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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 25 novembre 1854

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1854-1855)

(Présidence de M. Delfosse.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 147) M. Dumon procède à l'appel nominal à 11 heures et un quart.

M. Maertens lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Dumon présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« Le sieur Van Beveren, ancien notaire, prie la Chambre de lui faire accorder un emploi ou une gratification. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Dubois demande que le département de la guerre retire l'ordre qu'il a donné aux chefs des corps de l'armée de maintenir en congé dans leurs foyers, après le 31 décembre prochain, les miliciens de la classe de 1844. »

- Même renvoi.


« L'administration communale de Quaregnon se plaint de ce que la députation permanente du conseil provincial du Hainaut, après avoir alloué, sans aucune objection, dans le budget de cette commune pour l'exercice 1854, une somme de 4,900 fr., qui avait été proposée par le conseil communal pour couvrir les frais de premier établissement d'une école de frères, a signifié au receveur de cette commune la défense de payer aucune somme sur cette allocation ; elle prie la Chambre de prendre les mesures nécessaires pour la conservation et la sauvegarde de ses droits. »

- Même renvoi.

M. Malou. - Je demande que la pétition soit renvoyée à la section centrale du budget de l'intérieur. Dans ma pensée, la question qu'elle soulève se rattache au chapitre de l'enseignement primaire.

- Cette proposition est adoptée.


« Le sieur A. Patte, négociant à Bruxelles, né dans cette ville, demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« Le sieur Clermont prie la Chambre d'insérer dans l'article premier du projet de loi sur les denrées alimentaires, le beurre frais et salé, le beurre rance, les fromages étrangers de toute espèce et les œufs ; de prohiber la sortie de ces denrées et de toutes celles énumérées à l'article premier, à l'exception des bestiaux ; de supprimer la deuxième partie de l'article 3 du projet, de compléter les articles réglementaires du projet, par des dispositions qu'il propose, et d'abolir jusqu'au 31 décembre 1855 toute décharge ou restitution de droits à l'exportation des boissons distillées. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion des projets de loi concernant les denrées alimentaires et les eaux-de-vie.


« Un grand nombre d'habitants de Nivelles et des membres de la Société de commerce de cette ville, demandent la libre enirée des céréales, des pommes de terre, des fécules et des bestiaux, leur prohibition à la sortie, et prient la Chambre d'interdire la distillation des céréales. »

- Même décision.


« Le sieur Jorion réclame l'intervention de la Chambre pour que son fils Désiré, milicien de la levée de 1854, soit libéré du service militaire. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

M. Visart. - Messieurs, cette pétition, si ses motifs sont fondés, a une grande importance ; je demande, en conséquence, un prompt rapport.

- Adopté.


« Le sieur Van Elstraete réclame l'intervention de la Chambre pour rentrer dans la possession de ses biens. »

- Même décision.

Projet de loi sur les denrées alimentaires

Discussion des articles

M. Delehaye (pour une motion d’ordre). - Messieurs, dans le Moniteur que avons avons reçu ce matin, j'ai trouvé dans le discours de M. Verhaegen une phrase qu'il n'a pas prononcée et qu'il a intercalée. Comme l'honorable membre n'est pas présent, je ne puis pas demander en ce moment pourquoi il a agi ainsi ; je me réserve de le faire quand il sera présent, et je prierai la Chambre de vouloir alors interrompre le débat.

La chose est d'autant plus importante que j'ai la conviction intime que si l'honorable M. Verhaegen s'était permis une pareille expression, il y aurait eu un rappel à l'ordre de la part de M. le président ; et de ma part il y aurait eu nécessité de protester énergiquement contre cette assertion.

Article 2

M. le président. - La discussion continue sur l'article 2 et les amendements qui s'y rapportent.

M. de Naeyer, rapporteur. - Messieurs, l'année dernière, après une discussion très approfondie, la Chambre a repoussé, à une immense majorité, la prohibition à la sortie, et l'honorable ministre des finances, dans une séance précédente, a démontré, à mon avis, de la manière la plus claire et la plus logique que cette résolution avait été bonne, utile au pays ; qu'elle était en harmonie avec nos besoins, avec nos intérêts, avec les véritables exigences de notre situation économique.

Cependant je me demande si la résolution prise l'année dernière sera maintenue aujourd'hui.

J'avoue que j'ai des doutes sérieux à cet égard ; mais je n'hésite pas à déclarer que si la prohibition qui a été répoussée en 1853 vient à être adoptée en 1854, ce ne sera pas parce que la majorité aura considéré cette mesure restrictive comme étant de nature à amener une amélioration réelle dans la situation du pays. Je suis, au contraire, persuadé que la plupart des honorables membres qui, l'année dernière, ont consacré par leur vote la liberté commerciale en matière de denrées alimentaires, sont restés fidèles à leurs convictions ; mais, il faut bien le reconnaître, on croit assez généralement dans le pays que la défense d'exporter le grain ferait baisser les prix.

Or, plusieurs honorables collègues estiment qu'il est sage, qu'il est prudent, qu'il est politique d'accorder sous ce rapport une satisfaction morale à l'opinion publique et de faire, comme disait l'un des membres les plus éminents de cette assemblée, cette concession à des préjugés respectables.

Je ferai remarquer que le gouvernement, qui est mieux placé que personne pour apprécier les nécessites politiques du moment et qui est d'ailleurs investi d'une grande responsabilité, n'envisage pas les choses de la même manière.

Toutefois, je ne nie pas la valeur, l'importance de ces considérations, mais elles ne sont pas assez puissantes pour me déterminer à voter des mesures dont les suites ne peuvent être que désastreuses et funestes au pays.

Le peuple, suivant moi, payera trop cher cette satisfaction morale qu'on veut lui accorder ; en vue des circonstances actuelles, j'attache plus d'importance à procurer au peuple certaines satisfactions physiques, au risque même de lui déplaire et de perdre, s'il le faut, toute popularité.

Messieurs, abordant avant tout une considération présentée hier par l'honorable M. Delehaye, je me demande si la question se présenté de la même manière pour le seigle et pour le froment.

Je n'hésite pas à répondre négativement ; pour le seigle nous nous trouvons en face d'une position exceptionnelle qui n'est pas le résultat naturel des circonstances, mais qui a été créée par un gouvernement voisin, et contre laquelle il pourrait être juste de prendre des mesures défensives ; ensuite le seigle est avant tout la nourriture du peuple, et jusqu'à présent cette céréale nous est arrivée principalement de la Russie ; or sous ce rapport nous ne pouvons guère compter cette année sur les mêmes arrivages que dans les années ordinaires. Voilà des différences essentielles ; et je suis étonné qu'elles aient échappé à la sagacité de l'honorable M. Delehaye.

Mais, dit cet honorable membre, si le froment peut sortir librement et si les prix restent élevés ou subissent encore une hausse, la petite bourgeoisie abandonnera le froment et se rejettera sur le seigle ! Au moyen de toutes ces hypothèses, on ne fait évidemment que résoudre la question par la question.

Ce dont nous nous préoccupons avant tout, c'est d'assurer nos approvisionnements de seigle. Quant aux prix, nous aurons beau faire, il faudra nécessairement subir la loi commune ; nous aurons en Belgique les mêmes prix que dans les autres pays qui sont dans la même position que nous. Par suite des considérations que je viens de développer, je réserve mon vote : En ce qui concerne l'exportation du seigle, il y a évidemment ici des circonstances toutes spéciales que je tenais à faire ressortir ; mais je n'hésite pas un seul instant à repousser de toutes mes forcer la prohibition à la sortie de toutes les autres denrées alimentaires.

Je la repousse pour deux motifs, 1° parce que c'est une violation formelle et toute gratuite des principes de justice et de bon droit, 2° parce que cette mesure n'est propre qu'à aggraver les malheurs de la situation. Sans doute la crise alimentaire qui pèse sur le pays est une véritable calamité, et il faudrait avoir le cœur bien dur pour ne pas désirer ardemment de voir cette situation s'améliorer. Est-ce à dire cependant que tous les moyens sont bons pour y remédier, pourvu qu'ils soient momentanément efficaces ?

S'il en était ainsi, eh bien, ordonnez aux cultivateurs d'apporter leurs grains au marché et imposer-leur obligation de vendre à un prix qui ne dépassera pas, je suppose, 20 à 24 fr. l'hectolitre. Evidemment vous aurez une baisse, et la situation des classes malheureuses sera momentanément soulagée.,

Pourquoi donc personne ne propose-t-il cette mesure, dont l’efficacité est incontestable ? La raison en est simple : c'est qu'à côté des malheurs qui demandent à être secourus, il y a la justice et le bon droit qui doivent être respectés.

(page 148) M. de Haerne. - On promet la protection pour l'avenir.

M. de Naeyer, rapporteur. - Mais on ne tient pas ces promesses. Je m'explique là-dessus. Au reste les interruptions sont prohibées.

Ce même principe s'élève énergiquement contre la prohibition, qui n'est, on l'a dit avec raison, qu'une loi de maximum, moins la franchise. A la vérité on ne dit pas au cultivateur : Vous vendrez vos grains à tel prix déterminé. Mais on a la prétention de lui dire : Je vous forcerai à vendre vos produits au-dessous du prix qui est le résultat loyal des circonstances, qui est la conséquence légitime du régime sous lequel vous avcz travaillé à la sueur de votre front, sous lequel vous avez exposé vos capitaux. Des deux côtés, le mépris, la violation des droits acquis sont les mêmes.

Or, dans les circonstances où nous nous trouvons (j'insiste sur ce point), alors que nous sommes en présence de doctrines subversives qui s'infiltrent dans tous les rouages de la vie sociale, nous devons nous efforcer plus que jamais de garantir à chaque citoyen le droit de disposer librement et loyalement, et au mieux de ses intérêts, des fruits de son travail. Ce droit, messieurs, est sacré ; car c'est le salaire de l'homme laborieux et intelligent ; et ce principe, base essentielle de l'ordre social, est évidemment méconnu et foulé aux pieds par la prohibition.

On a beaucoup parlé du système de prohibition qui existe en France.

Eh bien, je dis que c'est toute autre chose que ce qu'on veut introduire en Belgique, surtout au point de vue de la justice. En France, la prohibition de sortie est le résultat d'un système qui, dans des circonstances données, assure à l'agriculteur une protection même exagérée, au point d'exclure la concurrence des grains étrangers. C'est tout bonnement une application de l'échelle mobile.

Je ne suis pas partisan de ce système. Je le crois usé ; il a été expulsé impitoyablement de l'Angleterre où il paraît avoir pris naissance, c'est donc un enfant chassé de la maison paternelle à cause de son détestable caractère. Cependant sous l'empire d'un pareil régime je comprends la prohibition ; en effet l'échelle mobile établit entre les producteurs et les consommateurs une espèce de pacte en vertu duquel les producteurs s'engagent à réserver les grains pour les besoins du pays ; lorsque les prix ont atteint une certaine élévation, et les consommateurs s’engagent de leur côté à se priver des avantages de la concurrence étrangère, lorsque les prix seront descendus à un certain taux.

La prohibition entendue de cette manière est donc tout bonnement l'exécution d'une clause d'un contrat. Cela est donc irréprochable sous le rapport de la justice.

Mais est-ce que mes honorables adversaires s'imaginent d'introduire le même régime en Belgique ? Croient-ils que la prohibition qu'ils proposent est un premier pas vers le rétablissement de l'échelle mobile ? Ils se trompent étrangement. Je leur dirai que l'échelle mobile appartient à un passé qu'ils ne parviendront pas à réédifier en Belgique, malgré toute leur puissance en œuvres et en paroles. Disons, franchement les choses comme elles sont,

Pourquoi la prohibition a-t-elle vu augmenter le nombre de ses partisans ? C est parce qu'en présence de la cherté des vivres, les préjugés populaires sont là, disposés à qualifier d'affameurs publics ceux qui restent fidèles à la cause du bon droit et de la liberté. Mais renversons la médaille, supposons que les prix des grains, dans une année ou deux, descendent très bas, et que nos honorables adversaires saisissent ce moment pour raccommoder leur échelle mobile, qu'arrivera-t-il ?

Eh bien, voici un résultat infaillible, c'est que ces préjugés populaires, qui font aujourd'hui leur force, s'ameuteront contre eux et qu'ils seront à leur tour traités d'affameurs du peuple. C'est de l'histoire que je fais ici, car vous vous rappelez, messieurs, comment on a qualifié la fameuse proposition des 21 ou 22, je ne me rappelle pas bien le nombre, attendu que je n'en faisais pas partie.

Si vous voulez l'échelle mobile, eh bien, c'est le moment de la proposer. Vous voulez un pacte entre le producteur et le consommateur, ne le présentez pas par pièces et morceaux, mais formulez-le dans toutes ses parties.

Dans votre pensée la prohibition est subordonnée a une condition. Ayer donc le courage de stipuler cette condition. Eh bien, je vous en défie ! Non, aujourd'hui même que vous avez pour vous les préjugés populaires, vous n'oseriez proposer le rétablissement de votre échelle mobile.

J'en conclus que peut-être on vous laissera faire, maintenant que vous voulez sacrifier, je ne dirai pas les intérêts de l'agriculture, mais les droits de l'agriculture ; et si, plus tard, vous voulez réparer l'injustice et réaliser la promesse qui était dans votre pensée, il ne vous restera autre chose que la conviction de votre impuissance.

Messieurs, si nos honorables adversaires n'ont pas assez de confiance pour traverser la crise actuelle dans les efforts de la charité privée qui est cependant habituée, en Belgique, à multiplier les prodiges dans les temps calamiteux, s'ils croient que le jeu normal des forces sociales ne suffit pas pour atténuer le mal dans la limite du possible, si enfin un grand acte national leur paraît nécessaire, eh bien, je leur dirai : Soyez justes avant tout, suivez l'exemple de certaines administrations communales, faites distribuer aux familles nécessiteuses des cartes pour obtenir le pain à prix réduit et couvrez cette dépenses au moyen d'une imposition frappant dans de justes proportions toutes les fortunes, alors, au moins vous ferez l'aumône avec les deniers de tous ceux qui sont en état de payer, et les frais de votre charité ne pèseront pas sur une seule classe de citoyens, qui est loin d'être la plus riche et que vous voulez forcer à faire l'aumône, aussi bien aux classés aisées qu'aux pauvres, car, veuillez-le remarquer, messieurs, cette réduction de prix, cette réduction de salaire que la prohibition prétend imposer aux Cultivateurs, ne profiterait pas seulement aux malheureux, elle profiterait également aux industriels, aux commerçants, aux rentiers même, à une foule de personnes ayant plus de ressources que ceux qui se livrent à la culture des terres.

Messieurs, je pourrais étendre beaucoup ces considérations, mais je crois en avoir dit assez pour vous convaincre, qu'en examinant la prohibition dans ses principes et dans ses prétentions, il n'y a qu'un seul mot pour qualifier ce système, c'est celui d'injustice.

Mais, messieurs, il y a une chose consolante dans les destinées humaines, c'est que l'injustice porte presque toujours malheur à ceux qui la pratiquent. Eh bien, cette vérité reçoit ici une sanction solennelle. Le système de la prohibition, cela n'est pas neuf en Belgique. Nous l'avons vu fonctionner en 1847, année de sinistre mémoire, et alors il a révélé toute son impuissance même pour préserver le pays des horreurs d'une véritable famine.

En 1847 la prohibition dont on nous vante les bienfaits a produit trois effets également désastreux : d'abord nous avons eu sous ce régime le pain plus cher que dans tous les autres pays, qui se trouvaient dans la même position que nous, mais qui jouissaient des bienfaits de la liberté du commerce. Je parle de l'Angleterre et de la Hollande, qui, de même que la Belgique, ne peuvent pas suffire à leur consommation avec les produits d'une récolte ordinaire.

Eh bien, messieurs, dans ces pays en 1847, les prix ont été constamment plus bas qu'en Belgique. J'ai ici sous les yeux un tableau qui le démontre à la dernière évidence ; si on le contestait, je suis prêt à en donner lecture.

Un autre effet désastreux de la prohibition en 1847, c'est que nos importations ont été entravées, et pour ainsi dire insignifiantes, depuis le mois de décembre jusqu'au mois de mars, alors que les prix étaient relativement les plus bas sur les marchés d'approvisionnement. Mais, au printemps, nos besoins ont fait une véritable explosion, et ont pesé de tout leur poids sur les transactions, de manière que les prix sont devenus réellement exorbitants, et se sont élevés jusqu'à 40 et 50 fr. par hectolitre. Et c'est dans ces conditions onéreuses, ayant devant nous les horreurs d'une véritable famine, que nous avons été forcés d'introduire dans le pays des quantités énormes de céréales étrangères, pour compléter nos approvisionnements. Voilà les effets de ce prétendu remède aux souffrances du peuple. En présence de pareils faits, il est réellement étrange que la prohibition s'annonce encore ici comme ayant la mission de sauver la Belgique.

Mais, messieurs, la prohibition vous l'avez encore : les pommes de terre ne peuvent pas sortir de la Belgique ; eh bien, je pose en fait qu'il n'est guère de nourriture plus chère en ce moment que les pommes de terre, prohibées à la sortie, et, au lieu de faire ici des dissertations éloquentes sur les misères du peuple qui ne lui sont que trop connues, on lui rendrait un immense service si on lui faisait comprendre qu'il est de son grand intérêt, surtout dans les Flandres, de remplacer en grande partie les pommes de terre par d'autres substances alimentaires, notamment le riz, les haricots et les pois. De cette manière, il serait mieux nourri tout en payant moins cher.

L'honorable M. Dumortier s'est donné des peines infinies pour reconquérir la prohibition ; il a pris surtout la France pour base de ses opérations ; mais je dois vous le dire, messieurs, les innombrables bataillons de chiffres qu'il a mis en campagne étaient battus d'avance par l'honorable ministre des finances, qui avait démontré de la manière la plus évidente que la France et la Belgique se trouvent dans des conditions économiques tellement différentes que toute comparaison raisonnable est absolument impossible.

Je n'approuve pas d'ailleurs, messieurs, la manière d'établir des comparaisons adoptée par l'honorable M. Dumortier. Ainsi, par exemple, il me semble que le marché de Lille se trouve bien en France.

C'est donc un marché placé sous l'influence bienfaisante de la prohibition, et qui a une importance réelle, puisqu'il est destiné à alimenter un des grands centres de population de la France. Et cependant l'honorable M. Dumortier n'en veut pas comme terme de comparaison, il trouve que le grain se vend trop cher à Lille ; évidemment, cela ne va pas à son système ; il ne veut pas surtout qu'on compare Lille à Anvers. Eh bien, passe pour Anvers, faisons ce sacrifice à la prohibition ; comparons donc Lille à Gand, à Bruxelles, à Liège.

Or, ces comparaisons sont établies dans le tableau littera I annexé au projet de loi (page 16 de l'appendice), chacun peut les consulter, elles condamnent formellement le système prohibitif. (Interruption.)

L'honorable M. Dumortier ne veut pas de Lille ; eh bien, laissons Lille de côté, faisons encore ce sacrifice à la prohibition ; comparons avec Bruxelles, avec Liège et avec Gand, les marchés de Valenciennes, Bergues, Bailleul ; ces comparaisons se trouvent dans le même tableau, et démontrent encore d'une manière formelle, qu'en 1853-1854 les grains ont été moins chers en Belgique où existait la liberté de commerce, qu'en France ou régnait la prohibition.

Maintenant j'admets la possibilité que cette année la France se trouve dans des conditions plus favorables que la Belgique ; mais cela ne prouverait absolument rien en faveur du système que je combats, car, de l'aveu de tout le monde, la France a eu cette année une récolte qui lui donne (page 149) un excédant de denrées alimentaires et il est tout simple qu'un pays qui produit au-delà de ses besoins ait des prix plus favorables que les nations qui. doivent compléter leurs approvisionnements en allant chercher des céréales à l'étranger. Un pays qui produit au-delà de ses besoins ne doit payer que les frais de production, tandis que les pays qui ne sont pas dans cette condition doivent payer en outre les frais de transport et le prix de leurs grains indigènes se mettent nécessairement au niveau des prix des céréales qu'ils sont obligés d'acheter à l'étranger.

Mais il y a un fait qui en dit plus que toutes les comparaisons possibles ; en 1853-1854, la Belgique et la France avaient toutes deux un déficit à combler par l'importation de céréales étrangères ; alors les, deux pays étaient sous le rapport des besoins pour l'alimentation publique, dans la même position ; eh bien, il est arrivé que la Belgique, régie par la liberté, a livré régulièrement des quantités considérables de céréales à la France soumise au régime de la prohibition. Ces exportations en froment seul se sont élevées à 270,000 hectolitres ; or, je vous le demande, le commerce aurait-il été assez sot pour venir acheter des céréales en Belgique, afin de les revendre avec perte en France, et n'est-ce pas, là une preuve évidente que la liberté nous a donné des prix relativement avantageux ? Ainsi les comparaisons mêmes avec la France, quand on les fait d'une manière raisonnable, condamnent absolument le système prohibitif.

Je ne reviendrai pas sur les observations qui ont été présentées par M. le ministre des finances, quant aux résultats que nous avons obtenus par la liberté commerciale pour traverser la crise de 1853 à 1854 ; je me bornerai à attirer votre attention sur les résultats que le même système nous a donnés depuis la récolte de cette année. J'ai ici un tableau extrait du Moniteur du 18 novembre, et qui démontre que, depuis le mois d'août jusqu'au 10 novembre nos importations en froment ont excédé nos exportations de près de 18 millions de kilogrammes ; et, quant au seigle aussi, nous trouvons un excédant de plus d'un million de kilogrammes.

Pour être impartial, je dirai que pour les farines il y a un léger déficit de moins de six mille hectolitres ; et pour le sarrasin de 2 à 3 mille hectolitres, Mais, par conpensation, pour le riz, nous avons un excédant de 12 millions de kilogrammes. En résumant tous ces chiffres, je trouve que sous l'empire de la liberté commerciale depuis le mois d'août, nos approvisionnements ont été augmentés d'au-delà de 320,000 hectolitres valeur en froment. Je demande si, en présence de ces faits, on est admis à prétendre que ce régime serait la cause de l'élévation des prix ; mais cela revient absolument à soutenir que les prix sont devenus plus élevés, parce que la marchandise est devenne plus abondante.

Maintenant, messieurs, arrêtons un instant notre attention sur les circonstances dans lesquelles ces faits se sont accomplis.

D'abord, je constate que les droits d'entrée ont été rétablis à la fin de juillet ; par conséquent, depuis cette époque, la liberté n'a pas été entière.

Ensuite le gouvernement, à mon avis, a pris une mesure que je ne saurais approuver. Il y a déjà plusieurs semaines, il a fait annoncer dans les journaux, tout en maintenant le droit d'entrée, que les Chambres seraient appelées à en prononcer l'abolition, il me semble que c'était conseiller indirectement an commerce de limiter ses opérations, de ne pourvoir qu'aux besoins les plus urgents puisqu'on lui disait : « Aujourd'hui vous avez des droits à payer, mais dans peu de temps vous en serez affranchi. »

Mais il est ue autre circonstance plus fâcheuse encore, c'est que la menace de défendre l'exportation est restée constamment suspendue sur toutes les opérations commerciales ; on n'a cessé de crier au commerce : Soyez bien prudent, n'importez pas trop de grains eu Belgique, car bientôt votre marchandise sera emprisonnée.

Je vous demande, messieurs, si dans de pareilles conditions la liberté commerciale, à laquelle on n'a cessé de faire la guerre, a pu révéler toute sa puissance.

On nous dit : « Les importations ont eu lieu jusqu'à présent ; mais elles vont cesser ; elles se ralentissent déjà, l'exportation au contraire, prend un accroissement considérable, il y a des commandes extraordinaires pour les pays étrangers. »

Quant à ces commande, l'honorable M. Osy, qui est parfaitement au courant de ce qui se passe dans le commerce, en a fait justice. Vous savez que cette nouvelle avait été empruntée aux journaux ; or, nous n'ignorons pas que les journaux n'ont pas fait serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Mais quand cela serait vrai, je dirais encore que c'est l'œuvre anticipée de la prohibition. Comment ! elle va crier son triomphe sur tous les toits, et vous voulez que, dans cet état d’incertitude, le commerce se livre à des opérations sérieuses, et vous voulez, d'un autre côté, que le mouvement des exportations ne soit pas accéléré alors que la menace de fermer nos frontières devient chaque jour plus imminente.

Il est donc évident que ce résultat anomal, s'il existe, ne prouve rien contre la liberté commerciale et s'explique de la manière la plus naturelle par les clameurs que la prohibition n'a cessé de faire retentir et qui sont devenues chaque jour plus bruyantes.

Mais on va jusqu'à soutenir que les importations vont devenir impossibles. L'honorable rapporteur de la section centrale passe en revue tous les pays de la terre ; il n'en trouve aucun qui puisse nous envoyer du grain ; cependant nous en avons reçu des quantités considérables depuis quelques mois ; faudrait-il donc admettre que ces céréales sont tombées du ciel ?

M. Vermeire. - Je n'ai passé en revue que les pays qui sont énumérés dans le rapport.

M. de Naeyer, rapporteur. - Si vous aviez trouvé des pays pouvant nous donner des grains, dans votre impartialité vous les auriez indiqués.

Mais toutes ces prédictions sinistres m'effrayent d'autant moins qu'elles ne sont que la reproduction de celles qu'on faisait l’année dernière. Alors on nous prenait réellement en pitié quand nous parlions d'importations ; on allait jusqu'à soutenir que nous n'avions ni assez de capitaux, ni assez de navires pour nous procurer les grains qui nous manquaient ; on ne cessait de proclamer que la prohibition seule pouvait nous sauver de la famine ; eh bien, la prohibition a été repoussée, et les faits ont répondu à toutes ces sinistres prédictions. La réponse des faits est consignée dans les documents qui nous ont été communiqués, et elle est tellement péremptoire que nos honorables contradicteurs devraient du moins être convaincus que le don de prophétie leur fait défaut.

Messieurs, on insiste beaucoup sur les événements extérieurs dont l'Orient est le théâtre et qui répandent une assez grande inquiétude dans les esprits.

J'admets volontiers que cela peut avoir de l'influence sur nos importations : Mais éclairons-nous encore une fois par les faits. Je trouve un tableau formant l'annexe 7 du projet de loi page 22, qui indique les provenances des céréales que nous avons reçues.

Eh bien, il suffit de jeter les yeux sur ce document pour être convaincu que ce n'est pas seulement de la Russie et de la Turquie que nous avons reçu des grains, mais que des quantités beaucoup plus considérables nous ont été envoyées par plusieurs autres pays, notamment par l'Amérique et surtout par le Zollverein et la Hollande. Or, il résulte des renseignements recueillis par le gouvernement que l'Amérique présente encore cette année un excédant assez considérable, et je vous avoue franchement que ces renseîgnements m'inspirent plus de confiance que ceux puisés à d'autres sources ; et quant à l'Allemagne il est reconnu que la récolte y a été abondante surtout dans la Westphalie et les provinces rhénanes. L'inspection du tableau vous prouvera, messieurs, que d'autres pays encore pourront contribuer à nous fournir des grains.

D'un autre côté, les besoins des pays qui nous font la concurrence, sur les lieux de provenance, sont beaucoup moindres ; la France qui, l'année dernière, a dû acheter à l'étranger neuf millions d'hectolitres, a cette année un excédant ; l'Angleterre qui a encore besoin de recourir à l'étranger pour compléter son approvisionnement, doit en tirer des quantités moindres, parce que sa récolte est aussi meilleure cette année que l'année dernière.

La sortie des grains prohibée en Egypte en 1853 est permise maintenant.

En un mot, je crois être dans le vrai en disant que les quantités de céréales disponibles pour les pays d'Europe sont plus considérables que l'année dernière, dès lors les importations pourront certainement continuer et il n'existe aucun motif pour tourmenter le commerce par des mesures restrictives.

Mais, dit-on, ce n'est pas tout d'avoir des grains, il s'agit de les avoir à bon marché ; c'est la question des prix qui domine ; ce sont les prix qu'il faut faire baisser.

La cause de leur élévation c'est la spéculation, et la cause de la spéculation c'est l'exportation, prohiber la sortie et vous aurez une situation meilleure. Je crois que c'est là une véritable erreur. En admettant que la prohibition soit décrétée, il arrivera de deux choses l'une, ou bien les importations cesseront, ou bien elles continueront. Si les importations continuent, je dis qu'il n'est pas logique de prétendre que la prohibition puisse donner une baisse de prix.

En effet, croyez-vous que le commerce étranger vous donnera des grains à meilleur marché qu'aux autres pays, à l'honneur de la prohibition ?

La seule influence que cette mesure puisse avoir, c'est de produire une hausse : puisque au-delà du prix du grain, vous aurez encore à payer l'entrave apportée au commerce par suite de la défense d'exportation.

L'honorable M. Delehaye s'est attaché à prouver que la prohibition de la sortie ne rendrait pas les importations impossibles. Mais cela est parfaitement vrai. Si vous êtes assez riches pour payer, vous pourrez vous procurer les grains nécessaires à votre consommation, cela ne souffre pas la moindre difficulté.

Ainsi, décrétons la prohibition, prenons d'autres mesures tout aussi fâcheuses, cela n'empêchera pas le commerce de nous livrer les grains dont nous aurons besoin ; seulement, il réglera ses comptes en conséquence, en disant : Autant pour les grains et autant pour les entraves et les embarras que vous me causez. Pourvu que vous payiez, cela lui est fort indifférent.

Il s'agit de savoir si, pour obtenir les grains à des prix favorables, il vaut mieux offrir au commerce un marché entravé qu'un marché libre, et telle question n'en est pas telle ; donc si les importations continuent sous le régime de la prohibition, elles se feront à des prix moins avantageux que sous le régime de la liberté ; un honorable ministre des finances a démontré clairement que les prix des grains importés règlent nécessairement ceux des grains indigènes, et par conséquent dans la première hypothèse, la prohibition, loin de pouvoir nous procurer une baisse, doit nécessairement occasionner une certaine hausse. Voyons donc l'autre hypothèse possible, c'est-à-dire que la prohibition étant (page 150) décrétée, les importations viendraient à cesser et que nous serions ainsi isolés des marchés étrangers. Peut-on, dans cette supposition, compter raisonnablement sur une baisse des prix ? Mais nous avons constaté, il y a un instant, que nos importations ont excédé jusqu'ici considérablement nos exportations ; donc si en cessant d'exporter, nous cessons également d'importer, nous aurons moins de grains dans le pays, nous n'aurons plus cet excédant qui a servi jusqu'ici à augmenter nos approvisionnements ; par conséquent pour espérer, dans cette hypothèse, une baisse de prix, il faudrait prétendre que la marchandise devient moins chère en devenant moins abondante, et personne, je pense, ne soutiendra une pareille opinion. Qu'on cesse donc de se faire illusion, dans les deux hypothèses, les seules possibles, la prohibition ne saurait donner une baisse réelle et tant soit peu permanente.

On s'attache à démontrer que nous pouvons nous passer d'importations ; l'honorable rapporteur de la section centrale a fait toute une série de calculs pour établir qu'au lieu d'un déficit nous avons un excédant, ce qui ne l'empêche pas cependant de conclure que l'exportation doit être interdite.

Messieurs, je vois bien que l'excédant en chiffres existe dans le rapport de la section centrale, mais je doute fort que l'excédant en céréales se trouve réellement dans le pays ; le gouvernement est d'un avis contraire, le gouvernement pense qu'il y a un déficit même assez considérable, et il est mieux placé que personne pour faire à cet égard une appréciation approximativement exacte.

Sans vouloir discuter toutes les évaluations nécessairement hypothétiques concernant le rendement de notre récolte, je crois qu'il faut admettre que, suivant les plus grandes probabilités, nous n'avons pas récolté assez de grains pour subvenir aux besoins de notre alimentation.

Or, je me demande si dans cette situation nous pouvons dire raisonnablement : Mangeons ce que nous avons ; nous avons assez pour vivre. Mais si nos provisions viennent à être épuisées, croyez-vous, par hasard, que les populations seraient très charmées de jeûner pour la plus grande gloire du système prohibitif ? J'en doute fort,

Mais, messieurs, cet isolement des marchés étrangers qu'on nous fait entrevoir comme propre à donner des prix avantageux, ne serait-il pas une véritable calamité ? On raisonne toujours comme si l'Etat était maître de tous les grains qui se trouvent en Belgique, mais c'est une grave erreur ; ces grains appartiennent aux citoyens qui ne les vendront qu'au moment qui leur paraîtra le plus convenable. Vous prétendez que c'est la spéculation qui fait le mal, mais croyez-vous qu'en vous isolant vous ferez cesser la spéculation ? Mais chaque fermier sera un spéculateur. Les résultats du système prohibitif sont connus, c'est d'élever considérablement les prix au printemps. Cela est constaté par l'expérience de 1816, époque où les grains se sont vendus jusqu'à 50 et même à 80 francs l'hectolitre et par l'expérience de 1847, où, encore une fois, les prix sont parvenus au taux le plus élevé au printemps.

Eh bien, un grand nombre de cultivateurs conserveront leurs grains pour les vendre au printemps et qu'en résultera-t-il ? Une double calamité. D'abord, vos marches seront approvisionnés d'une manière incomplète et irrégulière, et d'un autre côlé le grain qui reste dans les greniers et les granges des fermiers est un capital mort.

Au contraire, quand il est converti en numéraire, l'argent circule parmi les populations rurales et sert à activer l'amélioration des terres, et à répandre le travail qui vaut infiniment mieux que l'aumône.

Messieurs, on vous l'a déjà dit, si vous faites aujourd'hui un premier pas, vous ne serez plus maîtres de vous arrêter ; vous irez de prohibition en prohibition ; après les grains viendront le bétail, le houblon, dont on a déjà parlé, les betteraves, la chicorée, le charbon, le fer, que sais-je ?

Eh bien, je comprendrais, moi, ce système que j'appellerai claustral, si la Belgique pouvait se dire : Je vais me faire rentier ; je mangerai, je boirai, cela suffit pour vivre. Mais pouvons-nous nous préoccuper exclusivement, je dirai, de notre consommation et jeter une espèce d'embargo sur des éléments essentiels de notre production, en gênant et tourmentant les transactions commerciales, qui constituent une des principales sources de notre richesse nationale et qui servent à activer le développement de notre industrie et de notre agriculture ? Le résultat inévitable de cette conduite ne serait-ce pas un appauvrissement général, et cela peut-il améliorer le sort de nos populations ? N'est-il pas vrai, au contraire, de dire que la position la plus terrible c'est d'être pauvre là où tout le monde est pauvre ?

Messieurs, je me résume. Nos honorables adversaires sont certainement mus par les sentiments les plus nobles et les plus généreux, je leur rends sous ce rapport pleine et entière justice ; ils veulent faire jouir le pays du bienfait de la vie à bon marché. Eh bien, c'est le même désir, c'est la même volonté qui nous animent au même degré ; mais dans cette matière les bonnes intentions ne suffisent pas, le grand point c'est de trouver le moyen de les réaliser. Il est très probable que la vie à bon marché ne tombera pas du ciel comme la manne ; dans l'ordre de la Providence, deux choses peuvent dans certaines limites procurer aux peuples cet avantage : l'agriculture et le commerce ; l'agriculture qui mutiplie les dons de la terre, le commerce qui a reçu la mission de les distribuer aux peuples selon leurs besoins.

Eh bien, que fait la prohibition ? elle paraisse le commerce et elle humilie l'agriculture en la mettant hors du droit commun... Vouloir la vie à bon marché à ces conditions, c'est travailler à rebours.

Quand les grains sont chers on nous demande de faire baisser les prix, et quand ils sont à bon marché on nous demande de les faire hausser. Je pense, messieurs, que le moment est venu de déclarer franchement et nettement que nous sommes impuissants à faire droit à de telles réclamations ; surtout gardons-nous bien de comparer en quelque sorte la Chambre à un bureau de bienfaisance où il y aurait du pain disponible que nous refuserions de donner au peuple.

Je crois que le moment est venu de proclamer bien haut que le prix du grain comme le prix de toute autre marchandise est déterminé par une foule de faits et de circonstances que les socialistes seuls peuvent avoir la prétention de dominer, de réglementer, de faire marcher au gré de leurs désirs. Pourquoi ? Parce que pour eux l'homme est l'esclave de la société et que la liberté et les droits individuels ne sont rien ou très peu de chose.

Voici, messieurs, comment, moi, je comprends notre mission. Je crois que nous devons prendre toutes les mesures, afin que les faits qui déterminent le prix des grains puissent se produire librement, mais loyalement, c'est-à-dire sans être entachés de violence, de dol, de fraude ou de manœuvres coupables. Là se borne notre tâche ; si nous allons plus loin, nous usurpons le rôle de la Providence, et ce rôle, nous ne pouvons que le profaner. Trois grandes choses ont été données aux hommes pour traverser les difficultés et les misères de la vie, la liberté, la justice, la charité. Eh bien, je le dis avec une profonde conviction, nous sommes réellement à plaindre quand nous nous avisons de substituer nos misérables manies de réglementation à ces trois forces vives de la société.

Projet d’adresse

Motion d'ordre

M. Delehaye. - Messieurs, je demande la permission d'interrompre un instant la discussion. La Chambre comprendra qu'il m'est impossible de garder le silence en présence d'un fait sans antécédents. Avant-hier l'honorable M. Verhaegen, dans un discours sur la convention d'Anvers, disait que l'autorité communale de Nivelles, hostile à la convention d'Anvers, avait été réélue. Je me permis d'interrompre et de dire : « Et qu'a-t-on fait à Gand ? » L'honorable membre répondit : « Que dirai-je de Gand ? » J'ai été extrêmement surpris de lire dans les Annales parlementaires : M. Verhaegen : « Que dirai-je de Gand ? Il ne s'est agi là que d'une question de vidanges et de police de cabarets. » Je dis, messieurs, qu'un fait de cette nature n'a pas d'exemple.

Si l'honorable M. Verhaegen s'était servi de ces expressions, j'aurais cru devoir protester immédiatement dans l'intérêt de la dignité du corps électoral ; car il ne s'agit pas ici d'une question de personnes, j'ai l'habitude de m'effacer ; mais il s'agit de l'indépendance du corps électoral.

Eh bien, messieurs, puisque l'honorable M. Verhaegen a voulu expliquer ce qui s'est passé à Gand, qu'on me permette de lui répondre quelques mots.

Pourquoi donc les amis de l'honorable M. Verhaegen ont-ils attaqué ma candidature ? Que m'a-t-on reproché ? C'est en premier lieu mon vote en faveur de la convention d'Anvers.

Voilà pourquoi la presse m'a injurié, calomnié pendant trois semaines.

La manifestation du corps électoral de Gand a fait complète justice de ces injures et de ces calomnies que l'on nous a jetées à la tête pendant un mois entier.

Je savais, messieurs, que des libéraux étaient fatigués du joug que veulent faire peser sur eux quelques hommes qui, renouvelant la prétention de Lous XIV, pensent que le libéralisme c'est eux.

On s'étonne de l'amoindrissement de l'opinion libérale. Mais quel est donc l'homme pénétré du sentiment de sa dignité, quelle est l'âme honnête qui consente à subir un jong de cette nature ? Oui, messieurs, je me suis séparé de ces hommes, et cependant je n'ai pas cessé d'être libéral, je serai constamment libéral, je n'ai renoncé à aucun de mes principes, et chaque fois qu'une mesure libérale sera proposée, j'y donnerai ma voix ; mais je n'irai jamais jusqu'à voter, dans une question de vérification de pouvoirs, pour l'admission d'un membre, par la seule considération que ce membre est libéral.

Voilà, messieurs, la ligue de conduite que le corps électoral a approuvée quand il m'a donné ses suffrages à une immense majorité.

Libre, après cela, à M. Verhaegen de ne voir dans les élections de Gand qu'une question de vidanges et de police de cabarets.

Je dis qu'il est honteux d'insérer de pareilles expressions dans les Annales parlementaires, alors qu'on n'a pas eu le courage de les énoncer dans cette enceinte.

J’espère, messieurs, que ma protestation effacera la mauvaise impression que l'assertion de l'honorable M. Verhaegen a dû produire sur chacun de vous.

M. Verhaegen. - Messieurs, vous comprenez que mon intention n'est pas de soulever un débat sur le discours de l'honorable M. Delehaye. Je laisse à l'honorable M. Delehaye son triomphe dans les élections communales ; nous verrons s'il sera encore le même dans les élections de 1856. Je n'ai rien à lui dire à cet égard ; il réglera son compte avec les électeurs. Je n'entends donc pas le suivre dans le débat chaleureux qu'il vient de soulever et dont je lui laisse toute la responsabilité.

Ce qu'il m'importe de dire à la Chambre, c'est que l'assertion que l'honorable M. Delehaye s'est permise à mon égard est inexacte.

Souvent, messieurs, on a fait à quelques membres de cette assemblée le reproche d'avoir modifié leurs discours avant de les faire insérer au (page 151) Moniteur, mais depuis à peu près vingt ans que j'ai l'honneur de siéger, dans cette enceinte, jamais un pareil reproche ne s'est adressé à moi.

Voici maintenant, messieurs, ce qui a eu lieu dans l'occurrence. La partie de mon discours à laquelle il est fait allusion était écrite, par conséquent les sténographes n'ont pas eu à en tenir note. Au milieu de cette partie de mon discours, l'honorable M. Delehaye m'interrompit en me demandant : « Et à Gand ? »

L'honorable membre a-t-il cru, par hasard, qu'il pouvait m'interpeller sans que j'eusse le droit de lui répondre ?

La réponse était toute naturelle. Aussi convient-il que je lui ai répondu. En me tournant de son côté je lui aurais dit seulement : « Que dirai-je de Gand ? »

Eh bien, messieurs, j'ignore si ma voix n'a pas été aussi forte pour cette réponse que pour le reste du discours, mais je dois dire que j'ai ajouté.... (Interruption.) Le mot a été entendu. (Nouvelle interruption.)

Ayant ensuite à compléter mon discours écrit, j'ai dû nécessairement y ajouter et l'interpellation de M. Delehaye et ma réponse.

Je pense, messieurs, que ces explications suffisent, et je n'ai pas du tout l'intention de me laisser entraîner dans un débat irritant.

M. Delehaye. - Je ne veux pas non plus provoquer un débat irritant, mais je tiens infiniment à constater que j'ai été provoqué.

L'honorable M. Verhaegen dit qu'il a prononcé la phrase que j'ai signalée à la Chambre.

Eh bien, messieurs, j'étais ici à mon banc et certes, avec la voix retentissante de l'honorable M.Verhaegen, s'il avait prononcé cette phrase je l'aurais entendue.

L'honorable membre devait bien comprendre combien de semblables paroles sont antiparlementaires.

M. Verhaegen. - Elles n'ont rien d'antiparlementaire.

M. Delehaye. - Est-ce qu'il vous est permis d'insulter le corps életoral ?

Je déclare de nouveau, messieurs, que les paroles dont il s'agit n'ont pas été prononcées.

M. Verhaegen. - Elles ont été prononcées. (Interruption.)

Projet de loi sur les denrées alimentaires

Discussions des articles

Article 2

M. le président. - Nous reprenons la discussion du projet de loi sur les denrées alimentaires. La parole est à M. Visart.

M. Visart. - Messieurs, je m'expliquerai moins bien et en termes moins énergiques que ceux dont s'est servi l'honorable M. de Naeyer, mais mon opinion sur la question est la même que la sienne. Cependant, malgré mes convictions, la force des circonstances l'emporte dans mon esprit, en ce sens que des complications malheureuses et tout à fait exceptionnelles me détermineront à voter d'abord en faveur du système de l'honorable M. Vilain XIIII ; et, s'il échoue, j'admettrai la prohibition immédiate : cédant ainsi à une sorte de nécessité, pour donner raison aux voix innombrables qui nous demandent, à un prix accessible (pour autant que cela dépende de nous), le pain de tous les jours.

Mais, cette résolution prise, le sacrifice fait momentanément d'un principe dont l'essence véritable devrait être l'immobilité, rédigeons-en clairement et complètement l'expression.

Je pense, messieurs, que l'article 2 du gouvernement ne restera pas intact et que ce sera la proposition de la section centrale qui l'emportera. Or, il y a selon moi deux omissions importantes dans cette proposition ; je veux parler de l'épeautre et du sarrasin. Le sarrasin qui est particulièrement la nourriture du pauvre en temps de cherté, ne doit pas être oublié. L'épeautre, dont l'usage est le même que celui du froment, ne doit pas en être séparé ; c'est la nourriture principale de la moitié de l'une de nos provinces. J'espère que l'honorable rapporteur de la section centrale fera disparaître cette omission, ou bien qu'au second vote M. le ministre rétablira les mots que j'ai indiques et qui sont, selon moi, nécessaires dans l'article.

M. Lesoinne. - Après le discours que l'honorable M. de Naeyer vient de prononcer, il me restera infiniment peu de chose à dire. L'honorable membre a prouvé que la mesure proposée par la section centrale et qui consiste à prohiber les céréales à la sortie serait plutôt de nature à entraver qu'à faciliter l'approvisionnement du pays.

La raison en est simple. Il y a un déficit : il existe même dans les années où la récolte est abondante. Ce déficit doit être comblé. Comment ? Par les grains que nous recevrons de l'étranger.

Or ces grains ne peuvent nous arriver qu'à la condition que les prix seront assez élevés sur nos marchés pour permettre à l'importateur de retirer un bénéfice de son opération.

Par conséquent, comme l'a très bien dit l'honorable M. de Naeyer» il faut qu'il ait la libre disposition de sa marchandise, car si, une fois introduite dans le pays, il ne peut plus l'en faire sortir, même quand la vente devrait. lui faire éprouver une perte, il ne la fera venir que si les prix sont assez élevés pour lui permettre un bénéfice certain.

Les grains ne vous arriveront donc qu'à la condition qu'ils soient sur vos marchés à un prix au moins aussi élevé que sur les autres marchés qui ont besoin de céréales pour compléter leurs approvisionnements.

L'an dernier, à la même époque qu'aujourd'hui, la situation était au moins aussi menaçante. Les prix étaient plus élevés encore qu'ils ne sont aujourd'hui.

On alléguait les difficultés que l'on éprouvait à s'approvisionner sur les marchés de la mer Noire et de la Baltique.

Le rapporteur de la section centrale, l'honorable M. Vermeire, après avoir parlé des prix élevés auxquels les grains étaient cotés sur les marchés étrangers d'où nous devions les retirer, ainsi que du haut prix des frets, disait :

« En présence de cette situation, je pense qu'il est bien prouvé que pour le moment, nous ne pouvons continuer à importer avantageusement. »

L'honorable M. Dumortier rappelait le prix des grains en 1846 ; ainsi disait-il, les prix étaient en novembre 1846 à fr. 25, en décembre à 27-50, en janvier 1847 à 28-00, en février à 32-50, en mars à 38-50, en avril à 39-00 et en mai à 45-00

Le 8 mai la mercuriale arrive à 50 fr. l'hectolitre.

Ceci se faisait sous le régime de la prohibition à la sortie.

L'honorable membre ajoutait :

« Le mois de mai, remarquez-le bien, est toujours, j'ai eu l'honneur de vous le dire, le mois de la plus grande cherté dans les années de disette ; quelquefois c'est avril et mai, d'autres fois c'est mai et juin ; mais le mois de mai est le point central de la plus grande élévation des prix.

« Le grain s'est donc vendu, le 8 mai 1847, à 50 fr. l'hectolitre. Or, quel était alors le prix de ce même grain, à l'époque comparative actuelle ?

« En novembre 1846, le prix du froment était de 25 fr. l'hectolitre ; et en novembre 1853 nous sommes maintenant à 35 ou 36 fr. Si donc le grain en 1846 arrive en mai à 50 fr. l'hectolitre, en partant du chiffre de 25 fr. en novembre, je vous laisse à tirer des conclusions sur ce qui peut arriver, si nous ne prenons pas de mesures efficaces, alors que nous partons à la même époque du prix de 35 à 36. fr. ? »

Eh bien, sous le régime de la liberté de sortie les prévisions de l'honorable membre ne se sont pas réalisées.

Il est possible, si la prohibition à la sortie avait été admise, que ses prévisions se seraient réalisées. Mais pendant tout le cours de l'année dernière, les prix ne se sont pas élevés à plus de 30 à 32 francs au maximum.

Comme l'a très bien dit l'honorable ministre des finances, nous recevons une grande partie de nos approvisionnements en céréales, par terre ou par rivières et canaux.

On a reçu par ces voies près de 39 millions de kilogrammes. Pour la province de Liège, par exemple, on a reçu de la Prusse et de la Hollande 21,810,000 kilog. de froment, ainsi qu'une quantité considérable de seigle. M. le ministre des finances a la liste des bureaux par lesquels ces froments sont entrés. Il pourra la donner exactement.

Nous recevons du froment de l'Allemagne ; nous lui envoyons du seigle.

On a dit que les représailles n'étaient pas à craindre. Cependant M. le ministre des finances a cité des exemples assez récents où des représailles ont eu lieu. Si l'Allemagne et la Hollande usaient de représailles à notre égard, je vous laisse à penser quelle serait la situation d'une partie notable la Belgique.

Je livre ces considérations à votre appréciation.

On compte sur la prohibition à la sortie pour faire baisser les prix. L'honorable M. de Naeyer vient de dire avec beauconp de raison : Les grains sont dans les granges des fermiers et ceux-ci, croyez-le bien, sont assez éclairés sur leurs propres intérêts pour ne pas livrer leur marchandise à des prix inférieurs à ceux auxquels les grains sont côtés sur les marchés voisins.

Quand des besoins se font sentir à la fois dans différents pays, les prix s'établissent d'une manière assez uniforme et l'on ne peut guère espérer d'avoir des prix inférieurs à ceux de ses voisins.

Il peut exister des différences ; nous en avons en Belgique d'un marché à l'autre, mais elles sont de peu d'importance ; le fermier ne vendra pas ses grains à un prix moindre que celui auquel se vendront ces grains qui viendront de l'étranger, et, comme je l'ai dit, ces derniers n'arriveront que lorsque les prix seront assez élevés sur nos marchés pour que l'importateur n'ail pas à s'inquiéler de l'issue de son opération.

Avec la prohibition à la sortie, les arrivages seront nécessairement paralysés. Vous ne pourrez plus probablement recevoir des grains directement des pays de provenance, comme vous les recevrez des pays voisins dans lesquels l'exportation restera libre et vers lesquels ils se dirigeront de préférence.

Or il est clair que si vous devez recevoir les grains directement des pays de provenance vous les payerez plus cher, et les grains qui existent dans le pays se vendront également à un prix plus élevé.

Je ne veux pas prolonger cette discussion.

La mesure qu'on vous demande ne produirait pas le résultat qu'on en attend.

(page 152) Nous en avons fait l'expérience en 1847 ; le froment s'est vendu alors 50 francs l'hectolitre. Et cependant alors nous jouissions d'une paix profonde et les ports de la mer Noire n'étaient pas fermés. L'année dernière, malgré les circonstances difficiles, le pays a été approvisionné, et les prix ne se sont pas élevés aussi haut qu'en 1847.

Ce qu'il faut pour assurer, en toute occasion, l'approvisionnement du pays dans les meilleures conditions possibles, c'est de laisser au commerce la plus grande latitude possible pour faire ses opérations. Le commerce des grains est une spécialité : pour faire ce commerce d'une manière avantageuse, il faut d'abord de grands capitaux, il faut ensuite une longue expérience. Il faut connaître les besoins du pays. Il faut savoir quels sont les marchés les plus favorables pour s'approvisionner. Or, toutes ces connaissances forment une spécialité à part ; il faut des maisons s'occupant particulièrement du commerce des grains ; or, ces maisons ne peuvent s'établir dans le pays que sous la condition d'avoir une législation stable. C'est pourquoi j'engage le gouvernement, comme je l'ai engagée l'année dernière à pareille époque, à établir une législation sur les céréales à laquelle on ne touche plus et qui permette aux négociants qui voudraient faire le commerce des grains aussi bien qu'aux agriculteurs de pouvoir compter sur la libre disposition de leurs produits sans courir le risque de se voir entraver dans leurs opérations ou d'être expropriés sans indemnité pour cause d'utilité publique.

- La clôture est demandée.

M. Malou (sur la clôture). - Je désire pouvoir répondre en quelques mots aux principaux arguments qui ont été présentés par les deux honorables preopinants.

- La clôture de la discussion sur l'article 2 et les amendements y relatifs est mise aux voix et prononcée.

Il est procédé au vote par division.

M. le président met d'abord aux voix la prohibition à la sortie des pommes de terre et de leurs fécules, proposée par le gouvernement et admise par la section centrale.

- Cette proposition est adoptée.

M. le président met ensuite aux voix la prohibition à la sortie du seigle et de la farine de seigle, proposée par le gouvernement et admise par la section centrale.

Des membres réclament l'appel nominal.

Il est procédé à cette opération.

95 membres y prennent part.

79 répondent oui.

12 répondent non.,

4 s'abstiennent.

En conséquence, la Chambre adopte la prohibition à la sortie du seigle et de la farine de seigle.

Ont répondu oui : MM. de Brouwer de Hogendorp, de Decker, de Haerne, de La Coste, Delehaye, Delfosse, de Liedekerke, Deliége, Dellafaille, de Man d'Attenrode, F. de Mérode, de Mérode-Westerloo, de Moor, de Muelenaere, de Perceval, de Portemont, de Renesse, de Royer, de Ruddere Te Lokeren, de Sécus, Desmaisières, de Steenhault, de Theux, de T'Serclaes, Devaux, de Wouters, Dubus, Dumon, Dumortier, Faignart, Goblet, Janssens, Jouret, Landeloos, Lange, Laubry, le Bailly de Tilleghem, Lebeau, Le Hon, Lejeune, Lelièvre, Maertens, Malou, Manilius, Matthieu, Osy, Rodenbach, Rousselle, Tack, Tesch, Thibaut, Thiéfry, Thienpont, T'Kint de Nayer, Tremouroux, Van Cromphaut, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom, Vander Donckt, Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Overloop, Van Remoortere, Van Renynghe, Verhaegen, Vermeire, Vervoort, Vilain XIIII, Visart, Wasseige, Allard, Ansiau, Anspach, Boulez, Calmeyn, Coppieters t' Wallant, de Baillet-Latour et de Breyne.

Ont répondu non : MM. de Pitteurs, Dequesne, Frère-Orban, Lesoinne, Mascart, Moreau, Pirmez, Prévinaire, Brixhe, Closset, David, de Bronckart.

Se sont abstenus : MM. de Naeyer, Veydt, Coomans et Dautrebande.

M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont invités à faire connaître les motifs de leur abstention.

M. de Naeyer, rapporteur. - Je me suis abstenu parce qu'il m'est resté des doutes sérieux sur la nécessité absolue de la mesure, qui pouvait seule la justifier.

M. Veydt. - Je ne me dissimule pas l'importance d'une initiative que le gouvernement a cru convenable de prendre, ni le poids de l'avis émis par la chambre de commerce d'Anvers ; cependant, messieurs, il m'est resté des doutes très sérieux sur la bonté de la mesure restrictive que la Chambre vient d'adopter et j'ai pris le parti de m'abstenir.

M. Coomans. - Conformément à la déclaration que j'ai eu l'honneur de faire dans cette enceinte le 25 novembre 1853, je n'admets la prohibition que lorsque les sorties dépassent le chiffre des entrées. Cette situation ne s'est pas encore présentée, mais comme elle me semble imminente je crois devoir ajourner ma décision.

M. Dautrebande. - Je me suis abstenu par les mêmes motifs que M. Coomans.

M. le président. - Je mets maintenant au voix la question de savoir si le froment et la farine de froment seront prohibés à la sortie.

- L'appel nominal étant demandé, il est procédé à cette opération. En voici le résultat :

96 membres ont répondu à l'appel nominal ;

95 membres ont pris part au vote ;

1 membre s'est abstenu ;

51 membres ont répondu oui ;

44 membres ont répondu non.

En conséquence la prohibition de la sortie du froment et de la farine de froment est adoptée.

M. le président. - M. Faignart, qui s'est abstenu, est invité à faire connaître les motifs de son abstention.

M. Faignart. - Messieurs, je me suis abstenu, parce que je n'ai pas voulu donner un vote approbalif à la loi de prohibition du froment à la sortie ; d'abord, je ne crois pas que cette mesure atteindra le but qu'on se propose, et en outre c'est consacrer, en pure perte, un principe déplorable pour le commerce et l'industrie agricole.

Ceci a été suffisamment prouvé dans la discussion.

D'autre part, messieurs, je n'ai pas voté contre, parce que l'opinion publique semble la réclamer.

Ont répondu oui : MM. de Decker, de Haerne, de La Coste, Delehaye, de Man d'Attenrode, F. de Mérode, de Muelenaere, de Perceval, de Portemont, de Royer, de Ruddere de Te Lokeren, de Sécus, Desmaisières, de Theux, de T'Serclaes, Devaux, de Wouters, Dumortier, Janssens, Jouret, Landeloos, Lange, Laubry, le Bailly de Tilleghem, Le Hon, Lelièvre, Maertens, Malou, Matthieu, Pierre, Rodenbach, Rousselle, Tack, Thienpont, T'Kint de Naeyer, Van Cromphaut, Van den Branden de Reeth, Vandenpeereboom, Vander Donckt, Van Grootven, Van Overloop, Van Remoortere, Van Renynghe, Verhaegen, Vermeire, Visart, Wasseige, Allard, Ansiau, Boulet et de Breyne.

Ont répondu non ; MM. de Brouwer de Hogendorp, de Liedekerke, Deliége, Dellafaille, de Mérode-Westerloo, de Moor, de Naeyer, de Pitteurs, Dequesne, de Renesse, de Steenhault, Dubus, Dumon, Frère-Orban, Goblet, Lebeau, Lejeune, Lesoinne, Manilius, Mascart, Moreau, Osy, Pirmez. Prévinaire, Tesch, Thibaut, Thiéfry, Tremouroux, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Vervoort, Veydt, Vilain XIIII, Anspach, Brixhe, Calmeyn, Closset, Coomans, Coppetiers 'T Wallant, Dautrebaune, David, de Baillet-Latour, de Bronckart et Delfosse.

M. le président. - Par suite du vote qui vient d'être émis, l'amendement de M. Vilain XIIII tombe.

Nous avons maintenant à nous occuper de la partie de l'amendement de M. Dumortier qui prohibe la sortie des céréales, autres que le froment et le seigle, et de leurs farines.

M. Dumortier. - Cela comprend l'épeautre qui a probablement été oubliée par la section centrale.

M. Visart (sur la position de la question). - Il est nécessaire que la Chambre sache ce qu'elle veut. Le mot « céréales » est élastique. Je ne sais si l'orge et l'avoine en font partie. (Oui ! oui !) Selon moi, non ! Il me semble que cette question doit être élucidée.

M. le président. - M. Dumortier peut expliquer ce qu'il entend par le mot céréales.

M. Dumortier. - Il me semble que la signification est bien simple. On entend par céréales ce qui sert à la nourriture de l'homme et des animaux domestiques. Parmi les céréales, je comprends le méteil qui est composé de seigle et de froment. Vous avez prohibé la sortie du froment et du seigle ; vous devez prohiber également la sortie des céréales autres que le froment et le seigle.

Vous avez donc d'abord le méteil, puis l'épeautre, le sarrasin, qui servent également à la nourriture du peuple ; l'orge, qui sert à la fabrication de la bière, l'avoine, qui sert au même usage et à la nourriture des auimaux domestiques. Je pense que toutes ces substances sont comprises dans le mot « céréales ». Je ferai remarquer que la loi sur les céréales a toujours été comprise en ce sens. Le sens du mot « céréales » est constaté par les usages parlementaires et légaux.

On me fait observer que le méteil est compris dans le vote qui vient d'être émis, puisque c'est du froment et du seigle. Les céréales'dont il est question dans mon amendement sont donc l'épeautre, l'orge, l'avoine et le sarrasiu.

M. Visart. - Je demande que l'amendement de M. Dumortier soit mis aux voix par division.

- L'amendemenl de M. Dumortier est mis aux voix par division ; il n'est pas adopté.

L'amendement de M. Boulez (prohibition de la sortie des féveroles, des pois et des haricots) est mis aux voix, il n'est pas adopté.

L'article 2 du projet de la section centrale est mis aux voix et adopté après deux épreuves.

Article 3

« Art. 3. Les dispositions qui précèdent sortiront leurs effets jusqu'au 31 juillet 1855. Toutefois, le gouvernement pourra les faire cesser en tout ou en partie avant cette époque ou les proroger pour un nouveau terme, si les circonstances le rendent utile ou nécessaire. »

(page 153) M. le président. - La section centrale propose l'amendement suivant. :

« Art. 3. Les dispositions qui précèdent sortiront leurs effets jusqu'au 31 décembre 1855. Toutefois, le gouvernement pourra, avant cette époque, faire cesser les effets de l'article 2. »

M. Moreau a proposé un amendement ainsi conçu :

« Les dispositions de l'article 2 sortiront leurs effets jusqu'au 31 décembre 1855 ; toutefois le gouvernement pourra les faire cesser avant cette époque. »

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Le gouvernement se rallie à la rédaction de la section centrale, bien qu'il doive en résulter une perte encore plus grande pour le trésor, si au second vote la libre entrée est maintenue pour les riz. Quant à l'amendement de M. Moreau, je n'ai pas besoin de dire que, dans la situation actuelle des finances du pays, il m'est impossible de m'y rallier. Cela me sera impossible aussi longtemps que l'honorable M. Moreau n'aura pas indiqué d'autres ressources permanentes pour remplacer celle qu'il propose de faire disparaître.

M. Coomans. - Messieurs, je n'ai qu'un mot à dire, c'est que les circonstances où nous nous trouvons sont on ne peut plus défavorables à la rédaction d'une bonne loi et d'une loi durable.

Bornons-nous à prendre les décisions que nous jugeons commandées par les circonstances, mais n'anticipons pas. La question reste entière, et, en ce qui me concerne, je fais toutes réserves pour l'avenir.

- L'amendement de M. Moreau est mis aux voix ; il n'est pas adopté.

L'article 3, tel qu'il est rédigé par la section centrale, est mis aux voix et adopté.

Articles 4 à 6

« Art. 4. Le bénéfice de la libre entrée décrétée par l'article premier sera applicable à tout navire belge ou étranger dont les papiers d'expédition constateront que le chargement a été complété et le départ effectué d'un port étranger avant la date du rétablissement des droits. »

- Adopté.


« Art. 5. L'arrêté royal du 25 juillet 1854, qui a maintenu provisoirement la prohibition des pommes de terre à la sortie, est approuvé. »

- Adopté.


« Art. 6. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa promulgation. »

La section centrale propose de dire :

« Art. 6. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa publication. »

Le vote définitif du projet est renvoyé à lundi.

- La séance est suspendue. Au bout de cinq minutes elle est reprise.

Projet d’adresse

Discussion des paragraphes

Paragraphe 3

(page 171) M. Vilain XIIII remplace M. Delfosse au fauteuil.

M. Frère-Orban. - Messieurs, je réclame quelques instants encore la bienveillante attention de la Chambre.

Me voici arrivé à l'examen des rapports qui existent entre la convention de Tournai, jadis tant attaquée et condamnée, et la convention d'Anvers, aujourd'hui approuvée.

Quel était l'objet de la convention de Tournai ? Elle n'en avait pas l’autre que d'admettre le clergé à donner son avis sur le choix des professeurs. Cet avis devait être donné au point de vue moral et religieux. La convention l'énonçait expressément.

Le traité portait que le conseil communal soumettrait à l'épiscopat la liste des candidats pour les places de professeurs et que si des motifs graves, moraux ou religieux, s'opposaient, d'après l'avis de l'évêché, à la nomination, le conseil communal y ferait droit.

La convention d'Anvers a, au fond, le même but ; seulement l'obligation de faire droit aux observations de l'évêque y est sous-entendue.

Au moyen de l'une ou de l'autre, l'avis préalable existe ; le mode est différent : dans un cas, l'avis était donné directement ; dans l'autre, il est donné indirectement par la présence du délégué de l'épiscopat dans le bureau administratif et dans le conseil de perfectionnement. Mais, au fond, le but est identique.

Ce n'est pas, d'ailleurs, par la question de forme que nous devons juger et apprécier de semblables engagements, c'est du fond que nous devons nous préoccuper. Or, on ne réussira pas à signaler une différence appréciable entre l'une et l'autre convention, quant à son but et quant à ses résultats.

Comment a-t-on attaqué la convention de Tournai ? Qu'a-t-on dit pour la faire échouer ? Qu'a-t-on dit pour la défendre ? Absolument, messieurs, ce que l’on dit pour attaquer la convention d'Anvers, ce qu'on dit pour la défendre. Les raisons étaient les mêmes à l'époque de ces solennelles discussions sur la convention de Tournai que celles que l'on fait valoir aujourd'hui.

L'honorable M. de Theux parlait de la liberté laissée aux communes par cette convention, dans les mêmes termes, il employait pour ainsi dire les mêmes expressions que l'honorable ministre des affaires étrangères lorsqu'il nous parle de la liberté qui reste à la commune avec la convention d'Anvers. Voici ce que disait l'honorable M. de Theux en défendant la convention de Tournai :

« Aux termes de la loi communale, a-t-on dit, le conseil communal a seul le droit de nomination et de révocation des employés communaux, et par suite des professeurs des collèges communaux. J'admets, messieurs, ce principe, il est clairement écrit dans la loi.

« Mais le conseil communal de Tournai a-t-il abdiqué le droit de nomination ? A-t-il abdiqué le droit de révocation ? A-t-il transféré l'exercice de cette prérogative à une autre autorité ? Non, messieurs.

« Il est vrai qu'aux termes de la convention conclue entre l'évêque de Tournai et le conseil communal, celui-ci s'est engage vis-à-vis de l'évêque à lui communiquer au préalable la liste des candidats pour les places de professeurs qui deviendraient vacantes à l’athénée de cette ville, que le conseil communal s'est engagé à ne pas nommer, comme professeur, un individu que l'évêque aurait cru indigne de cette haute mission, à cause de son opposition à la religion ou de son immoralité. Mais, messieurs, on insiste et on dit : La régence n'est donc plus libre dans ses choix ? Il suffît que l'évêque de Tournai écarte un candidat de la liste pour que le conseil communal ne puisse le nommer. »

Et de même nous disons : Le conseil communal n'est plus libre ; il est obligé d'accepter le candidat de l'évêque pour le bureau administratif ; quoique la loi communale lui donne, à lui exclusivement, le droit de choisir les candidats ; il prend par la convention, l'engagement d'accepter le candidat désigné par l'évêque. C'est, comme on le voit, ce que l'on opposait pour maintenir le choix libre des professeurs lorsqu'il s'agissait de la convention de Tournai.

L'honorable M. de Theux continuait :

« Messieurs, pour donner quelque valeur à cette argumentation, pour justifier l'accusation contre l'autorité communale de Tournai et l'intervention du gouvernement, il aurait fallu ajouter : Si, nonobstant les réclamations de l'évêque, le conseil communal nomme l'individu que ce prélat croit indigne des fonctions de professeur, l'évêque aura le droit de le démissionner ; alors on serait dans le vrai. Mais il n'en est rien. Si, après que l'évêque a communiqué ses observations au conseil communal, celui-ci trouve que ces observations ne sont pas fondées, il procède à la nomination ; ou s'il s'aperçoit que les demandes de démission ne sont pas fondées, il refuse les démissions, et le professeur nommé ou maintenu dans ses fonctions reste professeur, sans que l'évêque de Tournai ait le droit de s'immiscer.

« Mais quels sont les droits de l'évêque dans ce cas ? Ces droits sont uniquement de retirer immédiatement le prêtre qu'il a attaché à l'athénée de Tournai. Je dirai plus : Si l'évêque ne s'était pas réservé un pareil droit, il aurait forfait au devoir épiscopal. En effet, pourquoi la régence demande-t-elle un prêtre pour donner l'enseignement de la religion ? C'est pour offrir des garanties aux pères de famille. Mais si par l'adjonction d'autres professeurs, la religion des élèves était compromise, si par là conduite des professeurs les élèves étaient exposés au scandale de limmoralité, je dis que l'évêque manquerait à ses devoirs s'il laissait un prêtre attaché à un pareil établissement.

« Ainsi la convention faite avec l'évêque de Tournai n'a eu qu'un seul but ; l'évêque se réserve la faculté de retirer le professeur de religion ou le principal de l'athénée, si par la nomination de professeurs hostiles à la religion l'établissement n'offre plus de garanties morales et religieuses suffisantes ; et cè droit, personne ne peut le contester à l’évêque.

« Non seulement la régence de Tournai s'est réservé le droit d'annuler la convention en le dénonçant quelques mois d'avance ; mais elle ne peut l'annuler immédiatement, chaque jour, en ne faisant pas droit à une demande que l'évêque considérerait comme juste, en nommant un professeur qui ne mériterait pas d'être revêtu de ces hautes fonctions, ou en maintenant un professeur qui viendrait à manquer aux devoirs essentiels de la religion et de la morale au détriment des élèves. »

C'est encore par les mêmes raisons que l'on prétend prouver aujourd'hui que la liberté de tous est sauvegardée.

Si la commune ou l'Etat se trouve par la suite en dissentiment avec le clergé, ou pour les livres, ou pour les professeurs, ou pour le choix du candidat pour le bureau administratif, chacun pourra reprendre sa position primitive. C'était absolument ce que soutenait l'honorable M. de Theux, en défendant la convention de Tournai.

A cela, messieurs, que répondait-on ? L'honorable M. Devaux va nous l'apprendre :

« Ce que l'on blâme, je l'ai déjà dit, n'est pas que les avis du clergé trouvent accès auprès d'une administration communale, mais c'est que le clergé se rende maître d'un établissement communal dont, aux termes de la loi, les professeurs doivent être nommés par un pouvoir que la loi désigne. Voilà ce que l'honorable M. de Theux a complètement méconnu, et il lui est impossible, ainsi qu'à son honorable ami, de soutenir que la convention ne rend pas le clergé complètement maître de la nomination des professeurs.

« L'autorité laïque s'est dessaisie de cette nomination en déclarant qu'elle serait « tenueé de se conformer aux observations de l'évêque ; dès lors, quoiqu'il n'y ait pas de sanction autre que la rupture de la convention, il est évident que l'autorité communale a aliéné, pour le temps que durera la convention, un pouvoir qu'elle tenait de la loi. »

Et je vous dis la même chose. Je vous dis que par l'engagement que l'on contracte de prendre le candidat de l'évêché pour le bureau administratif, on aliène le droit de le choisir libremént aussi longtemps que durera la convention.

« Tant que la convention existera, continuait l'honorable M. Devaux, elle violera la loi, elle aura pour conséquence qu'une autorité laïque a abdiqué aux mains d'une autorité spirituelle le pouvoir qu'elle tenait de la loi, et qu'elle ne pouvait exercer que par elle-même.

« Vous dites que l'annulation de la convention serait une violation de la liberté communale. Oui, dans le même sens que ce serait violer la liberté individuelle, que de faire déclarer nul par les tribunaux le contrat par lequel un homme stipulerait qu'il se rend l'esclave d'un autre. Qu'on ne prenne donc pas ici le change ; il s'agit, au contraire, d'empêcher que la liberté communale ne soit abdiquée. Les autorités laïques n'ont pas le droit d'aliéner un pouvoir qu'elles tiennent de la loi. Voilà l'abus que nous signalons. »

N'est-ce pas encore le même langage que celui que je tiens aujourd'hui ? Au point de vue légal, puis-je énoncer de meilleures et de plus puissantes raisons contre la convention d'Anvers ?

L'honorable M. de Mérode, à son tour, qualifiait nettement le but de la convention de Tournai, qu'il défendait comme il défend la convention d'Anvers.

« Je ne sais, disait-il, si l'on discutera ou non, cette année, une loi sur l'enseignement secondaire.

« Ce qui est certain, ce que les faits ont révélé et révéleront longtemps, c'est que le plus grand nombre des parents, en Belgique, n'accorderont point confiance aux établissements d'instruction et d'éducation où une autorité morale, dont les principes sont bien connus, n'aura pas une large part d'influence sur la nomination des professeurs et la direction des collèges. »

Cette large part d'influence sur la nomination des professeurs et sur la direction des collèges, c'est ce que donne la convention d'Anvers.

Au point de vue légal, au point de vue des principes, il n'y a pas de différence à établir entre l'un et l'autre engagement. La convention de Tournai a été attaquée comme violant la loi communale, en ce que cette loi donne à l'administration communale le pouvoir exclusif de choisir les professeurs et que l'exercice de ce droit ne peut être subordonné à l'avis préalable du clergé ; la convention d'Anvers est attaquée en ce que la loi sur l'enseignement moyen donne exclusivement au pouvoir communal le droit de présenter des candidats pour faire partie du bureau d'administration, et que la convention délègue évidemment ce droit à l'évêché. La commune ne subordonne pas son droit à un simple avis ; on va plus loin : il faut accepter le candidat désigné par l'épiscopat ; c'est la condition sine qua non du concours. N'est-ce pas aliéner une des attributions données par la loi au conseil communal ?

Si la commune peut faire ce pacte avec le clergé pour un candidat, elle peut le faire avec tout autre particulier pour les autres candidats ; elle peut conférer à l'évêché le droit de présenter tous les candidats ; si (page 172) elle le peut pour un seul, en effet, elle le peut pour tous. Elle pourra stipuler que les autres candidats ne déplairont pas à l’évêché. (Interruption).

Vous vous arrêterez devant l'énormité ; soit ; je parle principes ; en principe, la position sera absolument la même. Si ce pouvoir existe pour un candidat, il existe pour tous. Si ce pouvoir existe quant au choix d'un candidat, il implique pour les communes le droit de déléguer soit à l'évêché, soit à tout autre corps constitué, la faculté de faire toutes les nominations dévolues au conseil et même le pouvoir d'administrer la commune.

Si ces conventions ont été déclarées nulles à peu près par tous en 1846, comment peut-on soutenir aujourd'hui que la convention d'Anvers est licite et valable ?

L'honorable M. Delfosse, qui combattait jadis avec vigueur la convention de Tournai, n'est frappé ni de l'identité que nous signalons ni de nos objections. S il y avait à proprement parler, dit-il, un contrat, je serais assez disposé à accueillir votre opinion. Je vous concéderai seulement une chose, c'est qu'il y a, par le fait de cet arrangement d'Anvers, une pression exercée sur l'autorité communale. (Interruption.)

Je vais reproduire l'argumentation de l'honorable membre.

Je suppose, disait l'honorable M. Delfosse, qu'un individu ayant, une belle bibliothèque, dise au conseil communal : « Je ferai don de ma bibliothèque à la ville ou à l'athénée si vous consentez à me comprendre au nombre des membres du bureau d'administration. »

Eh bien, ajoutait l'honorable M. Delfosse, il est évident que cette proposition exercera une pression sur l'autorité communale, et on pourra le nommer en consideration de l'offre qu'il aura faite. Mais quelle critique fondée pourrait-on faire dans ce cas ?

Et vous ne trouvez rien à reprendre dans un pareil marché ! Il vous paraît licite ! Mais c'est le trafic des droits et des libertés de la commune ! Si on peut accepter ce marché exprès ou tacite, et écrit ou non écrit, de nommer, pour une bibliothèque, à une place vacante, on peut l'accepter pour une somme d'argent... (interruption), c'est absolument la même chose. Le conseil communal serait déterminé tout aussi bien dans un cas que dans l'autre par l'offre qui lui serait faite. Ce traité serait radicalement nul.

M. Delfosse. - Il n'y a pas de traité.

M. Frère-Orban. - Qu'il y ait un contrat écrit ou qu'il n'y en ait pas, il importe peu ; l'engagement existe, il suffit qu'il existe.

Au surplus, comparaison n'est pas raison ; et, en outre, la comparaison faite par l'honorable M. Delfosse pèche par sa base ; il doit la reprendre et la mettre en rapport avec l'objet qu'il veut comparer.

J'en rétablis les termes ; : « Je donnerai ma bibliothèque à la ville, si je suis nommé membre du bureau d'administration ; si vous ne me continuez pas dans mes fonctions ou si des dissentiments surviennent entre nous, je reprendrai ma bibliothèque. » Ainsi parle le clergé dans le pacte qu'il fait avec la commune : « Aussi longtemps que vous ferez figurer l'un de nos délégués au nombre des membres du bureau d'administration, vous aurez mon concours ; si vous me retirez ce droit que vous me concédez par le contrat, mon concours vous sera retiré. » Voilà le marché, voilà la stipulation qui a été faite avec l'épiscopat ; voilà un marché radicalement nul, parce qu'il fait trafic des droits et des attributions de la commune.

Arrivé à ce point, on nous arrête et l'on nous oppose l'article 8 de la loi. Si les raisons que vous avez fait valoir contre la convention, nous dit-on, ont quelque valeur, votre conclusion rigoureuse, c'est qu'il ne faut pas qu'il y ait un enseignement religieux dans l'école, c'est qu'on ne peut exécuter l'article 8 de la loi ! Cette objection est sur les lèvres de tout le monde, et beaucoup d'honorables membres sont venus me la faire, après avoir entendu les premiers développements que j'ai donnés à mon opinion. Eh bien, cette objection n'est pas sérieuse. Le clergé ne peut-il donc accepter l'invitation qui lui est faite en vertu de l'article 8, sans y mettre les conditions exorbitantes que je combats ?

Je ne suis pas de l'avis de l'honorable M. Ch. de Brouckere, qu'il faudrait exclure l'enseignement religieux des écoles moyennes, laissant aux divers cultes le soin de s'en occuper ; non que je ne me rapproche complètement de son opinion, en ce sens que bien évidemment il n'y aurait aucun péril pour la morale et la religion à ce qu'on procédât de la sorte.

Le clergé, comme l'a fait remarquer un honorable membre dans une autre discussion, ne donne point d'enseignement religieux spécial aux cinq ou six cent mille adultes qui ne hantent pas les écoles moyennes. Il y a peu d'inconvénient à ce que les huit ou dix mille élèves des écoles moyennes soient dans les mêmes conditions que le reste de la jeunesse belge. A Bruxelles, depuis trente ans, depuis quinze ou vingt ans dans la plupart de nos grandes villes, le clergé s'est retiré des collèges, et l'on s'en est peu préoccupé.

Mais je tiens compte des faits ; je sais que dans un certain nombre de localités du pays, on attache beaucoup plus d'importance à la présence du clergé dans l'école ; eh bien, je ne veux pas, par des dispositions législatives, rendre impossible la réalisation de ce vœu que je respecte.

Mais d'un autre côté je n'admets pas qu'on tire des conséquences exagérées et fausses de la disposition de la loi qui appelle les ministres du culte à donner l'enseignement dans l'école. S'ils veulent y pénétrer, les portes leur seront ouvertes, un bon accueil leur sera fait ; ils seront défendus, encouragés ; mais s'il faut passer par des conditions inacceptables, avilissantes pour le pouvoir civil, je fermerai la porte, je ne les accueillerai pas.

Mais, nous dit l'honorable M. Lebeau, vous connaissez les protestations du clergé contre ce que l'on appelle les écoles mixtes. Ces écoles, en Irlande, ont été condamnées par le chef de l'Eglise. Plutôt que de les approuver, il a mieux aimé perdre le subside que le trésor donnait au séminaire de Maynooth. Il y a ici plus d'une erreur. L'Eglise n'a pas réprouvé les écoles mixtes en général. En France, les écoles sont mixtes, et le clergé y intervient. Les écoles normales même sont mixtes, c'est-à-dire non seulement qu'on y reçoit des élèves de différentes communions, mais qu'on y donne l'enseignement religieux aux catholiques et l'enseignement religieux aux dissidents ; le clergé intervient. En Suisse, il existe des écoles mixtes. Ce qu'on nomme, dans ce pays, des séminaires pour la formation des professeurs, sont composés à la fois de catholiques et de protestants ; et tour à tour le ministre du culte catholique et le ministre du culte protestant y donnent leurs leçons de religion. Il en est de même dans d'autres pays.

Pourquoi veut-on contraindre ici le pouvoir-civil à livrer l'école à un seul culte ? En France, la loi même sur l'enseignemenf primaire déclare que, pour l'instruction religieuse, le vœu des pères de famille sera consulté et suivi. Le clergé intervient dans l'enseignement primaire. Pourquoi interdit-on ici à l'autorité civile de consacrer le même principe dans un règlement ?

En Irlande, c'est une question différente qui a été décidée, et, encore, ne l'a-t-elle été que bien tardivement.

Et d'abord, il n'y a pas à invoquer ce qui s'est fait pour le séminaire, de Maynooth ; il n'y a là rien de commun avec les écoles mixtes, Sir R. Peel a arraché au bigotisme anglican une dotation pour le séminaire exclusivement catholique de Maynooth, et ce subside continue à être payé. Quant aux écoles d'Irlande, voici ce qui s'est passé ; après l'émancipation des catholiques, le gouvernement essaya d'établir un système d'éducation nationale en Irlande ; il fit appel aux hommes modérés et tolérants des diverses confessions ; il s'adressa à l'archevêque catholique et à l'archevêque protestant de Dublin et les convia à s'unir dans un but favorable à l'éducation du peuple.

Ces deux hauts dignitaires de deux Eglises profondément divisées, se mirent d'accord, et en 1832, ils commencèrent l'œuvre de l'enseignement public en Irlande ; de 1832 à 1850 l'entreprise se développa sous l'influence du même zèle de la part des deux représentants des Eglises en présence.

La première année, on compta 700 écoles avec 100,000 élèves ; en, 1850,.il y avait 4,000 écoles et 444,000 élèves ; mais il y avait en Irlande, comme ici, des hommes intolérants, non seulement dogmatiquement, ce qui est dans la nature dcs choses, mais pour des actes qui ne pouvaient affecter le dogme, comme l'existence d'écoles ouvertes à différents cultes. On les rencontrait aussi bien chez les anglicans que chez les catholiques. Les uns et les autres signalèrent ces écoles comme des foyers d'indifférence et d'impiété. Au nombre de ceux qui les attaquaient avec le plus d'ardeur était l'archevêque de Tuam, qui les mit à l'index dans son diocèse du Connaught. Il fit d'instantes démarches pour obtenir de la cour de Rome la condamnation d'un système d'écoles qui prospérait en Irlande depuis 1832.

Le motif le plus sérieux des critiques dirigées contre ces écoles, ce n'était ni la réunion d'élèves de différents cultes, ni divers enseignements religieux dans le même local, c'était l'absence de tout enseignement religieux dogmatique dans l'école. Les deux archevêques avaient préparé de commun accord des livres de lecture et de morale qui n'offensaient aucune croyance. Voilà ce l'on a nommé les écoles mixtes d'Irlande, et certes elles n'ont rien de commun avec les nôtres.

Grégoire XVI, théologien profond, ne voulut pas cependant condamner ces écoles. C'est plus tard, très récemment, depuis qu'une grande influence domine au Vatican que le système des écoles mixtes, tel qu'il a été organisé en Irlande, a été jugé à Rome.

Est-ce que l'on pourrait puiser dans ces faits un argument propre à démontrer qu'il est juste et rationnel de contraindre l'autorité civile en Belgique à expulser de l'école l'enseignement religieux des dissidents ?

L'exécution de l'article 8 est simple et facile sans que l'on subisse les exigences de l'épiscopat.

Le clergé n'est-il pas intervenu autrefois, n'intervient-il pas encore dans nos écoles sans conditions de ce genre ?

A Anvers le concours du clergé a existé jusqu'au moment de la publication de la loi de 1850, sans aucune des conditions dont nous nous occupons. Le conseil n'a pas eu à prendre l'avis de l'épiscopat pour la nomination des professeurs et le choix des livres ; c'était une question de confiance. Le concours pouvait être ainsi maintenu, et c’est, en effet, ce qui avait été arrêté entre M. l'archevêque et le conseil communal, au moment de l'intervention malhabile du gouvernement dans cette affaire.

Aujourd'hui même ce concours existe ainsi ailleurs, il pourrait exister partout : il existe à l'école militaire, il existe à l'école vétérinaire, il existe dans les écoles régimentaires.

M. Malou. - Il n'existe pas pour l'école vétérinaire.

M. Frère-Orban. - En effet, depuis la discussion de la loi de 1850, on a fait cesser à l'école vétérinaire l'état de choses qui subsistait depuis un très grand nombre d'années, depuis création de (page 173) l'école. Il est donc démontré et par ce qui se pratiquait avant que les prétentions du clergé eussent vu le jour, et par ce qui s'est pratiqué même depuis cette époque, par ce qui se fait même encore aujourd'hui, qu'il était possible d'exécuter l'article 8 sans souscrire la capitulation d’Anvers.

Le clergé entre en maître dans la place ; le pouvoir civil lui rend les armes et se soumet aux conditions impérieuses qui lui furent posées et auxquelles il a résisté jusqu'à ce jour.

Cette situation sera funeste pour tout le monde ; elle le sera pour le gouvernement que l'on tiendra en suspicion pour tous les actes relatifs à l'enseignement.

Si la convention se généralise, il lui sera difficile de se mouvoir et d'agir sans être accusé de céder à la pression du clergé ; elle sera funeste au clergé lui-même, à qui l'on imputera tous les actes fâcheux, même ceux qu'il n'aura point provoqués ; il assumera de la sorte, devant l'opinion publique, une responsabilité bien lourde à porter.

Cette situation sera funeste aussi aux établissements de l'Etat ; non seulement le personnel sera placé dans une position difficile ; mais aussi longtemps que le jury d'examen pour le grade d'élève universitaire existera, la liberté des professeurs de l'Etat siégeant dans ce jury ne sera complète que pour les hommes rares, d'un caractère ferme, qui ne sont ni intimidés par la crainte de déplaire, ni ébranlés par l'espoir des faveurs.

Ils seront là en présence des représentants d'un corps qui ne consentira pas aisément à laisser constater l'infériorité de son enseignement, et nous verrons renaître ces manœuvres qui dans un autre jury ont tant nui aux institutions de l'Etat.

Si l'on croit par là faire quelque chose de favorable aux bonnes études et à la paix publique, on se trompe, et la résistance que rencontre la convention d'Anvers atteste assez quelles sont à cet égard les justes défiances du pays.

(page 153) >M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Je demande la parole.

M. de Theux. - Comme mon nom a été souvent cité, si M. le ministre veut bien le permettre, je serai bien aise de dire quelques mots. (Parlez ! parlez !)

Messieurs, l'amendement présenté par l'honorable M. Frère ne peut pas être isolé de ses commentaires. Evidemment, si cet amendement était présenté par un membre qui appuie la convention d'Anvers et approuve la conduite du gouvernement, il serait voté sans difficulté, et je serais le premier à l'adopter, car il ne fait qu'exprimer la pensée de la commission d'adresse en d'autres termes.

Mais accompagné de ses commentaires, ce que l'honorable M. Frère vous propose c'est de déclarer vous-mêmes que, dans la séance du 14 février, vous avez approuvé un arrangement qui porte atteinte à la Constitution, aux libertés communales. Vous avez approuvé la conduite du gouvernement qui a sanctionné la convention d'Anvers, et qui a annoncé qu'il chercherait à l'étendre à tous les établissements de l'Etat. Aussi votre dignité reculera devant une semblable protestation. Ce n'est pas à neuf mois de distance que le parlement belge donnera l'exemple d'une telle versatilité.

L'honorable député articule divers griefs contre la convention d'Anvers : le promier, c'est qu'il en résulte que le gouvernement, que la régence a agi comme si la religion catholique était la religion de l'Etat, alors que la Constitution proclame la liberté des cultes, et n'admet la prédominance d'aucun culte sur l'autre.

Cet argument serait vrai si, dans tous les établissements quelconques, alors même que la majorité des élèves appartiendrait à un culte dissident, la convention d'Anvers devait être la règle. Mais il n'en est pas ainsi.

Si un établissement quelconque éltit fréquenté par des élèves dont la majorité appartiendrait à un autre culte, ce ne serait pas la convention d'Anvers qui serait faite ; Ce serait une convention faite avec les ministres du culte de la majorité des élèves.

La convention d'ailleurs n'implique aucune prééminence d'un culte sur un autre ; car ce qu'on a offert aux élèves du culte catholique on l'offre également aux élèves du culte protestant, mais dans un autre local ; et pourquoi ? Parce qu'il y avait un obstacle insurmontable, de la part du clergé, à ce qu'il donnât son concours à un établissement mixte.

L'honorable M. Frère a rappelé ce qui s'est passé en Irlande. Je m'appuie de cet exemple. Ce fait était connu lors de la discussion de la loi de 1850. D'autres faits analogues étaient connus à la même époque ; on savait que jamais le clergé n'accorderait son concours à des établissements où il y aurait défaut d'homogénéité sous le rapport religieux. Ce fait était connu de la Chambre ; cela n'a pas empêché la Chambre de voter l'article 8 de la loi de 1850. La Chambre a donc voulu que cette loi fût exécutée en présence de faits connus, Or, elle ne pouvait recevoir d'exécution que dans le sens de la convention d'Anvers, ou de toute autre convention de même nature ; car je ne prétends pas que cette convention soit la seule possible.

Tout autre arrangement qui tendrait à donner au clergé ses apaisements aurait la même valeur à ses yeux que la convention d'Anvers. La Chambre n'a pas voté une loi morte, mais une loi pratique, devant recevoir son exécution. Qu'elle fût exécutée dans le sens du concours du clergé catholique à l'enseignement dans les écoles mixtes, cela n'a été demandé par personne. Le clergé belge irait se mettre en rébellion avec la décision du souverain pontife relative aux collèges mixtes d'Irlande ! Vous ne l'avez pas demandé ; il perdrait ce caractère respectable qu'il a à cause de son union avec la chaire de Rome.

A entendre la convention comme l'entend l'honorable M. Frère, vouloir le concours du clergé catholique, contrairement à des maximes qu'il proclame ne pas vouloir violer, c'est porter atteinte à la liberté du culte catholique, à la liberté du culte de la presque totalité de la nation.

Je vais plus loin : c'est porter la même atteinte à la liberté des cultes dissidents ; car assurément l'honorable M. Frère lui-même ne voudrait pas constituer un enseignement religieux pour quelques élèves dissidents qui fréquenteraient un athénée, lorsqu'il refuse la même garantie à la majorité des élèves.

Ce serait se mettre en opposition avec la conscience publique, avec tous les pères de famille. Une telle position ne serait acceptée par aucun ministre, pas même par l'honorable M. Frère ; je n'hésite pas à le dire.

Le deuxième grief de l'honorable membre c'est que, par l'arrangement qui a été fait, on introduit le clergé dans le bureau administratif et dans le conseil supérieur, à titre d'autorité, tout aussi bien que si sa place y avait été marquée par la loi. Ici encore l'honorable membre a perdu le souvenir de la discussion de la loi de 1850. Je vais citer une autorité irrécusable, c'est celle de M. le ministre de l'intérieur, qui, en 1850, avait présenté et défendu la loi sur l'enseignement moyen.

M. Rogier disait, dans la séance du 2 mai : « Le gouvernement s'entendra avec le clergé, sur les conditions auxquelles il pourra donner honorablement et efficacement son concours. »

Ainsi, il devait y avoir une entente avec le clergé ; cela supposait une négociation. Il devait y avoir des conditions. C'était même annoncé dans le discours du ministre de l'intérieur.

Qu'y a-t-il dans la convention d'Anvers ? Négociation avec le clergé, arrangement qui contient certaines conditions de concours. Or, l'honorable M. Rogier avait prévu que ce serait par un arrangement que le concours du clergé serait donné aux établissements.

Comment donc l'honorable M. Frère peut-il soutenir, contrairement à l'opinion de son collègue de 1850, que par cela seul qu'il y a eu arrangement, il y a eu violation de la loi ?

M. Frère-Orban. - Je ne le soutiens pas.

M. de Theux. - Il résulte des paroles de M. le ministre de l'intérieur que l'on voulait exécuter la loi, mais la loi tout entière. Dès qu'il y a arrangement, il y a, dit-on, titre d'autorité. Eh bien, je dis que la loi suppose un arrangement, et que si un arrangement est intervenu, le parlement savait parfaitement bien d'avance qu'il en serait ainsi.

Le troisième grief, c'est qu'on n'a pas suivi, pour l'introduction du clergé dans le conseil supérieur, les indications de l'honorable M. Rogier.

Et l'on dit que le mode qui a été suivi a été condamné en 1850. Messieurs, c'est là une erreur : en 1850 qu'est-ce que la Chambre a repoussé ? Une disposition formelle de la loi qui donnerait une place au clergé dans le conseil supérieur.

On a présenté deux modes de donner satisfaction au clergé quant au conseil supérieur ; c'était, comme le disait l'honorable M.Osy, d'y introduire un ou deux membres soit par la loi soit à la suite d'une concession du gouvernement ; ou bien de créer un conseil de délégués des évêques siégeant avec les membres laïques du conseil supérieur et exposant au sein de ce conseil les besoins de la religion et de la morale, faisant parvenir leurs vœux à cet égard à leurs collègues laïques et au ministre de l'intérieur qui présidait.

En 1850 je disais que le deuxième mode aurait été préféré. En effet, c'est la marche suivie pour l'enseignement primaire, et je suis persuadé que le clergé aurait préféré le mode suivi pour l'enseignement primaire à la présence d'un de ses membres dans le conseil supérieur. Voici un passage du discours que j'ai prononcé à cette époque :

« Le projet de 1846 admettait dans le conseil de perfectionnement un inspecteur provincial ecclésiastique de l'enseignement primaire. Le projet de 1850 n'accorde point de place au clergé dans le conseil de perfectionnement.

« Ici l'honorable ministre de l'intérieur nous a fait une objection ; il a dit : Mais la voix isolée d'un ministre du culte dans le conseil de perfectionnement peut être complètement méconnue. Cette objection, messieurs, serait sérieuse, si la décision appartenait au conseil (page 154) supérieur, mais il n'en était pas ainsi d'après le projet de 1846, comme il n'en est pas ainsi d'après le projet de 1850 ; le conseil supérieur n'est qu'un corps consultatif, et alors que la voix isolée d'un ministre du culte n'aurait pu se faire accepter par les autres membres du conseil, le ministre, gardien des grands intérêts de l'Etat, aurait su faire à chacun sa part ; s'il trouvait que la raison était du côté de la voix isolée, il aurait fait justice à ses réclamations, comme aussi il n'en aurait pas tenu compte si la raison eût été du côté de la majorité. Voilà le côté pratique, et dans ce concours d'un inspecteur ecclésiastique et des autres membres du conseil, il y aurait eu bien des avantages.

« Dans ce contact du prêtre et des laïques, il s'opère naturellement, par la discussion et les bons procédés, un rapprochement de part et d'autre. On se comprend beaucoup mieux que si l'on reste isolé, que si, par exemple, les questions, surtout les questions de faits, concernant les garanties religieuses, devaient être traitées par écrit. Dans les écrits, de part et d'autre, l'autorité civile et l'autorité religieuse sont plus réservées, le rapprochement est beaucoup plus difficile.

« Du reste, M. le ministre de l'intérieur, qui a fait l'éloge de la commission centrale de l'instruction primaire, m'a paru avoir l'intention d’organiser administrativement quelque chose d'analogue à cette institution ; certainement si cela pouvait être en fait, je n'aurais aucune objection à faire, le gouvernement aurait rempli le but que nous nous proposons, loyalement, convenablement.

« Mais du moment que l'intention du ministre est d'assurer au clergé des moyens de faire parvenir au gouvernement ses observations en ce qui concerne les intérêts religieux et moraux de l'enseignement, je l'en conjure, qu'il médite les divers moyens qui ont été indiqués et qu'il propose franchement d'insérer dans la loi celui auquel il croira devoir s'arrêter. »

C'était dans l'intérêt du clergé que l'honorable M. Rogier faisait des objections à l'introduction d'un ecclésiastique dans le conseil supérieur.

Eh bien, messieurs, ce que je disais alors est la justification complète de ce qui s'est passé aujourd'hui.

Dans cette Chambre on n'a jamais fait de difficulté que sur un mode d'intervention du clergé, c'est-à-dire sur cette intervention qui résulte d'un texte formel de la loi, qui détermine de quelle manière le clergé interviendra. Mais quant à intervenir par voie administrative, c'est-à-dire par suite d'un arrangement librement consenti par l'administration communale et par l'administration supérieure, cela n'a jamais rencontré d'objection. C'est la première fois que cette opposition se révèle, et je le demande, messieurs, quel autre moyen y aurait-il ? Vous ne voulez pas d'une position réglée par la loi ; vous ne voulez pas d'un arrangement consenti de part et d'autre par voie administrative, vous ne voulez donc rien !

Mais, dit l'honorable M. Frère, il y aurait un fait d'intervention. (Interruption.) Comment ! l'évêque donne un professeur de religion à un établissement sans aucune espèce de garantie, sans aucune connaissance...

M. Frère-Orban. - Je demande la permission de donner un mot d'explication.

L'honorable M. de Theux m'a mal compris. J'ai raisonné dans l'hypothèse d'un arrangement. J'admets que l'on peut faire des arrangements parfaitement légaux, parfaitement constitutionnels. Ainsi, il a un arrangement fait avec l'épiscopat pour l'enseignement religieux à l'école militaire.

M. de Theux. - Soit, l'arrangement pour l'école militaire n'est pas le même que celui qui concerne l'athénée d'Anvers. La raison de cette différence est sensible pour chacun : à l'école militaire l'archevêque n'a affaire qu'à M. le ministre de la guerre, c'est une seule volonté ; mais dans un athénée, il y a des volontés diverses ; il y a le bureau administratif, le conseil communal, le conseil de perfectionnement, le département de l'intérieur.

Et on voudra que le clergé aille sans aucune espèce de précaution compromettre sa dignité, son autorité dans un établissement où il ne saurait pas tenir, d'où il devrait peut-être sortir le lendemain ?

Il faut au moins admettre que le clergé a le sentiment de sa dignité tout comme vous avez le sentiment de la vôtre, et qu'un arrangement pour une durée de deux ou trois années n'a rien d'exorbitant. Si l'on veut sortir de là, on tombe dans des prétentions déraisonnables et qu'on ne peut pas chercher à imposer à une autorité si haut placée par son caractère et par l'estime dont elle jouit dans le pays.

Messieurs, on a parlé de l'arrangement de Tournai. Il est très vrai que j’ai soutenu que l’arrangement de Tournai n’était pas contraire à la Constitution ni à la loi communale, et je n’ai pas changé d’opinion à cet égard, mais aussi j’ai reconnu que Mgr. l’évêque de Tournai allait trop loin dans ses demandes au conseil communal.

Il demandait même une chose qui devait nécessairement tourner contre lui. On devait lui soumettre la liste des candidats pour les chaires de professeurs et recevoir les observations qu'il ferait à cet égard par écrit ; qu'en résultait-il pour l'évêque ? Une position intolérable, tous les professeurs qu'il aurait réprouvés auraient eu contre lui des griefs extrêmement graves.

J'ai eu l'honneur de le dire à lui-même que, dès le premier essai de mise en pratique de sa demande, il en aurait été tellement dégoûté qu'il y aurait renoncé spontanément.

Messieurs, toute loi doit être exécutée suivant son sens, suivant son esprit. Qu'est-ii arrivé en 1850 ? Le projet ne parlait point de l'enseignement religieux, on en fit l'observation dans la Chambre.

M. Frère-Orban. - C'est une erreur.

M. de Theux. - Il n'en était pas question dans le projet. L'honorable M. Lelièvre a présenté un amendement. Le gouvernement a dit qu'il n'avait point l'intention de priver l'enseignement moyen du concours du clergé, que si la loi gardait le silence à cet égard, c'était parce qu'en définitive la loi, pas plus que le gouvernement, ne pouvait commander au clergé, porter atteinte à sa liberté.

Ainsi, le gouvernement lui-même et la Chambre tout entière ont adopté en réalité cette opinion consacrée par la loi, que le concours du clergé était utile, désirable, d'un intérêt social. On connaissait à cette époque toutes les difficultés qui existaient de la part du clergé, on a donc voulu que l'arrangement à négocier fût un arrangement librement consenti de part et d'autre.

Dans une lettre du cardinal-archevêque, il a annoncé qu'il ne demandait aucune part dans la nomination du professeur ; c'était renoncer formellement à la prétention qui avait été élevée précédemment par l'évêque de Tournai. Sur ce point, messieurs, il y a évidemment une satisfaction donnée à cette opinion qui ne voulait point que le clergé pût avoir une part dans la nomination des professeurs. Mais quant à un membre du bureau de l'athénée, quant à un membre du conseil supérieur, tout le monde était d'accord que cela était désirable et devait être amené par voie administrative.

Je pense donc, messieurs, que la Chambre maintiendra l'article 18 de la loi de 1850 intact de même que le vote qu'elle a émis au mois de février dernier.

- Plusieurs membres. - Aux voix ! aux voix !

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Messieurs, je ne voudrais pas prolonger la discussion ; mais l'honorable M. Frère a présenté hier un amendement sur lequel il n'a pas été dit un seul mot et sur leqnel je désire appeler un instant l'attention de la Chambre.

Messieurs, cet amendement est conçu dans les termes suivants : (L'orateur donne lecture de cet amendement.)

Le paragraphe du projet d'adresse déclare nettement que « l'instruction publique à tous les degrés se développe d'une manière conforme à l'esprit de nos institutions et de nos lois organiques. » Aucun doute n'existe, dans cette rédaction, sur la pensée de la Chambre ; la Chambre affirme un fait qui enveloppe clairement dans ses conséquences l'approbation donnée à l'exécution de l'article 8 la loi de 1850, c'est-à-dire à la convention d'Anvers. Maintenant que fait l'honorable M. Frère par son amendement ? Il remet tout en question. L'honorable M. Frère ne tient aucun compte de la discussion qui a eu lieu sur le paragraphe, et il énonce que le moyen de donner aux lois qui régissent l'enseignement public une exécution conforme à nos institutions et à nos lois organiques, c'est de maintenir religieusement en cette matière les droits et les attributions de la commune, c'est de consacrer les principes qui garantissent la liberté de conscience ; voilà littéralement l'amendement de l'honorable membre. Ce qui signifie, messieurs, en d'autres termes, que l'honorable membre n'admet pas que, dans l'exécution donnée aux lois sur l'instruction publique, la liberté et les droits de la commune et la liberté de conscience aient été suffisamment garantis. A l'affirmation claire et précise du projet d'adresse, l'honorable membre substitue le doute et l'incertitude.

Messieurs, cet amendement, avec les commentaires surtout dont il a été l'objet, est la condamnation la plus directe de la convention d'Anvers. Il ne faut pas un instant se faire illusion à cet égard. Si c'est là l'intention de la Chambre, c'est à elle de le déclarer.

Je ne reviendrai plus, messieurs, sur le vote du 14 février. On l'a à satiété expliqué et commenté ! Je ne reviendrai pas non plus sur le reproche qui a été fait hier au gouvernement par l'honorable M. Frère, de ne pas avoir compris dans l'arrangement une disposition relative aux élèves des cultes dissidents.

Je ne reviendrai pas sur un autre reproche consistant à dire que le gouvernement aurait dû consacrer dans ce règlement le droit accordé au père de famille de dispenser son fils de suivre le cours de religion. Je me suis suffisamment expliqué sur ces prétendus griefs et j'ai démontré, en faisant appel à la discussion du 14 février, que le gouvernement avait clairement indiqué que s'il s'était abstenu de porter cette double stipulation dans le règlement, c'était par une nécessité absolue, parce que cela aurait mis en question le concours du clergé ; cela a été parfaitement expliqué et à la Chambre et au Sénat.

Il est resté démontré que le gouvernement, tout en déclarant ne pas pouvoir insérer dans le règlement les deux garanties dont il s'agit, les avait consacrées par un acte séparé, également officiel, également obligatoire comme le règlement lui-même.

Un mot, maintenant, messieurs, quant au grief fondamental signalé par l'honorable M. Frère dans son discours d'hier et dans son discours d'aujourd'hui ; je veux parler de l'admission d'un ecclésiastique dans le bureau administratif et dans le conseil de perfectionnement.

L'honorable membre a prétendu que cette intervention était contraire à la loi, qu'elle était exorbitante, qu'elle était même compromettante pour la dignité du pouvoir civil.

Messieurs, à ce sujet, j'ai voulu me rendre un compte exact de ce qui s'était passé lors de la discussion de la loi, et dans une autre occasion où la question de l'enseignement religieux a encore été agitée dans cette Chambre ; et je me suis convaincu, messieurs, que dans toutes ces circonstances il avait été fait dans la Chambre, à l'occasion de la loi du 1er juin 1850, des déclarations dont il (page 155) résultait que des garanties devaient être données au clergé pour faciliter son concours, garanties qui ne devaient s'arrêter qu'aux limites extrêmes du possible, de la légalité. Or, messieurs, que demandait-on sous ce rapport ? On demandait notamment l'admission d'un ecclésiastique dans le bureau administratif et dans le conseil de perfectionnement. On était d'accord sur le principe. La seule divergence qui existait, portait sur le mode à suivre pour donner ces garanties.

Deux systèmes étaient en présence : les uns voulaient des garanties légales, d'autres se bornaient à indiquer des garanties administratives.

Ai-je besoin, messieurs, de faire appel aux opinions qui ont été exprimées à cet égard ? Plusieurs honorables membres ont pris la parole pour expliquer qu'un système de garanties administratives était possible et désirable dans le but de déterminer l'intervention du clergé. Les honorables MM. Devaux, Lebeau, Le Hon, les vice-présidents de la Chambre, ont pris part à cette discussion et ont clairement donné leur adhésion au système qui faciliterait, par l'action des conseils communaux agissant en pleine liberté, l'entrée d'un délégué du clergé dans le bureau administratif. Ils exprimaient une opinion analogue quant au conseil de perfectionnement.

A cette époque, le ministère du 12 août a-t-il contredit les déclarations qui ont été faites sous ce rapport dans la Chambre ? Nullement ; plusieurs des membres de ce ministère ont même pris part à la discussion et ont approuvé l'idée, qu'on mettait en avant, d'offrir au clergé des garanties administratives du genre de celles dont je viens de parler.

Que s'est-il passé en 1851, lorsque la section centrale du budget de l'intérieur a fait un rapport sur la même question ? A cette époque, l'honorable rapporteur de la section centrale, revenant sur ces garanties administratives, n'a-t-il pas déclaré qu'il était désirable qu'un ecclésiastique intervînt dans le bureau administratif et dans le conseil de perfectionnement, et que cela se fît partiellement, par voie administrative, suivant les localités et suivant les convenances des conseils communaux ; n'a-t-il pas ajouté que c'était le vœu des pères de famille, que c'était aussi le vœu de la législature ? A cette époque encore, dans la Chambre, aucun membre du cabinet du 12 août ne s'est levé pour désavouer ce langage, pour démontrer que ce mode de garanties était illégal ou impraticable.

Ce n'est pas tout : le cabinet ne s'est pas borné à reconnaître qu'on pouvait parfaitement, par la voie administrative, laisser entrer un membre du clergé dans le bureau administratif et dans le conseil de perfectionnement, il a mis cette théorie en pratique. Dans plusieurs circonstances, il a été au-devant de cette influence qu'on trouve aujourd'hui si pleine de périls. Je puis citer des écoles moyennes dans lesquelles le gouvernement, par des arrêtés spéciaux, a nommé à cette époque des membres du clergé dans les bureaux administratifs. A l'athénée de Tournai, un ecclésiastique a été nommé membre du bureau et il en fait même encore partie aujourd'hui,

Je puis citer les écoles moyennes d'Alost, de Rocheforl, de Renaix, de Thuin, de Saint-Trond, de Marche, de Virton et de Philippeville ; dans toutes ces écoles, le gouvernement approuvait la disposition où était l'autorité locale de désigner un ecclésiastique comme membre du bureau administratif. Sans doute ces désignations n'ont pas pu être utilisées partout, par la raison que des difficultés étant survenues entre les évoques et le gouvernement, défense a été faite généralement aux ecclésiastiques désignés de prendre place dans le bureau administratif ; mais il n'en est pas moins vrai que le gouvernement a mis en pratique le conseil qu'on lui avait donné dans cette Chambre, ainsi qu'au Sénat, et qu'il avait pris l'engagement tacile de suivre en poussant jusqu'aux dernières limites les concessions à faire au clergé.

Je sais bien qu'on signale une différence entre l'exécution que le gouvernement a donnée alors au vœu exprimé formellement dans la Chambre, et la mesure à laquelle le cabinet actuel s'est arrêté ; on dit que, lorsque sous l'ancien cabinet, on a fait un appel aux membres du clergé, c'était librement qu'il procédait ; les conseils communaux, de leur côté, proposaient librement, spontanément un ecclésiastique pour faire partie du bureau administratif.

Aujourd'hui, au contraire, ajoute-t-on, c'est par contrainte que procèdent les conseils communaux ; le gouvernement leur impose, par un arrangement fait avec le clergé, la désignation d'un ecclésiastique pour siéger dans le bureau d'administration.

J'ai déjà eu occasion de faire justice de cette observation qui n'est fondée sous aucun rapport. Les conseils communaux sont, en vertu de la convention d'Anvers, parfaitement libres de comprendre ou de ne pas comprendre parmi leurs candidats un ecclésiastique ; ils ne délèguent en aucune manière l'exercice de leurs droits à un tiers, en désignant comme candidat un ecclésiastique ; ils se bornent à accepter l'offre qui leur est faite du concours du clergé, en désignant un ecclésiastique comme l'un des candidats ; ils le désignent librement, sans aucun engagement préalable.

Ainsi, la différence que l'on signale sous ce rapport est plutôt dans les mots que dans les choses.

L'honorable président de la Chambre l'a lui-même reconnu hier ; à ses yeux, il n'y a pas la moindre contrainte exercée sur les conseils communaux, quand on les invite à s'expliquer sur le point de savoir s'ils veulent, ou non, accepter l'enseignement religieux pour leurs établissements d'instruction moyenne, sous la condition indiquée par le clergé, et qui peut être refusée ou acceptée.

Il n'y a qu'une seule différence entre le régime d'autrefois et celui d'aujourd'hui, et cette différence est toute à l'avantage du régime actuel.

L'ancien cabinet provoquait partout la nomination d'un membre du clergé dans le bureau d'administration ; les conseils communaux étaient libres,comme ils le sont aujourd'hui, de ne pas faire une semblable désignation ; mais aujourd'hui, à la différence de ce qui se passait autrefois, les conseile communaux qui comprennent un ecclésiastique parmi leurs candidats sont certains du concours du clergé pour l'enseignement religieux, tandis qu'alors, malgré la candidature ecclésiastique, ils n'ont pas eu le concours du clergé.

Messieurs, quand je vois les attaques violentes dont la convention d'Anvers a été l'objet dans la séance d'hier et même dans celle d'aujourd'hui, de la part de l'honorable M. Frère, je ne puis m'empêcher de rappeler l'opinion que l'honorable M. Frère a exprimée le 14 février, au sujet de cette convention ; alors il ne trouvait pas cette convention inconstitutionnelle ou illégale ; il ne critiquait que la concession faite au clergé, en ce qui concerne le bureau administratif et le conseil de perfectionnement.

Aujourd'hui, messieurs, on ne veut plus des garanties qu'on a indiquées en 1850 et en 1851, et qui ont été acceptées par tout le monde. On les repousse parce qu'elles sont la condition du concours. Mais je voudrais qu'on me déclarât quelle espèce de garanties on peut offrir au clergé, s'il suffit, pour que les garanties soient réputées mauvaises et doivent être repoussées ; s'il suffit, dis-je, que le clergé les ait demandées. A ce compte, il n'est aucune condition à laquelle on ne puisse faire le reproche qu'on a adressé à l'admission d'un ecclésiastique dans le bureau d'administration et dans le conseil de perfectionnement. N'est-il pas vrai que le principe qu'on cherche à faire prévaloir en combattant la concession de certaines garanties, parce qu'elles sont demandées par le clergé, n'est autre chose que la négation absolue de toute convention avee le clergé ? Il aurait mieux valu ne pas inscrire dans la loi le principe d'un enseignement religieux obligatoire.

Les garanties administratives, on n'en veut pas davantage ; donc il n'y a pas d'exécution possible de la loi, et remarquez-le bien, d'une loi que vous avez faite, vous, opposants, et que vous laissez à d'autres le soin d'exécuter, en l'environnant des difficultés les plus graves dont le résultat serait d'éviter le concours du clergé. Cependant, au point de vue politique, n'est-ce rien que de voir le clergé donner son concours à une loi qu'il avail énergiquemenl combattue, n'est-ce rien que de voir cesser un regrettable conflit avec l'opinion libérale, et de montrer au pays que les principes libéraux déposés dans la loi de 1850, n'ont rien d'incompatible avec l'enseignement religieux ? En ce qui me concerne, je demeure convaincu que nous rendons un véritable service au pays ! A vous, messieurs, de décider.

M. Delfosse. - Dans le discours que l'honorable M. Frère vient de prononcer, il y a bien des idées auxquelles je m'associe ; le dissentiment entre cet honorable collègue et moi ne porte en réalité que sur un point.

Il voit un engagement, un contrat, là où je trouve que la liberté est restée entière. Il y aurait engagement, contrat, si les conseils communaux étaient tenus, pour obtenir le concours du clergé, de déclarer qu'ils désigneront un prêtre pour faire partie du bureau administratif ; s'ils devaient faire cette promesse, si elle était obligatoire, M. Frère aurait raison, la convention d'Anvers serait la convention de Tournai et je la repousserais énergiquemenl.

Mais il n'en est pas ainsi, j'ai prouvé hier que la convention d'Anvers ne porte nulle atteinte à la liberté des conseils communaux ; lorsque les conseils communaux, mus par le désir d'obtenir le concours du clergé, désignent un prêtre pour faire partie du bureau administratif, ils agissent tout aussi librement que s'ils désignaient un homme disposé, c'est l'exemple que j'ai cité hier, à faire don à l'athénée d'une bibliothèque.

L'honorable M. Frère s'est récrié contre cet exemple, contre cette espèce d'échange qui serait faite entre une place et la promesse d'une bibliothèque ; ce serait, a-t-il dit, un marché radicalement nul ; je répondrai à l'honorable M. Frère, que, pour qu'il y eût marché, il faudrait que l'on s'engageât d'un côté à donner la place et de l'autre à donner la bibliothèque. Or, je n'ai rien supposé de semblable, j'ai supposé un choix fait par le conseil sans engagement préalable ; parce que la personne choisie aurait manifesté l'intention de donner sa bibliothèque à l'athénée, s'ensuit-il qu'elle n'ait pas les qualités requises pour faire utilement partie du bureau administratif ?

Si l'honorable M. Frère l'aime mieux, je modifierai l'exemple cité en ce sens que le don aura précédé l'entrée du donateur dans le bureau administratif.

Le conseil communal, bien qu'influencé dans son choix par un sentiment de reconnaissance, n'en aura pas moins choisi librement.

L'honorable M. Frère signale l'entrée du prêtre dans les bureaux administratifs comme extrêmement dangereuse ; le prêtre, membre du bureau, pèsera constamment sur ses collègues, il aura une influence illimitée ; il sera maître de la place.

Si ces craintes sont fondées, vous n'auriez pas dû, lorsque vous étiez ministre, proposer l'article 8 de la loi. Car si le prêtre membre du bureau doit peser sur ses collègues, s'il doit avoir une influence illimitée, s'il doit être maître de la place, le prêtre appelé, en exécution de cet article, à donner l'enseignement religieux et venant même le donner sans condition, pèsera sur tout le personnel de l'établissement, aura une influence illimitée, il sera maître de la place.

(page 156) Les concessions que l'on ferait au prêtre membre du bureau pour prévenir l'éclat qui serait la conséquence de sa retraite, on les fera par le même motif au prêtre chargé de renseignement religieux ; le mal, s'il existe, est dans l'article 8 de la loi, à vous la faute.

Un grief que l'on impute encore à la convention d'Anvers, c'est que le concours du clergé est nécessairement refusé dans le cas où le conseil communal ne juge pas à propos de désigner un prêtre pour faire partie du bureau.

A cela je n'ai qu'un mot à répondre, c'est que le refus du ministère d'accepter la convention d'Anvers aurait produit absolument le même résultat.

Je ne comprends pas que les conseils communaux puisent raisonnablement se plaindre d'une convention qu'ils sont libres d'accepter ou de refuser.

L'amendement de l'honorable M. Frère obtiendrait mon adhésion pleine et entière, s'il n'impliquait le blâme du vote que j'ai émis en pleine connaissance de cause et très consciencieusement le 14 février dernier. Ce blâme n'est pas dans les termes de l'amendement, mais il est dans les développements que l'honorable membre y a donnés.

J'ai la conviction de n'avoir, par mon vote du 14 février, porté atteinte ni aux prérogatives des conseils communaux, ni aux droits sacrés du père de famille, ni à la liberté de conscience, liberté qui m'est aussi chère qu'à l'honorable M. Frère.

M. Devaux. - L'honorable membre qui a clos la séance d'hier et repris aujourd'hui la discussion de l'adresse, a fait preuve, comme à l'ordinaire, de beaucoup de talent. Sa conviction a dû être très vive puisqu'elle a pu le déterminer à se séparer à deux reprises, dans cette question, de presque tous les hommes politiques à côté desquels il a marché depuis son entrée dans cette Chambre. Cette conviction, je la respecte, mais on voudra bien croire aussi que, quand 40 membres de cette Chambre, appartenant à l'opinion libérale, parmi lesquels 4 collègues de l'honorable orateur dans le cabinet du 12 août, se sont trouvés d'accord dans le vote du 14 février, sans discussion, sans qu'aucun d'eux ait à exercer la moindre influence de paroles sur les autres ; il doit y avoir de ce côté aussi des motifs bien puissants et des convictions respectables.

C'est peut-être ce qu'on n'a pas assez compris au-dehors où, avec une ardeur de lutte plus impatiente que réfléchie, on a conçu la singulière idée de faire, au nom de l'opinion libérale, une guerre à mort au ministère en l'attaquant sur un seul point, précisément celui où il était abrité derrière la presque unanimité des représentants de l'opinion libérale dans le parlement.

Je n'ai pas l'habitude de diminuer la responsabilité de mes actes. J'accepte donc la responsabilité de mon vote.

Je reconnais que je n'ai été ni trompé ni illusionné ; je reconnais que je me suis décidé en pleine connaissance de cause.

Avant d'émettre un vote de cette importance j'ai l'habitude d'y réfléchir. Ce que j’ai fait alors, je le ferais encore aujourd'hui, et si j'avais été appelé ou si j'étais appelé par la suite à émettre un vote comme membre du bureau administratif de l'athénée de Bruxelles, voici quelle serait ma conduite. Si on me laissait la faculté d'apporter quelques modifications à la convention d'Anvers, il serait possible que je trouvasse des améliorations à y introduire ; mais si l'on me disait : Le concours du clergé est à ce prix ce n'est qu'à ce pris, j’admettrais sans difficulté la convention d'Anvers tout entière.

Telle a donc été la portée de mon vote, le 14 février. J'ai voulu pleinement reconnaître que, sur ce qui s'était passé, je n'avais aucun blâme à émettre : le règlement d'Anvers a été connu, plusieurs mois avant qu'il ne fût produit dans cette enceinte. Il n'y a pas de matière sur laquelle j'aie plus cherché à m'éclairer, sur laquelle je me sois autant enquis de l'opinion publique et de celle de mes collègues. Je m'en suis entretenu avec un grand nombre de membres appartenant à l'opinion libérale. J'en ai prié, et des plus compétents, d'y réfléchir et de me donner leur avis. Je me suis réuni avec quelques-uns, et nous avons minutieusement recherché tous les défauts que la convention pouvait présenter. A l'exception d'un seul, l'honorable M. Verhaegen, qui a trouvé la convention inconstitutionnelle, j'ai trouvé chez tous les hommes politiques, non pas l'approbation complète de tous les détails de la convention, mais la reconnaissance générale qu'entendue dans le sens des explications données par le conseil communal d'Anvers, elle ne froissait aucun principe important, et que nous pouvions l'admettre. C'est à tel point que très peu de jours avant la discussion, je pensais qu'il pourrait arriver que la convention n'eût qu’un seul adversaire dans cette Chambre.

On s’est beaucoup occupé de la convention d'Anvers dans le public ; elle n'est toutefois pas bien connue de tout le monde. J'ai remarqué que bien des personnes s'en sont effrayées, précisément parce qu’elles la connaissaient imparfaitement. Elle est cependant assez simple. Trois dispositions du règlement et deux autres en dehors du règlement, voilà ce qu il y a d'important : le reste est secondaire et de détail.

La première disposition importante est celle de l’article 2 du règlement qui dit qu’un ecclésiastique désigné par le chef diocésain et admis par le gouvernement, sera chargé de l’enseignement religieux. Une autre disposition charge l’ecclésiastique de veiller de commun accord avec le préfet des études à ce que les élèves remplissent leurs devoirs de religion. Une troisième, contenue dans deux articles différenys, porte que les livres dont on fera usage ne pourront être contraires à l’enseignement religieux et que les professeurs ne pourront contrarier cet enseignement ni par leurs leçons ni par leur conduite. Des deux dispositions en dehors du règlement, l'une reconnaît à l'évêque le droit de faire inspecter l'enseignement religieux donné par l'ecclésiastique qu'il a délégué, l'autre est l'admission d'un ecclésiastique désigné par les évêques dans les bureaux administratifs et dans le conseil de perfectionnement.

De ces cinq dispositions, quelles sont celles sur lesquelles est tombé dans cette enceinte le blâme des opposants ? Leurs critiques n'ont porté que sur deux d'entre elles, l'article 2 du règlement et l'admission des ecclésiastiques dans les bureaux administratifs et dans le conseil de perfectionnement.

L'article 2 du règlement est celui aux termes duquel l'enseignement religieux doit être donné par un ecclésiastique désigné par le chef diocésain et admis par le pouvoir civil. A cet article, les explications du conseil communal d'Anvers ont ajouté que les élèves appartenant à une autre communion recevront à part l'instruction, et que le père de famille, même catholique, pourra obtenir que les enfanls soient dispensés du cours d'enseignement religieux ; en un mot, que le vœu du père de famille sera consulté en cette matière.

L'honorable M. Verhaegen a prétendu dès l'abord que cet article était inconstitutionnel, et c'était son grief principal. L'honorable M. Frère a fait complètement justice de ce grief de l'honorable M. Verhaegen. Il a pleinement reconnu, dans la séance du 14 février, qu'il n'y avait pas d'inconstitutionnalité dans l'article 2, parce que les protestants recevraient l'instruction religieuse dans un autre local. Il est vrai qu'aujourd'hui M. Frère s'est plaint de ce que la disposition concernant les protestants ne figure pas dans le même règlement que celle qui concerne le culte catholique, mais comment lui, qui voit les choses largement, peut-il trouver là quelque chose de beaucoup plus grave que la question de la différence du local ?

Quelle grande importance y a-t-il à ce qu'une disposition figure dans un règlement plutôt que dans le supplément du règlement ?

Quant à moi, je n'ai pas été trompé à cet égard. J'ai fort bien senti pourquoi toutes les dispositions ne se trouvaient pas dans le règlement même.

Cette raison, c'est une certaine susceptibilité du clergé. Je ne la justifie pas, mais elle existe. Un de mes honorables amis la définissait spirituellement en termes familiers l'autre jour.

Il disait : Un prélat assiste à un banquet un vendredi ; il voit faire gras à côté de lui par des protestants. Cela ne le scandalise pas. Il ne croit nullement devoir se retirer de la table, mais il aurait eu beaucoup de répugnance à se rendre à la fête si au bas du billet d'invitation on avait écrit : Il y aura de la viande.

Le clergé a demandé qu'au bas de la lettre d'invitation qu'on lui adresse on n'écrive pas : Il y aura un enseignement protestant.

Il y en aura un, mais il demande qu'il ne lui soit pas notifié officiellement.

L'évêque diocésain qui a conclu l'arrangement d'Anvers regarde le règlement comme une espèce de charte, en vertu de laquelle il entre dans l'établissement.

Il demande que dans cette charte on ne parle que de ce qui le regarde, et qu'on mette ailleurs ce qui concerne l'enseignement des cultes dissidents. Je ne dis pas que ce ne soit de la part du clergé une faiblesse, que ce ne soit une susceptibilité exagérée. Mais enfin elle existe, et s'il a fallu y satisfaire pour arriver à un résultat, je ne puis voir là dedans quelque chose de bien énorme.

Ce qui importe, c'est que les enfants appartenant à d'autres communions que la communion catholique reçoivent aussi leur instruction religieuse. Ce qui importe c'est qu'aucun enfant ne soit forcé de suivre l'instruction religieuse contre le vœu de ses parents.

Or, c'est ce qui est garanti.

Je ne soutiens certainement pas, remarquez-le bien, que la convention d'Anvers soit parfaite, je ne mets pas à la défendre la chaleur qu'on a mise à l'attaquer.

La convention d'Anvers, je l'accepte, je ne la prône pas. Je l'accepte comme une transaction.

Or, il est de l'essence des transactions de ne pas beaucoup enthousiasmer ; car, chacun y ayant cédé quelque chose, elles ne satisfont complètement personne.

Je ne dis donc pas que nous n'ayons absolument rien cédé, que la convention soit exempte de tout inconvénient. Mais à ce prix on obtient, dans les établissements où cette convention sera en vigueur, le concours du clergé auquel le gouvernement était tenu d'attacher une grande importance et qu'il était de son devoir de chercher à obtenir, par des efforts sincères et des concessions raisonnables.

Après l'article 2 sur lequel deux honorables membres qui ont combattu la convention d'Anvers, l'honorable M. Frère et l'honorable M. Verhaegen, sont en contradiction formelle ; après cet article, reste comme second grief ce qui concerne l'admission d'un ecclésiastique dans les bureaux administratifs et le conseil de perfectionnement.

Messieurs, on objecte d'abord que c'est donner dans les bureaux et le conseil de perfectionnement titre d'autorité à un membre du clergé. Je suis, je l'ai dit en plusieurs occasions, peu propre à traiter cette question du titre d'autorité dont il s'est souvent agi ici, car j'avoue très humblement que je ne la comprends pas et que je ne l'ai jamais bien comprise. C'est peut-être une infirmité de mon intelligence, mais il y a là des distinctions dont la subtilité m'échappe.

(page 157) On trouve très bien, par exemple, qu'il soit écrit dans la loi qu'on invitera le chef diocésain à déléguer un prêtre pour donner l’enseignement religieux. On trouve que le prêtre qui entrera en vertu de cet article dans l'établissement de l'Etat, n'y sera pas à titre d'autorité. Mais si on invite l'évêque à désigner un candidat pour les bureaux administratifs, afin d'y représenter plus spécialement l'enseignement religieux, comme d'autres y représentent les sciences et les lettres, le prêtre qui y entrera en vertu de cette invitation y siégera, dit-on, à titre d'autorité.

Si, comme cela existe dans certains établissements de l'étranger, le bureau administratif était composé de tous les professeurs, le professeur de religion en ferait partie. Trouve-t-on que dans ce cas il y serait à titre d'autorité ? Le titre d'autorité devrait-il le faire exclure ?

Dans tous les cas, messieurs, il me semble que le prêtre, aux yeux de la foi, arrive en vertu de l'autorité spirituelle, et qu'aux yeux de la loi, aux yeux de l'autorité civile, il arrive ou en vertu de la loi ou en vertu du consentement de l'autorité civile. Bien certainement l'ecclésiastique ne s'introduira pas dans le bureau administratif sans le consentement du conseil communal, et il ne s'introduira pas dans le conseil de perfectionnement sans l'assentiment du gouvernement. Il y entrera en vertu d'une autorité qui lui sera donnée par le pouvoir civil

On nous dit que cette admission de l'ecclésiastique dans le bureau administratif, c'est la convention de Tournai, et tout à l'heure encore l'honorable membre auquel je réponds a répété : Mais c'est l'avis préalable qui arrive indirectement, c'est l'avis préalable comme à Tournai. Mais remarquez donc cette grande différence qu'à Tournai le conseil communal s'engageait à suivre l'avis préalable de l'évêque et qu'ici personne ne s'engage à suivre l'avis du représentant du c'ergé ; qu'il y a dix membres autres que lui dans le bureau administratif et neuf dans le conseil de perfectionnement, lesquels discuteront et admettront ou rejetteront son avis.

Cela peut avoir des inconvénients peut-être, j'en parlerai tout à l'heure ; mais ce n'est pas la même chose que la convention de Tournai, qui enchaînait la commune.

On dit que cette admission, dans les bureaux administratifs, d'un membre désigné par l'évêque, est une délégation de l'autorité communale, semblable à celle que j'ai blâmée moi- même dans la convention de Tournai.

Mais il me semble que l'honorable M. Delfosse, sans que j'y revienne, vous a démontré toui à l'heure, en termes très clairs, qu'il n'y a pas là d'engagement.

Vous pouvez obtenir le concours du clergé, si vous nommez un tel au nombre des candidats que vous êtes chargés de désigner. Vous le faites ou vous ne le faites pas. Vous ne vous engagez à rien, et au bout des trois ans, quand les pouvoirs du bureau administratif seront expirés, vous aurez la même liberté. Il n'y a pas là d'engagement comme dans la convention de Tournai.

Mais s'il restait quelques doutes à cet égard, à Tournai il y avait une autorité communale n'ayant d'autre pouvoir que celui d'appliquer la loi ; ici il y a intervention du gouvernement lui-même qui fait une convention, trace un plan, et, avant de le mettre à exécution, le soumet aux deux branches de la législature, leur demande s'il a bien entendu la loi, et elles lui répondent affirmativement.

S'il y avait encore le moindre doute, ne serait-il pas levé par cette intervention du pouvoir législatif ?

L'article de la loi de 1850, qui concerne les bureaux administratifs, n'est pas, après tout, une disposition constitutionnelle. Le pouvoir législatif peut le changer ; il pourrait le changer même, sans que l'esprit de la loi de en 1850, fût modifié. Mais n'esltil pas évident que l'avis émis par les deux Chambres dispense et un pareil changement ?

L'honorable M. Frère a commis une véritable erreur, elle lui est échappée, il le reconnaîtra, je pense, en disant que l'on forçait les conseils communaux à nommer des ministres catholiques et qu'on excluait les ministres protestants, qu'on empêchait dénommer des ministres protestants membres du bureau.

M. Frère-Orban. - Je n'ai pas dit cela.

M. Devaux. - Je pensais bien que vous reconnaîtriez que cela n'est pas.

M. Frère-Orban. - Voici ce que j'ai dit ;

J'ai dit que la convention, telle qu'elle avait été expliquée par le gouvernement, n'énonçait aucune espèce d'engagement d'exclure l'enseignement des protestants de l'école, tandis que dans la notification qui avait été faite aux bureaux administratifs, il leur avait été déclaré que la convention impliquait l'engagement de ne pas faire donner, à l'école, l’enseignement des cultes dissidents. C'est cet engagement que j'ai attaqué.

M. Devaux. - Ainsi, messieurs, il est reconnu que les ministres protestants ne sont nullement exclus du bureau administratif. Remarquez, en effet, messieurs, que si un conseil communal trouvait utile qu'un ministre protestant en fît partie, rien au monde n'empêche ce conseil communal de porter un ministre protestant sur la liste des candidats, comme rien au monde n'empêche le gouvernement de le nommer, ou d'en faire entrer un autre dans le conseil de perfectionnement.

Mais, dit-on, c'est l'avis préalable du clergé sur les nominations, et ici le clergé sera tout-puissant ; il sera impossible de résister à son influence ; il n'aura qu'une voix sur onze, c'est vrai, mais cette voix l'emportera sur toutes les autres.

L'honorable M. Frère et son collègue de l'intérieur dans le ministère du 12 août, nous ont dit à plus d'une reprise que le gouvernement était on ne peut plus disposé à nommer des ecclésiastiques dans les bureaux administratifs ; M. Frère a dit même que cela se ferait naturellement, que l'intérêt de l’établissement y conduirait l'autorité communale.

En effet il est impossible de supposer un conseil communal d'accord avec le chef diocésain et se refusant à nommer un seul candidat qui ait sa confiance dans le bureau administratif.

Eh bien, du moment qu'il y a dans le bureau administratif non seulement un ecclésiastique, mais fût-ce un laïque en rapport avec le clergé et pouvant parler en son nom, il est évident que l'inconvénient que vous signalez existent si cet homme peut prendre tant d'empire, il l'aura, qu'il arrive par la désignation directe de l'évêque ou de la manière que je viens d'indiquer ; ce sera toujours la retraite possible du clergé qui fera sa puissance.

Ainsi ce danger, ce n'est pas la convention d'Anvers qui le crée, c'est l'exécution de l'article 8 et la constitution du bureau administratif. Du moment que vous avez introduit le clergé dans le collège et que vous avez fait nommer les candidats du bureau administratif par le conseil communal, une partie même en dehors de ce conseil, vous avez rendu à peu près inévitable la présence dans le bureau administratif d'au moins une personne qui ait la confiance du chef diocésain.

Cela, messieurs, ne donnera-t-il jauids lieu à aucune espèce d'inconvénient ? Je suis loin de le garantir, pas plus que je ne garantirais l'exécution de beaucoup d'autres lois contre la possibilité de certains abus ; mais je dis que, s'ils ont lieu, ils dériveront de la loi tout aussi bien que de la convention d'Anvers.

N'oublions-pas, d'ailleurs, qu'il y a ici, à côté du danger qu'on signale, un assez grand avantage. Vous ne refusez pas au clergé le droit de faire parvenir ses avis au gouvernement. N'y a-t-il pas un avantage à ce que ces avis, au lieu de parvenir au gouvernement par une voie secrète, sans contrôle et sans que ceux qui les donnent aient pu s'éclairer par la contradiction, n'arrivent au gouvernement qu'éclairés, contrôlés, modérés et appréciés par le bureau administratif ?

Ces avis ne seront-ils pas par cela même beaucoup plus réservés que s'ils allaient droit au gouvernement, sans aucune espèce de contrôle préalable sur les lieux ?

Certainement, messieurs, il faut que toutes les autorités fassent leur devoir. Si le bureau administratif est assez faible pour se laisser dominer par un seul de ses membres, ce sera un abus sans doute, mais cet abus se représenterait également, indépendamment de la composition du bureau administratif, si le préfet des études est assez faible pour laisser usurper son autorité par l'ecclésiastique chargé de l’enseignement religieux.

Mais qu'arrivera-t-il s'il y a au ministère des hommes qui veulent abandonner complètement la direction des athénées à l'influence ecclésiastique ?

Messieurs, nous faisons des lois politiques en défiance des ministres, mais s'il faut faire des lois administratives, des règlements administratifs en défiance des chefs de l'administration, on arrivera à un état de choses bien extraordinaire.

Alors il faudrait commencer par détruire la loi de 1850 tout entière, car bien certainement si on n’avait pas eu d'autres vues que de donner plus d'indépendance à l'enseignement moyen, il n'aurait pas fallu le mettre entre les mains du gouvernement, mais lui laisser le caractère communal qu'elle avait.

M. Ch. de Brouckere. - A la bonne heure !

M. Devaux. - L'honorable M. de Brouckere dit : A la bonne heure ! Eh bien, je ne suis pas de son avis, je crois qu'on a très bien fait de mettre un certain nombre d'établissements entre les mains du gouvernement ; pourquoi ? Parce qu il y a autre chose que de la politique dans l'enseignement. Après tout, l’enseignement des athénées comprend l'instruction scientifique et littéraire. Or, une expérience de vingt ans nous a appris combien, entre les mains des communes, l'enseignement moyen a baissé.

Lorsque la loi de 1850 est intervenue, il était dans un état déplorable, même dans de grandes communes, etil y a beaucoup à faire encore pour l'en relever complètement.

Messieurs, s'il arrive un ministère qui veuille abandonner à d'autres la direction de l'autorité laïque, quel est le remède ? Il faut lui faire de l’opposition par les voies légales et par l'influence des élections, de la presse et de la tribune, s'efforcer de le renverser. Un ministère semblable, d'ailleurs, n'aurait pas besoin des bureaux administratifs. C'est lui qui nomme les préfets des études et les professeurs, il pourrait aniver à ses fins bien plus directement que par l'intermédiaire des bureaux administratifs qui n'ont que voix consultative.

On a beaucoup parlé dans les séances précédentes, de ce qui est arrivé au sujet d'un professeur de la section professionnelle de l'athénée de Bruxelles. Messieurs, ce fait est complètement indépendant de la convention d Anvers.

Supposons la convention la plus simple possible, supposez-la telle que tous les opposants ici l'admettent, supposez même que le clergé dise qu'il n'a besoin d'aucune autre garantie écrite que celle de la loi.

Le chef diocésain ne pourra-t-il pas toujours faire, avant de désigner (page 158) l'ecclésiastique chargé de l’enseignement religieux, des observations semblables à celles qu'on dit avoir été faites pour l'athénée de Bruxelles ?

Je ne dis pas qu'il ait tort ou raison de le faire, mais il est évident qu'en fait il le pourra et que ce que l'on suppose avoir lieu à Bruxelles n'est pas du tout un effet de la convention d'Anvers, mais un résultat de l'exécution de l'article 8 de la loi de 1850.

Messieurs, la disposition qui concerne l'admission d'un ecclésiastique dans le bureau d'administration et dans le conseil de perfectionnement, est celle qui a été le plus combattue. C'est, pour ce qui me concerne, celle à laquelle j'aurais le moins songé à m'opposer, car cette question je la regardais en réalité comme à peu près résolue. J'avais la conviction, en effet, que depuis longtemps l'administration précédente avait dû regarder cette mesure comme le moyen par lequel on pourrait amener un jour le concours du clergé.

Je ne dis pas que ce fût l'opinion personnelle de M. Frère, je n'en sais rien.

Je ne dis pas non plus que personne eût déterminé d'une manière précise comment serait réglée cette admission, mais j'étais persuadé qu'au fond elle était dans les vues de l'administration du 12 août ; pour le prouver je n'invoquerai pas un genre de preuve qui ne peut convenablement figurer dans cette discussion.

Je me bornerai à citer des faits connus et officiels. Je sais bien que le cabinet du 12 août s'est opposé à la proposition, faite par un membre de la droite, d'insérer dans la loi sur l'enseignement moyen la clause qu'un ecclésiastique ferait partie du conseil de perfectionnement et des bureaux administratifs, mais je crois que peu après la publication de la loi, cette administration, lorsqu'elle a rencontré des difficultés pour obtenir le concours du clergé, a de très bonne heure regardé comme un moyen de conciliation devant lequel elle ne reculait pas, l'admission d'un ecclésiastique dans ces corps administratifs.

Lorsqu'il s'est agi d'organiser les athénées, il fallait une commission pour rédiger les règlements. D'après la loi, cette tâche incombait au conseil de perfectionnement. L'administration ne nomma pas ce conseil de perfectionnement, elle forma ce qu'elle appela elle-même un conseil préparatoire ; et pourquoi ne nomma-t-on pas le conseil définitif ? Parce que l'arrangement avec le clergé n'était pas fait, et qu'on voulait se réserver le moyen de placer dans le conseil un représentant du clergé si cela pouvait faciliter son concours.

Après quelques mois, l'organisation des athénées fut terminée, et il fallut bien procéder à la nomination du conseil définitif de perfectionnement ; la loi limite le nombre des membres à dix. Pourquoi n'en nomma-t-on jamais plus de neuf ? Evidemment pour avoir, lorsque le temps serait venu, une place à offrir à un membre du clergé.

Messieurs, j'ai regardé la convention d'Anvers comme une solution acceptable, modérée, d'une difficulté qui suspendait l'exécution d'une disposition législative importante ; j'y ai vu certains avantages mêlés de quelques inconvénients ; j'y ai vu le moyen de mettre fin à cette hostilité passionnée contre les établissements de l'Etat, qui sans doute ne les empêcherait pas de prospérer, mais sans laquelle ils prendraient de beaucoup plus grands développements encore. J'y ai vu l'avantage de délivrer plus d'un père et surtout plus d'une mère de famille de chagrins ou de tracasseries.

Il y avait de plus, dans la convention d'Anvers, un résultat d'une nature plus générale. Ni le ministère du 12 août, ni ses successeurs n'avaient réussi, malgré beaucoup de tentatives, à faire un arrangement général avec tous les évêques. Pourquoi cet arrangement général avait-il échoué ?'et pourquoi l'arrangement partiel d'Anvers a t-il fini par obtenir l'assentiment de tous les évêques ? Car, si je ne me trompe, au mois de février dernier, tous y ont adhéré. Quelle est la raison de cette différence ?

Lorsque le gouvernement traitait d'une convention générale, il traitait avec un corps. Or, les membres de ce corps sont indépendants les uns des autres ; par conséquent, il ne prend de décision qu'à l'unanimité ; le gouvernement, pour se mettre d'accord avec lui, devait donc satisfaire non pas la majorité, mais tout le monde, et par conséquent subir la loi des plus exigeants ; au contraire, du moment où l'on a avisé à un arrangement particulier, la position du gouvernement s'est trouvée complètement changée ; il a pu choisir en quelque sorte ceux des membres du corps avec lesquels il traiterait les premiers ; naturellement il s'est adressé aux plus modérés ; et ceux-ci ont pu agir dans leur indépendance et faire abstraction d'exigences qu'ils ne partageaient pas.

Il est arrivé de là que ceux qui mettaient obstacle à un arrangement général se sont vus dans la perspective de rester séparés de leurs collègues et dans un isolement qui ôtait toute force morale à leur opposition.

La loi qu'ils faisaient aux autres, ils ont dû la subir à leur tour et ont fini, moyennant certaines concessions, par adhérer à la convention d'Anvers qui allait s'exécuter sans eux.

Sous ce rapport, la convention d'Anvers est le contre-pied de la pétition adressée au Sénat. Cette dernière faisait entrer le clergé dans une voie extrême et toute nouvelle. C'élail le triomphe des plus exigeants ; la convention d'Anvers rend, au contraire, la prédominance aux plus modérés.

Messieurs, quand, dans la région dont il s'agit, des idées modérées font effort pour prédominer et qu'elles ont des difficultés à vaincre, il est du devoir du gouvernement, il est du devoir des Chambres, de celui surtout des représentants de l'opinion libérale, de ne pas perdre l'occasion de leur venir en aide. Sous ce rapport, messieurs, la convention d'Anvers peut être considérée comme un grand avantage pour notre opinion, bien loin d'être un échec pour elle.

Messieurs, il y a des diocèses où la convention à laquelle tous les évêques ont adhéré tarde à être mise à exécution par eux. Cet état de choses durera peut-être encore assez longtemps. Pourquoi ? C'est que d'un côté comme de l'autre cette transaction n'a pas satisfait tout le monde.

On a adhéré, mais tout le monde ne l'a pas fait peut-être de très bonne grâce. S'il y a des conseils communaux auxquels la convention déplaît, il y a aussi des chefs diocésains qui pourraient bien n'être pas très pressés de l'exécuter et ils trouveront des motifs locaux pour prolonger ce retard. De notre côté, les mécontentements sont bruyants, ils éclatent en articles de journaux et en brochures ; du côté opposé ils sont plus circonspects et plus réservés, mais peut-être n'en existent-ils pas moins.

Messieurs, je voterai contre l'amendement proposé par l'honorable M. Frère. Cet amendement est rédigé en termes un peu vagues ; cependant l'honorable membre est trop franc pour vouloir nous faire voter sur une phrase équivoque, et je crois être d'accord avec lui en disant que cet amendement est un blâme...

M. Frère-Orban. - Pas du tout !

M. Devaux. - L'honorable M. Frère ne peut pas, hier et aujourd'hui, s'être élevé avec tant de vivacité contre tout ce qui s'est fait à Anvers et depuis, sans avoir voulu faire passer sa désapprobation dans son amendement ; son amendement ne peut être que le résumé et la sanction de l'opinion qu'il a développée dans deux séances consécutives.

J'ai le droit de dire que l'amendement ne signifierait rien s'il n'était le blâme de ce qui a été fait. Si ce n'est pas un blâme, si la convention n'est pas jugée par l'amendement, si le ministère n'y est pas blâmé, je ne sais plus quel sens ni quel but il peut avoir.

(page 173) La clôture ! la clôture !

M. Frère-Orban. - Messieurs, j'ai demandé la parole pour un fait personnel.

On a attribué à l'amendement que j'ai eu l'honneur de proposer l'intention de vouloir infliger un blâme à mes collègues, de frapper d'un blâme le vote du 14 février. Cela peut être habile comme tactique parlementaire. Mais je proteste contre une pareille interprétation ; j'en appelle à la discussion ; hier j'ai eu l'honneur de dire que ceux qui avaient voté au 14 février avaient des raisons puissantes pour modifier leur opinion ; j'ai dit... (Interruption.)

- Plusieurs voix. - Ce n'est plus le fait personnel ; aux voix ! aux voix !

M. Frère-Orban. - C'est le fait personnel ; j'ai dit qu'on n'avait pas annoncé à la Chambre, le 14 février, que l'autorité civile devait s'engager à proscrire de l'école l'enseignement religieux des dissidents ; j'ai dit que l'on n'avait pas notifié à la Chambre cette tésolution du clergé d'interdire au pouvoir civil d'inscrire dans ses règlements que la volonté du père de famille serait respectée. Le troisième point que j'ai signalé c'est l'exécution même de la convention... (Interruption.)

- Plusieurs voix. - Ce n'est plus le fait personnel ; aux voix ! aux voix !

M. Frère-Orban. - Ah ! vous m'écouterez ! (Interruption.) J'ai le droit de parler pour un fait personnel ; on ne m'arrêtera pas. (Interruption.)

M. le président. - M. Frère a le droit de parler pour expliquer le sens de son amendement en peu de mots.

M. Frère-Orban. - Je n'ai qu'un dernier mot à ajouter, c'est que dans l'exécution pour le fait relatif au professeur de l'Athénée de Bruxelles, le pouvoir avait manqué de dignité, et j'ai sur ce point l'assentiment de M. Delfosse. Voilà ce que blâme mon amendement.

(page 158) M. Delfosse. - Je demande la parole sur le fait personnel.

M. le président. - Je n'ai rien entendu dans ce qui vient d'être dit qui puisse motiver une demande de parole pour un fait personnel.

M. Delfosse. - Je vous demande pardon M. le président, c'est moi qui ai dit que je voyais dans l'amendement proposé un blâme pour le vote du 14 février, c'est à cela que l'honorable M. Frère vient de répondre.

Il a été loin de ma pensée, de supposer qu'il entrait dans les intentions de l'honorable membre de blâmer le vote de ses collègues, mais j'ai vu et dû voir dans l'amendement, tel qu'il a été développé, le blâme implicite de ce vote.

- Un grand nombre de voix. - La clôture ! la clôture !

M. Lelièvre. - Je demande la parole contre la clôture. (Interruption.)

Je demande à faire quelques observations pour motiver mon vote.

- Un grand nombre de voix. - Non ! non ! la clôture ! Il faut en finir.

- La clôture est mise aux voix et prononcée.

M. le président. - Je mets aux voix l'amendement de M. Frère-Orban. Il est ainsi conçu :

« Parmi les intérêts sociaux du premier ordre doit être rangée, de l'aveu de tous, l'instruction publique. Maintenir scrupuleusement, en cette matière, les droits et les attributions des conseils communaux, consacrer les principes constitutionnels qui garantissent la liberté de conscience, c'est donner aux lois qui régissent l'enseignement public une exécution conforme à l'esprit de nos institutions et de nos lois organiques. »

- Plusieurs membres. - L'appel nominal ! l'appel nominal !

- Il est procédé à cette opération. En voici le résultat :

96 membres répondent à l'appel.

93 ont pris part au vote.

81 ont répondu non.

12 ont répondu oui.

3 se sont abstenus.

En conséquence, l'amendement n'est pas adopté.

Ont répondu non : MM. de Brouwer de Hogendorp, Dechamps, de Decker, de Haerne, de La Coste, Delehaye, Delfosse, de Liedekerke, Deliége, Dellafaille, de Man d'Attenrode, de Mérode (F.), de Mérode-Weslerloo, de Moor, de Muelenaerc, de Naeyer, de Perceval de Pitteurs, de Portemont, de Renesse, de Royer, de Ruddere de Te Lokeren, de Sécus, Desmaisières, de Steenhault, de Theux, de T'Serclaes, Devaux, de Wouters, Dumon, Dumortier, Faignart, Janssens, Jouret, Landeloos, Lange, Laubry, le Bailly de Tilleghem, Lebeau, Le Hon, Lelièvre, Maertens, Malou, Manilius, Mascart, Matthieu, Moreau, Osy, Pirmez, Rodenbach, Rousselle, Sinave, Tack, Thibaut,Thienpont, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, Van Cromphaut, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom, Vander Donckt, Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Overloop, Van Remoortere, Van Renynghe, Vermeire, Vervoort, Veydt, Visart, (page 159) Wasseige, Ansiau, Boulez, Brixhe, Calmeyn, Coomans, Coppieters 't Wallant, de Baillet-Latour, de Breyne, de Brouckere et Vilain XIIII.

Ont répondu oui : MM. Frère-Orban, Goblet, Lejeune, Lesoinne, Prévinaire, Thiéfry, Verhaegen, Allard, Anspach, Closset, David et de Bronckart.

M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont priés de faire connaître les motifs de leur abstention.

M. Orts. - L'amendement de l'honorable M. Frère m'a paru contenir dans ses termes une signification plus rassurante pour mon opinion personnelle sur la question, que la rédaction de l'adresse, après les explications de l'honorable rapporteur. Je ne pouvais le repousser, et j'aurais pu le voter sans commentaires, sans explications. Mais je n'ai pu le voter, parce qu'il m'a paru impliquer la rétractation d'un vote, dont je maintiens toute la responsabilité.

M. Pierre. - Je n'ai pas voulu admettre l'amendement ; j'aurai craint d'affaiblir ou de modifier la portée de mon vote sur l'ordre du jour du 14 février dernier.

Je n'ai pas voulu rejeter l'amendement ; je tiens, autant que son honorable auteur, à ne pouvoir même être soupçonné de m'associer à la moindre atteinte portée aux droits et aux attributions des conseils communaux, non plus qu'aux principes constitutionnels garantissant la liberté de conscience.

M. Tesch. - Je n'ai pas voté l'amendement, parce qu'il implique contradiction avec mon vote sur la convention d'Anvers. Je n'ai pas voté contre, parce que je ne tiens pas moins que son honorable auteur au maintien scrupuleux des droits et des attributions des conseils communaux et des principes constitutionnels qui garantissent la liberté de conscience.

- Le troisième paragraphe du projet d'adresse est mis aux voix par appel nominal. Voici le résultat du vote :

97 membres sont présents.

2 (MM. Orts et Tesch) s'abstiennent.

95 prennent part au vote.

83 votent pour.

12 votent contre.

La Chambre adopte.

Ont voté pour : MM. de Brouwer de Hogendorp, Deehamps, de Decker, de Haerne, de La Coste, Delehaye, Delfosse, de Liedekerke, Deliége, Dellafaille, de Man d'Attenrode, F. de Mérode, de Mérode-Westerloo, de Moor, de Muelenaere, de Naeyer, de Perceval, de Pitteurs, de Portemont, de Renesse, de Royer, de Ruddere de Te Lokeren, de Sécus, Desmaisières, de Steenhault, de Theux, de T'Serclaes, Devaux, de Wouters, Dumon, Dumortier, Faignart, Janssens, Jouret, Landeloos, Lange, Laubry, le Baillly de Tilleghem, Lebeau, Le Hon, Lelièvre, Maertens, Malou, Manilius, Mascart, Matthieu, Moreau, Osy, Pierre, Pirmez, Rodenbach, Rousselle, Sinave, Tack, Thibaut, Thienpont, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, Van Cromphaut, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom, Vander Donckt, Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Overloop, Van Remoortere, Van Renynghe, Vermeire, Vervoort, Veydt, Visart, Wasseige, Ansiau, Boulez, Brixhe, Calmeyn, Coomans, Coppieters 't Wallant, de Baillet-Latour, de Breyne, de Brouckere et Vilain XIIII.

Ont voté contre : MM. Frère-Orban, Goblet, Lejeune, Lesoinne, Prévinaire, Thiéfry, Verhaegen, Allard, Anspach, Closset, David et de Bronckart.

M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont invités à faire connaître les motifs de leur abstention.

M. Orts. - Messieurs, j'aurais voté le paragraphe de l'adresse si l'honorable rapporteur avait donné aux mots « l’esprit de nos institutions » le sens qu'ils me paraissaient comporter, surtout après le discours de l'honorable ministre des affaires étrangères dans la séance d'avant-hier. Mais comme les explications de l'honorable rapporteur ont réduit la valeur de ces paroles à une insignifiance complète, au point de vue des garanties que j'espérais y rencontrer, je me suis abstenu.

M. Tesch. - Je me suis abstenu par les mêmes motifs que j'ai donnés tout à l'heure.

Paragraphe 4

« La question du jury d'examen pour l'enseignement supérieur sera examinée par nous avec l'intention d'y donner une solution qui favorise les hautes études et qui garantisse l'une de nos plus précieuses libertés constitutionnelles. »

- Adopté.

Paragraphe 5

« A côté des besoins intellectuels du pays, il est, de nos jours surtout, des besoins matériels qu'il est urgent d'étudier et de satisfaire. Nos populations, si laborieuses et si morales, souffrent par suite du prix élevé de toutes les denrées alimentaires. Nous ne savons s'il est en notre pouvoir de remédier efficacement à un état de choses qui éveille, à bon droit, notre plus vive sollicitude. Ce que nous pouvons affirmer, c'est que toutes nos décisions en cette matière délicate et difficile nous seront inspirées par la seule pensée du bien public ; car il y a dans le cœur de tous les représentants de la nation, comme dans le cœur de Votre Majesté, une même sympathie pour les souffrances de nos concitoyens, un même désir de les soulager. »

M. Dumortier. - Par suite du vote qui a eu lieu tout à l'heure, l'amendement que j'avais présenté avec l’honorable M. Rodenbach devient sans objet ; nous le retirons.

- Le paragraphe 5 est adopté.

Paragraphe 5bis

M. le président. M. de Perceval a proposé un paragraphe 5 bis, ainsi conçu :

« Nous exprimons à Votre Majesté, le sentiment pénible que le pays a éprouvé des atteintes portées à l'hospitalité, qui fut, de tout temps, proclamée dans nos lois et consacrée par nos mœurs. »

- Ce paragraphe est mis aux voix, il n'est pas adapté.

Paragraphes 6 à 12

« Les lettres, les sciences et les arts continuent de jeter sur le nom belge leur éclat historique. L’exposition de 1854 est venue prouver, une fois de plus, que notre école est restée fidèle aux glorieuses traditions de son passé. »

- Adopté.


« L'agriculture et l'industrie, par leurs progrès constants, nous conservent une place honorable parmi les peuples producteurs et ouvrent de nouvelles voies à nos exportations. Aussi, nos relations commerciales s'étendent-elles dans une proportion remarquable. Le traité, conclu avec le Mexique, ainsi que la convention artistique et littéraire avec la Grande-Bretagne, seconderont ce mouvement ascendant de notre commerce extérieur. »

- Adopté.


« Nous examinerons avec l'attention convenable les propositions de votre gouvernement relatives à l'organisation judiciaire, à l'institution du notariat et à la réforme du Code pénal. »

- Adopté.


« Par l'augmentation progressive de ses produits, par l'extension de ses bienfaits à toutes les parties du pays, grâce à l'activité persévérante des compagnies concessionnaires, notre réseau de chemins de fer réalise les espérances que son établissement avait fait concevoir, et acquiert de plus en plus le caractère d'une institution nationale. »

-Adopté.


« Le peuple belge a appris avec bonheur que la prospérité de la plupart des branches du revenu public dispensera votre gouvernement de recourir à un nouvel impôt. »

- Adopté.


« La Chambre attendra, pour les apprécier, le compte spécial des opérations concernant la conclusion du dernier emprunt et la démonétisation de l'or. »

- Adopté.


« En présence d'événements qui révèlent l'importance du rôle rempli par les forces militaires des nations, nous aimons à voir notre armée se distinguer par son instruction comme par sa discipline, et rivaliser de patriotiques sentiments avec la garde civique pour justifier la confiance du pays. »

- Adopté.

Paragraphe 13

« Sire, le langage descendu du trône est de nature à rassurer pleinement les esprits ; toutefois, chacun de nous comprend la gravité delà situation que les circonstances actuelles font à la Belgique. Aussi, nous associant au dévouement éclairé de Votre Majesté aux intérêts de notre belle patrie, nous saurons remplir les devoirs particuliers que ces circonstances nous imposent. Nous assurons à votre gouvernement ce loyal concours que vous réclamez de notre patriotisme, et sans lequel le pouvoir ne saurait, au milieu des embarras et des difficultés du moment, accomplir dignement sa haute mission d'ordre et de paix. »

M. Delfosse. - Messieurs, je voterai pour ce paragraphe, mais j'entends par là uniquement déclarer qu'il ne convient pas de renverser le ministère dans le moment difficile où nous sommes, et je me réserve toute ma liberté d'action pour l'examen des projets que le ministère présentera.

M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - Cela va de soi.

M. Delfosse. - Je préférerais certainement au ministère actuel un ministère parlementaire. Mais dans l'état actuel des Chambres il serait très difficile de former un tel ministère, pouvant compter sur une majorité suffisante ; la marche de ce ministère serait embarrassée par toutes sortes d'obstacles auxquels il ne pourrait échapper que par une dissolution. Et cette mesure, outre qu'elle pourrait ramener la même situation parlementaire, me paraîtrait peu opportune.

M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - Je ne répondrai qu'un seul mot en mon nom et au nom de mes collègues : c'est que nous sommes parfaitement d'accord pour désirer avec M. Delfosse l'avènement d'un ministère parlementaire.

M. de Decker, rapporteur. - L'honorable président de la Chambre vient de faire une réserve qui est dans la pensée de tout le monde. Chacun se réserve d'examiner les projets que le ministère nous présentera et conserve sa complète liberté d'action.

M. Orts. - Je demande la parole, non pour faire un discours, soyez-en bien persuadés, mais pour poser au gouvernement deux questions d'où dépend mon vote sur l'adresse. Je demande une réponse par oui ou par non sur ces deux questions.

M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - Par oui ou par non ?

M. Orts. - Une réponse par oui ou par non me suffira, mais je n'entends pas empêcher M. le ministre de répondre autrement que je le demande.

(page 160) Je demande au cabinet s'il entre dans ses intentions d'accélérer autant que possible le moment de la discussion du projet de loi sur la charité, de manière à permettre qu'il soit voté dans cette session. Je demande en second lieu si le ministère attache son existence à l'adoption de ce projet.

M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - Messieurs, le ministère l'a déclaré dès l'ouverture de cette discussion, il aime les positions nettes. C'est parce que nous aimons les positions nettes que nous entendons ne pas compliquer celle qui nous est faite aujourd'hui. Je ne répondrai donc pas en ce moment à la deuxième question de l'honorable M. Orts, car si je répondais oui, on trouverait le moyen d'ôter toute valeur au vote que vous allez émettre sur l'adresse ; j'entends, au contraire, que ce vote ait une valeur indépendante de toute autre question.

Quant à ce qui regarde la première question, j'ai déjà répondu et je déclare de nouveau que le ministère secondera de tout son pouvoir les efforts que feront les membres de la Chambre qui désirent que la loi soit promptement mise à l'ordre du jour. J'ajoute bien vite que du moment où elle sera mise en discussion, le gouvernement s'expliquera sur le point de savoir jusqu'à quel point il attache son existence à l'adoption du projet.

Quant à aujourd'hui, je motive mon silence uniquement sur la nécessité que le vote qui va être émis sur l'adresse soit un vote que nous puissions comprendre ; or nous ne le comprendrions pas s'il était compliqué de la question du projet de loi sur la charité.

M. Frère-Orban. - Le cabinet désire les positions nettes, franches, catégoriques. On lui demande, sur un projet de loi qui lui appartient, qu'il a déposé : Maintiendrez-vous vos principes ? Et le ministère dit : Je ne réponds pas. En effet, la position deviendrait nette si l'on répondait. Si l'on répondait, le concours ferait défaut à droite, et si l'on ne répond pas, il est difficile que le concours soit à gauche, à moins qu'il n'y existe à l'état qui vient d'être indiqué par l'honorable M. Delfosse.

- Le dernier paragraphe est mis aux voix et adopté.

Second vote des paragraphes et vote sur l’ensemble du projet

Le changement de rédaction qui a été introduit dans le deuxième paragraphe est mis aux voix et définitivement adopté.

Il est procédé au vote, par appel nominal, sur l'ensemble du projet qui est adopté par 81 voix contre 11.

Ont vote l'adoption : MM. de Brouwer de Hogendorp, de Decker, de Haerne, de La Coste, Delehaye, de Liedekerke, Deliege, Dellafaille, F. de Mérode, de Mérode- Werterloo, de Moor, de Muelenaere, de Naeyer, de Pitteurs, de Portemont, de Renesse, de Royer, de Ruddere de Te Lokeren, de Secus, Desmaisières, de Steenhault, de Theux, de t'Serclaes, Devaux, de Wouters, Dubus, Dumon, Faignart, Janssens, Jouret, Landeloos, Lange, Laubry, le Bailly de Tilleghem, Lebeau, Le Hon, Lelievre, Maertens, Malou, Manilius, Matthieu, Moreau, Osy, Pierre, Pirmez, Rodenbach, Rousselle, Sinave, Tack, Thibaut, Thienpont, T'Kint de Naeyer, Tremouroux. Van Cromphaut, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom, Vander Donckt, Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Iseghem,. Van Overloop, Van Remoortere, Van Renynghe, Vermeire, Vervoort, Veydt, Vilain XIIII, Visart, Wasseige, Allard, Ansiau, Anspach, Boulez, Brixhe, Calmeyn, Closset, Coppieters't Wallant, de Baillet-Latour, de Breyne et Delfosse.

Ont vote le rejet : MM. de Perceval, Frère-Orban, Goblet, Lejeune, Lesoinne, Orts, Previnaire, Thiéfry, Verhaegen, David et de Bronckart.

Nomination de la délégation au roi

Tirage au sort de la députation chargée, avec M. le président, de présenter l’adresse au Roi.

Le sort désigne : MM. Malou, Van Iseghem, de Decker, de Baillet-Latour, de Moor, Coomans, Orts, Pierre, Osy, dc Naeyer, de Sécus.

- La séance est levée à 4 1/2 heures.