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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 12 août 1851

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1850-1851)

(Présidence de M. Delehaye, vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1917) M. Ansiau procède à l'appel nominal à midi et demi.

La séance est ouverte.

M. de Perceval donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Ansiau fait connaître l'analyse suivante des pièces adressées à la chambre.

« Plusieurs habitants de Lise, Communes, Boverie et Chat-Queue demandent que ces hameaux soient séparés de Seraing et constitués en commune, et réclament l'intervention de la chambre pour que leur chapelle soit érigée en succursale. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les membres du conseil communal d'Amonines demandent que le chemin de fer du Luxembourg traverse le territoire de Marche. »

« Même demande des membres du conseil communal d'Erezée, Beffe, Rendeux, Soy, Roy, Grune, Aye, Humain, Hargimont et Baude. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur les travaux publics.

« Les membres du conseil communal de Jumet demandent que la compagnie du Luxembourg soit tenue d'exécuter le chemin de fer de Louvain à la Sambre. »

- Même décision.


« Le conseil communal d'Ath demande que la canalisation de la Dendre soit continuée jusqu'à cette ville et propose d'augmenter à cet effet le crédit voté par la section centrale pour travaux d'amélioration à la Dendre. »

- Même décision.


« Plusieurs négociants et propriétaires de Warneton demandent l'exécution des travaux proposés par M. l'ingénieur en chef de Sermoise pour l'écoulement des eaux de la Lys. »

« Même demande des habitants d'Eeghem. »

-Même décision.


« Le conseil communal de Neerpelt prie la chambre de voter les fonds nécessaires pour réparer la digue du canal de Lommel à Achel. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi relatif à l'exécution des travaux publics.


M. Moncheur, retenu chez lui pour des motifs graves, demande un congé de quelques jours.

- Ce congé est accordé.

Rapports sur des pétitions

M. Veydt., au nom de la section centrale qui a examiné le projet de loi relatif à l'exécution de travaux d'utilité publique, fait le rapport suivant :

« Par pétition en date du 4 août 1851, il est demandé, au nom des (page 1918) sociétés charbonnières de Sars-Longchamps et Bouvy, de Houssu, du Bois-de-Luc, de la Louvière et de la Paix, de Mariemont, l'Olive et Bascoup, de Strepy-Bracquegnies, de Carnières-Sud etde Haine Saint-Pierre et la Hestre, que le gouvernement soit autorisé à concéder, sans aucune garantie de minimum d'intérêt, le chemin de fer de Manage à la Sambre vers Erquelinnes. »

« Une pétition précédente demandait cette concession avec garantie d'un minimum d'intérêt. »

Analyse des motifs sur lesquels les pétitionnaires se fondent.

« Ce chemin de fer a été concédé, une première fois en 1845. Le conseil provincial du Hainaut, dans son adresse présentée au Roi, l'année dernière, l'a compris, en première ligne, parmi les travaux importants dont il sollicitait la construction. Ce chemin ne fera aucune concurrence au railway national : il deviendra un affluent productif pour la Sambre et accroîtra ainsi les recettes du trésor. Avantageux à l'industrie du pays qu'il doit traverser, il augmentera la somme des travaux réservés à la classe ouvrière, sans qu'il en coûte des sacrifices à l'Etat.

Examen en section centrale.

« Un membre, tout en reconnaissant les conditions favorables dans lesquelles la demande nouvelle se produit, fait remarquer qu'il s'agit d'un chemin de fer industriel dont la construction pourrait porter préjudice à des intérêts rivaux, et changer la situation des trois bassins concurrents. La concession accordée par l'Etat d'une voie ferrée ou d'une voie navigable constitue un avantage, quoiqu'il n'y ait aucune garantie d'intérêt ; elle devrait, surtout dans un cas comme celui-ci, être soumise à une enquête, afin de pouvoir se prononcer en parfaite connaissance de cause. Cette formalité n'ayant pas été remplie, ce membre demande que la section centrale se borne à proposer le dépôt de la pétition sur le bureau pendant la discussion et ensuite le renvoi à M. le ministre des travaux publics.

« Cette opinion est partagée par un autre membre qui rectifie une erreur commise dans la requête. Par l'adresse au Roi, qu'elle rappelle, l'exécution du chemin de fer de Manage à Erquelinnes n'a été demandée qu'en seconde ligne. Le conseil provincial du Hainaut plaçait en premier lieu le canal de Mons à la Sambre, et il établissait une corrélation entre ces deux demandes, de telle sorte que l'une devait être la compensation de l'autre.

« La majorité de la section centrale, eu égard aux considérations sur lesquelles les pétitionnaires s'appuient, et surtout à la clause qu'il n'y aura aucune garantie d'un minimum d'intérêt, estime qu'il y a lieu d'autoriser le gouvernement à concéder le chemin de fer de Manage à la Sambre vers Erquelinnes. Mais cette faculté de concéder ne peut être indéfinie et il importe, quand des concessionnaires se présenteront pour en profiter, qu'il y ait une garantie d'exécution. Pour parvenir plus sûrement à ce but, la section centrale propose d'exiger qu'un cautionnement, calculé d'après l'importance des travaux, soit fourni dans les trois mois de la publication de la loi et avant que l'arrêté de concession n'intervienne.

« Un article à ajouter au projet de loi pourrait être conçu en ces termes :

« Le gouvernement est autorisé à concéder le chemin de fer de Manage à la Sambre vers Erquelinnes.

« Le cautionnement, qu'il croira convenable de demander, sera fourni dans les trois mois de la publication de la loi et avant la signature de l'arrêté de la concession.

« Cette résolution a été adoptée par quatre membres, les deux autres s'étant prononcés pour le dépôt sur le bureau pendant la discussion. »


M. Veydt, rapporteur. - « Par pétition en date du 4 août 1851, le sieur J. Taminiau, entrepreneur de travaux publics, domicilié à Gand, expose qu'il s'est rendu adjudicataire des travaux d'art et terrassement de la partie du chemin de fer de Louvain à la Sambre, comprise entre Ransart et Charleroy et que la société concessionnaire, au moment de la suspension des travaux, lui restait devoir la somme de 180,857 fr. 10 c. dont il a vainement poursuivi le payement. »

Il croit pouvoir évaluer à un million de francs la valeur des terrains et des travaux de cette section, et demande qu'il n'en soit fait abandon à une compagnie nouvelle, qui se présenterait pour la concession du chemin de fer de Gembloux à Charleroy, qu'à la charge de payer les sommes légitimement dues du chef de travaux faits, ou de terrains acquis.

L'abandon de la ligne concédée de Louvain à la Sambre a donné lieu à des contestations judiciaires. Cette situation commande une grande réserve au point de vue du droit ; la section centrale ne s'en est pas occupée.

Mais au point de vue de l'équité, il lui paraît que la réclamation du sieur Taminiau mérite d'être prise en considération et elle en propose le renvoi à M. le ministre des travaux publics, afin que, dans le cas où il s'agirait de traiter avec des concessionnaires de la ligne de Gembloux à la Sambre, il subordonne la cession des travaux et des terrains aux conditions qu'il jugera équitables, en ce qui concerne les sommes non encore liquidées.

La pétition sera déposée sur le bureau pendant la discussion et ensuite renvoyée à M. le ministre des travaux publics.


M. Veydt, rapporteur. - « Par pétition du 6 août 1851, le sieur Bonneire, avocat près la cour d'appel de Bruxelles, présente des observations sur les inconvénients des adjudications publiques qui ont souvent pour conséquence de priver les ouvriers d'un salaire établi dans un rapport équitable avec la valeur des travaux qu'ils exécutent.

« II émet l'avis que l'Etat devrait intervenir, et indique comme remède, si les adjudications publiques doivent être conservées, d'inscrire dans tous les cahiers desebarges l'obligation, pour l'adjufdicataire, de payer ou faire payer aux ouvriers un minimum de salaire déterminé, dont le chiffre serait suffisamment rémunéraloire et proportionné aux besoins de l'ouvrier et aux fatigues du travail, et de justifier, en outre, avant de toucher le prix de l'adjudication, que l'entrepreneur a rempli ses engagements envers les tiers avec lesquels il a traité.

« Les mêmes conditions seraient imposées aux compagnies concessionnaires et à toutes les administrations publiques. »

La section centrale s'est dispensée de discuter les motifs que le pétitionnaire fait valoir à l'appui de sa demande et les considérations qu'on peut lui opposer pour la combattre.

Le système des adjudications publiques donne-t-il lieu à des abus qui justifieraient la nécessité de prendre l'initiative d'une mesure restrictive quelconque ? Les ouvriers ont-ils eux-mêmes fait parvenir des plaintes aux chambres ou au gouvernement ? La section centrale n'en a aucune connaisance.

Elle en conclut qu'il n'y a pas abus et que les rabais, auxquels la libre concurrence force quelquefois les entrepreneurs à consentir, ne réagissent pas sur les salaires ou du moins n'exercent à leur égard qu'une influence très limitée. Dans un vaste ensemble de travaux publics destiné à procurer pendant plusieurs années et dans toutes les directions du pays, du travail aux bras inoccupés, il y a encore de plus fortes garanties qu'en temps ordinaire, que la main-d'œnvre recevra une rémunération juste et convenable, car le travail sera très demandé.

Aux termes de la loi de comptabilité, tous les marchés au nom de l'Etat doivent être faits avec concurrence, publicité et à forfait. La loi n'apporte à ce principe fondamental que de rares exceptions, qu'elle a soin de bien définir. La libre concurrence est une de ses conditions essentielles, elle ne peut être réglementée, sans qu'il y soit porté atteinte. C'est afin de la sauvegarder et de ne laisser s'accréditer aucune incertitude à ce sujet que la section centrale a cru devoir proposer l'ordre du jour sur la pétition.

- Les conclusions de là section centrale, sur ces trois pétitions, sont adoptées.

Motion d’ordre

M. Malou. - Messieurs, la chambre a décidé le dépôt au bureau des renseignements des explications données par M. le ministre de l'intérieur sur la pétition de quelques électeurs de Visé. Je demanderai que ces explications, qui ne sont pas très longues, soient imprimées comme document parlementaire. Je me réserve de faire ensuite telle proposition qui me paraîtra nécessaire.

- Cette proposition est adoptée.

Projet de loi relatif à l'exécution de divers travaux d’utilité publique

Discussion générale

M. De Pouhon. - Messieurs, j'ai voté les lois d'impôt. Je les ai votées toutes, quoique je n'approuvasse pas celle sur le débit de tabacs.

C'est avec une grande répugnance que j'ai souscrit au droit de succession en ligne directe. Je le trouvais juste en principe, mais le rejet de l'amendement présenté par M. le ministre des finances sur la faculté de déférer le serment en a rendu l'application inégale entre diverses classes de citoyens, car les héritages immobiliers ne pourront se soustraire à l'impôt tandis que les fortunes mobilières, les fortunes de portefeuille y échapperont ; les contribuables sincères payeront pour les contribuables de mauvaise foi. L'amendement de M. le ministre des finances modifié par l'honorable M. Delfosse aurait obvié à cette grande injustice, et il aurait eu l'immense avantage de fortifier la religion du serment que l'application absolue et dans tous les cas, eût eu pour conséquence d'affaiblir. Cet amendement fut rejeté aussitôt que présenté et sans examen suffisant ; je serais heureux d'y attirer l'attention du sénat.

Je vais avoir l'honneur de vous dire, messieurs, la raison qui m'a déterminé à voter les impôts tels qu'ils étaient présentés.

Tous les projets de lois d'impôt, d'emprunt et de travaux publics sont motivés sur l'appréhension d'événements sinistres, sur la nécessité d'assurer dans cette éventualité du travail aux classes ouvrières. Je ne pourrais qu'applaudir à la sollicitude du gouvernement sous ce rapport. Mais si c'est bien là son mobile, s'il redoute en effet des dangers dans un prochain avenir, il ne fait pas tout ce qu'il y a à faire, il ne fait pas même l'essentiel ; les éléments de travail qu'il veut préparer ne sont que l'accessoire des mesures à prendre dans l'attente des événements.

Le premier besoin pour une nation, c'est d'assurer son existence et son indépendance ; quels sont les actes du gouvernement qui révèlent sa préoccupation de cette nécessité si grande ? M.l e ministre de l'intérieur, en protestant de la sollicitude du gouvernement pour les moyens de défense du pays, nous a dit que toutes les questions concernant l'armée font l'objet de l'examen des commissions nommées à cet effet et qu'il faut attendre leurs rapports. J'admets cette raison jusqu'à certain point. Si j'avais pu croire à l'insouciance et à une inaction coupable du gouvernement au sujet de l'armée, j'aurais d'autant moins voté le droit de succession que le cabinet y avait attaché son existence ; car j'aurais grande hâte de voir tomber un ministère qui ne veillerait pas, avant tout, à la défense sérieuse du pays, quel que fût le mérite que je lui reconnusse d'ailleurs.

Mais, MM. les ministres, vous connaissez, je pense, les conclusions des (page 1919) commissions spéciales et vots savez déjà parfaitement que l'armée est insuffisante, que ses cadres ne sont pas remplis, que son matériel est dans un fort mauvais état. Ne redoutez-vous pas la terrible responsabilité qui pèsera sur vous si vous aliéniez la prochaine session législative pour réclamer les crédits nécessaires au moins pour les dépenses dont l'urgence n'est pas douteuse ?

La commission centrale n'est pas même nommée ; à moins d'une session extraordinaire, nous ne serons à même de voter des crédits qu'en décembre au plus tôt pour les appliquer au commencement de l'année prochaine, si les événements ne sont pas engagés alors, nous serons bien prêts de l'époque qui leur est assignée. Pourrez-vous improviser des soldats instruits, préparés pour la guerre ? Improviserez-vous un matériel ? La prévoyance la plus vulgaire commanderait d'appeler les miliciens à leur corps après les récoltes des champs pour êlre exercés et pour contracter l'esprit et les habitudes militaires.

Je vous l'avoue, messieurs, j'ai bien confiance dans les intentions, mais ma sécurité n'est rien moins que complète. Je crains que le ministère ne soit entretenu dans la quiétude par l'opinion de quelques-uns de ses amis sur l'issue de la situation politique d'un pays voisin. Moi aussi j'espère, je suis probablement de ceux qui espèrent le plus une solution pacifique ; mais quand il s'agit de l'existence d'une nation.il n'est pas permis de se reposer sur des opinions individuelles Je n'attacherais pas la moindre valeur à l'avis de l'homme de France le mieux posé pour prévoir ce quise passera dans le courant d'une année.

Mais, messieurs, si, l'inaction du gouvernement tient à sa confiance, dans les éventualités politiques, comment se fait-il donc que ce soit en considération d'éventualités malheureuses qu'il nous présente la masse des projets de travaux publics que nous avons à examiner ? C'est, nous dit-il, afin d'assurer du travail aux classes ouvrières en cas de crise.

Il faut être sérieux quand on traite d'aussi graves questions. Avez-vous des appréhensions réelles de crise ? Adoptez les premières mesures que le simple bon sens indique comme moyen d'y parer. Vous reposez-vous sur le fatalisme de vos amis ? Pourquoi alors motivez-vous vos projets de travaux publics sur les dangers que l'avenir vous révèle ? Serait-ce parce qu'ils ne peuvent se justifier tous par leur utilité propre, que pour les faire admettre, il faille les couvrir d'un intérêt suprême devant lequel la chambre ne résistera pas ?

Si ces grands travaux publics sont commencés quand des dangers deviendront imminents, on les suspendra. Il me paraît bien douteux que les compagnies concessionnaires s'engagent dans les dépenses avant de voir s'éclaircir la situation en France. Le gouvernement prendra son temps pour faire faire les études des travaux à exécuter par l'Etat et en présence de besoins bien autrement impérieux, il en ajournerait l'exécution.

Il achèverait toul au plus le canal de la Campine pour lequel il a déjà été dépensé des millions qu'il importe de rendre productifs et qui, en cas de guerre, aurait une utilité en dehors de celle qui en a fait décider le creusement. Il n'est besoin pour ce canal de s'appuyer sur d'autres considérations que sur son mérite même.

Le moyen le plus efficace, messieurs, pour assurer du travail aux classes ouvrières quand des crises s'annoncent ; c'est d'avoir une armée qui soit à même de garantir le pays contre l'invasion, soit d'une armée étrangère, soit de bandes de fous et de coquins toujours disposés à aller de France imposer aux nations qui leur sont étrangères la liberté et les bienfaits de leurs extravagantes théories.

En inspirant la sécurité à nos industriels, vous maintiendrez, messieurs, une activité relative dans leurs ateliers et ce ne sera pas 3 à 4 mille hommes attirés la plupart des campagnes dans vos travaux publics, mais ce sera 300 à 400 mille ouvriers auxquels vous assurerez du travail.

Si, au contraire, le fabricant connaissant la faiblesse de vos moyens de défense, pouvait croire le pays exposé à chaque instant à un coup de main, il n'hésiterait pas, il fermerait ses usines et renverrait ses ouvriers. Il y serait d'ailleurs bientôt forcé par le retrait des capitaux qui alimentent ses affaires et qui se retirent avec une prestesse étonnante dès l'instant qu'ils ne se croient plus en sûreté.

Je me plais à espérer, ainsi que j'ai eu l'honnenr de le dire, que les sinistres présages qui impressionnent le monde pour l'année 1852, ne se réaliseront pas. Mais ne croyez pas que, dans cette hypothèse même, les sacrifices que vous auriez faits pour l'armée fussent stériles. Vous seriez dans une bien grande erreur.

Le gouvernement et la majorité de cette chambre croient avoir bien servi les intérêts du pays en torturant le budget de la guerre pour en faire sortir des économies, et quelles économies ! Je suis convaincu, au contraire, qu'il est résulté de nos débats un préjudice qui ne peut se traduire en chiffres, mais qui n'en est pas moins déplorable.

La force et la valeur de la Belgique ont baissé dans l'esprit des nations et des gouvernements étrangers. Ils se sont étonnés à bon droit que les mandataires d'un pays qui, après la révolution de février, s'était montré si attaché à son indépendance et à ses institutions, eussent départi avec tant de parcimonie et de résistance les moyens de garantir ces dons précieux. Notre position morale en a reçu une atteinte sensible.

Pendant que nous nous confions à notre bonne étoile, les gouvernements étrangers se mettent en mesure de parer aux événements. Ils entretiennent des armées formidables, ils aplanissent leurs différends entre eux pour être unis contre l'ennemi commun ; ils comptent ceux qu'ils auront pour auxiliaires ou à combattre dans une lutte.

N'est-il pas naturel que l'on attache du prix à des rapports avec un pays et que l'on ait des ménagemenls pour lui en raison du concours de forces et de volonté que l'on peut en attendre dans un danger commun ? Dans la prévision de ce danger, on mesure la valeur de ceux que l'on compte avoir pour alliés et on leur assigne à l'avance leur parts dans les résultats éventuels de la victoire.

Cela est dejà fait, messieurs ; malheureusement nos discussions sur le budget de la guerre ont précédé les conférences d'Olmutz et de Varsovie.

Le gouvernement doit en avoir appris quelque chose, tout au moins doit-il s'en apercevoir dans ses rapports awc d'autres cabinets. Le renouvellement du traité avec le Zollverein n'a plus le même appui qu'il était habitué de rencontrer d'un membre prépondérant de cette association.

Les considérations politiques dominent souvent chez les gouvernements celles des échanges de commerce. La bienveillance qui s'éloigne de nous se reporte sur nos voisins. Nous voyons s'aplanir les difficultés qui pesaient depuis longtemps sur la navigation du Rhin hollandais ; des négociations qui avaient été rompues entre la Prusse et la Hollande au sujet du projet d'un chemin de fer d'Arnhem à Oberhausen se reliant au grand chemin de fer de Cologne à Minden, ont été reprises, et j'ai lu dans un journal qu'on pouvait les considérer comme ayant heureusement abouti.

Cela me ramène à mon point de départ, et vous démontre, messieurs, que le gouvernement ne nous conduit pas par un bon chemin vers des dangers possibles, et que nos économies, en ce qui concerne l'armée, ne sont pas tous bénéfices pour le pays.

L'appréhension de grands événements ne commande pas seulement l'organisation des moyens de défense contre l’étranger ; elle exige beaucoup de modération de la part du gouvernement. Il fallait chercher à cimenter l’union et la concorde dans le pays, éviter autant que possible tout ce qui pouvait agiter les passions et les intérêts.

Après des impôts nouveaux qui sont toujours mal accueillis, voici des projets de travaux publics qui suscitent des rivalités d'intérêts, des antagonismes entre les diverses parties du royaume. On a cherché à faire la part de chacune des provinces ; celles qui sont le mieux partagées croient encore avoir à se plaindre, les arrondissements s'insurgent à leur tour, des communes se disputent des embranchements de chemins de fer.

Ces sujets de discorde sont déplorables en tout temps, mais plus particulièrement encore quand l'avenir se présente sous un jour menaçant.

J'ai voté les impôts afin que la situation du trésor soit à même de parer aux premiers besoins qu'une crise politique entraînerait.

J'aborderai plus directement, messieurs, le projet de loi en discussion. Ce projet commande notre plus sérieuse attention, non par sa grandeur, mais par son importance financière, par les intérêts nombreux qui y sont enlacés. L'examen est notre devoir, il est aussi notre droit, car on admet que nous sommes un gouvernement de libre examen. Ce libre examen est assez stérile dans la circonstance actuelle, puisque le projet de loi nous enlève notre libre arbitre en enveloppant une masse d'objets divers étonnés de se trouver associés les uns aux autres pour subir un sort commun. Nous sommes ainsi condamnés à rejeter des travaux d'une utilité incontestable sous peine de voter de grands travaux qui n'ont pas été suffisamment étudiés, d'un mérite douteux et pour la plupart d'une exécution, dans tous les cas, inopportune. Cela ressemble assez à la tyrannie, et comme je ne veux subir la tyrannie, de quelque part qu'elle vienne, je voterai contre le projet de loi global.

Je le sais bien ; tant d'intérêts privés sont appelés à prendre part au butin, que ceux d'entre nous qui voteront contre le projet de loi ne peuvent manquer d'être signalés comme rebelles à tout progrès, comme des hommes qui méconnaissent l'action bienfaisante des voies de communication. Je suis résigné à ce reproche ; il me touche cependant, et pour chercher à l'atténuer, je crois pouvoir rappeler à quelques membres de cette chambre qui l'ont su, que j'ai été un des premiers promoteurs des chemins de fer en Belgique, et que j'ai contribué à en populariser l'idée depuis 1831, jusqu'au vote de la loi du 1er mai 1834.

Non, messieurs, je n'ignore pas l'heureuse influence que des canaux et des chemins de fer peuvent exercer sur la production d'un pays et sur ses moyens d'échange, mais aussi je sais que leur utilité est relative aux besoins réels et à la dépense de leur exécution. Vous pourriez couvrir la moitié du royaume de rails et la creuser de canaux, que l'autre moitié n'en serait pas plus riche.

Je sais encore que l'exécution simultanée de tous les grands travaux qui nous sont proposés imprimerait une forte impulsion à la main-d'œuvre et à certaines branches de l'industrie nationale ; mais je dirai avec l'exposé des motifs du projet de loi du 25 février 1848, « qu'il faut éviter d'outrer le développement des travaux publics et que des moments de stagnation ne doivent pas succéder brusquement à des intervalles d'une trop grande activité. »

Le même document ajoutait « que l'exécution d'un système étendu de travaux publics doit nécessairement se poursuivre pendant plusieurs années, que la nature des choses ne permet pas de les réaliser dans un court espace de temps. »

A cet égard, rien de plus judicieux, rien de plus pratique n'a été dit que les paroles qui furent rappelées dans l'avant-dernière séance comme ayant été prononcées en 1845 par M. le ministre de l'intérieur.

Ces considérations émises lorsque l'avenir paraissait assuré, ont acquis bien plus de valeur depuis que l'ordre social a été menacé. Jusqu'à ce que l'horizon politique soit éclairci, il sera prudent de (page 1920) ménager les éléments de travail. Les terrassements pour les chemins de fer et le creusement des canaux sont généralement exécutés par les travailleurs agricoles ; c'est mal servir ces ouvriers, c'est préparer des embarras que de les détourner de leurs occupations habituelles pour les attirer dans des travaux qui ne doivent avoir qu'une durée temporaire. Il y a quelques années que nous vîmes les champs manquer de bras, attirés par les gros salaires industriels dans les villes, où peu après ils furent une source de malaise. Il y a là une raison pour n'entreprendre que successivement de grands travaux publics dont l'Etat se réserve l'exécution.

Je disais tantôt que les chemins de fer et les canaux ont une utilité relative aux besoins qui les réclament et à ce qu'ils doivent coûter.

S'agil-il de mettre un grand centre de production en rapport avec un grand centre de consommation ou d'exportation ? Il faut se hâter d'en créer les moyens.

On se résigne pour cela à exécuter moins bien afin d'exécuter plus tôt ; on souscrit à des sacrifices pour ne pas attendre trop longtemps l'occasion de trouver l'argent à des conditions favorables ; on se résigne même à livrer l'entreprise à des concessionnaires.

Le besoin d'une voie nouvelle n'est-il déterminé que par l'avantage d'une communication intérieure plus accélérée ou plus économique que celles existantes ? Alors, les sacrifices doivent être moindres, ils se mesurent d'après l'importance des intérêts qui sont enjeu et à l'économie qui doit en résulter.

Plusieurs travaux publics compris dans le projet de loi n'ont d'autre but que d'abaisser les frais de transport d'un point à un autre afin d'établir l'équilibre dans la concurrence intérieure. Dans ces cas-là, la somme des sacrifices à faire pour atteindre le but peut se calculer et probablement trouverait-on que l'allocation par l'Etat de la différence des frais de transport n'équivaudrait pas aux charges des intérêts et d'entretien des grands travanx réclamés pour égaliser les positions concurrentes.

Quand l'utilité de travaux publics est ainsi appréciable et limitée, il n'y a lieu de les entreprendre que si d'autres besoins ne parlent pas plus haut, qu'après avoir fait les études les plus sérieuses de leurs résultats probables et de la meilleure exécution. On ajourne ces travaux si l'avenir étant chargé d'incertitudes, le crédit public commande plus de ménagements.

Quel que soit son mobile que je ne cherche pas de pénétrer, le gouvernement nous demande beaucoup de grands travaux publics, beaucoup plus qu'il n'est prudent d'en entreprendre simultanément. Ne pouvant-demander tous les fonds nécessaires à l'emprunt, il propose de livrer l'exécution de la partie la plus notable à l'industrie privée. C'est le moyen de dissimuler les sacrifices.

Les opinions sont bien partagées, messieurs, au sujet des concessions de grands travaux publics. On voit beaucoup de bons esprits parmi les partisans et les adversaires de ce système. C'est que chacun en raisonne sous l'impression des circonstances qui l'environnent ou des faits qu'il a observés tandis que l'utilité des concessions se modifie suivant les temps et les lieux. Elle n'est rien moins qu'absolue.

Il y a 6 à 7 ans que les spéculations sur les chemins de fer avaient pris un tel développement que les gouvernements pouvaient imposer toutes conditions aux concessionnaires ; ceux-ci les acceptaient quelque dures qu'elles fussent, car pour eux il n'importait guère que d'avoir des actions qui leur permissent de réaliser de suite des primes plus ou moins considérables. En France une seule entreprise donna le bénéfice scandaleux et déplorable de 150 millions à ses trop heureux concessionnaires en moins d'un mois de temps, par conséquent avant qu'un coup de pioche n'eût été appliqué à l'exécution du chemin de fer.

Le gouvernement avait obtenu un grand résultat ; il acquérait une belle ligne de chemin de fer dont la propriété doit lui faire retour en moins de quarante ans. Mais il n'avait pu prévoir qu'en faisant si bien son affaire, il provoquait la ruine d'inombrables familles.

C'était l'agiotage, messieurs, qui mettait l'Etat à même de s'enrichir de chemins de fer par la concession, mais ce fut aussi l'agiotage qui dévora des fortunes dont grand nombre des plus honorables.

L'agiotage a été meurtri à son tour, et privés de son appui, les gouvernements ne trouveraient plus de concessionnaires qu'à des conditions onéreuses.

Il est néanmoins des pays où l'on fait encore bien de se soumettre à ces conditions. Ce sont ceux comme l'Espagne que l'on nous a présentée dans cette discussion comme exemple à suivre. Là le besoin de voies nouvelles de communication est très pressant, et l'Etat n'a pas les ressources du crédit pour les créer lui-même.

Dans la situation politique d'un pays plus rapproché de nous, on fait peut-être bien encore de recourir à la concession pour compléter les grandes artères qui relient les deux mers et le Rhin et qui fortifient la centralisation.

Mais la Belgique, que des orateurs ont taxée de retardataire en fait de grands travaux publics, n'a-t-elle pas pris l'initiative des chemins de fer sur le continent ? N'a-t-elle pas pourvu depuis nombre d'années déjà aux grands besoins des communications internationales ? N'est-elle pas un des pays d'Europe les mieux dotés en fait de canalisation ? S'il reste à faire sous ces rapports, ce n'est plus rien de première nécessité et la nécessité la plus urgente peut seule autoriser, suivant moi, le recours à la concession.

Dans un pays limité comme le nôtre, les abus de l'exécution par l'Etat ne sont pas aussi faciles que dans des pays d'une grande étendue ou les entrepreneurs travaillent à une distance de 100 ou de 200 lieues du siège de l'administration centrale.

Nous avons la ressource du crédit pour autant que nous en usions modérément pour des dépenses reproductives.

Chaque fois qu'il se présente quelque grande question à résoudre, elle donne lieu à des comparaisons douloureuses pour ceux qui, sans avoir des prétentions exclusives au patriotisme, le sentent, le voient au-dessus des intérêts de partis.

En 1834, le pays sortait à peine de la révolution, il était encore en état de guerre avec ses anciens dominateurs, il manquait de la sanction de la plupart des gouvernements d'Europe, son crédit naissant n'était pas encore soutenu par l'adhésion et la confiance de ceux chez qui le régime déchu avait laissé des regrets et des doutes. Le budget de la guerre s'élevant pour cette année à 43 millions succédait à trois budgets présentant ensemble un chiffre de 202,320,737 fr., soil en moyenne 67 1/2 millions. C'est dans cette situation que la question des chemins de fer fut introduite. Notre dette publique et notre grand réseau disent comment elle fut résolue.

Cette détermination, qui entraînait un si grand développement du grand-livre de la dette publique, consolida le crédit de la Belgique. Le principe de la concession fut rejeté, car il était au-dessous des sentiments de la législature et du gouvernement.

Comment se fait-il, messieurs, qu'à dix-sept ans de distance l'esprit et les moyens aient changé à ce point que l'on adopte ce que l'on aurait dédaigné alors ? La raison, je pourrais vous la dire, au moins telle qu'elle m'apparaît ; mais elle m'entraînerait dans la politique, je ne sais guère en faire, et l'opportunité n'y est d'ailleurs pas.

L'honorable ministre de l'intérieur qui a pris une part si glorieuse depuis l'émancipation nationale, dans la direction des affaires et surtout à la loi du 1er mai 1834, jugerait-il par hasard que l'on eût mieux fait de livrer l'exécution des chemins de fer à l'industrie privée ? C'est impossible.

On aurait trouvé des concessionnaires pour quelques lignes privilégiées, et peut être aurait-il fallu attendre le secours de l'agiotage de 1844-45 pour compléter le réseau.

Des concessionnaires eussent exigé des frais de transport élevés pour les marchandises, tandis qu'il en fallait de très modérés vers la Prusse pour équilibrer les frais des eaux intérieures de la Hollande.

L'honorable M. Rogier fit une vive opposition aux concessions votées en 1845 et il donna alors les raisons les plus fortes et les plus pratiques pour condamner ce système. Et pourtant ces concessions n'imposaient pas de charges pécuniaires à l'Etat et ne se présentaient à la sanction législative qu'avec des engagements très positifs appuyés de cautionnements très considérables déjà effectués.

Maitenant M. le ministre de l'intérieur vient avec ses collègues vous proposer de nouvelles concessions de chemins de fer et de canaux avec garantie par l'Etat d'un minimum d'intérêt et les conventions passées avec les demandeurs ne sont pas appuyées sur des cautionnements réels ; bien moins que cela, la principale de ces concessions nouvelles, celle du chemin de fer de Bruxelles à Gand ne présente aucun obligé. Les signataires sont des personnes très honorables sans doute, mais ils agissent pour et au nom d'une compagnie qui n'existe pas - cela est si vrai que l'article 22 de la convention leur réserve la faculté de se constituer en société anonoyme et qu'ils ont soin de stipuler (article 25) « qu'ils n'encourront d'autre responsabilité personnelle que celle attachée aux actions qu'ils souscriraient dans la société. »

En présence des demandes de concessions qui surgissent depuis la présentation du projet de loi pour se joindre à celles qui y sont comprises, demandes auxquelles, en général, le gouvernement ne paraît pas faire grande résistance, en voyant le laisser-aller avec lequel les conventions sont conclues, le ministère n'a pas trop sujet de s'offenser du soupçon qui a été exprimé que ces concessions n'avaient d'autre but que d'engager plus d'intérêts au vote du projet de loi. Ce qui me semblerait autoriser le plus le doute sur la sincérité des concessions, c'est le langage même de l'exposé des motifs où l'on fait considérer comme avantage triomphant du chemin de fer d'Ath à Lokeren et de Bruxelles à Gand, les transports que l'on ravira aux lignes concédées. On ne déclare pas ainsi ouvertement la guerre aux concessionnaires quand on a l'intention de recourir à eux pour des travaux nouveaux. C'est, dans tous les cas, un langage honteux, il faut déchirer la page qui le renferme.

L'administration des travaux publics n'a que trop contribué par les difficultés suscitées aux compagnies, par les vexations auxquelles elles ont été en butte, à éloigner les concessionnaires ; les chefs de ce département devraient au moins veiller à ce qu'il ne s'y passe rien qui soit de nature à porter atteinte à la réputation de loyauté du pays.

Je ne vous soumettrai pas, mes doutes, messieurs, sur le plus ou le moins de probabilités de la réunion des capitaux nécessaires à l'exécution des travaux que vous allez proposer à l'industrie privée car si la loi est votée, je désire qu'elle ne reste pas une lettre morte. Je vous engage seulement à ne pas compter sur le marché anglais, qui se montre peu disposé à placer de l'argent, non seulement et surtout en Belgique, mais par tout le continent et où, du reste, l'argent ne paraît pas manquer d'emploi. Les taux d'escompte sont plus élevés à Londres que sur les autres grandes places de commerce. Des capitaux belges sont employés en escomptes à Londres.

L'honorable baron Osy a invoqué mon témoignage sur le cours actuel (page 1921) d'un emprunt qui a été émis, en mars 1849, par une de nos compagnies de chemins de fer. Il est très vrai que ces titres portant 5 p. c. d'intérêts, remboursables le ler juillet 1854, se sont traités le mois dernier à 85 p. c et qu'ils ne sont recherchés maintenant qu'à 85 1/2. Il est aussi parfaitement exact que les 2,000 obligations qui avaient été souscrites pour compte anglais sont rentrées en Belgique.

Je vous dirai, messieurs, la raison de cette défaveur, car le gouvernement pourrait y remédier.

Cette compagnie présente de beaux gages à ses créanciers par les deux lignes de chemins de fer qu'elle possède et dont l'une en pleine exploitation donne de beaux produits. Mais l'administration effective est à Londres. C'est d'elle qu'émanent les résolutions sur les points les moins importants, elle les prend sur les données qui lui sont fournies par ses agents en Belgique.

Il y a conflit entre ceux-ci. L'un qui, d'après les contrats, devrait être le subordonné de l'autre, paraît faire prévaloir ses avis à Londres, tandis que les capitalistes belges avaient trouvé de grandes garanties morales dans celui qu'ils avaient dû considérer comme ayant le pouvoir d'empêcher toute résolution, toute mesure compromettante.

En présence des tiraillements qu'ils ont remarqués, la confiance des capitalistes belges a faibli. Ceux-ci ont été ainsi conduits à scruter de plus près la marche de l'administration. Ils ont vu que le mouvement des fonds de la compagnie se faisait à Londres, il échappait à leur contrôle, qu'ils ne voyaient pas l'emploi des produits de l'exploitation ni la source du payement des intérêts de l'emprunt.

Les hommes qui composent l'administration à Londres sont des plus honorables, mais ils sont éloignés du siège effectif des affaires de la compagnie, et leur réputation de moralité ne peut neutraliser le mauvais effet du manque d'unité et de garantie de bonne gestion ici.

Les contrats de concession stipulent des traitements pour des commissaires auprès des compagnies. Le gouvernement n'impose pas sans doute des charges aux compagnies au profit seul de ceux qu'il nomme à ces fonctions, il devrait veiller à ce qu'ils remplissent rigoureusement leur mandat. Ils ont la mission d'assurer l'exécution fidèle des statuts ; l'accomplissement de ce devoir auprès de la compagnie à laquelle je fais allusion, serait utile elle-même et à ses créanciers.

Messieurs, la solution de toutes ces compagnies de chemins de fer se trouvera inévitablement amenée en Belgique. Ce sont les capitaux belges qui pourvoiront à l'insuffisance du capital social. Il importe de tendre à ramener dans le pays l'unité, la centralisation des affiires de ces compagnies. Ce sera utile à tous les intérêts, à ceux des actionnaires anglais comme des bailleurs de fonds belges, car s'il en résulte une meilleure gestion, plus de crédit, plus d'économies, ce sonl les intéressés de quelque pays qu'ils soient, qui en profiteront. Ainsi, si l'une ou l'autre des compagnies existantes a recours à l'Etat soit pour des subsides, des garanties de minimum d'intérêt, soit pour des modifications à ses statuts, le gouvernement devrait toujours les subordonner à la fixation d'une administration unique dans une ville de Belgique. A plus forte raison, convient-il d'imposer cette condition dans toute concession nouvelle.

Ces considérations sont opportunes comme vous voyez, messieurs, c'est pourquoi je m'y suis un peu appesanti. Je reviens au sujet que j'avais quitté momentanément.

L'esprit d'entreprises et des spéculatïions industrielles est frappé d'impuissance. Il se produit encore beaucoup de projets, mais ceux qui les conçoivent se font facilement illusion sur les moyens de les réaliser.

Soyez persuadés d'une chose, c'est que l'on ne pourrait attirer des capitalistes dans une affaire qu'en leur prouvant par des démonstrations bien claires, presque matérielles, qu'il y a de gros bénéfices à en retirer.

Ceux des projets qui ne triompheront pas de cette épreuve, ne s'exécuteront pas. Pourquoi les concéder ?

S'il y en a dans le nombre qui puissent satisfaire aux exigences des capitalistes par de grands résultats presque certains, pourquoi l'Etat ne les exécuterait-il pas, lui qui a tant de raisons pour se réserver la liberté d'exploitation et la fixation des péages ?

Enfin, messieurs, je dois bien admettre ce qui est réel. Le gouvernement est infaillible aux yeux de la chambre puisqu'elle vote tous ses projets de loi ; quand ce n'est pas d'un premier jet, elle ne tarde pas à reconnaître son erreur et à voter.

Je parlerai donc dans le sens de la concession comme principe approuvé et je hasarderai de soumettre une idée au gouvernement.

Pour assurer l'exécution des travaux qu'il veut livrer à l'industrie privée ou au moins pour leur donner des chances d'exécution, il doit leur concéder plus qu'un minimum d'intérêt de 4 p. c, il faut encore accorder 1 p. c. d'amortissement. Au moyen de cet amortissement qui conduirait à l'extinction du capital social, les actions des compagnies rentreraient dans la catégorie de valeurs garanties par l'Etat, sur le dépôt desquelles la Banque Nationale peut faire des prêts dans certaines limites restreintes. Cette faculté d'emprunter prêterait beaucoup de valeur vénale aux actions en les mettant à la portée d'un plus grand nombre de preneurs et en les rendant plus coursables.

Cet amortissement pourrait se faire au profit de l'Etat quand la compagnie serait dans l'impuissance d'y pourvoir elle-même, et ainsi les travaux concédés rentreraient dans le domaine national avant le terme fixé par la concession.

Une autre faveur qui aiderait efficacement l'exécution des travaux, ce serait la réduction de 1/4 p. c. du droit d'enregistrement des contrats (erratum, p. 1933) d’emprunt hypothécaire des compagnies. Cette modération du droit permettrait aux compagnies de suppléer à l’insuffisance du capital social ; elle ne porterait pas préjudice au trésor public, puisque le droit ordinaire n'est pas payé. Le trésor y trouverait au contraire un élément de recettes. Vous avez consenti cette réduction dans une loi récente pour les privilèges à conserver sur certains objets mobiliers, immeubles par destination.

Je laisserai à des collègues plus aptes que moi le soin d'apprécier le mérite de chacun des travaux publics qu'il s'agit de voter ; j'avoue que je n'ai ni le temps ni la patience de me livrer à des études approfondies quand je suis convaincu de leur superfluité.

Je me réserve toutefois de présenter mes observations dans la discussion des articles.

Je voterai les moyens proposés pour l'achèvement des travaux qui sont commencés tant par concession que par l'Etat, car des travaux inachevés sont un préjudice et une honte pour un pays. La Belgique ne doit pas être dans le cas de présenter des lambeaux d'édifices qui ressemblent à des ruines et qui attestent l'impuissance.

Je voterai les travaux d'hygiène publique, les écoles et probablement les prisons, et j'émettrai le vœu que le gouvernement nous représente dans un an, si l'horizon politique est éclairci, les autres travaux suffisamment étudiés pour être exécutés par l'Etat.

- M. Verhaegen remplace M. Delehaye au fauteuil.

M. Delfosse. - L'honorable M. Dechamps nous disait hier qu'il ne faut pas mêler les questions politiques, les questions de parti, aux questions d'intérêt matériel.

Comme M. le ministre des travaux publics l'a fait remarquer avec raison, le conseil était excellent.

Mais pourquoi l'honorable membre qui l'a donné ne l'a-t-il pas entièrement suivi ? Pourquoi est-il venu raviver d'anciens dissentiments ? Pourquoi nous a-t-il parlé de la charité publique ? Pourquoi a-t-il rappelé quelques mots un peu durs que l'honorable ministre des finances lui adressait naguère en réponse à des accusations imméritées ? Au moment même où il paraissait faire un appel à la concorde, l'honorable M. Dechamps jetait dans le débat des germes d'irritation. Infidèle à son précepte, il mêlait, à petites doses à la vérité, mais enfin il mêlait des questions politiques à une question d'intérêt matériel.

Je dois toutefois le reconnaître, l'honorable M. Dechamps a été dans cette discussion beaucoup plus modéré que ses amis de la droite qui presque tous ont été injustes et violents, qui ont obéi, à leur insu, j'aime à le croire, à l'esprit de parti, à cet esprit qui dénature tout, qui transforme en fautes énormes, les choses les plus louables, en crimes les plus innocentes.

En première ligne de ces orateurs injustes et violents, je dois placer l'honorable M. Osy, que je regrette de ne pas voir à son banc ; mais il nous a attaqués, il permettra que, même en son absence, on lui réponde.

L'honorable M. Osy blâme aujourd'hui ce qu'il approuvait, ce qu'il appuyait chaleureusement en 1849. L'honorable M. Osy, en 1849, mû par des motifs d'humanité, votait pour ma proposition relative à la Meuse.

Aujourd'hui, sous prétexte que la question d'humanité est devenue accessoire, il se sépare de nous.

Ce n'est pas, messieurs, la question qui est changée, c'est l'homme.

Les raisons d'humanité qui nous poussaient en 1847, n'ont rien perdu de leur force. Les dangers qui menacent Liége n'ont pas disparu ; ils sont au contraire devenus plus redoutables. La terrible inondation de 1850 n'a que trop prouvé que nous avons tout à craindre. Elle a rendu plus impérieux le devoir qui incombe au gouvernement d'ordonner des travaux propres à faciliter l'écoulement des eaux.

L'honorable M. Osy s'élève avec indignation contre ce qu'il appelle une coalition monstrueuse qui, selon lui, porte atteinte à la liberté du vote, à la conscience du représentant.

Le projet lui déplaît, parce qu'il a le tort de contenter trop de monde. Il serait bien meilleur, s'il ne contentait personne, excepté cependant l'honorable M. Osy et son honorable ami M. de Theux. De tous les travaux projetés, il n'y en a guère que deux qui conviennent à l'honorable membre, le canal de Hasselt et le canal d'Herenthals à Anvers.

Quelles sont les raisons de cette préférence ? Il faut, dit l'honorable M. Osy, achever ce qui est commencé.

Il me semble que le canal de la Campine et le canal latéral qui en est la continuation, ne sont pas plus achevés du côté de Liége que du côté d'Anvers.

Le canal de Maeslricht à Bois-le-Duc a une étendue de 125 kilomètres ; le canal latéral, joint au canal de la Campine, a la même étendue ; l'embranchement sur Turnhout a 25 kilomètres ; en tout 275 kilomètres.

Pour compléter du côté de Liége ces voies navigables, pour les mettre en rapport avec le bassin houiller, avec le centre principal de notre industrie, il ne reste à canaliser la Meuse que sur une étendue de 18 kilomètres. La dépense, comme on le verra tantôt, ne serait que de 4 millions. Ce travail serait éminemment utile aux consommateurs, surtout aux consommateurs de la Campine. Il décuplerait les recettes des canaux qui aujourd'hui ne sont guère productifs, parce qu'ild sont inachevés.

Tout cela ne touche pas l'honorable M. Osy, il veut que le canal continue à reste une impasse du côté de Liége. Mais du côté de Hasselt et du côté d'Anvers, c'est différent. Là il y a 71 kilomètres à exécuter ; la dépense sera de plus de 7 millions. Vite ! la main à l'œuvre ! à bas la coalition ; vive l'égoïsme ! Tout pour moi et rien pour les autres.

Je ne dirai que quelques mots du discours de l'honorable (page 1922) M. de Liedekerke. Comme oeuvre de rhétorique, c'est bien. Comme raisonnement, c'est très faible. J'en donnerai une preuve.

L'honorable M. de Liedekerke, tout en disant qu'il n'entend faire aucune comparaison qui nous soit désagréable, nous compare en redite aux socialistes français. Et pourquoi ? Parce que la Montagne veut la construction et l'exploitation des chemins de fer par l'Etat, tandis que les conservateurs français, les hommes d'ordre préfèrent l'action des compagnies.

Je me permets de faire remarquer a l'honorable comte de Liedekerke que c'est précisément l'action des compagnies qui domine dans le projet que nous discutons. Le chemin de fer du Luxembourg, celui de l'Entre-Sambre-et-Meuse, celui de la Flandre occidentale ne seront ils pas construits et exploités par des compagnies ?

Quant aux travaux à faire par l'Etat aux voies navigables, les conservateurs français, les hommes d'ordre sont les premiers à en demander l'exécution par l'Etat. Le gouvernement français a fait aux voies navigables beaucoup plus de travaux que le gouvernement belge. Il y a beaucoup de rivières en France, par exemple, la Seine, l'Yonne et le Cher, qui sont canalisées d'après le système qu'il s'agit d'appliquer aujourd'hui à la Meuse.

Je n'ai remarqué qu'un passage dans le discours de l'honorable M. Coomans. C'est celui où il accuse la majorité de s'être embusquée dans le budget et de s'y plaire fort. Je crois qu'il serait très agréable à l'honorable M. Coomans de débusquer la majorité du budget quand ce ne serait que pour prendre le chemin de fer de Turnhout.

Mais alors l'honorable membre ne serait peut-être pas aussi conciliant que nous : nous avons fait une large part à ses amis politiques. Il est certain que Thielt, Courtray, Ypres, Poperinghe et même la Campine, n'ont pas à se plaindre du projet de loi ; pour me servir d'une expression de l'honorable M. Coomans, l'âne campinaire aura sa part du gâteau.

M. Coomans. - Très peu de chose. Ce n'est qu'un picotin ; trois quarts de lieue de canal.

M. Delfosse. - Qui vous ouvrent Anvers.

Je n'ai rien entendu du discours de l'honorable M. De Pouhon, si ce n'est qu'il a parlé contre le projet de loi sur les successions en ligne directe, qui est voté et sur le budget de la guerre, qui n'est pas à l'ordre du jour. Je me trompe, il a aussi fait un appel aux capitalistes anglais, non pour attirer leurs capitaux, mais pour qu'ils ne nous en apportent pas, ce qui n'est pas très patriotique.

M. De Pouhon. - Je n'ai pas dit cela.

M. Delfosse. - Vous parlez très bas ; il est difficile de vous comprendre, mais je crois avoir entendu que vos paroles étaient de nature à détourner les capitalistes anglais de nous apporter leurs capitaux. Si cela était, ce serait très peu patriotique.

A côté de M. Osy, il faut placer l'honorable M. de Man, que je regrette également de ne pas voir à son banc. L'honorable M. de Man n'a été ni moins injuste, ni moins violent que l'honorable M. Osy. Si Liége réclame des travaux à la Meuse, ce n'est pas que ces travaux soient utiles, c'est qu'elle veut jeter un défi au reste du pays. Elle veut prouver sa prédominance.

Les travaux à la Meuse ne sont rien pour elle ; ce qui est quelque chose, c'est que sa prédominance sur le reste du pays soit bien constatée. Peut-on parler avec plus d'inconvenance ? Une supposition aussi injurieuse pour une grande et patriotique cité devrait-elle sortir de la bouche d'un représentant de la nation ?

A Liége, messieurs, si l'on en croit l'honorable M. de Man, les administrations n'ont pas confiance dans le projet de M. Kummer ; et la preuve qu'il en donne, c'est que le conseil communal de Liége a fait une réserve pour le cas où la ville de Liége éprouverait des dommages à la suite des inondations. M. de Man n'a donc pas lu les pièces.

A Liége, toutes les administrations sont unanimes pour appuyer le projet de M. Kummer, le conseil communal, le conseil provincial, la chambre de commerce. Si M. de Man avait lu les pièces, il saurait que la réserve dont il parle n'a été faite par le conseil communal de Liége que pour le cas où l'on n'aurait exécuté qu'une partie du projet de M. Kummer, la partie relative à la navigation ; mais aujourd'hui il n'est plus question de cette réserve, elle doit être considérée comme nulle et non avenue. Voyez l'annexe XV, voyez la lettre du bourgmestre de la ville de Liége.

L'honorable M. de Man prétend que Liége veut se réserver pour ses charbons le marché de Louvain à l'exclusion du Hainaut ; comment se fait-il a'ors que les deux représentants de Liége, qui font partie de la section centrale, aient voté pour le chemin de fer de Louvain à Wavre et de Wavre à Manage ?

A entendre l'honorable M. de Man, on veut démolir le vieux pont des Arches, uniquement pour embellir la ville : on veut le démolir, parce qu'il fait obstacle à l'écoulement des eaux, parce qu'il est un écueil dangereux pour les bateliers ; on veut le démolir surtout (et c'est une raison sans réplique), parce qu'il menace ruine. Je ne voudrais pas que l'honorable M. de Man fût condamné à passer quelques heures sous certaines parties de ce pont. Je crois qu'il serait très effrayé.

M. Dumortier. - Pourquoi la ville de Liége n'y pourvoit-elle pas ?

M. Delfosse. - C'est l'affaire du gouvernement. C'est la grande voirie.

Je prie M. Dumortier de ne pas m’interrompre.

Je tiens d'autant plus à ce qu'il ne m'interrompe pas, que je n'ai pas sa fluidité de parole.

On a fut une avance de 1,800,000 francs à la société concessionnaire du chemin de fer de Liége à Namur pour l'achèvement des travaux. « A quoi bon, dit l'honorable M. de Man, cette avance, si elle ne devait pas servir à mettre les établissements de la rive gauche, comme ceux de la rive droite, en rapport avec la voie navigable ? »

L'bonorable M. de Man oublie qu'on a fait cette avance parce que le pont du Val-Saint-Benoît menaçait ruine, et pour que les communications avec les chemins de fer de l'Allemagne ne fussent pas interrompues.

L'honorable M. de Man n'évalue qu'a 70,000 tonnes l'exportation du bassin houiller de Liége, et il croit que les travaux d’amélioration à faire à la Meuse n’élèveront cette quantité que de 30,000 tonnes. Est-ce pour un résultat aussi insignifiant qu’il faut faire des travaux aussi gigantesques, car c’est ainsi qu’on appelle ces travaux !

Le bassin houiller de Liége exporte en ce moment dans le Limbourg cédé et en Hollande 90,000 tonnes. Avant 1830, ce bassin exportait dans ces pays 240,000 tonnes ; on peut espérer que lorsque la Meuse sera canalisée jusqu'à la limite du bassin houiller, l'exportation sera aussi forte qu'avant 1830 ; elle pourra même s'accroître ; la consommation en Hollande est de 650,000 tonnes.

La production s’accroissant, dit l'honorable M. de Man, les salaires s'élèveront ; on perdra ainsi plus qu'on n'aura obtenu par la réduction du fret, à moins qu'on ne fasse venir des ouvriers allemands, chose que l'honorable M. dt Man redoute fort ; il paraît que l'honorable M. de Man a grand-peur des ouvriers allemands.

Si l'argument était fondé, il faudrait renoncer à la création de nouvelles voies de communication. Comment l'opinion de l'honorable M. de Man se concilie-t-elle avec ce fait, que la production du bassin houiller de Charleroy a quadruplé, après l'exécution du canal de ce nom et après la canalisation de la Sambre ?

L'honorable M. de Man ne tient pas compte d'un autre fait très important, c'est que les frais généraux s'appliquant à une plus grande production, diminuent le prix de revient.

L'honorable M. de Man assure que les travaux projetés à la Meuse n'ont été imaginés qu'en 1847, pour faire triompher les libéraux ; c'est, selon lui, une machine électorale destinée à renverser ses amis politiques. Inde irae.

C'est là une merveilleuse découverte que l'honorable M. de Man a faite, que les travaux projetés à la Meuse n'auraient été imaginés qu'en 1847 dans un but électoral. Mais les projets remontent à une époque antérieure à 1830 ; ils ont été conçus par le roi Guillaume ; ils ont été repris, à partir de 1840, par tous les ministres qui se sont succédé au pouvoir.

Le roi Guillaume avait conçu de grands projets pour faire prospérer l'industrie du pays et principalement les divers bassins houillers, ceux du Hainaut comme ceux de Liége. Ses projets, pour arriver à ce but, étaient pour le Hainaut la canalisation de la Sambre, le canal de Charleroy, et le canal de Pommeroeul à Antoing ; pour Liége, le canal de Bois-le-Duc à Maestricht qui devait se prolonger, non seulement jusqu'à Liége, mais jusqu'à la limite du bassin houiller, et même jusqu'à la France.

Le roi Guillaume avait encore conçu le projet d'un canal de jonction entre la Meuse et l'Escaut.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Et à la Moselle.

M. Delfosse. - Par le canal de l'Ourlhe. Le projet était de joindre par le canal de la Campine la Meuse à l'Escaut, et par le canal de l'Ourthe la Meuse à la Moselle.

On avait exécuté une grande partie de ces projets avant 1830 ; on avait commencé la canalisation de la Sambre, le canal de Charleroy et le canal de Pommerceul à Antoing ; on avait commencé le canal de Bois-le-Duc à Maeslricht, mais la révolution de 1830... (Interruption.)

On me dit que c'est le gouvernement qui a exécuté les travaux dans la province de Liége, tandis que c'est au moyen de concessions de péages qu'on a construit les canaux dans le Hainaut. On me dit qu'ils n'ont rien coûté au gouvernement.

Je vais vous prouver qu'ils ont coûté quelque chose.

On a exécuté les canaux du Hainaut par voie de concession de péages ; cela est vrai, mais avec cette clause que les fonds nécessaires seraient avancés ou par le syndicat d'amortissement ou par la Société Générale, le concessionnaire devait payer un intérêt de 4 1/2 p.c.

M. Pirmez. - Ce n'étaient pas les contribuables.

M. Delfosse. - Nous y viendrons aux contribuables ; mais je prie M. Pirmez de ne plus m'interrompre.

Il y avait donc une clause portant que les fonds seraient fournis par le syndicat d'amortissement, moyennant un intérêt de 4 1/2 p. c. Quelle était la garantie ? Il n'y en avait aucune, si ce n'est le produit du canal quand il serait exécuté. Si les concessionnaires n'avaient pas réussi dans leur entreprise, ils ne couraient donc pas grand risque. Les concessionnaires qui n'avaient fait presque aucune avance de fonds ont cédé plus tard les canaux au gouvernement. Voici ce qu'ils ont coûté : Le gouvernement a repris le canal de Charleroy, il a libéré le concessionnaire de 27 annuités de 280 mille florins, ce qui représente un capital d’à peu près 10 millions de francs.

M. Rousselle. - Quel revenu a-t-il retiré ?

M. Delfosse. - Je répondrai tantôt à cette interruption. Si (erratum, p. 1933) je suis interrompu d'un côté par le Couchant Mons et de l'autre par le bassin de Charleroy, la discussion deviendra confuse. (page 1923) Ainsi, le canal de Charleroy a coûté à l'Etat quelque chose comme 16 millions de francs. La Sambre canalisée a été reprise pour 12,406,000 fr. Le canal de Pommeroeul à Antoing, repris aussi par le gouvernement, à coûté 7,319,000 fr. Ces trois canaux réunis ont coûté à peu près 35 millions de francs. M. Pirmez dit que ces canaux n’ont rien coûté à l’Etat, aux contribuables, parce qu’ils donnent de beaux produits.

C'est vrai, mais pourquoi donnent-ils ces produits ? Parce que les charbons du bassin de Charleroy ont trouvé ainsi à Anvers, à Bruxelles, en France, un débouché qui leur manquait ; c'est précisément là ce qui prouve l'avantage qu'on vous a fait.

Si l'on avait achevé le canal de Bois-le-Duc, si le roi Guillaume avait pu réaliser ses projets pour Liége, nous aurions eu aussi une voie navigable qui nous eût permis d'exporter, et alors nos canaux eussent été productifs comme les vôtres.

Si les canaux du Hainaut ont produit beaucoup, c'est que le Hainaut a obtenu, grâce à ces canaux, de nouveaux marchés. C'est qu'il s'est emparé d'une partie des marchés que Liége possédait avant 1830. (Interruption.) Les exploitants du Couchant de Mons reconnaissent dans leur pétition qu'i's ont en France un magnifique marché. Tout ce qu'ils craignent, c'est de le perdre un jour ; mais, en attendant, ils le tiennent.

Puisque je viens de parler du Couchant de Mons, je vais vous lire un passage d'une pétition des exploitants de ce bassin ; ils avouent que Liége a été tout à fait sacrifié, négligé, qu'il faut faire quelque chose pour Liége.

Voici le passage de cette pétition : j'espère que ce témoignage de ceux qui se posent comme nos concurrents, ne sera pas suspect.

« Nous ne faisons aucune difficulté de reconnaître qu'on avait beaucoup trop négligé ce centre important de production (Liége), et qu'il n'est que juste de lui ouvrir des débouchés et de le mettre à même de prendre tout le développement dont il est susceptible. »

Après la révolution de 1830, il n'y eut plus moyen d'exécuter les projets que le roi Guillaume avait conçus pour le bassin de Liége. Nous étions en hostilité avec la Hollande ; il n'y avait pas moyen de travailler à la Meuse ; cela n'eût servi à rien ; nous ne pouvions faire un canal de jonction au canal de Bois-le-Duc à Maestricht. La Hollande était en possession de Maestricht ; il a fallu renoncer pendant dix ans à ces travaux.

Pendant ce temps-là, le gouvernement belge a fait achever les travaux que le gouvernement hollandais avait (erratum, p. 1933) commencés dans le Hainaut. Lorsque la révolution de 1830 éclata, le syndicat d'amortissement n'avait encore avancé au concessionnaire du canal de Charleroy que 2,900,000 florins ; les 1,100,000 fl. restants furent fournis par le gouvernement belge.

Pendant ce temps, non seulement les exploitans du Hainaut, mais surtout ceux de la Ruhr (Prusse), se sont emparés du marché que nous approvisionnions ; nous sommes sur la Meuse, notre marché naturel, c'est la Hollande. Quel débouché avait le bassin de Charleroy, avant la construction du canal de Charleroy et la canalisation de la Sambre ? Il ne pouvait exporter en Hollande ; il avait beaucoup de peine à arriver à Bruxelles et à Anvers.

Avant 1830, il ne produisait que 400,000 tonnes de charbon ; aujourd'hui, grâce à ces canaux, exécutés, partie par le gouvernement hollandais, partie par le gouvernement belge, avec les fonds des contribuables, le bassin houiller de Charleroy, y compris quelques houillères du centre, rapprochées de ce bassin, produisent 1,858,000 tonnes. Il a, comme le couchant de Mons, un magnifique débouché en France.

Avant de rien ajouter aux avantages du bassin de Charleroy, il était donc juste de faire quelque chose pour le bassin de Liége, de le mettre au moins dans la situation où il eût été si la révolution de 1830 n'était pas survenue. C'est aussi ce que le gouvernement belge voulut faire. A partir de 1840, après la cessation des hostilités, et la conclusion du traité avec la Hollande, le gouvernement s'occupa de l'amélioration du cours de la Meuse ; tous les ministres qui se sont succédé au pouvoir ont ordonné des études pour de grands travaux à la Meuse.

On a toujours dit à la ville de Liége : On se propose d'entreprendre de grands travaux à la Meuse. Vous avez attendu pendant dix ans. Il le fallait bien. Nous étions en hostilité avec la Hollande. Mais il faut encore un peu de patience, parce qu'il y a des études à faire ; on prépare un projet. Nous avons encore attendu pendant dix ans.

Vers 1840, la question s'est compliquée : à la question de navigation est venue se joindre celle des inondations.

Par suite de changements opérés, les uns par le temps, les autres par l'administration communale, avec l'approbation du gouvernement, les autres par suite de travaux concédés par le gouvernement, les eaux de le Meuse n'ont plus eu un débouché suffisant ; il a fallu chercher à mettre la ville de Liége à l'abri des inondations qui devenaient désastreuses, de là une correspondance entre la ville de Liége et le ministre.

Le ministre avait deux buts à atteindre, deux devoirs à remplir : améliorer la navigation, prévenir les inondations. M. Guillery fut chargé des études qui avaient pour objet d'améliorer la navigation, M. de Sermoise de celles qui avaient pour objet de prévenir les inondations.

M. Guillery proposa un système de passes artificielles, ce projet fut exécuté sur quelques points de la Meuse, mais il fut jugé insuffisant et dangereux dans la traverse de Liége ; il ne donnait d'ailleurs qu'un mètre de tirant d'eau. Cela pouvait suffire en amont de Liége, pour se mettre en rapport ave la Meuse française, qui n'a guère plus d'un mètre, mais cela ne suffisait pas pour la partie de la Meuse qu'il fallait mettre en rappirt avec le canal de Bois-le-Duc à Maestricht et celui de la Campine qui ont 2 mètres 10 de tirant d'eau.

M. Kummcr fit à son tour un projet qui fut jugé insuffisant, il fut chargé d'en préparer un deuxième ; c'est le projet qu'il s'agit d'exécuter aujourd'hui.

En 1845, on avait donné une première réparation à la ville de Liége ; on avait voté le canal latéral ; mais rien n'était fait, au point de vue des inondations et des périls de la navigation dans la traverse de Liége.

Le projet de M. de Sermoise, qui devait coûter 3 millions de fr., avait été abandonné. L'honorable M. Dechamps lui-même l'avait déclaré insuffisant.

Voici la lettre adressée par M. Dechamps, le 30 juin 1845, après le vote du canal latéral, à l'administration communale de Liége :

« Messieurs,

« J'ai reçu la lettre datée du 2 mai dernier (n°891), par laquelle votre collège insiste auprès de mon département à l'effet d'obtenir qu'une prompte décision intervienne, en ce qui concerne le projet de dérivation de la Meuse à Liége.

« Je partage, messieurs, toute la sollicitude de votre collège pour l'amélioration de la navigation dans la traverse de Liége, mais je pense que le moment de mettre la main à l'œuvre n'est pas encore venu.

« Des faits nouveaux sont venus modifier la situation des choses, en ce qui concerne la dérivation de la Meuse. Je veux parler des projets de canal latéral à la Meuse, à établir entre les villes de Liége et de Maestricht, et du chemin de fer de Liége à Namur.

« Il y aura ici un travail d'ensemble à faire, et, avant de mettre la main à l'œuvre pour la dérivation de la Meuse, il conviendra de coordonner le projet de ces travaux avec ceux des deux voies nouvelles de communication dont mention précède.

« Des mesures ont été prises par mon département pour que les études nouvelles que nécessite la coordination de ces divers projets soient effectuées avec toute l'activité désirable.

« Agréez, je vous prie, messieurs, l'assurance de ma haute considération. »

L'honorable M. Malou disait, (erratum, p. 1933) dans la discussion du canal latéral, que cette dépense en entraînerait une autre, qu'il faudrait canaliser jusqu'au bassin houiller. L'honorable M. Dechamps lui répondait : que le canal serait prolongé jusqu'au Val-Benoît, et qu'en amont on se servirait du chemin de fer de Liége à Namur construit sur les deux rives.

Mais l'honorable M. Dechamps se trompait hier quand il disait que son intention avait été d'exécuter le projet de M. de Sermoise qui ne devait coûter que 3,115,000 francs ; car depuis longtemps l'honorable M. Dechamps avait abandonné ce projet.

Je vous ai donné lecture d'une lettre qui est postérieure à la discussion. Mais voici un fait antérieur qui prouve que l'honorable M. Dechamps avait, depuis longtemps, reconnu par le projet de M. de Sermoise était incomplet, insuffisant, qu'il ne répondait pas au but qu'il fallait atteindre, au double point de vue de la navigation et des inondations.

M. Dechamps avait institué, par arrêté du 15 avril 1844, une commission spéciale à l'effet d'étudier les moyens de préserver, autant que possible, la ville de Liége de l'invasion des eaux et de prévenir les ravages auxquels elle est exposée par les crues.

Lorsqu'on a discuté le projet du canal latéral, lorsque l'honorable M. Dechamps a dit que l'on canaliserait la traverse de Liége et qu'on combinerait cette canalisation avec les travaux de dérivation, il ne pouvait donc pas être question du projet de M. de Sermoise qui devait coûter 3,115,000 fr. ; ce projet était abandonné.

Tout en acquiesçant à la déclaration du ministre des travaux publics, mon honorable ami M. Lesoinne, aux paroles duquel je me suis référé, disait : « Si le besoin se faisait sentir de donner en amont de Liége un tirant d'eau égal au canal de Maestricht, si l'on démontrait que l'exécution de ce travail serait utile pour le commerce du pays, je ne pense pas qu'on s'y refusât. »

Voilà les paroles que mon honorable ami M. Lesoinne a prononcées lors de la discussion du canal latéral.

Le gouvernement sentit bientôt qu'il n'y avait pas à hésiter entre le chemin de fer et la voie navigable ; et le 4 septembre 1845, M. le ministre des travaux publics... (ce n'était pas M. Dechamps, on a dit par erreur dans le rapport que c'était M. Dechamps ; c'était, je crois, l'honorable M. d'Hoffschmidt. L'honorable M. Deschamps était passé au département des affaires étrangères).

Le 4 septembre 1845, M. le ministre des travaux publics chargea M. Kummer de procéder à de nouvelles études pour préserver la ville de Liége des désastres des inondations et prolonger la navigation du canal latéral avec son tirant d'eau de 2 mètres 10 centimètres jusqu'aux limites du bassin houiller de Liége.

On entrait et l'on avait raison d'entrer, dans la voie indiquée dans la discussion, par mon honorable ami M. Lesoinne. La seule différence entre cet ordre donné par le collègue de M. Dechamps et la lettre de ce dernier à l'administration communale de Liége, c'est qu'il s'agissait de canaliser la Meuse en amont de Liége comme dans la traverse.

Et il ne devait pas en résulter un grand accroissement de dépense ; un barrage de plus à Jemeppe, 1,100,000 fr. tout au plus. Pour si peu (page 1924) fallait-il laisser incomplet un système de voies navigables de 275 kilomètres ?

Le chemin de fer de Liége à Namur, construit sur les deux rives, pouvait, dit-on, tenir lieu, en amont de Liége de la canalisation de la Meuse.

C'est une erreur. Le transport du charbon par chemin de fer coûte 40 centimes par tonne et par lieue. Par le canal il ne coûte que 8 centimes. Par chemin de fer, il y a aussi des frais de transbordement qu'on peut évaluer à 20 centimes, et un déchet qu'on peut évaluer à 40 centimes. La différence sur la tonne-lieue est donc d'un franc. C'est beaucoup pour une matière pondéreuse qui n'a pas une grande valeur. De cette différence peut dépendre la question d'exportation.

Mais alors, dit-on, pourquoi avoir fait construire le chemin de fer de Namur à Liége sur les deux rives ? Parce que ce chemin de fer sera utile pour les relations avec l'Allemagne, avec la Belgique, avec la France. La voie navigable nous servira pour les envois en Hollande, en Campine et jusqu'à un certain point à Anvers.

Si le projet de M. Kummer coûte plus que celui de M. de Sermoise, ce n'est pas parce qu'on canalise en amont de Liége. Comme je l'ai dit tantôt, il n'en résulte qu'un accroissement de 1,100,000 fr. ; mais c'est qu'il est plus complet, qu'il atteint mieux le but. L'honorable M. Dechamps lui-même avait reconnu que le projet de M. de Sermoise n'atteignait pas le but, qu'il était incomplet.

La dépense relative à la navigation, d'après le projet de M. Kummer, sera de quatre millions y compris le pont des Arches que l'Etat devait démolir dans tous les cas d'ici à un petit nombre d'années. Cette somme est-elle trop forte pour compléter à peu près 300 kilomètres, 60 lieues de voie navigable, pour arriver au centre principal de l'industrie, pour procurer un grand avantage, non seulement aux producteurs, mais surtout aux consommateurs, et pour rendre les canaux productifs, pour que les exploitants de Liége puissent un jour dire de leurs canaux ce que l'on dit de ceux du Hainaut : Ils ne coûtent pas grand-chose au contribuable ; ils produisent beaucoup.

Il résulte de calculs faits par des hommes spéciaux, calculs qui n'ont rien d'exagéré, que le canal latéral étant achevé jusqu'à la limite du bassin houiller, pourra, conjointement avec le canal de Maestricht à Bois-le-Duc et C3lui de la Campine, rapporter au trésor au moins 800,000 fr., ce qui représente un capital de 16 millions.

Messieurs, si les canaux du Hainaut n'étaient pas complets, s'ils formaient, comme le canal latéral, une impasse, ils produiraient très peu de chose.

Ainsi voilà cette dépense que l'on trouve exorbitante, qui fait jeter les hauts cris : 4 millions pour achever deux voies navigables qui ont coûté beaucoup ; 4 millions pour les rendre productives ; 4 millions pour relever une industrie souffrante, pour lui rendre en partie le marché qui lui a été enlevé en 1830 et qu'elle eût conservé sans la révolution, parce qu'on aurait en 1830 achevé dans la province de Liége, comme on a achevé dans le Hainaut, les voies navigables projetées.

Messieurs, il n'y a pas seulement ici l'intérêt des exploitants de houille. D'autres industries profiteront de cette dépense : la chaux, l'engrais, les mines, les bois du Luxembourg, d'autres produits de cette province, pourront utiliser cette voie de communication.

La partie du projet de M. Kummer, relative aux inondations, ne coûtera que 2 millions. Est-ce trop pour éviter de grands désastres ? Je ne le pense pas. Il y a longtemps qu'on aurait dû mettre la main à l'œuvre. Nous avons attendu forcément dix ans pendant que nous étions en état d'hostilité avec la Hollande. Nous avons attendu plus de dix autres années pendant que les ingénieurs se livraient aux études qui leur étaient demandées par le gouvernement.

Le gouvernement sentait qu'il n'y avait pas de temps à perdre, qu'il fallait se hâter de mettre la main à l'œuvre, et le ministère de M. de Theux lui-même, dont l'honorable M. Malou et l'honorable M. Dechamps faisaient partie, a eu un moment l'intention, dans les derniers mois de 1846, de proposer aux chambres l'exécution du projet de M. Kummer ; cela paraît, au mois, résulter d'une lettre de M. de La Coste, alors gouverneur de la province de Liége, à un de ses administrés, il résultait même clairement de cette lettre que le gouvernement proposerait aux chambres l'exécution de ce projet.

Ce n'est que parce que cette promesse, je ne sais pour quelle cause, n'a pas été tenue que les députés de Liége se décidèrent à présenter un amendement au budget des travaux publics de 1847 ; amendement par lequel ils demandaient une allocation de 400,000 francs pour commencer la partie du projet de M. Kummer, indiquée par le conseil des ponts et chaussées, comme devant être exécutée la première. Cet amendement fut adopté au premier vote à la majorité d'une voix et rejeté au second vote à la majorité de quelques voix, à la suite des efforts du gouvernement, qui, du reste, ne repoussait pas d'une manière absolue l'exécution du projet de M. Kummer ; mais il soulevait une question d'inopportunité, une espèce de fin de non-recevoir.

Messieurs, vous voyez combien j'avais raison de dire qu'il y avait nécessité, urgence d'entreprendre enfin ce travail tant attendu.

N'avais-je pas raison de dire aussi que ceux qui combattent cette dépense si utile, si nécessaire, si juste, sont, à leur insu, poussés, dominés par l'esprit de parti ?

La Meuse coule pour les catholiques comme pour les libéraux ; elle porte des bateaux de toutes couleurs, mais elle compte sur ses rives une foule de libéraux ardents, dévoués, qui ont puissamment contribué au triomphe de leur cause, De là, le mécontentement qui se traduit chez quelques-uns, en paroles amères, en votes hostiles. Je me hâte de dire que l'honorable M. Dechamps s'est, en ce point (et je l'en félicite) séparé de ses amis.

L'honorable membre ne combat point précisément les travaux projetés,à la Meuse, il donnerait un démenti à son passé, mais il voudrait une compensation pour Charleroy et Mons, pour Charleroy surtout. Charleroy et Mons sont, dit-il, sacrifiés à Liége. En 1845 on a projeté des travaux pour Liége, Mons et Charleroy ; les travaux de Liége ont été exécutés ; ceux qui étaient destinés aux bassins houillers de Mons et de Charleroy ne l'ont pas été.

Le tort de l'honorable M. Dechamps est de s'être arrêté en 1845 ; il fallait remonter à 1830 : ceux que l'on dit sacrifiés sont, en définitive, par le fait du gouvernement, dans la meilleure position. J'ai ici un tableau indiquant la production de chaque bassin houiller, et c'est en définitive par là qu'il faut juger quels sont ceux qui ont été ou qui n'ont pas été sacrifiés. Avant 1830, Charleroy produisait 400,000 tonnes, valeur 3,800,000 fr. ; en 1850, Charleroy, en y comprenant cinq charbonnages du Centre, a produit 1,830,000 tonnes, valeur 12,938,000 francs, c'est-à-dire que la production a quadruplé.

Mons produisait, avant 1830, 1,500,000 tonnes, valeur 14,250,090 fr. ; en 1850, Mons en y comprenant les cinq charbonnages du Centre, a produit 2,550,000 tonnes, valeur 23,799,000 fr.

Liége produisait avant 1830, 522,400 tonnes, valeur 5,405,800 fr. ; aujourd'hui Liége produit 1,186,500 tonnes, valeur 8,578,000 fr.

La production de Liége est donc aujourd'hui plus faible que celle de chacun des autres bassins. Liége n'exporte presque rien, 90,000 tonnes en Hollande.

Si Liége a encore une production (erratum, p. 1933) aussi forte, c'est à cause de la consommation de ses hauts fourneaux.

Il y a plus, messieurs, c'est que le bénéfice net est bien plus considérable à Mons et à Charleroy qu'à Liége. Voici quel est le rapport du (erratum, p. 1933) gain à la dépense :

Mons 19 5/10 p. c.

Le Centre 26.

Charleroy 9 7/10.

Liége 5 5/10.

Ainsi, pour Liége le rapport du gain à la dépense n'est que de 5 5/10 pour cent, alors que pour Mons il est de 19 5/10 p. c, pour le Centre de 26 et pour Charleroy de 9 7/10 p. c. C'est Liége qui vient en dernière ligne.

Voilà, messieurs, ce qui résulte d'une statistique faite par l'administration des mines.

Les travaux projets en 1845 pour Mons et Charleroy ne coûtaient rien à l'Etat ; les travaux projetés pour Liége étaient exécutés en grande partie aux frais de l'Etat.

On sentait que, cette fois, c'était à l'Etat d'intervenir pour Liége, mais l'Etat n'intervenait ni pour Mons ni pour Charleroy ; il était suffisamment intervenu après 1830, non seulement par le rachat des canaux, mais encore par de fortes réductions de péages. Les travaux projetés en 1845 pour Mons et pour Charleroy ne coûtaient rien à l'Etat et aujourd'hui on leur donne autant qu'à Liége. Qu'est-ce que Liége a ? 6 millions, par an 300,000 fr. (erratum, p. 1933) .

Eh bien, que donne-t-on à Mons ? Le canal de Bossuyt à Courtray... (Interruption.) Comment ! les exploitants de Mons ne tireront pas une grande utilité du canal de Bossuyt à Courtray ? Eh bien, ce canal coûtera au trésor 200,000 francs par an : on garantit un minimum d'intérêt de 4 p. c. sur un capital de 5 millions. Mons obtient, en outre, une réduction de péages sur le canal d'Antoing, c'est encore 200,000 francs. Voilà 400,000 francs. Il y a ensuite le chemin de la Dendre et l'amélioration de l'Escaut. En définitive, Mons, qui se plaint, obtient plus que Liége. (Interruption.)

On me répond que le minimum d'intérêt ne sera pas payé ; je puis dire aussi que l'Etat retirera des produits du canal de Liége à Maastricht, du canal de la Campine, du canal de Maestricht à Bois-le-Duc.

Charleroy, messieurs, obtient la garantie d'un minimum d'intérêt pour le chemin de fer de l'Entre-Sambre-et-Meuse. L'exportation du bassin de Charleroy nous enlèvera le marché des Ardennes françaises ; nous ne vendrons plus une seule tonne de charbons dans les Ardennes françaises. Eh bien, cette garantie s'élève à 200,000 fr. (Interruption.) Sans cela, ce chemin ne se ferait pas.

Certainement, la garantie est pour les embranchements, mais cette garantie qu'on donne permet d'achever le tronc principal. C'est donc 200,000 francs. Puis vous avez l'élargissement d'une partie du canal de..., soit 1,000,000 de fr. ; puis vous avez 650,000 fr. pour travaux d'amélioration à la Sambre. Le bassin de Charleroy qui a obtenu tout cela n'est pas encore trop à plaindre.

Du reste, je n'envie pas aux autres localités les avantages qui leur sont accordés. Si l'on démontre dans la discussion qu'il serait convenable de donner à ces bassins, ou plutôt aux consommateurs, car les avantages qu'on paraît donner aux producteurs tournent en réalité au profit de la consommation ; si l'on démontre, dans la discussion, qu'il serait convenable de donner à ces localités quelque chose de plus, je ne m'y opposerai certes pas.

Ce que je veux, ce que nous devons vouloir tous, c'est autant que possible, la pondération de tous les intérêts. Ce que nos adversaires appellent une coalition montrueuse, je l'appelle une répartition équitable entre les diverses parties du pays. C'est une coalition qui est née tout naturellement, qui ne doit rien à l'intrigue.

(page 1925) Pour ma part, je n'ai promis à aucun de mes collègues ma voix pour les travaux qui concernent leur district, et je n'ai demandé à aucun de mes collègues sa voix pour l'amélioration de la Meuse. Je laisse mes honorables collègues comme j'entends rester moi-même entièrement libre dans mon vote.

Partisan du projet, je me crois tout aussi libre dans mon vote, tout aussi indépendant des électeurs que l'honorable M. Osy, que l'honorable M. de Man qui repoussent tous les travaux, excepté ceux qui intéressent leurs localités.

Tel crie à la coalition et la proclame immorale, qui la trouverait parfaite, si l'on cédait à toutes ses exigences, si on lui faisait une meilleure part.

Que d'autres se coalisent pour égarer les populations, pour les retenir dans l'ignorance ; que d'autres se coalisent pour arriver aux honneurs et aux dignités, nous nous coalisons, nous, pour doter le pays d'institutions utiles, pour créer des voies de communication qui feront prospérer l'agriculture, l'industrie et le commerce ; cette coalition est bonne, elle est avouable ; nous n'avons pas en rougir ; nous devons, au contraire, en être fiers.

M. Pirmez. - Je ne conçois pas comment l'honorable M. Delfosse a saisi cette occasion pour parler du canal de Charleroy. Serait-ce pour établir une comparaison entre la nature de la construction de ce canal, et les travaux qu'il s'agit d'exécuter dans Liége en vertu de la loi que nous discutons ? S'il en est ainsi, je ne crois pas que cela soit fort habile.

La construction du canal de Charleroy n'est pas une entreprise de l'Etat. C'est une société qui l'a construit à ses risques et périls, l'argent des contribuables n'y était pour rien engagé. Si postérieurement l'Etat belge en a fait l'acquisition, cette opération, loin d'être onéreuse au trésor, a été la source d'un bénéfice considérable. Cet achat, certes, n'a pas été le résultat de notre influence, bien moins encore d'une ligue quelconque. Peut-on mettre en comparaison une pareille opération avec les travaux qu'il s'agit d'exécuter dans Liége, dont l'exécution demande à l'avance de nouveaux impôts.

L'honorable M. Delfosse nous a donné le calcul du coût du canal de Charleroy ; je ne peux en vérifier d'ici l'exactitude, mais personne ne conteste dans la chambre que l'acquisition du canal n'ait été une excellente opération.

L'honorable membre établit des calculs des extractions et exportations des différents bassins houillers ; il en fait la comparaison et il conclut que l'avantage qu'il trouve dans l'accroissement de Charleroy, supérieur, dit-il, à Liége, provient de l'intervention de l'Etat. Assertion inexacte puisque le canal n'a rien coûté.

Et de cette infériorité qu'il trouve dans Liége, il conclut qu'il faut établir une pondération d'où il semble résulter d'après ce système de pondération que l'Etat doit faire des sacrifices envers Liége jusqu'à ce qu'on trouve que le progrès de sa production égale celui des autres bassins.

C'est vraiment là le système de pondération.

Il ne faut pas conclure que je sois partisan du projet de loi parce que je propose un amendement.

J'ai combattu ce système inouï de coalition dans la sixième section, qui a envoyé un rapporteur qui l'a combattu dans la section centrale.

Mais il doit apparaître maintenant à tous les yeux que toute résistance est inutile au principe de l'immense intervention dans laquelle l'Etat va s'engager.

Il faut bien le reconnaître. Au premier abord, cette immense intervention paraît être généralement désirée, car c'est vainement que vous chercheriez quelque part un appui pour vous y opposer.

Dans cette chambre naturellement composée d'hommes habitués à considérer les affaires du pays dans leur ensemble, une section seulement sur six a fait au principe du projet quelque sérieuse opposition.

La section centrale lui a donné une grande extension.

Dans les adresses des conseils provinciaux, pas un mot, pas une idée de blâme sur le principe de cette intervention. Bien au contraire, on n'y rencontre pour ce principe que vénération et tendresse.

Dans les autres corps constitués, les conseils communaux, les chambres de commerce, les associations industrielles, vous y trouvez la même approbation.

Et quant aux individus, s'il en est qui se soient adressés à vous, c'est aussi pour approuver le principe et lui donner de l'extension. Et parmi tous les contribuables dont se compose la Belgique, il n'en est pas un seul qui nous ait demandé : Où allez-vous ?

En présence de cet unanime concours, on dirait qu'il y a une extrême présomption à ne pas entrer dans les vues du gouvernement.

Je ne crois pourtant pas que la loi soit réellement le vœu du pays. Mais je pense que lorsque le gouvernement surexcite tous les intérêts, fait un appel à toutes les passions, que sa première mission serait, selon moi, de tâcher de refréner ; il est impossible qu'une attaque violente partant de toute part, ne se livre pas contre la fortune nationale, que ses gardiens naturels dans des vues de bien public, sans doute, mais erronées selon moi, poussent chacun à envahir.

Je ne vous fatiguerai pas en vous donnant encore une fois la démonstration qu'il n'est aucune puissance qui puisse résister au gouvernement organisant une coalition d'intérêts locaux contre le trésor public, et si l'on est bien convaincu de cette vérité, il est des circonstances où il serait absurde, coupable même de ne point tenter d'obtenir une part de la fortune publique distribuée à tous.

C'est surtout lorsque le sort d'une grande quantité d'individus est lié à la solution de ces questions.

Le travail, l'industrie est et a toujours été une lutte. Cette lutte existera toujours.

Si ce n'était pas une lutte, ce ne serait ni du travail, ni de l'industrie.

Je crois aux pures intentions de ceux qui cherchent la pondération des intérêts de la société par l'Etat ; mais à mes jeux, c'est toujours une impossibilité, une chimère dangereuse. Je l'ai démontré tant de fois.

A mes yeux cette idée c'est toujours une erreur qui engendre beaucoup de maux. C'est la source des intrigues, des cabales, d'une coalition permanente contre la fortune publique, le triomphe ds la ruse, l'abaissement des caractères et la dégradation morale du pays.

Oui, je pense toujours ainsi, mais je sais bien que ces idées sont entièrement vaincues, et que s'il est une occasion où leur développement serait fastidieux, c'est dans la discussion de ce projet de loi.

Toutefois qu'il me soit permis de faire remarquer qu'il n'est pas possible que l'Etat construise à ses frais des canaux, des chemins de fer pour transporter des matières pondéreuses telles que de la houille par exemple sur certains marchés sans que la condition de ceux qui y vendaient ces denrées, soit sensiblement affectée.

La perte des uns balance d'ordinaire le bénéfice des autres. Et s'il s'agit de la vente de produits comme la houille dont dépend l'existence d'une immense population qui s'est développée, qui a grandi, qui existe uniquement en un mot par la vente du produit de son travail, on comprend qu'un changement brusque, considérable opéré par l'Etat dans les conditions des débouchés doit amener des crises fort douloureuses dans des populations nombreuses.

Je l'ai dit, il est inutile de tenter de résister aux idées qui ont amené le projet ; et par conséquent, il est évident que, vouloir se placer en dehors des considérations locales, c'est sacrifier l'intérêt des localités ainsi abandonnées sans le moindre avantage pour la nation considérée en masse. Au milieu du torrent qui nous entraîne, cette conduite serait moins permise aux représentants des contrées industrielles qu'aux autres, parce que ces contrées auraient sans comparaison plus de souffrances à supporter.

Le projet du gouvernement, par les avantages immenses qu'il procure à plusieurs localités industrielles, m'a forcé de vous présenter un amendement. C'est un moyen bien faible encore d'atténuer la perturbation que l'adoption de ces projets jetera naturellement dans les existences dans le district que j'ai l'honneur de représenter.

Lorsque le gouvernement marche dans la voie qu'il a prise, qu'il s'entoure d'une multitude d'appâts, chacun sent instinctivement que dans la lutte du travail auquel il est condamné, il ne peut lui-même éviter sa perte qu'en employant les moyens mêmes mis en œuvre pour la causer et qu'une fois le gouvernement placé à la tête d'une coalition d'intérêts, toute résistance à la coalition est vaine, et qu'il n'a d'autre moyen pour se garantir que de tâcher d'en faire aussi partie.

Il n'y a donc rien d'étonnant que, lorsque le projet du gouvernement a été connu, il ne soit parti du district si éminemment industriel que j'ai l'honneur de représenter, de nombreuses réclamations. C'est avec un profond sentiment de regret qu'il a appris l'abandon du chemin de fer de Gembloux à la Sambre vers Charleroy, où il y a déjà tant de travail exécuté. Dans l'état actuel des propositions auxquelles le gouvernement a donné son assentiment, cette exception pour la ligne de Gembloux vers Charleroy ne se peut comprendre.

Dans le partage des immenses faveurs que l'on distribue, on se demande ce qui nous est attribué. Serait-ce le minimum d'intérêt sur les embranchements à exécuter du chemin de fer d'Entre-Sambre-et-Meuse ? Mais ces embranchements n'ont pas le moindre rapport avec les intérêts du district de Charleroy. Ils concernent le district de Philippeville, et l'on sent que c'est une dérision de nous l'offrir. Qu'est-ce qu'un embranchement sur Philippeville, par exemple, comporte de soulagements pour les débouchés que vous nous enlevez. Il ne faut se faire aucune idée de la contrée pour penser que cela puisse avoir la moindre signification.

L'honorable M. Dechamps avait déjà fait cette remarque. M. le ministre a répondu que cette disposition de la loi nous était favorable, parce que la compagnie n'aurait pas consenti à achever le tronc principal sans une garantie sur les embranchements ; miis si on avait abandonné ces embranchements comme on a abandonné le chemin de Gembloux vers Charleroy, la garantie était inutile, puisque la compagnie ne demande rien pour le tronc principal.

Les cinq millions que le contribuable doit garantir regardent entièrement le district de Philippeville. Ces millions étaient inutiles, si les embranchements ne devaient pas être construits. Ne portez donc pas un centime de ces cinq millions au compte du district de Charleroy.

Jusqu'à présent, le chemin de fer d'Entre-Sambre-et-Meuse ne coûte rien au contribuable. Si celui-ci doit intervenir, ne nous le reprochez pas. Ces 5 millions sont pour le district de Philippeville.

Ce qu'il y a de plus étrange, ce sont les réclamations, les plaintes, les doléances qui se produisent chaque jour sur la réduction des péages du (page 1926) canal de Charleroy. C'est surtout le parti qu’on en tire en faveur des localités industrielles concurrentes pour leur donner ce qu'on nomme des compensations.

Mais réduit tel qu'il l'est le droit sur le canal de Charleroy est double, quadruple, sextuple de celui établi sur les autres voies navigables.

Réduit tel qu'il l'est, il vous donne encore un million de revenu, c'est le double de toute la contribution foncière de la province, où vous allez engager le contribuable pour tant de millions. Le canal de Charleroy ne coûte rien et n'a jamais rien coûté à l'Etat. Si l'Etat l'a racheté, il y a fait un bénéfice considérable.

Ainsi donc, puisque nous sommes lancés dans un système de compensation et que nous en sommes à supporter les sacrifices faits par l'Etat en faveur des différentes localités, vous serez dans la vérité en ne nous comptant pas le chemin de fer d'Entre-Sambre-et-Meuse qui n'a encore rien coûté au trésor et en nous comptant bien moins encore le canal de Charleroy à Bruxelles qui, pour l'Etat, n'a été qu'une source de bénéfices.

M. Dumortier. - Messieurs, j'aurais été singulièrement si une discussion toute de travaux publics, de chemin de fer, de canaux, de dérivation, de tous objets de ce genre, ne serait pas devenue une question de clérical et de libéral ; mais il ne pouvait pas être ainsi. En effet, ne nous a-t-on pas parlé tout à l'heure de la Meuse catholique et de la Meuse libérale ? Il faut que ce malheureux clérical arrive toujours. Il est impossible qu'ons passer un projet de loi qui excite nos répugnances, sans que le clérical joue son rôle, et vienne pour sa part, peser sur la discussion...

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Qu'est-ce que le clérical fait en ce moment ?

M. Dumortier. - Ce qu'il fait en ce moment ? Demandez-le à votre honorable ami ; demandez-le à l'honorable M. Delfosse.

M. Delfosse. - Demandez à vos collègues.

M. Dumortier. - En effet, l'honorable M. Delfosse est venu dire que ceux qui s'opposaient à la dérivation de la Meuse étaient mus par l'esprit de parti, étaient des orateurs injustes, des orateurs violents. Cela me rappelle ce voyageur, ce bon jésuite, le mot n'effraiera pas l'honorable M. Delfosse, ce bon jésuite disait, en parlant des animaux qu'il avait rencontrés : Ils sont si féroces qu'ils se défendent quand on veut les tuer. C'est ainsi qu'on nous accuse d'être violents, parce que nous voulons protéger le trésor public contre les mains trop rapaces qui veulent le dépouiller.

Voilà pourquoi nous sommes des orateurs injustes, violents.

Quoi qu'il en soit, je ferai ce que j'ai toujours fait, je défendrai le trésor public, dût-on me qualifier ensuite comme on voudra.

Les grands travaux publics entrepris depuis la révolution, se résument en trois grandes époques : 1834, 1837 et 1845.

A l'époque de la révolution de 1830, il n'entrait pas dans les intentions du gouvernement déchu de faire des travaux publics aux dépens du trésor ; sauf peut-être quelques exceptions, tous les travaux ont été exécutés par voie de concession, par des particuliers des villes ou des provinces. C'est ainsi que tous les canaux du Hainaut ont été exécutés à cette époque.

C'est ainsi que le canal de Meuse et Moselle devait être fait par concession. C'était le régime anglais le régime le plus sage de tous, l'expérience le démontre de plus en plus, « laissez faire ». Si un grand intérêt, une grande industrie exige des dépenses, des capitaux, cette industrie trouvera des capitaux, trouvera les moyens de faire face aux dépenses. Les capitaux se portent toujours là où il y a des bénéfices probables. C'est d'après ce principe que l'Angleterre s'est couverte d'un nombre considérable de canaux et de chemins de fer favorables à l'industrie et qu'elle est devenue la première nation du monde.

En 1834, nous commençâmes à entrer dans une voie différente. Alors pour la première fois on vint présenter à la chambre un système de constructions de travaux publics aux frais de l'Etat : il s'agissait du réseau du chemin de fer. Comme il existe excessivement peu de membres qui siégeaient alors dans cette chambre, vous permettrez à un vétéran de la législature de vous rappeler comment les choses se possèrent alors. Cela ne peut pas déplaire à l'honorable M. Van Hoorebeke.

Dans l'origine il n'était question que d'un chemin de fer d'Anvers à Cologne avec embranchement de Malines sur Bruxelles, et un petit embranchement sur Liége. L'honorable M. de Theux que je viens de voir, ne me démentira pas. Dans l'origine, il n'était exclusivement question, je le répète, que d'un chemin de fet d'Anvers à Cologne, en passant par Visé, Tongres et Malines, avec un embranchement de Malines sur Bruxelles.

Voilà le premier projet présenté en 1832. Mais cette concession qui a été mis en adjudication n'a pas eu de suite, parce que la chambre prétendit que le ministre ne pouvait faire agir de la sorte que par une loi.

Et deux ans après, l'honorable M. Rogier vint présenter des modifications importantes à ce projet, en proposant la construction aux frais de l'Etat.

Le premier projet était basé sur le principe de la concession, le deuxième était base sur celui de l'exécution aux frais de l'Etat.

Dans quelle situation ce projet fut-il présenté ? L'honorable M. Rogier présentait à peu près le même système que l'honorable M. de Theux, une ligne d'Anvers sur Malines, puis par Tirlemont, Liége, Verviers et la Prusse avec embranchement sur Bruxelles.

Des plans existaient indiquant d'autre, lignes, mais rien n'était étudié que pour cette ligne. Dans le tracé de M. Rogier non plus que dans celui de M. de Theux, il ne s'agissait pas même d'un embranchement vers Gand. Il est vrai qu'à ce tracé se trouvait annexée une carte annonçant d'autres projets et dans la discussion nous eûmes encore des promesses de plus d'un genre.

Voyons maintenant commeent nous avons marché ensuite. Dans le sein de cette chambre les députés des Fandres firent remarquer qu'on avait doté les provinces de Brabant, d'Anvers et de Liége d'un vaste système de chemin de fer, que si on voulait mettre l'Allemagne en rapport avec Anvers, il n'était pas juste de priver l'unique port des Flandres, le port d'Ostende de communication directe avec le chemin de fer. Ils avaient d'autant plus de motifs qu'ils disaient alors : Le port d'Anvers est toujours par suite du traité dans une position très équivoque ; en cas de guerre avec la Hollande il peut être bloqué ; vous n'auriez alors que le port d'Ostende, le meilleur de la Manche, il faut donc prolonger le réseau jusqu'à Ostende.

Le gouvernement y consentit et le projet fut adopté. Cependant dans ce système il existait simplement un vaste chemin de fer partant en ligne droite d'Ostende sur Liége et la Prusse avec deux embranchements, l'un vers le nord de Malines sur Anvers, l'autre vers le midi de Malines sur Bruxelles.

Mais il n'y avait de chemins de fer que pour la partie septentrionale ; toutes les provinces méridionales étant sans aucune espèce de trace d'ombre de chemin de fer, on en fit le reproche très vivement ; le gouvernement ayant reconnu que la plainte était fondée, prit des engagements vis-à-vis des provinces méridionales ; une ligne fut consentie vers le Hainaut avec promesse formelle qu'il se raccorderait aux lignes que la France projetait sur la Belgique, en passant par Mons si le chemin français aboutissait à Valenciennes, par Tournay si ce chemin aboutissait à Lille.

Indépendamment de cela, on avait encore indiqué sur la carte remise par le ministre, un chemin de fer sur Namur et un autre sur la Campine. Ce sont ces promesses, ce sont ces engagements qui amenèrent le deuxième projet, celui de 1837 dont M. le ministre a parlé dans la séance d'hier.

Remarquez qu'en 1837, il n'existait de chemin def er que dans le Nord, toute la partie méridionale du royaume en était littéralement dépourvue, il n'y avait pas l'ombre d'un chemin de fer dans les provinces wallonnes, si ce n'est dans la province de Liége.

Le gouvernement veut donc en 1837 proposer de compléter les engagements pris en 1834.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il n'y a pas eu d'engagements.

M. Dumortier. - Il y a eu engagement pris en 1834.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Par qui ?

M. Dumortier. - Par vos collègues, par les commissaires du roi, par vous-même, par la chambre tout entière qui avait voté en 1834 l'amendement que j'avais proposé, et je crois que le vote d'un amendement proposé à la législature vaut bien l'engagement ou la parole d'un ministre.

Il y avait eu des engagements. On voulait en 1837 les exécuter. C'est en ce sens que l'honorable M. Nothomb, alors ministre des travaux publics, nous présenta un projet de loi portant un chemin de fer de Gand vers Courtray et Lille avec un embranchement de Mouscron sur Tournay. J'eus l'honneur d'être le rapporteur de la section centrale lors de l'examen de ce projet de loi.

Ici, messieurs, permettez-moi de vous exposer quelle était la situation des produits du chemin de fer à cette époque, quoique la ligne de Malines fût seule exploitée. Il dépassait de 400,000 francs les dépenses. Nous crûmes tous de la meilleure foi du monde, que non seulement nous nous étions trompés en 1834, en repoussant la construction des chemins de fer par l'Etat, mais nous pensâmes que les chemins de fer devaient être une source énorme de revenu pour le trésor public ; c'est ce qui se trouve consigné dans le rapport ; et c'est en parlant de cette donnée que nous avons proposé l'exécution des chemins de fer du Midi de la Belgique.

Toutes ces constructions, excepté une seule que l'on posait en germe dans la loi (celle du Luxembourg), toutes ces constructions n'étaient autre chose que l'accomplissement des engagements pris en 1834.

Ainsi, le gouvernement en 1834 avait tracé sur une carte, et l'honorable M. Rogier qui paraît le contester n'a qu'à y jeter les yeux...

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Le gouvernement n'a pas pris d'engagement.

M. Dumortier. - Si ce n'était pas un engagement, ce serait autre chose que je ne veux pas croire ; et le gouvernement, qui en 1834 avait présente à la chambre une carte sur laquelle se trouvait tracé un chemin de fer vers Namur, avait pris par là un engagement moral envers Namur. La province de Namur en réclama l'exécution, l'on fit droit à sa réclamation.

Le Limbuurg demandait l'exécution d'un autre tracé, celui du chemin de fer vers la Campine, le Limbourg en demanda l'exécution en rattachant le chemin de fer à la province de Limbourg par Saint-Trond.

Quant au Luxembourg, les députés de cette province firent remarquer, et avec infiniment de raison, que, quant à eux, ils avaient droit, comme tous les Belges, à l'exécution d'un chemin de fer. Nous le proposâmes, mais en faisant bien remarquer dans le rapport de la section centrale qu'on ne le ferait que s'il était praticable et exécutable.

(page 1927) Il y a plus : dans le cours de la discussion, un amendement dans ce sens fut présenté par l'honorable M. Devaux ; et il fut déclaré dans la loi que si le chemin de fer n'était pas exécuté, une indemnité en routes pavées serait accordée à la province du Luxembourg.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - C'était joli !

M. Dumortier. - Ne vous plaignez pas ; car je ne suis pas hostile à votre chemin de fer. Mais vous allez me faire dire quelque chose.

Il est certain que ce serait bien à tort que le Luxembourg nous présenterait comme des ingrats vis-à-vis de lui ; car si je fais le compte des routes pavées exécutées par l'Etat, depuis 1830, je trouve que le Luxembourg a eu le quart de ces routes. Ainsi, nous vous avons donné une large part, et vous n'avez pas à vous plaindre.

Je crois que si l'on faisait le compte du Luxembourg, on reconnaîtrait que, depuis 1830, il a reçu plus qu'il n'a payé à la Belgique.

- Un membre. - Les autres provinces avaient des routes.

M. Dumortier. - Toutes ces routes avaient été faites avant 1790 par les villes, les provinces ou les particuliers. Si le Luxembourg n'a rien fait, c'était pour son compte. Nous ne sommes pas responsables de son inaction.

Tout ce qui a été fait avant 1790, sous les gouvernements précédents, en Flandre, dans le Hainaut, dans le Brabant, a été fait par les états. Certes, vous ne pouvez nous reprocher ce que nous avons fait par nous-mêmes, d'autant plus que l'Etat belge s'est emparé, sans indemnité, de toutes les routes qui ont été construites dans ces provinces.

Je ne suis pas hostile au Luxembourg ; mais je dois faire remarquer que cette province n'a pas à se plaindre de la Belgique quant aux routes pavées. Il est un autre point de vue sous lequel il en est autrement ; je suis le premier à le reconnaître.

Voilà donc comment les choses se passèrent en 1837.

Je tiens à établir les faits, parce que hier M. le ministre des travaux publics est venu me présenter comme étant, en 1837, à la tête de la coalition contre le trésor public.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - J'ai dit que vous avez été, de la part de l'honorable M. de Man d'Attenrode, l'objet des mêmes attaques qui sont dirigées contre nous.

M. Dumortier. - Voici ce que vous avez dit : « Quel a été le principal organisateur de la coalition de 1837 ? L'honorable M. Dumortier. »

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - C'est ce que disait M. de Man.

M. Dumortier. - Non ! C'est ce que vous avez dit. Si vous retirez, c'est fort bien. Je me borne à constater les faits.

En 1837, il n'y avait donc pas de coalition ; c'était le gouvernement qui avait pris l'initiative d'un projet de loi complémentaire pour les provinces méridionales ou plutôt pour les provinces wallonnes, toutes, à l'exception de la province de Liége, oubliées dans le projet de loi de 1834. Sauf le Luxembourg, qui fut tenu en réserve, elles obtinrent toutes une compensation. On ne faisait, dans ce projet de loi, que remplir les engagements pris en 1834.

Voyons maintenant la direction donnée aux chemins de fer. En 1834, lors de la construction du chemin de fer, uue énorme faute, aujourd'hui reconnue, fut commise. Dans tous les pays, le point central, c'est la capitale, où aboutissent toutes les grandes communications, où se porte le grand mouvement du pays.

Avant la construction des chemins de fer, six grandes communications partaient de la capitale :

La première au nord, vers Anvers et la Hollande.

La deuxième à l'est, vers Liége et l'Allemagne.

La troisième à l'ouest, vers Gand, Bruges et Ostende.

La quatrième au Midi, vers Mons et Paris.

La cinquième au sud-est, vers Namur et Strasbourg (le haut Rhin).

La sixième au sud-ouest, vers Tournay, Lille et Calais.

Voilà les six grandes routes pavées qui convergeaient alors vers la capitale.

Que fallait-il faire ? Rapprocher le chemin de fer des directions de ces grandes voies de communication ; faire de Bruxelles le point central du réseau de chemins de fer. C'est malheureusement ce qui n'eut pas lieu. Au lieu de faire de Bruxelles le point central du chemin de fer, on a fait de Malines le point central de la ligne du nord, et de Braine-le-Comte le point central de la ligne du midi ; de manière que des six grandes lignes de communication qui divergeaient de la capitale dans la direction que je viens d'indiquer, deux seulement vont en ligne directe, celles d'Anvers et de Mons, et les quatre autres font un grand détour.

Celle de Liége fait un grand détour en devant passer par Malines. Celle de Gand fait un grand détour en passant également par Malines. Celle de Namur a une marche excessivement oblique en passant par Charleroy et Braine-le-Comte ; celle de Tournay a une marche non moins oblique en passant par Jurbise.

Il résulte de cette faute qu'aujourd'hui il y a possibilité de venir demander des concessions pour abréger les parcours ; et si ces concessions étaient accordées, si elles tombaient entre les mains des particuliers, c'en serait fait de quatre de vos chemins de fer sur six. Ainsi admettez uue concession de Louvain à Bruxelles, vous perdez le parcours d'une grande partie des voyageurs qui arrivent de Liége et du Rhin.

Admettez une concession pure et simple pour le chemin de fer de Gand à Bruxelles par Alost, vous perdeé tous les voyageurs venant de Gand.

Admettez une concession pure et simple de Namur sur Bruxelles, vous perdez tous les voyageurs venant par Charleroy.

Admettez une concession pure et simple d'Ath vers Hal par Enghien, vous perdez encore une fois tous les voyageurs venant par la voie de Jurbise.

C'est là, messieurs, une faute capitale qui a été commise. Si le gouvernement avait des dépenses à proposer à la législature, ce qui eût été le plus simple, c'était de ramener dans la capitale en ligne directe tous les chemins de fer qui s'en trouvent écartés maintenant et de faire de la capitale le point central de toutes les grandes communications du pays.

Vous le voyez, nous marchons dans une voie très fausse en accordant une partie de ces lignes à la concession ; par là nous allons rendre improductives nos lignes de Charleroy et Termonde.

Je vous ai dit, messieurs, comment les choses s'étaient passées en 1834 et en 1835. Voyons la troisième période. Ainsi que je l'ai dit, nous eûmes depuis notre régénération trois grandes époques pour la construction des travaux publics en Belgique. Je vous ai cité 1834 et 1835, il me reste à vous dire un mot de la troisième époque, celle de 1845.

Ici, messieurs, il y eût un retour aux vrais principes. En 1845 un grand nombre de travaux publics furent votés par la chambre, mais sans intervention de l'Etat, tous par des concessions sans que l'Etat fût en rien exposé à voir le trésor public ruiné par les dépenses qu'exigeaient les travaux.

En 1845 tous les projets de loi étaient des concessions pures et simples ; l'Etat se trouvait tout à fait indemme.

Est-ce à dire, comme l'ont prétendu MM. les ministres, qu'en 1845 il y avait des engagements envers telle ou telle localité ? Nullement. Lorsque le gouvernement, lorsque les chambres accordent une concession, c'est aux concessionnaires de l'exécuter. S'ils ne l'exécutent pas, ni concessionnaires, ni intéressés, ni habitants, n'ont aucun droit à réclamer vis-à-vis du trésor public.

En 1845, il n'y a pas eu d'engagements, et lorsque vous venez dire ici que vous payez maintenant la dette de 1845, vous dites la chose qui n'est pas, car il n'y a pas eu d'engagement en 1845. En 1845 on a voulu des concessions pures et simples, rien que des concessions.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - On a eu de beaux résolu tats.

M. Dumortier. - On a eu de beaux résultats ! Je crois que l'honorable membre qui m'interrompt (du reste, son système a toujours été de faire faire tout par l'Etat) ne peut ignorer que, sans les événement, de 1848, presque tous ces projets auraient été exécutés, et que ce sont ces événements si graves qui ont empêché l'exécution d'une grande partie d'entre eux.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il y en avait de déchus dès 1847.

M. Dumortier. - Mais il y a eu, en 1846, vous le savez bien, une crise énorme. Il y en avait de déchus. Mais vous qui m'interrompez, vous n'avez déchu qu'un seul de ces chemins de fer, c'est celui qui pourrait nuire aux houillères de Liége. (Interruption.)

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - M. le président, c'est là une imputation très grave. Je demande si cela est tolérable.

M. le président. - Cela arrivera toujours lorsqu'on aura des colloques et qu'on interrompra.

L'interruption est venue du banc ministériel, et on y a répliqué.

Je prie tous mes honorables collègues de s'abstenir d'interrompre.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - M. le président, je demande formellement que la chambre fasse justice d'une pareille insinuation, si l'on veut que je m'en charge moi-même.

M. Dumortier. - Chargez-vous-en vous-même.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je demande formellement que la chambre soit consultée.

M. le président. - L'imputation que je n'ai pas comprise et que M. Dumortier voudra bien répéter…

M. Dumortier. - Très volontiers, M. le président.

M. le président. - ... sera appréciée comme elle doit l'être par le président.

M. Dumortier. - Voici ce que j'ai dit : J'ai dit que si 1848 n'était pas arrivé, les projets votés en 1845 auraient été pour la plupart exécutés. J'ai été interrompu par l'honorable M. Rogier, ou par l'honorable M. Frère, ou par un autre ministre qui m'a dit qu'il y en avait déjà qui étaient déchus en 1847. Et j'ai répondu que l'on n'en avait déchu qu'un seul, celui qui nuisait au bassin houiller de Liége. Voilà ce que j'ai dit. J'ai signalé un fait, et je suis fort surpris de l'interruption de M. le ministre des finances. Si nous ne pouvons plus signaler ici des faits, il est impossible de discuter. Ce fait, vous devez le comprendre, n'a rien de personnel à l'honorable M. Frère. S'il veut le prendre pour personnel, je n'ai rien à dire, mais je dois maintenir le fait.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je demande la parole.

M. le président. - Avant de donner la parole à M. le minisire, je dois faire une observation.

Un fait a été avancé. Ce fait est-il erronné ou ne l’est-il pas ? Je n’ai (page 1928) pas à m’occuper de cette question, Quant aux intentions, je ne pense pas quelles aient été suspectées.

M. Dumortier. - Pas le moins du monde.

M. le président. - L'orateur, du reste, le déclare de la manière la plus formelle.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - M. le président, M. Dumortier, répondant à une interruption fort innocente assurément, puisque je lui faisais remarquer que des concessions qu'il supposait n'avoir point été exécutées, par suite des événements de 1848, plusieurs étaient déchues dès 1847 et que j'avais dû proposer, en ma qualité de ministre des travaux publics, de relever ces compagnies de la déchéance.

L'honorable M. Dumortier m'a répondu par une insinuation très grave. Il a dit qu'une seule de ces compagnies avait été déchue, que c'était la compagnie de Louvain à la Sambre, parce que cette compagnie était destinée à faire concurrence aux houilles du bassin de Liége.

M. Dumortier. - Non !

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est ce que nous avons dit.

M. Coomans. - Il n'a pas dit « parce que ».

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Un seul mot, quant à cette compagnie.

Elle a continué à exécuter les travaux, si ma mémoire est fidèle, après une loi qui a prolongé les délais d'exécution, puis elle a abandonné complétement ses travaux, et sur une réclamation de la ville de Louvain une instance en déchéance a été poursuivie contre elle.

M. le président. - Je répète que j'ai entendu un fait. Ce fait peut être erroné. Mais je n'ai pas entendu l'imputation d'une mauvaise intention. Je n'avais pas dès lors à rappeler l'orateur à l'ordre.

Maintenant je le déclare, de quelque côté que viennent les interruptions, je les empêcherai.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Du moment que l'honorable M. Dumortier déclare qu'il n'a pas entendu faire d'allusion personnelle, je n'insiste pas.

M. Dumortier. - Il n'y aurait d'allusion personnelle que si tous les intérêts de Liége se résumaient en M. le ministre des finances. (Interruption.)

M. le président. - N'interrompez pas l'orateur. Si on interrompt ainsi, à chaque instant, nous ne serons plus une assemblée délibérante ; la discussion dégénérera en colloques.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Peut-on dire qu'en qualité de ministre je sacrifie les intérêts du pays aux intérêts liégeois ?

M. le président. - L'intention a été suffisamment expliquée ; M. Dumortier a déclaré qu'il ne suspectait pas les intentions.

M. Dumortier. - J'ai dit que je ne suspectais pas les intentions, mais j'avais le droit de dire ce que j'ai dit et je maintiens mon droit de député.

Maintenant, messieurs, en 1845, on n'a voté que des concessions, et ces concessions, veuillez bien le remarquer, ne donnaient aucun droit contre le trésor public. Ces concessions, en 1845, pouvaient et devaient amener un résultat, mais ce n'était nullement que les districts qui les obtenaient fussent en droit de venir rien réclamer du trésor public.

Sans la crise financière de 1847 et la révolution de 1848, il est hors de doute que tous ces travaux eussent été exécutés, et qu'en accordant du temps aux compagnies comme on l'a fait, toutes les concessions fussent arrivées à bonne fin.

Il y a donc, messieurs, une énorme différence entre les trois positions passées et la position actuelle. A la première époque, lors du vote des grands travaux du chemin de fer, nous avions en vue, quoi ? La construction d'une voie ferrée que nous pensions devoir être très lucrative. C’était un placement de fonds, mais un placement de fonds hypothéqué sur un revenu. A la deuxième époque, en 1837, nous avions en vue encore un emploi de fonds lucratif et nous avons d'autant plus d'espoir d'obtenir un véritable bénéfice dans l'opération que nous faisions, qu'alors le chemin de fer rapportait des sommes considérables eu égard à sa dépense. A la troisième époque, en 1845, le trésor était désintéressé.

Eh bien, messieurs, quelle est la situation actuelle ? Je vois des dépenses considérables, des dépenses qui peuvent imposer des sacrifices énormes au trésor public et je cherche vainement le revenu quivYa couvrir ces dépenses.

En effet, messieurs, d'après le projet de loi qui vous est présenté, il s'agissait primitivement de 42 millions de travaux avec garantie d'un minimum d'intérêt de 4 p. c, mais la section centrale, d'accord avec le gouvernement, a porté ce chiffre à 58 millions. Si ces travaux s'exécutent et s'ils ne rapportent pas leur intérêt nous aurons donc à fournir de ce chef une somme annuelle de 2,400,000 francs et là il n'existe aucun revenu pour le trésor public.

D'un autre côté, messieurs, on vous présetle pour 16 à 18 millions de travaux à eharge de l'Etat. Ces travaux publics ne produiront non plus aucun revenu et vous aurez encore de ce chef à fournir plus de 800,000 fr. par an. De manière que vous avez au-delà de 3 millions de dépenses annuelles sans aucune recette du chef de ces dépenses fabuleuses que l’on vous convie à voter.

Eh, bien, messieurs, je constate que c'est la première fois depuis 1830 que l’on engage la chambre à voter des sommes si considérables sans aucune compensation dans le revenu. Je constate que nous entrons dans une voie nouvelle, dans une voie ruineuse pour le trésor public. Cette voie est d'autant plus ruineuse, qu'il n'y a aucune limite à la dépense : chaque localité deviendra de plus en plus exigeante et vous finirez par avoir un pays ingouvernable, faute de pouvoir faire face aux dépenses par les impôts.

Quand il s'agit de créer des impôts, vous rencontrez des résistances de tous côtés en Belgique, on l'a dit depuis un grand nombre d'années, on n'aime pas beaucoup à aller chez le percepteur des contributions. Cependant vous créez des dépenses qui ne sont pas couvertes par les ressources existantes, en y comprenant même les nouveaux impôts que vous avez établis.

Je n'ai pas voté ces impôts parce je ne voulais pas des dépenses auxquelles ils étaient destinés ; mais ces impôts ne sont pas suffisants et vous êtes appelés fatalement à grever le pays d'impôts nouveaux.

Voilà, messieurs, les résultats d'une loi qui est un acte doehaute inexpérience qui nous fait entrer dans une voie dont il est impossible de prévoir l'issue.

On me dira sans doute que, parmi les travaux projetés, il en est beaucoup qui ne seront pas exécutés.

Oh ! je le sais bien ! il y a dans la loi qui nous occupe, la part du sérieux, mais il y a aussi la part de ce que j'appellerai la mystification. Il est incontestable que plusieurs des travaux projetés ne seront jamais exécutés. Personne ici ne se fait illusion à cet égard. Personne, par exemple, ne peut croire que l'on exécutera l'embranchemeut de Virton, l'embranchement de Philippeville, le canal de Bossuyt.

Ce canal, je l'ai réclamé autrefois, mais vous savez bien que depuis l'établissement du chemin de fer et du canal de l'Espierre il ne reste plus de transports pour alimenter la navigation du canal de Bossuyt. Tous ces travaux figurent dans le projet de loi, mais on sait parfaitement qu'ils ne sont pas sérieux, qu'ils ne seront jamais exécutés, au moins d'une manière rationnelle. Mais si, cependant, ils s'exécutaient, vous êtes tenus à payer 4 p.c. d'intérêt, c'est-à-dire une somme de 2,400,000 fr. par an.

Une autre considération, messieurs, qu'il ne faut pas perdre de vue, c'est que tous les objets pour lesquels on demande maintenant la garantie d'un minimum d'intérêt, sont précisément toutes les mauvaises lignes et les embranchements que les compagnies n'ont pas pu exécuter. C'est donc une prime à l'inexécution du contrat. Ainsi la compagnie de l'Entre-Sambre-et-Meuse a fait le tronc principal, mais elle n'a pas fait les embranchements, et le tronc principal rapporte à peine 1 p. c. Pouvez-vous dès lors avoir l'espoir que les embranchements latéraux, qui conduiront à Philippeville et à quelques localités insignifiantes, que ce soient des projets sérieux ? Evidemmcnt cela n'est pas sérieux ; mais tout cela amène des voix au projet de loi.

Messieurs, dans le projet de loi qui vous est présenté, il est une chose qui me frappe encore, c'est qu'en fait de travaux publics qui doivent être exécutes aux frais du trésor public, la dépense la plus forte se fait dans l'intérêt de la provice de Liége.

En effet, messieurs, le gouvernement vous a proposé pour 26 millions de travaux à charge de l'Etat. De ces 26 millions, il y en a à déduire quatre qui ne sont pas des travaux de construction de canaux, de chemins de fer, en un mot des dépenses d'entreprises industrielles ; il reste donc 22 millions.

Eh bien, parmi ces 22 millions, il y a 15,200,000 francs dans l'intérêt de Liége, et seulement sept millions pour le reste de la Belgique. Voilà le caractère tout nu du projet de loi qui vous est présenté, en ce qui concerne les travaux publics,

Je dis qu'il y a 15,200,000 francs pour Liége. En effet, le gouvernement vous propose huit millions pour la Meuse, 4,500,000 francs pour le prolongement du canal de la Campine qu'on déclare, dans l'exposé des motifs, être nécessaire pour transporter les houilles de Liége à Anvers ; plus, 2,700,000 francs environ pour le canal de Hassell destiné à amener à Hasselt les houilles du même bassin.

Il en résulte donc que, dans cette dépense de 22 millions, 15 millions sont principalement dans l'intérêt d'une seule de nos villes, et que tout le reste de la Belgique n'obtient que sept millions seulement : deux tiers dans l'intérêt liégeois, et un tiers pour le reste de la Belgique.

Messieurs, que faut-il conclure de là ? C'est que l'intérêt liégeois pèse énormément dans les combinaisons ministérielles, dans la balance ministérielle.

Mais cet intérêt ne froisse-t-il donc pas les intérêts des autres ? « Vous voulez, disait tout à l'heure l'honorable M. Delfosse, donner de l'extension à vos produits. » Eh ! mon Dieu, s'il était possible de donner de l'extension à vos produits sans nuire aux autres, sans grever le trésor public, pour mon compte, je ne m'y opposerais pas. Je me féliciterais de vous seconder. Mais il est un fait incontestable : c'est qu'ici on veut, au moyen des dépenses faites par l'Etat, donner au bassin houiller de Liége l'exploitation du bas Escaut, qui aujourd'hui appartient au Hainaut. Expliquons-nous.

La nature a créé en Belgique quatre bassins houillers, celui de Liége, celui de Charleroy, celui du Centre et celui de Mons ; chacun de ces bassins a un écoulement naturel pour ses produits ; au bassin de Liége, la Meuse ; à celui de Charleroy, la Sambre ; à celui de Mons, l'Escaut et ses affluents ; au Centre, la petite vallée de la Senne.

Il en résulte que dans l’ordre naturel des choses, Liége avait le commerce des houilles sur les bords de la Meuse ; Charleroy, sur la Sambre et sur les canus qui s’y rattachent ; le centre avait Bruxelles pour son (page 1929) marché, tandis qu'au contraire Mons avait pour son marche tous les affluents de l'Escaut jusqu'à Anvers. Or, voyons quel va être le système de pondération de ces divers bassins, si la loi actuelle vient à être votée.

Le canal de Charleroy, qui prend les houilles de Charleroy, n'a qu'un mètre 50 centimètres de tirant d'eau ; les écluses sont excessivement étroites, chacun de vous le sait ; 1 mètre 50 c, voilà la navigation permise sur le canal de Carleroy,

Maintenant, les canaux de Mons à Condé et l'Escaut ne permettent qu'une navigation de 1 m 80, tandis qu'au contraire, le canal latéral à la Meuse, les canaux de la Campine et le projet de canalisation de la Meuse qu'on propose auraient 2 m 10 de tirant d'eau ; par conséquent, le bassin de Liége qui viendrait ainsi envahir le bas Escaut, aurait 30 centimètres de plus de tirant d'eau que le bassin de Charleroy et du Centre et 30 centimètres de plus que le bassin de Mons. Je vous laisse à juger, messieurs, de l'immense avantage que cette circonstance doit procurer à un bassin qui viendrait s'emparer du marché naturel des bassins du Hainaut. Je vous demande si par là les houillères du Hainaut pourront encore lutter dans le bas Escaut contre les houillères de Liége. Voilà le motif sérieux qui a provoqué la protestation du conseil provincial du Hainaut, protestation qui a été remise à cette chambre.

Or, est-il juste de venir ainsi, avec les deniers publics, enlever à toute une province des débouchés que la nature lui a donnés, pour en gratifier une autre province ? Voilà toute la question. Pour moi, je ne puis croire que ce soit jamais de la justice. Faites ce que vous pouvez, pour favoriser l'intérêt liégeois, soit ! mais ne dépensez pas les deniers publics, pour enrichir un bassin houiller, en appauvrissant les autres ; ne donnez pas à l'un en enlevant à l'autre. Ce ne serait plus de la justice ce serait de l'iniquité.

Et pourtant, messieurs, voilà le résultat direct du projet de loi auquel on vous convie à donner votre assentiment !

Il est incontestable que, par suite de ce projet, les houillères du Hainaut seront dans l'impossibilité absolue de lutter dans le bas Escaut contre les houillères de Liége. Or, vous savez qu'aujourd'hui tout le marché du bas Escaut appartient exclusivement aux houillères du Hainaut ; eh bien, on vous propose d'enlever ce débouché à la province de Hainaut pour le donner à Liége ; vous pouvez comprendre dès lors ce qu'il y a de sérieux dans la protestation unanime du conseil provincial, dans ces pétitions qui vous arrivent chaque jour pour réclamer contre le projet de loi.

Messieurs, on a fait beaucoup pour Liége. C'est principalement pour Liége qu'on a déplacé le chemin de fer qui, dans le premier projet, devait passer à Visé. C'est pour Liége qu'on a construit le chemin de fer de la Vesdre, qui a coûté 24 millions de francs. C'est pour Liége qu'on a créé le canal latéral à la Meuse, qui devait, je pense, ne coûter que 3,800,000 francs, et qui a déjà coûté 7 millions et demi, sans compter ce qu'il nous coûtera encore.

Aujourd'hui c'est pour Liége qu'on vous demande la dérivation de la Meuse, avec tous ses appendices, la canalisation jusqn'à Jonqueres. C'est pour Liége qu'on vient demander le canal de Hasselt et le canal de Herenthals à Anvers. Ce n'est pas assez, on y adjoint encore le canal de l'Ourthe, de manière que le projet revêt dans toutes ses pages l'intérêt qui l'a dicté ; les travaux qui sont assurés, dont l'exécution est indubitable, concernent l'intérêt liégeois.

Il reste pour tout le reste du pays sept millions et des travaux par voie de concession qui s'exécuteront ou ne s'exécuteront pas, peu importe.

La dérivation de la Meuse, ce n'est pas d'aujourd'hui qu'il en est question. La première fois qu'on en a parlé dans cette enceinte, c'est en 1842 : un arrêté du 20 août 1836 portait : les ingénieurs et les directeurs de travaux sont chargés de dresser et de soumettre à l'approbation du gouvernement un projet d'embranchement de chemin de fer s'étendant du pont des Arches à la station de la Neuville et longeant les quais de la Meuse.

Croyez-vous que toute la pensée de la dérivation de la Meuse soit partie de cet arrêté ?

En effet, c'est ce que nous apprenait l'honorable M. de Behr à la séance du 9 septembre 1842. Voici ce que disait alors cet honorable membre. Il s'agissait exclusivement d'une station dans la ville de Liége :

« Quelques temps après cet arrêté, l'attention publique fut appelée sur les moyens de mettre un terme aux malheurs qu'occasionne chaque année la navigation de la Meuse dans la traverse de Liége. Un plan de dérivation de cette rivière a été mis à l'étude et approuvé par le conseil des ponts et chaussées. C'est sur des terrains que l'exécution de ce projet rendra disponibles (18 à 19 hectares) que doit être établi le bassin dont il s'agit avec station intérieure. De cette manière le fleuve serait relié au railway. »

Voilà, messieurs, d'où part la pensée de la dérivation de la Meuse. Elle eut d'abord pour origine la création d'une station intérieure à Liége. Que s'est-il passé ? Dans toutes les villes où l'on avait créé des stations, le gouvernement, ici je rends hommage à M. Rogier, il avait exigé que les villes intervinssent pour une partie notable dans la dépense de ces stations ; mais Liége s'était refusé à contribuer, tandis que Bruxelles, Mons, Tournay avaient fourni des sommes considérables ; c'est alors qu'on conçut le projet d'une station intérieure avec embranchement du pont des Arches à la voie ferrée.

On parla alors pour la première fois de la dérivation de la Meuse. Que devait coûter au trésor cette dérivation ? J'appelle votre attention sur ce point, c'est encore M. de Behr qui va vous l'apprendre.

« La dépense nécessaire pour les travaux est, disait-il, évaluée à 3 millions ; la ville y contribuerait pour 1 million, le trésor pour une somme égale, et il sera pourvu au reste de la dépense par le conseil provincial et la vente des terrains. »

Ainsi il s'agissait alors exclusivement d'une intervention d'un million de la part du trésor public, pour avoir la dérivation de la Meuse. Remarquez-le, il s'agissait d'un million, pas davantage ; la dépense totale devait s'élever à 3 millions ; un million était fourni par la ville, le deuxième pour l'Etat, le troisième par la province et la vente des terrains. Vous voyez que conformément à un vieux proverbe : l'appétit vient en mangeant, ce million depuis 1842 a été toujours croissant ; en 1851 il est devenu 8 millions et je crains fort, je vous l'avoue, si nous attendons encore huit années, de le voir arriver à 16.

Cependant, messieurs, la chambre n'accepta pas ce projet en 1842 ; il fut écarté. A cette époque, dit l'honorable ministre des travaux publics, je ne me refusais pas à prêter mon vote à ces dépenses. Mais faites-y attention, il s'agissait d'une dépense d'un million et non de huit comme aujourd'hui, il ne s'agissait que de faciliter les moyens de placer une station non de canaliser un fleuve, d'opérer une dérivation et une canalisation devant avoir pour conséquence de permettre à Liége de faire concurrence à toutes les houilles du Hainaut.

Au reste, je n'ai pas voté la dérivation, je me suis borné à dire qu'on pourrait rendre justice à la ville de Liége, mais auparavant, qu'il fallait commencer par remplir les engagements pris vis-à-vis des autres provinces. Ceci me ramène à rencontrer le reproche qui m'a été adressé hier par le ministre des travaux publics. L'honorable M. Van Hoorebeke, dans le discours qu'il a prononcé, s'est demandé : qui, en 1837, était à la tête des coalitions ? C'était l'honorable M. Dumortier.

J'ai déjà répondu à cette attaque, j'ai fait voir qu'en 1837 il n'y a pas eu apparence de coalition, que c'est le gouvernement qui est venu présenter le projet de loi, que la section centrale n'a fait que compléter des engagements pris trois ans avant ; quand toutes les provinces septentrionales du pays étaient dotées de chemins de fer et que les provinces méridionales n'en avaient pas, elle n'a pas voulu renouveler en Belgique le scission des provinces septentrionales et des provinces méridionales.

- - Un membre. - Elle avait raison.

M. Dumortier. - De coalition, il n'y en avait pas ; quelle était donc cette fameuse coalition de 1837. En 1837, il y avait trois travaux demandés, ils intéressaient en tout 20 députés. 20 députés sur 104, je vous le demande, est-ce là une coalition, est-ce là quelque chose de formidable ? Ce n'était pas un cinquième de la chambre, et vous appelez cela une coalition !

Quand commence la coalition ? Quand le gouvernement, calculant le chiffre des députés intéressés à côté d'un projet d'intérêts de localités aux dépens du trésor, est sûr de la majorité avant de le présenter. Cela est contraire à la morale, c'est une chose déplorable qu'on ne peut assez flétrir. Elle place le député entre l'intérêt et sa conscience, elle empêche le député de dire sa pensée, c'est une chose qui ne devrait jamais être préparée par un gouvernement.

Des coalitions peuvent se former, le ministre doit toujours faire en sorte de s'y opposer. Ici la coalition est le fait du gouvernement. Ce n'est pas, comme en 1837, une vingtaine de députés qui demandent justice ; ce sont les ministres qui, avant de présenter le projet de loi, calculent combien il faut de voix pour le faire passer. Ils se disent : nous aurons soixante-neuf députés qui doivent la voter, ou bien ils risqueront de ne pas être réélus par leurs commettants. Quand on trouve que ces soixante-neuf ne sont pas encore assez, qu'on a pu se tromper dans ses calculs, on ajoute encore des chemins de fer, des travaux, et cela pour faire une coalition d'intérêts privés contre le trésor public.

Il vous sied bien vraiment, M. le ministre, de venir ici parler d'étourderie. S'il y a de l'étourderie quelque part, c'est lorsque vous venez parler de coalition de 1837. S'il y a de l'étourderie, M. le ministre, c'est dans vos paroles.

Oui, je me suis trouvé à la tête d'une coalition ; c'est en 1839, lorsque je suis venu m'opposer au morcellement du territoire, lorsqu'il s'agissait d'empêcher la cession du Limbourg et du Luxembourg.

Je tiens à honneur de m'ètre trouvé à la tête de cette coalition, car notre pensée était grande et généreuse. Là il ne s'agissait pas de travaux publics. Il s'agissait de défendre le pays.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - J'étais avec vous.

M. Dumortier. - Vous étiez avec moi ; c'est vrai !

Je me rappelle encore ce jour qui m'honorera toujours, celui auquel vous, dans une grande occasion, dans un banquet patriotique, m'avez posé sur la tête la couronne civique.

Oui, messieurs, je vois pour mon compte dans le projet de loi qui est actuellement en discussion un déplorable exemple donné au pays ; j'y vois une coalition combinée, calculée à l'avance, des intérêts privés contre le trésor public, je vois cette coalition procédant par corruption, venant présenter des projets inexécutables, afin d'accumuler les votes, je vois toutes mesures semblables, que pour mon compte je dois déplorer.

Il y a quelque chose auquel nous ne devrions jamais toucher, dans l'intérêt de nos provinces, c'est le trésor public. (Interruption). Il y a quelque chose digne du respect de nous tous, c'est le trésor public, auquel il ne faut pas toucher, si ce n'est dans l'intérêt général et non pas dans l'intérêt des localités.

(page 1930) Je dis que, lorsque c'est le gouvernement qui se forme une majorité avant de présenter le projet de loi, c'est de la corruption parlementaire, et que je dois la flétrir.

A cette occasion, je me souviens de ces paroles célébres écrites en 1828, par une des victimes de la révolution. Permettez-moi de vous les rappeler.

Lorsquel a Belgique commença à se lever contre le gouvernement hollandais, un écrivain, un grand écrivain, qui devait être plus tard le drapeau de la révolution, écrivit les lignes suivantes. Il n'y a là d'allusion pour personne. Voici ses paroles :

« Honnissons, bafouons les ministériels. Périssent à jamais ces honteux marchés où l'on trafique de l'honneur et de la vertu et où la palme de l'infamie est disputée entre les acheteurs qui les marchandent et les vendeurs qui les livrent. »

Voilà ce qu'a dit de Potter ; il avait été condamné à 3 ans de prison, mais il disait la vérité. (Interruption.)

N'est-ce pas ici un honteux marché, où l'on trafique de l'honneur et de la vertu ? (Interruption.)

M. le président. - Ici je suis obligé de vous rappeler à l'ordre. Si de Potter a été condamné à 3 ans de prison pour avoir écrit ces lignes, je dois vous rappeler à l'ordre pour les avoir appliquées à l'assemblée.

M. Dumortier. - Je n'ai eu l'intention de blesser personne.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je demande la parole.

M. le président. - Je ne puis, en ce moment, donner la parole à M. le ministre de l'intérieur. J'ai rempli un devoir. Là s'arrête ce qui doit être fait.

M. Dumortier. - Je déclare, sans détour, retirer les paroles que j'ai prononcées, si on les trouve blessantes pour quelqu'un ou pour la chambre.

Quant à moi, je regarde le projet qui vous est présenté comme une véritable coalition d'intérêts contre le trésor public, et c'est à ce titre que je le repousse,

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je demande la parole. C'est trop fort.

M. le président. - Vous aurez la parole.

M. Dumortier. - Mais vous dit-on, il faut craindre 1852, il faut donner du travail aux ouvriers.

Mais est-ce bien le moyen de maintenir la paix publique que d'exécuter de grands travaux publics ? Je regarde ce moyen comme mauvais. En effet, dans les moments de crise, quels sont les ouvriers qui menacent la tranquillité publique ? Ce ne sont pas les ouvriers qu'on emploie dans les constructions ; ce sont avant tout les ouvriers des manufactures. Ce sont eux qu'il faut entretenir, en cas de crise.

Vous n'avez aucun intérêt, vous gouvernement, à chercher à arracher, les ouvriers des manufactures où sous l'œil du maître, des contre-maîtres, des employés supérieurs, ils ne menacent en rien la tranquillité publique, pour les mettre sur la voie publique très souvent en coalition contre la tranquillité publique. C'est donc vers le maintien du travail dans les manufactures, c'est vers l'exportation de vos produits et non vers les travaux publics que doivent tendre vos efforts pour assurer la paix publique.

Tout à l'heure, j'ai entendu un honorable membre reprocher à l'honorable M. Pirmez que dans le projet actuel, lui qui s'opposait aux travaux publics par l'Etat, il venait présenter un amendement dangereux. Mais, messieurs, comment voulez-vous qu'il en soit autrement ? Lorsque le trésor public est ouvert, lorsqu'il est ouvert d'une manière aussi large, il est très juste que chacun vienne réclamer sa part. Est-ce que tout le monde ne paye pas pour la chose publique ?

Il est évident que si tout le monde paye et que l'on voit que le trésor public est ouvert, qu'il n'y a qu'à prendre, chacun cherchera à avoir sa part. Nous défendrons le trésor public autant que nous le pourrons ; mais il est certain que lorsqu'on arrivera aux travaux qui concernent notre district, nous les voterons. Car lorsque tous vous puisez dans le trésor, il y aurait folie de notre part si nous ne réclamions pas en faveur de nos commettants.

Nous nous rappelons, messieurs, la fable du chien qui portait le dîner de son maître. Il défend son trésor autant qu'il le peut ; mais lorsqu'il voit que ses efforts sont impuissants, il prend sa part ; et en cela il n'y a rien à blâmer.

Messieurs, permettez-moi de vous rappeler à cet égard quelques vers du poëte, précisément relatifs à la circonstance actuelle. Je vous ai parlé d'une fable célèbre ; permettez-moi de vous en dire la morale.

« J'imagine voir une ville,

« Où l'on met les deniers à la merci des gens,

« Echevins, prévôts des marchands,

« Tout fait sa main, le plus habile

« Donne aux autres l'exemple, et c'est un passtlemps,

« De leur voir nettoyer un monceau de pistoles.

« Si quelque scrupuleux, par des raisons frivoles,

« Veut défendre l'argent et dit le moindre mot,

« On lui fait voir qu'il est un sot. »

Voilà notre position. Nous qui défendons l'argent, on fait croire que nous sommes des sots, et si tout le monde en prend, ne trouvez pas mauvais que nous cherchions à en avoir notre part.

Mais ce qu'il faut avant tout, c'est empêcher cette dilapidation du trésor public ; et, pour mon compte, quelque soit les votes que j'émettrai sur les articles, je vous déclare qu'il m'est impossible de donner mon assentiment à un projet de loi qui aura pour résultat de grever énormément le trésor public, de nuire aux intérêts d'une province en enrichissant une autre, qui aura pour résultat d'entrer dans une voie dont il est impossible de prévoir l'issue par la garantie d'un minimum d'intérêt sur de mauvaises lignes ; qui aura pour résultat enfin d'amener nécessairement de nouveaux impôts.

Tout cela, messieurs, je n'en veux pas. Je n'ai pas voté les nouveaux impôts, parce qu'il s'agissait de travaux publics. On me le reprochera sans doute. On m'a déjà dit dans une séance précédente : Vous vous vantez d'être partisan de la défense nationale, et vous avez refusé les impôts. Oui, messieurs, j'ai refusé les impôts, parce qu'ils n'étaient pas présentés pour la défense nationale.

Si les derniers impôts que vous avez présentés pour les travaux publics avaient été demandés pour la défense nationale, pour fortifier notre matériel de guerre, pour mettre notre armée sur un pied de défense convenable, je me serais empressé de vous apporter l'hommage de mon vote. Mais ce n'est pas lorsque vous êtes venus nous dire que vous présentiez ces impôts pour faire des travaux, que vous pouvez venir nous reprocher plus tard de ne pas les avoir votés pour les dépenses de l'armée.

Lorsqu'il s'agira de l'armée, si de nouveaux impôts sont nécessaires, je les voterai, pourvu qu'ils soient sortables, qu'ils soient acceptables. Je ne voterais pas la loi sur les successions en ligne directe, mais je voterais des impôts sortables, des impôts acceptables, et le ministère saura bien en trouver, parce que ce qu'il nous faut avant tout, c'est conserver notre honneur national.

Mais quant à ce qui est de faire les affaires de tel ou tel arrondissement aux dépens du trésor public, c'est un rôle qu'il m'est impossible de jouer. Je ne veux pas que l'on puisse me dire un jour que j'ai contribué à la ruine de mon pays.

M. le président. - La parole est à M. le ministre de l'intérieur. Mais je dois faire remarquer que les paroles inconvenantes qui ont été prononcées par l'orateur et que j'ai considérées comme une injure à la majorité ont été réprimées par un rappel à l'ordre qui est resté, nonobstant que les paroles aient été retirées.

Je crois donc que tout débat sur ce point doit être clos.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - D'après ce que vient de dire M. le président, je consens à me taire. Mais je déclare que la première fois qu'un membre de l'opposition se permettra vis-à-vis de la majorité des sorties aussi inconvenanles, je croirai, malgré le rappel, à l'ordre de M. le président, devoir prendre la parole pour répondre.

M. Malou. - Je crois qu'en présence de la réserve de l'honorable ministre, il faut placer les droits de l'opposition ; et ces droits de l'opposition, l'honorable ministre nous les a enseignés précédemment. Nous les maintiendrons.

M. le président. - Oui, chacun a ses droits. Mais avant tout, le bureau a les siens, et le président a la police de l'Assemblée. Le président ne peut que rappeler à l'ordre les orateurs qui s'en écartent ; il a usé de ce droit, et il n'a à recevoir de leçon de personne.

M. Ansiau. - Arrivé fort tard dans cette discussion, messieurs, je m'attacherai à éviter de reproduire les arguments que d'autres honorables collègues vous ont déjà présentés : je craindrais de les affaiblir.

Je n'aborderai que quelques points de la loi qu'ils ont négligés ou dédaignés ; et ce modeste rôle de glaneur est le seul qui puisse me convenir.

Certes, il y avait de belles, de grandes choses à dire, messieurs, sur le projet de travaux publics soumis à vos délibérations.

Les orateurs qui m'ont précédé ne sont pas restés au-dessous de leur tâche. Ils ont été éloquents, magnifiques de langage même, lorsqu'ils ont cherché à démontrer l'avantage que le pays entier était appelé à retirer des travaux à exécuter dans leurs localités respectives.

Il faut être habile, très habile, pour persuader aux gens, que ce qu'on leur demande, que ce qu'on leur prend enrichit autant celui auquel on l'enlève que celui auquel on le donne.

Mon intelligence est, je l'avoue, renfermée dans une sphère trop étroite pour pouvoir s'élever à d'aussi hautes idées. Ces raisonnements dépassent ma conception. Je ne vois les choses que comme le vulgaire ; et, malheureusement, la province que je représente plus spécialement les voit du même œil que moi.

Nous ne sommes pas envieux des bienfaits dont on nous propose de combler certaines parties du pays, tant s'en faut. Mais pourquoi nous exclure de ces faveurs ?

Que voyons-nous dans le projet qui nous est soumis ? Est-ce autre chose qu'un fastueux banquet dont les uns sont les heureux commensaux, tandis que les autres s'en trouvent les tristes amphytrions.

Il était pourtant un moyen assez simple d'empècher qu'aucune idée de ce genre vint à naître parmi nous : c'était de présenter un projet qui eût décrété des travaux publics répartis par province, et d'y attacher des subsides en rapport avec le contingent de chacune d'elles dans les impôts. L'emprunt à contracter eût été de la sorte une charge pour les diverses parties du pays proportionnée aux avantages que chacune en eût retirés. Cette idée, me semble-t-il, est aussi simple qu'elle est juste.

La justice ! mais en est-il beaucoup dans le projet ? Voyons, par exemple, ce que l'on nous demande pour le Luxembourg. L'Etat garantit l’intérêt d'une somme de vingt-deux millions cinq cent mille francs pour construction d'un chemin de fer. Je vous demande d'abord s'il n'est pas (page 1931) indubitable que nous pouvons a l'avance porter ces interêts au livre de notre dette publique. Voila donc huit à neuf cent mille francs à inscrire a notre budget des dépenses, somme supérieure au montant des contributions foncière et personnelle de cette province, lesquelles n'atteignent pas 700,000 francs.

A part ce que l'on s'est plu à nommer une question nationale, une question internationale, que sais-je ? grands mots qui cachent souvent de petites choses, à part ces questions, que je n'entends pas examiner, cette énorme dépense, ce sacrifice est-il en rapport avec les ressources de cette partie du pays ?

Une province n'est-elle pas quelque peu, dans les mains de l'Etat, ce qu'un bien, un héritage, une ferme se trouvent dans la fortune d'un particulier. Comment qualifierait-on la gestion d'un homme qui absorberait sur sa terre un capital dont l'intérêt dépasserait de beaucoup la rente qu'il peut en espérer ?

Si encore nous avions la certitude d'atteindre le but que les auteurs du projet se proposent, je n'hésiterais pas à m'associer à leurs vues ; mais j'ai la conviction que cette province retirera peu d'avantages d'une semblable communication.

N'est-ce pas aller beaucoup trop vite en besogne que de gratifier d'un chemin de fer une contrée où, dit-on, presque tout est à faire, et dont on se plaît à déplorer la torpeur, le complet isolement.

Je veux bien que ses voies de communication soient insuffisantes, bien que, tout à l'heure l'honorable M. Dumortier vous ait prouvé que cette province a été mieux partagée que toutes les autres dans les constructions des routes par l'Etat, et que les conditions où sa faible population se trouve placée ne lui permettent pas de franchir un cercle d'action très restreint. Mais cela n'est-il pas un peu aussi la faute de la nature des choses ? Cela ne tient-ils pas à son sol peu fécond et à la presque complète absence de richesses minérales.

Pouvez-vous espérer, d'ici à longues années, faire autre chose de cette population qu'une population agricole ? Cette contrée est-elle même agricole ? Elle semble bien plutôt offrir les caractères de contrée à l'état de pâtre, de gardeur de troupeaux, c'est-à-dire de peuple qui n'est pas encore véritablement agriculteur.

Or, un chemin de fer est avant tout une voie industrielle et commerciale. Et si, par hasard, si par malheur même, l'on érigeait dans une semblable contrée, quelques établissements d'industrie, les bras, qu'on y emploierait, seraient des bras enlevés à l'agriculture, c'est-à-dire à la seule force un peu vive de cette contrée.

La base de la richesse d'un peuple est dans son sol. C'est par ses produits agricoles qu'il peut vivre d'abord, puis commencer lentement à former, par l'épargne, un capital qu'il emploiera d'abord à perfectionner sa culture, jusqu'au moment où il pourra en consacrer une partie à l'industrie proprement dite. Dans la situation où se trouve la province dont je m'occupe, avec son vaste territoire si peu en harmonie avec le nombre de ses habitants, il faudra peut-être plusieurs siècles avant d'en arriver là.

Pour remplir ses destinées, cette partie du pays doit se soumettre à la loi commune ; elle doit d'abord défricher et féconder son sol avant de pouvoir passer à un autre état que celui d'agriculteur. Toule autre marche lui serait funeste, car on n'enfreint pas impunément les lois qui régissent les sociétés humaines.

Les voies de communication ordinaires, les chemins d'abord, les routes, les rivières, puis les canaux, tels sont les premiers et les plus sûrs éléments de l'activité d'un peuple. Tant qu'une contrée n'a pas défriché son sol, et qu'un vaste espace inculte se trouve sous sa main, ces voies lui suffisent et par delà. C'est donc de travaux de cette nature qu'il faut la doter, parce qu'ils peuvent seuls lui être utiles, pour le transport économique des produits, toujours pondéreux et encombrants de son agriculture.

Sera-ce un railway qui chariera les amendements, les engrais, les matières premières dont le Luxembourg manque ? Sera-ce cette voie qui lui viendra en aide pour la vente de ces céréales, et de son bétail ? Je ne puis le croire, car la valeur de ces matières, de ces produits mêmes ne sont nullement en rapport avec les frais de locomotion d'une voie ferrée.

Quoi qu'il en soit de ces considérations, messieurs, je n'ai point de parti pris encore et je réserve mon vote sur cet objet.

D'autres honorables collègues, messieurs, se sont assez amplement occupés des travaux à entreprendre sur d'autres points du pays, pour que je me dispense à mon tour d'en parler. Il me suffira de vous faire observer qu'ils sont incomparablement plus importants que ceux proposés pour le Hainaut.

Si, en général, messieurs, on se plaint avec raison dans cette partie du pays, quelle doit être notre manière d'envisager le projet de loi, à nous représentants de localités complètement oubliées, dépossédées même par la loi en discussion.

Voyez plutôt. C'est ainsi que la ville d'Enghien, chef-lieu d'un canton très populeux, et formant le centre d'un rayon de plusieurs villes, auxquelles elle se rallie par des routes pavées, se trouve au nombre des localités qui jusqu'ici ne sont pas dotées d'un chemin de fer.

Une voie de cette nature serait pourtant de la plus haute utilité entre les provinces wallonnes et les Flandres et pourrait seule rendre le mouvement et la vie à un canton plongé aujourd'hui dans un isolement complet. Des projets subsistent depuis 1845. Suivant l'un de ces projets, le chemin à construire partirait de Bruxelles ou de Hal pour se diriger vers Ath par Enghien, avec embranchement vers Renaix, Audenarde et Deynze. Suivant un autre, la voie ferrée aurait deux embranchements partant de Hal et de Braine-le-Comte, traversant Enghien, Renaix, Audenarde, etc. et aboutirait à Courtray et à Deynze.

C'est sur ce dernier projet que des propositions ont été faites dans la séance de la chambre du 27 avril 1847. Les plans existent, ils ont été alors déposés, et les capitaux étaient préparés.

J'appuierai donc l'amendement proposé par mon honorable collègue de Soignies, et la garantie du minimun d'intérêt demandée ne constitue en réalité qu'une garantie purement morale.

J'appuierai également la proposition fai'e par l'honorable député d'Ath qui consiste à majorer le crédit relatif aux travaux à la Dendre. L'état de cette rivière est déplorable, et les localités importantes qu'elle traverse réclament depuis trop longtemps contre l'immense préjudice que sa défectueuse navigation leur fait éprouver.

Je disais tout à l'heure, messieurs, que sous d'autres rapports le projet de loi nous dépossédait de certains avantages. En effet, l'élargissement de la partie du canal de Bruxelles à Charleroy, comprise entre la neuvième écluse et la Sambre canalisée, ne peut servir qu'au charbonnage de la vallée du Piéton. Cette partie du bassin de Charleroy qui produit plus spécialement des charbons maigres, se trouvera dispensée de l'obligation de transborder ses houilles à l'entrée de la Sambre. Le bassin du Centre, lui, devra continuer à transborder ses produits, et se verra dans la complète impossibilité de soutenir plus longtemps une concurrence ruineuse.

Indépendamment des travaux projetés et des réductions proposées en faveur des autres bassins, le projet accorde encore : à Liége, l'exécution des canaux de Liége à Laroche et du Demer à l'Escaut ; à Charleroy, l’achèvement du chemin de fer de Sambre-et-Meuse. Ainsi on accorde, même le superflu, aux concurrents du Centre, tandis qu'on laisse dans un oubli complet l'important bassin que nous représentons.

Justement alarmé de la présentation de projets de loi où tout semble avoir été fait contre eux, les exploitants du Centre se sont hâtés d'adresser une requête à la chambre dans laquelle ils indiquaient les remèdes qui peuvent, jusqu'à un certain point, parer aux fâcheuses éventualités qu'ils signalent.

En conséquence, ils demandaient :

« 1° L'exécution du chemin de fer de Manage à la Sambre vers Erquelinnes ;

« 2° La tarification uniforme par distance et par tonne sur toutes les voies navigables du pays et suivant la nature de ces voies, promise par la loi du 20 mai 1834, et récemment réclamée par les exploitants et par la chambre de commerce de Charleroy ;

« 3° L'élargissement du canal de Charleroy à Bruxelles, sur la totalité de son développement ;

« 4° L'exéculion du chemin de fer de Manage à Wavre. »

Malgré la justice de ces demandes, surtout en ce qui concerne la révision des taxes des rivières et canaux, et l'établissement de péages uniformes, la section centrale n'a pas cru devoir rien proposer sur ces divers objets. De son côté, M. le ministre des travaux publics semble peu disposé à faire droit aux doléances de nos exploitants.

Eh bien ! messieurs, mes collègues et moi, nous appuyons de toutes nos forces l'amendement présenté par la majorité de la section centrale. Cet amendement consiste à autoriser le gouvernement à concéder, sans garantie aucune de minimum d'intérêt, le chemin de fer de Manage à la Sambre vers Erquelinnes.

Ce chemin a été concédé en 1845, et s'il n'a pas été exécuté, cela a tenu à des circonstances qu'il est inutile de rappeler ici, mais auxquelles les exploitants du Centre sont tout à fait étrangers. Conçue en d'aussi modestes termes, nous avons l'espoir fondé que cette proposition sera accueillie par la chambre.

M. le président. - La parole est à M. Malou.

M. Malou. - L'heure est trop avancée. L'attention de la chambre est fatiguée. Je me permettrai de n'user de la parole aujourd'hui que pour demander un renseignement au gouvernement.

Je trouve aux pages 90 et 91 du rapport de la section centrale un relevé très intéressant du produit des voies navigables administrées par l'Etat. Ainsi nous avons, pour la Meuse, en 1850, un produit total de 71,957 francs, disons 72,000 francs. Nous avons, pour le canal latéral à la Meuse, pour les trois derniers mois, une somme de 6,000 francs, ce qui ferait 24,000 francs pour l'année entière, en supposant que le mouvement fut constamment le même.

Je prierai M. le ministre de vouloir bien, pour la séance de demain, compléter ces renseignements, en y ajoutant les données relatives aux six premiers mois de l'année courante.

Ces renseignements doivent exister au département des finances, où l'on reçoit les états mensuels des revenus sur les diverses rivières.

Je demanderai, quant à la Meuse, qu'on distingue les produits de la partie depuis Liége jusqu'à la frontière hollandaise, des autres produits, et cela depuis 2 ou 3 ans.

Je pense qu'il n'y aura pas de difficulté à ce que ces renseignements nous soient donnés pour la séance de demain.

Motion d’ordre relative à une pétition en rapport avec le projet de loi

M. d'Hondt. - Dans la séance du 8 de ce mois la chambre a ordonné le renvoi à la section centrale de toutes les nouveltes pétitions qui sollicitaient des travaux autres que ceux dont la section centrale s'était déjà occupé. Dans cette catégorie figure la requête de la ville de Renaix sur laquelle j'ai eu l'honneur d'appeler votre attention dans la séance du 7.

(page 1932) Cependant, messieurs, comme cette pétition ne se trouve pas comprise au nombre de celles dont l'honorable M. Veydt nous a fait rapport au début de la séance, je prie la section centrale de vouloir également en faire l'objet de son examen et d'un rapport à la séance de demain. Ce ne peut être quep ar pur oubli que cette lacune s'est présentée.

M. Veydt, rapporteur. - Rien ne s'oppose à ce qu'il soit satisfait à la demande de M. d'Hondt.

M. le président. - Il y sera fait droit.

- La séance est levée à 4 heures et demie.