale.

C'est tout à fait exceptionnellement que la chambre des représentants confère les fonctions dont il s'agit, fonctions temporaires qu'elle peut faire cesser en tout temps. L'on conçoit, par conséquent, qu'il s'agit ici d'un mandat particulier qui n'a rien de commun avec les fonctions salariées en général dont parle la loi de 1848 sur les incompatibilités.

Ce mandat est soumis à d'autres règles, à d'autres conditions que les fonctions publiques en général, et l'on comprend parfaitement qu'il soit resté en dehors des prescriptions de la loi de 1848.

Relativement à la nomination des membres de la cour des comptes, ce que la majorité crée aujourd'hui, elle a le droit de l'anéantir demain. Sous ce rapport, et à raison, d'ailleurs, de la qualité du pouvoir qui confère les fonctions, il n'y a aucune assimilation possible avec l'ordre de choses ordinaire.

Mais si nous voulons même examiner l'esprit qui a présidé à la disposition qu'on nous oppose, nous nous convaincrons que jamais elle n'a pu s'appliquer à des fonctions déférées par les chambres législatives.

Quelque généraux que soient les termes dans lesquels une convention est conçue, elle ne comprend que les choses sur lesquelles il paraît que les parties se sont proposé de contracter (article 1163 du Code civil). Cette règle, d'après la doctrine généralement reçue, est aussi applicable à (page 323) l'interprétation des lois, et cela n'est pas étonnant lorsqu'on remarque que, relativement à leurs conventions particulières, les parties sont de véritables législateurs.

En conséquence, les lois conçues dans les termes plus généraux ne concernent toutefois que l'ordre de choses que le pouvoir législatif a entendu régler. De là le principe enseigné par les jurisconsultes romains : Scire leges. hoc non est verba carum tenere, sed vim ac potestatem. Or voyons dans quelles circonstances s'est produite la loi de 1848 sur les incompatibilités. Elle est née de la situation extraordinaire où se trouvait la Belgique, voisine de la France, qui venait de faire une révolution au cri de « vive la réforme ! »

Quel était l'objet des plaintes de l'époque ? L'on se prononçait énergiquement contre l'influence directe qu'exerçait le gouvernement sur les fonctionnaires qui encombraient l'enceinte législative ; mais jamais les nominations émanées de la législature dans des cas extrêmement rares n'avaient soulevé la moindre réclamation. La loi de 1848 était une satisfaction donnée à l'opinion publique sur ce qui était l'objet des vives préoccupations de celle-ci. Elle n'a donc eu évidemment en vue que de paralyser l'influence du pouvoir exécutif, et l'action ministérielle qui peut n'être dirigée que par des vues personnelles, étrangères aux intérêts nationaux. On voulait prévenir cette corruption administrative dont un pays voisin avait donné le funeste exemple, exécutée sur une vaste échelle par le gouvernement, au moyen d'emplois qui étaient à sa disposition. Mais la législature n'a certainement pas voulu se mettre elle-même en suspicion, elle n'a pu vouloir prendre des précautions injurieuses contre la majorité des chambres qui, composées d'éléments nouveaux, donnaient toutes les garanties et étaient réputées les organes sincères de l'opinion du pays.

C'eût été véritablement un spectacle insolite et inouï de voir les chambres stipuler contre elles-mêmes, et admettre la possibilité d'une majorité corrompue au profit d'intérêts particuliers, et alors qu'il ne s'agissait pas même de débats avec le pouvoir exécutif.

La supposition sur laquelle est fondée la motion de M. de Perceval me paraît donc inadmissible. Elle répugne à la nature même des choses et à la dignité de la législature.

Je ne suis pas frappe de l'argument présenté par M. le ministre des finances qui a pensé que l'on a pu prendre certaines précautions contre l'influence exercée par le gouvernement sur la majorité.

Mais évidemment ce n'est pas cette influence très indirecte et trop éloignée que la loi a eu en vue, alors d'ailleurs qu'au moyen des incompatibilités écartant les fonctionnaires du droit d'entrer dans l'enceinte représentative, le législateur répute tous ceux auxquels il y donne accès comme parfaitement libres et entièrement indépendants.

On n'est pas plus heureux, selon moi, à invoquer la disposition qui concerne les conseils provinciaux ; car, en premier lieu, cette prescription confirme même notre système, puisqu'elle ne concerne que des fonctions conférées par le gouvernement, ce qui prouve que c'est à cet ordre de choses qu'on a voulu limiter les restrictions les plus rigoureuses ; en second lieu, on comprend facilement qu'on ait cru devoir stipuler certaines garanties à l'égard des assemblées provinciales qui peuvent être soumises plus ou moins à des influences locales, mais qui n'ont rien de commun soit par leur importance, soit par leur composition, avec les chambres législatives placées dans une sphère plus élevée ; mais il y a plus, ces assemblées provinciales peuvent même déférer à leurs membres certaines fonctions salariées par l'Etat. La loi ne les met donc pas en suspicion légitime sous ce rapport, comment donc aurait-elle fait une position plus défavorable aux pouvoirs électifs représentant les plus grands intérêts du pays ?

Je soumettrai à la chambre une dernière réflexion que je livre à ses méditations.

La disposition de la loi de 1848, qui ne permet de nommer les membres des chambres législatives à des fonctions salariées par l'Etat « qu'un an après la cessation du mandat » n'est qu'une suite et une annexe de la disposition de l'article premier de cette loi qui force celui qui est revêtu de pareilles fonctions à opter entre celles-ci et le mandat législatif.

Or l'article premier de la loi de 1848, qui prescrit l'option, n'est pas relatif à la qualité de membre de la cour des comptes, puisque l'incompatibilité de ce chef était déjà écrite dans la loi spéciale.

Eh bien, si l'article premier de la loi de 1848 est évidemment étranger à la qualité de membre de la cour des comptes, n'est-il pas évident qu'il en est de même de la disposition subséquente, écrite évidemment dans le même esprit et ayant la même portée ? Cela me paraît d'une conséquence irrésistible.

N'oublions pas du reste que les incompatibilités sont de droit étroit, qu'elles constituent un ordre de choses exceptionnel qui doit être plutôt restreint qu'étendu, et que dès lors, puisque les nominations émanées des chambres législatives dans des cas exceptionnels ne présentent pas certainement les mêmes dangers que les choix émanés directement du gouvernement, il est rationnel de penser que le législateur n'a pas voulu placer sur la même ligne deux hypothèses qui n'ont aucune analogie entre elles, et que, sous ce rapport, l'interprétation que nous donnons à la loi de 1848 est celle qui prête à cet acte législatif le sens le plus logique, la pensée la plus raisonnable.

Du reste, le doute même devrait faire résoudre la question dans le sens du droit commun, dont je maintiens l'application à l'espèce.

L'honorable M. Jacques n'était pas mon candidat, mes sympathies étaient pour l'employé qui dans l'ordre hiérarchique était désigné naturellement pour les fonctions dont il s’agit maïs dans cette circonstance, comme lors de la discussion sur l'élection de Dixmude, je ne vois que des droits acquis, je ne vois que la loi et la justice, et comme elles protègent, à mon avis, la nomination de M. Jacques, je voterai pour la validité de l'élection.

M. le président. - La parole est à M. le ministre de l'intérieur.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Notre honorable président étant inscrit, je lui cède volontiers mon tour de parole.

- M. Delehaye remplace M. Verhaegen au fauteuil.

M. Verhaegen. - Messieurs, la question qui s'agite en ce moment n'est pas, et, j'aime à le croire, ne peut pas être une question de partis ; c'est une question de dignité pour la chambre, et dès lors je croirais manquer à mon devoir, si je ne prenais pas part au débat.

Le débat, messieurs, est grave, très grave, et j'ose espérer que la chambre lui conservera sa gravité jusqu'au bout ; ce serait le rapetisser que de le réduire aux proportions mesquines d'une question de personne.

Depuis que le parlement belge existe, il est resté pur aux yeux du pays et de l'étranger ; toujours, messieurs, il a été respecté, parce que toujours il a su se respecter lui-même.

Evitons donc, je vous en conjure, de faire le premier pas dans une voie qui n'est pas encore frayée en Belgique ; évitons, je vous en prie, évitons que, par une décision prise à la légère, nous ne portions atteinte à cette vieille réputation de loyauté et de moralité qui nous porte si haut dans l'estime des peuples.

Messieurs, il est impossible de se faire illusion sur la portée qu'on donnerait en dehors de cette enceinte à la proclamation d'un de nos collègues comme membre de la cour des comptes ; on dirait, soyez-en convaincus, qu'en Belgique aussi le mandat de député est devenu un marchepied pour arriver à des fonctions salariées par l'Etat. Les électeurs qui recherchent avant tout dans leurs mandataires une entière indépendance et une abnégation de tout intérêt personnel, se trouveraient trompés dans leur attente. Les garanties que nous leur avons données par l'article 2 de la loi du 26 mai 1848, sur les incompatibilités parlementaires, article qui forme, en quelque sorte, un contrat entre le corps électoral et les élus, feraient complètement défaut.

Qu'il me soit permis de le dire en réponse à une observation de l'honorable M. Adolphe Roussel : le peuple, dont, comme lui, je tiens mon mandat, ne m'a envoyé dans cette enceinte que parce qu'il a cru pouvoir compter sur mon désintéressement et sur mon indépendance, et a pensé, en m'honorant de sa confiance, que je pourrais bien quelquefois sacrifier mes intérêts privés aux intérêts publics, mais que jamais, et dans aucune circonstance, je ne sacrifierais les intérêts publics à mes intérêts privés, et que jamais je n'userais de mon influence de député pour obtenir une faveur directe ou indirecte quelconque. Tous mes honorables collègues et entre autres l'honorable M. Roussel, j'en ai l'intime conviction, ont été nommés sous les mêmes conditions et ont pris envers leur conscience le même engagement.

Messieurs, la loi de 1848 est un engagement qui a été proposé aux électeurs et aux élus et qui a été accepté en leur nom par les trois branches du pouvoir législatif. C'est sous l'empire de cette loi que les élections ont eu lieu, et les électeurs ont un droit acquis à sa loyale exécution ; il ne nous est donc pas permis, à nous législateurs, de la détruire dans notre prétendue omnipotence.

Cette loi est l'œuvre de la chambre des représentants, du sénat et du pouvoir exécutif, qui y a donné sa sanction. Si elle ne convient plus aujourd'hui à quelques-uns de vous, messieurs, vous avez le droit d'user de votre initiative pour en demander le retrait ; mais les choses doivent se défaire de la même manière qu'elles ont été faites et par l'intermédiaire des mêmes éléments.

Messieurs, je ne veux traiter qu'une question de principe et ainsi je vais suivre l'honorable M. Lelièvre sur le terrain sur lequel il s'est placé. Je fais abstraction de toute question de personne et je regrette profondément que l'intérêt privé ait pu être mis un seul instant en jeu.

L'article 116 de la Constitution a servi de pivot au discours de l'honorable M. Lelièvre ; et cependant quand nous avons fait la loi des incompatibilités parlementaires, la question de constitutionnalité a été amplement traitée et tranchée de commun accord ; il ne peut donc plus en être question maintenant, et dès lors je m'abstiens de suivre l'honorable M. Lelièvre dans les développements qu'il a donnés sur ce point.

Reste à examiner la loi de 1848, et cette loi peut-elle être douteuse un seul instant dans ses termes et dans son esprit ?

Je m'occupe d'abord de l'esprit de la loi, je m'occuperai ensuite de son texte. Qu'a voulu le législateur de 1848, et que devait-il vouloir ? Je n'aime pas à me servir des expressions dont on s'est servi hier ; je n'aime pas à faire des suppositions qui seraient de nature à porter atteinte à la dignité de l'un ou l'autre des membres de la chambre ; je n'aime pas à supposer, comme on le faisait hier, qu'il serait possible qu'un membre des chambres législatives se laissât corrompre, soit par le gouvernement, soit par la majorité, en s'adressant tantôt à une fraction, tantôt à une autre, en s'abstenant le plus souvent dans les questions délicates pour ne blesser personne. Je n'aime pas à m'occuper de ces suppositions, je les rejette même, mais je dis qu'on peut très bien supposer que des députés puissent user de leur influence dans le parlement pour obtenir des votes de leurs collègues et se faire attribuer ainsi des places salariées par l'Etat, et c'est ce que le législateur de 1848 a voulu éviter, et c'est ce qui constituerait un véritable abus.

(page 324) Je ne veux pas aller plus loin : je ne veux pas faire d'autres réflexions ; je me borne à celle que je viens de vous soumettre et qui fait connaître l'esprit de la loi.

Et le texte ? Mais il est évident. Je vous prie, messieurs (toute la question est là), de combiner l’article premier de la loi de 1848 avec l’article 2, et tout doute est impossible. Oui, le projet primitif, ainsi qu’on vous l’a dit, ne contenait qu'une disposition principale : c'était la disposition de l'article premier ; et l'on comprend parfaitement qu'un gouvernement, présentant à la chambre un projet de loi sur les incompatibilités, ne présentât qu'une disposition telle que celle de l'article premier ; mais lorsque ce projet fut soumis à l'examen des sections et surtout de la section centrale, des membres, par un esprit de délicatesse qui les honore, complétèrent le système, étendirent le principe du projet du gouvernement ; c'est ainsi que l'article 2 qui est l'œuvre de la section centrale n'est que le corollaire de l'article premier, et nous allons le voir, les termes de ces deux articles sont absolument les mêmes.

« Aucun fonctionnaire, salarié par l'Etat, ne peut faire partie de l'une ou de l'autre chambre. » C'est le résumé de l'article premier. C'est aussi le seul principe qu'on rencontrait dans le projet du gouvernement. La chambre est allée plus loin ; elle a dit : Non seulement un fonctionnaire salarié ne pourra pas être membre de l'une ou de l'autre chambre ; mais même un membre de l'une ou de l'autre chambre, après qu'il aura cessé de faire partie du parlement et pendant une année après sa sortie, ne pourra obtenir aucune fonction salariée par l'Etat. Cela est-il clair ? Or, voilà le résumé de l'article 2, dont la portée est la même que celle de l'article premier.

Voyons maintenant si les termes ne sont pas les mêmes : « Les fonctionnaires et employés salariés par l'Etat, nommés membres de l'une ou de l'autre chambre, sont tenus, avant de prêter serment, d'opter entre le mandat parlementaire et leurs fonctions ou leurs emplois. » Je vous demande, messieurs, avant tout, si cet article premier est applicable, oui ou non, aux membres de la cour des comptes ; si, en d'autres termes, un membre de la cour des comptes peut être nommé représentant, et si, étant nommé, il ne serait pas tenu d'opter, conformément à l'article premier ?

Evidemment oui ; et nous en avons eu des exemples : nous avons vu naguère, entre autres, un membre de la cour des comptes se présenter aux élections de Soignies. Personne, ni dans la presse, ni ailleurs, n'a fait d'objections contre cette candidature.

L'élection, il est vrai, n'a pas été favorable au membre de la cour des comptes auquel je fais allusion. Mais s'il avait réussi, il se serait évidemment présenté dans le parlement, et il aurait opté en vertu de l'article premier.

Donc l'article premier de la loi de 1848 est applicable à la cour des comptes. Donc les membres de la cour des comptes sont compris dans les termes : fonctionnaires ou employés salariés par l'Etat.

Au reste, l'article de la Constitution que l'honorable M. Lelièvre citait tantôt, dit formellement que la chambre nomme les conseillers à la cour des comptes, et une disposition de la loi organique de cette cour fixe les traitements de ses membres ; donc ce sont bien évidemment des fonctionnaires, nommés n'importe de quelle manière, et salariés par l'Etat.

Maintenant l'article 2 se sert d'expressions tout à fait semblables à celles de l'article premier :

« Les membres des chambres ne pourront être nommés à des fonctions salariées par l'Etat qu'une année au moins après la cessation de leur mandat. »

Est-ce clair ? Ne s'agit-il pas dans l'article 2 de ces mêmes fonctionnaires dont il est parlé dans l'article premier ? Dès lors le doute est-il possible ?

Messieurs, ce qui est évident, ce qui doit l'être pour tout le monde, c'est que l'obstacle ne vient pas d'une nomination faite par le gouvernement, mais uniquement du salaire payé par l'Etat.

Le gouvernement nomme souvent à des fonctions non salariées par l'Etat, à des fonctions très importantes, et il est reconnu que ces fonctions ne forment pas obstacle, dans le sens de la loi sur les incompatibilités. Ainsi un membre de la chambre nommé notaire ne se trouve pas dans le cas de la loi, parce qu'il n'est pas salarié par l'Etat ; il en est de même d'un bourgmestre, d'un colonel de la garde civique, d'autres fonctionnaires encore, car, si je ne me trompe, nous avons dans cette enceinte des collègues qui ont été nommés par le gouvernement directeurs de l'une ou de l'autre banque, mais qui n'était pas salariés par l'Etat ne tombent pas sous la disposition de la loi des incompatibilités. C'est donc bien le salaire payé par l'Etat qui seul forme obstacle.

Encore une fois, la nomination faite par l'Etat n'a aucune importance, et je vais le prouver par la loi même que j'ai sous les yeux. La nomination est indifférente, la preuve en est dans le paragraphe de l'article premier, qui porte : « Il en est de même des ministres du culte rétribués par l'Etat. » Par qui donc les ministres du culte sont-ils nommés ? Par les évêques. C'est donc uniquement parce qu'ils sont salariés par l'Etat qu'ils ne peuvent pas faire partie des chambres et qu'ils sont tenus d'opter.

Du reste, messieurs, ainsi que je le disais tantôt, les termes de la loi de 1848 ne peuvent pas laisser, à cet égard, l'ombre d'un doute. Et cette loi, il ne nous est pas permis de l'abroger incidemment ; il faudrait une abrogation formelle et solennelle avec le concours des trois branches du pouvoir législatif.

La discussion, en 1848, a roulé sur l'article premier. Elle a roulé aussi un instant sur la question de la constitutionnalité qui bientôt a été tranchée, et enfin quant aux ministres des cultes on a fait droit à certaines susceptibilités, et par pure convenance on a ajouté un paragraphe spécial tout à fait inutile, puisque tout le monde les considérait comme des fonctionnaires ou employés salariés par l'Etat.

Lorsqu’on est arrivé à l’article 2, croyez-vous qu’il y ait eu discussion ? Pas le moins du monde. Il semblerait, d’après le débat qui a surgi aujourd’hui, qu'on ait soulevé le point de savoir si les membres de l'une ou de l'autre chambre pouvaient être nommés membres de la cour des comptes, etc.

Eh bien, pas du tout ; le principe avait été établi à l'article premier ; à cet article premier seulement il y avait eu discussion ; on arrive à l'article 2, on lit l'article 2, et le Moniteur constate que personne n'a fait d'observation et que l'article 2 a été adopté ; et pourquoi l'article 2 a-t-il été adopté sans discussion ? C'est parce qu'il n'était que le corollaire de l'article premier ; et qu'une fois l'article premier adopté, article aux termes duquel les membres de l'une ou de l'autre chambre ne pouvaient pas être des fonctionnaires salariés par l'Etat, il allait de soi que tous les individus compris dans l'article premier étaient par cela même compris dans l'article 2, et qu'un membre de l'une ou de l'autre chambre ne pouvait accepter aucune fonction quelconque salariée par l'Etat qu'une année après l'expiration de son mandat législatif. Cela était clair, évident ; le motif était le même. On ne perdra pas de vue, ainsi que j'ai eu l'honneur de le faire remarquer déjà, que c'est par un esprit de délicatesse bien entendu que la chambre elle-même a voulu qu'il en fût ainsi, quoique le gouvernement ne l'eût pas proposé.

Maintenant, tout parle dans la loi, toutes les dispositions concourent pour arriver au même résultat.

Je disais tout à l'heure que le législateur avait eu en vue tout au moins d'empêcher qu'un membre de l'une ou de l'autre chambre n'usât, n'abusât de son influence pour atteindre un but quelconque dans son intérêt ; je ne m'occupe pas des suppositions qu'on a faites précédemment.

Messieurs, l'article 3 vous prouve quelle a été la sollicitude du législateur pour ne rien oublier ; il va jusqu'à s'occuper des conseillers provinciaux qui ne peuvent pas même être nommés candidats pour une place quelconque à laquelle, il est vrai, le gouvernement nomme ; mais enfin qui ne peuvent pas être nommés candidats par le conseil dont ils sont membres.

Veuillez-le remarquer, messieurs ; les conseillers provinciaux ne peuvent pas être nommés candidats par le conseil dont ils font partie ; mais ils peuvent être portés sur la liste des candidats présentée par un autre conseil provincial, et le gouvernement peut les choisir parmi ceux-là. Cela prouve évidemment que le législateur a eu ici pour but d'empêcher que le conseiller provincial n'usât, dans le sein du conseil dont il fait partie, de l'influence personnelle qu'il y exerce, pour se faire porter candidat à une place qui est à la nomination du gouvernement.

A cet argument, il n'y a pas de réponse : un conseiller provincial ne peut pas, dans le conseil auquel il appartient, user de son influence pour se faire porter sur une liste de candidats à des fonctions judiciaires.

Et l'on viendrait soutenir que quand il s'agit d'une élection à la cour des comptes, la chambre des représentants pourrait nommer un de ses membres à ces fonctions ! Je ne comprendrais pas une disposition d'après laquelle il serait permis de faire le plus, lorsque le moins est interdit par la loi.

Je ne sais si je me trompe ; on voudra bien contrôler mes paroles : mais je crois que depuis l'organisation de la cour des comptes, jamais un membre de la chambre n'a été nommé membre de cette cour.

Il y a eu quatre élections normales, par suite de l'expiration du mandat, et quatre élections partielles, par suite de vacature ; jamais un membre de la chambre n'a été nommé membre de la cour des comptes.

Une seule nomination, il est vrai, a été faite par le Congrès dans son sein, celle de M. Fallon, président actuel de la cour ; mais le Congrès réunissait à cette époque tous les pouvoirs.

Et c'est après la loi de 1848, après la loi sur les incompatibilités parlementaires, que cet état de choses viendrait à changer ! après la loi de 1848 qui a voulu donner des garanties aux électeurs contre les élus qui viendraient à manquer à leurs engagements !

Messieurs, en me résumant, je dis que la loi de 1848 est claire dans son texte ; je dis que son esprit n'est pas douteux, et j'ajoute que si l'on veut faire abstraction et du texte et de l'esprit de la loi et ne raisonner que comme raisonne le vulgaire, il sera toujours très fâcheux de laisser supposer qu'en Belgique le mandat de député puisse servir de marchepied pour l'obtention d'une place salariée par l'Etat.

Comme le disait mon honorable ami M. Lebeau, dans la discussion de la loi de 1848 : « Il y a pour une chambre législative des nécessités toutes morales qu'il est impossible de méconnaître. Il ne faut pas seulement qu'une chambre soit indépendante, il faut que le prétexte même de nier son indépendance ne soit donné à personne. C'est d'une chambre législative surtout qu'il faut dire ce qu'on disait de la femme de César. »

M. Dumortier. - Messieurs, pour moi aussi la question qui nous occupe est avant tout une question de dignité parlementaire ; mais c'est aussi, à mes yeux, une question de prérogative constitutionnelle, et par conséquent une question de l'ordre le plus important que la chambre ait jamais à examiner.

Dans tous les pays constitutionnels, la conservation de la prérogative du parlement est considérée comme un des objets les plus graves et les plus sérieux.

(page 325) En Angleterre, si un ministre se levait pour attaquer la prérogative parlementaire, il n’y aurait plus ni whigs ni torys ; tout le monde se réunirait pour transmettre intacte à ses successeurs la prérogatives qu'il tient de ses devanciers.

C'est que la chambre n'est plus rien sans l'exercice de sa prérogative ; c'est que le jour où la prérogative est violée, la chambre est déconsidérée dans le pays. C'est cette déconsidération dont je ne veux pas, et j'aurai l'honneur de vous montrer que le système que l'on défend ici contre l'élection que la chambre a faite hier n'est rien autre chose qu'une atteinte à nos prérogatives constitutionnelles, atteinte qui aurait pour résultat inévitable la déconsidération du parlement.

La prérogative de la chambre, en matière de nomination, est double.

En vertu de l'article 110 de la Constitution, la chambre nomme les membres de la cour des comptes. Aucune réserve n'est appliquée à ce droit. Et pourquoi la constitution aurait-elle établi des réserves, quant à l'exercice des droits du parlement ?

La chambre n'est-elle donc point l'émanation du pays ? La chambre ne représente-t-elle point le pays tout entier ? C'est donc le pays qui viendrait mettre des entraves à sa propre prérogative dans la personne de ses mandataires !

Jamais il n'a été question dans aucun pays constitutionnel de mettre des entraves absolues à la prérogative parlementaire, et quant à ce qui est des entraves relatives, elles ont toutes été fixées par le Congrès lui-même dans le décret relatif à la formation de la cour des comptes.

La chambre a encore une autre prérogative constitutionnelle ; c'est en cas de décès du chef de l'Etat pendant la minorité de son successeur, de pourvoir à la régence, par les deux chambres réunies.

Eh bien, il est hors de doute, malgré ce qu'a dit hier l'honorable ministre des finances, que le cas est absolument identique ; car le membre de la cour des comptes est nommé par élection parlementaire, le régent est nommé de même ; le membre de la cour des comptes touche un traitement-Etat, et le régent touche un traitement-Etat ; et le régent touche un traitement incontestablement plus fort que le conseiller de la cour des comptes.

Décider donc aujourd'hui que la loi sur les incompatibilités a porté des entraves à la nomination d'un membre de cette chambre comme membre de la cour des comptes, c'est décider virtuellement qu'un régent ne pourrait point être pris dans les deux chambres, car les conditions sont identiques ; il n'y a pas la plus petite différence entre l'un et l'autre cas.

Or, je vous le demande, peut-on supposer que, faisant la loi des incompatibilités, on ait pu porter de telles entraves au pouvoir législatif ? Evidemment, cela est impossible.

Mais on argumente de la loi des incompatibilités. D'abord, messieurs, quel est le but de cette loi ? Le but de la loi a été d'empêcher la corruption parlementaire, la corruption qui s'exerce par les ministres au profit des ministres contre la conscience des députes. La loi tout entière repose sur ce principe. La loi n'est autre chose qu'une extension de l'article 36 de la Constitution.

On vous a parlé de la loi sur les incompatibilités. Lisez, je vous prie, l'article 36 de la Constitution, il porte : « Le membre de l'une ou l'autre chambre nommé par le gouvernement à un emploi salarié qu'il accepte cesse immédiatement de siéger, et ne reprend ses fonctions qu'en vertu d'une nouvelle élection. »

C'est donc la nomination par le gouvernement à des fonctions salariées qui est le cas constitutionnel relatif aux incompatibilités.

La nomination faite en dehors du gouvernement, la nomination faite par les chambres ne tombe pas dans le cas de l'article constitutionnel dont la loi des incompatibilités n'est que l'extension. Prétendrait-on que le législateur de 1848 aurait voulu sortir de la Constitution ? Cela est impossible ; dans tous les cas cela aurait dû être expliqué clairement ; il ne l’a pas fait clairement, il l'eût fait dans l'espèce, donc il ne l'a pas fait.

Non, qu'on ne vienne pas dire que la loi a été faite en vue des élections déférées aux chambres ; c'étaient les nominations faites par le gouvernement, les nominations prévues par l'article 36 de la Constitution qu'on avait en vue.

Dans mon opinion, on n'a pas été assez loin dans l'exécution de l'article 36 ; j'aurais voulu qu'il fût interdit au gouvernement de nommer un membre de cette chambre notaire ; j'aurais voulu qu'il fût interdit au gouvernement de nommer un membre des chambres agent de l'Etat près d'une banque ; et pourtant, messieurs, qu'a-t-on fait ? On a nommé des membres de cette chambre notaire, agent de la banque. Est-on venu parler de corruption ? Non, c'était le gouvernement qui avait fait ces nominations ; on ne trouve pas qu'il y ait corruption ; aujourd'hui, c'est de la chambre qu'émane la nomination, et voilà la supposition de corruption qui surgit. Pourquoi ? Parce qu'un employé du ministère appuyé par le ministère n'a pas été nommé aux fonctions de conseiller à la cour des comptes. Voilà le motif. Eh bien, pour mon compte, je ne vois pas là de corruption parlementaire ; l'inverse serait la corruption parlementaire, ce serait détruire la Constitution. Car qu'a voulu la Constitution ? Elle n'a pas voulu laisser au gouvernement le droit de nommer les membres de la cour des comptes, parce que la cour des comptes contrôle les actes financiers des ministres, parce que la Constitution n'a pas voulu que la cour des comptes pût être peuplée de créatures des ministres, de fonctionnaires qui, habitués à leur obéir, continueraient à leur obéir dans le sein de la cour des comptes.

Voilà ce que la Constitution n’a pas voulu. Ce que la Constitution n’a pas voulu directement, soit dans son texte, soit dans son esprit, vous ne pouvez le faire indirectement, car on ne peut pas faire indirectement ce qui ne peut pas se faire directement. Toute la moralité est donc ici du côté de ceux qui soutiennent la validité de l'élection.

On parle de corruption, et c'est le ministère qui attaque l'élection. La loi de 1848 des incompatibilités, contre qui a-t-elle été faite ? L'honorable M. Delehaye, avec la franchise et la loyauté qui le caractérisent toujours, vous l'a dit hier ; elle a été faite contre le ministère par la chambre des représentants. Imagine-t-on qu'une chambre législative serait venu s'imposer des liens à elle-même ? Ce serait sans exemple, car dans nul pays constitutionnel on n'a vu une assemblée législative restreindre les prérogatives qu'elle tient de la Constitution ; jamais on n'a vu dans un pays constitutionnel une assemblée s'interdire la faculté de nommer un de ses membres aux fonctions dont la Constitution lui donne la nomination.

Quand nous avons à pourvoir à ces fonctions, que devons-nous faire ? Peser la capacité des candidats qui se présentent ; or comment pouvons-nous mieux nous éclairer qu'en voyant les preuves de capacité que peut nous donner chaque jour un de nos collègues dans la part qu'il prend à nos travaux ?

Si un membre ayant fait de profondes études financières, si par exemple l'honorable M. Osy voulait se présenter pour une place à la cour des comptes, (cela n'aura pas lieu) ne serions-nous pas tous heureux de pouvoir nommer un homme qui a acquis autant de connaissances de lumières en comptabilité et en finance ?

M. Bruneau. - Si la loi ne s'y opposait pas.

M. Dumortier. - Mais vous mettez en fait ce qui est en question. Nous prétendons, nous, que la loi ne s'y oppose pas.

Dans quel but la chambre serait-elle venue se lier, lier sa prérogative, s'interdire de nommer à la cour des comptes un de ses membres qui aurait fait de profondes études en finances et en comptabilité ? Quel but aurait pu avoir la chambre ? Evidemment aucun.

Il ne s'agit dans la loi des incompatibilités comme dans la Constitution que de nominations faites par le gouvernement et non d'élections temporaires comme celles faites pour la cour des comptes. Qu'est-ce que la cour des comptes ? C'est une simple commission de la chambre des représentants, une commission temporaire dont vous pouvez révoquer les membres chaque jour. L'article premier de la loi concernant la cour des comptes le porte dans les termes les plus exprès. Vous appelez cela une nomination à des fonctions salariées ; c'est une commission ; ce n'est pas à la nomination d'une pareille commission que la loi des incompatibilités a voulu faire obstacle. Toutes les lois de ce genre sont de stricte interprétation. Il n'est pas question de la cour des comptes dans la loi des incompatibilités, il n'y a pas de loi spéciale qui la concerne.

Mais, dit-on, c'est dans le salaire que git la difficulté. L'honorable M. Lelièvre a fait remarquer que cette objection n'était pas fondée, puisque les membres des commissions permanentes touchent leur traitement sur le budget de l'Etat, et cependant ces membres sont nommés par l'élection populaire.

Voulez-vous une preuve que les lois de cette nature sont de stricte interprétation ? Depuis les élections de juin dernier, un membre de cette chambre a été nommé commissaire près de la Banque Nationale.

L'article 36 de la Constitution à la main, on aurait pu venir demander qu'il fût soumis à la réélection.

L'article 36 de la Constitution porte : « Le membre de l'une ou de l'autre des deux chambres, nommé par le gouvernement à un emploi salarié, qu'il accepte, cesse immédiatement de siéger et ne reprend ses fonctions qu'en vertu d'une nouvelle élection. »

Voilà la Constitution, qui est la loi des lois.

Veuillez remarquer que l'on ne dit pas : le membre de l'une ou de l'autre des deux chambres, nommé par le gouvernement, à un emploi salarié par l'Etat, qu'il accepte.

La nomination des commissaires près de la Banque a lieu par le gouvernement ; c'est incontestable ; la fonction est salariée ; c'est encore incontestable ; eh bien, cependant personne n'a songé à se lever pour demander à cet honorable membre de se soumettre à la réélection ; parce qu'on a dit : Les lois de ce genre sont de stricte interprétation, il faut que le salaire soit payé par le trésor.

Si l'on avait interprète la disposition judaïquement, l'honorable membre aurait dû être soumis à la réélection, car la nomination appartient au gouvernement, et les fonctions sont salariées, je crois, de 6,000 à 7,000 fr.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - On vous répondra par le rapport de M. Malou.

M. Malou. - Je répondrai.

M. Dumortier. - Il n'y a pas de rapport qui tienne contre la Constitution, quand j'invoque le texte de la Constitution. Cela est très clair. La Constitution met deux conditions : la nomination par le gouvernement et le salaire. Il faut l'ensemble de ces deux conditions, une seule ne suffit pas.

Cela prouve que, quand il s'agit de lois des incompatibilités, on ne cherche jamais à les étendre, qu'on les regarde comme de stricte interprétation.

On a parlé de preuve de désintéressement. Je vous le demande : est-ce que par hasard une élection par la chambre prouve moins de désintéressement de la part du député qui en est l'objet qu'une nomination à une place de notaire ou de directeur de la Banque Nationale ?

(page 326) Mais souvent le gouvernement qui nommera un député notaire fera pour lui chose bien plus utile, bien plus lucrative que s'il le nommait a un poste important. On aurait donc bien fait d'étendre ces incompatibilités contre le gouvernement ; mais jamais il n'est entré dans l'esprit de personne d'invoquer la loi sur les incompatibilités contre la prérogative parlementaire.

Il faut, pour qu'il y ait incompatibilité, deux choses ; non pas une seule, mais deux : la nomination par le gouvernement et le traitement sur le trésor public. Ici, il y a traitement sur le trésor public, mais il n'y a pas de nomination par le gouvernement ; donc la loi que l'on invoque ne reçoit pas ici son application.

Dans la question des banques il y a nomination par le gouvernement, mais il n'y a pas traitement sur le trésor public.

Les notaires sont nommés par le gouvernement ; mais ils n'ont pas de traitement sur le trésor public. Donc il n'y a pas incompatibilité.

Ici, qu'avez-vous ? Vous avez le traitement sur le trésor public ; mais vous n'avez pas la nomination par le gouvernement. Dès lors, il n'y a pas incompatibilité.

Messieurs, l'honorable orateur qui m'a précédé, a commencé son discours en invoquant la dignité de la chambre, et moi, c'est cette dignité que j'invoque en finissant.

Je vous le demande, qu'a fait la chambre hier ? Elle a fait une nomination, elle l'a faite en connaissance de cause, elle savait ce qu'elle faisait en nommant un membre de la chambre, conseiller à la cour des comptes.

Je vous le demande, qu'a fait la chambre hier ? Elle a fait une nomination, elle l'a faite en connaissance de cause, elle savait ce qu'elle faisait en nommant un membre de la chambre, conseiller à la cour des comptes.

M. de Perceval. - La question avait été réservée.

M. Dumortier. - Puisque la question avait été soulevée, la chambre savait d'autant mieux ce qu'elle faisait en nommant un de ses membres conseiller à la cour des comptes.

Or, le vote étant émis, convient-il à la dignité de la chambre de se déjuger immédiatement, de proclamer immédiatement qu'elle ne savait pas ce qu'elle faisait en votant hier ?

La chambre pourrait faire un mal jugé (c'est une simple hypothèse que je fais) ; mais elle n'a pas le droit d'interpréter seule la loi par voie d'autorité, elle ne peut le faire qu'avec le Roi et le sénat, qui ont avec elle concouru à la loi.

C'est au pouvoir législatif dans son entier, et non à une seule de ses branches, que la Constitution a réservé l'interprétation par voie d'autorité.

Ce qu'on vous propose aujourd'hui, c'est d'interpréter seuls la loi par voie d'autorité. C'est plus : c'est de vous déjuger, el de donner au pays le spectacle scandaleux d'une chambre défaisant aujourd'hui ce qu'elle a fait hier.

Une pareille conduite amènerait nécessairement une immense déconsidération sur la chambre, car il n'y a rien qui déconsidère un parlement comme de le voir défaire aujourd'hui ce qu'il a fait hier. Il n'y a rien qui déconsidère un parlement, comme de pareils actes qui avilissent bientôt la majorité aux yeux du pays.

Je le déclare, pour moi, quelle que soit mon opinion, je ne voudrais pour rien au monde donner au pays l'exemple d'un scandale pareil ; car s'il y a quelque chose qui déconsidère un parlement, c'est de le voir se déjuger à l'instant même, en présence du pays.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, membre du parlement au même titre que l'honorable orateur qui vient de s'asseoir, je ne suis pas plus disposé que lui à m'associer à aucun acte qui pourrait entraîner la déconsidération de cette honorable assemblée. Si je voyais la dignité de la chambre compromise, menacée, alors qu'elle reviendrait sur une erreur commise, je m'associerais de grand cœur, sans hésiter, aux observations qui viennent d'être faites, au vote qui pourra suivre.

Mais, messieurs, la dignité de la chambre, il y a diverses manières de l'apprécier : elle ne peut consister d'abord à violer les termes formels de la loi, qu'elle n'a pas faite à elle seule, à interpréter pour son usage exclusif, en quelque sorte personnel, cette loi, œuvre commune du Roi, du sénat et de la chambre elle-même. Ce qu'on vous propose, ce n'est pas d'interpréter la loi, c'est d'en violer les termes formels. Je ne pense pas que la chambre gagne beaucoup en dignité à entreprendre un pareil rôle.

La dignité de la chambre n'est nullement compromise à revenir sur une erreur : je ne sache pas qu'aucun membre aspire à l'honneur de l'infaillibilité ; la chambre sait fort bien ce qu'elle fait, mais elle peut se tromper.

Hier n'est-il pas arrivé qu'un de nos honorables collègues, croyant mettre dans l'urne le nom de son candidat, y déposa un mauvais morceau de papier, ce dont il nous fit l'humble déclaration ? En quoi sa dignité, à mes yeux, ne fut nullement blessée.

La chambre aurait pu par hasard nommer un parent, un allié d'un ministre, un parent ou allié d'un chef d'administration générale, ce qui est interdît par l'article 2 de la loi d'organisation de la cour des comptes. La nomination étant faite, elle se serait aperçue qu'elle a contrevenu à la loi, et empressée d'annuler cette nomination, ne croyant pas qu'il fût de sa dignité de maintenir une nomination illégale. Voilà comment j'entends la dignité de la chambre.

Comment la dignité de la chambre serait-elle ici en cause ? On n'a pas voulu entamer un débat peu opportun entre deux scrutins. Mais il a été convenu qu'on discuterait la question de principe après le scrutin. De même si l'on avait signalé un des candidats ballottes comme étant parent ou allié d'un ministre ou d'un chef d'administration générale on aurait passé au scrutin, sauf à vérifier ensuite la capacité ou l'incapacité du candidat élu.

J'envisagerai aussi la dignité de la chambre à un autre point de vue. Consisterait-elle, par hasard, a se réserver à elle-même le monopole des nominations qu'elle a à faire ? Les membres de la chambre, posant des actes de complaisance pour un autre collègue, croient-ils sauvegarder beaucoup mieux leur dignité qu'alors qu'ils donneraient leurs votes à un candidat étranger à la chambre, fût-il même chef de division au département de l'intérieur ?

Messieurs, on s'est plu à attaquer le gouvernement (je suppose que c'est le gouvernement en théorie) comme seul capable de corrompre, d'exercer des influences irrégulières, illégitimes, d'exploiter les appétits, les ambitions d'autrui.

Mais l'on repousse très loin cette idée que dans une chambre, tantôt une majorité, tantôt une minorité, ayant des nominations à faire, ne pourraient pas user de ces moyens que l'on reproche au gouvernement, s'abstiendraient d'exercer cette influence pour atteindre un but déterminé.

Messieurs, hier, en interrompant l'honorable M. Roussel, j'ai dit que la loi avait fort sagement agi en prenant des précautions contre tout le monde.

Supposons une chambre divisée en deux parties à peu près égales : une majorité menacée d'être envahie par la minorité ; une minorité ayant l'espoir de devenir majorité : ni l'une ni l'autre n'auront-elles rien à offrir aux collègues qui se présenteront pour les places qui peuvent être octroyées par leurs votes ?

Et remarquez, messieurs, que ce droit de conférer des places par la chambre n'est pas de peu d'importance. Vous avez à conférer quoi ? Huit places à la cour des comptes tous les six ans, sans parler des vacatures extraordinaires et sans parler des autres fonctions salariées par le trésor ; huit places très recherchées parce qu'elles sont bien rétribuées, parce qu'elles rapportent aussi beaucoup d'honneur à ceux qui les occupent ; parce qu'elles leur donnent une position indépendante vis-à-vis du gouvernement. Ce sont des places qui peuvent être très recherchées, d'autant plus recherchées que la loi des incompatibilités a restreint considérablement la carrière des fonctions publiques pour les membres de la chambre.

Les membres de la chambre des représentants, amateurs de fonctions publiques, de fonctions salariées, s'y précipiteraient, dans votre système, avec d'autant plus d'empressement que les autres carrières publiques leur seraient fermées pendant une année après leur sortie de la chambre.

J'admettrai, si l'on veut, la possibilité de marchés qui se feraient en vue d'une place entre le gouvernement et un membre des chambres. Mais je suppose aussi qu'un membre de la chambre fasse, soit avec la minorité sur le concours de laquelle il compterait, soit avec la majorité, ce marché-ci : Il vous convient de faire entrer à la chambre des représentants un ami dont j'occupe la place ; eh bien, nommez-moi membre de la cour des comptes, je me retire de la chambre et votre ami y entrera.

Comment qualifieriez-vous un tel arrangement ? Ce serait, si vous voulez, une transaction amiable, une capitulation parlementaire ; mais on pourrait appeler cela d'un autre nom.

S'il y avait des exceptions à faire au principe, si l'on voulait se tenir en garde contre les corruptions possibles, ce serait précisément pour les fonctions salariées auxquelles nomment les chambres. Car ici le gouvernement peut exercer son influence, mais il l'exerce en quelque sorte sous le manteau de la chambre représentative.

Son influence agit certainement, mais il est couvert dans les actes qu'il pose par le vote de la chambre. Que si, au contraire, il a une nomination à faire directement sans le concours de ses amis de la chambre, alors sa responsabilité reste tout entière, et alors la corruption qui peut se répandre par la collation des emplois devient pour lui beaucoup plus difficile.

Je crois, messieurs, que nous pouvons laisser, et que nous ferons bien de laisser en dehors de la discussion ce qui peut concerner la dignité de la chambre. Déjà, messieurs, on ne peut pas se le dissimuler, il y a des collègues qui ont beaucoup à souffrir de cette discussion dans leur dignité personnelle.

Messieurs, on reproche au gouvernement, au ministère, de combattre la nomination qui a eu lieu hier, et cela pourquoi ? Parce que le ministère soutenait, appuyait un chef de division au département de l'intérieur, et que ce chef n'ayant pas été nommé, le gouvernement se trouve contrarié sans doute et voudrait faire annuler la nomination de M. Jacques pour mettre M. P. à sa place. (Interruption.)

Messieurs, je donne la première lettre du nom du candidat que l'on a présente comme le candidat du ministère.

En effet, messieurs, je me suis permis, comme tout membre de cette chambre en a le droit, je pense, de recommander à quelques-uns de nos amis la candidature du chef de la comptabilité au département de l'intérieur, nommé par mon honorable prédécesseur et de plus ayant obtenu de lui un signe de distinction à l'occasion de ses longs et honorables services. J'ajoutais, en faveur de ce candidat, qu'au moyen de cette nomination, je trouverais l'occasion d'opérer sur le budget de l'intérieur l'économie de tout son traitement.

Je dois dire que cette observation fit impression sur plusieurs de mes amis qui, je crois, votèrent pour l'honorable chef de division.

(page 327) Voilà, messieurs, je le confesse, en quoi a consisté la pression que, pour ma part, j'ai exercée sur quelques membres de cette chambre. Je ne pense pas avoir posé en cela un antécédent sans exemple, et je n'ai pas cherché à gagner les faveurs de mon honorable chef de division en appuyant sa demande auprès de quelques membres de la chambre. Ce n'est pas la première fois que cela arrive ; à différentes époques, des chefs de comptabilité de divers départements ministériels ont sollicité des places à la cour des comptes et plusieurs en ont obtenu. Quant à cette discussion en elle-même, je suis étonné qu'on la renferme dans le cercle ministériel.

Comment, messieurs, c'est aujourd'hui votre honorable président, c'était hier l'un des vice-présidents qui nous ont engagés à revenir sur notre vote, et l'honorable M. Dumortier vient soutenir que l'action du ministère seul est intervenue !

Nous marchons d'accord avec deux membres de votre bureau, nous marchons, en quelque sorte, à leur suite et nous avons bien le droit, comme représentants, d'intervenir dans un débat où la dignité de la chambre est mise en jeu.

Quant à moi, messieurs, j'hésite à entreprendre la démonstration qui vient de vous être faite avec tant de clarté, tant de précision, par votre honorable président. C'est en quelque sorte perdre son temps que de discuter la portée des articles 1 et 2 de la loi sur les incompatibilités ; on éprouve ici de la difficulté à prouver, tant il y a de clarté et d'évidence.

En quelques mois, messieurs, qu'a fait la loi de 1848 ? Elle a étendu à tous les fonctionnaires recevant un traitement de l'Etat, les incompatibilités qui n'avaient existé jusque-là que pour deux catégories de fonctionnaires, à savoir les membres de la cour des comptes et les membres de la cour de cassation. Pour ces deux catégories de fonctionnaires, il y avait incompatibilité entre leurs fonctions et celles de membres de l'une ou de l'autre chambre.

En 1848, le gouvernement vint proposer une extension à ces incompatibilités ; il proposa de les étendre aux commissaires de district, aux procureurs du roi, aux juges, etc., réservant seulement la possibilité du cumul de certaines fonctions. Que fit la section centrale, dont nous dûmes même combattre alors les élans ? Pressée, comme elle le disait, par l'opinion, elle ne voulut d'exception pour personne ; elle étendit les incompatibilités à tous ceux qui recevaient un traitement du trésor public. On a invoqué hier mes paroles, mais on s'est gardé de citer le passage tout entier ; voici, messieurs, l'interprétation que j'ai donnée à la portée de la loi, sans être contredit par qui que ce soit :

« Vient une autre question. C'est celle relative aux ministres des cultes qui reçoivent un traitement de l'Etat. On nous demande s'ils sont compris dans la loi. Le projet de loi ministériel s'applique à tous les fonctionnaires recevant un traitement de l'Etat, sauf ceux qu'excepte l'article premier, c'est-à-dire les chefs des départements ministériels, les lieutenants-généraux, les gouverneurs élus dans une autre province que celle qu'ils administrent et les conseillers des cours d'appel. En dehors de ces exceptions, tout ce qui touche un traitement de l'État est exclu. »

Ainsi, messieurs, tout ce qui touche un traitement de l'Etat est exclu ; or, les membres de la cour des comptes, recevant un traitement de l'Etat, se trouvent exclus ; les membres de la cour de cassation, recevant un traitement de l'Etat, sont exclus ; les ministres du culte, recevant un traitement de l'Etat, sont exclus.

La section centrale, dont l'honorable M. Malou était rapporteur, étendit le système présenté par le gouvernement. Elle l’étendit de deux manières, elle l'étendit, en quelque sorte, quant au nombre et quant au temps ; elle ne consentit à sauver du naufrage que trois catégories de fonctionnaires : les ministres, les gouverneurs et les diplomates ; pour tous les autres, il leur était interdit d'occuper simultanément des fonctions publiques salariées et les fonctions parlementaires, et cette interdiction s'appliquait non seulement à la durée du mandat, mais encore à une année par-delà.

Le gouvernement combattit plusieurs des propositions de la section centrale, il en vota d'autres ; mais enfin la section centrale alla jusqu'à restreindre à trois catégories les fonctionnaires qui pourraient être pris dans la chambre à la condition d'en sortir ; sauf ces trois catégories, elle frappa d'incapacité les membre de la chambre, non seulement pendant la durée de leur mandat, mais encore pendant l’année suivante.

Cette incapacité s'appliquait à tous les fonctionnaires salariés par l'Etat, aux fonctionnaires de toutes les catégories. Oserait-on dire dans cette enceinte que les membres de la cour de cassation, par exemple, sont exceptés et qu'il sera permis de prendre ces fonctionnaires parmi les membres de la chambre ou parmi les membres du sénat ? Il faut bien reconnaître que l'incapacité qui frappe les membres de la chambre, et qui les poursuit encore pendant un an après l'expiration de leur mandat, que cette incapacité s'applique à toutes les fondions non formellement exceptées, c'est-à-dire à celles de membres de la cour de cassation, à celles de membres de la cour des comptes, comme à celles de membres des cours et tribunaux.

Il n'y a qu'une exception, c'est pour les diplomates, pour les gouverneurs, pour les ministres ; à ceux-là il est permis de recevoir leurs fonctions immédiatement après leur sortie du parlement. Il n'y a pas d'autres exceptions ; vouloir en introduire aujourd'hui, ce serait évidemment changer la loi. Or, la loi, messieurs, n'est pas notre ouvrage à nous seuls, et il ne nous est pas permis de la détruire seuls, parce que nous n'avons pas été seuls pour la faire.

C'est si peu aux fonctionnaires exclusivement nommés par le gouvernement que la loi des incompatibilités s'adresse, que les ministres du culte, qui ne sont pas nommés par le gouvernement, mais qui reçoivent un traitement de l'Etat, qui exercent des fonctions salariées par l'Etat, n'ont pu échappera la loi sur les incompatibilités. Si nous avons dans cette enceinte un ministre du culte, c'est que sans doute il ne reçoit pas de traitement de l'Etat.

Je sais l'objection qu'on me fera, en ce qui concerne les ministres du culte ; on viendra dire : Est-ce que le ministre du culte, faisant partie de la chambre, ne pourra pas être nommé à une fonction ecclésiastique pendant la durée de son mandat, ou dans l'année qui suit l'expiration de ce mandat ?

Celte objection, je ne crains pas de l'aborder. Je dirai qu'il est permis, à la rigueur, aux évêques, à ceux qui nomment les ecclésiastiques, de s'écarter ici du texte de la loi ; mais j'ajoute que, dans l'esprit de la loi, une nomination de ce genre ne serait pas régulière, et que le traitement ne serait pas dû à un représentant qui aurait été nommé dans ces conditions... (interruption) ne lui serait due au moins qu'après la quarantaine expirée.

Voilà comment je réponds à l'argument que l'on voudrait tirer de la position spéciale des fonctionnaires ecclésiastiques. Il est sans doute permis aux évêques de faire une nomination contraire à l'esprit de la loi ; mais ce qui serait conforme au texte de la loi, ce serait de ne pas salarier le titulaire ainsi nommé.

Messieurs, si l'action du gouvernement n'avait pas été mise en jeu dans cette discussion, et présentée sous un jour défavorable, si moi-même je n'avais pas été, en quelque sorte, provoqué par l'honorable M. Dumortier, peut-être me serais-je abstenu dans ce débat. Maintenant la chambre aura à décider, dans sa dignité et dans son bon sens, ce qu'il lui reste à faire.

M. Malou. - Messieurs, en prenant part à ce débat, j'éprouve un profond sentiment de regret ; il me paraît, quelle qu'en doive être l'issue, qu'il est éminemment regrettable pour toutes les opinions qu'il ait été soulevé d'une manière à la fois si inopportune et si tardive.

C'est la deuxième fois qu'un membre de la chambre se porte officiellement, publiquement, candidat à la cour des comptes ; la question de principe a dû être examinée par chacun de nous ; elle mérite, et nos discussions mêmes le prouvent, elle mérite toute l'attention de la chambre. Mais j'aurais voulu qu'on nous eût mis en présence d'une pure question de principe ; qu'on n'y eût pas mêlé, en la soulevant entre un deuxième et un troisième scrutin, une question de personne ; aujourd'hui, quoi que nous fassions, la dignité et la prérogative parlementaires sont engagées.

C'est trop tôt ou trop tard. Le moment qu'on a choisi pour soulever cette question est tel que nous devons, nous tous qui aimons nos institutions, en éprouver un sensible et durable regret.

Quelle que soit la décision de la chambre, sa dignité est en cause, elle est menacée, et même compromise.

Quelle est, en effet, l'alternative ? De vous déjuger, de déclarer que hier la majorité qui a nommé l'honorable M. Jacques ne connaissait pas la loi, qu'elle n'en comprenait pas la véritable portée ; et vous aurez beau discuter, lorsqu'un grand pouvoir de l'Etat pose un pareil fait, sa dignité est amoindrie dans le pays. Si une opinion contraire triomphe, ce débat en est-il moins regrettable ? Je le demande à chacun de vous.

Messieurs, je ne veux pas examiner les diverses hypothèses qui ont été mises en avant ; afin que cette lésion de la dignité parlementaire soit moins grande, je veux me placer sur le terrain des principes, et traiter surtout la question d'interprétation de la loi.

Veuillez remarquer en premier lieu, messieurs, quelle est la position où nous sommes placés aujourd'hui.

Partout où un pouvoir électif agit, la vérification des pouvoirs de l'élu se fait par un autre corps ; il en est ainsi pour les élections communales et pour les élections provinciales. Ce n'est jamais l'électeur qui décide si l'élection est valable. Ici, au contraire, vous êtes appelés par la force des choses à statuer sur la vérification des pouvoirs de celui que vous avez vous-mêmes élu ; et, puisqu'il en est ainsi, n'est-ce pas pour vous un devoir de premier ordre d'examiner cette question en principe, de faire complètement abstraction de toute autre préoccupation, s'il m'est permis de me servir de cette expression. N'est-ce pas une double raison d'être justes, impartiaux et scrupuleux ?

La dignité de la chambre est encore engagée d'après les suppositions diverses qu'on a faites hier.

En effet, de quoi s'agissait-il ? Il semblait que dans un gouvernement constitutionnel, les pouvoirs électifs pouvaient être eux-mêmes suspectés de céder à la corruption. Je vous le demande à tous, si tel pouvait être le principe d'une décision, le principe d'une loi, que deviendrait le gouvernement représentatif ? Ce gouvernement est fondé sur une idée de contrôle, de défiance envers le pouvoir qui n'émane pas de la nation ; mais j'ajoute que dans aucun pays du monde, à aucune époque, on n'a songé à fonder le gouvernement représentatif sur la défiance envers le principe électif ; si les raisons qu'on a alléguées contre l'action de la chambre, si les suppositions qu'on a faites étaient fondées pour la millième partie, vos institutions seraient fondées sur la défiance envers le corps électif ; vous auriez virtuellement détruit le principe même de nos institutions, le principe de la souveraineté de la nation ; c'est, en d'autres termes, la défiance envers les corps électifs que vous substituez à l'idée (page 328) de défiance, de contrepoids envers le pouvoir, envers les personnes qui sont chargées de gérer les intérêts de la nation ; c’est, en d'autres termes, le gouvernement représentatif à l'envers.

Les mêmes suppositions qui ont été faites ne devraient-elles pas rendre la chambre très circonspecte ? Je me rappelle les débats qui ont eu lieu lors de la discussion de la loi de réforme parlementaire. Quel a été le but essentiel, le but élevé qui l’ont fait adopter, malgré les inconvénients qu'une pareille mesure pouvait présenter dans son acception générale ? Comme le rappelait tout à l'heure l'honorable M. Verhaegen, la réforme a été faite pour que personne ne pût soupçonner qu'une influence ait agi sur le vote libre, indépendant d'aucun membre de la chambre. Si donc quelques doutes avaient pu s'élever avant la réforme parlementaire, ces doutes ne peuvent nécessairement plus exister aujourd'hui.

Je passe à la discussion des principes.

L'on a beaucoup discuté sur les incompatibilités et sur les conséquences des incompatibilités ; mais il me semble qu'on a omis une chose, c'est de définir et de faire bien comprendre les mots dont on se servait et les conséquences et la signification de chacun de ces mots. Qu’est-ce qu’une incompatibilité ? Lorsqu’il y a un double mandat conféré, l’un et l’autre ne peuvent être exerces simultanément ; il y a lieu à option. L’incompatibilité n'implique pas une autre idée ; il est impossible de lui donner un autre sens.

On a confondu constamment dans ce débat les incompatibilités et leurs effets légaux et les conditions d'éligibilité.

Quand la réforme parlementaire a été faite, trois opinions se sont produites dans cette chambre. Certains membres de l'assemblée, M. de Bonne, l'honorable M. Tielemans, entre autres, soutenaient qu'il n'était pas du domaine de la législature d'établir une incompatibilité quelconque.

L'honorable ministre de l'intérieur, organe du gouvernement, soutenait, avec la section centrale, que l'on pouvait établir certaines incompatibilités ; la section centrale, de son côté, admettait que les incompatibilités devaient être plus étendues ; mais personne ne soutenait qu'il pût être question, dans la loi de réforme parlementaire, d'établir des conditions nouvelles d'éligibilité. La distinction se trouverait exprimée, non seulement par les termes formels du rapport de la section centrale, non seulement dans la modification qu'elle a fait subir à l'article premier du projet de loi, mais elle se trouve exprimée par le vote qu'elle a émis sur la proposition d'une section.

Une section avait proposé, en effet, de déclarer qu'un fonctionnaire public ne pourrait être élu qu'un certain temps après la cessation de ses fonctions.

On a reconnu que cette disposition ne pouvait être admise en présence d'un article formel de la Constitution, qui défend d'établir de nouvelles conditions d'éligibilité. Que faites-vous, au contraire ? Vous créez en dehors, au-delà de la loi des incompatibilités, des conditions d'inéligibilité pour les membres de la chambre. Telle est la conséquence inévitable, irrévocable du système que vous défendez. En effet, s'il y a incompatibilité, comme le disait l'honorable M. Lelièvre, il s'ensuit que les membres de cette chambre, comme tout autre fonctionnaire, élus à la cour des comptes doivent opter pour ne pas cumuler les deux mandats. Mais ici ce n'est point l'option que vous demandez, ce n'est point l'incompatibilité que vous soutenez ; mais vous dites même que l'élection n'est pas possible.

Cette distinction essentielle a été faite, quand on a voté la loi de réforme parlementaire ; vous la méconnaissez aujourd'hui. Sur ce point, je rappelais tout à l'heure un article de la Constitution ; il fait obstacle à de nouvelles conditions d'éligibilité pour les membres de la chambre. Je vous demande si par induction, par analogie ou par une confusion de mots on peut étendre l'incompatibilité à une autre idée pour l'appliquer aux membres de la chambre.

Les conditions d'éligibilité sont formulées ; on n'en citera pas qui s'appliquent à la cour des comptes ; une seule disposition existe, celle qui règle l'incompatibilité des fonctions de représentant et de membre de la cour des comptes, d'où il suit uniquement que lorsqu'un membre de la chambre des représentants est élu membre de la cour des comptes après la loi de réforme parlementaire comme avant, d'après tous les principes il y a lieu d'opter entre les fonctions qu'on exerçait précédemment et celles qui viennent d'être conférées.

Bien souvent, dans la discussion de la loi de réforme parlementaire, M. le ministre de l'intérieur et ses amis nous ont accusés d'aller trop loin ; ce reproche subsiste peut-être encore aujourd'hui ; et quand nous voulons faire prévaloir le sens légal, naturel de cette loi qu'on trouvait trop étendue, nous sommes obligés de combattre le ministre qui, en 1848, trouvait que nous lui donnions une étendue démesurée.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Nous appliquons votre loi.

M. Malou. - Je vais démontrer que l'application que vous en faites est contraire au texte et à l'esprit de la loi.

Elle est contraire au texte de la loi. En effet, que porte l'article premier ? Il pose en principe que les fonctionnaires élus membres de la chambre sont tenus d'opter.

On a ajouté des exceptions pour démontrer qu'on devait aller plus loin que les fonctionnaires ou employés salariés par l'Etat et qui sont à la nomination du gouvernement ; on insiste surtout sur la décision prise en ce qui concerne les ministres des cultes rétribués par l'Etat. Or, cette décision nous fournit l'argument le plus fort, le plus irréfutable que nous puissions produire. Voyons en effet, comment les choses se sont passées.

Dans une section, on soulève la question de savoir si les ministres des cultes salariés par l'Etat seront atteints par l'article premier ; la même question est posée dans la section centrale, qui se trouve partagée et ne présente pas de solution.

L'honorable M. Osy reprend la question en séance publique. M. le ministre de l'intérieur déclare que les ministres des cultes salariés par l'Etat sont des fonctionnaires publics rentrant dans la disposition de l'article premier. Je fais observer qu'on ne peut pas incidemment décider une question aussi grave, mais que toutes les opinions étant d'accord pour leur appliquer la disposition, il faut rédiger l'article de manière qu'ils y soient compris, et on modifie la rédaction en ce sens. Que préjuge cette décision ? Que les ministres des cultes n'étaient pas compris dans la première rédaction, et que, si on n'avait pas changé le libellé, l'article premier ne leur aurait pas été applicable. C'est là la seule conséquence logique qu'on puisse tirer de la décision prise. Si l'opinion de M. le ministre avait été admise, il n'y avait lieu de rien ajouter au projet du gouvernement.

Quel est le principe de la loi des incompatibilités et de toutes celles qui ont été faites dans les pays constitutionnels ? On exige toujours le concours de deux circonstances ; la nomination par le gouvernement et ensuite que les fonctions soient rétribuées par les fonds du trésor. Quand l'une de ces conditions manque, l'incompatibilité n'existe nulle part. En agissant autrement, vous auriez fait une chose sans exemple, et vous l'auriez faite sans motif.

Les exemples de ce que je viens d'annoncer ne manquent pas.

J'ai reçu du gouvernement une nomination pour coopérer à la direction des opérations d'un établissement financier ; il n'y a pas incompatibilité entre ces fonctions et le mandat de représentant parce qu'elles ne présentaient qu'une seule des conditions dont je viens de parler, la nomination par le gouvernement, mais non celle de la rétribution par l'Etat.

Prenez l'hypothèse inverse. L'honorable M. de Haerne, par exemple, remplit des fonctions en dehors de cette enceinte, mais il n'a pas reçu sa nomination du gouvernement, et il n'est pas rétribué par l'Etat ; là les deux conditions manquent. Supposez que le gouvernement nomme à un emploi non salarié, la nomination ne produit aucun effet quant au mandat parlementaire, parce qu'aucune loi d'incompatibilité n'a atteint de pareils faits. L'une des deux conditions fait défaut. Qu'on me cite une loi dans notre pays ou un autre où l'on n'ait pas exigé le concours de ces deux circonstances pour prononcer l'incompatibilité. C'est un principe général, et quand on a voulu aller au-delà de ce principe, on l'a expressément indiqué.

Je crois avoir expliqué l'exception en ce qui concerne les ministres des cultes. Il en est de même pour les avocats des administrations publiques, des agents du caissier de l'Etat et des commissaires du gouvernement près des sociétés anonymes, où une des deux conditions ou toutes manquaient ; il a fallu faire une exception formelle dans la loi.

Si je ne me trompe, j'ai établi qu'on confond à tort la question d'incompatibilité avec celle que peut soulever le débat actuel, celle de savoir s'il y a obstacle légal à ce que, par une élection, l'un de nous reçoive un mandat de membre de la cour des comptes. Je citais hier les conséquences du principe contraire à celui que je défends. On n'a pas répondu à l'exemple que j'ai indiqué.

D'après le système que je combats, un membre de cette chambre nommé conseiller provincial ne pourrait être élu par le conseil membre de la députation permanente qu'un an après l'expiration de son mandat de député. A-t-il pu entrer dans l'esprit des membres de la législature de comprendre les membres de la députation dans la loi des incompatibilités. J'ai cité aussi le régent ; on a répondu que, pour le régent, le salaire était une chose secondaire. Cela dépend de la manière dont le traitement serait établi ; il pourrait bien dépasser le traitement d'un membre de la cour des comptes.

On m'a répondu encore que la nomination se ferait par les deux chambres réunies. Mais les chambres ne doivent-elles pas respecter la loi aussi bien quand elles sont réunies que quand elles délibèrent séparément ? Peuvent-elles violer la loi dans un cas plutôt que dans l'autre ?

Ainsi, la réponse qu'on a faite à l'objection tirée de la possibilité constitutionnelle d'appeler un membre des chambres à la dignité de régent. ne me satisfait pas, et l'argument que j'ai présenté subsiste dans son. entier.

Les conséquences de l'opinion professée par nos honorables contradicteurs sont très étranges. Il faut que l'on capitule singulièrement avec la logique pour soutenir une telle manière de voir.

Evidemment, d'après le sens que vous attribuer à l'article premier, un membre de la chambre ne pourrait être nommé ministre des cultes pendant l'exercice de son mandat, ou dans l'année qui le suivrait. On a beau dire qu'il pourrait être nommé, parce que le gouvernement est étranger à la nomination, et qu'il suffirait de le priver de son traitement. En le privant de traitement, on violerait la Constitution.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - On ne doit pas le traitement à tous les ministres des cultes.

M. Malou. - On en doit à tous les ministres nécessaires pour les (page 329) ministres du culte et dans les prévisions du budget en rapport avec l'état réel des choses.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Pour les besoins légalement reconnus.

M. Malou. - Je serais au regret de soulever une question de ce genre. Mais j'ai dit sérieusement, sincèrement, quelles seraient, d'après moi, les conséquences de l'opinion que vous avez émise.

Je n'insiste pas sur cet ordre d'idées, parce que le débat pourrait prendre une tournure qu'il n'entre pas dans mes intentions de lui donner.

Il y a, dans le fait même qui se produit aujourd'hui, des considérations spéciales sur lesquelles je crois devoir appeler l'attention de la chambre.

De quelle nature sont les fonctions que la majorité de la chambre a conférées hier ? Sont-elles bien, dans le sens habituel, ordinaire du mot, des fonctions publiques salariées par l'Etat ? La cour des comptes n'est pas un corps judiciaire proprement dit ; c'est accidentellement qu'elle a des attributions judiciaires ; c'est une émanation, une délégation de la chambre des représentants.

Cela est tellement vrai que la loi organique a prescrit que, par suite de cassation d'un arrêt de la cour des comptes, l'affaire serait renvoyée à une commission de la chambre des représentants qui statuerait sans recours ultérieur.

C'est donc une délégation véritable que fait la chambre, c'est une commission qu'elle institue pour s'assurer par tierce personne (ne pouvant le faire elle-même) de la gestion régulière des finances de l'Etat. Or, ces considérations ne doivent pas être négligées par la chambre, surtout lorsqu'on tend à donner à la loi une extension qu'elle ne comporte pas.

J'ai relu ce matin tous les débats auxquels a donné lieu la loi sur les incompatibilités parlementaires. Je demande qu'on me cite une seule page de cette discussion qui implique parmi les incompatibilités autre chose que les nominations émanées du gouvernement.

Toujours, dans cette discussion, quelles que fussent leurs opinions, tous les orateurs, ceux qui voulaient pousser la réforme très loin, d'autres qui se bornaient à établir quelques catégories avec de nombreuses exceptions, tous ont parlé de la nécessité d'ôter au gouvernement une influence parlementaire. Aucune parole de défiance contre l'exercice du pouvoir électoral, à quelque degré que ce soit, n'a été entendue dans ces débats, ni dans l'enceinte de la chambre des représentants, ni dans celle de la section centrale. Qu'on me prouve le contraire, et je suis prêt à reconnaître que l'élection d'hier est vicieuse.

On argumente du texte de l'article 3. Vous avez, me dit-on, déclaré que les conseils provinciaux ne pourraient présenter un de leurs membres comme candidat à un siège judiciaire. Mais, encore une fois, quelle est la conséquence logique de cette disposition ? C'est que si l'on avait voulu appliquer à un autre corps électoral une mesure analogue, on l'aurait déclaré par la loi.

Si l’on avait voulu que la chambre ne pût élire un de ses membres conseiller à la cour des comptes, on aurait inséré à l'article 2 une disposition analogue à l'article premier. Ou je me trompe étrangement, ou c'est la seule conséquence logique que l'on puisse tirer de cette disposition. On ne l'a pas fait, parce que les raisons de différence sont évidentes. Qu'arrivait-il dans les conseils provinciaux ? Qu'on présentait aux places de l'ordre judiciaire des avocats ou d'autres qui faisaient partie du conseil sous l'influence de l'esprit de camaraderie et au préjudice de magistrats qui avaient plus de titres. Ainsi l'honorable M. Verhaegen n'a pas bien compris la portée de cet article. (Interruption.)

On me prouverait que la précaution de la section centrale était surabondante, qu'on aurait fait peu de chose ; en effet, je crois pouvoir déclarer que tel était l'esprit, le but de la disposition. Le même motif n'existe pas, ne peut exister à l'égard de la chambre des représentants.

En réalité, l'on vous propose de décider que vous vous défiez de vous-mêmes. Si vous votez comme le désire M. le ministre de l'intérieur, vous dites que vous n'avez pas confiance en vous-mêmes.

Il me revient en mémoire une expression employée par un homme d'Etat célèbre ; il y a quelques années, dans un pays voisin, on parlait beaucoup de corruption parlementaire.

Dans une réunion nombreuse de citoyens de cette grande nation, il disait : Messieurs, vous sentez-vous corrompus ?

Je suis amené par la nature du débat à poser la même question.

Il existe quant à la cour des comptes une incompatibilité établie par une loi spéciale, et celle loi, qui était la même lorsque le Congrès l'a portée et lorsqu'une législature a révisé l'organisation de la cour des comptes, a été appliquée à notre assemblée constituante.

Le Congrès a élu plusieurs de ses membres aux fonctions de président et de membre de la cour des comptes, et personne n'a prétendu que cette grande assemblée qu'on honore avec tant de raison ait manqué à sa dignité.

Il me reste, messieurs, à rétablir, au point de vue de la section centrale que j'avais l'honneur de représenter en 1848, quel a été le sens, la véritable portée de la loi relative à la réforme parlementaire.

Est-ce, comme on l'a soutenu, la crainte de la corruption parlementaire ? Non, messieurs, ni dans la pensée du gouvernement, ni dans celle de la section centrale, une telle crainte n'a été le motif déterminant des dispositions proposées.

Dans l'exposé des motifs, le gouvernement, après avoir rappelé les antécédents de cette question dans notre pays, disait :

« A diverses époques les chambres ont eu à s'occuper de propositions ayant pour but de faire cesser les inconvénients qui résultent du cumul des fonctions peu parlementaires avec d'autres fonctions publiques. Dès l'ouverture de la session, le gouvernement a exprimé son opinion sur la convenance d'introduire, à cet effet, dans notre législation, une réforme que réclame l'opinion publique, d'accord avec l'intérêt bien entendu de l'administration el la pratique sincère du régime représentatif.

« Le projet de loi que nous avons l'honneur de proposer, nous paraît de nature à atteindre complètement ce but...

« Les articles 50 et 56 de la Constitution règlent de la manière la plus large les conditions d'éligibilité et ne prononcent d'inhabileté que celle qui peut résulter du défaut d'indigénat, d'âge, de domicile ou de payement d'm certain cens quant au sénat. »

Vous le voyez, messieurs, le gouvernement lui-même faisait la distinction que j'indiquais tout à l'heure, distinction qui, pour le dire en passant, est très bien établie aussi par l'honorable M. Destriveaux. Le gouvernement faisait ressortir les inconvénients qui résultent du cumul des fonctions parlementaires avec d'autres fonctions publiques, il invoquait les intérêts de l'administration. Que disait, à son tour, la section centrale ?

La section centrale prétendait qu'il serait injuste d'adopter la réforme parlementaire, en la motivant, soit sur le défaut d'indépendance, soit sur le défaut de capacité de la part des fonctionnaires publics. Elle s'attachait exclusivement à cet argument pratique, qui a été reproduit sous toutes les formes, qu'il fallait désormais, sans aucune restriction, pour éviter les inconvénients qui s'étaient produits, obliger les fonctionnaires publics à la résidence, et à se vouer exclusivement à leurs fonctions.

Elle disait que tout autre principe était incompatible avec l'honneur du passé, avec les intérêts de l'avenir.

« Lorsqu'il s'agit, disait-elle, de substituer au principe qui a régi le pays depuis dix-huit années (la section centrale parlait de la liberté électorale et de la liberté parlementaire), un principe nouveau, le point de départ ne peut être ni la supposition, contre laquelle protestent les faits, que l'indépendance du député de la nation, quelle que fût sa position personnelle en dehors de l'enceinte législative, n'ait pas existé, ni moins encore, que telle ou telle catégorie de fonctionnaires puisse seule apporter un concours utile aux travaux parlementaires... Le seul principe nouveau qui soit en harmonie avec la réalité des faits, avec l'honneur du passé, comme avec les exigences de l'opinion publique, telles qu'elles sont reconnues par le gouvernement, c'est d'exiger que désormais tous les fonctionnaires se vouent exclusivement à leurs fonctions. »

Or, messieurs, si de la part du gouvernement et de la section centrale tels ont été les motifs du vote de la loi de la réforme parlementaire, la question qui s'agite aujourd'hui est jugée. Il s'agit d'une simple question d'incompatibilité, et le résultat de l'incompatibilité c'est l'option de la part de celui qui a été élu.

M. Delfosse. - Messieurs, hier, si l'on en croyait nos honorables contradicteurs, la question soulevée n'avait pas d'importance. Il ne fallait pas réfléchir ; il fallait voter séance tenante, à l'instant même ; il ne fallait pas donner aux membres de la chambre, qui alors n'étaient pas présents, le droit de prendre part au vote.

Aujourd'hui, messieurs, on paraît avoir changé d'avis. La question est devenue très importante ; elle touche aux prérogatives parlementaires ; elle a pris de vastes proportions par l'organe de l'honorable M. Dumortier et de l'honorable M. Malou.

Je félicite ces honorables collègues de ce qu'ils se sont rangés à l'avis que j'émettais hier, lorsque je demandais la remise de la discussion au lendemain.

Je ne pense pas que ces honorables collègues, en changeant d'avis, en se rangeant au mien, aient manqué à leur dignité ; pas plus que la chambre ne manquera à sa dignité, non en changeant d'avis, car elle n'a pas émis d'avis, elle a ajourné l'examen de la question, mais en émettant sur une question de légalité un vote qui serait en opposition avec l'opinion présumée de 46 de ses membres, qui hier, par accident, formaient la majorité.

Je reconnais, messieurs, qu'il y aurait quelque gravité à déclarer nul le résultat du scrutin auquel nous avons procédé hier. Mais, messieurs, la violation de la loi par la majorité serait un acte bien plus grave. Que dirait-on de nous si nous torturions un texte formel de loi pour réserver à quelques-uns des nôtres une position lucrative ? Comme notre honorable président l'a très bien dit, ce ne sont pas ces exemples, ce sont des exemples de désintéressement que le pays attendait de nous.

Je viens d'affirmer que la loi est formelle ; en effet, jamais texte de loi ne fut plus clair. Nier l'interprétation que nous lui donnons, la seule qu'on puisse lui donner, c'est nier la lumière du soleil.

M. Roussel. - Je demande la parole.

M. Delfosse. - La loi dit qu'un membre de la chambre ne peut être nommé à des fonctions salariées par l'Etat. S'agit-il ici de nomination à des fonctions salariées par l'Etat ? Il n'y a pas le moindre doute.

Tout en nous accusant de recourir à des subtilités, on y a recouru, on est venu vous dire qu'il n'y a pas ici de nomination, qu'il y a élection. J'ai prouvé par le texte d'un article de la Constitution et par le texte de l'article premier de la loi organique de la cour des comptes, que ce qu'on appelle une élection est dans le langage du législateur, une véritable nomination.

Je pourrais citer d'autres textes, mais j'aime mieux en appeler à l'honorable M. Malou lui-même, au rapport qu'il a fait sur le projet de loi relatif aux pensions civiles. L'honorable M. Malou, dans ce rapport, dit (page 330) clairement que les membres de la cour des comptes sont nommés à des fonctions salariées par l'Etat.

Une section avait émis des doutes. Elle avait demandé si les membres de la cour des comptes tomberaient sous l'application de la loi des pensions, et voici ce que l'honorable M. Malou, rapporteur de la section centrale, répondait :

« La réponse aux questions posées sous le n°6 par la première section ne paraît pas offrir de difficultés d'après le texte de la loi. L'article 6 se lie à l'article premier et reproduit sous une autre forme les deux conditions qu’il pose : pour être admissible à la pension, il faut faire partie de l’administration générale, et de plus être rétribuée par le trésor public. Le littera A indique à quel signe on reconnaît l’existence de la première condition ; la nomination doit être fait en exécution des lois ou émanée du gouvernement. Comme exemples de nominations faites en exécution des lois, l'on peut citer les présidents des cours judiciaires qui sont nommés par ces corps eux-mêmes ; les membres de la cour des comptes qui sont nommés par la chambre des représentants ; les employés des chambres législatives nommés par elles ou en vertu de leur délégation ; les membres des députations permanentes des conseils provinciaux, les employés des gouvernements provinciaux, etc.»

Remarquez bien ces mots, messieurs : a En exécution de la loi ou émanée du gouvernement. » Il y avait donc, d'après l'honorable M. Malou, deux espèces de nominations, les unes émanées du gouvernement, les autres faites en exécution de la loi. Ces dernières, il lui plait aujourd'hui de les appeler élections, délégations, pour l'opportunité de sa cause. Vous voyez, messieurs, que je puis opposer à l'honorable M. Malou l'honorable M. Malou lui-même.

Reconnaissons donc tous que le texte de la loi est formel, qu'il ne peut donner lieu au moindre doute.

On a parlé de l'article 36 de la Constitution, mais on oublie que l'article 36 de la Constitution se sert d'autres expressions.

L'article 36 de la Constitution, qui n'a pas rapport à l'incapacité dont les membres de la chambre sont temporairement frappés, mais qui assujettit à une réélection le membre de la chambre appelé par le gouvernement à des fonctions salariées, l'article 36 de la Constitution ne prévoit que ce cas, le cas d'un membre de la chambre nommé par le gouvernement à des fonctions salariées et décide qu'il y a lieu, dans ce cas, à réélection. Voilà la disposition de l'article 36, qui a été considérablement étendu par la loi de 1848. La loi de 1848 a été beaucoup plus loin. On oublie que l'article 36 de la Constitution diffère, quant au texte de la loi sur les incompatibilités : l'article 36 parle de la nomination par le gouvernement ; ces mots s'y trouvent en toutes lettres ; pourquoi ne les a-t-on pas reproduits dans la loi de 1848 ? Vraisemblablement il y a un motif. Si le législateur de 1848, qui connaissait l'article 36 de la Constitution, a employé des expressions différentes, c'est sans doute parce qu'il voulait, faire autre chose que ce qu'avait fait l'article 36 de la Constitution.

Mais une question d'un ordre plus élevé a été soulevée hier par l'honorable M. Roussel, et bien qu'il en eût été fait justice immédiatement, elle a été reproduite aujourd'hui par l'honorable M. Dumortier. C'est la Constitution qui nous confère le droit de nommer les membres de la cour des comptes ; aucune atteinte ne peut, dit-on, être portée à ce droit, même par une loi à laquelle nous aurions pris part. Je soutiens, messieurs, que la loi sur les incompatibilités, telle que nous la comprenons, ne porte aucune atteinte au droit que la Constitution donne à la chambre. Quel est ce droit ? La chambre nomme les membres de la cour des comptes. Sommes-nous privés du droit de nommer ? Le droit de nomination est-il transféré à un autre corps ? En aucune manière. La chambre conserve ce droit nonobstant la loi sur les incompatibilités. Mais il y a autre chose que le droit de nommer ; il y a la faculté d'être nommé. Quels sont ceux qui pourraient être nommés ? Quelles sont les conditions d'éligibilité ? Ces questions sont du domaine de la loi. Le législateur de 1848 n'a pas eu la prétention exorbitante que l'honorable M. Roussel signalait hier, de lier toutes les législatures à venir ; les législatures à venir restent entièrement libres : si la loi leur déplaît, elles pourront la changer ; mais tant qu'elles ne l'auront pas changée, elles devront s'y soumettre, elles accompliront un devoir en s'y soumettant ; ce n'est pas à une chambre législative qu'il convient de proclamer des doctrines au bout desquelles il y a le droit d'insurrection.

Messieurs, ce n'est pas seulement à la chambre que la Constitution confère des droits, la Constitution confère aussi des droits au pouvoir exécutif. L'article 66 porte que le Roi confère les grades dans l'armée. Voilà un droit qui semble illimité. Le Roi confère les grades dans l'armée, la chambre des représentants nomme les membres de la cour des comptes. Ces deux droits conférés par la Constitution paraissent aussi absolus l'un que l'autre.

Eh bien, quelqu'un a-t-il jamais prétendu que la loi sur l'avancement dans l'armée serait contraire à l'article 66 de la Constitution ? Cependant cette loi fixe des conditions en dehors desquelles on ne peut être nommé officier ; on ne peut être nommé à un grade supérieur avant d'avoir passé un certain temps dans le grade inférieur.

Le Roi se plaint-il que l'on ait porté par là atteinte à sa prérogative, et quelqu'un oserait-il sérieusement le prétendre ? Il faut, messieurs, admettre cette distinction bien naturelle que le droit, conféré par la Constitution, de nommer n'emporte pas pour tous le droit d'être nommé.

C'est ainsi, comme M. le ministre des finances le faisait remarquer hier, qu'il y a des conditions d'âge, des incompatibilités de parenté, établies par la loi sur l'organisation de la cour des comptes.

Les électeurs, messieurs, tiennent de la Constitution un droit tout aussi absolu que le nôtre. Les électeurs placés au-dessus de nous ont, de par la Constitution, le droit de nommer les membres des chambres ; n'avons-nous pas dans la loi électorale créé certaines incapacités ?

Prétendra-t-on qu'il y a là une atteinte portée à la prérogative, bien autrement élevée que la nôtre, du corps électoral ?

Le sénat tient aussi de la Constitution le droit de présenter des candidats pour la cour de cassation. Par la loi sur les incompatibilités, n'a-t-on pas limité cette prérogative ? Par la loi sur les incompatibilités nous avons mis les membres des chambres dans l'impossibilité d'être nommés membres de la cour de cassation, non seulement pendant la durée de leur mandat, mais encore pendant l'année qui suit ; est-ce que le sénat, qui a pris part comme nous au vote de la loi, se plaint d'une atteinte à sa prérogative ? Laissons donc de côté ces prétendues atteintes aux prérogatives que la chambre des représentants, le Roi et le sénat tiennent de la Constitution. Le législateur de 1848 n'a pas voulu et le législateur actuel ne voudrait pas y toucher.

Le législateur a donc pu prononcer des exclusions. L'a-t-il voulu ? Je réponds oui, parce que le texte est formel. A-t-il eu de bonnes raisons pour le vouloir ? Je réponds oui, encore, et je vais le prouver.

L'honorable M. Malou a parlé de ses souvenirs, et ici un mot de ce que l'honorable membre a dit. L'honorable membre a dit qu'il était l'auteur de la loi sur les incompatibilités.

M. Malou. - L'un des auteurs.

M. Delfosse. - Soit, l'un des auteurs, auteur bien tardif est un peu forcé.

Je me rappelle l'époque où je siégeais dans l'opposition, où je luttais souvent contre l'honorable M. Malou, placé sur le bancs du ministère ; l'honorable M. Malou ne se plaignait pas alors de l'introduction des fonctionnaires publics dans la chambre. Plus tard, lorsque la révolution de 1848 avait éclaté en France, lorsqu'il y avait chez nous un ministère libéral, lorsque ce ministère est venu proposer des réformes auxquelles l'honorable M. Malou n'avait pas pensé ou n'avait pas paru penser, l'honorable M. Malou...

M. F. de Mérode. - Vous n'avez jamais réclamé la réforme parlementaire.

M. Delfosse. - Pardon ; c'est en 1840 que je suis entré à la chambre, et à partir de cette époque, l'honorable M. de Mérode s'en souviendra, j'ai toujours réclamé la réforme électorale ; la réforme parlementaire était aussi dans notre programme.

L'honorable M. Malou, n'étant plus ministre, ne trouvait plus aussi bien qu'il y eût dans la chambre des fonctionnaires publics portés à appuyer le ministère ; on conçoit qu'il était alors tout disposé à voter une loi sur les incompatibilités. Il ne se souciait pas de donner à ses successeurs une force qu'il avait trouvée dans la chambre par l'appui des fonctionnaires ; non seulement l'honorable M. Malou se montrait disposé à voler la loi sur les incompatibilités qui était proposée par le ministère, mais il était même très désireux de l'étendre ; je vais opposer mes souvenirs à ceux de l'honorable M. Malou. Voici, messieurs, comment les choses se sont passées.

Le projet présenté en 1848 par le gouvernement paraissait incomplet à beaucoup de membres de cette chambre... L'intention de la majorité était de l'étendre à toutes les catégories de fonctions salariées par l'Etat, en exceptant seulement les fonctions de gouverneur, de diplomate et de ministre. Il y avait alors dans la chambre un grand nombre de fonctionnaires, qui, dans des temps ordinaires, n'auraient jamais consenti à voter leur exclusion de la chambre ; mais nous étions dans un temps de crise ; ils ont dû se résigner, et ils ont posé, quelques-uns peut-être malgré eux, un acte de patriotisme.

Ces fonctionnaires, vous le comprendrez, messieurs, devaient avoir une préoccupation : eux sortis de la chambre, ne pourrait-il pas se faire que ceux de leurs collègues qui y resteraient ou ceux qui viendraient les remplacer, useraient de leur influence pour se faire donner de bonnes places ?

Il y avait là, il faut le reconnaître, un danger pour les fonctionnaires exclus de la chambre par la loi des incompatibilités : leurs droits légitimes à l'avancement auraient pu se trouver compromis, sacrifiés par l'influence des membres de la chambre, si ceux-ci avaient encore pu aspirer à des fonctions salariées par l'Etat.

Il y avait donc quelque chose à faire ; et naturellement ces fonctionnaires ont poussé à la disposition excluant des membres de la chambre des fonctions salariées par l'Etat, à la disposition qui devait empêcher les membres de la chambre de bien se caser aux dépens des fonctionnaires exclus de la chambre. C'était une garantie que les fonctionnaires désiraient obtenir et que la chambre leur a donnée.

Vous sentez, messieurs, que cette garantie devait être donnée à toutes les classes de fonctionnaires, aux conseillers de la cour des comptes, aux employés de la cour des comptes, comme aux employés des autres administrations, comme aux juges, comme aux commissaires d'arrondissement. Il fallait aux fonctionnaires qui ne pouvaient plus siéger dans la chambre une garantie contre les intrigues auxquelles des membres de la chambre auraient pu avoir recours pour obtenir certains emplois.

C'est dans le même sens, et cela prouve de plus en plus le fondement de notre opinion, qu'on a étendu la loi sur les incompatibilités aux conseils provinciaux.

(page 331) Les juges de paix, les juges des tribunaux de première instance, les procureurs du roi, les substituts du procureur du roi, cherchaient en général à devenir conseillers provinciaux, pourquoi ? Pour être présentes candidats par le conseil provincial, soit pour une place de président ou de vice-président de tribunal, soit pour une place de conseiller de cour d'appel. Voilà quel était le but ; ces juges, ces procureurs du roi, ces substituts avaient, à raison de leurs fonctions, de l'influence sur les électeurs, c'était un abus ; on n'a donc plus voulu les laisser pénétrer au conseil provincial, comme on n'a plus voulu laisser pénétrer les fonctionnaires dans la chambre ; mais à ceux-là aussi il fallait une garantie ; de même qu'on avait donné aux fonctionnaires exclus de la chambre une garantie contre les membres de la chambre, il fallait donner aux juges, aux procureurs du roi, aux substituts, exclus du conseil provincial, une garantie contre les conseillers provinciaux. Et c'est pour cela, qu'aux termes de l'article 3, un conseiller provincial ne peut être présenté comme candidat par le conseil provincial dont il fait partie, soit pour une place de président ou de vice-président, soit pour une place de conseiller.

Vous voyez, messieurs, que tout cela se lie. On a voulu donner des garanties aux fonctionnaires, et l'on a voulu empêcher les membres de la chambre, comme les conseillers provinciaux, d'user, dans leur intérêt, de l'influence qu'ils tenaient de leur position.

Les choses étant ainsi, et la loi étant bien claire, je m'étonne que l'honorable M. Malou soit venu dire que notre opinion c'était le gouvernement représentatif à l'envers, c'était la défiance envers les corps électifs.

(erratum, p. 345) Mais pour les conseils provinciaux, la défiance est écrite en toutes lettres dans l'article 3 ; pour les membres de la chambre, la défiance est écrite dans l'article 2 ; le texte, je le répète, est clair comme le jour.

Comme l'honorable M. Verhaegen l'a fait remarquer, et c'est là une réponse décisive à ceux qui soutiennent que la loi n'a été faite que contre le gouvernement, on ne veut pas qu'un conseiller provincial puisse se servir de son influence sur ses collègues, pour obtenir, non pas une place, mais une simple présentation, sur une liste de candidats : les précautions prises par le législateur en 1848, peut-être, je le reconnais, sous la pression des événements ; ces précautions ont été telles qu'on n'a pas même voulu que le conseiller provincial se servît de son influence pour être porté sur une liste de candidats.

Et l'on soutiendrait qu'on a permis aux membres de la chambre, alors que l'on prenait tant de précautions contre les conseillers provinciaux, d'obtenir de leurs collèges, non pas une place sur une liste de candidats, mais des fonctions de six à huit mille francs !

La loi de 1848 frappe les membres de la chambre, non pas d'une incompatibilité, mais bien d'une incapacité temporaire ; l'honorable M. Malou s'est étrangement trompé lorsqu'il a cru qu'il s'agissait ici d'une incompatibilité ; l'incompatibilité existe pour les fonctionnaires ; pour les membres de la chambre il y a incapacité, incapacité radicale non seulement pendant toute la durée de leur mandat, mais aussi pendant l'année qui suit. Je ne comprends pas que l'honorable M. Malou soit venu nous dire que la loi n'avait pas entendu créer des conditions d'inéligibilité, qu'elle n'aurait entendu qu'établir des incompatibilités. Je ne comprends pas qu'un homme sérieux soutienne un tel système. Il est évident que l'article 3 ne crée pas seulement des incompatibilités, mais des incapacités, des conditions d'inéligibilité. L'un des motifs de la loi, c'était donc la crainte qu'avaient les fonctionnaires d'être supplantés par des membre de la chambre ; naturellement cette crainte ne préoccupait pas les membres de la chambre qui, comme moi, n'appartiennent pas à la classe des fonctionnaires ; nous étions mus par un sentiment plus élevé ; tout en reconnaissant qu'il était équitable d'accorder aux fonctionnaires les garanties qu'ils réclamaient, nous pensions que, dans un moment où l'orage grondait à nos portes, c'était pour les représentants de la nation un devoir impérieux de faire plus que jamais preuve d'abnégation et de désintéressement ! Nous avons dit : Le pays a de grandes libertés, il faut les étendre encore, il faut abaisser le cens électoral au minimum fixé par la Constitution.

Nous avons dit : Désormais les représentants de la nation ne se feront plus un marchepied de leur mandat. Trois catégories de fonctions seulement, pour lesquelles les choix sont difficiles, pourront leur être conférées, celles de ministre, de diplomate et de gouverneur. Il y a eu, il est vrai, une lacune ; je le dis avec franchise, on n'a pas étendu l'incapacité aux fonctions qui ne sont pas salariées par l'Etat, mais dont le gouvernement s'est réservé la nomination. Cette lacune est regrettable ; elle provient surtout de l'interprétation que la chambre avait toujours donnée à l'article 36 de la Constitution.

L'article 36 de la Constitution n'établissait pas une incapacité, mais il obligeait les membres nommés par le gouvernement à des fonctions salariées à se soumettre à une réélection ; cet article ne parlait pas, comme la loi des incompatibilités, des fonctions salariées par l'Etat ; il parlait des fonctions salariées, mais conférées par le gouvernement.

La chambre, alors que je n'en faisais pas partie, avait interprété les articles de la Constitution comme s'il y avait fonctions salariées par l'Etat.

Cette interprétation, que je ne puis approuver, a exercé de l'influence sur la loi des incompatibilités qui, comme je le disais hier, a été votée un peu à la hâte.

Mais parce qu'une lacune existe, parce que, d'après l'interprétation donnée à l'article 36 de la Constitution, un membre peut obtenir des fonctions salariées mais non salariées par l'Etat, même sans être soumis are élection, faut-il conclure que l’article 2 qui frappe d'une incapacité temporaire les membres des deux chambres, qui les empêche d'être nommés à des fonctions salariées par l'Etat, ne s'applique pas aux fonctions de conseiller de la cour des comptes ? Parce qu'une lacune existe, faut-il l'étendre ? Parce qu'on peut conférer à un membre des chambres des fonctions salariées, mais non par l'Etat, faut-il permettre, contrairement au texte formel de l'article 2, qu'on leur confère aussi des fonctions de membres de la cour des comptes, fonctions salariées par l'Etat ?

L'orage qui grondait à nos portes en 1848 est en partie dissipé ; est-ce un motif pour retirer les garanties données à la nation en temps de crise ? On a beaucoup parlé de la dignité de la chambre, rien ne nuirait plus à cette dignité, aujourd'hui que le calme paraît renaître, qu'une décision par laquelle la chambre reviendrait sur les concessions faites en 1848.

M. Vilain XIIII. - Personne n'y pense !

M. Delfosse. - Comment ! personne n'y pense ! Nous demandons qu'on se conforme à une loi dont le texte est clair comme le jour, et l'on prétend que ce texte est douteux. Croyez-le bien, messieurs, si nous ouvrions déjà aux membres de la chambre un accès à certaines fonctions, dont la loi de 1848 les a bien certainement exclus, on dirait que quand nous avons voté cette loi et les autres lois de réforme, nous avons agi par peur et, ce qui serait pis, avec hypocrisie. Prouvons au contraire que nous avons été sincères, que nous avons été animés d'un vrai patriotisme, d'un entier désintéressement !

Ne voyez-vous pas d'ailleurs que la chambre ne pourrait que perdre en considération en admettant ses membres à briguer les fonctions de membres à la cour des comptes ? Aujourd'hui il ne se présente qu'un seul collègue ; une autre fois, il s'en présenterait peut-être plusieurs, et nous aurions le spectacle affligeant de divisions intestines et d'intrigues. C'est encore là une considération qui a dû frapper le législateur de 1848.

On disait, en 1848 : Soyons unis pour être forts ! Tenons encore, messieurs, le même langage ; ne permettons pas à des ambitions personnelles de jeter au milieu de nous de nouveaux germes de discorde, il n'y en a déjà que trop. Il ne s'agit pas de prendre des précautions contre la chambre. La chambre est trop haut placée pour que le soupçon puisse l'atteindre ; mais il s'agit d'en prendre contre les intrigues qui pourraient l'importuner, l'agiter, la déconsidérer.

Quelles objections oppose-t-on aux considérations si fortes que nous avons fait valoir et qui doivent exercer sur la chambre une influence décisive ? On dit que si la loi est telle que nous le soutenons, on ne pourra pas prendre un régent dans les chambres. D'abord il faudrait démontrer que le régent sera un fonctionnaire salarié par l'Etat.

Pour que l'argument eût quelque valeur, il faudrait invoquer une loi décidant que le régent sera salarié par l'Etat. Y a-t-il une loi qui attache un salaire aux fonctions de régent ? Si cette loi n'existe pas, le choix du régent ne peut tomber sous l'application de la loi de 1848.

Il n'est pas du tout nécessaire que le régent reçoive un salaire de l'Etat. On peut très bien lui accorder, comme on l'a fait dans un pays voisin, pour le président de la République, certains frais de représentation, certaines indemnités, ne constituant pas un salaire.

Ne perdez pas de vue, d'un autre côté, que le régent est nommé par les chambres réunies, alors qu'il n'y a pas de roi. Dans un tel moment, les chambres réunies ont des pouvoirs bien plus étendus qu'une chambre seule en temps ordinaire ; je reconnais, j'ai été le premier à le proclamer, que la chambre ne peut pas changer la loi. Mais ce sont nos contradicteurs qui veulent la changer en s'opposant à l'application d'un texte formel, et cette loi ne pourrait être opposée aux chambres réunies, appelées à choisir un régent.

On a fait une objection plus futile encore. Si un collègue, sorti de la chambre, devenait immédiatement membre d'un conseil provincial, il ne pourrait, dit-on, être élu membre de la députation qu'une année après l'expiration de son mandat législatif. On n'a pas, cela est clair, pensé à cette éventualité ; elle tombe néanmoins sous l'application de la loi. Serait-ce donc un si grand malheur que les membres de la chambre dussent laisser écouler une année avant d'arriver à être membre d'une députation permanente ?

Cet inconvénient est-il de nature à empêcher l'application d'une loi dont le texte est formel ? Pour moi, je renonce volontiers, et mes collègues renonceront aussi, j'en suis sûr, à l'avantage possible d'une élection immédiate à la députation permanente.

Je crois, messieurs, en avoir dit assez. Un mot encore cependant. L'honorable M. Malou nous a adressé une question empruntée aux débats d'une autre assemblée délibérante, citation malheureuse. Vous sentez-vous corrompus ? nous a-t-il demandé ; si la question m'était adressée, je ne répondrais pas, je laisserais à mes actes et à mes concitoyens le soin de répondre pour moi. Comment a-t-on répondu à ceux qui, s'opposant en France à toute réforme, même à la réforme électorale la plus insignifiante, demandaient dérisoirement à leurs collègues : Vous sentez-vous corrompus ? On leur a répondu par la révolution de Février ! Nous ne nous sommes pas, nous, adressé ces questions ; nous avons accordé au pays les garanties qu'il réclamait, et la révolution de Février s'est arrêtée à nos portes.

- Un grand nombre de voix. - La clôture ! la clôture !

M. Roussel. - Je demande la parole contre la clôture. Permettez-moi, messieurs, de faire observer que trois orateurs ont (page 332) cherché à répondre aux paroles que j'ai prononcées hier, et que je n'ai pas encore pu ouvrir la bouche pour défendre mon opinion.

Je désire au moins pouvoir répondre au respectable président de cette chambre. (Interruption.)

Nouvellement admis dans cette enceinte, j'ai le droit de justifier ce que j'ai avancé. Dans le conseil provincial du Brabant où j'ai siégé, l'on n'agissait pas autrement. Lorsqu'un membre avait été attaqué, il avait le droit de répondre. C'est tout ce que je demande. Je n'abuserai pas de la parole. (Parlez ! parlez !)

M. Delehaye. - M. de Liedekerke est inscrit avant M. Roussel.

M. de Liedekerke. - Je cède mon tour de parole à M. Roussel.

M. Delehaye. - Puisqu'il en est ainsi, et qu'on n'insiste pas sur la demande de clôture, M. Ad. Roussel a la parole.

M. Roussel. - Messieurs, l'honorable M. Verhaegen, après l'honorable M. Lebeau et après César nous disait tantôt : que la femme de César ne doit jamais être soupçonnée ; il appliquait ce mot de l'antiquité à la chambre des représentants. Je dois vous dire qu'il m'a paru que si, dans cette discussion, la femme de quelqu'un a été soupçonnée, c'est bien la femme de César à laquelle on a fait allusion.

En effet, tous les discours des honorables membre qui demandent l'annulation de l'élection de l'honorable M. Jacques, roulent uniquement sur les soupçons qu'on doit concevoir contre la majorité de cette chambre, lorsqu'elle porte son choix sur un de ses membres. Mais comment justifier ces soupçons ? Il ne s'agit pas ici seulement de vous, il s'agit aussi du sénat, qui n'est pas ici pour défendre les prérogatives d'éligibilité appartenant à chacun de ses membres.

Remarquez bien, messieurs, qu'il ne s'agit pas seulement de faire déclarer qu'aux termes de l'article 2 de la loi sur les incompatibilités, un membre de la chambre serait inéligible aux fonctions de conseiller près la cour des comptes, mais que les sénateurs seraient frappés de la même incapacité, pendant l'exercice de leur mandat et l'année qui le suit ; cette simple observation renverse tout le système sur lequel on a voulu étayer l'interprétation de la loi sur les incompatibilités parlementaires.

On vous a dit : Un représentant pourrait abuser de ses relations avec ses collègues pour séduire les convictions. Mais cela peut-il suffire pour vous retirer un droit que vous tenez de la Constitution et de la loi même ? Cela peut-il s'appliquer aux sénateurs ? Le cas de l'élection d'un sénateur sera extrêmement rare, j'en conviens, mais je le cite pour prouver où conduit le préjugé qui fait tout confondre.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Cela ne prouve rien.

M. Roussel. - Vous répondrez, M. le ministre ; ou plutôt vous ne répondrez pas ; car je crois que vous trouveriez très difficilement une réponse à l'argument tiré de la prétention que l'on élève de décréter d'une seule fois l'inéligibilité non seulement des représentants, mais encore des sénateurs eux-mêmes qui sont indépendants de nous et nos égaux.

Mais étudions le sens de la loi. Ainsi que vous le disait fort bien l'honorable M. Lelièvre, il ne suffit pas de saisir un passage, une disposition légale qui pourrait avoir quelque analogie avec un cas pour en faire l'application immédiate à cette espèce. Il faut voir l'origine, la source de la loi, et sa nature. Or, voici à peu près vingt ans que dans un cours intitulé cours d'encyclopédie du droit, j'enseigne à mes élèves ce principe (l'expérience d'un vieux professeur est quelquefois bonne à quelque chose) qu'une lois spéciale, une loi particulière ne peut être abrogée, et qu'il n'y peut être dérogé par une loi générale que d'une manière expresse et formelle.

Il n'y a pas cinq heures, je me trouvais dans le sein de la commission de révision du Code pénal. Nous nous occupions de l'article 484 de ce Code, qui consacre expressément ce principe, quant aux règlements particuliers dans les matières qui ne, sont pas expressément régies et réglementées par ce Code ; on a donc maintenu en vigueur tous les règlements particuliers, spéciaux, antérieurs, nonobstant le Code pénal qui était bien, lui, un règlement général, mais qui ne pouvait abroger qu'expressément les règlements particuliers.

Or, la loi sur les incompatibilités parlementaires, qu'a-t-elle fait ? Elle a réglé les incompatibilités au point de vue électoral, général, sans s'occuper de l'incompatibilité ou de l'inéligibilité au point de vue spécial de la cour des comptes, point de vue organisé par une loi spéciale que cette élection méritait bien, sans doute.

Il existe une loi organique de la cour des comptes et de l'élection de ses membres, loi que tous les membres de cette chambre connaissent, ou sont censés connaître, et qui ne dit pas un mot de ce qu'on veut trouver dans la loi générale sur les incompatibilités parlementaires, qui ne parle en aucune façon de l'inéligibilité des membres de cette chambre ou du sénat aux fonctions de conseiller à la cour des comptes.

Il est vrai que l'on rencontre dans cette même loi une disposition où l'on prévoit certains cas de présentation par les conseils provinciaux à des sièges de magistrature. Mais veuillez me prêter cette attention bienveillante que vous devez à un homme qui ne vous apporte que le résultat de ses réflexions sincères, sans esprit de parti. Et remarquez que cette disposition relative au conseil provincial prouve précisément que si l'on avait voulu faire quelque chose de spécial quant à la chambre, on l'aurait dit pour elle aussi bien que pour le conseil provincial, et à plus forte raison, puisque la chambre des représentants se trouve placée plus haut encore dans la hiérarchie des pouvoirs publics.

Deuxième observation : De quoi s'agit-il dans l'article 7 de la loi ? S'agit-il d'une nomination véritable, d'une élection ? Non : il s'agit d'une présentation ; et vous voulez appliquer une interprétation analogique ! Mais, je vous le demande, quelle analogie existe-t-il entre un conseil provincial qui présente des candidats au Roi, et la chambre, qui nomme des conseiller à la cour des comptes ? Forme-t-elle, la chambre, un appel à un autre pouvoir, ou bien agit-elle en vertu du pouvoir qui lui est propre ?

J'estime qu'elle ne fait pas une présentation, mais qu'elle procède à une élection.

Eh bien, lorsqu'il s'agit, non plus de présentation, mais de délégation, par exemple, pour la nomination des membres de la députation permanente, le conseil les nomme dans son sein, comme la chambre peut nommer dans son sein les membres de la cour des comptes. Ce n'est que sur les présentations que tombe l'inéligibilité.

Je prétends que la loi sur les incompatibilités n'a pas touché un mot relativement aux nominations qui doivent se faire directement dans le sein du conseil provincial, que par conséquent l'argument que l'on veut tirer de cette disposition n'existe en aucune façon ; que, loin de là, l'analyse approfondie des choses conduit à penser que la loi des incompatibilités n'a voulu prévoir dans aucun corps délibérant les nominations ou délégations proprement dites.

J'ajoute que, s'il se présentait quelque analogie pour l'interprétation de la loi, elle apparaîtrait entre le conseil provincial nommant la députation permanente el la chambre des représentants élisant les conseillers à la cour des comptes. Qu'est-ce que la députation permanente ? C'est un corps chargé de faire toutes les affaires du conseil provincial pendant qu'il n'est pas réuni.

Qu'est-ce que la cour des comptes ? C'est un corps chargé de faire un examen financier auquel vous ne pouvons nous livrer nous-mêmes ; c'est une délégation chargée de nous remplacer et de nous éclairer pour un objet spécial.

C'est une délégation et je le prouve : D'abord, par la nomination des membres de la cour des comptes. Ils émanent de nous ; ils sortent de nous, et il serait curieux, à ce propos, que l'on trouvât un titre d'incapacité dans la qualité de membre de cette assemblée. Je ne comprends pas le raisonnement qui consiste à dire que lorsqu'on est membre de la chambre, on est de fait incapable, à raison de je ne sais quelle corruption présumée, de vérifier la comptabilité de l'Etat comme conseiller à la cour des comptes. Il semble, au contraire, que c'est un excellent noviciat, un acheminement heureux vers la cour des comptes, que l'étude que nous faisons chaque jour ici de la comptabilité de l'Etat.

Deuxième analogie : Le caractère temporaire de l'investiture.

La cour des comptes est nommée temporairement, ce n'est pas une délégation perpétuelle ; elle a un caractère essentiellement limité qui l'assimile, encore une fois, aux députations permanentes des conseils provinciaux, lesquelles ne sont élues que pour un temps déterminé.

La possibilité de révocation est la troisième base de comparaison ; possibilité de laquelle il résulte que si un membre de la chambre, abusant de la corruption, parvenait à se faire élire, il ne tarderait pas à se voir révoqué du moment qu'il donnerait le moindre prétexte à l'opinion de la chambre dûment éclairée, de revenir sur ce qui aurait été le résultat d'une erreur.

La quatrième similitude consiste dans la nécessité de soumettre certaines décisions de la cour des comptes à la chambre des représentants, ce que les députations sont également tenues de faire à l'égard des conseils provinciaux.

Enfin, messieurs, la dernière analogie repose dans la nature des travaux confiés aux deux institutions. Le travail que font les membres de la cour des comptes est évidemment un travail de vérification et de contrôle. A ce propos, je dois le confesser, messieurs, en mon âme et conscience, j'aurai toujours plus de confiance dans un membre de la chambre des représentants librement élu par le corps électoral que dans un fonctionnaire public sorti des bureaux de M. le ministre de l'intérieur. Non pas que je ne professe une véritable estime pour ces messieurs ; je les estime, en vérité, mais non comme vérificateurs des travaux auxquels ils se sont livrés eux-mêmes. Je les estime quand ils restent fonctionnaires, quand ils ne sortent pas de la sphère d'obligations qu'ils se sont imposée à eux-mêmes, mais non quand ils sortent des bureaux du ministère pour entrer au contrôle des opérations de ce même ministère.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Si l'on discute les titres des candidats, je demande la parole.

M. Roussel. - Le ministère, qui ne devrait pas se mêler d'une affaire où il s'agit, en définitive, de nommer un contrôleur pour ses opérations, le ministère, qui devrait tout au moins se taire en cette occasion et peut-être s'abstenir, alors qu'il parle constamment de délicatesse et de corruption possible, que nous a-t-il dit ? Il a prétendu que la nomination d'un membre de la chambre comme conseiller de la cour des comptes devait produire les plus graves inconvénients. Je rétorque l'argument, et je demande si, alors que nous pouvons faire ici un choix avec la connaissance parfaite de la personne et de ses antécédents, avec le préjugé du vœu parlementaire qui l'a envoyé dans cette enceinte, il est possible de trouver un terme défavorable pour l'homme qui siège ici, dans la comparaison à établir avec tout autre candidat.

M. Delehaye. - Je ne puis laisser continuer la discussion sur ce terrain. Il ne s'agit pas ici de discuter quels sont les titres des candidats. Je prie M. A. Roussel de vouloir entrer dans l'examen de la question.

(page 333) M. Roussel. -Je finis sur ce point. Permettez-moi seulement de citer un fait positif. Le même M. Jacques s'était présenté déjà pour remplir les fonctions de conseiller à la cour des comptes. Le fait était public. Or, l'on nous a entretenus longuement de l'effet de sa nomination actuelle sur l'opinion publique ; on a parlé du jugement que le corps électoral porterait sur nous. Quant à moi, j'attends ce jugement avec la plus grande tranquillité.

Mais veuillez observer, messieurs, que cette opinion publique, ce corps électoral qui devraient réprouver la nomination par la chambre d'un de ses membres, ce corps électoral a cependant réélu l'homme qui avait fait la demande et qui n'avait pas réussi, indépendamment de sa volonté. Le corps électoral a donc pris soin d'avance de défendre les représentants de la nation contre les allégations de M. le ministre de l'intérieur.

Messieurs, je crois avoir démontré que dans la nature des choses il n'y a nul obstacle à ce qu'un membre de cette chambre ou du sénat soit appelé à la cour des comptes en qualité de conseiller. Au contraire, il semble résulter de la nature même de nos institutions qu'il n'en est pas ainsi.

Maintenant, messieurs, veuillez ne pas oublier qu'il s'agit d'une prérogative parlementaire ; songez qu'il s'agit de saper dans sa base une des grandes prérogatives de la chambre ou plutôt des deux chambres. Veuillez mettre ces prétentions en rapport avec l'origine de notre pouvoir, origine toute nationale d'après la Constitution.

N'oubliez pas, messieurs, de comparer la nature de ce pouvoir avec les limites imposées par la Constitution au pouvoir exécutif seul ; réfléchissez, je vous en supplie, à cette circonstance que le pouvoir exécutif se trouve nécessairement placé sous le contrôle du pouvoir législatif, et vous reconnaîtrez qu'en cette occurrence le ministère intervertit les rôles, en cherchant dans une loi de l'Etat, faite contre lui, la sanction d'une mesure prohibitive pour nous. Conservons l'équilibre constitutionnel des pouvoirs.

Du moment où cette loi présente des doutes sérieux, vous ne pouvez aller plus loin. Et ce doute, messieurs, est incontestable en présence du vote d'hier. N'allez pas plus loin, messieurs, ne frappez point votre propre pouvoir jusque dans sa racine. Je veux, mais par d'autres moyens, ce que voulait notre honorable président ; je veux que la femme de César ne soit pas injustement soupçonnée.

- La clôture est demandée et prononcée.

M. Delehaye. - La chambre a à voter sur la proposition de M. de Perceval. Elle est ainsi conçue :

« La loi du 26 mai 1848 sur les incompatibilités parlementaires établit à l'article 2 que les membres des chambres ne peuvent être nommés à des fonctions salariées par l'Etat, qu'une année après la cessation de leur mandat ;

« Attendu que les dispositions, ci-dessus énoncées, sont applicables à M. Jacques, qui a obtenu la majorité des suffrages pour les fonctions de conseiller à la cour des comptes ;

« Je propose d'annuler le scrutin qui a eu lieu dans la séance du 17, et de procéder à une nouvelle nomination. » (Interruption.)

M. Delfosse. - La question à poser est bien simple : « Un membre de la chambre peut-il être nommé membre de la cour des comptes. »

M. Delehaye. - Je demanderai à M. de Perceval s'il se rallie à la proposition de M. Delfosse.

M. de Perceval. - Oui, M. le président.

M. Malou. - Il serait contraire aux usages parlementaires de voter sur une proposition ainsi formulée. Je crois, messieurs, qu'il faut poser la question en termes plus simples, et voici, ce me semble, comment on pourrait la formuler :

« L'élection de M. Jacques est-elle nulle parce qu'il est inéligible ?» (Interruption.)

Si l'on indique une meilleure formule, je suis prêt à m'y rallier. Nous devons tous désirer que le vote ne présente pas d'équivoque et laisse à chacun toute liberté.

M. Delfosse. - Il n'est pas possible de voter sur la question ainsi formulée. M. Jacques n'est pas inéligible ; M. Jacques n'est frappé que d'une incapacité temporaire.

Je ne pense pas qu'il puisse y avoir le moindre inconvénient à poser la question telle que je l'ai formulée ; chacun pourra parfaitement exprimer son opinion par un oui ou par un non.

M. Dumortier. - Je demande qu'on pose simplement cette question : Y a-t-il lieu de procéder à un nouveau vote ? (Interruption.) Permettez, messieurs, vous n'avez pas le droit d'interpréter la loi par voie d'autorité, la Constitution vous l'interdit. La Constitution porte que l'interprétation des lois par voie d'autorité appartient au pouvoir législatif, c'est-à-dire à la chambre des représentants, au sénat et au Roi. Vous ne pouvez donc pas interpréter la loi à vous seuls, et toute décision que vous prendriez sur une question emportant interprétation de la loi par, voie d'autorité, serait une décision inconstitutionnelle. Tout ce que vous pouvez mettre aux voix, c'est la question de savoir si le scrutin est valide.

M. Delfosse. - Je ferai, je pense, cesser toute discussion en proposant la formule suivante :

« La chambre, vu l'article 2 de la loi sur les incompatibilités, annule le scrutin. »

M. de Theux. - Je réclamerai un seul instant l'attention de la chambre.

Il s'est présenté d'autres occasions où on a voulu poser des questions d'interprétation, et comme l'interprétation des lois n'appartient pas à une seule branche du pouvoir législatif, la chambre n'a jamais admis cette manière de procéder. Il faut donc que nous cherchions une autre formule. La proposition de M. Delfosse renferme une interprétation : nous ne pouvons pas l'admettre.

M. Vilain XIIII. - Je demande la division et la suppression des mots : « de la loi sur les incompatibilités. »

M. Delfosse. - Je ne propose pas à la chambre d'interpréter la loi. Je soutiens, au contraire, qu'il n'y a pas lieu à interprétation, que la loi est claire et formelle. (Aux voix ! aux voix !)

M. Delehaye. - Il va être procédé au vote par appel nominal sur la proposition de M. Delfosse.

M. Coomans. - Nous demandons de supprimer les mots : « Vu la loi, etc. », et de dire seulement : « La chambre annule le scrutin. »

M. Delehaye. - Il n'y a qu'une seule proposition, celle de M. Delfosse. Elle doit donc être mise aux voix ; si M. Coomans veut faire une autre proposition, il faut qu'elle soit écrite.

M. Lelièvre. - Je propose de dire : « La chambre annule le scrutin. »

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il est évident que la chambre, dans la résolution qu'elle va prendre, doit motiver son vote. Il faut que le vote ait une signification.

Si la question était simplement posée comme on l'indique : « La chambre annule le scrutin » ce serait une question de fait et l’on pourrait immédiatement recommencer le vote et élire de nouveau l'honorable M. Jacques.

Il faut donc voter sur la proposition de M. Delfosse : « La chambre vu l'article 2 », c'est-à-dire, par application de l'article 2, « annule le scrutin. »

M. Malou. - La chambre doit respecter la Constitution. L'interprétation des lois n'appartient qu'au pouvoir législatif. (Interruption.) Il y a équivoque dans la proposition de M. Delfosse ; si elle est admise, on ne saura pas ce qu'on aura fait. « La chambre, etc., annule le scrutin. » Qu'est-ce à dire ? Faut-il revenir au ballottage entre ceux qui ont eu le plus de voix ? Il faut annuler l'élection et non pas le scrutin. (Interruption.) Vous voyez bien que vous aviez tort de m'interrompre, puisque vous voilà d'accord. Il faut donc annuler l'élection, mais l'annuler sans donner aucun motif.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il n'y a pas d'élection et partant pas d'élection à annuler. M. Jacques n'a pas été élu. C'est précisément là l'objet de la contestation. Il s'agit donc d'annuler les opérations auxquelles on s'est livré, et ces opérations annulées, il y a à procéder à de nouvelles opérations complètes. Il ne s'agit pas d'un ballottage, il s'agit d'une élection complètement libre.

M. Loos. - Je reprends la proposition de M. de Perceval telle qu'il l'a formulée.

Il me semble qu'elle explique parfaitement la position. Le nom de M. Jacques est sorti de l'urne avec le plus grand nombre de suffrages ; vous ne pouvez pas faire que ce fait n'existe pas. M. de Perceval invoque la loi et prétend que la loi est applicable à M. Jacques ; il demande en conséquence l'annulation du scrutin. Je crois que personne n'a fait de proposition plus claire que M. de Perceval.

Je demande que M. le président veuille bien donner une nouvelle lecture de la proposition de M. de Perceval.

M. Delehaye. - La chambre désire-t-elle que je donne une nouvelle lecture de la proposition de M. de Perceval ?

- De toutes parts. - Non ! non !

M. Delehaye. - Il n'y a donc à mettre aux voix que la proposition de M. Delfosse à laquelle M. de Perceval s'est rallié. Elle est ainsi conçue :

« La chambre, vu l'article 2 de la loi sur les incompatibilités, annule les opérations. »

Il est procédé au vote par appel nominal sur cette proposition. En voici le résultat.

83 membres répondent à l'appel.

48 membres répondent oui.

35 membres répondent non.

En conséquence, la chambre décide que les opérations électorales, relatives à la nomination d'un membre de la cour des comptes, sont annulées.

La chambre se réserve de fixer le jour auquel elle procédera de nouveau à cette opération.

Ont répondu oui : MM. Van Hoorebeke, Ansiau, Anspach, Bruneau, Cans, Cumont, Dautrebande, David, de Baillet (H.), de Baillet-Latour, de Bocarmé, Delfosse, Deliége, de Perceval, Dequesne, de Renesse, Destriveaux, Devaux, d'Hoffschmidt, d’Hont, Dumont (Guillaume), Frère-Orban, Jouret, Julliot, Lange, Lebeau, Le Hon, Lesoinne, Liefmans, Loos, Mascart, Moreau, (page 334) Moxhon, Peers, Prévinaire, Reyntjens, Rogier, Rousselle (Charles), Sinave, Tesch, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, Yan Cleemputte, Vandenpeereboom (Alphonse), Vandenpeereboom (Ernest), Van Grootven et Verhaegen.

Ont répondu non : MM. Van Iseghem, Van Renynghe, Vilain XIIII, Clep, Cools, Coomans, Dechamps, de Chimay, Dedecker, de Haerne, de La Coste, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Mérode (F.), de Mérode-Westerloo, de Muelenaere, de Theux, de T'Serclaes, de Wouters, Dumon (Aug.), Dumortier, Faignart, Landeloos, Lelièvre, Malou, Mercier, Moncheur, Orts, Osy, Pirmez, Rodenbach, Roussel (A.), Thibaut, Vanden Branden de Reeth et Delehaye,

- La séance est levée à 5 heures et quart.