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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 23 juin 1851

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1850-1851)

(Présidence de M. Delfosse, vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1441) M. de Perceval procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

La séance est ouverte.

M. T'Kint de Naeyer lit le procès-verbal de la séance du 23 mai dernier ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Perceval présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la chambre.

« Plusieurs concessionnaires de mines de houille, négociants, industriels, propriétaires et le conseil communal de Visé demandent le prolongement du chemin de fer de Namur à Liège jusqu'à Maestricht. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur P. Janssens, né de parents étrangers, incorporé dans l'armée comme milicien de la classe de 1851, réclame l'intervention de la chambre pour être exempté de tout service militaire en Belgique et renvoyé dans ses foyers. »

- Même renvoi.


« Les membres de l'administration de la société de littérature flamande dite de Taelverbond demandent l'abolition de la contrefaçon, et l'exemption de tout droit pour les livres envoyés de la Belgique en Hollande et réciproquement. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal de Dixmude demande l'exécution de la loi du 18 mai 1845 qui autorise la concession d'un chemin de fer de Bruges à Courtray, Ypres et Poperinghe, avec embranchements sur Thielt et sur Dixmude. »

- Même renvoi.

M. de Breyne. - Je demande en oulre un prompt rapport.

- Adopté.


« Le conseil communal de Courtray demande l'exécution du chemin de fer qui doit relier cette ville à celles de Mons et Wervicq. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les membres du conseil communal et plusieurs cultivateurs de Wommelghem demandent une loi qui interdise aux administrations communales de percevoir un droit sur les vidanges. »

- Même renvoi.


« Le sieur Schenaerts demande une loi qui soumette à un impôt spécial ceux qui vendent des engrais quelconques. »

- Même renvoi.


« Le sieur Forgeois, ancien employé au chemin de fer de l'Etat, demande une enquête judiciaire sur les faits que lui impute l'administration du chemin de fer et sur ceux dont il accuse des employés de cette administration, et prie la chambre de lui accorder le pro deo, afin de traduire devant les tribunaux le chef du département des travaux publics. »

- Même renvoi.


« Le comice du quatrième district agricole du Hainaut demande une protection efficace pour l'agriculture. »

- Même renvoi.


« L'administration communale d'Ortho demande que le gouvernement fasse construire une route de Champion à Nandrin. »

« Même demande de l'administration communale de Wibrin. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget des travaux publics.


« Le sieur J.-P.-V. Schaack, avocat près la cour d'appel de Gand, né à Luxembourg, demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.

« Le sieur Georges Hoecke, à Gand, né à Sedan (France), demande la naturalisation ordinaire. »

- Même renvoi.


« Quelques propriétaires à Herbeumont demandent une enquête sur l'opposition de l'administration communale aux demandes de concession des terres incultes. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Lenert prie la chambre de faire donner suite aux réclamations des habitants de Musson qui ont été transmises à M. le ministre de l'intérieur. »

- Même renvoi.


« Le sieur Fourmaux, se plaignant de ce qu'un officier de santé étranger, domicilié en France, vient exercer dans le pays l'art de guérir sans diplôme ni autorisation ou patente, demande qu'on applique à cet étranger les dispositions des lois sur la matière. »

- Même renvoi.

« Plusieurs habitants de Sugny réclament l'intervention de la chambre pour faire exécuter les décisions de la députalion permanente du conseil provincial, qui ordonnent un nouveau partage des biens communaux appelés parts d'église. »

- Même renvoi.


« Les sieurs Syoen, Hooghe et Jacob, régisseurs de la wateringue de Merckem, demandent l'approfondissement et l'élargissement du canal d'Ypres et de l'Yzer et la construction d'un siphon sur cette rivière. »

- Même renvoi.


« Le sieur Nagels, milicien congédié du service après avoir été estropié, prie la chambre de lui accorder une pension. »

- Même renvoi.


« Par dépêche en date du 16 juin, M. le ministre des finances adresse à la chambre des explications sur les pétitions par lesquelles les conseils communaux de Nivelles, de Namur et de Diest, demandent que les dettes qui ont été contractées par ces villes sous le gouvernement autrichien, pour la construction de diverses routes, soient reconnues comme dettes de l'Etat. »

- Dépôt au bureau des renseignements.

M. Mercier. - Je demande, en outre, l'impression de la lettre de M. le ministre des finances.

- Adopté.


Par dépêche en date du 22 mai, M. le ministre des finances adresse à la chambre des explications sur la pétition par laquelle des fabricants de couvertures de coton à Termonde demandent une diminution du droit d'entrée sur les déchets de coton venant de France.

- Dépôt au bureau des renseignements.

M. Manilius. - Je demande également que ces explications, qui intéressent une de nos industries, soient imprimées, pour que chacun de nous puisse en prendre connaissance.

- Adopté.


M. le ministre de la justice adresse à la chambre deux exemplaires de : 1° la liste des édits et ordonnances de la principauté de Liège, de 1684 à 1794 : 2° celle des Pays-Bas autrichiens, de 1700 à 1705. »

- Dépôt à la bibliothèque.


M. le ministre de l'intérieur adresse à la chambre 112 exemplaires d'une brochure contenant des rapports sur diverses séries de documents adressés par M. l'archiviste du royaume.

- Distribution aux membres et dépôt à la bibliothèque.


M. le ministre de l'intérieur adresse à la chambre 110 exemplaires du volume sur la Statistique industrielle de la Belgique.

- Même disposition.


M. le ministre de la justice adresse à la chambre 110 exemplaires du rapport sur les colonies agricoles, les écoles rurales et les écoles de réforme en Suisse, en Allemagne, en France, en Angleterre, dans les Pays-Bas et en Belgique, par M. Ducpétiaux, inspecteur général des prisons et des établissements de bienfaisance.

- Même disposition.


Le sieur P.-J. Moreau, à Louvain, fait hommage à la chambre d'un exemplaire des « Aperçus théoriques et pratiques sur l'élagage à propos des plantations des routes » qu'il vient de publier. »

- Dépôt à la bibliothèque.


Par divers messages, le sénat informe la chambre qu'il a adopté :

1° Dix-sept projets de loi de naturalisation ordinaire ;

2° Le projet de loi portant des modifications aux lois relatives à la perception des droits de timbre et d'enregistrement sur les actes en matière de faillite, banqueroute et sursis ;

3° Le projet qui ouvre des crédits supplémentaires aux budgets de la dette publique,du ministère des finances,des non-valeurs et remboursements des exercices 1850 et 1851 ;

4° Le projet de loi ouvrant au département de l'intérieur un crédit de 600,000 fr. pour mesures relatives aux défrichements, aux irrigations et au drainage ;

5° Le budget du ministère des finances pour l'exercice 1852 ;

6° Le budget des dotations pour l'exercice 1852 ;

7° Le projet de loi relatif à l'emmagasinage du sel brut daus les entrepôts publics ;

8° Le projet de loi ouvrant des crédits supplémentaires et extraordinaires au département des travaux publics ;

9° Le projet de loi autorisant un transfert au budget de la guerre de 1850 ;

10° Le projet de loi ouvrant au département de l'intérieur un crédit de 200,000 francs, pour les dépenses résultant de la convention avec la ville de Gand ;

11° Le projet de loi ouvrant un crédit supplémentaire aux départements des finances et de l'intérieur ;

12° Le projet de loi ouvrant au budget du département de la guerre de 1850, un crédit de 4,342 fr. 60 c.

13° Le projet de loi ouvrant un crédit extraordinaire de 815,956 francs 77 centimes, pour régulariser les avances faites par le trésor à l'ancienne caisse de retraite du département des finances ;

14° Le projet de loi ouvrant des crédits aux budgets de l'intérieur de 1850 et 1851 ;

15° Le projet de loi accordant la faculté de passage pour le drainage,

- Pris pour notification.

Projet de loi sur la révision du régime hypothécaire

Transmission du projet amendé par le sénat

Le sénat renvoie à la chambre, amendé par lui, le projet de lui sur la réforme hypothécaire.

- La chambre, sur la proposition de M. le président, renvoie le projet à la commission spéciale qui a déjà examiné le projet.

Démission d'un membre de la chambre

Il est donné lecture de la lettre suivante :

« Neufchâteau, le 10 juin 1851.

« M. le président,

« J'éprouve le regret de devoir informer la chambre que des raisons imprévues et personnelles me mettent dans l'impossibilité d'accepter le mandat que les électeurs de l'arrondissement de Neufchàteau m'ont confié le 22 avril dernier.

« J'ai l'honneur, M. le président, de vous prier de recevoir l'expression de ma plus haute considération.

« A. Nothomb. »

Communication de cette lettre sera donnée à M. le ministre de l'intérieur.

Communication du gouvernement

Historique des pourparlers ayant conduit à la continuation du gouvernement actuel

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, dans la séance du 17 mai, j'ai eu l'honneur de faire connaître à la chambre que, par suite des votes émis dans la discussion du projet de loi sur les successions, les nombres du cabinet avaient cru devoir remettre leurs démissions entre les mains du Roi, en priant Sa Majesté de vouloir bien constituer une administration nouvelle.

Sa Majesté appela successivement auprès d'Elle plusieurs personnages que leur position, leurs antécédents et l'état de l'opinion politique dans le parlement, indiquaient particulièrement à son choix.

Chacun de ces personnages reçut de Sa Majesté la mission de composer une administration nouvelle.

L'honorable président du sénat a eu l'occasion d'exposer dans une autre enceinte les motifs de son refus. Il appartient à ceux de nos collègues qui ont reçu les mêmes ouvertures de la part de Sa Majesté, de s'expliquer sur les circonstances qui ont déterminé leur abstention.

Les diverses tentatives faites par Sa Majesté n'ayant pas atteint leur but, Sa Majesté n'a pas pensé qu'il fûat opportun de les pousser plus loin, et par une lettre du 4 juin, Elle nous a fait connaître le résultat négatif de ses démarches, en insistant pour que les ministres démissionnaires reprissent la direction des affaires. Le Roi nous faisait l'honneur d'ajouter que, plein de confiance dans les membres du cabinet, il considérait leur maintien aux affaires comme la meilleure solution de la difficulté.

Voulant répondre aux désirs et à la confiance si bienveillante de Sa Majesté, reconnaissant en outre les inconvénients graves d'une crise trop longtemps prolongée, les ministres se sont décidés à retirer leurs démissions, et après avoir mûrement délibéré sur les moyens de réaliser leurs vues, ils n'ont pas désespéré de résoudre, utilement pour le pays et honorablement pour tous, les difficultés du moment.

Rétablir l'équilibre dans les finances et préparer des ressources sérieuses et suffisantes pour l'exécution de grands travaux d'utilité publique, tel est le double but que le ministère persiste à poursuivre, et qui est aussi, croyons-nous, dans la pensée de la grande majorité de cette chambre.

Ce n'est pas sur la nécessité de créer des ressources nouvelles que le désaccord a pu se manifester. La divergence d'opinion a surgi ou s'est fait pressentir au sujet de quelques-unes des dispositions financières proposées ou annoncées à la chambte.

Après un nouvel examen, nous avons reconnu que ces dispositions pouvaient subir des modifications qui, tout en procurant au trésor des ressources équivalentes, semblent de nature à faire cesser les dissidences et à réunir en faveur des projets financiers du gouvernement la majorité qui l'a soutenu dans toutes les questions importantes.

M. le ministre des finances exposera à cet égard les vues du cabinet.

D'après ce qui vient d'être dit, on comprendra les motifs qui nous ont fait désirer que l'ajournement de la chambre fût prolongé de quelque temps. Cet intervalle a été mis aussi à profit pour achever l'examen des questions et continuer les négociations relatives aux travaux publics.

Enfin, et ce fut là notre principal motif de demander un ajournement, nous avons pensé qu'à la suite de la crise ministérielle, la chambre était en droit de s'attendre à ce que le cabinet se présentât complet devant elle. Nous touchions d'ailleurs au terme qui, dans la pensée du gouvernement, avait été assigné à l'intérim du ministère de la guerre.

Pendant la période transitoire qui suivit la retraite du général Brialmont, des comités spéciaux avaient été chargés de l'étude préparatoire des diverses questions qui concernent notre établissement militaire. Les travaux de ces comités, dont je ne saurais trop louer le dévouement et le zèle, étant terminés, il y avait lieu d'en soumettre les résultats à l'examen impartial de la commission que le gouvernement, d'accord avec les chambres, a résolu d'instituer. Le moment était venu dès lors de donner au département de la guerre un chef définitif qui s'associât aux travaux de cette commission et aux propositions qui doivent en être la suite. En conséquence, je priai respectueusement Sa Majesté de vouloir bien me décharger de la mission temporaire qu'Elle m'avait confiée, et l'honorable général Anoul s'étant mis complètement d'accord avec les membres du cabinet, un arrêté royal du 13 juin l'appela au département de la guerre.

Je me plais à constater que, pendant les cinq mois de ma gestion intérimaire, ni la force matérielle de l'armée n'a été amoindrie, ni sa discipline n'a été atteinte, ni l'excellent esprit qui l'anime ne s'est un seul jour démenti.

Nous devions à la chambre les explications qui précèdent ; si elles étaient jugées insuffisantes, nous sommes prêts à les compléter, et, sans les provoquer, nous attendrons les débats qui pourraient surgir.

En ce moment nous n'avons d'autres propositions à faire que celle-ci : la discussion du projet de loi sur les successions ayant été suspendue, nous demandons que cette discussion soit reprise. M. le ministre des finances indiquera immédiatement, si on le désire, les modifications apportées au projet de loi primitif.

M. le ministre de la guerre (M. Anoul). - Je me suis complètement associé à la pensée et au but du cabinet, bien convaincu que l'armée peut avoir toute confiance dans la sollicitude de mes collègues, non moins que dans le patriotisme des chambres.

Je me croirai heureux de pouvoir, par mon loyal concours, consolider notre établissement militaire, et placer l'existence et l'avenir de notre armée sur des bases fortes et stables, en dehors de toute incertitude et de toute contestation.

M. Verhaegen. - Messieurs, quand il s'agit de tentatives faites pour la constitution d'une nouvelle administration, il est du devoir de tout homme politique de rendre compte au pays de ses rapports officiels avec le chef de l'Etat.

Je ne vois donc aucun inconvénient à m'expliquer sur l'objet auquel il vient d'être fait allusion.

Dès le 17 mai, le Roi me fit l'honneur de me mander pour le lendemain, 18, à midi. Sa Majesté, après m'avoir entretenu du vote du 16 mai et de ses conséquences, m'offrit la mission de constituer un cabinet nouveau ; j'eus l'honneur de lui faire remarquer que j'étais un de ceux qui avaient chaudement appuyé le système du cabinet démissionnaire, quant à la nécessité de créer de nouveaux impôts et spécialement quant à l'établissement d'un droit de succession, même en ligne directe, et aux moyens d'en assurer le recouvrement. J'ajoutai qu'étant d'accord avec le cabinet sur tous les points de la politique, il m'était impossible d'accepter la mission dont je me trouvais honoré.

Et, en effet, messieurs, si j'avais accepté cette mission, il devait nécessairement se présenter de deux choses l'une : ou j'aurais substitué au système du cabinet démissionnaire un système nouveau, ou j'aurais reproduit identiquement le même système.

Dans le premier cas, j'aurais sacrifié une partie de mes convictions ; dans le second cas, je n'aurais amené qu'un changement de personnes, et ce changement, je le croyais inutile, dangereux même dans les circonstances actuelles. J'engageai donc le Roi à vouloir bien consulter quelques autres membres des chambres.

Sa Majesté me témoigna alors l'intention de faire appeler l'honorable président du sénat, et je me permis d'approuver hautement cette intention, parce que le sénat n'avait pas encore eu à s'occuper de la question qui venait de diviser la chambre, et qu'ainsi il ne devait pas se présenter pour l'honorable M. Dumon-Dumortier les mêmes difficultés que celles qui se présentaient pour moi.

Plus tard, et par suite du désir qui m'avait été exprimé au nom du Roi, j'eus un entretien avec l'honorable premier vice-président de cette chambre, dont celui-ci pourra rendre compte à l'assemblée, s'il le juge à propos.

M. Delehaye. - Je prierai M. le président de vouloir compléter ce qu'il vient de dire en rendant compte de l'entretien qu'il a eu avec moi.

M. Verhaegen. - Je me rends volontiers au désir que vient de manifester l'honorable premier vice-président, et je vais en quelques mots vous rendre compte de l'entretien que j'ai eu avec lui.

Après avoir parlé des tentatives successives faites par la Couronne pour former une administration nouvelle, je lui dis que si le Roi ne l'avait pas fait appeler, c'est qu'il s'était trouvé accidentellement faire partie d'une majorité qui n'était pas la majorité politique, et qu'ainsi son appel aurait pu, à tort ou à raison, être considéré comme un appel à un ministère mixte.

M. Dumortier. - Quel mal y a-t-il à cela ?

M. Verhaegen. - Je continue : Que, du reste, si l'un ou l'autre des membres appelés par le Roi pour constituer un cabinet, avait jugé à propos de s'associer l'honorable M. Delehaye, le Roi n'y aurait trouvé aucun obstacle.

M. Delehaye. - Je ne puis que confirmer ce que vient de dire notre honorable président. Ses paroles sont du reste conformes à celles qui ont été prononcées par l'honorable président du sénat.

M. Lebeau. - M. le ministre de l'intérieur a exprimé le désir très naturel et très légitime que des explications fussent données par les membres de la chambre qui ont eu l'honneur d'être appelés auprès de Sa Majesté peut l'aider de leurs conseils dans les circonstances faites au pays par le vote que nous connaissons tous.

Je viens à mon tour répondre à cette invitation.

Je me suis empresse de me rendre à l'appel de Sa Majesté ; mais j'ai cru devoir décliner la proposition, très formelle du reste, que Sa Majesté m'a faite de composer un cabinet, à peu près par les mêmes motifs que ceux de l'honorable président de la chambre.

J'ajoutai qu'un homme sérieux, appartenant à l'opinion libérale, ne pouvait songer à tenter la composition d'un cabinet, avant d'avoir fait auprès des ministres des efforts énergiques et persévérants pour les faire (page 1443) revenir d'une décision qu'une susceptibilité fort honorable, mais peut-être excessive, leur avait fait prendre, li n'y avait, selon moi, dans ce qui était arrivé, aucune raison pour changer le cabinet, attendu que la situation politique, la situation des partis parlementaires n'avait pas été affectée par le vote de la chambre.

Il y avait donc, pour tous ceux qui portaient un vif intérêt à ce que la crise ministérielle ne se prolongeât pas se terminât par la rentrée du cabinet, qu'à songer aux moyens les plus honorables, et pour le cabinet et pour la chambre, d'amener un rapprochement.

J'ai indiqué une base de transaction qui était déjà dans tous les esprits. Je crois que c'était là le conseil que donnait le patriotisme. Si je me suis trompé, je ne me suis pas trompé seul, comme on voit.

Je n'ai pas cru manquer aux convenances en donnant ces explications, que M. le ministre de l'intérieur a justement provoquées et qui sont conformes aux usages d'autres pays.

M. de Brouckere. - Messieurs, j’ai eu également l’honneur d’être appelé auprès de Sa Majesté, et, je dois le dire, le Roi m’a offert de la manière la plus formelle la mission de constituer un cabinet.

J'ai dû d'abord, sans entrer dans aucune espèce de considération, décliner cette mission, et la décliner de la manière la plus absolue, parce que je ne me considère pas comme un homme pdilique assez important pour constituer un cabinet. Ma raison d'êre homme politique. disais-je, c'est que je suis bourgmestre de la capitale. Or, en devenait ministre, je ne serais plus bourgmestre, j'aurais perdu ma raison d'être. (Interruption.)

Sous ce rapport, je n'ai pas besoin d'entrer dans des explications. Les votes de mes commettants sont là pour prouver que c'est le bourgmestre de Bruxelles qui a été élu en 1850, et non M. Ch. de Brouckère.

M. Dumortier. - Il y a eu de l'un et de l'autre.

M. de Brouckere. - C'était là une raison absolue, une raison péremptoire.

Quant à la situation du moment, j'ai ajouté que je partageais entièrement l'opinion du ministère, que j'avais voté les propositions que le ministère nous avait soumises, que, par conséquent, je ne pouvais, en aucune manière, remplacer mes amis, s'il avait eu un dissentiment politique, tandis que pour moi je ne voyais qu'un accident dans le vote de la chambre qui avait motivé la retraite des ministres.

Que, s'il n'y avait qu'un accident, le maintien du ministère était la meilleure solution de la crise ; que si, au contraire, il y avait un dissentiment politique, il fallait choisir le nouveau cabinet parmi les dissidents, c'est-à-dire dans la fraction libérale qui s'était détachée de nous.

M. le président. - Si personne ne demande plus la parole, je déclare l'incident clos.

M. Dumortier. - Un moment, M. le président. Je demande la parole. (Interruption.)

M. le président. - Vous avez la parole.

M. Dumortier. - Il y a encore quelqu'un qui doit nous donner des explications, c'est M. le ministre oes finances. L'honorable M. Rogier nous a dit tout à l'heure que M. le ministre des finances expliquerait la marche financière que le cabinet entend suivre. Je crois que le moment est venu de nous donner ces explications.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, après ce que mon honorable collègue, M. le ministre de l'intérieur, a dit tout à l'heure à la chambre, j'ai fort peu de chose à ajouter.

La chambre vient d'apprendre que le cabinet persévère dans les intentions que déjà il a fait connaître. Il persiste à poursuivre le double but de rétablir l'équilibre dans les finances et de préparer des ressources pour exécuter des travaux publics.

Nous avions pensé que les moyens soumis d'abord à la chambre étaient de nature à faire atteindre ce double but. Mais il était indispensable que les propositions qui ont été soumises à la discussion fussent entièrement adoptées par la chambre. Il était indispensable que ce qui restait du projet de loi sur les successions qui avait été divisé dans un esprit de conciliation, il était indispensable que ce projet fût adopté ; sinon le gouvernement était placé dans cette alternative : ou bien de renoncer à une partie du plan qu'il avait annonce ou bien de chercher à le réaliser à l'aide d'autres impôts et, dans sa pensée il n'y en avait pas qui eussent présenté les mêmes caractères de justice et d'équité, qui pussent dès lors recevoir l'assentiment de la chambre.

En effet, messieurs, veuillez-le remarquer, les impôts que nous possédons vous les connaissez tous ; vous savez si, en réalité, on peut en obtenir beaucoup plus que ce qu'ils procurent au trésor. Vous savez si l'on pourrait sérieusement venir parler dans cette chambre, d’augmener soit la contribution foncière, soit la contribution personnelle, soit les patentes. Vous savez si, à l’exception de certains objets de consommation, et notamment des denrées alimentaires, il serait possible d’obtenir un produit quelque peu considérable des droits de douanes, sauf le tabac, sont je dirai un mot tout à l’heure, vous savez si en matière d’accises, à l'exception de l'impôt sur le genièvre, tout autre ne serait pas de nature a soulever les plus vives objections.

En mutilant la loi des successiens, dans l'espérance de rallier la majorité, car, dans la prévision que d'autres impôts pourraient être plus facilement acceptes par la chambre, on persistait à se prononcer contre l’impôt en ligne directe, le gouvernement avait préparé un projet de loi relatif à l'accise sur les bières, un autre relatif à l'accise sur les genièvres, un troisième projet de loi destiné à introduire un impôt nouveau sur le tabac.

Ce qui restait de la loi sur les successions pouvait produire au trésor 1,200,000 ou 1,300,000 francs et, comme le rétablissement de l’équilibre financier exigeait 2,500,000 francs à 3 millions, que 2 millions au moins étaient nécessaires pour les travaux publics, il en résultait qu'une somme de 4,500,000 francs à 5 millions était indispensable.

Il fallait donc obtenir des bières, au moins un million ; des tabacs, une somme égale, des genièvres, 1,500,000 francs.

Je ne sais, messieurs, si la chambre aurait été disposée à accueillir notre proposition relative aux bières, tout modérée qu'elle fût. J'ai eu depuis le dernier vote de très graves raisons d'en douter ; je ne sais si la proposition relative aux tabacs aurait même été accueillie par la chambre, dans les termes modérés où le gouvernement l'avait formulée. Le tabac, aujourd'hui, est imposé seulement par un droit de douane ; ce droit de douane rapporte environ 700.000 fr. ; pour obtenir un million en plus, il fallait commencer par doubler le droit de douane, première et grosse difficulté. Doublant le droit de douane, il fallait nécessairement établir un droit à la culture ; car vous comprenez que si la culture n'avait pas été frappée d'un impôt, le droit de douane aurait constitué pour la culture du tabac une véritable prime, une prime énormissime et que bientôt une partie notable de l'impôt aurait été détournée de sa destination.

Nous avions pensé qu'en établissant le droit de douane au double de ce qu'il est actuellement, on pourrait demander comme droit à la culture une somme égale à celle que représenterait l'augmentation du droit de douane, c'est-à-dire 10 centimes par kilog. Or, un hectare de terre produit au minimum dans les bonnes cultures 3,000 kilog. de tabac ; il en résultait que l'impôt, égal seulement à l'augmentation du droit de douane, aurait été de 300 fr. par hectare.

Il était impossible d'atteindre par le droit de douane les cigares ; le droit qui les frappe aujourd'hui est déjà arrivé à une limite extrême, à tel point que la fraude s'empare en partie de notre droit et qu'en tout cas il ne procure maintenant au trésor qu'environ 80,000 fr.

Afin d'atteindre les cigares par l'impôt, le gouvernement avait songé à établir un droit de débit sur les cigares ; et de ces trois chefs, la douane, la culture et le débit des cigares, on pouvait espérer d'avoir une somme d'environ un million seulement sur le tabac.

Quelques personnes ont pensé qu'il était possible d'obtenir du tabac un produit beaucoup plus considérable. Il est vrai que si le monopole pouvait être établi en Belgique, on aurait un revenu bien plus notable ; mais le pays est trop petit ; sur neuf provinces, nous en avons huit qui sont des provinces frontières ; la fraude s'établirait sur une très vaste échelle, et s'emparerait de la presque totalité de l'impôt ; elle ne laisserait qu'une ou deux provinces soumises au monopole ; il y aurait injustice, préjudice pour le trésor, iniquité dans la répartition de l'impôt et une grande démoralisation.

Je dis que la fraude s'emparerait d'une manière très notable de l'impôt.

En effet, en France où le monopole existe, la fraude s'opère d'une manière très importante sur les diverses frontières et particulièrement sur la frontière belge. La régie française a été obligée d'établir des zones à prix réduits pour contrarier la fraude ; ces zones s'étendent non loin de Paris. Cependant la fraude continue à se faire sur une vaste échelle.

Cela indique clairement les résultats que nous obtiendrions.

Restait le droit sur les genièvres qui, je le suppose du moins, n'aurait pas souffert une grande contestation. Nous étions résolus à affronter les débats que les projets de loi, ainsi formulés, devaient nécessairement soulever. Mais du jour où la chambre a rejeté le seul de nos impôts qui était destiné à frapper les richesses mobilières et immobilières qui, aujourd'hui, échappent en grande partie à l'impôt, mais du jour où la chambre nous a montré par ses votes qu'elle nous réduisait à réclamer exclusivement des impôts de consommation, il nous a paru qu'il nous était impossible de persévérer dans la voie qui nous était indiquée.

Ce n'était pas, comme vient de le dire l'honorable M. Lebeau, de notre part une susceptibilité, susceptibilité qu'il a bien voulu d'ailleurs qualifier d'honorable ; c'était plus ; c'était une nécessité. Car que pouvait faire le cabinet ? Privé de la ressource que devait lui procurer la loi des successions, il devait indispeusablement augmenter, dans des proportions assez notables, les autres impôts qu'il avait l'intention de proposer à la chambre, et, par conséquent, il y avait certitude, dès ce moment, du rejet de ces impôts.

Depuis, conviés à rester aux affaires, nous avons cherché quels étaient les moyens honorables et pour la majorité et pour nous de sortir de la situation difficile dans laquelle on se trouvait ; nous avons pensé, et en cela nous ne faisions que revenir à l'application d'une idée que nous avions déjà indiqueé dans la discussion ; nous avons pensé qu'après les votes qui avaient eté émis, il était impossible de ne pas proposer de nouveau à la chambre l'impôt sur les successions en ligue directe, en y introduisant toutefois uie modification qui serait de nature à faire disparaître une des objections principales que ce projet avait soulevées.

Il nous a paru que cela était indispensable, car après avoir examiné mûrement chacun de nos impôts, et on sait qu'en fait d'impôts la matière est à peu près épuisée, après avoir examiné ce qu'il était ossible de faire, nous avons reconnu que de tous les impôts, l'impôt sur les successions en ligne directe était non seulement le plus juste, le plus légitime, mais aussi celui qui était le plus facile à voter.

La modification que nous proposerons à ce projet est de nature à faire (page 1444) taire certaines susceptibilités. On a objecté principalement contre l'impôt sur les successions en ligne directe, qu'il inspire quelque répugnance, parce qu'il met les enfants dans l'obligation de faire connaître la situation de l'actif et du passif de la famille.

Nous devons reconnaître qu'il y a là un certain inconvénient ; eh bien, nous avons cherché à y obvier, et, dans ce but, ce qui nous a paru le plus pratique, le mieux concilier les divers intérêts, c'est de laisser l'option aux parties de faire porter la déclaration, soit sur l'actif net, soit sur l'actif brut des successions, de fixer le droit à 1 p. c. sur l'actif net ou bien à 3/4 p. c. sur l'actif brut. De cette manière il sera loisible aux parties de ne faire connaître qu'une situation qui n'a rien de fâcheux.

Il y aura encore quelques autres modifications peu importantes à introduire dans le projet de loi ; je les indiquerai au moment où la discussion se présentera ; mais la seule qui soit fondamentale, la seule qui doive appeler l'attention de la chambre, la seule qui soit faite en vue de ramener l'union dans le sein de la majorité, est celle que j'ai l'honneur de faire connaître en ce moment à la chambre. Nous avons l'espoir que la majorité de la chambre, comprenant comme nous toutes les difficultés de la situation dans laquelle nous nous trouvons, se ralliera aux propositions qui sont faites par le gouvernement.

M. Vilain XIIII. - Abandonnez-vous les droits relatifs aux bières et au tabac ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'honorable M. Vilain XIIII me demande si le gouvernement renonce aux projets relatifs aux bières et au tabac ; je vais m'expliquer.

Le projet de loi sur les successions, tel qu'il sera maintenant mofdifié, et en supposant que la chambre revienne, comme nous le demanderons, sur la disposition relative au droit entre époux, et le serment écarté, produirait encore une somme de 2,400,000 fr.

Nous avons dit que, pour rétablir l'équilibre des finances, une somme de 2,500,000 fr. à trois millions était nécessaire.

Ainsi, ce seul impôt suffirait pour fournir à peu près le minimum nécessaire pour rétablir l'équilibre. Il resterait à pourvoir aux ressources destinées à l'exécution des travaux publics. Nous pensons qu'une somme de deux millions devrait être affectée à cet objet.

Je ne veux pas entrer maintenant dans des détails relativement aux travaux publics ; mais si l'équilibre des finances est rétabli, le gouvernement a l'intention de proposer à la chambre de garantir un minimum d'intérêt à certaines compagnies qui déjà ont exécuté dans le pays des travaux assez importants qui sont aujourd'hui improductifs ou à peu près. Si les arrangements conclus par le gouvernement ou qui restent à conclure, pour lesquels des négociations sont encore pendantes, si ces arrangements venaient à être réalisés entièrement, il y aurait à garantir, pendant un temps limité, un intérêt de 4 p. c. sur une somme d'environ 40 millions. Il est possible que les négociations que l'on suit en ce moment portent encore ce capital à un chiffre plus élevé. Mais alors la masse des travaux s'accroîtrait encore. Comme ces travaux sont de nature à donner eux-mêmes des produits, que d'ailleurs cette garantie ne peut être réalisée que dans un espace de temps assez éloigné, dans quelques années, il a paru que le gouvernement ferait tout ce que la prudence commande s'il pourvoyait dès ce moment à un et demi ou 2 p. c. des sommes à dépenser.

Le gouvernement exécutera de son côté des travaux d'utilité publique pour une somme de 25 millions de francs. Pour faire face aux intérêts de la somme qu'il sera nécessaire d'emprunter de ce chef, il faudra 1,250,000 fr. Il y aura donc, de ce chef deux millions, ainsi que je viens de l'indiquer tout à l'heure.

Au moyen de cette somme, le gouvernement a l'espoir de pouvoir faire décréter des travaux qui seront entrepris sans retard pour plus de cent millions de francs.

D'une part, la compagnie du Luxembourg consentirait, moyennant la garantie sur une somme de 22,500,000 fr,, à exéculer le canal de l'Ourthe, dont la dépense est estimée à 5 millions, le chemin de fer direct de Bruxelles à Namur qui exigera plus de 20 millions et le chemin de Namur à Arlon, estime à plus de 20 millions.

La compagnie du chemin de fer de l'Entre-Sambre-et-Meuse exécuterait, moyennant une garantie sur 5 millions de francs, de travaux à concurrence de 10 millions de francs.

La compagnie du chemin de fer de la Flandre occidentale, moyennant une garantie sur un capital fixe de dix millions (ces négociations ne sont pas encore terminées ; mais rien ne s'oppose à ce que j'en indique les bases générales) exécuterait les chemins de fer de la Flandre occidentale, sauf certains points sur lesquels on aura à s'expliquer ultérieurement.

Il resterait encore des travaux à concéder, soit avec la garantie d'un minimum d'intérêt, soit par un système de concession nouveau que le gouvernement aurait à soumettre à la chambre.

Bref, au moyen de 25 millions à dépenser par le gouvernement en travaux publics et de la garantie d'un minimum d'intérêt sur une somme de 40 millions, le gouvernement pourrait faire décréter des travaux pour plus de cent millions de francs.

Nous croyons que, dans les circonstances actuelles, il serait très important de faire décréter ces travaux.

Quel serait le moyen de faire face à ces deux millions d'impôts nouveaux nécessaires pnur ces travaux d'utilité publique ? Le gouvernemen n'aurait à demander à l'accise sur la bière que 3 ou 4 cent mille francs.

Pour le tabac, le gouvernement a l'intention de proposer d'établir un droit de débit : il y aurait deux catégories : une pour les débits de tabac, l'autre pour les débits de cigares. Ce droit du débit serait analogue à celui qui existe aujourd'hui sur les boissons distillées. Nous pensons qu'on pourrait en tirer une somme de 300,000 francs.

L'accise sur les genièvres serait augmentée de manière à produire en plus 1,500,000 fr. Ainsi nous aurions plus de 2,000,0000 de fr. de ces trois chefs seulement, sans parler de quelques autres ressources qu’on peut trouver dans des projets déjà déposés.

Par conséquent, au moyen du droit de succession en ligne directe, tel qu'il serait modifié, et à l'aide des lois que je viens d’indiquer, le gouvernement obtiendrait les sommes qui lui sont nécessaires pour faire facen tant au rétablissement de l’équilibre dans les finances, qu’aux travaux publics qu’il a le projet de faire exécuter.

M. de Theux. - Le gouvernement vient d'engager la chambre à reprendre la discussion du projet de loi sur les successions. M. le ministre des finances a annoncé l'intention de proposer des amendements à ce projet. Je crois que, pour que la chambre puisse discuter ces amendements avec maturité, pour qu'il n'y ait rien d'imprévu dans la discussion, il conviendrait que le gouvernement, qui a eu le temps de méditer ces amendements, les communiquât dès maintenant à la chambre. Alors nous aurions le temps de les examiner avant d'aborder la discussion.

Je demande que ces amendements nous soient communiqués dans leur ensemble, qu'on ne se borne pas à nous les communiquer au fur et à mesure que les articles se présenteront à la discussion. Je crois que c'est le droit de la chambre de le demander. Je crois même qu'il est de son devoir de l'exiger et de ne pas entamer cette discussion avant d'être saisi complètement des vues du gouvernement.

C'est d'autant plus nécessaire, que M. le ministre des finances nous a annoncé qu'il maintenait le principe du droit de succession en ligne directe, après avoir reconnu que la chambre éprouvait pour ce droit une aversion qu'il paraissait au gouvernement impossible de surmonter dans la session qui vient d'être interrompue.

C'est d'autant plus important que M. le ministre des finances annonce l'intention de reproduire le droit de succesion entre époux, droit que la chambre a déjà rejeté par un vote formel.

Messieurs, ce que je dis relativement au droit de succession, me paraît devoir s'appliquer également aux autres impôts.

M. le minisire des finances vient de nous faire une énumération des divers impôts qu'il se propose de demander à la chambre. Mais pour que la chambre puisse, en connaissance tle cause, apprécier le système du gouvernement, il convient que le gouvernement la saisisse de tous les projets qu'il se propose de mettre en discussion. Jusqu'à présent, nous n'avons que des indications vagues ; et il importe en cette matière d'avoir des projets précis et complets. Cela est d'autant plus nécessaire, que dans la pensée du gouvernement, le système d'impôts qu'il propose fait un corps ; c'est un système.

Or, pour apprécier un système, il ne suffît pas d'être saisi d'un de ses éléments ; il faut être saisi de tous les éléments. Alors les chambres auront à apprécier, si leur intention est d'aggraver les impôts, dans quelle proportion elles veulent aggraver chaque catégorie d'impôt.

En ce qui concerne les travaux publics, je ferai également la même observation.

On nous a annoncé l'intention de donner ouverture à des travaux publics pour une somme de 100 millions, somme qui pourrait être couverte, a dit M. le ministre des finances, par des impôts ne s'élevant pas au-delà de 2 millions.

Mfssieurs, c'est là une appréciation personnelle de M. le ministre des finances.

La chambre, avant de s'engager dans la voie du vote d'une quantité d'impôts qui, quoi qu'on en dise, seront toujours vus avec grand déplaisir, doit savoir si les impôts que l'on demande sont indispensables en présence de la nécessité ou de la très grande utilité des travaux que l'on présente. Cent millions de travaux seraient sans doute très agréables au pays : deux millions pour les couvrir, c'est différent. Mais encore faut-il savoir, si la chambre se décide à accorder deux millions d'impôts, si ces deux millions seront réellement bien suffisants. Car il se pourrait bien qu'après s'être engagé dans la voie de l'établissement de nouveaux impôts, avec le désir d'obtenir des travaux pour cent millions, et de n'affecter que deux millions au payement des intérêts des sommes consacrées à ces travaux, ce ne serait pas deux millions, mais quatre millions, six millions qu'il faudrait voter.

Messieurs, nous en avons eu un exemple par les sociétés qui ont demandé et obtenu des concessions ; elles ont commencé de grands travaux ; elles les ont laissés inachevés. Mais que de grands travaux soient commencés avec l'intervention de l'Etat, il ne s'agit pas de les laisser inachevés ; il faut les terminer. Avant de se prononcer sur une partie quelconque d'un système de travaux publics, il faut que la chambre soit saisie de l'ensemble de ces travaux publics, de manière à apprécier à quoi le pouvoir législatif s'engage. Si l'on agit d'une autre manière, on agit de la manière la plus imprudente.

Car il pourrait très bien arriver qu'après avoir garanti, par exemple, 4 p. c. pour la construction d'un chemin de fer, ce chemin de fer, une (page 1445) fois construit, ne donnât pas seulement des revenus suffisants pour son exploitation. Que fera le gouvernement dans ce cas ? Se bornera-t il à payer 4 p. c. d'intérêt et laissera-t-il la voie inexploitée ? Assurément non. La compagnie, les localités intéressées viendront demander que le gouvernement fournisse les moyens d'exploitation.

Il faut donc que la chambre soit saisie de projets complets ; sinon, elle s'engage en aveugle à voter des impôts dont la limite lui reste inconnue, et je ne pense pas que telle soit notre mission. Il faut savoir à quoi nous engageons le pays ; non pas à quoi nous engageons individuellement notre responsabilité politique, mais à quoi nous engageons le pays. Notre mandat ne nous permet pas d'aller au-delà. Engager le pays d'une manière aveugle, d'une manière inconsidérée, cela n'est pas permis à la législature. Il faut qu'elle sache positivement à quoi elle s'engage.

M. Loos. - Je demanderai à M. le ministre des finances si parmi les travaux dont le gouvernement nous proposera l'exécution, se trouve l'achèvement du canal de la Campine. C'est un travail qu'il importe au plus haut point d'exécuter dans l'intérêt du pays.

Je l'ai dit à la chambre dans une foule d'occasions, le canal de la Campine coûte déjà au pays beaucoup d'argent et cet argent est complètement improductif ; il le sera jusqu'à l'achèvement des travaux.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'honorable comte de Theux a demandé que l'amendement que le gouvernement se propose d'introduire dans le projet de loi sur les successions, soit déposé et imprimé. Nous n'avons aucune objection à faire à cette demande. Je fais seulement remarquer que l'amendement que j'ai annoncé est d'une extrême simplicité, que chacun a pu le saisir à la première audition, et qu'il n'exigera, je pense, de la part de personne de très longues méditations pour être bien compris.

M. Coomans. - Vous avez réfléchi trois semaines.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'honorable M. Coomans suppose que j'ai réfléchi trois semaines pour comprendre l'amendement que j'ai l'intention de soumettre à la chambre. L'honorable membre se trompe. Nous avons dû réfléchir à bien d'autres choses. Nous avons réfléchi notamment aux travaux publics, dont je viens de donner tout à l'heure un aperçu. Et, quoique nous ayons eu trois semaines, toutes les négociations ne sont pas encore terminées.

Cet amendement donc, messieurs, est d'une extrême simplicité ; il se borne à ceci : le droit est de 1 p. c. sur l'actif net de la succession ou de 3/4 p. c. sur l'actif brut, au choix du déclarant. Veut-on faire connaître le passif, on déclare l'actif net et on paye 1 p. c. ; ne veut-on pas faire connaître le passif, on déclare l'actif brut et on paye 3/4 p. c.

L'honorable membre nous a dit qu'il était assez étrange de voir le gouvernement reproduire une disposition qu'il avait reconnue, lui, être inacceptable, il y a fort peu de temps. L'honorable M. de Theux s'est trompé ; le gouvernement a dit une chose : il a dit que dans sa pensée, l'impôt sur les successions en ligne directe était repoussé bien moins parce que c'était un impôt sur les successions en ligne directe que parce qu'il s'agissait d'un impôt, qu'il était repoussé comme, probablement, (c'était là ma pensée) comme, probablement, devaient être repoussés beaucoup d'autres impôts.

J'ajoutais que, dans une telle circonstance, dans un pareil état des esprits, il ne fallait point soumettre la question à un vote, parce que, alors, presque inévitablement, le principe aurait été condamné, soit dans cette chambre, soit dans l'autre ; mais nous annoncions, en même temps, que si le projet de loi sur lequel la discussion était alors ouverte, venait à être rejeté par la chambre, ou si d'autres projets que le gouvernement voulait encore proposer, étaient ultérieurement repoussés, le gouvernement aurait à aviser s'il ne devait pas dans ce cas reproduire le droit sur les successions en ligne directe ; c'est ce qui se trouve consigné dans les Annales parlementaires, séances des 2 et 15 mai ; il est inutile de chercher à travestir à cet égard la pensée du gouvernement : elle a été très clairement, très nettement exprimée.

Nous venons donc proposer l'impôt sur les successions en ligne directe parce que les conditions que nous avions cru devoir indiquer comme faisant au gouvernement une position acceptable, n'ont pas été admises. Maintenant nous disons que tous les dissidents, tous ceux qui ont fait opposition à ce projet peuvent honorablement se rallier à nous ; car nous faisons une concession ; sans modifier le principe, nous offrons un mode d'application qui fait disparaître l'objection que l'on pouvait considérer comme la plus sérieuse parmi toutes celles qui ont elé présentées.

L'honorable M. de Theux demande que le gouvernement dépose tous ses projets, qu'il dépose les projets de lois d'impôts, les projets de lois relatifs aux travaux pubilcs.

C'est encore une fois la même question que celle qui a été écartée par la chambre lorsque nous avons demandé la mise à l'ordre du jour, du projet de loi sur les successions, la première fois. Nous avons à nous occuper avant tout, parce qu'il n'y a rien à faire, selon le gouvernement, si la question n'est pas résolue dans le sens indiqué par lui, nous avons à nous occuper avant tout de la question financière, du rétablissement de l'équilibre dans les finances de l'Etat, et pour rétablir l'équilibre dans lis finances de l'Etat, nous demandons à la chambre de voter la loi des successions lelie que nous la modifions. De deux choses l'une : ou nos propositions seront admises ou elles seront rejetées ; si elles sont rejetées, la ligne de conduite à tenir par le gouvernement est naturellement indiquée ; si elles sont admises, nous déposerons alors les autres projets d'impôt et les projets relatifs aux travaux publics.

C'est ce que nous avons déjà eu l'honneur de dire a la chambre, le 3 et le 15 mai. La chambre n'agira donc pas en aveugle ; elle n'aura pas à voter des impôts comme le suppose M. de Theux sans savoir quels sont les travaux publics à exécuter, sans savoir quelle est la dépense dans laquelle on s'engage, sans savoir si les dépenses qu'il s'agit de cou-rir par des impôts que nous évaluons à plus de deux millions, ne s'élèveront pas à cinq ou six millions, comme le suppose encore l'honorable M. de Theux.

Comment ! nous irions compliquer la question déjà si difficile qui se présente en ce moment, nous irions la compliquer de la question relative aux travaux publics, de la question de savoir si l'on exécutera tel canal, tel chemin de fer, tel ou tel autre travail, alors que nous ne savons pas encore si la chambre consentira à nous suivre dans les propositions que nous lui faisons pour rétablir l'équilibre dans les finances de l'Etat !

Il faut commencer par vider ce point : la chambre veut-elle, oui ou non, rétablir l'équilibre dans les finances de l'Etat ? Car si elle ne le veut point, nous n'avons pas à nous occuper de travaux publics, les débats relatifs aux travaux publics seraient complètement oiseux. Ajournons donc ces discussions et occupons-nous avant tout de rétablir l'équilibre dans les finances de l'Etat.

Les motifs que je viens d'indiquer me dispensent aussi, je crois, de répondre à l'interpellation qui nous a été adressée par l'honorable M. Loos.

Je me suis borné tout à l'heure à indiquer certains travaux publics, à l'égard desquels une garantie d'intérêts est réclamée.

J'ai ensuite indiqué d'une manière assez sommaire que le gouvernement avait l'intention de proposer un emprunt de 25 millions, à appliquer à des travaux de diverses natures qui seraient exécutés par le gouvernement ; tout le monde sait que le travail dont a parlé l'honorable M. Loos sera nécessairement au nombre des travaux à exécuter ; mais je crois que nous devons nous abstenir d'entrer dans une discussion sur ce point, car le gouvernement serait assailli d'interpellations portant sur les travaux qu'il s'agirait d'entreprendre, et toute discussion à cet égard serait prématurée.

Je prie la chambre de persister dans la voie où elle est entrée lors de la première mise à l'ordre du jour du projet de loi sur les successions, c'est-à-dire de s'occuper avant tout de ce projet, qui est destiné à rétablir l'équilibre dans les finances de l'Etat.

M. Dumortier. - M. le ministre des finances vient de nous indiquer quel est le système d'impôts qu'il a l'intention de demander au pays, et les conditions auxquelles le ministère consent enfin à rester aux affaires. M. le ministre nous a dit avec détail quels sont les projets sur lesquels nous serons appelés à donner un vote de garantie d'intérêt. Ceux-là il les connaît très bien ; il indique même ceux dont la négociation n'est point encore terminée ; mais la chose la plus importante, la chose que le pays doit connaître avant tout, ce sont les travaux publics qu'il s'agit de faire exécuter par le gouvernement lui-même, et, ceux-là, M. le ministre ne dit pas un mot, pas un seul mot.

Eh bien, lorsqu'on vient demander au pays des impôts nouveaux, il faut avant tout que le pays sache à quoi ces impôts sont destinés, il faut avant tout que le pays sache à quelle fin vous venez lui demander pour 5 millions d'impôts nouveaux ; le pays a droit de savoir ce qu'on veut en faire.

Je demande donc que le gouvernement, maintenant qu'il doit être trois fois sincère, puisqu'il reprend les affaires, je demande que le gouvernement dise quels sont les travaux publics qu'il a l'intention de présenter à la chambre. Puisqu'il a indiqué ceux que des compagnies doivent faire, il doit être mieux informé encore quant à ceux dont les projets sont faits et existent dans son cabinet.

Si le gouvernement refuse de répondre à la question, le pays saura qu'on lui cache la vérité, qu'on ne veut pas lui faire connaître les dépenses auxquelles on veut faire contourner les impôts qu'on demande aujourd'hui au peuple.

J'insiste sur cette question, car s'il est très vrai que le gouvernement doit, en tout temps, être prêt à faire connaître au pays ses intentions, quant à la position financière, cela est vrai surtout, lorsque le gouvernement reprend les affaires ; il vient présenter au parlement son programme politique ; la partie importante de ce programme, les travaux publics, est encore ignorée. Si le gouvernement persistait à se taire sur ces travaux, le pays aurait lieu de croire que ces travaux sont des choses que le gouvernement n'ose pas même avouer.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous nous reprocheriez alors de vouloir influencer la chambre.

M. Dumortier. - Je vous reprocherais, dites-vous, de vouloir influencer la chambre ; nous y viendrons tout à l'heure ; je vous remercie de l'interruption.

Messieurs, le gouvernement propose de rétablir le droit de succession en ligne directe, et M. le ministre des finances consent à déposer à l'avance les amendements qu'il a l'intention de présenter à la chambre. Pour mon compte, je crois que le gouvernement n'a pas d'amendement, à proposer, mais qu'il est nécessaire de présenter un projet de loi pour reproduire la disposition qui a été retirée ; le gouvernement n'a pas le droit de présenter un pareil projet de son autorité privée, sans l'intervention royale ; la Constitution est positive ; le gouvernement présente, au nom du Roi, des amendements ; mais un ministre ne peut pas, comme ministre, reproduire, sans l'intervention royale, une disposition qui (page 1446) a été retirée ; il ne peut le faire que comme simple député ; et alors sa proposition devrait être renvoyée aux sections et subir toutes les formalités indiquées par le règlement. (Interruption.)

Messieurs, il est inscrit au procès-verbal de la chambre que l’article relatif aux successions en ligne directe a été retiré, cet article n’existe plus ; je le répète, cela est acté au procès-verbal. Il faut donc que le gouvernement vienne présenter un nouveau projet de loi ; la chambre ne pourrait être saisie de la discussion dont parle M. le ministre des finances que par un projet de loi ou par l'initiative de M. Frère, agissant comme député. Je demande qu'au besoin on donne lecture du procès-verbal.

M. le ministre de l'intérieur me disait tout à l'heure que si le gouvernement indiquait dès à présent tous les travaux à faire, on viendrait l'accuser de vouloir influencer l'assemblée.

Le ministère ne veut donc pas influencer l'assemblée. Effectivement, il dit que le cabinet consent à rester aux affaires ; qu'il consent à y rester d'une manière honorable pour ses amis et pour lui.

Or, messieurs, quelle est cette manière honorable et pour lui et pour ses amis, au moyen de laquelle le ministère consent à rester aux affaires ? C'est, messieurs, de faire passer la majorité par un vote qu'elle ne voulait pas émettre. Le gouvernement l'a hautement reconnu lui-même, lorsqu'il a retiré l'article premier du projet de loi. C'est de dire à la majorité : « Vous allez voter aujourd'hui pour nous ce que nous avons solennellement déclaré à la chambre et en face du pays, que vous aviez la plus grande répugnance à voter ; vous allez voter aujourd'hui pour nous ce que votre conscience vous disait de ne pas voter. »

Voilà, messieurs, la transaction honorable pour ses amis, que le gouvernement présente aujourd'hui !

Le gouvernement dit qu'il ne veut exercer aucune espèce d'influence sur le vote de cette même majorité, et il lui déclare immédiatement après que si elle rejette ses propositions, la ligne de conduite que le gouvernement s'est tracée, est indiquée.

Voilà donc une question de cabinet que vous posez à la majorité dans un moment, dans le moment même où vous lui déclarez que vous ne voulez nullement influencer ses votes. Ainsi vous voulez la forcer à voter ce que vous avez dit vous-mêmes être contraire aux convictions personnelles de la majorité, à voter ce que vous avez été forcés de retirer en reconnaissant que ce vote excitait chez vos amis la plus vive répugnance. Et vous menacez ensuite la majorit d'une question de cabinet, si elle paraissait vouloir refuser son consentement à un pareil vote.

Messieurs, je demanderai à M. le ministre des finances ce qu'il fait des opinions qu'il professe dans cette assemblée. Ainsi, dans cette même discussion, l'honorable M. Orts avait reproché au gouvernement de n'avoir pas fait du droit de succession en ligne directe une question de cabinet, chose précisément semblable à celle qu'on annonce aujourd'hui être dans l'intention de le faire.

L'honorable M. Frère se lève immédiatement ; il entre dans une sainte colère, il accuse M. Orts de malveillance, il s'écrie : « Une question de cabinet sur une question d'impôt ! mais s'il est interdit au gouvernement de faire des questions de cabinet, c'est sur des matières d'impôt. Jamais nous ne ferons de questions de cabinet sur un pareil sujet. » Et aujourd'hui le gouvernement fait précisément ce qu'il se défendait alors avec tant de véhémence vouloir faire, ce que l'honorable M. Orts lui reprochait alors de ne pas faire. (Interruption.) L'honorable M. Orlt ne me démentira pas. Vous auriez beau invoquer le Moniteur ; le Moniteur a passé par les mains des ministres ; mais la mémoire de chacun de vous est la pour affirmer que ce que je viens de rappeler de la première discussion a été réellement dit comme je l'ai indiqué.

Messieurs, que vient dire aujourd'hui le gouvernement ? Il vous dit : Il ne s'agit ici que de régulariser la situation financière ; commençons par rétablir l'équilibre dans les finances de l'Etat, et puis nous parlerons des travaux publics.

Messieurs, on l'a déjà dit, et on ne saurait assez le répéter, les finances de l'Etat ne sont pas dans la situation de désordre qu'il plaît à M. le ministre des finances d'indiquer, lorsqu'il a l'intention de faire passer, je le dis sans détour, la dérivation de la Meuse, car voila le fond du sac, voilà ce qu'on n’ose pas avouer au pays.

La question de cabinet qui se pose aujourd'hui est la question de la dérivation de la Meuse. On n'ose pas avouer en face du pays qu'on vient demander des impôts nouveaux, afin de prouver a une ville très estimable sans doute... (Interruption.)

M. le président, je ne pensais pas qu'il fût permis de chuchoter dans les tribunes ; voila trois fois que cela arrive.

M. le président. - Je n'ai rien entendu ; si j'avais entendu, j'aurais réclame le silence.

M. Dumortier. - Messieurs, pour donner à une ville très estimable sans doute le moyen de s'arrondir, de devenir plus grande que la capitale, on dépensera des millions que le pays payera ; c’est pour cela qu'on veut mettre un impôt sur les successions en ligne directe ; car d'une part le desordre des, finances n'existe pas au point indiqué par M. le ministre des finances ; d’utre part, il serait facile, avec des moyens modérés et sans recourir à des moyens extrêmes que le pays repousse, de rétablir l'équilibre.

On garde en réserve les travaux publics, et l'on fait valoir la question de l'équilibre financier, pour faire voter à la chambre un impôt que le pays repousse, et dont la majorité ne voulait pas.

Pour moi, je crois que le gouvernement doit au pays de lui faire connaître l’ensemble de ce sprojets, qu’il ne peut cacher au pays les travaux publics qu’il projette.

Vous revenez aux affaires : c’est comme si vous n’y aviez pas été : votre programme doit être sincère, complet ; vous n’avez pas le droit de cacher au pays les travaux que vous voulez exécuter au moyen des impôts que vous voulez demander au pays.

Je demande une explication franche, catégorique sur ce point. Si elle est refusée, le pays en jugera.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'honorable M. Dumortier a une habitude constante : c'est celle d'attribuer à ses adversaires des paroles ou des intentions qui ne sont pas les leurs.

Tout à l'heure, il vient de vous dire, avec une imperturbable assurance, que j'avais déclaré, il y a peu de temps, qu'on ne pouvait faire une question de cabinet sur une question d'impôt, sur la question de succession en ligne directe. Il l'a dit ; il l'a affirmé ; et je dois le déclarer, pour me servir d'un terme parlementaire, c'est la la contre-vérité la plus flagrante qui ait été prononcée dans cette enceinte.

M. Dumortier. - Chacun peut s'en souvenir.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Oui chacun peut s'en souvenir. Mais voici ce que je trouve dans les Annales parlementaires, et ce que du reste vos honorables voisins, l'honorable M. Orts notamment, auquel je fais moi-même appel, confirmeront.

J'ai dit qu'on ne faisait ces questions qu'à la dernière extrémité.

« ... Est-ce que l'honorable membre approuverait, lui, membre de la majorité, est-ce qu'il approuverait le gouvernement créant des embarras, dissolvant la majorité, faisant une situation très difficile au pays, sur un impôt, sur un acte isolé ?

« Il n'y a pas d'homme assez absurde pour le prétendre, pour le conseiller. Il n'y en a pas.

« Que sur l'ensemble des mesures à soumettre à la chambre, il y ait déclaration du cabinet, qu'en cas de refus de concours, le cabinet serait obligé de se retirer, c'esl là ce que le bon sens avoue ; c'est là ce que tout le monde comprend.

« Si le gouvernement constatait par des actes successifs, que la majorité refuse de lui donner les moyens d'atteindre le but principal qu'il se propose à l’heure qu'il est, celui de rétablir l'équilibre entre les recettes et les dépenses de l'Etat, il ne serait pas nécessaire, messieurs, de poser la question de cabinet : sans avoir exprimé sa pensée à cet égard, chacun comprend qu'il ne resterait qu'une seule issue ouverte, et, en tout cas, la ligne de conduite du minisire des finances serait nettement indiquée. »

Ainsi, ma réponse à M. Dumortier était écrite d'avance. La chambre pourra ainsi apprécier le degré de confiance que méritent les assertions de l'honorable membre.

M. Dumortier. - J'ai bonne mémoire.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'honorable M. Dumortier, répétant une grossière imputation qui, je le sais, est journellement colportée, vient vous dire que toute la situation difficile où nous nous trouvons, tous les débats que nous soulevons, tous les impôts que nous proposons, c'est pour un misérable intérêt local ; c'est parce que le ministre des finances veut faire voter la dérivation de la Meuse.

Peut-on concevoir un tel langage, une pensée moins digne que celle-là ? Peut-on concevoir une imputation qui soit plus contraire à la dignité gouvernementale ? Peut-on concevoir quelque chose de plus outrageant que la pensée que nous attribue l'honorable M. Dumortier ? Ceux-là seuls peuvent supposer aux autres de telles pensées qui sont capables de les avoir eux-mêmes.

M. Dumortier. - L’expérience prouvera si j’ai raison.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'expérience prouvera à tout le monde ce que valent vos assertions, vos calomnies !

M. Dumortier. - Je demande, M. le président, que l'orateur soit rappelé à l'ordre.

M. le président. - J'invite M. le ministre des finances à expliquer sa pensée.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Tout à l'heure sans qu'il ait été rappelé à l'ordre, M. Dumortier a dit, en s'adressant directement à moi, que toute cette situation naissait de ma volonté de faire prévaloir la dérivation de la Meuse, qu'au fond de cette discussion il n'y avait pas autre chose. C’est une calomnie.

M. Dumortier. - Et je le maintiens ; et je persiste à demander, M. le président, que l'orateur soit rappelé à l'ordre.

M. le président (M. Dumortier). - Pourquoi avez-vous dit que le ministre des finances ne proposait de nouvelles lois d'impôt qu'en vue de faire prévaloir la dérivation de la Meuse ?

M. Dumortier. - M. le président, ne me faites pas dire autre chose que ce que j'ai dit J'ai le droit de caractériser l’opinion du ministre. Vous l'avez plus d'une fois fait vous-même, M. le président. Mais les ministres n'ont pas le droit de se servir de telles expressions.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban) (s'adressant à M. Dumortier). - Vous n'avez pas le droit de m'imputer de pareilles pensées. Quand vous me les imputez, j'ai le droit de dire que c'est une calomnie, et je répète que c'est une calomnie. (Applaudissements dans les tribunes.)

M. Dumortier. - Il n'y a plus d'ordie dans l'assemblée.

M. le président. - Les personnes qui sont dans les tribunes ne doivent se permettre aucune manifestation ; elles doivent assister en silence aux délibérations de l’assemblée. Si les manifestations se renouvelaient, je devrais faire évavuur les tiibunes.

M. Dumortier. - Je demande si le mot « calomnie » est parlementaire. Dans ce cas, je m'en servirai à l'occasion.

(page 1447) M. le président (s'adressant à M. Dumortier). - Le mot « calomnie » n'est pas parlementaire. Mais l'imputation que vous vous êtes permise envers M. le ministre des finances ne l'est pas uon plus.

M. Dumortier. - Elle n'a rien d'odieux.

M. le président. - Vous ne pouvez supposer qu'un ministre présente tout un système d'impôts, uniquement en vue d'un intérêt local ; car en agissant' insi, il trahirait son devoir. Je regrette le mot « calomnie » dont s'est servi le ministre. Mais je regrette aussi l'imputation que vous vous êtes permise.

M. Malou. - Ainsi le mot « calomnie » devient parlementaire !

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Oui, il sera parlementaire de s'en servir aussi longtemps que vous serez offensant et injurieux comme vous l'êtes constamment.

M. Dumortier. - J'ai qualifié la conduite du gouvernement et je ne me suis pas servi d'expressions qui ne sont pas parlementaires.

M. de Theux. - Je demande la parole pour un rappel au règlement.

Messieurs, je dois m'élever contre l'expression dont s'est servi M. le ministre des finances. Ce n'est pas la première fois que nous entendons sortir de la bouche de quelques ministres des expressions auxquelles le parlement n'avait pas été habitué, et même, je crois, messieurs, que la dignité de nos débats, la liberté de nos discussions et leur autorité morale dans le pays exigent plus de modération dans nos expressions, et surtout de la part des organes du gouvernement.

L'honorable ministre des finances suppose que l'honorable député de Roulers, M. Dumortier, lui a attribué une pensée qui entraînerait à sa suite une accusation de nature à porter atteinte à sa considération. Mais, messieurs, il n'en est rien. L'honorable M. Dumortier a fait une appréciation de la conduite du gouvernement et, en faisant cette appréciation, chaque membre de cette chambre use de son droit.

L'honorable M. Dumortier n'a-t-il pas pu dire que M. le ministre des finances avait grandement en vue de faire prévaloir la dérivation de la Meuse ? Est-ce que l'honorable M. Dumortier a dit qu'en agissant ainsi, l'honorable ministre des finances agissait dans un intérêt personnel... ? (Interruption.)

Permettez, messieurs, Lissez-moi expliquer ma pensée. J'en ai le droit.

Si l'honorable M. Dumortier avait accusé M. le ministre des finances d'agir dans un intérêt personnel, ce serait sans doute une improbatîon odieuse et outrageante. Mais ce n'est pas là ce qu'il a dit.

L'honorable M. Dumortier a-t-il dit que la dérivation de la Meuse était demandée par M. le ministre des finances dans un intérêt exclusivement local sans égard aux intérêts généraux de l'Etat ? Non, messieurs, l'honorable membre n'a pas dit cela.

Ainsi, M. le ministre des finances pourrait poursuivre avec persévérance et par tous les moyens qu'il croit honnêtes, l'obtention de la dérivation de la Meuse sans être pour cela coupable de forfaiture à ses devoirs. Mais, messieurs, si une appréciation des actes, des intentions du gouvernement devait attirer à chacun de nous ces réprimandes d'avoir recours à la calomnie, je dis qu'il n'y a plus de liberté de discussion, qu'il n'y a plus de dignité dans nos débats.

M. le président. - Je dois rappeler ce qui s'est passé. M. Dumortier a dit qu'il y avait une pensée que M. le ministre des finances n'osait pas avouer, que M. le ministre des finances voulait cacher au pays, c'est qu'il n'était mû dans ses propositions que par le désir d'obtenir la dérivation de la Meuse. Il y avait là une imputation injurieuse.

M. Dumortier. - Permettez, M. le président. J'ai dit que le gouvernement devait donner au pays l'indication des travaux publics qu'il avait l'intention de faire exécuter, que si le gouvernement refusait de donner cette indication alors le pays verrait que c'est parce qu'on a quelque chose à cacher.

M. le président. - Vous avez accusé le ministre d'agir dans un intérêt purement local ; le ministre qui, dans les circonstances graves où nous sommes, agirait dans un intérêt purement local manquerait à ses devoirs.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, dans une autre enceinte, j'avais cru remarquer qu'une insinuation du même genre avait été dirigée contre moi. J'ai saisi l'occasion de m'expliquer sur le travail d'utilité publique auquel on avait fait allusion, et l'honorable M. Dumortier est d'autant moins excusable dans les imputations qu'il m'a adressées qu'il a assurément lu ces explications.

Or que résulte-t-il de ces explications, des faits, de la vérité ? C'est qu'il y a dix ans que ce travail d'utilité publique a été examiné, a été résolu par le gouvernement. C'est que ce sont les ministères précédents qui ont fait dresser les projets de ces travaux ; c'est qu'ils ont été faits, arrêtes, c'est qu'ils ont été l'objet d'un vote dans cette chambre avant l'avénement du ministère actuel.

Le 15 avril 1847, la chambre, malgré le gouvernement, reconnaissant l'urgence de ces travaux, reconnaissant qu'ils étaient indispensables, avait voté une première somme pour leur exécution.

M. Malou. - Cela a été rejeté au second vote.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Oui, je l'ai dit, je l'ai répété dans une autre enceinte ; c'est un fait parfaitement connu, puisque les travaux ne sont pas exécutés et qu'on me fait un grief de songer à leur exécution.

Ces travaux avaient été résolus, dis-je, par l'ancien cabinet. Les membres du cabinet nouveau avaient voté pour ces travaux, de telle sorte que, moi, présent ou absent, il était impossible que l'on proposât des travaux d'utilité publique sans y comprendre la dérivation de la Meuse. J'en porte le défi formel à tout ministère qui occupera ces bancs. Quand on proposera des travaux d'utilité publique, on y comprendra nécessairement et forcément les travaux à exécuter dans la vallée de la Meuse, travaux qui n'intéressent pis une seule localité, travaux qui intéressent trois provinces, qui sont d'intérêt général, sans lesquels le canal de la Campine et le canal de Herenthals à Anvers seront nécessairement improductifs.

Maintenant, ai-je besoin de vous dire qu'il n'a été nécessaire, pour moi, à aucune époque, de faire aucune question vis-à-vis de personne de la dérivation de la Meuse, que je n’ai eu aucun effort à faire, que je n’ai d’adversaires d’aucun genre à combattre de ce chef ? Est-ce que ces travaux n'ont pas été proposés par le cabinet actuel en 18148 ? Et c'est là ce que l'honorable M. Dumortier, dans son incroyable passion, appelle un travail que l'on tient sous le boisseau, un travail que l'on ne veut pas faire connaître ! quelque chose de mystérieux qu'on ne veut pas faire connaître et qui est imprimé et livré au public !

Le 23 février 1848, le projet a été déposé à la chambre. Tous les plans, tous les devis sont ici. L'honorable M. Dumorlier les a reçus comme tous les autres membres do la chambre !

Voilà le travail secret, voilà ce que l'on tient sous le boisseau !

Voilà le fond du sac, pour me servir de l'expression de l'honorable M. Dumortier. Voilà ce qui fait naître toutes les difficultés ; voilà ce qui tient en suspens toutes les affaires du pays. Est-ce assez de ridicule ?

Nous n'avons pas, messieurs, à faire connaître quant à présent les travaux qu'il s'agit d'exécuter. (Interruption.)

L'honorable M. Malou peut s'en étonner et en rire, mais l'honorable M. Malou a déjà formulé une proposition identique à celle de M. Dumortier, qui a été écartée par la chambre, que la chambre a bien fait d'écarter et qu'elle écarterait encore si elle était de nouveau formulée ; pourquoi ? Parce qu'il ne peut être question de travaux publics qu'autant que la situation financière soit rétablie.

Eh ! messieurs, si nous avions voulu nous complaire, comme nos honorables adversaires, dans la croyance que la situation financière n'exige rien ou qu'il faut très peu de chose pour y pourvoir, mais aurions-nous donc tous ces embarras, toutes ces luttes ?

Mais nous pourrions proposer immédiatement les travaux publics, qui seraient votés par les trois quarts de la chambre, c'est parce que nous n'avons pas cette conviction facile que vous avez eue jusqu'à présent et à l'aide de laquelle on crée de magnifiques déficits. C'est parce que nous n'avons pas cette conviction commode que nous aimons mieux nous attirer tous ces embarras, toutes ces luttes, toute cette opposition personnelle, plutôt que de compromettre les finances de l'Etat !

Nous ne voulons pas vous croire ; nous ne voulons pas proposer les travaux publics avant d'avoir rétabli la situation financière. Voilà ce que nous voulons faire, et nous avons l'espoir que la chambre nous secondera dans nos efforts pour atteindre ce but.

M. de Theux. - Messieurs, quoi qu'en dise l'honorable ministre des finances, la question que j'ai posée au gouvernement est d'un très haut intérêt, car autre chose est d'aborder la discussion de lois d'impôt pour mieux assurer l'équilibre entre les recettes annuelles et les dépenses annuelles, autre chose est d'aborder la discussion d'un système d'impôts en vue de créer de grands travaux d'utilité publique.

En effet, messieurs, si la chambre jugeait que, dans les circonstances actuelles, certains travaux peuvent entraîner l'Etat dans des dépenses trop considérables et qu'elle en prononçât l'ajournement, faudrait-il alors grever, par exemple, les successions d'un impôt aussi considérable que s'il s'agissait de suivre le gouvernement dans la voie qu'il vous a annoncée ? Evidemment non. S'il ne s'agissait que de rétablir l'équilibre dans les finances ele l'Etat, la première mesure à présenter par le gouvernement serait la loi qu'il est obligé de présenter ,aux termes de la loi organique du chemin de fer, la loi sur le transport des marchandises puisqu'il est dans l'opiniondlu gouvernement que cette loi peut amener une augmentation de recettes et que, dans l'opinion d'un grand nombre de députés, cette amélioration peut être considérable. Et à ce propos je demanderai pourquoi, dans l'énumération des projets destinés à améliorer la situation financière, le gouvernement n'a point indiqué le tarif du transport des marchandises par le chemin de fer. C'est encore là un des moyens qui se présentent pour combler le déficit.

Je dis donc qu'il est du plus haut intérêt que la chambre soit saisie de l'ensemble des projets d'impôts et de l'ensemble des projets de travaux publics ; c'est en examinant ces deux catégories de lois que chacun de nous peut se former une opinion nette et précise sur ce qu'il convient de voter ; et en agissant autrement, en entamant cette discussion par un bout, nous serons toujours dans le vague et le pays ne saura pas, en définitive, où nous le conduisons.

M. le président. - La parole est à M. Orts.

M. Orts. - J'avais demandé la parole pour un objet qui me paraît complètement épuisé : deux membres avaient fait appel à mes souvenirs en ce qui concernait les paroles prononcées par M. le ministre des finances et dont il vient de donner lecture ; je ne puis dire qu'une chose, dont la chambre s’est déjà convaincue par cette lecture, c'est que ces paroles ont été reproduites textuellement dans les Annales parlementaires.

Projet de loi sur les successions

Mise à l'ordre du jour

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Nous continuons à demander à la chambre de vouloir bien reprendre la discussion de la loi des (page 1148) successions. Nous croyons que c'est le seul moyen pour la chambre de mettre à profit le temps qu'elle peut encore consacrer aux affaires publiques pendant cette session.

Le système mis en avant par l'honorable M. de Theux n'est que la reproduction de celui qui a déjà été soumis à la chambre et qu'elle a repoussé. C'est après avoir repoussé ce système que la chambre est entrée dans la discussion de la loi des successions.

Cette discussion a été suspendue, nous demandons qu'elle continue. Nous déposerons aujourd'hui même l'amendement qui a été annoncé, et demain la chambre pourra reprendre utilement le cours de ses travaux.

Les propositions de l'honorable M. de Theux ne peuvent avoir pour résultat, si elles n'ont pas pour but, que de faire perdre du temps à la chambre et de la forcer à ajourner pour longtemps encore la reprise de ses travaux.

Nous nous bornons, messieurs, à affirmer à la chambre que, lorsque de nouveaux impôts seront présentés, les propositions relatives aux travaux publics seront également déposées.

Le système auquel on nous convie, nous le repoussons, quoique au point de vue du gouvernement, au point de vue de l'intérêt de ses propositions, il pourrait lui être utile de rattacher dès maintenant à ses projets un grand nombre de membres. Nous savons quelle est l'influence, l'influence inévitable des propositions relatives à des travaux publics sur l'esprit d'un grand nombre de représentants ; il y aurait tactique, cette tactique nous la repoussons, mais il y aurait tactique utile à présenter dès maintenant une série de travaux publics répondant aux intérêts d'un grand nombre de localités, et je crois, messieurs, qu'il faut savoir gré au gouvernement de la réserve qu'il apporte dans la présentation des différents projets de cette nature, car nous avons la conviction que le meilleur moyen, le plus sûr moyen, peut-être, d'entraîner le vote de la chambre en faveur des lois d'impôt, ce serait de la saisir à l'instant même de toutes les propositions de lois relatives à des travaux publics.

Mais nous vous répétons qu'avant de consacrer le produit de nouveaux impôts à des travaux publics, nous voulons accomplir la tâche difficile de rétablir l'équilibre dans nos finances.

Au moyen de la loi dont nous vous demandons la discussion immédiate, nous espérons rétablir cet équilibre financier qu'on a vainement cherché jusqu'ici. Lorsque cette loi sera votée, lorsque l'équilibre financier sera assuré, alors nous vous apporterons l'autre partie de notre système qui consiste à doter le pays de nouveaux travaux publics jusqu'à concurrence d'une somme évaluée à plus de 100 millions, et à placer à côté de ces dépenses éventuelles les moyens éventuels de les couvrir. Nous vous demandons aujourd'hui l'exécution de la première partie de notre programme.

Inutile de dire que si nous n'étions pas suivis dans l'exécution de cette première partie du programme, nous n'aurions pas à occuper la chambre de la seconde. Nous ne faisons pas de menace à la chambre. Nous n'apportons pas ici la prétention d'exercer une violence morale quelconque sur nos amis politiques ; si la discussion politique s'engage, nous dirons les efforts que nous avons faits, que nous sommes encore disposés à faire pour maintenir l'unité dans notre parti. C'est le grand but que nous poursuivons ; c'est le but aussi que nous espérons pouvoir atteindre.

Et quant à l'honneur de la majorité, honneur à l'égard duquel des membres de la minorité se montrent si susceptibles, alors même que cette affaire ne les concerne pas ; quant à l'honneur de la majorité, nous dirons que la conduite de la majorité, pour être honorable, doit être d'abord de maintenir l'union dans ses rangs. Nous ne verrions, quant à nous, rien de très honorable à suivre la ligne que l'opposition indique, c'est-à-dire à se diviser, à détruire l'ouvrage qu'ensemble nous avons eu tant de peine et tant d'honneur à créer et à maintenir.

La division dans les rangs de la majorité libérale peut être un but bon à poursuivre par nos adversaires ; la majorité libérale ne donnera pas, nous l'espérons, le triste spectacle d'une division qui peut entraîner pour elle les résultats les plus fâcheux.

Ce ne sera pas pour une simple question d'impôt, alors que le ministère a fait tous ses efforts pour rechercher une disposition acceptable pour tous ; ce ne sera pas pour cette seule question qu'on s'exposera à rejeter l'opinion libérale dans la situation difficile où elle s'est trouvée depuis le dernier vote.

Quant à nous, nous l'avons dit à la fin de la dernière discussion, et nous le répétons : que des hommes de notre opinion viennent occuper nos places, ils nous rendront un service signalé ; nous leur promettons d'avance, et pendant toute la crise, cette promesse nous l'avons fait parvenir souvent jusqu'aux oreilles du Roi ; nous leur promettons d'avance un concours actif, dévoué, désintéressé. La conduite que nous avons tenue comme ministres, nous la tiendrons comme représentants.

Nous ferons tous nos efforts avant tout pour maintenir l'unité dans le parti libéral.

Gardez-vous, messieurs, de vous laisser entamer ; gardez-vous surtout de penser que votre honneur courrait quelque danger, parce que vous auriez prêté votre concours aux ministres, aux hommes de votre opinion, à vos amis politiques qui vous tendent la main ; parce que vous leur auriez aussi tendu la main après un vote qui nous a un moment divisés.

C'est une affaire à régler entre nous, sans les conseils de nos adversaires, suivant nos inspirations, suivant les intérêts de notre cause.

La situation est encore entière pour l'opinion lilbrale ; il dépend d'elle de la conserver telle que nous l'avons maintenue depuis quatre ans.

Nous avons l'espoir que sans nous ou avec nous cette situation ne sera pas perdue. Nous vous engageons, seulement, à ne pas vous laisser séduire par certains conseils, par certaines flatteries qui n'ont qu'un but, celui de jeter la désorganisation dans vos rangs. Pour un parti nous ne sachions pas de plus grand déshonneur que sa propre défaite exécutée par ses propres mains ; nous ne sachions pas de position plus humiliante que de le voir se détruire lui-même, que de le voir abandonner le pouvoir, lorsqu'il a une forte armure et qu'il peut encore s'assurer de longues années de gouvernement, s'il a le bon esprit de se tenir uni.

C'est à cet esprit d'union que nous ne cesserons de faire appel pendant toute cette discussion ; c'est à ce besoin d'union que, de part et d'autre, nous l'espérons, on saura faire des concessions réciproques.

M. Malou. - Messieurs, je ne m'étonne pas de revoir MM. les ministres à leur banc ; je les y revois même avec un certain plaisir ; mais je regrette que lorsque nous les y revoyons si tard, ils nous apportent si peu de chose.

L'honorable président de la chambre nous a expliqué par lettre pourquoi il nous convoquait pour le 23 juin. Il y avait, disait-on, à introduire dans les lois présentées et à présenter diverses modifications. La chambre se réunit donc le 23, et on lui apporte, non pas même un article, mais un amendement à un article qui n'existe plus. Voilà ce que la crise a porté dans ses flancs, voilà ce qu'elle produit aujourd'hui devant vous.

Dès le début de cette discussion, j'ai fait remarquer à MM. les ministres combien était dangereuse la voie dans laquelle ils s'engageaient ; l'expérience est déjà faite plus tôt qu'aucun de nous ne le pensait ; on recommence aujourd'hui, on est de nouveau dans la même voie ; on veut faire connaître au pays successivement plusieurs parties d'un système. On nous parle d'un programme en trois parties, (Interruption.) C'est l'expression de l'honorable ministre de l'intérieur...

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - En deux parties.

M. Malou. - Le programme n'étant pas connu, nous pouvions nous tromper ; mais j'avais compris que le programme avait trois divisions ; d'abord la loi sur les droits de succession, pour combler le déficit du trésor ; ensuite les lois d'impôt, destinées à créer les ressources nécessaires pour exécuter des travaux publics ; et enfin, en troisième lieu, ces travaux publics eux-mêmes. Suis-je dans l'erreur ? Je serai prêt à le reconnaître. Mais voilà bien les trois divisions. D'ailleurs, une œuvre, pour être parfaite, doit avoir ses trois parties.

Cependant, il y a dans cette espèce de trilogie quelque chose comme une atteinte portée à la logique. Pourquoi le produit de l'impôt sur les successions est-il destiné à combler le déficit du trésor ? Est-ce que l'impôt sur les bières, l'impôt sur les genièvres, d'autres impôts ne pourraient pas opérer le même effet que l'impôt sur les successions ? Et s'ils le peuvent, n'est-il pas naturel, n'est-il pas en quelque sorte nécessaire que, suivant tous les précédents, suivant les indications de la raison, la chambre soit saisie de l'ensemble du système d'impôts, afin que le pays que nous représentons ici puisse savoir quels sont parmi ces impôts ceux qu'il considère comme nécessaires, comme inévitables pour combler le déficit.

Et voilà ce que la raison et la logique indiquent ; et voilà ce que vous ne faites pas. J'ai dit une première fois que vous vous en repentiriez ; je le dis une seconde fois.

Maintenant nous arrivons à la deuxième partie du programme ; la loi des successions étant votée, le déficit étant comblé, nous devons maintenir le principe de la présentation simultanée des impôts et des dépenses. C'est ce qu'indique la loi de comptabilité.

On parlait tout à l'heure d'une tactique : eh bien, si vous ne suivez pas cette marche, voici ce qui arrivera inévitablement : chacun pourra supposer que les intérêts qui lui sont plus spécialement confiés, qu'il a plus particulièrement mission de défendre, auront leur part dans l'emploi qui sera fait du produit des impôts. Ensuite viendra le quart d'heure des impôts. Je dis que cela est blessant et pour la dignité du gouvernement, et pour notre conscience à tous.

Je proposerai (la séance d'aujourd'hui est trop avancée pour que je fasse cette proposition), que le gouvernement soit invité à produire l'ensemble de son système financier. Qu'il laisse, pour le moment, de côté la question des travaux publics ; je le veux bien.

Je modifie sous ce rapport ma proposition. Mais je demande que la chambre soit mise en mesure de choisir entre les divers moyens d'impôt qu'on lui propose.

Quant à l'amendement, il est évident que nous ne pouvons statuer en ce moment. Mais je ferai remarquer que nous ne pouvons improviser la discussion sur cet amendement. Il paraît très simple à M. le ministre des finances, je le conçois, puisqu'il a mis quelque temps à y réfléchir, mais la chambre ne peut admettre un système, sans en avoir pesé les conséquences.

La proposition la plus simple doit passer par ce que j'appellerai les tribulations du règlement. La section centrale, qui a examiné le projet de loi sur les successions, ne s'est pas réunie depuis plus de deux ans. Sans vouloir retarder l'examen de cette loi, il me sera permis de dire qu'il est nécessaire que la section centrale fasse un rapport, présente des conclusions. Lorsque l'amendement sera connu, il me sera permis de faire à cet égard une proposition formelle.

(page 1449) M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je ne conçois pas que l’honorable M. Malou vienne encore soumettre à la chambre une proposition qu'elle a repoussée.

M. Malou. - Ce n'est pas la même.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C’est la même, exactement, identiquement, dars les mêmes termes. L'honorable M. Malou a dit, au mois de mai, que nous devions présenter tout notre système ; que, sans cela, la chambre serait mise dans une position difficile, qu'elle n'aurait pas la liberté de choisir entre les divers impôts.

Nous avons répondu à l'honorable M. Malou que c'était le droit du gouvernement d'indiquer quels étaient les projets dont il demandait la discussion. Nous avons demandé que l’on discutât d'abord la loi sur les successions, et la chambre l'a ainsi décidé. La discussion a-t-elle, oui ou non, été ouverte ?

M. Coomans. - Mais elle n'a pas été ouverte sur l'article premier qui a été retiré.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je vous demande si la discussion a été, oui ou non, ouverte sur ce projet, si elle a été close, s'il y a eu à cet égard une décision quelconque ? Evidemment non. Eh bien, nous demandons que la discussion continue. Voilà notre proposition.

Quand ce projet, qui est à l'ordre du jour, sera en discussion dans la chambre, aurai-je, oui ou non, le droit de présenter tel amendement que je trouverai bon, à telle ou telle disposition du projet ? Oui, vous devez le reconnaître.

Je ne suis tenu ni à déposer ces amendements, ni à les faire connaître d'avance. J'ai le droit de les faire connaître quand bon me semble, sauf à la chambre à en ordonner le renvoi à la section centrale ou à en autoriser la discussion immédiate. C'est mon droit. L'honorable M. Coomans le reconnaît.

Mais l'article premier est retiré ! c'est écrit au procès-verbal, dit l'honorable M. Dumortier ! Lisez le procès-verbal ! Oui, c'est écrit au procès-verbal, et au procès-verbal suivant on écrira que l'article a été représenté.

Ce sera au procès-verbal de la prochaine séance.

Si j'ai le droit de retirer la disposition, j'ai le droit de la reprendre. Usant de sa liberté, le gouvernement reprendra la disposition ; il l'amendera. Les articles 1, 2 et 3 du projet qui sont retirés reparaîtront dans la loi, et l'on y inscrira par amendement qu'en s'abstenant de comprendre les dettes dans la déclaration, on ne payera que 3 quarts p. c. au lieu de 1 p. c. que l'on acquitterait si, déduisant les charges, on déclarait l'actif net de la succession.

Il n'y a donc aucune objection possible contre la mise à l'ordre du jour.

Quant aux projets de travaux publics, il plaît à l'honorable M. Malou de supposer, nonobstant toutes nos déclarations d'il y a un mois et celles que nous venons de faire encore, que le gouvernement demandera des impôts sans faire connaître les travaux publics auxquels il les appliquera. Sous ce rapport, c'est l'honorable membre qui fait une supposition fausse et illogique.

J'ai déjà dit à la chambre et je répète (j'espère qu'on n'y reviendra plus), que quand on présentera des lois d'impôt, on présentera les projets de travaux publics. Quand on aurait présenté les projets de loi relatifs à tous les impôts et à tous les travaux publics, que ferait on ? Ne resterait-il pas au gouvernement le droit de demander la discussion successive dans l'ordre qu'il indiquerait ? Ne pourrait-il faire une condition du vote préalable de l'impôt sur les successions en ligne directe ? N'avons-nous pas le droit de demander la mise à l'ordre du jour de tel ou tel projet ? C'est ce que nous demanderons encore quand le projet de loi sur les successions aura été voté, et nous indiquerons alors et les travaux publics et les impôts à l'aide desquels nous proposerons d'y pourvoir.

M. le président. - La parole est à M. Malou.

M. Malou. - La séance est trop avancée. Je proposerai demain le renvoi à la section centrale.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il n'est pas nécessaire d'attendre pour cela jusqu'à demain.

M. Malou. - Pardon : l'amendement n'est pas connu.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il est connu de la chambre, et il a été compris de tous ceux qui ont voulu le comprendre. Il sera déposé, imprimé et renvoyé à la section centrale. Si celle-ci n'est pas prête à faire son rapport demain, elle le fera plus tard. Si l'on veut deux jours, trois jours pour étudier cet amendement, la chambre les prendra.

Mais nous demandons que les autres articles du projet de loi en discussion, lequel projet n'a nullement été retiré, lequel projet est acquis à la chambre, soient examinés et votés.

M. Coomans. - On ne s'oppose pas à ce que la discussion soit reprise demain.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Mais vos amis s'y opposent formellement.

L'amendement annoncé et expliqué, sera imprimé, distribué et renvoyé à l'examen de la section centrale. Mais pour ne pas perdre un temps précieux, nous demandons que la discussion soit reprise sur les autres dispositions du projet de loi. L'article premier pourra être réservé, si l'on veut, pour le dernier.

M. le président. - On paraît d'accord. La discussion du projet serait demain reprise au point où elle en était restée. Quant aux amendements annoncés, le gouvernement les déposerait, et ils seraient imprimés, distribués et renvoyés à l'examen de la section centrale. (Assentiment.)

M. de Liedekerke. - L'article premier ne sera pas mis demain en discussion ?

M. le président. - Non ; on reprendra la discussion de la partie du projet qui restait à voter.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Voici l'amendement, quoique l'honorable M. Malou suppose qu'il n'est pas écrit.

Je reproduis les premières dispositions du projet de loi, et à la suite de l'article premier, je propose la disposition suivante :

« Le droit de succession sera réduit d'un quart si les descendants du défunt et l'époux survivant dont le conjoint a laissé des enfants, s'abstiennent de comprendre dans la déclaration les dettes composant le passif de la succession. »

M. Coomans. - Il faudrait que la section centrale fût complétée. Un de ses membres, M. Toussaint, ne fait plus partie de la chambre.

- La chambre décide que la section centrale sera complétée par le bureau.

Projet de loi sur le code forestier

Dépôt

Projet de loi sur la détention préventive

Dépôt

Projet de loi sur l'expropriation forcée

Dépôt

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - J'ai l'honneur de déposer :

1° Un projet de Code forestier ;

2° Un projet de loi sur la détention préventive ;

3° Un projet de loi sur l'expropriation forcée.

Il est donné suite à M. le ministre de la présentation de ces projets de loi ; la chambre en ordonne l'impression et la distribution, il les renvoie à l'examen des sections.

- La séance est levée à 4 heures trois quarts.