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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 19 décembre 1850

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Séance du 19 décembre 1850

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1850-1851)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal

(page 335) M. Ansiau procède à l'appel nominal à une heure et un quart.

La séance est ouverte.

Lecture du procès-verbal

M. de Perceval donne lecture du procès-verbal de la séance précédente.

M. Jacques. - Messieurs, je demande qu'il soit constaté au procès-verbal que je n'ai pris aucune part à la séance d'hier. Si j'avais cru pouvoir intervenir dans le débat, j'aurais soutenu l'éligibilité d'un représentant à la cour des comptes ; j'aurais soutenu en outre que la chambre, après avoir appliqué la loi dans ce sens, en m'accordant la majorité au scrutin secret, n'avait plus le droit de casser l'élection accomplie, si ce n'est par une loi interprétative, qui aurait dû être soumise aux deux autres branches du pouvoir législatif. Mais, quoique la chambre n'ait pas voulu admettre la distinction entre les nominations et les élections, elle me permettra de distinguer entre le droit et le pouvoir : ainsi, quoique je ne puisse pas admettre que la chambre ait eu le droit d'annuler mon élection à la cour des comptes, sans l'intervention du sénat et du Roi par une loi interprétative, je dois bien reconnaître qu'elle en avait le pouvoir, puisque c'est un fait accompli. Il m'est dur, sans doute, d'être la victime de cet acte de pouvoir parlementaire, surtout après les insinuations malveillantes que l'on s'est permises contre moi, et auxquelles je dédaigne de répondre ; mais je respecte trop les décisions prises, pour venir soulever de nouveau une question de personne, qui n'a déjà que trop longtemps occupé la chambre. Au surplus, quand un représentant, malgré l'influence des ministres et de la plupart des hommes considérables du parti qui est au pouvoir, parvient à obtenir une majorité de 46 voix au scrutin secret, et une minorité de 35 voix, non compris la sienne, au vote par appel nominal, il y a là de quoi satisfaire l'amour-propre le plus exigeant.

Je termine donc, en exprimant à la chambre, du plus profond de mon cœur, ma vive reconnaissance pour les nombreux témoignages d'estime et de confiance qu'elle m'a donnés.

Je ne demande maintenant qu'une seule chose, extrêmement simple ; c'est qu'il soit constaté par une mention spéciale au procès-verbal, que je n'ai pris aucune part aux délibérations d'hier.

M. le président. - M. Jacques demande qu'il soit constaté au procès-verbal qu'il n'a pas pris part au vote d'hier.

M. Thiéfry. - Est-ce au vote ou au scrutin ?

M. Jacques. - Je n'ai pas pris part aux délibérations.

M. le président. - M. Jacques demande donc qu'il soit constaté qu'il n'a pris part ni à la délibération ni au vote d'hier.

M. Devaux. - Le vote ayant eu lieu par appel nominal, il est constaté que M. Jacques n'y a point pris part.

M. Lelièvre. - Le procès-verbal ne constate pas que M. Jacques n'a pas assisté à la délibération qui a précédé le vote. Sous ce rapport, la demande de M. Jacques peut avoir son utilité, et je pense qu'il y a lieu de l'accueillir.

M. Jacques. - Si j'avais cru pouvoir assister à la délibération, j'aurais retiré ma candidature avant de laisser procéder au vote.

M. le président. - Si personne ne s'y oppose, il sera inséré au procès-verbal que M. Jacques n'a pris part ni à la délibération ni au vote d'hier.

- Le procès-verbal, avec cette addition, est approuvé.

Pièces adressées à la chambre

M. Ansiau présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le sieur Eemans, ancien commis aux écritures à l'hôpital militaire de Bruxelles, réclame l'intervention de la chambre pour obtenir la révision de sa pension. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


M. de Royer, retenu par une indisposition, demande un congé.

- Accordé.


M. le président. - Nous avons reçu la lettre suivante :

« M. le président,

« En offrant à la chambre mes remerciements pour le témoignage bienveillant qu'elle a bien voulu me donner, en m'accordant 44 suffrages au scrutin destiné à nommer un membre de la cour des comptes, je la prie de considérer ma candidature comme non-avenue. La signification que quelques personnes y ont attachée ne me permet pas de la maintenir, quoique ma conscience me dise d'ailleurs qu'en la posant, je n'ai obéi qu'à des sentiments que la délicatesse et l'honneur m'autorisent à avouer hautement.

« Agréez, M. le président, l'hommage de mon profond respect.

« (Signé] F. Perlau. »

- Pris pour information.

Rapports sur des demandes en naturalisation

M. Dumon dépose plusieurs rapports sur des demandes en naturalisation ordinaire. Ces rapports seront imprimés et distribués.

Projet de loi rapportant l’article premier de la loi du 31 mars 1847 sur la monnaie d’or

Rapport de la commission

M. Cools dépose le rapport de la commission qui a été chargée d'examiner le projet de loi concernant les monnaies d'or.

M. le président. - Ce rapport sera imprimé et distribué. A quel jour veut-on en fixer la discussion ?

M. Cans. - Après le budget des travaux publics.

M. le président. - Après le budget des travaux publics vient le budget de la guerre ; veut-on mettre le projet de loi sur les monnaies d'or immédiatement après le budget de la guerre ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je crois qu'on devrait discuter le projet aussitôt que le rapport sera distribué.

M. Cools, rapporteur. - Je pense que le rapport pourra être distribué samedi soir ou dimanche matin.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Alors je propose de mettre la discussion à lundi.

- Cette proposition est adoptée.

Nomination du membre de la commission de surveillance des opérations de la caisse d’amortissement et de celle des dépôts et consignation

M. le président. - L'ordre du jour appelle, en premier lieu, la nomination d'un membre de la commission de surveillance des opérations de la caisse d'amortissement et de celle des dépôts et consignations.

Messieurs, à cette occasion, je crois devoir appeler votre attention sur l'article 2 de la loi du 15 novembre 1847 qui a institué l'administration de la caisse d'amortissement et de celle des dépôts et consignations. D'après cet article, une commission de cinq membres surveille les opérations des deux caisses ; cette commission est composée d'un sénateur, élu par le sénat ; d'un représentant, élu par la chambre, et de trois membres nommés par le Roi. La commission est renouvelée par séries de trois en trois ans.

Le mandat de trois ans de l'honorable M. Osy est expiré le 17 de ce mois ; et la question qui se présente est celle-ci : la commission est renouvelée par séries de trois en trois ans ; jusqu'à présent la chambre n'a aucune connaissance des séries qui auraient été établies pour la sortie. Quelle mesure prendra-t-on ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, je pensais qu'il avait été donné connaissance à la chambre de la cessation des fonctions de l'honorable M. Osy, en qualité de membre de la commission de la caisse d'amortissement, par application de l'article 2 de la loi qu'a cité M. le président ; j'apprends par les explications qui viennent d'être fournies, que cette information n'a pas été donnée ; on pourrait dès lors, si on le désirait, remettre l'opération à un autre jour, et alors la situation serait régularisée.

Il y a eu dans le sein de la commission un tirage au sort ; l'honorable M. Osy a été désigné comme membre sortant, mais l'honorable M. Osy n'était pas seulement membre sortant ; son mandat avait cessé par suite de la cessation de ses fonctions comme membre de la chambre ; les deux circonstances se rencontrant en même temps, l'opération qui est à l'ordre du jour a donc pour but de donner un mandat plein et entier à l'honorable M. Osy.

M. le président. - Cette observation pourrait soulever une autre question ; ne pourrait-on pas en conclure que tous les membres de la chambre, soumis à une réélection et qui faisaient partie de sections centrales ou de commissions, sortent de ces commissions ou de ces sections centrales, par suite du renouvellement de leur mandat ? Or, il y a des précédents de la chambre d'après lesquels ces membres, en pareil cas, ne cessent pas de faire partie des commissions ou des sections centrales.

MfFO. - Messieurs, c'est une question qu'il est inutile d'examiner, à cause de la manière dont les faits se présentent. Je ferai remarquer cependant qu'il est de principe que le retrait du mandat qui donnait naissance à un autre mandat fait cesser ce dernier.

C'est ainsi, par exemple, que lorsque les membres de la députation permanente sont soumis à réélection comme conseillers provinciaux, leur mandat, comme membre de la députation, cesse, et ils sont aussi soumis à réélection pour ces dernières fonctions.

Du reste, dans le cas actuel, la question n'a pas d'importance.

M. le président. - D'après les explications de M. le ministre des finances, on peut considérer comme ayant eu lieu le tirage au sort dont il est parlé à l'article2 de la loi et qui a désigné M. Osy comme membre sortant.

La chambre entend-elle dès lors procéder immédiatement à la nomination d'un membre de la commission de la caisse d'amortissement ? (Oui ! oui !)

- Il est procédé au scrutin. 73 membres y prennent part.

1 bulletin est annulé.

(page 336) M. Osy a obtenu 68 suffrages,

M. Loos, 2,

MM. Cools, Veydt, Bruneau, De Pouhon, 1.

M. Osy, ayant obtenu le plus de suffrages, est proclamé membre surveillant de la caisse d'amortissement et de celle des dépôts et consignations.

Projet de loi portant le budget du ministère des travaux publics de l’exercice 1851

Discussion générale

M. de Theux. - Messieurs, dans une des dernières séances, l'honorable M. Rolin a commis une erreur trop grave pour que je puisse la laisser passer sans rectification. Voici ce qu'il disait (je lis dans le Moniteur) :

« Si je ne me trompe, l’honorable comte de Theux a tenté de livrer l’exploitation du chemin de fer à l’industrie privée ; et aussitôt il s’est élevé dans les chambres un tollé général ; c’était à l’État, disait-on alors, qu'il fallait réserver cette exploitation, dont on se promettait des résultats splendides. Plus tard, on proposa la création d'un chemin de fer de Gand vers la frontière française. Nouvelle tentative, ou tout au moins nouvelle envie d'en mettre l'exploitation en concession, et nouveau tollé qui força le gouvernement d'y renoncer. »

Je dirai d'abord que jamais je n'ai proposé de concéder l'exploitation du chemin de fer séparément de la construction ; mais en admettant même que l'observation de M. Rolin porte sur la concession de la construction et de l'exploitation et des péages, encore est-il dans une erreur complète en ce qui concerne le tollé général qui aurait accueilli les projets que j'aurais présentés ou que j'aurais eu l'intention de présenter.

Un arrêté royal du 21 mars 1832, pris sur ma proposition, et de l'avis unanime du conseil des ministres, autorisait le minisire de l'intérieur à mettre en concession le chemin de fer d'Anvers à Liège, comme première section du chemin de fer d'Anvers au Rhin.

Cette concession devait se faire suivant le tracé et les plans proposés par les ingénieurs Simons et de Ridder.

L'idée de la concession ne souleva aucune opposition ni dans le pays, ni dans les chambres ; seulement lors de la discussion du budget de l'intérieur, on souleva cette question : si, depuis la Constitution belge, il entrait encore dans les pouvoirs du gouvernement de faire des concessions de péages. Elle était de nature à jeter du doute sur la validité de la concession et à l'influencer d'une manière désavantageuse.

Dans cette discussion du budget de l'intérieur pas un seul membre n'émit l'opinion que le chemin de fer devait être construit par le gouvernement. Il y a plus, l'honorable M. Rogier appuya le projet de concession.

Le gouvernement, pour mettre fin à ces doutes, prit l'initiative de présenter un projet de loi qui l'autorisait à faire des concessions de péages pour les chemins de fer, pour les canaux, pour les routes en général, et ce projet de loi fut adopté par la chambre des représentants à l'unanimité moins 7 voix, et au sénat à l'unanimité moins une voix. Mais, ni dans l'une ni dans l'autre chambre, il ne fut pas le moins du monde question d'exécuter le chemin de fer aux frais de l'Etat. En effet, il eût été dérisoire de demander, à cette époque, la construction du chemin de fer aux frais de l'Etat, qui n'avait ni fonds, ni crédit. Il y avait d'ailleurs un motif de mettre ce chemin de fer en concession, c'était de ne pas attendre les événements ultérieurs ; et il était extrêmement urgent de remplacer par une voie ferrée les eaux internationales de la Hollande.

C'était aussi un moyen politique d'intéresser à nos relations avec l'Allemagne les capitalistes anglais et allemands, qui se montraient disposés à prendre part à la construction du chemin de fer, de même que les capitalistes belges.

Ce projet ne put avoir de suite, quoique la loi eût autorisé pleinement le gouvernement à faire la concession, parée que, à la fin de juillet, les circonstances politiques étaient tellement changées par le refus de la Hollande de ratifier le traité du 1er novembre 1831 et par les ratifications avec réserves de l'Autriche, de la Prusse et de la Russie et par les armements réciproques, qu'il n'y eut plus moyen de songer à une concession.

Vous voyez donc que l'honorable M. Rolin était complètement dans l'erreur, lorsqu'il déclara que le projet de concession fut accueilli par un tollé général, et qu'on fut obligé de s'arrêter devant la réprobation générale. Il n'y a rien de semblable. Le Moniteur est là, qui contient les faits tels que je viens de les exposer.

L'honorable membre n'a pas été plus exact dans ce qu'il a dit du projet de concession à la Société Générale du chemin de fer de Gand à Lille. Remarquez que le gouvernement n'avait pas en vue la construction isolée par voie de concession, d'une petite partie d'un chemin de fer international ; mais la Société Générale avait demandé au gouvernement deux de ses meilleurs ingénieurs pour faire le tracé d'un chemin de fer sur Paris avec double embranchement, l'un à travers le Hainaut, l'autre à travers les Flandres. Ce projet était très grave : il avait une très grande portée pour le pays : portée politique et portée d'intérêt matériel, car si la Société Générale obtenait cette concession, il ne s'agissait de rien moins que de donner à l'industrie métallurgique un vaste débouché par la construction de ce chemin de fer, d'obtenir pour la Belgique une très grande influence en France.

Ce projet ne fut pas réalisé, mais non pas parce qu'il excita un tollé général.

Dans la chambre des représentants, l'honorable M. Legrelle présenta en 1845, dans la discussion sur le renouvellement de la loi des péages, un amendement qui tendait à interdire la concession de toute ligne internationale. La chambre repoussa cet amendement à la majorité de 7 voix. Mais le sénat accueillit la même proposition à la majorité de 7 voix. Il n'y eut pas de tollé général ; seulement il y eut divergence d'opinion entre les deux chambres ; dans l'une, au sénat, la question fut réservée jusqu'à une loi spéciale.

Voilà les faits tels qu'ils se sont passés.

Il n'est pas dans mon intention de discuter en ce moment la question des tarifs : je sais que les honorables membres qui ont pris part à la discussion spéciale sur les tarifs du chemin de fer ont l'intention de prendre de nouveau la parole dans cette discussion. Je préfère leur laisser l'avantage de développer encore leur opinion en continuant la discussion sur ce terrain.

Cependant, je tiens à déclarer que, dans mon opinion, le chemin de fer ouurrait être exploité d'une manière plus avantageuse, c'est-à-dire moins onéreuse pour le trésor public, tont en ne privant pas le commerce et les voyageurs des avantages que cette voie de communication leur procure.

M. Julliot. - Messieurs, le sénat est réuni et aura différents budgets à voter avant le 1er janvier.

Il me paraît donc convenable de saisir le plus tôt possible ce corps délibérant des affaires traitées par la chambre, afin qu'il conserve sa liberté d'action, qui lui serait ravie si les budgets ne lui arrivaient que le dernier jour.

J'imiterai donc l'exemple de plusieurs de mes collègues, qui remettent la discussion approfondie du budget des travaux publics à la présentation de celui de 1852.

Mais, messieurs, dès mon entrée dans cette chambre, je me suis déclaré en principe l'adversaire de l'exploitation du chemin de fer par l'Etat.

Aujourd'hui, je ne prends la parole que pour constater que je n'ai pas abandonné mes convictions des années précédentes.

Messieurs, je crois, en effet, pouvoir prédire que toutes les localités, dépourvues de chemin de fer, protesteront contre l'exploitation de ce service par l'Etat, tant qu'il devra puiser dans l'impôt pour parfaire l'intérêt des capitaux engagés.

On comprendra une chose fort simple, à savoir : que le chemin de fer produit des services très indirects, nuit même souvent à ceux qui en sont éloignés ; qu'au contraire il produit des services directs et des plus profitables aux localités qui en sont dotées, et que, ne pouvant donner un chemin de fer à tout le monde, le seul moyen d'être juste envers tous, c'est de faire pajer les services par ceux qui les reçoivent directement, et non pas en proportion égale par ceux que le monopole de l'Etat abaisse et ruine, comme par ceux qu'il élève et enrichit.

En un mot, si le gouvernement veut rester dans le principe où il est, et que, pour ma part, je crois faux, il devra exploiter le chemin de fer, sans exploiter en même temps la bourse des contribuables. Ou il doit se résoudre à renoncer à son principe et céder sa place à de plus habiles que lui.

Messieurs, cette année je ne suis plus seul à préconiser cette idée, j'ai obtenu du renfort. Lisez le discours si logique de l'honorable comte de Liedekerke, celui de l'honorable M. de La Coste, celui de l'honorable comte de Mérode, celui de l'honorable M. de Man ; je dirai même qu'il se fait un travail dans l'esprit d'un autre collègue, remarquable par son intelligence comme par ses anciens appétits monopoliseurs ; je crois m'apercevoir que le doute chez lui commence à naître, que ses croyances d'autrefois s'affaiblissent.

On a dit l'autre jour : « C'est une croisade. Vous faites de l'exploitation du chemin de fer par l'Etat, une machine de guerre. » Messieurs, cela ne me regarde pas, depuis mon entrée au parlement, chaque année, j'ai voté seul contre le budget des travaux publics, parce que le gouvernement se refusait à faire un appel à l'intérêt privé pour cette exploitation.

Je n'ai donc pas à m'attirer ce reproche, je dirai même que je ne crois pas au fondement de cette accusation. Non. Cette opposition naît parce que la lumière se fait. Oui, messieurs, les intéressés à l'exploitation par l'Etat eux-mêmes commencent à y voir clair, car, analysez le discours si pratique et si vrai de mon honorable ami, M. Vermeire, discours qui jusqu'à présent n'a été réfuté par personne. Eh bien, ce discours se résume dans une pensée profonde et prévoyante, mais qui n'est pas exprimée en toutes lettres ; je vais y suppléer.

L'honorable membre dit au gouvernement : « L'industrie est intéressée à ce que vous conserviez l'exploitation du chemin de fer ; mais hâtez-vous de faire en sorte que votre exploitation puisse se justifier, prenez des mesures pour que le chemin de fer se suffise à lui-même ou il s'échappera de vos mains.

« Je suis industriel, je préfère payer mes transports plus cher et vous conserver l'exploitation de ce service, que de le voir passer dans les mains des compagnies, ce qui deviendra inévitable, si vous continuez à vous montrer incapables de faire vivre le chemin de fer de ses propres ressources. »

(page 337) Il vous dit :

« Faites trêve à ce recours annuel à l'impôt ou à l'emprunt, et vous ferez disparaître un grief sérieux et intolérable pour ceux qui en sont les victimes. »

Je le reconnais, voilà le fond de ce discours Cet avertissement, de la part d'un industriel, est aussi honnête qu'il est habile, et si cela n'a pas été répété par d'autres industriels dans cette chambre, c'est probablement par les motifs que j'ai donnés en commençant.

Messieurs, l'économie industrielle et commerciale tout entière se résume en trois éléments. D'abord, l'approvisionnement, qui se décompose en matière première et en consommation du travailleur, préalable à tout travail ; puis vous avez le travail lui-même, et, en troisième lieu, vient l'échange. Ces trois éléments sont si intimement liés que, chaque fois que le gouvernement agit sur un d'eux, les deux autres en sont affectés.

Or, que dirait le gouvernement si on lui proposait la levée d'un impôt sur tous les points du pays pour subsidier la matière première ou le travail sur quelques points spéciaux du pays, et ce, d'une manière permanente, il répondrait : Vous me proposez une spoliation inique sur les uns au profit des autres, et je m'y refuse.

Eh bien, messieurs, ce que le gouvernement déclare inique, quant aux deux premiers éléments qui constituent l'état social, il le pratique depuis quinze ans sur le troisième élément, qui est l'échange.

Or, le rôle du gouvernement n'est pas d'être généreux envers quelques intérêts de prédilection ; mais sa tâche est de défendre, de sauvegarder tous les intérêts de la société, afin qu'ils ne se nuisent, qu'ils ne s'entre-détruisent les uns les autres ; et comment, dans la question qui nous occupe, remplit-il ce devoir ? Il fait les échanges par le chemin de fer à des prix qui n'atteignent pas la taxe des barrières qu'il demande à l'échange, qui se traîne péniblement sur nos grandes routes, échanges qui, en grande partie, n'arrivent pas jusqu'au chemin de fer. Se borne-t-il là ?

Mais non, il demande encore l'impôt à cet échange si pénible, afin de doter plus généreusement encore l'échange déjà favorisé par les lignes ferrées ; or je le répète, cet état de choses est intolérable, et si vous voulez continuer à exploiter à perte, vous n'avez qu'un moyen d'y donner une apparence d'équité, c'est de supprimer les droits de barrières sur vos routes.

Aujourd'hui vous prenez dans l'impôt pour venir en aide aux échanges qui se font par le railway ; eh bien, soit, mais alors puisez aussi dans l'impôt pour venir en aide aux échanges qui ne quittent pas nos grandes routes. Vous voyez que votre principe est faux.

Messieurs, nous savons que la société est impossible, sans recourir à la voie sociale pour distribuer de certains services tels que la justice, la police, la perception de l'impôt et la distribution des lettres que le plus petit comme le plus puissant reçoivent à leur domicile ; mais là doivent nécessairement s'arrêter les monopoles du gouvernement constitutionnel et libéral. Si vous dépassez ce point, vous entrez dans la voie socialiste, dont la pente est si glissante, qu'une fois que vous y êtes, vous devez avancer ou reculer, mais l'immobilité est impossible. C'est ainsi que par l'exploitation de votre chemin de fer, vous conservez un monopole nullement nécessaire au maintien de l'ordre social et dont les dépenses dépassent les recettes. Eh bien, tout homme n'ayant pas l'appréhension du danger trouvera fort rationnel que, pour compenser cette perte, vous preniez par contre des monopoles qui produiront plus qu'ils ne coûtent. Vous serez obligés de tourner vos regards vers le monopole des assurances et vers le monopole de la vente du tabac peut-être.

Et si la question sociale ne vous effraye pas, la question politique devrait vous émouvoir ; car, arrivé là, le cabinet sera forcé de s'associer un membre de la droite qui a fait des études spéciales sur cette branche de l'arbre socialiste, et alors adieu le cabinet homogène !

Oh ! je sais que l'honorable ministre des finances résistera de toute son énergie à ces fâcheuses conséquences, et je ne suis pas le dernier à rendre hommage à cette énergie qui défend avec succès les intérêts du trésor contre des cupidités de plus d'un genre, et je l'en remercie pour le pays.

Mais ce que je sais aussi, c'est que conservant le monopole qui donne du passif, et repoussant ceux qui donneraient de l'actif, notre ministère des finances arrivera dans une impasse, si déjà il n'en est pas plus près que je me l'imagine moi-même.

Messieurs, en énonçant l'idée que le gouvernement est inhabile à exploiter fructueusement le chemin de fer, je tiens à le démontrer par la simple considération qu'il ne connaît pas lui-même le coût de l'unité du trafic, chose la plus élémentaire dans toute industrie quelconque. En effet, on demande dans cette chambre, avec insistance, à connaître ce coût, et le gouvernement, avec une insistance non moins grande, y répond par une fin de non-recevoir, ou par le silence le plus absolu.

Eh ! messieurs, qu'a dit mon honorable ami dans son dernier discours ? Mais il a dit : « J'insisterai encore sur la nécessité de connaître le coût de l'unité du trafic... Aussi longtemps que nous ne connaissons pas positivemtent ce coût, nous ne pouvons prendre aucune décision en parfaite connaissance de cause, surtout pour le règlement des tarifs. » A cela pas un mot de réponse, ni de la part du gouvernement, ni de celle de l'honorable M. Rolin, qui a pris si habilement la défense de l'administration.

La section centrale demande également à connaître ce coût et dit que s'il est de 41 4/10 centimes pour les marchandises tel qu'il est renseigné page 19 et suivantes de l’appendice n°359 des documents, session 1848-1849, les marchandises transportées à 30 c. le sont à plus de 25 p. c. de perte. On ne nie pas le fait, seulement le gouvernement répond qu’en 1844, ce coût était de 22 centimes.

Je vous demande, messieurs, ce que l'exploitation de 1844 a de commun avec celle de 1848, si ce n'est pour démontrer qu'en 1848 on a exploité encore un peu plus mal qu'en 1844.

En 1849, même contradiction de la part du gouvernement, car, dans l'opuscule intitulé : « De l'influence des tarifs du chemin de fer sur les mouvements… », l'ingénieur Desart (p. 75), pour les voyageurs, l'évalue à 50 p. c. de moins que l'ingénieur Belpaire, auquel néanmoins M. Desart renvoie comme étant celui qui a le mieux traité cette question.

Ceci, messieurs, est trop fort pour que je ne m'y arrête pas un instant.

Comment ! dans l'administration du chemin de fer, deux ingénieurs, cherchent le prix de revient du même objet, ils diffèrent de 50 p.c. dans le résultat, et ils se complimentent respectivement sur la perfection de leur travail ; c'est trop fort, et j'ai à côté de moi le Moniteur qui le porte.

Je crois donc, avec l'honorable député de Termonde, qu'il est indispensable que nous connaissions le plus tôt possible ce coût, que, pour ma part, je n'accepterai qu'accompagné d'une démonstration rigoureuse, afin que le gouvernement évite à la chambre la position peu digne qu'elle aurait forcément dans la discussion des tarifs, en s'associant en aveugle à cette exploitation où le gouvernement lui-même ne voit pas clair jusqu'à présent. Pour ma part, je préfère en laisser la responsabilité à qui de droit.

Messieurs, un arrêté royal du mois de novembre statue quele chemin de fer de l'Etat transportera le charbon à Anvers pour l'exportation, à raison de 20 centimes par tonne-lieue ; les règles élémentaires du calcul me disent que l'Etat fait ces transports à perte, le gouvernement me dit que cela n'est pas, ce que nous ne discuterons pas pour le moment. Mais l'honorable baron Osy, député d'Anvers, en fait compliment au ministre, et le ministre ne sait s'il peut l'accepter, car il répond que cet arrêté n'a rien produit.

Eh bien, messieurs, ces deux honorables orateurs se trompent tous les deux à la fois. D'abord l'honorable député d'Anvers se trompe quand il complimente le gouvernement pour avoir, par son fait, procuré quelque avantage à un petit nombre de Belges, alors qu'en même temps il a renchéri la consommation de quelques centaines de mille consommateurs qui s'approvisionnent au bassin houiller de Liège.

Je trouve, moi, qu'il n'y a pas de quoi complimenter ; je dirai même que c'est une flatterie, car l'énoncé de cette hausse dans les prix n'est pas hasardé. L'apparition de cet arrêté a produit, dans quelques exploitations de Liège, une hausse instantanée de 20 p. c. J'en ai les quittances chez moi et je doute fort que les distillateurs, les brasseurs et autres consommateurs de ce combustible, dont les industries sont aussi respectables que celles des exploitants et des commissionnaires d'Anvers, tous ceux enfin qui, comme moi, payent la façon de cet arrêté soient disposés à se joindre à l'honorable baron Osy, pour complimenter le gouvernement, encore une fois la cause unique de ce déplacement de valeur.

Or, que ce soit l'effet matériel de cet arrêté ou que ce dernier n'ait servi que de prétexte, toujours est-il que la consommation locale a été frappée d'une surcharge de 20 p. c, provenant d'un acte du gouvernement, et que ces actes, je les trouve regrettables.

Un dernier mot, messieurs, pour soulever une autre question du budget des travaux publics, question que voici :

En 1835, le proluit des barrières et des passages d'eau montait à la somme de 2,286,000 fr.

Le coût d'entretien de ces routes et de constructions nouvelles s'élevait à 2,150,000 fr.

Et la dépense de surveillance au profit du corps des ponts et chaussées ne dépassait pas la somme modique de 304,880 fr.

En 1850, le produit de ces barrières et des passages d'eau a donné 1,800,000 fr.

La dépense en entretien et construction de routes a été arrêtée à 2,648,300 fr.

Et les frais de surveillance touchés par le corps des ponts et chaussées, en 1850, dépasse 800,000 fr.,

indépendamment de tout ce que coûte l'administration du chemin de fer ; d'où il conste qu'en 1835 le traitement du corps des ponts et chaussées ne s'élevait qu'à 14 p. c. environ de la somme dépensée en travaux nouveaux et d'entretien, et qu'en 1850 ce traitement dépasse 30 p. c des dépenses faites en entretien et constructions.

Cette énorme disproportion entre les chiffres des travaux et ceux de la surveillance est jugée du moment qu'elle est exposée. On me dira : Vous avez des canaux que vous n'aviez pas en 1835, et beaucoup plus de routes. Messieurs, je fais une concession pour les canaux, et je veux bien que le personnel soit un peu plus nombreux qu'il ne l'était en 1835 ; mais en ce qui concerne les routes, je dis : Vos frais de surveillance doivent être proportionnés à vos frais d'entretien, rien de plus. Et alors je trouve que 400,000 fr., au lieu de 800,000, serait encore un beau cihffre.

(page 338) En effet, messieurs, je connais une province qui renferme trois villes de même importance ; eh bien, dans une d'elles trônent trois ingénieurs, et je ne sais combien de conducteurs, c'est-à-dire un ingénieur en chef, un ingénieur et un sous-ingénieur ; les deux autres villes ont chacune un conducteur, quoique l'une d'elles soit le chef-lieu judiciaire de l'arrondissement, le plus important de la province. Eh bien, messieurs, cet arrondissement, qui compte encore, je pense, deux autres conducteurs de résidence aux environs de la Meuse, ne se plaint pas.

Et, comme je connais quelque peu les besoins de cette province, je crois être son organe, en disant qu'un sous-ingénieur et quatre conducteurs desserviraient parfaitement cette province, et que le surplus est dépensé mal à propos. Je suis en droit de croire qu'il en est de même partout ailleurs.

Messieurs, je n'accuse pas l'honorable minisire des travaux publics de cette situation fâcheuse, je n'en accuse pas même ses prédécesseurs. Le mal est plus ancien : c'est qu'alors qu'en 1830, sans expérience, nous avons inauguré l'ère de la liberté, nous avons conservé trop de traditions de l'empire, nous avons conservé des corporations dont le principe n'était pas écrit dans la Constitution, corporations créées par et pour le pouvoir absolu ; nous sommes entrés dans le régime de la liberté la plus large morale et matérielle, traînant à notre suite un bagage qui n'est pas de l'essence de nos institutions. Ces corporations n'avaient plus pour elles la raison d'être, quoiqu'elles aient survécu jusqu'à ce jour.

Ce sont principalement ces corporations qui pèsent sur notre état financier. Nous avons conservé les instruments alors que nous ne voulons pas la main ferme et absolue pour les modérer. Des corporations pareilles, messieurs, sont d'autant plus dangereuses que l'initiative parlementaire est plus puissante dans un pays constitutionnel, et l'élément parlementaire n'est pas le dernier à en faire un usage ruineux. En attendant une réforme utile, je soumettrai ces deux questions à l'étude du peuple qui paye, et j'attends avec confiance une solution de son bon sens comme de son intérêt.

Le peuple qui paye, messieurs, sait que ceux qui le gouvernent sont les hommes les plus probes et personnellement désintéressés. Et si à l'étranger on trouve parfois nos questions de partis quelque peu originales, on y sait très bien aussi que les questions de probité nationale comme de probité internationale, sont toujours sérieuses en Belgique. Mais ce que le peuple belge sait aussi, c'est que ces mains pures, qui se trouvent au haut de notre pyramide sociale, sont impuissantes pour prévenir ou empêcher les prodigalités dont différents exemples ne confirment que trop la règle.

Il doit comprendre que les ministres les plus capables ne peuvent surveiller ces administrations nombreuses aux portes desquelles tout le monde se presse pour entrer, comme les éclopés se pressent à la porte d'un hôpital.

En effet, messieurs, nous parlons de surveillance possible, mais qui de nous n'a pas passé sous le tunnel de Cumptich ? Qui de nous ne s'est pas dit : Si le chemin de fer s'était dirigé de Waremme à Visé avec embranchement sur Liège, au lieu d'aller serpenter dans la vallée de la Vesdre, il y aurait eu moins de danger pour le public et 15 à 20 millions d'économie avec le même résultat commercial ?

Ce que le peuple devrait savoir et ce que je dis à chaque occasion, c'est que, ce qui peut le favoriser le plus, c'est la décentralisation.

En présence des exemples que je viens de citer, je puis lui dire : La prodigalité est inhérente à toute grande entreprise dirigée par des mains qui sont financièrement désintéressées dans la question ; plus vous aurez d'administration, plus vous aurez d'abus ! Plus le gouvernement absorbera d'intérêts, plus vous serez rançonnés ! Voilà le langage que je ne cesse de leur tenir.

Messieurs, j'ai foi dans la popularité future de mes idées ; le mouvement qui se produit n'est pas fait pour me décourager. D'ailleurs l'honorable ministre des travaux publics qui a toutes mes sympathies, il ne peut l'ignorer, n'est pas venu aux affaires pour suivre l'ancienne ornière. Non, nous sommes en droit d'attendre beaucoup de lui ; son âge, son intelligence et son amour pour le bien public, me sont garants qu'il ne se laissera pas devancer par l'opinion publique, mais qu'au contraire, il la guidera pour qu'elle n'aille pas trop loin ; car, l'antipathie pour ce qui existe fait de grands pas, quoi qu'en ait dit lundi l'honorable ministre de l'intérieur.

L'honorable M. Van Hoorebeke a une belle et courageuse tâche à remplir et il n'y faillira pas. J'ai la presque assurance que l'honorable ministre, après avoir eu le temps d'examiner ces questions si vastes et si neuves pour lui, nous proposera des réformes sérieuses et profitables. Toujours notre concours lui sera acquis, car il doit s'apercevoir que les dispositions ne me font pas défaut.

En attendant, je me permettrai de soumettre quelques considérations qui me semblent utiles au cabinet.

D'abord il serait bon de relire souvent la Constitution, pour se pénétrer que son texte explicite et implicite veut la simplicité dans le jeu de nos institutions, la liberté pour tous et en tout, la liberlé tant qu'elle ne nuit pas à autrui ; mais qu'elle se trouve mal de ces corporations officielles, de tout ce tissu d'administrations qui augmentent journellement et nos besoins financiers et nos entraves.

En effet, messieurs, n'avons-nous pas torturé l'esprit de cette Constitution par ce pêle-mêle de lois, aussi nombreuses que contradictoires ? Et il faut bien le dire, la plupart de ces lois ont pour objet l'absorption des intérêts de la société.

Je cherche quels sont encore les intérêts libres qui ont échappé à cette main aveuglement paternelle de l'Etat, mais je ne les trouve plus. La société est mal assise, parce qu'elle se débat entre tous intérêts froissés par le fait de l'Etat, et intérêts privilégiés par le fait de l'Etat Que tous ces maladroits conservateurs de la société, si confiants dans l'intervention efficace de l'Etat, veuillent bien m'expliquer comment une société, dont la base ne sera plus que factice, où tout le monde se reposera sur l'Etat, où toute énergie individuelle deviendra dérision ou duperie, résistera à l'attaque de ceux qu'ils n'auront pas eu la puissance de satisfaire. Pour ma part, j'ignore leurs moyens de défense.

Nous nous proposons de lutter contre le ministère des finances sur les impôts nouveaux qu'il réclamera pour payer des dépenses dont nous avons décrété le principe ; eh bien, nous faisons fausse route, car nous devons payer ce que nous avons commandé.

Ce sont les principes de dépenses que nous devons combattre, c'est aux autres ministères que nous devons nous en prendre pour sortir de l'impasse.

Un honorable ministre nous a dit, il y a trois jours, je crois que c'est celui des finances, que le gouvernement est depuis quinze ans à la recherche d'une bonne position financière pour le chemin de fer, mais que Jérôme dit l'Etat ne l'avait pas encore trouvée. En présence d'un aveu pareil, ma confiance dans l'aptitude de l'Etat se trouve encore plus ébranlée ; car le directeur de l'établissement Van Gend nous prouve, à notre détriment, que l'intérêt privé n'est pas si lent à trouver une position tenable.

Je me demande donc s'il ne serait pas utile d'essayer de confier l'exploitation du tout ou d'une partie du chemin de fer à des mains financièrement intéressées à son succès.

Ne serait-il pas temps de transformer le corps des ponts et chaussées, qui d'impérial est devenu royal, en une modeste administration ?

Ne serait-il pas utile de vendre les canaux et routes qui donnent un bénéfice net, sous toutes les réserves et garanties que l'on croirait nécessaires ?

Y aurail-il de l'inconvénient à abandonner aux provinces les canaux et routes qui laissent un passif moyennant des subsides proportionnés sous forme d'abonnement, tout en sauvegardant les droits acquis des membres des ponls et chaussées ?

Cette mesure, indépendamment de son économie, conserverait en place beaucoup de fonctionnaires subalternes, en même temps qu'elle donnerait le repos à beaucoup de hauts fonctionnaires qui se sont immortalisés par leurs œuvres et qui, depuis de longues années, payent le tribut de leur talent à la patrie reconnaissante.

Je n'y verrais pas d'inconvénient. J'engage en tout cas l'honorable M. Van Hoorebeke à ne plus plus faire de nouvelles nominations dans son département ; il évitera d'autant plus d'embarras à l'avenir. Car il faut décentraliser ou se résoudre d'avance à augmenter prodigieusement l'impôt, et à qui êtes-vous obligés de le demander ? Cette question se présentera dans la session.

Messieurs, telles sont les questions que je soumets, non pas à ceux qui ont à se féliciter de cet état de choses, mais à ceux qui ont à s'en plaindre, et c'est la grande masse.

En attendant, je voterai toutes les réductions utiles qu'on me proposera dans le cours de la discussion de ce budget.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Messieurs, ma réponse aux observations que vient de présenter l'honorable préopinant, sera extrêmement courte, car je ne pense pas qu'il entre dans les intentions de la chambre de discuter la question de principe qu'a soulevée l'honorable membre.

Seulement je le prie de croire, et la réponse que j'ai faite à l'honorable comte de Licdekerke doit lui avoir démontré que nous sommes encore loin de nous entendre.

J'ai dit, en réponse à l'honorable comte de Liedekerke, qu'il me semblait impossible que dans une société démocratique comme la nôtre, que dans une société où la propriété est morcelée, où l'extrême division des fortunes exige impérieusement l'intervention de l'Etat en matière de travaux publics, il était impossible de proclamer le principe d'une décentralisation que vient de mettre en avant l'honorable M. Jul'iot.

Mais quand j'indiquais cette idée, j'étais loin de m'attendre à la trouver complètement partagée par un économiste célèbre dont l'autorité doit exercer une grande influence sur vos esprits.

Je lisais hier encore, dans l'ouvrage de Michel Chevalier, la démonstration de cette idée, que la solution de la question de savoir si le gouvernement doit intervenir en matière de travaux publics, dépend de l'état de la société et de la nature du gouvernement.

M. Michel Chevalier démontre que l'opinion de l'inaptitude du gouvernement tient à la constitution politique de l'Angleterre ; que l'objection tirée de la puissance de l'intérêt privé n'est pas fondée puisque les garanties que présente l'intérêt privé se retrouvent au même degré dans l'exécution des travaux publics par l'Etat, qu'on y rencontre, en outre, des garanties supplémentaires. Il démontre que cette intervention est commandée par l'étal actuel de la société.

« En Angleterre, dit Michel Chevalier, pays de grandes fortunes (ce sont les expressions dont je me suis servi moi-même), les compagnies ont à peu près suffi à ces travaux. Dans les Etats à esclaves de l'Union américaine, elles ont nominalement tout fait, mais les gouvernemenls les ont aidés puissamment. En France, il ne peut en être comme en (page 339) Angleterre, parce que les fortunes ont petites et que l'esprit d'association y est languissant, »

Dans les Etats de l'Union où règne la division des propriétés, dans l'Etat de New-York, par exemple, les grands travaux publics ont été exécutés par l'Etat lui-même.

Michel Chevalier traite le chemin de fer belge d'une manière un peu plus favorable que les honorables orateurs qui ont parlé dans cette discussion. Voici, messieurs, les termes dont il se sert en parlant du chemin de fer belge :

« Les chiffres montrent que le chemin de fer belge est une entreprise exploitée nationalement, une création utile à tous, dont toutes les classes de citoyens partagent les bienfaits.

« Le système pratiqué jusqu'à ce jour sur les grandes lignes anglaises a fait de celles-ci une création à l'avantage exclusif des classes riches et aisées. »

Michel Chevalier, toujours dans le même ouvrage, calcule les produits indirects du chemin de fer belge, et voici comment il les évalue :

« De là, pour le public tout entier, une économie considérable sur les frais de voyage, qui se joint à une grande économie de temps ; cherchons à évaluer approximativement, pour 1840, la somme que représente cette double épargne, en y comprenant l'économie correspondante au service des marchandises, qui alors était organisé à peine. Si l'on calcule, pour les voyageurs, une économie des deux tiers sur les frais de voyage, et des trois cinquièmes sur le temps, et que, pour l'évaluation du temps, on estime la journée moyenne de dix heures de travail à 2 fr. 25 c., si en outre on tient compte, pour les marchandises, d'une économie d'un tiers sur le prix du transport, l'économie de temps étant négligée en ce qui les concerne ; on trouve que les chemins de fer belges,, en 1840, ont épargné au public une somme de près de 11 millions, savoir :

« Economie d'argent sur les personnes, 8,093,900 francs,

« Economie de temps sur les personnes, 2,199,400 francs,

« Economie d'argent sur les marchandises, 641,000 fr.

« Total, 10,937,300 francs.

« Comparé au chiffre de la population des provinces traversées par les chemins exécutés alors, ce total répond à une moyenne de 3 fr. 64 c. par habitant. La quotité moyenne de l'impôt, en Belgique, étant de 23 fr. 50 c. par tête, l'économie produite par l'établissement des chemins de fer s'élevait donc, en 1840, au septième de l'impôt ; elle équivaut ainsi à un dégrèvement du septième opéré sur le budget ; sur notre budget de 1,300 à 1,400 millions, ce ne serait rien moins qu'une somme de 200 millions à retrancher. Et pourtant l'économie ainsi obtenue, qu'est-ce en comparaison de la valeur créée par le travail, à la faveur de ces communications multipliées, rapides et faciles ?

« Enfin, en Belgique, ceux qui se sont le plus servis des chemins de fer sont les travailleurs des champs et des manufactures ; c'est aux classes les moins aisées, par conséquent, que cet allégement de charges a profité. Ce sont elles qui ont profité de ce que l'Etat a exécuté lui-même les chemins de fer à son compte. Sous cette forme, l'intervention de l'Etat dans les travaux publics se présente comme une mesure populaire, et relève d'une politique qu'on ne saurait trop approuver.

« Ces résultats sont ceux de l'exercice 1840. Ceux des années suivantes ont été plus remarquables encore ; ils le deviennent de plus en plus. Ainsi, en 1842, l'économie produite au pays, en l'établissant sur les mêmes bases, s'élève à 12,685,900 fr. ; c'est près du quart de plus qu'en 1840. Demandons-le-nous maintenant, messieurs, est-il des réformes de budget plus fécondes que les travaux publics ainsi exécutés et administrés par les gouvernements ? Quelles créations seraient plus dignes d'exciter la sollicitude des véritables amis du peuple ? »

Voilà, messieurs, la citation que j'emprunte à l'ouvrage de Michel Chevalier.

La chambre aura consacré bientôt cinq séances, non pas à la discussion générale du budget des travaux publics, mais à l'examen de la seule question du chemin de fer. Des critiques nombreuses ont été produites, mais je puis dire à la chambre, avec une conviction entière, que pas un seul des grands faits que j'ai avancés n'a été détruit.

J'ai considéré le chemin de fer sous un triple point de vue : sous le point de vue de la situation financière, sous le point de vue des dépenses d'exploitation, sous le point de vue des revenus.

En ce qui concerne la situation financière, j'ai avancé que la moyenne était de 3/4 p. c. des capitaux utilisés ; qu'en Angleterre, la moyenne est de 3 p. c ; qu'elle est en Allemagne, 3 1/2 p. c, et qu'en France, sur 26 compagnies, 4 réalisent des bénéfices.

Pour les dépenses d'exploitation l'on avait fait des calculs absurdes en mettant les dépenses d'exploitation en rapport avec le produit brut ; je n'ai pas pu accepter cette manière d'opérer ; j'ai calculé d'après le trafic et ici encore j'ai démontré que la comparaison est toute à l'avantage du chemin de fer belge.

Quel est l'orateur qui ait cherché à démontrer que le produit moyen du chemin de fer belge est inférieur au produit moyen des chemins de fer exploités par les compagnies ? Aucun orateur n'a essayé de le faire, et la raison en est fort simple, c'est qu'il y a des chemins de fer très nombreux dont le produit moyen est inférieur à celui du chemin de fer belge.

Ainsi, messieurs, j'ai sous les yeux la liste des neuf chemins de fer les plus importants de l'Allemagne, partant presque tous de Berlin, ville extrêmement importante, et dirigés vers des centres très importants aussi ; ce sont les chemins de fer de Berlin à Magdebourg, de Berlin à Hambourg, de Berlin à Stettin.

Or, qu'ont-ils produit en 1847 du chef des voyageurs ? Leur développement était de 330 lieues. Le nombre des voyageurs s'élevait à 4,775,101. La recette, 12,288,412, soit 37,198 par lieue exploitée. La ligne la moins productive, celle de l'Ouest donnait, dans la même année, 43,449 fr. par lieue exploitée.

Je demande, messieurs, si en présence de ces chiffres on peut encore soutenir le raisonnement... (Interruption.) M. de Mérode m'interrompt.

Je dois ici exprimer le regret que l'on s'obstine, et M. de Mérode tout le premier, à attaquer sous ce rapport le tarif du 1er septembre. Ainsi, dans la dernière séance, l'honorable comte de Mérode, voulant démontrer l'énormité du tarif du 1er septembre, disait : « Puisque l'on traîne 100 kilog. de café d'Anvers à Cologne pour 94 centimes. » M. Dumorlier l'interrompit pour dire : « Non, c'est 83 centimes. » « Bon, reprit M. de Mérode, c'est 11 centimes de moins. » Eh bien, messieurs, les honorables membres se trompaient juste de 100 p. c.

M. Dumortier. - J'ai dit 100 livres.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Je vous renvoie au Moniteur. (Interruption.) M. de Mérode a dit 100 kilog.

Eh bien, messieurs, le prix de transport d'Anvers à Cologne est de 1 fr. 06 c. et non pas de 94 ou de 83 c.

Du reste, messieurs, le calcul des honorables membres fùt-il aussi exact qu'il l'est peu, il en résulterait qu'un tonneau de café rapporterait à l'administration du chemin de fer 8 fr. 30 c. pour le transport d'Anvers à Herbesthal et non à Cologne, comme l'ont encore énoncé erronément les honorables membres. Eh bien, messieurs, je demande s'il est possible d'élever le prix sans perdre toute la recette que nous faisons du chef du café transporté vers l'Allemagne. Il est évident que si l’on augmentait le prix on perdrait tout le transit vers l'Allemagne. Cela est de la dernière évidence. C'est, messieurs, cette pensée qui a préoccupé les auteurs des tarifs antérieurs à 1847. MM. Dumortier et de Mérode semblent vouloir rendre le tarif du 1er septembre responsable de la diminution des recettes, qui n'existe que dans l'imagination des honorables membres. Eh bien, avant 1847 le produit moyen du tonneau transitant vers l'Allemagne n'était pas plus élevé qu'aujourd'hui.

M. de Mérode. - Je n'approuvais pas les tarifs anciens.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Avant l'introduction du tarif qu'on attaque, la Belgique exportait vers l'Allemagne 183,420 tonneaux, qui ont produit 1,295,100 francs, soit en moyenne fr. 7 05 par tonneau ou 70 cent, par 100 kil., ce qui est encore inférieur au prix perçu aujourd'hui, puisque, d'après l'honorable M. Dumorlier lui-même, on perçoit 83 centimes par cent livres, ce qui ferait toujours 8 fr. 30 par tonneau jusqu'à Herbesthal et non jusqu'à Cologne.

Quant aux dépenses d'exploitation, messieurs, en 1849 le chemin de fer du Nord avait un développement de 531 kilomètres, les dépenses d'exploitalion se montaient à 6,997,457, soit 13,177 francs par kilomètre ; dans la même année le chemin de fer belge avait un développement de 621 kilomètres, la dépense d'exploitation a été de 8,277,324, soit 13,313 francs par kilomètre, et cependant, messieurs, il y a, entre le chemin de fer du Nord et le chemin de fer belge, des différences considérables, qui exigent certainement une dépense plus forte que sur le chemin de fer du Nord.

Ainsi, messieurs, le chemin de fer belge a aujourd'hui 107 stations, le chemin de fer du Nord en a 52. Le chemin de fer belge a 10 lignes, nécessitant un personnel et un matériel spécial, le chemin de fer du Nord a 5 lignes.

Le chemin de fer belge a 11 stations extrêmes, le chemin de fer du Nord n'en a que 6. Le premier compte 18 stations à locomotion, le second en a 8. Le premier a 12 stations en rapport avec 3 lignes au moins, le second n'en a que 5.

Messieurs, il y a un fait assez remarquable, c'est que, avec nos bas tarifs la station de Bruxelles, comme point de départ autant que comme point d'arrivée, a fourni en 1847, à 7 p. c. près, autant de voyageurs que la station de Paris ; la même station de Bruxelles en 1847 fournissait la moitié de la recette.

Eh bien, messieurs, je le demande aux honorables membres : les dépenses d'exploitation ne dcvraient-elles pas avoir été nécessairement moindres à certains égards sur le chemin de fer du Nord que sur le chemin de fer belge ; puisque, les frais généraux, ceux d'entretien de la route et d'embarquement des voyageurs, restant les mêmes, il n'y a réellement que les frais de charriage proprement dits qui augmentent ?

Quant à la question des tarifs, elle est entièrement réservée. La chambre a mis à l'ordre du jour le rapport de la section centrale sur le projet de loi qui a été présenté à cet égard ; quand ce projet sera discuté, nous aurons alors l'occasion de traiter d'une manière approfondie la question du tarif des voyageurs. L'histoire des tarifs de la Belgique n'est pas extrêmement longue ; il y a quatre tarifs différents pour les voyageurs ; lorsque le débat s'ouvrira, nous pourrons examiner la question de savoir quelle a été l'influence de ces diverses tarifications sur le mouvement et la recette ; jusque-là il faut ajourner la discussion.

Quant aux marchandises, on a prétendu que sur l'exercice 1850, par rapport à l'exercice 1847, il y avait un déficit d'un million ; on a prétendu aussi que sur l'exercice 1849, par rapport à l'exercice 1847, il y avait également un déficit d'un million.

Nous avons réfuté l'une et l'autre de ces allégations. Nous avons dit (page 340) qu'en ce qui concerne l'exercice 1849, par rapport à l'exercice 1847, il fallait tenir compte d'abord de la décroissance du mouvement international. Si l'on veut apprécier d'une manière saine, intelligente et non contestable, l'influence du tarif du 1er septembre, il faut l'examiner au point de vue des relations intérieures, il faut voir si l'influence du tarif du 1er septembre n'a pas été préjudiciable à ce mouvement à l'intérieur. Or, ces calculs, on ne les a pas faits, et je vais les faire.

En 1847, les relations à l'intérieur étaient de 628,419 tonnes ; la recette totale était de 3,777 199 fr. ; en 1849, les relations à l'intérieur étaient de 761,000 tonnes, et la recelte de 3,947,036 fr. ; de manière qu'il y avait, en faveur de l'exercice 1849, une somme de 169,837 fr.

Je dois être juste et reconnaître que, par suite des défectuosités du tarif à grande vitesse, un nombre assez considérable de colis sont allés au tarif n°2, et qu'on peut évaluer à 20,000 tonneaux le chiffre de ce declassement.

Pour être rigoureux, il faut déduire de cet excédant de 169,837 francs une somme d'environ 150,000 francs ; mais il est évident que, déduction faite de ces 150,000 francs, il restera toujours une somme de 20,000 fr. en faveur du tarif du 1er septembre.

Quant aux relations internationales, le calcul est excessivement simple. Le nombre des tonnes transportées, en 1847, était de 333,159, et en 1848, de 249,741 ; la recette était, en 1847, de 1,976,184 francs, et en 1849, de 1,347,7353 francs ; différence en moins 628,449 francs.

Je suis allé plus loin, j'ai fait la décomposition de ces chiffres.

Ainsi en 1847, de la Belgique vers l'Allemagne, le mouvement était de 183,420 tonneaux, et de la Belgique vers la France, de 107,014 tonneaux. En 1849, le mouvement de la Belgique vers l'Allemagne n'est plus que de 74,057 tonneaux ; de la Belgique vers la France, le mouvement était de 102,931 tonneaux. Ici la différence est moins considérable. C'est parce qu'en 1849 on doit avoir transporté vers la France beaucoup plus de houille qu'on n'en avait transporté en 1847 ; dès lors on comprend que le décroissement du mouvement international n'a pas été aussi grand de la Belgique vers la France que de la Belgique vers l'Allemagne.

On a fait encore une critique : on a prétendu que le tarif du 1er septembre ne favorisait pas assez le mouvement international et les expéditions à long parcours.

Eh bien, la réponse à cette objection est dans la taxe moyenne perçue par tonne-lieue ; en 1847, avant le tarif du 1er septembre, cette taxe était de 45 centimes 86 centièmes, et en 1849 elle n'est plus que de 38 centimes 52 centièmes ; on ne niera pas que cet abaissement dans la taxe n'ait augmenté le mouvement.

L'honorable M. Julliot a fait des critiques d'un autre genre. L'honorable membre s'est étonné que le gouvernement fût dans l'impossibilité d'évaluer le coût de l'unité de trafic. Cette question a été dite au gouvernement par la section centrale, et le gouvernement y a répondu dans les termes que je vais rapporter ; je doute fort qu'une compagnie, quelque habile qu'elle puisse être, eût pu faire une autre réponse. Voici ce que le gouvernement a répondu :

« Quant au coût de l'unité de trafic, j'ai l'honneur de faire remarquer à la deuxième section qu'il n'est pas possible de répondre à priori à cette question. En effet, tous les éléments de dépenses, qui constituent le coût de l'unité de trafic, sont essentiellement variables selon les circonstances dans lesquelles s'effectuent les transports. Ainsi les frais généraux d'administration, d'entretien, de surveillance et de police de la voie, les frais de traction, de charriage, etc., subissent l'influence de la circulation plus ou moins grande des locomotives et des voitures, de la composition des convois, de la charge des waggons, etc. »

Il y a donc là une série d'éléments essentiellement variables, qui ne mettent pas plus une compagnie que le gouvernement à même de dire d'une manière authentique ce que coûte le transport d'une tonne de marchandises.

« On comprend après cela que le coût de l'unité de trafic doive varier, non seulement d'une ligne à l'autre, mais même d'une section à l'autre.

« D'après des calculs qui reposent, sur le trafic et sur les dépenses de 1844, calculs qui ont exigé un travail immense, le coût du tonneau de marchandises peut varier fr. 0-22 et fr. 1-31 par lieue, selon les conditions du transport.

« Toutefois, par suite du développement qu'ont pris les transports depuis cette époque, et par suite de l'utilisation plus complète des moyens de traction et de transport ainsi que des frais généraux, on peut affirmer que le minimum de la dépense par tonneau-lieue est aujourd'hui inférieure à fr. 0-22. »

Et ici je réponds à la critique qu'on a faite de la mesure qui est prise relativement aux transports des houilles destinées à l'exportation.

« Il n'est pas inutile de faire remarquer que les chiffres ci-dessus comprennent les frais généraux et que lorsqu'il s'agit de transports extraordinaires effectués en dehors du trafic ordinaire, transports qui n'ont pas pour conséquence d'influer sur les frais fixes, les dépenses tombent beaucoup en dessous des chiffres indiqués plus haut, parce que, dans ce cas, l'administration considère les frais fixes ou généraux comme couverts par les transports ordinaires et ne tient plus compte que des dépenses spéciales, résultant directement des transports extraordinaires. »

C'est à la suite de ces considérations que j'ai pris les mesures concernant le transport des houilles destinées à l'exportation. Cette mesure ne porte préjudice à personne, ni aux canaux ni à l'Etat, et en définitive elle est de nature à profiler au commerce et à l'industrie,

L'honorable M. Julliot a terminé son discours par des critiques à l'adresse du corps des ingénieurs.

Je pense qu il est parfaitement inutile que je fasse ressortir ici devant la chambre la nécessité d'une semblable institution. Ici et dans les pays où il existe de grands travaux publics exécutés par l'Etat, où il existe des voies navigables qui exigent un entretien et des soins pour ainsi dire journaliers, dans les pays où les travaux publics ont reçu un développement considérable, le corps des ingénieurs comme corps, devient une nécessité, et je ne crois pas que cet esprit de corps ait soulevé jusqu'à présent les dangers que lui a supposés l'honorable M. Julliot ; je crois, au contraire, que cet esprit de corps n'est pas encore assez développé dans l'administration des ponts et chaussées. Cela provient peut-être de ce que l'institution, telle qu'elle existe chez nous, procède d'origines diverses.

Il en est, parmi ces membres, qui ont l'honneur d'avoir passé par l'école polytechnique ; d'autres sont sortis des écoles de Bréda et de Delft ; d'autres encore sont le patrimoine de l'école du génie civil de l'Etat ; d'autres enfin ont été élevés par la pratique.

Cet esprit de corps, s'il a quelques inconvénients, a aussi d'incontestables avantages.

Il me semble qu'on a méconnu ces avantages qui consistent dans la solidarité qui unit entre eux les membres d'une administration, qui fait que la faute de l'un rejaillit sur tous les autres, tout comme la gloire et l'honneur de l'un rehausse l'honneur de l'institution tout entière.

Ainsi le Portugal, l'Espagne, la Sardaigne, la Russie, la France elle-même, ont emprunté au corps des ingénieurs belges bon nombre de ses membres, ce qui répond suffisamment aux reproches qu'on voudrait adresser à l'institution elle-même.

Je crois pouvoir borner là mes observations.

M. de Brouckere. - Messieurs, je ne vous fatiguerai pas par des répétitions ; je n'ai que quelques mots à dire ; mais ces mots ne peuvent trouver place que dans la discussion générale ; je veux vous entretenir de la voirie urbaine.

Toutefois, puisque l'occasion se présente de manifester mon opinion, je dirai que je suis partisan de l'exploitation des chemins de fer par les compagnies. Cette opinion ne date pas d'aujourd'hui ; j'ai pu la manifester quand je faisais partie du ministère en 1832.

Je reconnais que l'exploitation des chemins de fer par l'Etat présente certains avantages. Sous le rapport matériel, le gouvernement peut considérer les produits indirects, ce que ne peut pas faire une compagnie. Il y a de plus dans l'exploitation des chemins de fer des considérations morales dont une compagnie ne tient jamais compte, et dont le gouvernement devrait tenir grand compte ; mais j'ai le regret de dire qu'il n'en est pas ainsi. Je sais que l'honorable collègue qui siégea ma droite a provoqué vos rires en parlant de l'immoralité des trains de plaisir, mais je déclare que, pour mon compte, je partage son opinion.

Permettez-moi de vous dire que, quand il en a été question, je me suis adressé à des employés supérieurs du chemin de fer pour leur communiquer à cet égard mes observations, il m'a été répondu qu'un grand pouvoir qui a nom la Presse harcelait le gouvernement, le gourmandait et qu'il fallait bien donner à la presse satisfaction ; que cependant on ne ferait des convois de plaisir que dans une mesure très modérée.

Par conséquent, le gouvernement avait le sentiment qu'il y avait quelque chose qui n'était pas bien dans les trains de plaisir.

Les honorables membres n'auraient pas ri s'ils avaient vu ce qui se passe aux caisses d'épargne et aux monts-de-piéle à l'occasion de ces trains de plaisir, si leur position les mettait en contact avec la population qu'onl attirée ces trains.

Il est tels domestiques qui, après avoir économisé sou par sou sur leurs gages, pendant cinq ans, ont quitté leur service et mangé leurs économies pour aller voir Paris en train de plaisir, et le lendemain se sont trouvés sans le sou et sans service. Je pourrais en citer plusieurs qui se sont trouvés dans ce cas.

Certes, il ne faut pas refuser aux pauvres, aux ouvriers les moyens de prendre quelque plaisir plus qu'aux riches ; il est bon qu'ils puissent avoir quelques distractions ; mais il ne faut pas provoquer, outre mesure, à la consommation improductive.

Je rentre dans mon sujet. Je vais dire quelques mots de la voirie urbaine. Nous avons des voiries de toutes les sortes, de toutes les couleurs ; nous avons la grande et la petite voirie, la voirie vicinale et la voirie urbaine ; il y a là un pêle-mêle dont il est très difficile de saisir la portée.

La voirie qu'on appelle urbaine est régie par la loi du 1er février 1844. Si l'on s'en tenait au texte de la loi, la voirie urbaine devrait se composer de toutes les rues d'une ville, cela ne laisse pas le moindre doute. Voici comment est conçu l'article premier de la loi :

« Les rues, ruelles, passages et impasses établis à travers les propriétés particulières aboutissant à la voie publique dans les villes et dans les portions agglomérées de communes rurales de deux mille habitants et au-dessus sont considérés comme appartenant à la voirie urbaine. »

Par conséquent toutes les rues d'une ville devraient faire partie de la voirie urbaine. Malheureusement on a mis un titre avant l'article ; on a dit : « de la voirie urbaine ou petite voirie ».

Comme d'après un vieux décret la grande voirie se compose non seulement des grandes routes, mais encore des traverses de routes à travers les villes, on vient prétendre que la loi de 1844 ne peut être appliquée qu'aux rues de l'ancienne petite voirie ; c'est-à-dire que l'on a exclu de la loi les rues principales de toutes les villes, de toutes les communes agglomérées.

(page 341) Or, en vertu de cette loi de 1844, nul ne peut faire aux constructions, aux bâtiments qui se trouvent sur la voie publique et qui sont compris dans un alignement, aucune réparation, aucune construction, si ce n'est de simple entretien, sans l'autorisation de l'autorité communale.

Si une maison est destinée à faire partie de la voie publique, on ne peut pas travailler, non seulement à la façade, mais même à toute partie intérieure destinée à devenir voie publique. Ce qu'on accorde là aux communes pour les ruelles et les impasses de la petite voirie, on le leur refuse pour les rues comprises dans la grande voirie.

Vous croyez peut-être, que c'est parce que pour la grande voirie il faut aller plus vite, il faut dégager avec plus de hâte les rues qui sont les plus parcourues ?

Nullement. On se reporte à l'arrêté du 29 février 1836 pour soutenir, pour prétendre que sur la grande voirie, on peut tout faire, à une seule condition, celle de ne pas faire des travaux confortatifs ; et comme le corps des ponts et chaussées ne considère pas comme travaux confortatifs la reconstruction du rez-de-chaussée d'une maison quand les étages supérieurs restent debout ; parce qu'en faisant un magasin, on ouvre des fenêtres plus grandes, on augmente le vide, il en résulte qu'on permet de moderniser toutes les vieilles bicoques.

Ainsi dans un siècle la grande voirie sera ce qu'elle est aujourd'hui, et la petite voirie aura un tout autre aspect. Il n'y aura pas d'étranglement ni de danger d'encombrement dans les seules rues où il n'y a jamais de foule.

Je dis qu'on s'en réfère pour la grande voirie à un arrêté de 1836. Chose très singulière d'abord, que la petite voirie soit régie par une loi et la grande voirie par un arrêté royal ; mais ce qu'il y a de particulier c'est que cet arrêté a été pris le 29 février 1836, tandis que le 30 mars de la même année vous votiez la loi communale ou plutôt cette loi avait reçu la sanction des trois branches du pouvoir législatif. Or, cette loi dit, article 76, relativement à la grande voirie :

« Néanmoins sont soumis à l'avis de la dépulation permanente du conseil provincial et à l'approbation du Roi les délibérations du conseil sur les objets suivants (…) :

« 7° La fixation de la grande voirie et les plans généraux d'alignement des villes et des parties agglomérées des communes rurales, l'ouverture des rues nouvelles et l'élargissement des anciennes, ainsi que leur suppression. »

Donc, sauf pour ce qui regarde l'alignement et le percement des rues, ni le pouvoir royal, ni le pouvoir provincial n'ont le droit d'intervenir.

Pour tout le reste, c'est la commune seule qui décide. Il faut l'autorisation royale pour la grande voirie pour les plans généraux d'alignement. Pour le reste, il n'est pas besoin d'autorisation royale.

Voilà une première anomalie que je voulais signaler relativement à cette division en voirie urbaine et en grande voirie. Il y a lieu, je pense, à réviser les règlements de la grande voirie et à les mettre tout au moins en concordance avec la loi. Je recommande cela à la sollicitude de M. le ministre des travaux publics.

Mais ce n'est pas tout : la grande voirie est entretenue et réparée par le gouvernement ; la petite voirie est entretenue et réparée par les communes.

Qu'est-ce que la grande voirie dans une grande ville ? Je voudrais bien que quelqu'un put me dire en fait (je ne dis pas sur le papier ; par un arrêté royal, on peut décider que telle rue est de la grande voirie, telle autre de la petite voirie) : Telles rues composent la petite voirie ; telles rues composent la grande voirie.

Les rues de la grande voirie sont probablement les plus passagères, celles où doit passer le roulage des grandes routes, puisqu'elles sont la continuation des grandes routes. Eh bien, prenons l’exemple d'une grande ville (je prends Bruxelles, où vous séjournez tous et que vous connaissez par conséquent tous), les rues les plus passagères appartiennent à la petite voirie : ainsi la rue de Laeken est de la petite voirie, et cependant une fois que la seule maison qui avance sur l'alignement rue de Laeken sera abattue, y aura-t-il un chariot en destination de Malines ou d'Anvers qui passera par la rue Neuve, qui fait partie de la grande voirie. ?

Depuis que la rue Neuve a été déclarée grande voirie, on a fait hors la porte de Schaerbéek une route qui n'est pas grande voirie et qui se dirige sur le pont de Laeken. La rue Royale, la plus belle rue de Bruxelles, appartient à la petite voirie ; et cependant si du haut de la ville vous deviez aller à Malines, certes vous ne prendriez pas la montagne de la Cour, la rue de la Madeleine et ainsi de suite, alors que vous avez la rue Royale et la rue des Palais.

Avant 1830, le système était beaucoup plus simple : les villes étaient chargées de la construction, de l'entretien et de la réparation de toutes les rues sans exception. Seulement, il y avait quelque chose de mauvais à ce système, parce qu'on ne savait jamais faire les choses entières : c'est que le gouvernement percevait les droits de barrière, ne rendait rien aux villes, gardait tout pour lui.

Il faisait de même pour les rivières ; il les avait abandonnées aux provinces, qui devaient les entretenir et affermait la pêche, à son profit. Il fallait conserver de ce système ce qu'il y avait de bon, en élaguer ce qu'il y avait de mauvais ; donner aux villes une partie du produit des barrières, proportionnée à l'étendue des rues de grande communication pour pourvoir à l'entretien de ces rues. Alors, vous auriez un système équitable, et une exécution homogène de construction et d'entretien dans chaque ville.

Voyez les bigarrures qui se présentent. A la place de la Monaie (vous avez tous dans vos villes des places publiques. Il en est de même pour ces places publiques), 10 mètres seront de la grande voirie ; le reste appartient à la petite voirie.

C'est-à-dire que les ouvriers de la ville viennent paver les cinq sixièmes de la place, et les ouvriers de l'Etat un sixième.

Sur la grande place, un huitième est de la grande voirie, les sept huitièmes sont de la petite voirie.

Nous pavons avec un échantillon, l'Etat pave avec un autre. Nous pavons dans une saison ; l'Etat pave dans une autre.

Autre inconvénient de ce système. Dans les villes qu'on éclaire par le gaz, il faut à tout moment lever une partie du pavé.

Les emplovés de la ville sont instruits de tout ce qui se passe ; ils sont là pour donner les ordres nécessaires afin qu'il y ait de l'ensemble dans les travaux. Il ne peut en être de même quand l'intervention de l'Etat est nécessaire.

Ce n'est pas tout. Dans les temps de dégel, on ne peut circuler dans les rues de la grande voirie qu'avec un poids insignifiant. Dans les rues de la petite voirie, vous pouvez circuler avec le poids que vous voulez. Il y a quelques villes qui, pour épargner le pavé des rues de la petite voirie (que prenait le roulage, parce que les rues de la grande voirie lui étaient défendues), ont interdit au roulage la circulation dans les rues de la petite voirie.

Je viens de vous le dire, il y a un remède à ce mal que doivent sentir tous les habitants des villes et des grandes communes : le gouvernement paje aujourd'hui pour l'entretien du pavage, dans les communes agglomérées, une somme dont il peut évaluer la moyenne. Qu'il donne annuellement à ces villes un subside équivalent, à la condition qu'elles dépenseront non seulement le subside, mais plus que le subside.

Je m'explique : l'entretien de la grande voirie à Bruxelles coûte annuellement à l'Etat 6,000 fr., tandis que la ville de Bruxelles dépense annuellement environ 40,000 fr. pour l'entretien de la petite voirie. Aussi, que disent les ingénieurs ? Qu'il faudra une longue série d'années pour que, avec ce subside restreint, la grande voirie soit en bon état. Si nous avions l'entretien de la grande voirie, nous qui sacrifions chaque année 40,000 fr. pour l'entretien de la petite voirie, nous en consacrerions une partie à l'amélioration de la grande voirie ou de ses parties les plus importantes, telles que les rues de Flandre et de la Madeleine ; sauf plus tard, quand la grande voirie serait en bon état, à appliquer le tout à la petite voirie.

Qu'est-ce qu'il arrive aujourd'hui ? C'est que la grande voirie est fort mal pavée, que tous les aboutissants de la petite voirie qui viennent sur la grande voirie sont fort bien pavés.

Le pavage, messieurs, est depuis 25 ans l'objet des expériences les plus sérieuses des ingénieurs de tous les pays. En Angleterre, en France on a fait essai sur essai. On est aujourd'hui parvenu à force d'expériences, à un nouveau système de pavement qui pour la grande voirie, c'est-à-dire pour les rues où passent beaucoup de chevaux et de voitures, est infiniment supérieur au pavement actuel.

Ce sont des pavés qui ont la forme d'une brique que l'on pose sur le champ ; les pavés sont très étroits, mais ils sont longs. On comprend que sur un pavé très étroit, les chevaux ont partout pied, que jamais un cheval ne peut glisser. Eh bien ! ce système va être importé en Belgique, et où sera-t-il nécessairement importé avec le système que nous avons ? Sur la petite voirie et le gouvernement mettra un demi-siècle à refaire la voirie d'une grande ville.

Si le gouvernement accordait un subside aux villes, que feraient-elles ? Elles dépaveraient la grande voirie, parce que les pavés de la grande voirie sont parfaitement bons pour être placés dans les rues où circulent moins de chevaux et de voitures ; et elles mettraient immédiatement tout ce qu'elles ont de fonds, à faire de la grande voirie quelque chose qui soit digne de notre époque, qui soit à la hauteur des expériences les plus récentes et les plus concluantes qui ont été faites en France et Angleterre.

Messieurs, vous voyez qu'en remettant l'entretien des traverses des villes aux autorités communales, on ne blesse en aucune manière les susceptibilités du corps des ponts et chaussées ; car je sais que c'est là un des plus grands griefs. Mais permettez-moi de le dire, les communes sont beaucoup plus aptes que messieurs des ponts et chaussées à faire de bons pavés ; et vous allez le comprendre bien facilement.

Un ingénieur en chef à la direction d'une province tout entière. Il a cent lieues de pavé à surveiller et beaucoup d'autres travaux encore.

Qu'est-ce pour lui qu'une lieue ou deux de pavé qui se trouve dans une ville ? Mais c'est la centième partie de sa besogne. A qui confie-t-il cela ? A un conducteur des ponts et chaussées.

Dans une commune au contraire, dans une ville, l'autorité tout entière n'a qu'à penser à la ville. Son ambition est là, son devoir est là. Le pavement est vu par les échevins, souvent par des conseillers communaux qui viennent contrôler, et par le bourgmestre indépendamment des architectes. Notre tout est là, tandis que pour les autres c'est une fraction très minime qu'ils considèrent comme un accessoire.

On pourrait me faire encore une autre objection, en la tirant du budget lui-même. C'est que l’article 51 de la loi de la comptabilité générale dit que tous les travaux seront mis en adjudication publique lorsque la dépense annuelle dépassera 10,000 fr.

(page 342) Eh bien, il n'y a ici aucune objection à tirer de la loi sur la comptabilité, parce qu'il n'y a aucune ville à laquelle on accorde aujourd'hui 10,000 fr.

La plus grande de toutes, c'est Bruxelles ; au moins, si ce n'est pas la plus grande, c'est la plus populeuse, et l'on n'y dépense pour la grande voirie que 6,000 francs.

Dans toutes les villes, le chiffre est au-dessous de 10,000 francs. Par conséquent, la loi de comptabilité ne peut faire obstacle à ce que je demande, et à ce qu'on distraie pour subsides aux villes une partie de l'article 5 du budget :« Entretien ordinaire et amélioration des routes, construction de routes nouvelles, étude de projets, etc., 2,618,600 fr. » Que si la loi de comptabilité gênait le moins du monde, je demanderais à M. le ministre des travaux publics, qui doit vouloir, non pas seulement la gloire du corps des ponts et chaussées qu’il vient de défendre, et il était bien dans son droit, mais qui doit vouloir aussi que partout les routes soient dans le meilleur état possible, je lui demanderai s’il a un scrupule quelconque, s’il verrait des inconvénients à modifier l’article 5 du budget.

Je livre ces considérations à son attention et a son dévouement pour les intérêts publics.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Messieurs, l'honorable préopinanl a présenté des observations d'un ordre différent. Il s'est occupé tout d'abord des convois connus sous le nom de trains de plaisir.

Je prie l'honorable membre d'être bien convaincu que le gouvernement, en cette circonstance, n'a subi la pression de personne. La presse était bien certainement dans son droit de considérer ces trains de plaisir à un point de vue extrêmement favorable ; mais le gouvernement, lui aussi, de son côté, était pleinement dans son droit en accordant quelques-uns de ces trains sur le nombre considérable qui était demandé, et en les soumettant en même temps à des conditions que je vais avoir l'honneur de rappeler à la chambre.

Lorsqu'on a demandé au département des travaux publics l'autorisation de créer des trains de plaisir, j'ai pensé, messieurs, qu'il fallait tout d'abord n'en établir qu'entre des localités éloignées.

C'était donc là une première restriction apportée au principe, attendu que pour les petits trajets le prix n'était pas un obstacle, et que ces trains ne pouvaient présenter quelque avantage qu'en les organisant entre ces grandes localités.

J'ai pensé, en second lieu, qu'il fallait exiger un minimum de voyageurs, c'est-à-dire qu'il s'est présenté plusieurs cas dans lesquels le nombre des voyageurs n'étant pas assez considérable, les trains de plaisir n'ont pas eu lieu.

J'ai voulu aller plus loin. J'ai voulu chercher quelle avait été l'influence de ces trains de plaisir sur la moralité des classes ouvrières, et j'ai pu constater qu’elles avaient été, pendant l'époque où ces trains ont été organisés, les dépôts et les engagements aux monts-de-piété. Or, voici les renseignements qui m'ont été fournis.

Il y a eu en Belgique, du 4 août au 27 septembre, 16 trains de plaisir. Les mouvements ont été de 6,410 voyageurs dont 220 de première classe, 2,262 voyageurs de deuxième classe, et de 3,950 voyageurs de dernière classe ; de manière que les trains de plaisir se sont surtout adressés à la classe intermédiaire.

Les produits de ces trains de plaisir ont été de 17,741 fr. Quant aux monts-de-piété, voici les renseignements que j'ai obtenus. Le 4 août, il y a eu un train de plaisir de Bruxelles à Ostende ; or du 1er au 3 août, il avait été déposé, en 1849, aux monts-de-piété 2,298 objets ; en 1850, on en a déposé 1,605.

Le 11 août, il y a eu un train de plaisir de Bruxelles à Paris. Or du 4 au 11 août, il a été déposé aux monts-de-piété, en 1849, 4,246 objets, et en 1850, 3,991. (Interruption.) Il est bien possible que le nombre des objets aurait pu être encore inférieur, mais rien n'autorise ceux qui invoquent cette proportion des dépôts à en faire un argument contre les trains de plaisir.

M. de Theux. - Les circonstances n'étaient pas les mêmes.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Si les circonstances ne sont pas les mêmes, à quoi peut aboutir la comparaison ? Du reste, messieurs, je pense qu'il est parfaitement inutile de m'arrêter davantage sur ce point.

J'aborde, messieurs, les autres observations présentées par l'honorable M. de Brouckere et qui me semblent mériter l'attention spéciale du gouvernement.

L'honorable membre a demandé que l'on appliquât à la grande voirie les dispositions de la loi du 1er février 1844 qui se rapportent à la voirie urbaine. Je pense, messieurs, que cette question s'est présentée à la suite d'un conflit engagé entre la députation permanente et le conseil communal de Bruxelles ; je pense qu'à la suite d'observations faites par l'administration communale, la députation permanente a décidé, en principe, que les dispositions de la loi de 1844 se rapportent exclusivement à la voirie urbaine, qu'elles ne sont pas applicables à la grande voirie.

Cependant la députation permanente, je dois le dire, a accepté en principe l'extension à faire à la grande voirie des dispositions de la loi de 1844 et, en ce moment-ci le gouvernement est saisi de la question ; je pense que je pourrai, dans le courant même de cette session, répondre d'une manière plus complète à l'honorable membre.

Quant au troisième point, qui concerne l'entretien de la grande voirie dans la traverse des villes, par les administrations communales, c'est une question qui a aussi un certain caractère de gravité. Je comprends parfaitement que dans une ville comme Bruxelles, et je le dirai à l'éloge de l'honorable membre, sous l'impulsion énergique du chef de l'administration communale, la voirie urbaine soit dans un parfait état de viabilité ; cependant, messieurs, il est à remarquer que c'est à la sollicitation des administrations communales elles-mêmes qu'on est revenu sur les dispositions de l'arrêté de 1819.

L'arrêté de 1819 avait chargé les administrations communales de l'entretien de la grande voirie dans la traverse des villes. (Interruption.) C'est à la sollicitation des grandes villes et à la suite d'un vote de budget, je pense, que le gouvernement s'est chargé de l'entretien de la grande voirie. Je comprends, messieurs, que l'on puisse à certains égards soutenir la thèse que vient de présenter l'honorable M. de Brouckere ; mais il faut cependant reconnaître aussi qu'il pourrait y avoir des inconvénients dans l'adoption de cette mesure. Il est évident tout d'abord que si le gouvernement abandonnait aux administrations communales, moyennant un subside, l'entretien de la grande voirie, un contrat devrait intervenir entre le gouvernement et ces administrations.

Il est évident encore que le gouvernement devrait conserver la haute surveillance des travaux, et il pourrait arriver que le subside n'étant pas précisément appliqué aux termes du contrat, il en résultât des conflits. Cela pourrait d'autant plus arriver que la même faveur pourrait être réclamée non seulement par les villes, mais aussi par beaucoup de grandes communes qui ont l'importance de certaines villes.

Du reste, une considération qui me semble devoir déterminer l'honorable préopinant à ajourner toute proposition à cet égard, considération qui empêcherait, de son côté, le gouvernement de faire droit dès à présent à l'adoption de la mesure, c'est qu'il n'y a que la ville de Bruxelles qui ait fait des réclamations dans ce sens.

M. T’Kint de Naeyer. - A Gand comme à Bruxelles, on désire que les routes royales, traverses des villes, soient soumises au régime municipal, moyennant un subside de l'Etat.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Il est possible qu'à Gand l'on soit du même avis. (Interruption.) Mais enfin il y a un grand nombre de villes en Belgique, et je ne suis pas assuré de l'adhésion de toutes ces villes. (Nouvelle interruption.)

Du reste, messieurs, je ne déclare pas que ce principe ne peut pas être adopté ; je crois, au contraire, que la proposition mérite examen ; mais je dis que pour le moment il n'est pas possible de l'accueillir, car je ne connais pas, au juste, la longueur des traverses dans les grandes villes, et je connais encore moins l'importance des réparations à faire. Il faudrait donc établir des calculs qu'on ne peut pas improviser. Mais je répéterai à l’honorable M.de Brouckere que j'examinerai la question et que quand il s'agira du prochain budget, je ferai connaître la manière de voir à laquelle je me serai arrêté.

- Plusieurs membres. - Aux voix ! aux voix ! La clôture !

M. le président. - Il faut que la chambre sache où elle va. Plusieurs orateurs sont inscrits, qui ont déjà parlé deux fois. D'un autre côté, il est à craindre que cette discussion ne se reproduise non seulement sur le chapitre du chemin de fer, mais encore à l'occasion du projet de loi de tarif. Dans tous les cas, le premier orateur inscrit est M. Dechamps, qui a déjà parlé deux fois, et le règlement ne me permet pas de lui accorder une troisième fois la parole sans avoir consulté la chambre.

- Un grand nombre de membres. - La clôture !

M. Dechamps (sur la clôture). - A la vérité, messieurs, j'ai déjà parlé deux fois dans cette discussion ; mais la chambre n'a pas oublié que M. Rolin, qui a répondu à la critique que j'avais faite du tarif du 1er septembre, l'a fait d'une manière très longue et très détaillée, qu'il a tenu la chambre pendant plusieurs heures et qu'il a prétendu m'avoir répondu d'une manière péremptoire et accablante. Je tiens à pouvoir répliquer à l'honorable M. Rolin.

Du reste, je préviens la chambre que si, fatiguée de cette longue discussion, comme je comprends qu'elle le soit, elle prononce la clôture, je dirai ce que j'ai à dire, sur le chapitre du chemin de fer. La chambre n'y gagnera rien.

M. de Man d'Attenrode (sur la clôture). - Messieurs, je suis l'orateur inscrit après l'honorable M. Dechamps ; je n'ai pas encore pris la parole dans cette discussion ; je désire présenter quelques observations ; si la chambre veut clore la discussion générale, il est bien entendu que je me réserve mon tour de parole, lorsque nous arriverons à l'article du chemin de fer.

Il me semble que la chambre ferait bien d'entendre une troisième fois l'honorable M. Dechamps ; cet honorable membre a dirigé les travaux publics, et nous pourrons tirer des notions utiles de son expérience en cette matière.

M. Delfosse (sur la clôture). - Si la clôture n'est pas prononcée, il faut au moins entendre ceux qui n'ont pas encore parlé ; ceux qui ont déjà pris la parole deux fois ne doivent venir qu'après.

M. de Theux (sur la clôture). - Je crois que la chambre doit avoir en vue l'intérêt général. Or, personne ne peut contester que la question de l'exploitation du chemin de fer intéresse au plus haut degré le trésor public et le pays ; il est donc utile, selon moi, d'entendre encore quelques orateurs qui ont approfondi la question d'une manière plus spéciale : il ne peut en résulter que des éclaircissements salutaires dans l'intérêt de la vérité.

(page 343) S'il y a des erreurs commises dans le système de l’exploitation, le gouvernement sera à même de les réparer ; si, au contraire, il est démontré qu'il n'existe pas d'erreurs, on mettra par là un terme aux réclamations qui ont surgi.

Pour mon compte, j'aurais pris part à cette discussion, si je n'avais pensé qu'il valait mieux laisser approfondir la question par quelques orateurs ; plus la discussion sera restreinte à quelques membres qui ont fait une étude spéciale de la question, plus elle aboutira à un résultat pratique.

Je demande donc que la chambre veuille bien permettre à l'honorable M. Dechamps de s'expliquer une troisième fois.

M. Bruneau (sur la clôture). - Messieurs, si la discussion pouvait avoir un résultat pratique, je concevrais qu'elle continuât ; mais depuis six jours, nous discutons sur des questions de tarif sans que nous puissions aboutir à une décision. Dans quelque temps, probablement à la rentrée, nous aurons à examiner pratiquement la question des tarifs : la chambre s'occupera du projet de loi sur lequel l'honorable M. Mercier a fait rapport ; nous pourrons alors arriver à un résultat pratique, et chacun pourra émettre son opinion sur le meilleur système d'exploitation.

M. de Mérode (sur la clôture). - Messieurs, il est à propos qu'une discussion comme celle-là aille jusqu'à son terme. Comme l'a fait remarquer tout à l'heure l'honorable M. Dechamps, l'honorable M. Rolin a parlé pendant presque toute une séance.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il n'a parlé qu'une fois.

M. de Mérode. - Il n'a parlé qu'une fois, c'est vrai ; mais cette fois en vaut quatre ou cinq ; il s'est fort étendu ; il nous a mis au milieu des lianes du nouveau monde.

L'honorable M. Rolin est un ancien ministre ; on peut le considérer comme appartenant tout à fait au banc ministériel, puisqu'il a défendu tout ce qui avait été fait par les collègues avec lesquels il a siégé.

Maintenant, l'honorable M. Dechamps a des choses très utiles à nous communiquer sur tous les allégués de l'honorable M. Rolin ; pouvons-nous nous refuser à l'entendre, si nous voulons véritablement nous instruire sur une question aussi grave ? Car enfin c'est le chemin de fer, au moins dans l'opinion d'une foule de personnes raisonnables, c'est le chemin de fer, dis-je, qui est la cause des propositions de nouveaux impôts qu'on nous fait.

Il est donc fort utile de discuter maintenant la question d'une manière sérieuse ; d'ailleurs, si on transporte cette discussion à l'article Chemin de fer, cela reviendra au même ; on aura interrompu le débat pendant vingt-quatre heures, voilà tout ; on n'aura rien gagné quant au temps, et quant à la suite dans la discussion, on y aura perdu.

M. le président. - Il serait donc entendu que si la discussion continuait encore un peu maintenant, il n'en serait plus question à l'article Chemin de fer.

M. Coomans (sur la clôture). - Je veux faire remarquer seulement qu'il y a quelques années, la discussion de certains budgets durait jusqu'à vingt jours ; or depuis que, sous l'administration nouvelle, les budgets se sont singulièrement compliqués, au point de vue financier, je trouve étrange qu'on veuille clore le débat, alors que des membres expriment le désir de présenter des observations.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, je ne demande la parole que pour rectifier une assertion inexacte de l'honorable préopinant.

L'honorable membre prétend que les budgets se sont extraordinairement compliqués depuis l'administration nouvelle ; il n'en est rien : ils ont été simplifiés, au contraire ; ils ont été successivement élagués ; on en a fait disparaître des sommes fort notables : c'est ce que n'avaient pas fait les administrations précédentes.

Si ces diminutions de dépenses, qui se sont élevées à plusieurs millions, n'avaient pas eu lieu, il existerait aujourd'hui un déficit bien plus considérable. Nous n'avons accru les dépenses sous aucun rapport, nous les avons diminuées. Le déficit, je n'en excepte pas un quart de centime, ne résulte pas de dépenses nouvelles ; il est la conséquence des faits posés par les administrations précédentes.

Je sais bien que, dans la polémique, les adversaires du ministère actuel soutiennent ce thème, que le cabinet a accru le déficit et qu'il a par ses dépenses notablement augmenté les bons du trésor. Eh bien, il faut que le pays le sache ; je dis, et je défie toute espèce de discussion sur ce point, je dis que, loin d'augmenter les dépenses, nous les avons réduites, et que la situation actuelle n'est point le fait du cabinet.

M. Mercier (sur la clôture). - J'ai demandé la parole contre la clôture lorsque j'ai entendu l'honorable M. Bruneau prétendre que la discussion à laquelle nous nous livrons n'est pas pratique, et ajouter que nous aurons prochainement l'occasion de traiter les questions de tarif dans la discussion de la loi sur le tarif des voyageurs.

Messieurs, je pense, au contraire, que les observations qui sont faites par d'anciens chefs du département des travaux publics et par d'autres membres qui se sont particulièrement occupés de la matière ont un but véritablement utile. Nous n'avons pas seulement en vue de nous éclairer les uns les autres, mais aussi d'éclairer le gouvernement. L'honorable M. Van Hoorebeke nous a annoncé l'intention de s'occuper prochainement d'un projet de loi de tarification des marchandises ; sans doute on ne prétendra pas qu'il ne peut recueillir aucun avis utile, pratique, de nos débats parlementaires.

Quant à l'assertion de M. le ministre des finances, que le cabinet actuel n'aurait pas contribué à la dette flottante d'un demi-centime, pour me servir de son expression, je la déclare complètement inexacte. Je ne prétends pas qu'il a été en son pouvoir d'éviter le déficit ; mais je soutiens qu'il a subi, comme les ministères précédents, la nécessité d'augmenter la dette de l'Etat. C'est ce qu'il sera très facile d'établir quand le moment de la discussion sera arrivé.

M. Malou. - Je ne répondrai qu'un mot à M. le ministre des finances, pour faire une réserve. Ce n'est pas à propos de la clôture que M. le ministre des finances peut engager dans la chambre une discussion sur la situation financière.

Je fais donc toutes les réserves, et je déclare, pour me servir des expressions que M. le ministre des finances a employées, que les assertions dont il s'est servi sont complètement inexactes, et qu'il est tombé dans une énormissime erreur.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je demande formellement à la chambre qu'elle me permette de répondre.

M. le président. - Alors il est juste que j'accorde la parole à ceux qui me la demanderont encore.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je ne m'y oppose en aucune manière ; mais je tiens à constater deux faits ; le premier, c'est que la discussion du budget des voies et moyens a été récemment à l'ordre du jour de la chambre ; je croyais qu'alors tous ceux qui voulaient parler de la situation financière et de la situation du trésor auraient saisi l'occasion de s'exprimer sur ce point ; mais personne dans la chambre n'a demandé la parole pour contredire mes assertions et l'exposé que j'ai soumis à la discussion.

Le deuxième fait, c'est que je n'ai point provoqué un débat ; c'est l'honorable M. Coomans qui, à propos de la clôture, est venu parler de la situation financière.

M. Coomans. - Je ferai remarquer que la sortie de l'honorable ministre des finances m'étonne. Je suis prêt à discuter la situation financière un de ces jours ; mais je dois dire que nos budgets se sont fort compliqués ; ils contiennent des dépenses nouvelles.

Ce que j'ai dit ne devait pas engager l'honorable ministre des finances dans une question financière ; j'ai voulu seulement faire remarquer à la chambre qu'il y a quelques années on a discuté les budgets pendant 15, 20 et 25 jours et qu'aujourd'hui il serait étrange qu'on ne permît pas de les discuter pendant six jours.

M. Malou. - Je n'abuserai pas des moments de la chambre. M. le ministre des finances nous reproche de n'avoir pas discuté la situation financière à l'occasion du budget des voies et moyens.

Voici le motif pour lequel nous n'avons pas pris la parole alors.

M. le ministre des finances nous a annoncé qu'il voulait créer de nouveaux impôts ; à l'occasion de ces impôts, la discussion de la situation financière sera opportune et c'est pour ces motifs que nous ne l'avons pas abordée plus tôt.

M. le ministre des finances nous a dit que pas un quart de centime dans le déficit ne provient de son administration, et d'autre part on vous dit qu'il y a un déficit permanent. Que l'on concilie ces deux assertions et l'on verra qu'il s'agit là d'une chose qui vaut un peu plus d'un centime.

- La clôture est mise aux voix ; deux épreuves sont douteuses,

M. le président. - Par conséquent, la discussion continue.

M. Delfosse. - Je ne m'oppose pas à ce que M. Dechamps soit entendu une troisième fois ; mais il est juste d'entendre d'abord ceux qui n'ont pas encore parlé. (Interruption.)

M. le président. - Le règlement est formel. Quand un membre a eu deux fois la parole dans une discussion, le président ne peut la lui donner une troisième fois qu'après avoir consulté la chambre.

M. de Theux. - La motion de l'honorable M. Delfosse n'est pas dans le règlement. Il est des discussions où l'on convient qu'on entendra alternativement un orateur pour, contre et sur ; il n'en a pas été ainsi dans cette discussion ; ce n'est pas le moment, quand un collègue demande à répliquer à un orateur qui s'est exclusivement occupé de ses observations et qu'il le demande, non dans un intérêt personnel, mais dans l'intérêt de la vérité, qu'il convient de lui objecter qu'il a déjà parlé deux fois ; toutes les raisons, les raisons de convenances surtout, doivent engager la chambre à lui accorder la parole.

M. le président. - Je dois consulter la chambre.

- La chambre, consultée, décide que la parole sera donnée une troisième fois à M. Dechamps.

- M. Delehaye remplace M. Verhaegen au fauteuil.)

M. Dechamps. - Je crains de parler dans des circonstances bien défavorables ; car j'ai l'air de vouloir violenter l'attention de la chambre et j'ai la mauvaise chance de la trouver inattentive. Je lui promets de ne pas rentrer dans la discussion générale ; l'absence de M. Rolin, à qui je veux exclusivement répondre, ainsi qu'à M. Van Hoorebeke, m'impose le devoir d'être sobre, d'être court.

Je demande d'abord qu'on ne donne pas à mes paroles un caractère et une portée que je ne veux pas leur donner moi-même.

Je suis partisan des tarifs modérés ; en 1844, lorsque je faisais partie du ministère, j'ai apporté des modifications aux tarifs existants, et presque toujours ces modifications ont eu pour effet de modérer le tarif.

Mais si je veux des tarifs modérés qui ne repoussent pas les transports, qui les attirent, je ne veux pas d'un tarif réduit d'une manière exagérée, reposant sur des principes illogiques, et qui repousse les recettes.

(page 344) J’ai approuvé la suppression du système des charges complètes, la faveur accordée pour les longs parcours et pour les produits pondéreux, mais j’ai critiqué plusieurs dispositions du tarif du 1er septembre, surtout le principe sur lequel il repose et d’après lequel on ne tient pas compte de la nature, de la valeur et du poids des marchandises, mais seulement des frais que le transport occasionne à l’administration.

C'est de l'application de ce principe que sont sortis les résultats fâcheux que j'ai signalés.

Quels sont ces résultats ? Il y a deux faits constatés par M. Rolin, comme par moi, deux faits sur lesquels nous sommes d'accord : 1° l’abandon par les petites marchandises de la catégorie des transports à grande vitesse ; 2° l'abandon de la classe du tarif n°2 par les grosses marchandises pour se jeter dans la classe du tarif n°2, concernant les produits favorisés.

De ce double abandon, de ce double dépassement, résulte l’existence d'une seule classe, en fait, dans nos tarifs ; les autres seront successivement désertées. L'honorable M. Rolin constate lui-même ces faits dans son compte rendu de 1848 ; en 1848, dit-il, la mise en vigueur du tarif nouveau a amené une diminution dans les transports des petites marchandises de 58 p. c. Il constate dans le même compte rendu que pour les grosses marchandises le 4/5 des transports appartenaient à la classe des produits favorisés.

J'ai fait connaître par des chiffres, qu'en 1849, la classe des produits favorisés absorbait les 5/6 des transports de grosses marchandises. Voilà deux faits sur lesquels nous sommes d'accord. Mais M. Rolin et M. le ministre des travaux publics tâchent d'atténuer la perte du trésor et de méconnaître les causes auxquelles ce résultat doit être attribué.

Pour les petites marchandises, quelle est la cause réelle de la réduction des recettes ? M. le ministre des finances a affirmé que c'était l'élévation du tarif, que, par le tarif du 1er septembre, on avait élevé le prix du transport des petites marchandises.

C'est là une première erreur ; le tarif des petites marchandises n'a pas été élevé ; il est même un peu au-dessous, en moyenne, du tarif ancien. On l'a augmenté pour les petites distances, mais on l'a diminué pour les grandes.

Les auteurs du tarif, appliquant le tarif nouveau de 10 centimes aux transports de 1845 et de 1846, trouvaient qu'en 1845 le tarif eût été de 10 centimes 6 dixièmes, et en 1846, de 11 centimes 6 dixièmes. Le tarif du 1er septembre, pour les marchandises de messagerie, a donc été plutôt abaissé qu'élevé. La cause de la perte essuyée n'est pas là.

M. Rolin et M. Van Hoorebeke en ont indiqué une autre, plus juste ; ils ont attribué la perte au déclassement opéré par la suppression du minimum de poids d'admission de 500 kilog.

Ce déclassement aurait rejeté une partie des petites marchandises dans la classe du tarif n°2.

L'honorable M. Rolin, dans son compte rendu de 1848, n'ose pas affirmer que ce soit là la cause du déficit ; il se borne à dire qu'il est à présumer qu'il en est ainsi. Je ne veux pas soutenir que ce déclassement ne s'est pas opéré dans une certaine mesure ; mais la cause réelle et active de l'abandon du tarif n°1 est ailleurs, selon moi, et la preuve en est qu'il faudrait, si le fait était exact, retrouver dans les transports opérés au tarif n°2 une augmentation équivalente à la diminution constatée dans les expéditions à grande vitesse ; or, nous trouvons, au contraire, que la classe du tarif n°2 est abandonnée elle-même, puisqu'elle ne comprend plus qu'un sixième des transports de grosses marchandises.

La cause que l'on cherche, je vais l'indiquer : Le système des frais fixes y a une grande part ; ces frais fixes, qui sont de 50 c., pèsent lourdement sur les petits colis et sur les petites distances. Or qu'est-il arrivé ? C'est que deux faits se sont produits : 1° les petites marchandises ont abandonné la classe des transports à grande vitesse pour se réfugier dans les fourgons des messagistes ; 2° les messagistes ont continué à réunir les petits colis en gros ballots, ne payant ainsi qu'une fois le prix fixe que cent petits colis séparés eussent payé cent fois. Il en est résulté que la classe des petites marchandises est chaque jour abandonnée.

M. l'ingénieur Dandelin, l'un des inspirateurs du tarif, appelle lui-même « déplorables » les effets du tarif du 1er septembre pour les transports à grande vitesse.

Ainsi, je persiste à croire (comme la recette sur les petites marchandises était d'un million sous l'empire de l'ancien tarif, et que, d'après le compte rendu, il y a eu une diminution de 58 p. c.) que je n'étais pas loin de la vérité en évaluant la perte essuyée de ce chef à près de 500,000 francs.

J'arrive aux grosses marchandises : Nous sommes encore d'accord sur ce fait que les produits favorisés par le tarif n°3 à 3 centimes comprennent les cinq sixièmes des transports. N'est-il pas évident, je le demande à tous, qu'un tarif d'après lequel la presque totalité des transports se fait au prix de 5 centimes par quintal-lieue doit produire une perte ?

Qu'on me cite un autre pays où le transport des grosses marchandises de toutes classes s'effectue à 3 c. Mais vous ne trouverez à invoquer aucune comparaison et aucun antécédent.

Le tarif de M. Rogier du 10 janvier pour les grosses marchandises était fixé comme suit :

1ère classe 5 centimes ; 2ème classe 7 centimes, 3ème classe 10 centimes.

On a attaqué ces tarifs comme n'étant pas assez élevés. C'était une erreur ; mais quand on y substitue un tarif presque uniforme à 3 centimes, ne vous paraît-il pas clair que c’est là une exagération ?

J'avais évalué le déficit à plus d'un million.

M. le ministre des travaux publics avait fourni à la section centrale une note d'après laquelle il était constaté que le nombre des tonnes transporté était à peu près le même en 1849 qu’en 1847, et que la recette avait été moindre d'un million en 1849. L'honorable M. Rolin m'a fait deux réponses que M. le ministre des travaux publics vient en partie de reproduire.

Il a dit que ce calcul n'était pas exact, qu'il fallait indiquer le nombre des tonnes-lieues ; car il faut connaître non seulement le nombre des tonneaux transportés, mais encore les distances parcourues. Cela est vrai ; mais cette réponse ne m'avait pas du tout convaincu lorsqu'elle m'a été faite, parce que je savais que lorsque le calcul des tonnes transportées porte sur les résultats d'une année entière, des compensations s'établissent, et une corrélation existe entre le nombre des tonnes transportées et le nombre des tonnes-lieues.

J'avais demandé le nombre des tonnes-lieues ; j'aurais été heureux de le connaître, certain d'avance de pouvoir l'employer contre ceux qui me l'opposent. Mais M. le ministre n'a pu nous le fournir.

En l'absence de ce document, j'en ai trouvé d'autres que l'honorable M. Rolin m'a indiqués lui-même et qui me dispensent de toute autre démonstration.

Le mémoire des auteurs du tarif, le compte rendu de 1848, et la note fournie par M. le ministre, nous font connaître le nombre exact des tonnes-lieues pour 1845, 1846, 1848 et 1849. Il ne nous manque donc que l'année 1847. Je ne pense pas que l'on prétende que cette année 1847 se trouve dans des conditions anormales et exceptionnelles.

Eh bien, la distance moyenne des transports de grosses marchandises a été :

En 1845 de 10 lieues 1/2.

En 1846 de 11 lieues 1/2.

En 1848 de 11 lieues 1/2.

En 1849 de 12 lieues.

Ainsi, la moyenne des distances a été plus élevée en 1849 que les années précédentes. L'objection que l'on m'avait faite n'a donc aucune valeur, et il reste exact et vrai que la même quantité de tonnes transportées, en 1847 et en 1849, à un parcours moyen plus élevé en 1849, a rapporté au trésor un million de moins.

Ce chiffre de la moyenne des distances parcourues ne doit pas étonner : en effet, le tarif du 1er septembre a été établi d'après un système qui favorise les grandes distances.

Lorsqu'on nous a opposé la diminution dans les transports internationaux vers l'Allemagne qui a été en 1849 de 110 mille tonneaux de moins qu'en 1847, l'honorable M. Malou a fait immédiatement remarquer que puisque le nombre des tonnes-lieues, pour 1849, était supérieur de deux millions à l'année précédente, cela prouvait qu'il y avait eu une augmentation équivalente dans les transports intérieurs.

En effet, l'ouverture du chemin de fer de Manage à Mons a déversé sur le chemin de fer de l'Etat 130 mille tonneaux de houille Voilà un transport que vous n'aviez pas et qui compense, et au-delà, ceux que vous avez perdus du côté de l'Allemagne.

Mais on suppose que ces transports vers l'Allemagne que l'on a perdus, ont tous eu lieu à la distance de 30 lieues d'Anvers à Verviers.

C'est une erreur ; je suis persuadé que la diminution a porté, en grande partie, sur les houilles et les fontes expédiées de Liège à Verviers, c'est-à-dire à 7 ou 8 lieues, ce qui constitue un transport à courte distance. Les 130 mille tonneaux de houille du chemin de fer de Manage à Mons ont été transportés vers Bruxelles ou vers le chemin de fer de Jurbise, à une distance moyenne de 8 lieues. Vous voyez que l'on a tiré de la diminution des expéditions vers l'Allemagne des conséquences illégitimes.

Mais je n'ai nullement besoin de ce raisonnement. Il suffit de savoir que la distance moyenne a été de 12 lieues en 1849 et de 11 1/2 et de 10 1/2 lieues les années précédentes, pour que l'objection qu'on m'avait faite avec tant de confiance vienne à disparaître.

Il reste vrai qu'avec une même quantité de transports, opérés à une même distance moyenne, l'année 1849 a produit plus d'un million de moins qu'en 1847.

L'honorable M. Rolin et tout à l'heure l'honorable ministre des travaux publics m'ont fait une seconde réponse qui a semblé frapper la chambre et qui effectivement avait un caractère très spécieux. On a dit : Mais en opérant d'après les mêmes calculs, sur les années 1845, 1846 et 1847, vous arrivez à ce résultat que sur 1846 comparé à 1845, il y a eu perte de 300,000 à 400,000 fr., et sur 1847, il y aurait eu perte d'un million. Or, s'est-on écrié, ce déficit a eu lieu sous l'influence d'un même tarif.

L'honorable M. Rolin, en y réfléchissant, comprendra que ce raisonnement pèche par base. Car comment supposer qu'une même quantité de marchandises transportée à une distance moyenne qui est presque invariablement la même sur nos chemins de fer depuis un grand nombre d'années, et au prix des mêmes tarifs, ait donné des recettes différentes pendant ces diverses années ? Cela est mathématiquement impossible.

Mais voici l'erreur où l'honorable M. Rolin est tombé. Il a cru qu'en 1845, 1846 et 1847, les transports avaient été opérés sous l'influence des mêmes tarifs.

Sans doute, il n'y a pas eu de nouveaux tarifs portant un nom de ministre ; mais des modifications profondes ont été chaque année apportées aux tarifs. Je vais en signaler quelques-unes.

(page 345) En 1846, par des arrêtés du 1er mai, on a modéré le tarif des petites marchandises ; on a diminué de 30 p. c. le transport des farines, des bois de teinture, des cuirs, des tabacs ; on a diminué de 16 p. c. le transport des sucres raffinés et des machines, et le coke a été admis à la première classe. De plus en 1846, l'honorable M. Malou l'a fait remarquer avant moi, on a transporté gratuitement les denrées alimentaires, et la perte constatée occasionnée de ce chef, s'est élevée, en 1846, à 325,000 fr.

D'après l'honorable M. Rolin, on aurait eu, en 1846, une diminution de 300,000 à 400,000 francs. Eh bien, il est évident que les réductions de tarifs que je viens de signaler et le transport gratuit des denrées alimentaires expliquent parfaitement ce déficit.

Voyons l'année 1847.

En septembre et en décembre 1846, les tarifs ont été de nouveau modifiés ; une nouvelle convention belge-rhénane a été signée. Vous comprenez que l'influence de ce tarif a dû s'exercer sur l'année 1847. Eh bien, cette convention belge-rhénane repose sur les données suivantes : On a diminué le tarif pour toutes les marchandises d'Anvers vers Cologne de 20 p. c, et pour toutes les marchandises de Cologne vers Anvers, de 25 p. c.

Pendant cette même année 1847 on a encore transporté gratuitement les denrées alimentaires. On a réduit en outre de 50 p. c. le transport des farines vers les boulangeries militaires.

On a fait pendant cette même année la convention franco-belge, et la nouvelle convention franco-belge-rhénane, par lesquelles on a encore apporté de notables modérations aux tarifs existants.

Vous voyez donc à toute évidence que l'honorable M. Rolin s'est complètement trompé lorsqu'il a cru que les transports en 1845, 1846 et 1847 avaient été opérés sous l'influence des mêmes tarifs. Les tarifs ont été complètement différents. Ces différences ont encore été plus grandes que celles qui existent entre les tarifs du 18 avril 1841 et les tarifs du 22 mars 1842.

Aussi, messieurs, malgré le mouvement ascensionnel continu qui a eu lieu depuis 1844 jusqu'en 1847, dans les recettes générales du chemin de fer, qui se sont élevées de onze millions en 1844 jusqu'à quinze millions en 1847, remarque que l'excédant de la recette sur la dépense par lieue parcourue, c'est-à-dire le produit net, qui était en 1844 et 1845 de 11 fr., est descendu en 1846 à 10 fr., en 1847 à 7 fr. et en 1848 à 4 fr. 66 ; c'est-à-dire qu'il y a eu une diminution de plus de 60 p. c. de 1844 à 1848.

Ces résultats doivent faire réfléchir et prouvent que tout abaissement de tarif ne se traduit pas toujours en bénéfices et en produits.

Messieurs, je pourrais faire encore beaucoup d'autres observations que j'avais notées, mais je sens le besoin d'être court et de ne pas abuser de la bienveillance de la chambre.

Permettez-moi de vous dire que, dans ces considérations, je n'ai aucun amour-propre d'auteur à défendre. Je ne suis l'auteur d'aucun tarif qui ait porté mon nom, et j'avoue que je m'en réjouis un peu. Je me suis borné à apporter aux tarifs existants des reformes lentes, successives et que j'ai crues rationnelles.

L'honorable M. Rolin, lorsqu'il est arrivé au ministère, y a trouvé un nouveau tarif décrété avant lui. Il en a pris généreusement la responsabilité ; à sa place, j'aurais, comme lui, laissé exécuter ces tarifs, quelle qu'eût été mon opinion ; j'aurais voulu que l'expérience s'en fît. Or, aujourd'hui cette expérience est en train de se faire.

Je ne veux pas donner aux chiffres que j'ai présentés une valeur mathématique. Je conviens qu'il y a d'autres influences que celles des tarifs qui agissent sur les recettes du chemin de fer, mais j'ai apporté à la chambre les calculs qui me paraissaient les plus près de la vérité.

Un des inconvénients, messieurs, de la mise en vigueur du nouveau tarif vous a déjà été indiqué par moi. Ce tarif a pour but d'augmenter beaucoup le mouvement des transports par l'abaissement des prix. Pour réussir, il eût fallu que le mouvement des transports eût été assez considérable pour diminuer le prix de revient et accroître les recettes.

Mais remarquez que cet accroissement du mouvement des transports pour les grosses marchandises est impossible avec le matériel existant. Votre matériel ne vous permet pas de transporter plus que vous ne transportez.

Vous n'avez ni locaux ni matériel suffisants ; le succès de l'expérience était donc impossible, et c'est dès lors une grande imprévoyance de l'avoir tentée.

Messieurs, permettez-moi une dernière observation, et je termine.

Je suis bien convaincu que l'Etat ne peut pas exploiter comme le fait une compagnie. Une compagnie n'a qu'un seul intérêt en vue, c'est l'intérêt financier.

L'Etat en a deux : c'est l'intérêt financier, mais avant celui-là, c'est l'intérêt public. A ce point de vue, le chemin de fer est, dans les mains du gouvernement, un instrument commercial ; seulement il ne faut pas en abuser, de manière à diminuer gratuitement les recettes.

Ainsi, messieurs, en 1846, lors de la crise alimentaire, le gouvernement a fait transporter dans toutes les directions les denrées alimentaires pour qu'elles pussent arriver à chaque village. Des compagnies l'auraient-elles fait ? Non, elles n'auraient pas pu le faire. Lorsque nous avons eu la rupture commerciale avec l'Allemagne, en 1844, qu'a fait le gouvernement ? Il a abaissé momentanément dans une grande proportion le tarif des fontes, des fers et des machines, de manière à sauver d'une crise l'industrie métallurgique de la province de Liège, et il a réussi. L'Etat pouvait le faire ; une compagnie ne l'aurait pas pu.

Lorsque le prix du transit a été réduit entre la Hollande et le Rhin, le gouvernement, qui avait construit le chemin de fer, en grande partie pour conserver le transit vers l'Allemagne, le gouvernement ne pouvait pas rester désarmé ; il a fait la convention rhénane de 1846, par laquelle une forte réduction était opérée sur le transit, qui vous a été ainsi conservé, contre la concurrence de la Hollande. Je me souviens d'un autre fait de moindre importance, mais qui concerne une autre province : le gouvernement français avait pris des mesures pour enlever à Ostende le transit des laines sur Roubaix, au profit du port de Dunkerque ; le gouvernement belge, utilisant le chemin de fer dans un but commercial, admit les laines en masse dans le tarif n°1 afin de conserver au port d'Ostende ce transit considérable.

Je cite ces faits, messieurs, et je pourrais en citer un bien plus grand nombre, pour démontrer que l'Etat ne peut pas exploiter comme une compagnie, que vous ne pouvez pas exiger du chemin de fer les produits qu'une compagnie pourrait en tirer. C'est que l'Etat doit tenir compte des produits indirects qui augmentent la richesse publique, et par conséquent, tous les revenus du trésor.

L'exploitation par l'Etat peut être bonne et utile, mais il faut se tenir en garde contre toute exagération ; il est nécessaire, tout en tenant grandement compte de l'utilité commerciale, de ne pas tarir les sources des recettes qui, d'après moi, peuvent et doivent se relever, pour atteindre 16 et peut-être 18 millions.

- M. Verhaegen reprend place au fauteuil.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Messieurs, je ne rentrerai pas dans la discussion du tarif du 1er septembre, bien que j'eusse à répondre à plusieurs allégations de l'honorable M. Dechamps. Mais je tiens à constater que l'honorable membre n'a pas toujours été aussi adversaire du tarif du 1er septembre qu'il semble l'être aujourd'hui.

Dans la séance du 20 décembre 1848, l'honorable M. Dechamps s'exprimait ainsi :

« M. le ministre des travaux publics a démontré, en opposant des chiffres, des faits à des allégations, en prenant ses exemples dans l'administration des chemins de fer des pays voisins les mieux administrés, et en faisant connaître les résultats obtenus déjà par le tarif nouveau du 1er septembre, il a démontré, dis-je, que ce tarif est favorable, non seulement aux intérêts industriels et commerciaux, mais aux recettes du chemin de fer.

« Le gouvernement vous a déclaré qu'il maintenait son tarif du 1er septembre, qu'il le considérait comme bon, comme utile, comme avantageux aux intérêts généraux du pays et au succès financier du chemin de fer. »

Et l'honorable membre ajoutait aussitôt :

« Si hier, la chambre, fatiguée d'une assez longue discussion, et pressée de voter le budget des voies et moyens, n'avait pas clos le débat, je lui aurais demandé la permission d'ajouter des observations nouvelles à celles que M. le ministre avait lui-même produites. »

Eh bien, messieurs, le tarif du 1er septembre dont l'honorable M. Dechamps parlait ainsi, en 1848, est encore le tarif du 1er septembre en vigueur aujourd'hui.

M. Dechamps. - Messieurs, je demande à dire un mot pour un fait personnel.

Est-ce là la seule réponse que M. le ministre a à me faire ? Lorsque j'ai prononcé les paroles que M. le ministre vient de rappeler, il s'agissait exclusivement du transport des produits pondéreux ; la discussion était engagée sur ce point entre MM. Dumortier et Rolin. Eh bien, messieurs, aujourd'hui comme alors, je suis partisan, pour les produits pondéreux, du principe sur lequel repose le tarif du 1er septembre. J'ai dit que ce tarif ne doit pas être renversé, mais qu'il doit être réformé sous certains rapports.

Du reste, messieurs, en 1848 les résultats du tarif du 1er septembre n'étaient nullement connus. Il a été modifié même en juillet 1849, si je ne me trompe. Le compte rendu de 1848 n'était pas publié, les faits n'étaient pas portés à notre connaissance. J'aurais donc pu modifier mon appréciation. Mais, je n'ai pas à désavouer les paroles qu'on me rappelle et qui se concilient avec l'opinion que je défends aujourd'hui,

- La séance est levée à 5 heures.