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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 13 février 1856

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1855-1856)

(Présidence de M. Delehaye.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 577) M. Ansiau fait l'appel nominal à 1 heure et un quart.

M. Maertens donne lecture du procès-verbal de la dernière séance, dont la rédaction est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Ansiau présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre : « Les régents et instituteurs de l'école moyenne de Quiévrain demandent qu'ils soient assimilés aux autres professeurs des écoles moyenues dans la répartition du subside voté en faveur des employés inférieurs de l'Etat. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Clermont prie la Chambre de ne point aborder la discussion du rapport sur la proposition relative aux octrois communaux avant que l'opinion publique ait pu se manifester à ce sujet. »

- Même renvoi.


« Le sieur Charles-Joseph Pennequin, industriel à Ixelles, né à Lille (France), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Le sieur Lagae, notaire à Heule, demande l'abolition des classes des notaires. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

« Des habitants de Roux demandent qu'on fasse suspendre le travail dans les fabriques de produits chimiques afin de s'assurer si c'est à l'influence des gaz qui émanent de ces établissements qu'il faut attribuer la maladie dont les légumes et les arbres fruitiers qui les environnent sont atteints. »

- Même renvoi.


M. Lelièvre. - A l'occasion de cette pétition, je demande que le gouvernement veuille prendre de suite des mesures relatives aux établissements de produits chimiques, mesures attendues depuis longtemps.

« Un grand nombre d'habitants de Grammont demandent l'exécution du chemin de fer projeté de Saint-Ghislain à Gand et Terneuzen par Grammont et Sottegem avec un embranchement sur Enghien et Braine-le-Comte. »

M. de Portemont. - Comme cette pétition a un certain rapport avec un projet qui a été déposé à la séance d'hier, je demande qu'elle soit renvoyée à la section centrale qui sera chargée d'examiner ce projet de loi.

- Cette proposition esi adoptée.


« Les membres du conseil communal de Hemptinne prient la Chambre d'accorder au sieur Delstanche la concession d'un chemin de fer de Luttre à Maestricht. »

- Même renvoi.


« La chambre de commerce et des fabriques d'Anvers prie la Chambre d'accorder aux sieurs Goddin, Riche et comp., la concession de la seconde ligne de chemin de fer vers le Rhin dont elle a demandé la création. »

- Même renvoi, avec demande d'un prompt rapport.

M. Osy. - Cette pétition se rapporte à une autre présentée précédemment et sur laquelle un rapport va être fait vendredi prochain, car elle est comprise dans le feuilleton.

Je demandé qu'elle soit renvoyée à la commission avec invitation de la comprendre, si c'est possible, dans le rapport qu'elle doit présenter vendredi.

- Cette proposition est adoptée.

« M. le ministre de la justice adresse les pièces relatives à deux demandes de naturalisation. »

- Renvoi à la commission.


« M. Vandenpeereboom demande un congé. »

- Accordé.

Vérification des pouvoirs

Arrondissement de Bruxelles

M. le ministre de l'intérieur adresse les procès-verbaux des opérations électorales qui ont eu lieu à Bruxelles, le 12 février, en remplacement de M. de Brouckere, démissionnaire.

Ils seront renvoyés à l'examen d'une commission de vérification.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du ministère des affaires étrangères

Rapport de la section centrale

M. Van Iseghem. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a été chargée d'examiner la demande de crédit supplémentaire de 11,250 fr. au budget des affaires étrangères.

- Ce rapport sera imprimé, distribué et mis à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi relatif aux frais de déplacement des conseillers provinciaux

Rapport de la section centrale

M. Vander Donckt. - J'ai l'honneur de déposer le rapport sur le projet de loi relatif aux frais de déplacement des conseillers provinciaux délégués en venu de l'article 21 de la loi du 8 mai 1850.

- Ce rapport sera imprimé, distribué et mis à la suite de l'ordre du jour.


Il est procédé, par voie de tirage au sort, à la composition de la commission de vérification de pouvoirs.

Les membres désignés par le sort sont : MM. F. de Mérode, Vander Donckt, Van Remoortere, Thiéfry, Moncheur, Coppieters, t’ Wallant, de Liedekerke.

Les procès-verbaux de l'élection de Bruxelles sont renvoyés à cette commission.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur de l’exercice 1856

Discussion du tableau des crédits

Chapitre XVI. Enseignement moyen

Discussion générale

M. Frère-Orban. - Messieurs, je ne comptais pas prendre la parole en ce moment. Je me proposais d'écouter la suite de cette discussion, et d'attendre que les pensées qui se sont fait jour hier eussent reçu un complet développement. Mais mon honorable ami M. Delfosse, qui avait annoncé l'intention de combattre les doctrines qui ont été émises dans notre dernière séance, témoignant le désir, à cause d'une indisposition dont il est atteint, de me voir prendre son tour de parole, je vais essayer de rencontrer les observations qui ont été présentées hier par l'honorable M. Dechamps.

S'il fallait en croire l'honorable membre, l'enseignement religieux ne pourrait avoir lieu dans les écoles qu'à la condition que l'enseignement tout entier prît un caractère dogmatique au point de vue d'un culte spécial.

Ce sont les conséquences directes et forcées de la thèse qu'il a soutenue. Ainsi posée, elle serait évidemment inconstitutionnelle. La Constitution proclame la liberté des cultes. La Constitution veut qu'il y ait un enseignement donné par l'Etat.

Que peut être l'enseignement donné par l'Etat en présence du principe absolu de la liberté des cultes ? Cet enseignement ne peut assurément ériger en système l'offense aux idées religieuses, l'attaque contre les cultes, contre les croyances, non pas les croyances de la majorité ou de la minorité, mais les croyances religieuses d'une manière générale.

Il n'y a pas de religion d'Etat, mais il n'y a pas non plus de religion de la majorité. En cette matière il ne peut être question ni de majorité ni de minorité. Le droit d'un seul, en principe, est aussi complet, aussi absolu, aussi étendu que les droits de tous, que les droits de la majorité. A proprement parler, messieurs, les principes déposés dans la Constitution, sous ce rapport, sont bien plutôt écrits pour la minorité que pour la majorité. La majorité n'a pas besoin d'être protégée, d'être défendue, elle se protège, elle se défend elle-même.

Mais la Constitution en consacrant certains principes comme des dogmes politiques, les a placés par cela même au-dessus des décisions des majorités.

Ils forment un rempart inexpugnable pour tous ceux, quel que soit leur nombre, qui veulent s'y retrancher.

Selon l’honorable membre, un enseignement circonscrit dans de telles limites reposerait sur des bases rationalistes. L'enseignement serait la négation de tous les cultes, ce serait, dit-il, l'indifférentisme qui présenterait les plus grands dangers.

Cette objection, si elle était fondée, remonterait à la Constitulion même ; mais quant à l'enseignement, elle repose sur cette idée erronée qu'il serait impossible de séparer l'instruction profane, l'instruction littéraire, d'un enseignement dogmatique.

Je sais que l'honorable M. Dechamps a toujours soutenu cette opinion. Il a fait à ce sujet de fort belles théories, et il a prétendu les appuyer aussi sur des preuves historiques. Mais il n'a pas réussi à nous convaincre et l'histoire de l'enseignement dans la plupart des pays n'a pas servi à confirmer ses affirmations.

En France, l'enseignement repose précisément sur les bases que nous venons d'indiquer. En France les écoles sont ouvertes aux élèves de tous les cultes ; et les représentants des divers cultes viennent, dans un conseil supérieur de l'instruction, régler, surveiller l'enseignement.

Que résulte-t-il de là ? Il est bien évident que les évêques catholiques mis en présence du rabbin ou du ministre protestant, ne peuvent pas réciproquement s'obliger l'un et l'autre à affirmer tour à tour leurs croyances respectives. Ils ne peuvent pas exiger que l'enseignement qui est un, qui s'applique à tout le mondé, affirme à la fois ces diverses croyances.

(page 578) Ce qu'on a voulu par la représentation de ces éléments religieux, c'est empêcher que l'enseignement ne devînt sectaire, que l'enseignement ne fût celui d'un culte au lieu d'être approprié à tous les cultes.

Voilà pour la France.

En Angleterre, la situation n'est pas celle non plus qui a été indiquée par l'honorable M. Dechamps. Il nous a dit, par exemple, que l’enseignement de la religion, suivant le culte professé par la majorité des habitants de la commune où l'école est établie, est écrit en tête du programme de l’enseignement primaire comme enseignement obligatoire dans toutes les législaiions connues. Il nous a affirmé qu'on avait admis dnns nos lois, quant à l'enseignement religieux, le système de l'Angleterre et des Etats-Unis.

Je comprends que, croyant ces faits exacts, l'honorable M. Dechamps en ait reçu une vive impression. C'est peut-être ce qui explique de sa part les erreurs de doctrine que nous lui reprochons. Mais sa bonne foi a été surprise ; il a été trompé sur l'état de la question en Angleterre et aux Etats-Unis.

Il y a en Angleterre, il est vrai, un enseignement destiné à un seul culte, c'est l’enseignement de l'église établie. L'église établie a ses écoles et les universités d'Oxford et de Cambridge sont exclusivement anglicanes.

Mais on a voulu se soustraire à cette véritable tyrannie qu'exerçait sur les consciences l'église anglicane et contre laquelle protestaient et les dissidents et les catholiques, et ces illustres anglicans qui se sont constitués les défenseurs des libertés religieuses. Quoique membres de l'église établie, ils n'admettaient pas cette domination exclusive des idées religieuses d'un seul culte dans l'enseignement.

Et comment, messieurs, a-t-on réussi à se soustraire à cette situation ? Ou a constitué, en dehors de l'influence de l'église anglicane, une grande société sous le titre de société britannique et étrangère des écoles ; on a établi l'université de Londres. La société britannique des écoles fait reposer tout son système sur l'absence d'enseignement dogmatique dans l'école. L'enseignement est dans son ensemble moral et religieux, sans être celui d'aucune secte particulière ; mais il n'est agressif pour aucune croyance, il n'est hostile à aucun dogme ; et ces écoles accessibles aux élèves de tous les cultes différents sont très répandues en Angleterre.

Elles sont fondées sur un principe qui prévaudra dans la législation anglaise le jour où un enseignement national sera complètement organisé. On sait que c'est le but qui a été poursuivi et par le marquis de Lansdowne et par lord John Russell avec tous les libéraux anglais. On fait en ce moment un pas de plus dans cette voie en constituant un ministère de l'instruction publique. Quoi qu'il en soit, c'est une erreur de prétendre que la législation anglaise prescrive, même pour l'enseignement primaire, un enseignement religieux dogmatique. Les subsides sont distribués par le gouvernement anglais pour l'enseignement, et ils sont alloués sans distinction et à l'église anglicane et aux écoles que je vieni de citer.

M. Dechamps. - Et aux catholiques.

M. Frère-Orban. - Si des catholiques ont des écoles établies, ils ne sont pas exclus assurément. Ce n'est pas la pensée de ceux qui défendent les libertés religieuses d'exclure les catholiques parce qu'ils sont catholiques.

L'université de Londres est fondée sur ce même principe.

A cette université sont annexés des collèges ; ils sont dirigés soit par des ministres des diiférents cultes protestants, soit par des ministres du culte catholique.

Ainsi, M. le cardinal Wiseman présidait un collège annexé à l'Université de Londres ; les élèves y étaient conduits et recevaient un enseignement qui, respectant toutes les croyances, n'était pas de nature à froisser les consciences.

M. de Haerne. - C'est l'école d'Oscott, qui est entièrement catholique.

M. Frère-Orban. - Je parle de l'université de Londres. Les élèves du collège dirigé par M. le cardinal Wiseman y font leurs études.

Mais pour mieux prouver les erreurs de l'honorable M. Dechamps, je reviens à l'enseignement primaire.

En Irlande le gouvernement anglais, cette fois, a organisé lui-même un système complet d'enseignement. Depuis la réforme et l'abolition des restrictions contre les catholiques, on a cherché à établir sur de larges bases l'enseignement populaire. Quel est le principe qu'on a fait dominer ? C'est le principe d'écoles dans lesquelles il n'y a point d'enseignement dogmatique.

L'archevêque catholique s'est uni à l'archevêque protestant et ils sont tombés d'accord sur une série de livres applicables à l'enseignement populaire et qui n'offensaient aucune croyance.

- Divers membres à droite. - Cela a été condamné à Rome.

M. Rodenbach. - L'archevêque a été censuré à Rome.

M. Frère-Orban. - Cela a été, dites-vous, censuré à Rome. C'est ce que nous allons voir. Il y a eu, en effet, de très vives réclamations de la part, non seulement d'une partie de clergé catholique, mais encore d'une partie du clergé anglican. Et ils faisaient valoir, en somme, les raisons qui ont été données par l'honorable M. Dechamps.

Il y a eu une longue enquête, ua examen poursuivi pendant plusieurs années et enfin la question a été soumise à la congrégation de la propagande à Rome. Qu'a décidé la congrégation de la propagande ? A-t-elle, comme on vient de nous le dfre, a-t-elle proscrit, condamné ces écoles ? En aucune manière.

Il est intervenu une décision du 16 janvier 1841 approuvée par le pape Grégoire XVI et qui, vous allez vous en convaincre, a permis à ces écoles de subsister.

« Lettre de la congrégation de la Propagande aux archevêques d'Irlande.

« Votre Grandeur connaît si bien la gravité de la question agitée en Irlande au sujet du nouveau système, appelé national, d'instruction publique, qu'elle ne pourra être surprise que la réponse de la sacrée congrégation de la Propagande ait été différée si longtemps. Car Votre Grandeur a une connaissance parfaite de l'affaire, et elle n'ignore aucun des graves intérêts qui ont donné lieu à cette controverse et qui ont demandé une très longue délibération.

« En effet, la sacrée congrégation, en examinant longtemps et à fond, d'après le devoir de son institution, la question proposée n'a pu que s'inquiéter par différentes considérations. D'abord l'obligation de défendre la religion catholique, l'importance de l'éducation de la jeunesse, ensuite le sentiment de la reconnaissance envers le parlement de l'empire britannique qui a accordé une somme considérable aux écoles populaires d'Irlande, la nécessité de maintenir la concorde entre les évêques catholiques, celle de conserver la tranquillité publique, la crainte enfin de voir peut-être tout l'argent et toute l'autorité devenir la proie d'instituteurs hétérodoxes : tels sont les points qui ont dû exciter la sollicitude de la congrégation.

« Après avoir donc mûrement pesé les dangers et les avantages du système, après avoir entendu les raisons des partis qui sont en discussion et prenant surtout en considération qu'il conste heureusement par une expérience de dix ans, que la religion catholique ne paraît pas avoir souffert de l'application de ce système, la sacrée congrégation, d'après l’approbation de notre saint-Père le pape Grégoire XVI, a jugé qu'il ne fallait pas prononcer définitivement sur cette affaire, et elle a cru devoir abandonner ce système d'enseignement à la sagesse et à la conscience de chaque évêque, attendu que le succès dépend nécessairement de la vigilance des pasteurs, des différentes précautions à prendre et qu'il faut laisser parler l'expérience pendant un long espace de temps. Toutefois, pour ne pas abandonner sans prévoyance et sans quelques conseils adaptés à la matière un objet de celle importance, la sacrée congrégation a jugé devoir proposer les avis suivants :

« Savoir 1° que tous les livres contenant quelque chose de contraire soit à la règle ou à la pureté des saintes écritures, soit à la doctrine de l'Eglise ou aux mœurs, doivent être éloignés des écoles. Chose qui pourra se faire d'autant plus facilement qu'aucune disposition du nouveau système ne s'y oppose.

« 2° Qu'il faut employer les moyens nécessaires pour que le précepteur normal des instituteurs catholiques, dans les classes de religion, de morale et d'histoire, soit lui-même catholique ou qu'il n'y en ait point. Car il ne convient point qu'un catholique apprenne d'une catholique la méthode d'enseigner la religion.

« 3° Qu'il est beaucoup plus sûr de faire simplement enseigner les lettres humaines dans les écoles mixtes, que d'y faire donner en même temps, d'une manière restreinte, ce qu'on appelle les articles fondamentaux et communs de la religion chrétienne, en réservant une instruction particulière et séparée à chaque secte. Une semblable manière d'agir avec les enfants paraît très dangereuse.

« 4° Qu'en général les évêques et les pasteurs doivent veiller à ce que, dans ce système d'instruction nationale, les enfants catholiques ne contractent de souillure par quelque cause que ce soit ; que c'est aussi à eux d'employer tous les moyens pour obtenir du pouvoir souverain un ordre de choses meilleur et des conditions plus favorables.

« La sacrée congrégation pense aussi qu'il serait très utile que les évêques et les curés disposassent des édifices, des écoles et en eussent la propriété. Elle croit aussi que les évêques feraient bien de conférer souvent ensemble sur cette importante affaire dans les synodes provinciaux, et qu'ils retireraient de grands avantages de ces conférences. Que si les résultats n'étaient pas satisfaisants, il faudra que le saint-siége en soit instruit exactement, afin qu'il y remédie aussitôt lui-même.

« Enfin la sainte congrégation désire que les évêques et les autres ecclésiastiques s'abstiennent désormais de toute discussion sur cette matière dans les journaux et autres écrits de ce genre, de peur que l'honneur de la religion, la réputation mutuelle et la charité chrétienne ne soient blessées au grand scandale du peuple.

« Tels sont les points que j'avais à soumettre à Votre Grandeur, an nom de la sacrée congrégation, pour que vous les communiquiez ensuite à vos évêques suffragants, etc.

« Ces avis sont tels, Votre Grandeur le comprendra facilement aussi, qu'il faut convenir que, si on les observe avec soin dans une affaire de cette importance, les intérêts de la religion, de la tranquillité publique et de la jeunesse se trouveront, en attendant, suffisamment garantis. »

Ainsi, comme vous le voyez, on n'a pas rejeté avec effroi ces écoles dans lesquelles il n'existe aucun enseignement religieux dogmatique, et où sont instruits des élèves de différents cultes ; on a été loin de (page 579) proscrire, de condamner ces écoles, ce qui prouve qu'elles ne sont pas incompatibles avec les principes catholiques, et elles sont encore aujourd'hui en pleine vigueur en Irlande.

L'honorable M. Dechamps soutiendra-t-il encore que l’enseignement religieux obligatoire est inscrit dans toutes les législations connues ?

On a dit, il est vrai, que, par une décision postérieure, ces écoles avaient été condamnées, à Rome ; on l'a répété si souvent que j'avais moi-même fini par le croire ; mais j'avoue qu'après des recherches minutieuses, il m'a été impossible de trouver une décision contraire à celle que je viens de rappeler.

Il y a eu une résolution du pape, mais elle est relative, je pense, aux universités que le gouvernement a essayé d'établir en Irlande, ainsi qu'aux collèges qui y sont annexés. D'ailleurs, en principe, au point, de vue de nos adversaires, il n'y aurait rien à en induire contre ce qui a été maintenu par Grégoire XVI, ou ce qu'il a pensé, après une expérience de dix ans, ne pas devoir censurer. C'est une autorité que vous ne pouvez pas récuser.

Je rappelais tout à l'heure que l'honorable M. Dechamps a aussi appelé à son aide les Etats-Unis. Eh bien, aux Etats-Unis, le système adopté universellement, le système organisé par les Etats, et partout aux Etats-Unis, l'enseignement est organisé par l'Etat, ce système repose précisément sur le même principe : pas d'enseignement dogmatique religieux dans l'école ; il n'y a rien qui ressemble, dans ce pays, à ce que l'honorable M. Dechamps a cru y découvrir.

La question a été souvent agitée et toujours résolue dans le sens de la neutralité quant aux croyances religieuses.

Et ceux qui ont visité les Etats-Unis ont-ils aperçu dans le peuple les traces du rationalisme, du philosophismc ou de l'indifférentisme ? Nulle part les idées religieuses ne sont plus répandues, ou n'exercent plus d'empire, nulle part le peuple n'est plus profondément religieux. C'est là ce que l'on s'accorde généralement à reconnaître.

Un homme qui paraît très compétent, un Suédois, s'occupant spécialement d'enseignement, s'est rendu aux Etats-Unis il y a peu de temps pour y étudier l'état de l'instruction.

Il a publié un livre qui atteste les progrès immenses de l'enseignement populaire et les développements du sentiment religieux. Il a fait à ce sujei une remarque sur laquelle j'appelle toute votre aitention.

Après avoir médité le système pratiqué aux Etats-Unis et l'avoir suivi dans toutes ses applications, il lui a semblé qu'il était plus favorable que tout autre au développement des croyances religieuses.

Il n'y a dans l'école aucun enseignement religieux dogmatique, mais les différents cultes, catholique, anglican, luthérien, calviniste, donnent chacun un enseignement religieux spécial. Il y a, pour la religion, des écoles du dimanche.

Il résulte de là, que loin d'accoutumer le peuple à considérer d'une manière indifférente la leçon de religion, en la confondant avec toutes les autres matières de l'enseignement, on appelle particulièrement son attention sur les doctrines religieuses, dans un lieu plus tranquille et plus sévère que l'école, dans des temples ou dans les églises des différents cultes.

Quelle est la leçon, dit cet écrivain, à laquelle dans nos écoles d'Europe, on trouve assez indifférent de ne pas assister, si ce n'est à la leçon de religion ? Est-il bien d'habituer le peuple à placer la religion sur la même ligne que la grammaire ou l'arithmétique ? Si, d'ailleurs, l'école est dominée par un esprit moral religieux d'une manière générale, si, d'un autre côté, les communautés religieuses s'attachent à développer par un enseignement particulier, soit dans les églises, soit dans des écoles spéciales, le sentiment religieux, n'est-il pas à croire que l'on obtiendra un résultat plus satisfaisant pour la moralité générale des populations ?

Je livre ces observations à l'honorable M. Dechamps. Elles me semblent de nature à le convaincre, non seulement qu'il s'est trompé sur la législation des Etats-Unis, mais que l'on peut arriver à propager les doctrines religieuses par un système diamétralement opposé à celui qu'il préconise et qui lui paraît seul propre à atteindre ce but.

Le système de nos lois est-il essentiellement différent de celui-là ?

Oui ; d'après la loi sur l’enseignement primaire comme d'après la loi sur l'enseignement moyen, il y a un cours de religion dans l'école, mais ce cours n'est pas, comme l'a dit l'honorable M. Dechamps, obligatoire, ce cours n'est ni obligatoire pour ceux auxquels il est destiné, ni obligatoire pour l'Etat qui dirige l'école.

Il est incontestable, en effet, que l'absence d'un cours religieux par le refus du clergé de le donner, n'oblige pas à fermer l'école.

Dans ce sens, le cours de religion n'est pas obligatoire. Il ne l'est pas davantage pour les familles, c'est ce que tout le monde reconnaît, c'est ce que déclare la Constitution.

Mais, si le clergé intervient, quelle est son influence quant au reste de l’enseignement ? D'après la loi sur l'enseignement primaire, l'instruction religieuse est donnée par les ministres du culte professé par la majorité des élèves. La minorité est dispensée d'y assister.

Qu'est-ce à dire ? Que l'enseignement profane dans les écoles ne revêt pas un caractère dogmatique ; il ne peut pas constituer une atteinte aux croyance des autres cultes.

A ce point de vue, l'organisation de nos écoles est fondée sur le principe admis dans les pays où régnent la tolérance et la liberté des cultes.

L’école n’est pas une école catholique pas plus qu'une école protestante ou juive. C'est, sous le rapport profane ou littéraire, une école, qui n'est hostile à aucun culte.

Voilà les principes qui dominent la loi sur l'enseignement primaire et sur l'enseignement moyen et qui doivent être maintenus.

La nature même de l'enseignement primaire ou de l’enseignement moyen explique suffisamment dans quelles justes limites l'instruction littéraire doit se maintenir dans ses rapports avec les questions religieuses.

Mais si l'on veut appliquer les doctrines de l'honorable M. Dechamps à l'enseignement supérieur, comme il a paru en annoncer l'idée, mieux vaudrait supprimer cet enseignement. Le rendre l'esclave d'un dogme ou d'un culte, c'est altérer l'enseignement scientifique dans son essence.

L'enseignement supérieur vit surtout par la liberté.

Que deviendrait donc l'enseignement de la philosophie et de l'histoire ? Que serait même l'enseignement de la géologie s'il faut les mettre en concordance avec des cultes déterminés ? La philosophie deviendrait de la théologie ; l'histoire serait l'histoire d'une religion, d'une église, d'une secte ; la géologie devra se mettre d'accord avec la révélation mosaïque.

M. Dumortier. - C'est ce qui est.

M. Frère-Orban. - Nous ne discuterons pas ces questions. Nous ne parlerons ni de Josué ni de Galilée. Le terrain est glissant ; prenez, garde. Il est mieux de se maintenir dans une discussion de principes généraux. Et ici le principe général c'est que les professeurs de l'enseignement supérieur doivent jouir de la plus grande, de la plus entière liberté dans leur enseignement.

Ils ne se livreront point à des attaques directes et systématiques contre les dogmes d'un culte quelconque ; la bonne foi et la gravité présideront à leurs discussions ; mais l'enseignement supérieur ne sera pas plus catholique que protestant ou juif ; c'est là tout ce que l'on doit demander.

S'il en était autrement, il faudrait nier qu'un protestant, uu juif puisse être ministre de l'intérieur en Belgique, ou il faudrait les contraindre à diriger l'enseignement dans des voies destructives de leurs propres croyances religieuses. Il faudrait les contraindre à punir le professeur qui, dans son enseignement n'affirmerait pas la croyance du culte catholique. Cela serait-il possible ?

Le ministre ne jouerait-il pas le rôle le plus ridicule et le plus odieux en pareil cas ? Mais qu'il soit philosophe, juif ou protestant, il pourra très bien empêcher que des cultes quelconques ne soient systématiquement livrés à la dérision et au mépris des auditeurs. Mais il laissera au professeur pleine liberté d'appréciation philosophique, historique, scientifique.

Si le système de l'honorable M. Dechamps était vrai, il faudrait repousser de vos écoles, de vos universités, les professeurs qui ne seraient point catholiques ; car le professeur qui ne sera pas catholique, qui sera philosophe, juif ou protestant, ne sera pas tenu apparemment d’affecter une croyance catholique.

Sa présence dans la chaire devrait être considérée comme une offense à la religion catholique que son enseignement devrait pourtant refléter ; la pratique de son culte serait une chose bien plus décisive encore ; elle aurait une signification bien plus grave.

Il faudrait donc le proscrire en dépit de tous les principes que notre Constitution a consacrés ! On arrive à des conséquences si absurdes que personne n'oserait y souscrire. Non, il faut en cette matière une grande liberté ; il faut une grande et véritable tolérance. C'est le moyen d'appliquer nos principes constitutionnels ; c'est le seul moyen de permettre à la science de vivre.

J'ai parlé tantôt à dessein de l'esprit de dénigrement, d'attaques directes, systématiques, qu'il convient assurément d'éviter. Mais il arrivera souvent que l'on rencontrera, en faisant de la philosophie ou de l'histoire, un dogme, et certes il ne sera pas interdit de l'écarter. S'il fallait s'incliner devant les dogmes quand même, on ne pourrait pas même enseigner le code civil.

Il contient des principes contraires au culte catholique, au dogme catholique.

Que voulez-vous que dise un professeur de Code civil de la prééminence du mariage civil sur le mariage religieux décrétée par nos lois et par la Constitution, et que les catholiques n'admettent pas ?

M. de T'Serclaes. - Ce n’est pas un dogme ; c'est une question de discipline.

(Rectification insérée dans les Annales parlementaires, page 598. Les Annales parlementaires, séance de la Chambre des représentants du 15 février, page 579, me font dire que la prééminence du mariage civil sur le mariage religieux n'est pas un dogme, mais une question de discipline. L'honorable M. Frère-Orban ne m'a pas compris : j'ai voulu dire que la question de savoir si le mariage civil doit précéder ou suivre la bénédiction nuptiale est une question de discipline. Comte de T’Serclaes.)

M. Frère-Orban. - Je vous en demande pardon ; le mariage est un sacrement, et l'église n'admet point qu'il y ait mariage quand elle point consacré l'union. C'est de dogme.

L'honorable M. Dechamps me fait un signe affirmatif, et il a raison.

Il y a très peu de temps, la cour de Rome l'a formellement déclaré en termes exprès dans une notification au gouvernement suisse.

Le divorce est condamné par l'église catholique. Il faut bien que le professeur de Code civil l'enseigne. Faut-il qu'à cette occasion il se livre à des attaques contre l'église catholique, parce qu'elle n'admet pas le divorce, parce qu'elle admet la prééminence du mariage religieux sur le mariage civil. Il s'en dispensera. Mais il affirmera que les lois civiles, belges, constitutionnelles déclarent la prééminence du mariage civil, que le Code civil admet le divorce malgré les décisions de l’église catholique.

Il sera permis sans doute à dés écoles libres, à des écrivains de (page 580) combattre, de condamner, comme contraire à leur culte les principes qui sont inscrits dans notre Constitution.

Mais en dépit des décisions de la cour de Rome, le professeur de nos établissements affirmera nos principes constitutionnels. Quand la cour de Rome déclare que la liberté de penser est une monstruosité hérétique, il affirmera que c'est une vérité. Quand on dira que ce n'est pas un droit naturel, il l'affirmera.

Quand on dira que la liberté de la presse est la source de toutes les impuretés, quand on condamnera la liberté d'association, il les défendra nonobstant les décisions de la cour de Rome, et aucun de vous n'oserait le blâmer ; et nous, nous l'approuverons hautement.

Je comprends que ceux qui pensent que ces principes sont dangereux pour la société puissent regretter qu'ils soient enseignés, qu'il faille les professer et les défendre.

Mais c'est parce que nous croyons, nous, qu'ils sont salutaires, que nous voulons qu'ils soient propagés.

Il n'y a pas tant à craindre des libres discussions. Les idées qui se montrent au grand jour ne sont pas celles qui sont à redouter. La liberté est, sous ce rapport, la sauvegarde de la société. Quels sont les pays où des idées pernicieuses, antisociales ont fait le plus de progrès ? C'est dans les pays où ne régnait pas la liberté, les pays où n'existait pas la libre discussion. En 1848, l'Angleterre, la Hollande et la Belgique ont été préservées de ta contagion de l'époque. Toutes les idées avaient pu s'y produire, et elles s'y étaient, en effet, produites.

Mais précisément parce qu'elles avaient pu se montrer, elles avaient été bientôt démasquées. Tout ce qu'elles avaient de dangereux a été signalé ; la conscience publique en a fait justice.

Dans les pays, au contraire, où il n'y avait aucune liberté, comme dans les Etats romains, toutes ces idées ont pénétré.

Les portes étaient bien fermées ; l'enseignement était dans les meilleures mains.

Aucune propagande ne paraissait possible, point de discussion, point de liberté ; mais en revanche un enseignement dogmatique parlait. Arrive la révolution, et l'on découvre que toutes les idées contre lesquelles on avait pris tant de soin de se prémunir étaient partout répandues dans le pays.

Lorsque les idées ne peuvent se produire librement, il suffit d'un sectaire, d'un fanatique quelconque pour grouper autour de lui de nombreux adhérents dont les rêves auraient été bientôt dissipés par une discussion publique, et ces idées combattues finissent trop souvent par être adoptées.

On en demande la réalisation au premier moment venu, au premier trouble, à la première révolution. Quand au contraire elles ont été discutées, elles sont sans force, sans valeur, sans énergie.

Je pense donc, messieurs, que nous devons continuer à nous maintenir sur le véritable terrain constitutionnel ; qu'il importe au point de vue social, au point de vue politique, au point de vue religieux même, que la liberté la plus complète soit laissée à l'enseignement et principalement à l'enseignement supérieur en Belgique.

M. le président. - La parole est à M. Delfosse.

M. Delfosse. - J'y renonce.

M. de Theux. - Messieurs, je ne suivrai pas l'honorable préopinant dans la digression qu'il a faite sur l'enseignement universitaire. Si la discussion s'était engagée au chapitre de l'enseignement supérieur, elle eût été à sa place et nous eussions eu occasion d'exprimer de notre côté nos opinions.

Aujourd'hui, messieurs, il me paraît plus convenable de nous renfermer strictement dans l'objet en discussion, qui est l'enseignement moyen et spécialement l'article 11 de la convention d'Anvers.

Nous pensons, messieurs, que cet article n'a rien de contraire à la Constitution et que dans la pratique il ne doit engendrer aucune espèce de difficulté.

On a affirmé qu'en dehors du cours spécial de religion, un professeur d'athénée ou de collège ne pouvait rien dire dans la classe qui fût contraire à l'un ou à l'autre culte. Pour nous, messieurs, nous pensons avec l'honorable M. Dechamps que ce système pratiqué dans toute sa crudité, conduirait droit au rationalisme ou, si vous voulez, à l'indifférentisme en matière de culte. Nous prétendons, messieurs, qu'il est réellement impossible dans la pratique d'exposer l'ensemble des faits historiques que l'on enseigne dans les collèges, dans les athénées, sans toucher d'une manière quelconque aux croyances de l'un ou de l'autre des élèves, en supposant que tous les cultes fussent représentés dans un même établissement.

Nous pensons que le système que l'on défend tendrait à détruire indirectement et très efficacement tout ce que le professeur du cours spécial de religion aurait pu édifier. Il est évident que par l'ensemble de l'enseignement dans toutes les classes d'un collège, d'un athénée, les professeurs pourraient, sans attaquer directement le culte catholique, arriver à propager parmi les jeunes auditeurs un sentiment d'indifférentisme, qui détruirait complètement l'enseignement du culte donné par le prêtre.

Mais, nous dit-on, si le professeur expose un fait historique qui contrarie, par exemple, un jeune élève du culte protestant, ou un israélite, ou un sectaire de tout autre culte, il blesse la Constitution ; car cet élève doit avoir le droit d'assister à la leçon et il a le droit de ne rien entendre qui puisse blesser ses croyances religieuses, ses traditions historiques. Eh bien, nous croyons que cette assertion n'est pas fondée.

Sans doute, s'il y avait obligation, pour les jeunes gens d'une commune, de fréquenter le collège ou l'athénée, on aurait raison.

Mais il n'en est pas ainsi, loin de là. Il y a même une garantie de plus : c'est que la liberté d'enseignement est consacrée par la Constitution.

Messieurs, permettez-moi une comparaison qui me semblé assez juste. Je la prendrai dans la matière du culte, elle est la plus directe, me semble-t-il, que l'on puisse faire.

Je suppose que dans une commune il y ait une population catholique presque en totalité, et qu'il y ait quelques habitants appartenant à différents autres cultes. La commune, le gouvernement allouent un traitement au desservant du culte catholique, ils lui allouent un temple. Mais la population, quoique minime, appartenant à d'autres cultes, n'a ni ministre ni temple. Eh bien, messieurs, vous direz : Mais l'argent du gouvernement, l'argent de la commune est employé en opposition du culte de la minorité.

Cette minorité n'a aucun moyen d'instruction religieuse, de la même manière que quelques élèves d'un culte dissident n'auraient aucune garantie s'ils trouvaient leur conscience blessée par les leçons qui se donnent dans un athénée ou dans un collège. La comparaison me paraît identique. Eh bien, vous n'admettriez pas cette prétention qu'il fallût dans chaque commune organiser un service religieux pour quelques familles appartenant à un culte dissident. Vous ne l'avez jamais admis et vous ne l'admettrez jamais.

Nous avons vu, il est vrai, dans certaines parties du pays, des temples mixtes, fréquentés alternativement par les membres de différents cultes, mais là où cet usage avait été introduit du temps de la réforme et sous la domination hollandaise, et où il y avait une population suffisante de dissidents, nous avons établi aux frais de l'Etat des temples différents, mais je le répète, nous n'avons pris cette mesure que là où il y avait une population de dissidents suffisante pour demander ce sacrifice à l'Etat.

Je disais, messieurs, qu'en pratique la convention d'Anvers ne me semble présenter aucune difficulté. La loi veut que l'enseignement religieux soit donné. Pour qu'il soit donné il faut qu'il y ait entente, accord entre la commune, l'Etat et le clergé.

La convention d'Anvers porte deux articles dont il est important de donner lecture.

« Art. 2. L'établissement étant fréquenté par des élèves dont la grande majorité professe la religion catholique... » (Je suppose qu'à l'athénée d'Anvers il y avait aussi des élèves appartenant à d'autres cultes ; cette circonstance n'a donc pas fait obstacle à l'adoption du règlement.). « L'établissement étant fréquenté par des élèves dont la grande majorité professe la religion catholique, l'enseignement religieux y est donné pour toutes les classes par un ecclésiastique nommé par le chef du diocèse et admis par le gouvernement. »

L’article 11 porte :

« Le préfet des études et les professeurs profiteront des occasions qui se présenteront, dans l'exercice de leurs fonctions, pour inculquer aux élèves les principes de morale et l'amour des devoirs religieux. Ils éviteront, dans leur conduite, comme aussi dans leurs leçons, tout ce qui pourrait contrarier l'instruction religieuse. »

Or, comme ceci est stipulé de la part du cardinal archevêque, dans l'intérêt des élèves catholiques, il faut bien entendre cet article dans son sens qui est naturel, c'est à-dire qu'il s'agit bien de la morale catholique et de l'amour des devoirs religieux catholiques. Il est impossible que l'archevêque l'entendît dans un autre sens.

- Un membre. - L'archevêque n'a pas fait le règlement.

M. de Theux. - Il l'a adopté.

« Ils éviteront dans leur conduite, comme aussi dans leurs leçons, tout ce qui pourrait contrarier l'instruction religieuse. »

L'archevêque, évidemment, stipulait au point de vue catholique.

Je dis, messieurs, que les principes déposés dans le règlement d'Anvers qui a servi de base à la convention, sont des principes sur lesquels le clergé ne transigera point et sur lesquels il ne peut transiger sans compromettre l'autorité de son ministère et sa mission, sans concourir en quelque sorte à compromettre la pureté de la foi catholique qu'il doit maintenir de tous ses moyens.

Mais cette convention, messieurs, par qui doit-elle être exécutée ? Evidemment, d'abord par le gouvernement, qui est chargé de l'exécution des lois et notamment de l'article 8 de la loi de 1850 sur l'enseignement moyen. Cette exécution a lieu sous le contrôle des Chambres, j'en conviens. Mais ces dispositions du règlement ont été rendues publiques ; elles ne sont point un mystère ; le gouvernement leur a donné une exécution publique. Or il n'a pas été établi jusqu'ici que ce règlement fût contraire à la Constitution ni aux lois.

Laissons, messieurs, cette convention fonctionner et nous verrons par expérience si elle entraîne les dangers que l'on a signalés. Quant à moi, je ne le pense pas.

D'abord l'exécution de ce règlement dépend du concours intelligent et loyal de la part des professeurs des établissements d'enseignement moyen, sous le contrôle de l'administration communale, sous le contrôle du gouvernement, et avec le concours du clergé. Eh bien, messieurs, partout où ce concours sera maintenu, nous pouvons être certains qu'il doit produire d'heureux résultats, qu'il ne peut pas conduire à ces résultats que l'on a signalés comme dangereux.

(page 581) Nous ne devons pas craindre, messieurs, que l'on aille au-delà d'une exécution raisonnable du règlement ; si une crainte pouvait être fondée, ce serait bien plutôt qu'on restât en-deçà de l'esprit du règlement, et que dès lors les familles catholiques n'eussent plus les garanties auxquelles elles ont droit et fussent obligées de recourir à des établissements qui leur inspirassent plus de confiance. Et, messieurs, cela ne s'applique pas seulement aux familles catholiques, cela s'applique également aux familles les plus libérales, qui font très souvent choix des établissements les plus religieux.

Il ne faut pas le méconnaître, messieurs, l'éducation religieuse est plus que jamais un besoin social. Nous voyons tous les jours se propager des doctrines attentoires non seulement au culte catholique mais à tous les cultes ; il ya donc ici un intérêt commun aux différents cultes, c'est de maintenir le principe de l’enseignement religieux pour chaque culte. Aussi, pour le culte réformé a-t-on établi qu'un cours de religion pourrait être donné là où le besoin s'en ferait sentir, en dehors de l'établissement.

Veuillez remarquer, messieurs, si l'entente avec le clergé ne pouvait subsister, si l'article 8 de la loi de 1850 devait rester une lettre morte, à quelle conséquence vous arriveriez. Vous voulez que la minorité la plus infime, ne fût-elle que d'un seul individu, ne trouve absolument rien dans l'enseignement qui puisse froisser ses croyances ou ses sentiments religieux, et cependant vous demandez que l'on porte, au budget de l'Etat et aux budgets des communes, des sommes très considérables pour l'enseignement public ; mais si cet enseignement était fondamentalement indifférent en matière de culte, s'il était rationaliste et qu'il n'offrît aucune espèce de garantie aux familles catholiques, pourriez-vous imposer à la majorité de la nation, qui est catholique, des sacrifices si considérables ?

A coup sûr, vous n'en auriez pas le droit, et la nation, par l'organe de ses mandataires et par l'organe des conseils communaux, aurait parfaitement le droit de dire : si la Constitution ne permet qu'un enseignement où président l'indifférentisme et le rationalisme, nous ne voulons pas y consacrer nos fonds.

Certes, ce raisonnement paraîtrait beaucoup plus logique que celui que je repousse.

Le gouvernement représentatif, messieurs, repose sur deux principes que nous ne devons jamais méconnaître : le premier de ces principes ce sont les garanties constitutionnelles données à la majorité ei à la minorité, données à tous les citoyens ; le second principe, c'est celui de la loi faite par la majorité, dans le plus grand intérêt du pays.

Evidemment ce dernier principe doit fléchir devant le premier : là où la Constitution a parlé, il n'est point permis de faire une loi qui y soit contraire, quelque grand que puisse être l'intérêt social qu'on eût en vue ; mais aussi, quand la Constitution n'y porte point positivement obstacle, toujours le principe parlementaire, la volonté de la majorité doit prévaloir. Il en est ainsi dans les collèges électoraux, il en est ainsi dans les Chambres législatives.

On a dit, messieurs, lorsque la loi de 1850 a été votée et pendant quelques années après la publication de cette loi, que le clergé refuserait systématiquement son concours aux écoles publiques, en vue de la prospérité de ses propres établissements.

Eh bien, messieurs, le clergé a fait preuve d'une loyauté parfaite dans l'accomplissement des devoirs de sa charge, il a cru que du moment qu'on lui présentait un moyen convenable de concourir à l'existence d'un des établissements créés en vertu de la loi, en y introduisant des garanties religieuses, il pouvait le faire et il l'a fait avec empressement partout où il n'y avait pas d'obstaèle, soit dans le refus du règlement d'Anvers, soit dans la composition du personnel de l'établissement.

Maintenant que le clergé a ainsi loyalement et franchement concouru à l'exécution de la loi, convient-il de jeter dans les discussions parlementaires des sentiments de défiance à l'égard d'un des principaux articles du règlement ? Je ne le crois pas. Je crois que si l'on agissait ainsi on arriverait à l'une de ces deux choses : ou à empêcher le concours de se généraliser ou à faire retirer le concours là où il existe. En effet, d'après les bases que l'on indique, le concours raisonnable, utile, est impossible, et l'on arriverait alors à organiser, en matière d'enseignement, une lutte à mort entre les établissements libres et les établissements officiels, lutte qui à la longue amènerait, j'en suis intimement convaincu, la suppression d'un grand nombre d'établissements que les familles qui tiennent à l'instruction religieuse de leurs enfants ne voudraient plus soutenir de leurs moyens pécuniaires. Voilà à quelles conclusions on arriverait, si l'on adoptait les idées exprimées par quelques honorables contradicteurs.

Je dis que le devoir de la législature est de concourir franchement à l'exécution de la loi qu'elle a elle-même votée et d'encourager le gouvernement à donner à la loi toute l'exécution dont elle est susceptible ; je dis que surtout la législature ne peut pas inspirer elle-même des défiances à l'égard des lois qu'elle a faites ou des actes qu'elle a approuvés.

Ce ne serait là une conduite ni sérieuse ni patriotique, alors qu'il est constant que le vœu presque général des pères de famille est de trouver des garanties de religion dans les établissements d'instruction moyenne.

Cela est si vrai que les pères de famille qui ont eu le malheur d'être privés de ce bienfait dans leur jeunesse, arrivés à l'âge mûr, apprécient toute la valeur de ces garanties de religion et veulent en faire profiter leurs enfants.

Si les établissements qui sont loin de donner aux familles tous leurs apaisements dans cette matière, continuent à être fréquentés, il ne s'ensuit pas que tel soit le vœu des familles ; mais, c'est parce qu'il y a pour elles en quelque sorte impossibilité de recourir à d'autres sources d'instruction ; elles se disent alors : « Notre enfant ne peut pas se passer d'instruction ; laissons-le fréquenter cet établissement. »

Mais, faut-il donc que, dans la catholique Belgique, la majorité, je dirai la presque unanimité de la nation soit sacrifiée à une infime minorité ? Cela-n'est pas juste.

Dans tous ses actes, la législature belge s'est toujours montrée généreuse à l'égard des cultes dissidents. Je ne demande pas qu'on revienne sur cette pratique constante ; mais je demande aussi pour le culte de la majorité du pays les mêmes droits, les mêmes avantages.

Messieurs, on a parlé, dans la séance d'hier, de la loi du 1er juin 1850 sur l'enseignement moyen. Qu'il me soit permis de donner lecture de la partie finale du discours que j'ai prononcé lors de la discussion de cette loi, et vous verrez que je suis resté parfaitement constant avec le principe que j'exposais alors. Je disais :

« Si nous étions animés par l'esprit de parti, nous vous dirions encore : Maintenez votre système hostile aux influences religieuses dans les établissements de charité. Alors nous espérerions davantage que le jour de la réparation arriverait plus tôt, plus certainement.

« Mais, messieurs, animé des sentiments qui doivent guider tout bon citoyen, tout membre de celle Chambre, tout homme qui a pris part à la direction du gouvernement, tout homme qui respecte son caractère, nous dirons : Comprenez que la religion est le seul frein aux mauvaises passions des riches et des pauvres, qu'elle est la seule agilité, le seul lien possible entre toutes les classes de la société sur cette terre. Nous vous dirons : Montrez plus de confiance au prêtre chargé de faire connaître à tous la vérité, de porter des consolations, de soulager toutes les misères.

« En 1846, prévoyant votre avènement possible au pouvoir, nous vous disions : « Il est impossible, pour un gouvernement libre surtout, de froisser pendant longtemps cette parte de la population qui est la plus attaché aux intérêts de la religion. »

« Nous citions l'exemple de la France, des Pays-Bas, de la Prusse.

« Eh bien, nous vous disons : La Belgique religieuse est froissée par votre système, en ce qui concerne l’enseignement, les établissements de charité et les emplois publics.

« Il s'agit de grandes questions sociales. Que le cabinet, que la majorité veuillent bien se rendre compte de toute leur importance, qu'ils veuillent bien les résoudre au point de vue des intérêts du pays, et non au point de vue des intérêts d un parti.

« Si le gouvernement, si la majorité obtiennent ce grand succès de satisfaire la nation, de satisfaire à son principal intérêt, à celui qui l'a fait vivre, qui lui a fait conserver son esprit national sous tant de gouvernements étrangers, nous applaudirons au succès. Et loin de nous une pensée d'envie ! Ce sentiment n'entrera jamais dans notre cœur ; et, de quelques mains que vienne le bien, nous y applaudirons cordialement. »

Eh bien, c'est la conduite que nous avons tenue. Lorsque le ministère précédent, qui appartenait à l'opinion libérale, a apporté dans cette enceinte la convention qu'il avait faite avec le clergé, nous avons applaudi à cet acte. Nous demandons aujourd'hui que la Chambre ne renie pas ses précédents et qu'elle laisse exécuter le règlement tel qu'il a été conçu et qui est, de tout point, conforme à la loi et à la Constitution.

M. Dumortier - Messieurs, je regrette que l'honorable orateur qui a parlé avant mon honorable ami, M. de Theux, ne se soit pas rappelé, dans le discours qu'il vient de prononcer, les paroles qu'il avait dites hier lui-même. L'honorable membre, en parlant de la loi sur l'instruction primaire, et répondant à une espèce d'interpellation qui lui était adressée, à savoir pourquoi il n'avait pas proposé de modification à la loi sur l'enseignement primaire ; l'honorable membre, dis-je, a eu la franchise et la loyauté de répondre que s'il n'en avait rien fait, c'était parce que sa majorité n'avait pas voulu le suivre.

Eh bien, l'honorable membre se serait évité aujourd'hui beaucoup d'embarras si, en se rappelant ce fait, il se fût également souvenu que pour la loi sur l'instruction moyenne, sa majorité non plus n'avait pas voulu le suivre.

Comment les choses se sont-elles passées dans cette question ? Le gouvernement dont il faisait partie avait présenté un projet de loi qui consacrait une foule de matières obligatoires ; la gymnastique était obligatoire, et l'enseignement religieux était facultatif.

Qu'a fait la majorité de l'honorable M. Frère ? La gauche a dit : « Nous n'entrons pas dans votre système ; ce système, nous le repoussons, nous voulons admettre dans la loi l'enseignement religieux comme obligatoire. » Voilà comment les faits se sont passés.

Cette même majorité, et ici je lui rends un plein et entier hommage, je la félicite de ce qu'elle a si bien compris les sentiments du pays, cette même majorité de la gauche qui n'a pas permis à l'honorable député de Liège de démolir l'enseignement religieux dans la loi sur l'enseignement primaire, cette majorité a voulu que (page 582) l'enseignement religieux fût obligatoire dans l'instruction secondaire ; cette majorité, après avoir provoqué par ses vœux la convention d'Anvers, en a voté l'approbation dans cette Chambre à une immense majorité.

Ainsi, à trois reprises différentes, la majorité du parti libéral se. réunissant en tout point à l'opinion que nous défendions au nom de la foi, s'est séparé de l'honorable M. Frère ; elle s'est séparée de lui, quand il s'est agi de réformer la loi sur l’enseignement primaire ; elle s'est séparée de lui, quand ii s'est agi de la loi sur l'enseignement moyen.

L'honorable membre a perdu tout cela de vue ; le système qu’il a développé tout à l’heure, c'est son système, je le reconnais ; mais ce système que personne n'a admis dans cette Chambre, et que ses propres amis ont trois fois rejeté à l'approbation du pays ; oui, messieurs, ce système est repoussé par le pays tout entier. Interrogez tous les pères de famille, allez leur demander s'ils entendent qu'on donne dans les écoles entretenues au moyen des deniers publics un enseignement dont le but réel, qu'on n'avouera pas, est l'affaiblissement de la foi chrétienne. (Interruption.)

Je me trompe, j'ai voulu dire. : dont le résultat infaillible est l'affaiblissement de la loi dans le pays. Je déclare formellement que vous ne trouverez pas de père de famille qui veuille vous suivre dans cette voie.

Si vous voulez, par l’enseignement de la jeunesse, enlever au pays le sentiment religieux qui fait sa force et qui constitue ce qu'on a nommé le bon sens du peuple belge, si pour cela vous voulez élever de pareilles écoles aux frais de l'Etat, inscrivez sur le frontispice : « Ici on n'enseigne pas la religion ; ici on démolit le sentiment religieux !» et vous verrez les élèves que vous aurez.

Ainsi, messieurs, la majorité, et l'immense majorité de cette Chambre s'est séparée de l'honorable orateur ; elle n'a pas voulu enlever les garanties religieuses écrites dans la loi sur l'instruction primaire, loi qui n'a été repoussée, soit dit en passant, que par trois voix dans cette enceinte, c'est-à-dire qui a été adoptée à l'unanimité moins trois voix ; elle n'a pas voulu que l'enseignement religieux fût facultatif alors que la gymnastique était obligatoire. Elle a voulu que la convention d'Anvers fût approuvée et même qu'elle pût recevoir son exécution chaque fois que les conseils communaux consentiraient à l'accepter. Un grand nombre de membres de la gauche de cette assemblée ont été plus loin, ils ont formé des vœux pour que les conseils communaux acceptassent cette convention. Pourquoi la Chambre s'est-elle séparée de l’honorable membre, pourquoi la gauche s'est-elle séparée d'un de ses membres les plus éminents ? C'est que l’honorable membre prétend traiter ces questions comme des questions de mur mitoyen et que ses honorables amis les ont traitées ici comme des questions pratiques.

Voici donc pourquoi la gauche presque entière s'est séparée de l'honorable membre ; c'est qu’il veut considérer ces questions comme des questions absolues, comme des abstractions, comme des théories. La gauche dit avec raison : Nous ne sommes pas ici pour faire des théories, mais bien pour faire les affaires du pays. Nous estimons les théories, mais nous estimons encore plus les questions pratiques. Nous ne pouvons donc pas vous suivre.

Je reconnais volontiers qu'au point de vue du droit rigoureux, chacun a des droits égaux.

Mais de quoi se compose la Belgique ? De quatre millions et demi d'habitants, sur lesquels les dissidents de l'Eglise catholique ne vont pas à dix mille ; c'est-à-dire qu'il y a un dissident sur 500 habitants et c'est pour ce dissident sur 500 habitants, que, venant traiter ces questions si graves comme des questions de mur mitoyen, en laissant de côté la gravité du fait, vous arrivez à ce résultat de supprimer l’enseignement religieux dans nos écoles, qui est pourtant le seul moyen de conserver cette sagesse nationale qui fait la force du pays.

L'honorable membre interprète la Constitution d'une manière complètement nouvelle, comme personne ne l'a jamais comprise jusqu'ici.

Suivant lui les droits constitutionnels sont faits non pour la majorité mais pour la minorité. Voila la théorie la plus inconstitutionnelle qu'on puisse imaginer.

Comment ! les droits constitutionnels seraient faits pour la minorité et non pour la majorité ? Vous réduisez la Constitution aux misérables proportions d'un simple règlement. Qu'est-ce donc que la majorité dont on fait si bon marché ? La majorité c'est le peuple, et c'est pour le peuple qu'est faite la Constitution, ce sont les droits du peuple belge qu'elle consacre, parce que c'est lui qui l'a conquise par la victoire. Or, il est incontestable que si tous les citoyens belges ont des droits égaux, les droits des 4,492,000 Belges catholiques sont aussi importants que ceux des 8,000 dissidents. Etrange aberration !

Vous voulez traiter toutes les questions d'une manière absolue. Il y aura un dissident dans une école, vous ne voulez pas que rien se passe au point de vue de la majorité. La condition du seul dissident doit déterminer le mode à suivre et la majorité doit s'y soumettre. Mais je suppose qu'un israélite soit nommé membre de la Chambre. En France, M. Crémieux, qui est israélile, l'a été. Qu'arriverait-il d'après le système de M. Frère ? Aujourd'hui nous-ne siégeons pas le dimanche parce que la Chambre entière est composée de catholiques ; un israélite est nommé ; voilà l'honorable député de Liège, illuminé tout à coup d'un scrupule constitutionnel, qui dit : Ce n'est pas le dimanche que nous devons chômer, c'est le samedi. La loi de la minorité doit primer celle de la majorité ; c'est le samedi que nous,devons chômer parce que nous avons un israélite dans notre sein ; comme la Constitution a été faite pour consacrer les droits de la minorité sur la majorité, on doit siéger le dimanche et pas le samedi. Voilà l'étrange interprétation de la Constitution qu'on nous présente dans des termes infiniment subtils, infiniment habiles, je le veux bien, mais qui ne supportent pas l'examen, et prouvent jusqu'où l'eprit humain peut s'égarer lorsqu'il se place à côté de la vérité.

Une contradiction me frappe beaucoup dans le discours que je viens d'entendre.

S'agit-il des écoles, de l'instruction primaire ou moyenne, l'honorable membre ne veut pas, de crainte de froisser la liberté des cultes, d'enseignement dogmatique, il ne veut pas d'une instruction qu'il appelle sectaire, il veut une instruction qui s'applique à tous les cultes ; voilà ce qu'il veut pour l'école primaire et moyenne ; mais s'agit-il de l'enseignement supérieur, il veut, afin de conserver la liberté d'enseignement, que l'on puisse donner un enseignement sectaire, antireligieux, quasi dogmatique, un enseignement qui puisse froisser le culie de la majorité et cela parce qu'il ne faut pas mettre d'entraves à la science ; sans cela un professeur ne pourrait enseigner la philosophie, l'histoire ou la géologie, cette science que tous les plus grands auteurs de notre époque ont démontré être la confirmation la plus manifeste de la vérité consignée dans les livres saints.

Eh bien, que devient la logique en présence de cet étrange système ?

Pourquoi donc voulez-vous que, dans l'enseignement supérieur, on puisse, à propos de philosophie, d'histoire, de géologie, attaquer la foi des élèves présents, alors que vous proscrivez l'enseignement de la religion dans les établissements d'instruction primaire et moyenne ? Est-ce pour attaquer la foi ici par le mutisme, là par la parole ? Au contraire, la Chambre a adopté pour les écoles l'enseignement religieux obligatoire ; cet enseignement nous l'avons prescrit, parce que dans ces établissements nous devons aux jeunes gens, non seulement l'instruction, mais l'éducation.

Or, la première base de l'éducation c'est le sentiment religieux. Vous ne pouvez lui refuser l'éducation religieuse ; et vous ne pouvez violer ses sentiments religieux, sans violer la liberté de conscience consacrée par la Constitution. L'éducation religieuse est donc ici une condition essentielle de la tenue des écoles.

Quand ensuite l'élève arrive à l'université, il y arrive avec son éducation faite, mais avec ses droits constitutionnels que vous ne pouvez lui enlever, que le professeur ne peut violer, sans violer la Constitution. Sans doute, le professeur universitaire est libre d'enseigner la science.

Mais jusqu'où va cette liberté ? La réponse est bien facile, elie va jusqu'au point où elle peut toucher à la liberté de conscience de ceux qui l'écoutent, parce que chez eux la liberté de conscience est devenue une faculté de l'âme.

Le jour où la liberté du professeur porte atteinte à la liberté de conscience de ses élèves, liberté consacrée par la Constitution, ce jour-là, le professeur manque à son devoir, il viole ce qu'il doit respecter, ce qu'il n'a pas le droit de violer, car les droits de l'élève sont égaux au sien. Vous ne pouvez, sous le prétexte spécieux de la liberté de la science, porter atteinte à la liberté de conscience des élèves et froisser leurs sentiments religieux. Vous ne pouvez le faire sans violer la Constitution.

Voilà les principes qui ont dominé dans le pays jusqu'à ce jour, principes que les hommes qui ont siégé au congrès et ceux qui les ont suivis ont inscrits dans la loi, qui sont les principes que les hommes sages de tous les pays ont cherché à faire prévaloir, parce que, hors de là, vous arrivez à ce résultat fatal d'enlever aux populations le sentiment religieux qui assure le bonheur des individus dans la famille, le calme et la tranquillité du pays, au milieu des agitations politiques.

Le système de l'honorable membre n'est pas nouveau : il a été présenté au congrès ; un honorable membre qui siégeait dans cette illustre assemblée, M. Defacqz, avait demandé au congrès que l'Etat primât et absorbât l'élément religieux.

Il faut, avait-il dit,que l'Etat prime et absorbe l'élément religieux, ce qui revient à la thèse que vous soutenez aujourd'hui. Et que s'est-il passé ? Le congrès national s'est levé en masse pour protester contre une pareille doctrine. Il s'est trouvé sur tous les bancs des orateurs pour combattre un pareil système, parce que l'on n'a pas voulu rétablir par la Constitution ce qu'on venait de renverser.

Le congrès n'a pas voulu rétablir, après 1830, ce que nous avions subi en 1828 et en 1829, et que nous avions, grâce à la Providence, heureusement secoué. Il n'a pas voulu, dans le pacte fondamental de la Belgique, détruire le sentiment religieux, base essentielle de sa nationalité. Prétendre le contraire, ce serait indignement calomnier cette grande et immortelle assemblée.

Et, en effet, où iriez-vous en faisant prévaloir un pareil système ? Pensez-vous que vous aurez développé le sentiment national en froissant le sentiment religieux de populations qui ne sont pas moins attachées à leur foi qu'à leur nationalité !

Si vous êtes homme politique, comprenez que notre pays ne peut rester grand et fort que par le développement de toutes ses forces (page 583) vitales, que nous ne pouvons avoir une nationalité forte, prête à résister à tous les dangers que si elle s'appuie sur le sentiment religieux.

Mais de tout temps il a été un des éléments les plus forts du sentiment national du pays. Ouvrez les pages de notre histoire, et vous verrez que toutes les révolutions faites dans ce pays ont eu pour cause des atteintes portées à notre foi.

Quand, à la suite de la grande révolution du XVIème siècle, la Belgique s'est séparée de la Hollande, c'est qu'on avait voulu lui enlever la liberté religieuse que lui assurait la pacification de Gand.

Quand sous Josseph II la Belgique s'est séparée du colosse de l’Autriche, c'est parce qu'on avait froissé ses sentiments religieux.

Quand sous le roi Guillaume la Belgique s'est levée comme un seul homme pour se proclamer indépendante c'est que, par une série d'actes dont nous avons tous conservé le souvenir, on avait froissé le sentiment religieux des populations.

Ces trois grandes époques de notre histoire contiennent un enseignement qui ne doit être perdu pour personne. Lisez donc, mon cher collègue, (s’adressant à M. Frère), méditez ces pages de l'histoire, et vous verrez combien nous devons être forts quand nous nous appuierons sur le sentiment religieux pour consolider une nationalité qui vous est aussi chère qu'à nous-mêmes.

Messieurs, je regarde ce débat comme n'étant pas sans fruit, comme devant poser nettement la situation du pays. Elle a été controversée pendant quelques années. Il était nécessaire que le pays fût éclairé sur ce que veut la Chambre des représentants.

Je viens de rappeler au pays les trois grands événements qui se sont succédé, en cette matière : l'impossibilité où s'est trouvé l'honorable membre d'apporter à la loi sur l'instruction primaire des modifications qui tendraient à enlever les garanties religieuses qui s'y trouvent déposées, la nécessité où il s'est trouvé par suite de la volonté de ses amis, d'inscrire dans la loi sur l'instruction moyenne ce principe que l’enseignement religieux est obligatoire, enfin l'acceptation à une immense majorité dans cette Chambre de la convention d'Anvers qui est la réalisation de l'article 8 de la loi sur l'enseignement moyen.

Je crois d'après cela que le pays ne doit pas s'inquiéter des dîiscussions soulevées dans cette enceinte. Je crois qu'il doit comprendre que, malgré certains efforts isolés, il se trouvera toujours sur tous les bancs de cette Chambre des hommes pour soutenir le sentiment religieux, pour faire en sorte que cet élément si vivace de notre nationalité ne puisse souffrir aucune atteinte.

M. Lelièvre. - L'honorable M. Frère, dans la séance d'hier, à l'occasion d'un fait qui s'est produit à Namur, au sein du bureau administratif, s’est exprimé en ces termes :

« On reconnaît le droit du père de famille de dispenser ses enfants d'assister à l'enseignement religieux ; mais., dans le cas qui nous occupe, on a mis aux voix dans le bureau administratif la question de savoir si les élèves seraient dispensés, alors que le vœu des pères de famille avait été exprimé. »

Je dois faire remarquer qu'on a précisément suivi dans l'espèce la marche indiquée par l'honorable M. Frère. Sur ma proposition, la majorité du bureau a donné acte aux parents réclamant l'exemption, de leur déclaration faite à cet égard, et elle a décidé que la dispense devait être accueillie, comme conséquence de la déclaration. Nous avons done respecté le principe de la légalité de la volonté du père de famille qui doit recevoir son exécution.

Puisque j'ai la parole, je dirai quelques mots du système présenté par M. de Theux. Je pense que si la convention d'Anvers avait été interprétée dès l’origine dans le sens que lui donne aujourd'hui l'honorable membre, elle n'aurait pas obtenu la majorité qui s'est prononcée en sa faveur. Mais à mon avis, on exagère la portée de cette convention au point de vue des obligations des professeurs de l'enseignement scientifique. Dans mon opinion, ces professeurs ne sont astreints qu'à une seule obligation, celle de s'abstenir de contrarier en rien l’enseignement religieux. Le domaine religieux n'est pas de leur ressort. Ils n'ont donc à s'y immiscer en aucune manière. C'est à eux à se renfermer dans les leçons de l'enseignement qui leur est confié. En conséquence, ils ne peuvent s'occuper de questions religieuses ni blesser les principes d'aucun culte établi dans le pays.

Peu de mots suffiront pour prouver qu'il doit en être ainsi.

Le professeur de l'enseignement scientifique ne peut blesser la conscience u'un seul de ses élèves. Il n'y a pour lui ni majorité ni minorité ; il ne doit voir que des citoyens jouissant tous de droits égaux, drois» qu'il doit respecter sans réserve. N'oublions pas qu'au point de vue du droit constitutionnel, la minorité jouit de toutes les prérogatives de la majorité et qu'il n'est pas possible d'établir à cet égard la moindre distinction. En conséquence force est bien au professeur de n'aborder aucune question religieuse et de conserver à cet égard une neutralité complète.

Mais, messieurs, pourquoi les élèves dissidents sont-ils dispensés d'assister à l'enseignement religieux donné pour la majorité ? C'est précisément pour qu'on ne froisse pas leur conscience ; eh bien, le système que je combats aurait pour résultat d’amener ce froissement dans un cours étranger à celui de religion, dans un cours obligatoire pour tous les élèves et dont nul ne peut être dispensé. Ce résultat ne saurait être accepté sous l’empire de nos lois.

Enfin un professeur appartenant à un culte dissident peut être appelé à donner un cours scientifique, eh bien, en ce cas certainement on ne peut exiger de lui que l'abstention complète à l'endroit des matières religieuses.

Or, la nature des obligations d'un professeur ne peut dépendre de la qualité de la personne qui remplit les fonctions dont il s'agit. Les obligations sont les mêmes, quelles que soient les opinions religieuses, quel que que soit le culte du professeur, il est donc évident que c'est notre système seul décrétant la neutralité complète en matière religieuse qui est conforme à la nature des choses et à nos lois constitutionnelles. Il est le seul qui ne puisse donner lieu à de sérieux inconvénients.

M. de Mérode. - J'ai dit, messieurs, parce que tel était l'esprit de la convention d'Anvers qui admet un ecclésiastique dans le conseil de direction, qu'elle imprimait par sa nature une tendance catholique à l'enseignement du collège pour lequel elle était adoptée, car cette convention est évidemment en rapport avec les besoins des lieux où la religion catholique embrasse la presque totalité des habitants et c'est le cas général dans les provinces belges ; mais je reconnais volontiers que le système d'un pareil arrangement n'est pas en harmonie avec la perfection théorique de la mathématique égalité des cultes mise en action, partout et toujours.

Aussi je ne manquai point de présenter dans cette enceinte, en 1850, lorsqu'on y discuta le projet de loi sur l'enseignement moyen, l'observation que je crois à propos de rappeler aujourd'hui en opposition à ce que vient d'affirmer l'honorable M. Lelièvre.

« Une difficulté insoluble que n'apprécient point ceux qui veulent une forte intervention de l'Etat dans l'éducation par intérêt pour la science humaine, c'est qu'on ne peut pas recueillir toute espèce d'avantage, de toutes les formes et de tous les principes de gouvernement. Vous voulez un gouvernement qui ne peut s'immiscer en rien dans la publication des livres et journaux, vous repoussez toute censure de sa part. Vous ne lui accordez aucune autorité d'ordre moral, et tout d'un coup, vous trouvez parfaitement rationnel de lui livrer une part énorme aux frais du trésor dans l'éducation de la jeunesse. Sachez donc qu'on ne peut faire vivre un Etat sans principes ayant leurs conséquences ccordonnées entre elles.

Eh bien, messieurs, si vous voulez, dans l'enseignement payé par l'ensemble des contribuables, que les professeurs soient liés par la nullité complète de direction religieuse catholique, direction qu'on déclare contraire à l’égalité absolue et mathématique des cultes, sans s'inquiéter en rien du fait religieux qui existe chez l'ensemble presque total de ces contribuables, il faut alors renoncer à l'établissement d'un large enseignement de l’Etat et le restreindre aux écoles spéciales qui lui sont indispensables.

Ce serait le seul moyen de rester dans les principes rigides sans s'en écarter aucunement, mais puisqu'on s'en est éloigné par une vaste organisation d'enseignement public, il faut avoir recours aux transactions pratiques, en faveur des faits, comme l'a fort bien démontré M. Dumortier, en distinguant la solution de ce débat d'une plaidoirie sur les murs mitoyens.

Si l'opinion de M. Lelièvre se trouvait décisive en droit, comme elle est incompatible avec les nécessités usuelles, il faudrait que l'Etat n'eût plus d'autres écoles que l'école militaire, l’école du génie civil et autres dont il ne pourrait se passer pour ses besoins directs et particuliers.

(page 597) M. Frère-Orban. - Je ne veux pas prendre trop au sérieux le discours de l'honorable M. Dumortier. Je ne rentrerai donc pas dans la discussion. Je tiens seulement à rectifier quelques faits et à signaler des confusions d'idées dans lesquelles l'honorable membre se complaît.

L'honorable M. Dumortier essaye de se persuader que ses opinions, quant à l'enseignement religieux, sont partagées par les membres de la gauche, qu'il y a, entre eux et lui, une heureuse harmonie, tandis que je suis, moi, en complet dissentiment avec mes amis. Je ne puis lui laisser cette double illusion. Il n'est personne, sur les bancs où je siège, qui adopte en cette matière les idées de l'honorable M. Dumortier, et il n'y a, quant à la nature, à l'étendue et aux conséquences de l'enseignement religieux donné dans les écoles publiques, ouvertes à tous les cultes, aucun dissentiment entre mes amis et moi.

Quand il s'est agi de la révision de la loi sur l'enseignement primaire, ce n'était pas l'enseignement religieux qui était en question, c'est ce que l'honorable membre ne paraît pas vouloir comprendre. Il n'y avait de difficulté que sur le mode d'intervention du clergé.

M. Dumortier. - C'est la même chose.

M. Lesoinne. - Ce n'est pas la même chose.

M. Frère-Orban. - Si c'est la même chose, je passe condamnation. Mais il est trop évident que l'honorable membre confond des points essentiellement distincts.

D'accord sur le principe de l'enseignement religieux, on peut différer d'avis sur la question de savoir si l'intervention des ministres des cultes sera réglée par la loi ou par des mesures administratives. La solution dans l'un ou l'autre sens laisse intact le principe de l'enseignement religieux et n'implique aucune extension des limites dans lesquelles il doit être circonscrit.

Aussi les deux solutions ont été admises par la législature, la première pour l'enseignement primaire, la seconde pour l'enseignement moyen. Mais que le clergé intervienne de l'une ou de l'autre manière, son action ne s'étend pas à toutes les parties de l'enseignement. Les opinions de l'honorable M. Dumortier à cet égard n'ont été et ne seront défendues par aucun de mes amis.

Il n'y a pas eu davantage de dissentiment entre eux et le cabinet dont je faisais partie lors de la discussion de la loi sur l'enseignement moyen.

La proposition du gouvernement relative à l'enseignement religieux, a été admise par tous les membres de la gauche, malgré l'opposition de l'honorable M. Dumortier. L'honorable M. Dumortier aurait pu se dispenser de renouveler la vieille et mauvaise plaisanterie sur la gymnastique obligatoire et la religion facultative qui aurait formé, selon lui, la base de notre projet de loi.

(page 598) La gymnastique est restée obligatoire et la religion est restée facultative, s'il faut donner aux mots le sens qu'il leur attribue.

L'enseignement de la religion ne peut pas être obligatoire. C'est ce qui a été démontré à satiété à l'honorable M. Dumortier dans la discussion de 1850, puisqu'il dépend du clergé de la donner ou de ne pas la donner.

Le bon sens et le respect de l'indépendance du clergé ne permettaient point de l'inscrire comme obligatoire dans la loi. On a modifié les termes de la proposition du gouvernement qui déclarait que le clergé serait invité à donner et à surveiller l'enseignement religieux, en ajoutant que l'enseignement religieux fait partie du programme des études. Nous avons admis ces mots comme expression de notre pensée ; la religion fait partie du programme pour autant qu'elle puisse être enseignée ; mais d'obligation il n'y en a pas. Car, disait l'honorable M. Rogier en répondant à l'honorable M. Dumortier et à ses amis, si l'enseignement de la religion est obligatoire, il faudra que l'Etat le donne, et vous déclarez que le clergé seul a mission pour cela. On n'a donc pas réglé, au grand déplaisir de l'honorable M. Dumortier, à ce qu'il paraît, l'enseignement de la religion d'après les mêmes dées que l'enseignement de la gymnastique.

Il n'était pas non plus question, entre mes amis et moi, lors de la discussion de la convention d'Anvers, de savoir s'il fallait ou non admettre dans l'enseignement moyen l'enseignement religieux. La loi avait parlé. C'était encore une fois un désaccord sur le mode d'intervention du clergé et sur les conditions mises à son concours. Mais la discussion qui vient d'avoir lieu prouve suffisamment que ceux mêmes qui ont admis la convention d'Anvers répudient les idées de l'honorable M. Dumortier sur le caractère et l'étendue de l'enseignement religieux, et aucun de mes amis ne se lèvera pour combattre les principes que je suis venu exposer et défendre aujourd'hui.

Vérification des pouvoirs

Arrondissement de Bruxelles

(page 583) M. Thiéfry. - Messieurs, la commission qui a été nommée pour la vérification des pouvoirs de M. Rogier m'a chargé de vous présenter son rapport.

Il y a eu, aux élections de l'arrondissement de Bruxelles, 1,757 bulletins valables.

La majorité était de 879.

M. Rogier a obtenu 1,737 voix.

En conséquence, la commission a l'honneur de vous proposer l'admission de M. Rogier

- Ces conclusions sont adoptées, et M. Rogier est proclamé membre de la Chambre des représentants.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieurde l'exercice 1856

Discussion du tableau des crédits

Chapitre XVI. Enseignement moyen

Articles 84 à 93

« Art. 84. Dépenses du conseil de perfectionnement de l'enseignement moyen : fr. 5,000. »

- Adopté.


« Art. 85. Inspection des établissements d'instruction moyenne. Personnel : fr. 17,500. »

- Adopté.


« Art. 86. Frais de tournées et autres dépenses de l'inspection des établissements d’instruction moyenne : fr. 7,000. »

- Adopté.


« Art. 87. Frais de l'enseignement normal pédagogique, destiné à former des professeurs pour les établissements d'instruction moyenne (bourses) (article 38, pararaphe 3, de la loi du 1er juin 1850) : fr. 47,300. »

- Adopté.


« Art. 88. Dotation des athénées royaux (article 20, paragraphe 2, de la même loi) : fr. 300,000. »

- Adopté.


(page 584) « Art. 89. Dotation des écoles moyennes (article 25, paragraphe premier, de la même loi) : fr. 200,000. »

- Adopté,


« Art. 90. Bourses à des élèves des écoles moyennes : fr. 15,000. »

- Adopté.


« Art. 91. Subsides à des établissements communaux ou provinciaux d'instruction moyenne : fr. 107,000. »

- Adopté.


« Art. 92. Frais du concours général entre les établissements d'instruction moyenne : fr. 17,000. »

- Adopté.


« Art. 93. Indemnités aux professeurs de l'enseignement moyen du premier et du deuxième degré qui sont sans emploi ; charge extraordinaire : fr. 13,978. »

- Adopté.

Article 93bis

« Art. 93bis. Traitements de disponibilité : fr. 3,000. »

M. Maertens. - A propos de cet article, je crois devoir signaler au gouvernement les observations qui lui sont faites par la section centrale.

Le principe de la disponibilité a paru dangereux à plusieurs membres parce qu'il autorise le gouvernement à dépasser la dotation fixée pour les athénées.

De cette manière, cette faculté, vous le comprendrez facilement, pourrait dégénérer en abus si on en exagérait l'application.

Au reste, il semble que des cas de disponibilité doivent rarement se présenter ; car lorsqu'on éloigne un professeur de l’enseignement, les motifs qui commandent cette mesure sont ou absolus ou relatifs.

Dans le premier cas, il faut supposer des fautes graves, et alors il faut user de rigueur.

Dans l'autre cas, c'est pour des motifs que justifient les nécessités du service, et alors on peut éviter toute difficulté en opérant une mutation dans le personnel.

Malgré ces motifs, la section centrale a adopté l'article nouveau, par considération surtout pour un droit acquis, puisque l'allocation doit servir principalement à rétribuer deux professeurs qui ont été placés dans cette position, sous la foi du maintien de leur traitement ; mais elle espère que M. le ministre usera avec une grande réserve de la latitude que lui donne ce principe et qu'il adressera annuellement à la Chambre un rapport sur tous les cas dans lesquels il a cru devoir en faire l'application.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - L'article 93, tel qu'il était primitivement rédigé, s'appliquait exclusivement à des professeurs de l'enseignement moyen qui n'avaient pas, lois de la réorganisation de l'enseignement moyen, trouvé une place dans les cadres de cette réorganisation. C'étaient donc d'anciens professeurs hors cadre, si je puis m'exprimer ainsi.

La pratique a démontré bientôt la nécessité d'avoir un crédit spécial pour certains cas exceptionnels où le gouvernement se trouve dans l'obligation de changer immédiatement, à très bref délai, la destination de l'un ou l'autre professeur.

Il peut se présenter des cas, et il s'en est présenté quelques-uns, où le gouvernement, sous peine de subir les plus graves inconvénients, se trouve obligé de laisser momentanément sans emploi un professeur qu'il doit retirer de tel ou tel établissement. Eh bien, pour ces cas tout à fait exceptionnels, il ne s'en est présenté que deux jusqu'à présent, il est important qu'il y ait un crédit au budget. Si c'est la première fois que ce crédit figure au budget, il s'y trouve par suite de la discussion qui a eu lieu l’année dernière à propos de ce même article. Alors il a été démontré à la Chambre qu'il y avait nécessité d'allouer un crédit pour ces cas exceptionnels.

Je prends volontiers l'engagement de restreindre l'application de ce crédit à des cas sortant réellement de l'application ordinaire de la loi.

Chaque année ainsi le gouvernement indiquera à la suite du budget ou dans la colonne d'observations, quels sont les professeurs auxquels le crédit a été spécialement affecté. Déjà cette année j'ai prévenu l'observation faite par la section centrale, et vous avez pu voir, messieurs, que, dans la colonne d'observations, le gouvernement a indiqué les deux cas auxquels l'article a été appliqué.

J'ajouterai, en passant, pour la régularité des rapports avec la cour des comptes, que le deuxième professeur aura à toucher son traitement d'attente, non seulement pour les mois d'octobre à mars, mais encore pour le mois d'avril 1855.

M. Lelièvre. - Je ne puis qu'approuver la marche qui a été suivie dans l'occurrence par le gouvernement. Il a dû agir comme il l'a fait à l'égard de M. Passage, ancien préfet des études à l'athénée de Namur. Or, il était impossible de laisser sans traitement cet homme distingué qui a rendu à notre athénée des services éminents.

- L'article 93bis est adopté.

Article 94

« Art. 94. Soucriplions à des ouvrages classiques : fr. 8,000. »

- Adopté.

Chapitre XVII. Enseignement primaire

Discussion générale

M. Lelièvre. - Le ministère précédent a déposé un projet de loi ayant pour but de réviser l'article 23 de la loi sur l'enseignement primaire.

Le rapport de la section centrale a été déposé par moi, en janvier 1855. Je désire savoir si M. le ministre de l'intérieur donnera suite au projet de son prédécesseur. Divers arrêtés publiés sous le ministère actuel attestent que celui-ci adopte l'interprétation de l'article 23 de la loi de septembre 1842, admise sous les administrations précédentes, et dernièrement encore la section centrale a émis le même avis à l'occasion d'une pétition qui lui a été renvoyée.

J'appelle, du reste, l'attention du gouvernement sur la position des instituteurs communaux qu'il conviendrait d'améliorer.

Le gouvernement devrait s'entendre à cet égard avec les administrations locales. Les instituteurs doni il s'agit n'ont qu'un traitement modique qui n'est pas en rapport avec les nécessités de la vie. Les rétributions des élèves solvables sont devenues presque nulles. En un mot, si l'on veut que l'enseignement primaire continue à prospérer, il est indispensable de faire un sort meilleur aux instituteurs. Je recommande tout particulièrement cet objet à la sollicitude du gouvernement. Dans la province de Namur surtout, la position des instituteurs est déplorable.

M. T'Kint de Naeyer. - Lors de la discussion du crédit alloué pour construction et ameublement d'écoles, j'avais engagé le gouvernement à se préoccuper de la révision des dispositions financières de la loi de 1842 sur l'enseignement primaire, mais je suis loin de partager à cet égard les opinions de l'honorable préopinant.

Le projet de loi qui a été déposé par le prédécesseur de l'honorable ministre de l'intérieur ne tend à rien moins qu'à la compression et l'amoindrissement de l'enseignement primaire dans les communes les plus pauvres.

Dans la séance du 9 mai 1854, j'ai eu occasion d'établir un parallèle entre la situation financière de certaines communes que l'on considère comme riches et d'autres communes qui passent pour pauvres. Les chiffres que j'ai cités parlent assez haut pour que je puisse me dispenser d'y ajouter de nouveaux commentaires.

J'espère que M. le ministre de l'intérieur soumettra la question à un nouvel et sérieux examen et que, d'après ses propres expressions, il tiendra compte de la situation financière des communes combinées avec les besoins de l'enseignement.

Je demande, en un mot, que l'intervention de la commune, de la province ei de l'Etat soit réglée d'après le véritable esprit de la loi de 1842, qui a élevé l'enseignement primaire à la hauteur d'un grand intérêt social.

En terminant, je me joins à l'honorable M. Lelièvre, pour engager le gouvernement à rechercher les moyens d'améliorer directement ou indirectement la position des instituteurs ruraux qui dans quelques communes est vraiment déplorable.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Messieurs, mon honorable prédécesseur a, eu effet, présenté à la Chambre, un projet de loi interprétatif de l'article 23 de la loi sur l'enseignement primaire. Ce projet de loi pourra probablement être discuté encore dans le courant de cette session.

Je ne pense pas que je puisse l'appuyer complètement et dans toutes ses dispositions tel qu'il a été présenté par mon honorable prédécesseur. Je voudrais y ajouter un article qui aurait précisément pour but le progrès de l'instruction et l'amélioration de la position des instituteurs. Car, messieurs, pour celui qui a étudié le projet présenté par l'honorable M. Piercot il doit paraître difficile de demander le vote de ce projet de loi et, en même temps de manifester le désir de voir améliorer la position des instituteurs.

En effet, le projet de loi doit avoir évidemment pour résultat non pas l'amélioration de la position des instituteurs, mais, au contraire, une diminution des ressources communales destinées à rétribuer les instituteurs. Pour moi, cela est évident,

Qu'est-ce qui a donné lieu, de la part du gouverneur, à la présentation du projet de loi ? C'est le désir de diminuer l'intervention de l'Etat dans les dépenses de l'instruction primaire et de rejeter sur les communes une partie plus forte de ces dépenses.

On s'est dit : Aujourd'hui les communes n'ont aucun intérêt à ne pas grossir les dépenses de l'enseignement primaire, parce qu'elles n'y interviennent que dans une proportion fort limitée et que le reste est payé par la province et l'Etat. Mais si, au point de vue du trésor, nous avons à nous plaindre de cet élat de choses, d'un autre côté, il est en général favorable à la diffusion de l'enseignement primaire et à l'amélioration de la position des instituteurs.

Il résulterait évidemment du projet de loi, s'il était adopté dans sa teneur actuelle, que les communes restreindraient, autant qu'elles le pourraient, les dépenses de l'instruction primaire.

Il en résulterait encore que, dans beaucoup de localités, les communes adopteraient des écoles au lieu d'en fonder.

Voilà les résultats les plus clairs d'une telle loi. Il y a donc lieu d'y réfléchir, et dans tous les cas, il est impossible de vouloir tout à la fois, comme le veut l’honorable M. Lelièvre, l’adoption du projet présenté par M. Piercot et l’amélioration de la position des instituteurs, ainsi que de l'instruction primaire en général.

M. Mascart. - On nous propose, messieurs, d'augmenter de plus de 100,000 fr. l'allocation pour l'instruction primaire. Je ne m'y (page 585) oppose pas si l'argent doit être dépensé utilement, si l'instruction des masses doit suivre la marche ascendante de la dépense. Quand on a en vue un aussi grand intérêt, il n'y a pas à lésiner.

Parmi les causes de cette augmentation, M. le ministre de l'intérieur indique le nombre toujours croissant des enfants pauvres à instruire gratuitement.

A ce sujet j'ai quelques observations à présenter, autant dans l'intérêt du trésor que dans celui de l'enseignement primaire lui-même.

Les communes pauvres et elles sont nombreuses, puisqu'il y en a 1,707 qui ne font pas le tiers de la dépense, les communes pauvres doivent avoir une grande propension à rejeter sur l'Etat la plus forte part du fardeau. L'inscription des enfants leur en fournit le moyen.

On sait que ce sont les parents ou les tuteurs qui doivent réclamer la gratuité de l'enseignement, et que c'est le conseil communal qui arrête les listes, lesquelles doivent être approuvées par la députation permanente, ainsi que le montant de la subvention ou la quotité de la rétribution. Ainsi la subvention est toujours en raison directe du nombre des enfants inscrits.

Je crois qu'en général les parents pauvres ne sont pas pressés d'envoyer leurs enfants dans les écoles et que les administrations locales ont raison de prendre elles-mêmes l'initiative de l'inscription. Si elles se bornaient à porter sur leurs listes les enfants des indigents, je n'aurais rien à y voir, mais malheureusement il y en a qui vont au-delà.

Lorsqu'une commune de la catégorie de celles que je viens d'indiquer a voté ses deux centimes additionnels, elle déclare avoir satisfait à toutes ses obligations, c'est la province d'abord, dont la part contributive est déterminée et l'Etat ensuite qui doivent faire le complément de la dépense. Dans cette situation elle n'a plus évidemment intérêt, pas plus que la province, à rayer de la liste ceux qui n'ont aucun droit d'y figurer par leur position de fortune et ceux qui ne fréquentent pas l'école pendant l'année scolaire. Il en résulte qu'on fait figurer sur les listes, d'abord, les enfants de parents solvables dont on fait ainsi payer la rétribution par l'Etat et ensuite tous les enfants pauvres indistinctement, jusqu'aux impotents, incapables de fréquenter l'école. Je crois même qu'on paye parfois pour ceux qui sont morts depuis longtemps.

Qu'importe, se dit-on, les sacrifices de l'Etat ? Tâchons d'attraper la plus grande part possible du gâteau.

Ce système, incontestablement, présente de graves inconvénients. Je voudrais le voir remplacer par un autre qui, en assurant aux masses des moyens d'instruction, garantît le bon emploi des fonds considérables que nous dépensons chaque année. Il faudrait y intéresser l'instituteur et la commune en même temps.

Pour atteindre ce résultat, je voudrais qu'il y eût, dans chaque école un registre sur lequel on inscrirait à chaque ouverture de classes le nombre d'enfants payants et celui des indigents. Cette distinction serait même inutile, parce que les payants manquent rarement à l'appel et que le nombre en est connu. Cette opération ne tiendrait pas l'instituteur pendant cinq minutés, tandis que l'appel nominal qu'on avait prescrit il y a quelques années faisait perdre un temps considérable. Il importe du reste fort peu, pour le cas qui nous occupe, qu'on ait chaque jour le nom de tous les enfants présents : l'essentiel c'est d'en avoir le nombre. L'opération serait contrôlée à chaque inspection de l'écoîe que ferait le commissaire d'arrondissement, les inspecteurs provinciaux et cantonaux et le bourgmestre de la commune.

A l'expiration de chaque trimestre, pour le règlement de compte, on ferait le relevé du nombre des enfants pauvres inscrits chaque jour, on établirait la moyenne de la fréquentation, laquelle servirait de base pour déterminer le montant de la subvention. Ce système dont l'application n'augmenterait pas les charges de l'Etat, puisque l'inscription comprend maintenant à peu près tous les enfants indigents du royaume, ce système aurait pour résultat d'intéresser directement l'instituteur à avoir sur les bancs de l'école, et régulièrement, le plus grand nombre de ceux qui sont admis à la fréquenter gratuitement, puisque la subvention serait payée, non d'après le nombre des enfants inscrits, mais d'après la moyenne de la fréquentation pendant l'année scolaire tout entière.

L'administration communale de son côté, dans l'intérêt de son instituteur qui est souvent un enfant de la commune et toujours un administré, ferait auprès des parents les démarches nécessaires pour que les enfants fréquentassent l'école assidûment. En un mot le gouvernement dirait aux communes pauvres, à celles qui se bornent à voter leurs 2 centimes additionnels : Vous avez 150,000 enfants pauvres inscrits pour lesquels je dépense moi, Etat, bon an mal an, 600,000 francs. Je prends des chiifres ronds et au hasard. Cette somme, maintenue invariablement au budget, sera répartie chaque année, entre les 1,707 communes, en adoptant pour bases de la répartition le nombre des indigents inscrits et leur assiduité à fréquenter l'école. Ce dernier point serait constaté à l'aide du registre sur lequel on aurait inscrit le nombre d'enfants présents chaque jour. Ainsi, si sur 150 enfants inscrits dans une école, les relevés établissaient que la moyenne de fréquentation n'a été que de 100 pendant l'année scolaire, la subvention serait payée pour ce dernier nombre seulement.

Pour éviter l'admission gratuite de ceux qui peuvent payer la rétribution, j'établirais la proportion du nombre des enfants indigents avec la population, proportion que je maintiendrais à l'avenir pour chaque commune. Il n'y aurait d'exception que sur l'avis conforme de la députation permanente, pour les communes qui se trouvent dans une situation exceptionnelle.

M. de Naeyer, rapporteur. - Je pense que l'honorable ministre de l'intérieur se trompe quand il pense que le projet de loi présenté par son honorable prédécesseur est destiné à restreindre l'intervention du gouvernement dans les frais de l'instruction primaire. Je crois que ce projet a essentiellement pour objet de lever les doutes qui se sont élevés, en donnant une sanction légale au système d'intervention qui a été pratiqué et appliqué jusqu'ici par le gouvernement, système qui consiste à considérer les dépenses de l'enseignement primaire comme étant avant tout des dépenses communales.

Or, je crois devoir attirer l'attention de l'honorable ministre sur la nécessité de maintenir ce principe, car si, en cédant à une générosité mal calculée, le gouvernement adoptait un autre ordre d'idées, des abus analogues à ceux qui ont été signalés par l'honorable M. Mascart prendraient des proportions encore plus vastes, et l'on arriverait à des charges très lourdes pour nos finances. Il faut absolument que les communes soient intéressées à ce qu'on ne fasse que des dépenses réellement utiles. Car si elles ont la faculté de puiser indirectement daus la caisse de l'Etat, on dépensera beaucoup sans qu'il en résulte un avantage bien réel pour l'instruction.

J'attire sur ce point l'attention de M. le ministre, et je crois qu'il est indispensable de maintenir ce principe qui a été antérieurement consacré par la loi communale, que les dépenses de l'instruction primaire sont avant tout à la charge des communes et que la province et l'Etat ne doivent intervenir que subsidiairement et je fais, dès maintenant, toutes mes réserves pour le moment où le projet de loi dont il s'agit sera mis en discussion.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Messieurs, il est incontestable que depuis quelque temps surtout un abus tend à s'introduire, abus qui consiste à admettre gratuitement dans les écoles primaires, comme enfanis pauvres, des enfants appartenant à des familles qui pourraient payer l'écolage.

Le moyen le plus simple de le réprimer, serait, comme viennent de le dire d'honorables préopinants, d'intéresser la commune pour une plus forte part dans les dépenses. La commune se frapperait ainsi elle-même chaque fois qu'elle admettrait gratuitement un enfant qui pourrait payer une rétribution, Plus elle ferait payer d'enfants pour l'instruction primaire, moins elle aurait à suppléer pour les frais de cette instruction.

Mais, messieurs, si, d'un côté vous obtenez ce résultat, et vous l'obtiendriez, en votant le projet de loi interprétatif présenté par mon honorable prédécesseur ; d'autre part, vous arriverez à cette conséquence que j'ai signalée tout à l'heure, à savoir que vous restreindrez le développement de l'enseignement primaire.

Ainsi, déjà aujourd'hui, qu'arrive-t-il dans les communes qui sont gênées sous le rapport financier ? C'est que ces communes, ne comprenant pas, toutes, la haute utilité de l'enseignement primaire, essayent de réduire autant que possible les dépenses de cet enseignement.

L'expérience est faite aujourd'hui : si l'on ne consultait que les intérêts de l'enseignement primaire, il faudrait plusieurs centaines de sous-instituteurs ou d'écoles spéciales pour filles dans nos communes des Flandres.

Ces communes ne provoquent pas ces développements de l'instruction, parce qu'elles ne peuvent pas en faire les frais ; et. bien qu'aujourd'hui l'Etat intervienne dans les dépenses de l'instruction primaire, d'une manière plus considérable qu'il n'interviendrait d'après le nouveau projet de loi, les communes ont intérêt à ne pas donner une trop grande extension à l'enseignement primaire, extension qui aurait pour corollaire une augmentation dans les dépenses communales.

Le projet de loi interprétatif doit faire l'objet d'un examen très attentif ; je ne pense pas qu'il amène les résultats que beaucoup de membres en espèrent.

L'adoption de ce projet aurait des conséquences fort désastreuses pour nos petites communes des Flandres.

Mais le motif principal qui, selon moi, doit engager la Chambre à ne pas adopter le projet de loi, tel qu'il a été présenté, c'est qu'en obligeant les communes à intervenir pour une part plus forte qu'elles n'interviennent aujourd'hui, vous leur faites pour ainsi dire un devoir de restreindre les dépenses de l'instruction primaire.

Aujourd'hui il est rare que les communes interviennent pour un tiers dans les dépenses ; or, d'après le nouveau système, la commune interviendrait pour un tiers au moins. Rien que l'admission de ce principe serait une cause de dépenses nouvelles pour une foule de communes.

Vous pouvez être certains que la question, une fois posée en ces termes, sera résolue par la plupart des communes dans l'intérêt de leurs finances, et partant au détriment de l'enseignement primaire.

M. de Steenhault. - Messieurs, l'honorable ministre de l'intérieur vient de parler d'un seul abus, de l'abus qui consiste à inscrire indûment des élèves qui n'appartiennent pas à des parents pauvres, mais M. le ministre a perdu de vue le principal abus, c'est celui qui consiste à inscrire des élèves qui ne fréquentent pas les écoles.

Dans les campagnes, un certain nombre d'élèves ne fréquentent les écoles que pendant quelques mois, d'autres ne les fréquentent pas du tout, et pourtant on les inscrit. Voici comment cela se pratique : l'instituteur remet à l'administration communale une liste sur laquelle il porte tous les enfants pauvres. C'est d'après cette liste que sont évaluées les dépenses.

(page 586) Je demanderai à M. le ministre de l'intérieur s'il ne croit pas devoir prendre des mesures propres à réprimer cet abus qui augmente d'une manière notable les dépenses communales et qui ne tourne en définitive qu'au bébéfice de l'instituteur.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Messieurs, la question qui a été soulevée par l'honorable préopinant a été agitée à diverses reprises au sein de la commission centrale des inspecteurs provinciaux. Jusqu'à présent on n'a pas trouvé un moyen pratique de prévenir cet abus. Le gouvernement continue à examiner la question, et ne désespère pas d'arriver à une solution.

- Personne ne demandant plus la parole, la discussion générale est close sur le chapitre XVII (enseignement primaire).

On passe aux articles.

Articles 95

« Art. 95. Inspection civile de l'enseignement primaire et des établissements qui s'y rattachent (personnel) : fr. 34,000. »

M. Julliot. - Messieurs, le régime de l'inspection civile de l'enseignement primaire laisse beaucoup à désirer.

L'idée qui doit avoir présidé à cette organisation ne peut avoir été autre que celle d'employer beaucoup de monde.

En effet il y a 67 ressorts d'inspection, plusieurs d'entre eux ne comptent qu'un ou deux cantons.

Il s'ensuit qu'il y a 3 inspecteurs qui ne reçoivent que 400 francs, 17 qui reçoivent 800 francs, 22 qui reçoivent 1,200 francs.

Le traitement de tous les autres varie entre 1,300 et 2,000 francs.

Puis on demande à ces fonctionnaires une progression croissante de travail de bureau qui augmente annuellement.

Ces inspecteurs doivent aussi faire régulièrement leur tournée à leurs frais, sans préjudice des courses extraordinaires.

Or, il se trouve que la plupart d'entre eux ne trouvent dans leurs émoluments que la restitution de leurs déboursés.

Que peut-on attendre d'une institution pareille ? Evidemment rien.

Aussi, sur vingt inspecteurs, en moyenne, quinze se livrent à l'exercice d'une autre profession, ne s'occupent de leur travail de bureau qu'à titre de prélassement pour varier leur occupation, et ne font leur tournée que par régime de santé.

Je critique donc cette organisation parce qu'on peut mieux faire en ne dépensant rien de plus.

Si l'on veut une inspection sérieuse, il ne faut conserver qu'un inspecteur par arrondissement judiciaire ; alors vous aurez un homme qui s'adonnera à l'étude de son état ; il prendra son rôle au sérieux, parce qu'il absorbera tout son temps et lui donnera à vivre ; vous aurez des hommes capables et spéciaux.

Maintenant, mon intention ne serait pas de mettre en disponibilité les inspecteurs actuels, mais je serais d'avis de ne pas remplacer ceux qui s'en vont, et d'élargir les ressorts par voie d'extinction.

L'occasion d'agir ainsi s'est présentée récemment dans ma province.

Une inspection de deux cantons devint vacante ; eh bien, au lieu de rattacher ces deux cantons aux ressorts voisins, on a créé un fonctionnaire à 800 fr.

J'engage M. le ministre à étudier cette amélioration, et je ne doute pas qu'après examen, il ne se range à mon avis.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Messieurs, l'honorable membre ignore probablement qu'une réorganisation des ressorts d'inspection a eu lieu, il y a une année à peine. Dans cette réorganisation, on a précisément suivi les vues qui viennent d'être indiquées par l'honorable préopinant.

Il y avait primitivement un nombre de ressorts beaucoup plus considérable. Des motifs très puissants militaient en faveur de ce système ; ces motifs existent encore aujourd'hui. Il est évident qu'il vaut mieux que chaque inspecteur n'ait qu'un certain nombre d'écoles à inspecter afin qu'il puisse les visiter souvent et avoir ainsi des relations plus suivies avec les instituteurs dont il doit être en quelque sorte le guide.

D'un autre côté, le trop grand nombre de ressorts présentait cet inconvénient, que le gouvernement était dans l'impossibilité d'accorder, à chaque inspecteur une rémunération suffisamment honorable ; il en résultait que l'administration n'avait pas toujours sous la main les hommes les plus propres, par leur aptitude et leur position indépendante, à exercer de l'autorité sur les instituteurs. C'est en se plaçant à ce poiut de vue qu'on a, dans chacune de nos provinces, réuni deux ressorts d'inspection, là où cette réunion était possible.

Les vues manifectées par l’honorable préopinant se trouvent donc remplies. Mais, je le répète, il y a ici plusieurs intérêts en jeu, Si d’une part il ne faut pas trop multiplier les ressorts d'inspection, il ne faut pas non plus, d'autre part, en diminuer trop le nombre, si l'on veut avoir des inspections fréquentes et efficaces. Il ne faut pas perdre de vue qu'une inspection bien combinée est la condition indispensable d'une solide organisation de l'enseignement primaire.

- Personne ne demandant plus la parole, l'article 95 est aux voix et adopté.

Articles 96 et 97

« Art. 96. Ecoles normales de l'Etat, à Lierre et à Nivelles (personnel) : fr. 66,700. »

- Adopté.


« Art. 97. Traitements de disponibilité pour des professeurs des écoles normales de l'Etat ; charge temporaire : fr. 3,500. »

- Adopté.

Article 98

« Art. 98i Dépenses variables de l'inspection et frais d'administration. - Commission centrale. - Matériel et dépenses des écoles normales de l'Etat. - Ecoles normales adoptées. Service annuel ordinaire de l’instruction primaire communale ; subsides aux communes ; constructions, réparations et ameublement de maisons d'école ; encouragements (subsides et achats de livres pour les bibliothèques des conférences d'instituteurs) ; récompenses en argent ou en livres aux instituteurs primaires qui font preuve d'un zèle extraordinaire et d'une grande aptitude dans l'exercice de leurs fonctions ; subsides aux caisses provinciales de prévoyance ; encouragements aux recueils périodiques concernant l'instruction primaire ; subsides pour la publication d'ouvrages destinés à répandre l'enseignement primaire ; secours à d'anciens instituteurs (article 54 du règlement du 10 décembre 1852) ; frais des conférences agricoles des instituteurs primaires ; subsides à des établissements spéciaux (salles d'asile et écoles d'adultes), etc. : fr. 1,226,879 25. »

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Pour faire droit aux observations présentées par la cour des comptes, je prie la Chambre d'ajouter le mot « diverses » après les mots « matériel et dépenses »... des écoles normales de l'Etat.

Voici la difficulté qui s'est présentée. Aux époques ordinaires, avant la cherté des vivres, la pension des élèves suffisait, aux frais d'entretien, et même pouvait venir en aide pour le payement de l'éclairage et du chauffage, etc. Aujourd'hui que les vivres ont tant renchéri, il n'y a plus moyen de payer avec la pension des élèves autre chose que leur entretien ; on a même été obligé d'augmenter le taux de la pension pour pouvoir les entretenir convenablement. Il a donc fallu payer ces frais de chauffage et d'éclairage sur le crédit actuellement en discussion. C'est ce que la cour des comptes considère comme une irrégularité.

Pour prévenir ces difficultés et régulariser les comptes des écoles normales, je propose à la Chambre d'ajouter le mot « diverses » après le mot « dépenses ».

- L'article 98, avec l'addition proposée par M. le ministre de l'intérieur est mis aux voix et adopté.

Article 99

« Art 99. Subsides en faveur d'établissements de sourds-muets et d'aveugles : fr. 16,000. »

M. Dellafaille. - J’ai demandé la parole pour proposer un amendement :

« Le chiffre de 16 mille francs porté à l'article 99 du budget : « subsides en faveur d'établissements de sourds-muets et aveugles » sera porté à 18,000 francs pour favoriser l'enseignement oral dans les instituts existants, encourager des écoles nouvelles qui pourraient éventuellement se former, contribuer à créer des commissions de patronage en faveur des sourds-muets et aveugles. »

Messieurs, si j'ai déposé un amendement à l'article 99 relatif aux subsides à accorder aux établissements des sourds-muets et des aveugles, c'est que j'ai cru qu'il restait quelque chose à faire ; je pense même beaucoup à faire pour cette classe si intéressante et malheureusement si nombreuse de concitoyens.

Vous n'ignorez pas que la Belgique compte trois mille aveugles ; je ne m'occuperai pas du système d'éducation appliqué à cette classe infortunée, je crois que dans ce pays comme dans les pays voisins on a fait pour l'instruction des aveugles tout ce qu'il était possible. Si quelque chose restait à faire, un honorable membre de cette Chambre qui s'est occupé avec succès de cette classe de malheureux, pourra mieux que moi vous signaler les améliorations susceptibles d'être adoptées.

C'est donc sur le sort des sourds et muets que je compte appeler votre attention et votre bienveillante sollicitude.

Sur une population de 100,000 âmes il naît en moyenne chaque année 12 sourds-muets, soit environ 540 pour la Belgique entière. Néanmoins leur nombre, dans ce pays, n'est que de 2,400, ce qui prouve que la mortalité est plus grande parmi ces infortunés que parmi les autres classes de citoyens ; cependant bon nombre atteignent l'âge de l'adolescence et même de puberté, et dès lors l'instruction leur est due comme au reste de leurs concitoyens. Je ne m'appesantirai pas en ce moment sur la négligence qu'apportent plusieurs administrations communales à accomplir à l'égard de ces infortunés, non seulement les devoirs que l'humanité devrait leur inspirer, mais même la stricte obligation légale que leur impose le paragraphe 17 de l'article 131 de la loi communale.

Je sais que le gouvernement et les autorités provinciales ont fait des efforts pour faire exécuter cette disposition de la loi communale ; c'est afin de porter un remède plus efficace à cet état de choses que j'aurai l'honneur de vous soumettre certains moyens d'application faciles et peu dispendieux en faveur de ces classes infortunées.

Si vous considérez que le système jusqu'ici appliqué à l'instruction des sourds-muets est presque exclusivement le système dactylologique et mimique, vous conviendrez avec moi que le langage qui résulte de ce mode d’enseignement laisse le sourd-muet au sortir des instituts dans un isolement presque absolu vis-à-vis du reste de ses concitoyens.

Dès lors, le système oral, généralisé déjà en Allemagne, et dont l'application commence à se faire en France, devrait, d’après moi, venir se substituer à celui qui est aujourd'hui en usage. Alors même qu'on admettrait, comme quelques savants le prétendent, que le système daclylologique et mimique, quand la pratique en est bien acquise, est (page 587) mieux approprié aux sourds-muets pour les études savantes et complètes, il serait impossible de ne pas reconnaître que le langage des signes n'est pas à la portée des classes les plus nombreuses de la population ; il est et restera généralement incompris, et comme il est reconnu que le très grand nombre, je dirai le plus grand nombre, de sourds-muets naissent dans les classes infimes de la société où les maladies contractées contribuent à développer cette malheureuse infirmité, il est aisé de comprendre qu'il est indispensable de donner à ces infortunés un genre d'instruction, non pas propre à en faire des savants, mais qui leur permette d'établir des rapports faciles avec leurs semblables.

C'est là, messieurs, une condition première pour les mettre à même de pourvoir à leur existence. J'ajouterai que non seulement le langage oral est essentiellement favorable aux relations sociales, il présente des avantages incontestables pour le sourd-muet au point de vue hygiénique. Je sais malheureusement que quand on s'est adressé, même aux différents chefs d'instituts et aux savants qui se sont occupés de cette classe d'infortunés, sur la question de savoir si la plupart des sourds-muets étaient susceptibles de recevoir l'enseignement oral, cette question a été résolue d'une manière négative ; mais la raison en est que les sourds-muets arrivent dans les instituts à un âge trop avancé, à huit ou dix ans, et qu'alors déjà l'organe roidi et indocile n'est plus susceptible de s'assouplir et se refuse à tout développement.

Les divers instituts que possède la Belgique, et qui certes ne laissent rien à désirer sous d'autres rapports, sont là pour attester l'insuccès presque général de l'éducation orale.

Mais si l'éducation orale avait été tentée dans la première enfance, dès l'âge de 2 ans pour être terminée à l'âge de 6 ans, telle qu'elle est donnée dans les conditions normales aux entendants parlants, les résultats eussent été bien différents. C'est là, messieurs, ce qui a été mis en pratique par une société organisée à Anvers. Mue dans le principe par le seul désir devenir en aide aux infortunés sourds-muets, elle aussi plaçait ces jeunes infortunés de la localité dans les instituts de Bruxelles, de Gand et de Bruges, mais appréciant bientôt les résultats désavantageux d'un enseignement qui empêchait le sourd-muet de communiquer avec ses semblables, elle fonda à Anvers un établissement où un professeur, initié à la méthode d'enseignement oral pratiquée dans la maison de M. Dubois de Paris (qui existe à côté de l'institut impérial des sourds-muets), donne aujourd'hui l'instruction orale, instruction qui est couronnée du succès le plus complet.

Cet instituteur zélé et intelligent (M. Capron), est chargé par la commission directrice et de patronage de la société de la ville d'Anvers de se rendre dans la famille dont quelque membre est atteint de cette malheureuse infirmité ; dès l'âge le plus tendre il initie les enfants à la prononciation et les parents au mode d'enseignement et aux exercices nécessaires pour conquérir syllabe par syllabe le précieux don de la parole et les prépare ainsi à pouvoir suivre plus tard avec fruit les cours de l'institut ; aussi parmi les onze sourds-muets qui s'y trouvent aujourd'hui, tous à l'exception d'un seul parlent d'une manière claire, facile et intelligible.

C'est là, messieurs, ce que je voudrais voir appliquer à tous les instituts existants dans le pays et à cette fin je voudrais les voir se multiplier, même sur le pied de modestes écoles, afin de mettre à la portée des populations déshéritées de la société ces maîtres qui pourraient dès l'âge le plus tendre initier et les enfants et les parents aux secrets de leur future éducation.

J'ai fait ressortir aussi, messieurs, que la société d'Anvers était une société de patronage, et elle a pris sa tâche tellement au sérieux que voulant adoucir autant qu'il était en son pouvoir le sort de ceux auxquels elle s'était vouée, elle s'est imposé, avant que le langage oral fût introduit, des séances mensuelles silencieuses où les seuls signes dactylologiques et mimiques fussent permis, et où tous les sourds-muets étaient conviés afin de leur dissimuler autant que possible le malheur qui résultait pour eux de l'isolement où ils se trouvaient placés après leur éducation.

Cette société de patronage dont chaque membre prend sous sa protection spéciale deux ou trois sourds-muets, les guide, les console, les dirige, les place dans des ateliers, et leur sert dans te vie de tuteur et de père.

C'est là encore une institution que je voudrais voir s'établir auprès des divers instituts qui existent dans ce pays et auprès de ceux qui pourraient surgir ; et certes il serait facile au gouvernement de seconder mes vues puisqu'il lui serait loisible de ne disposer des subsides qu'il accorde qu'au prix des améliorations que j'ai l'honneur de suggérer.

Une dernière amélioration que je signale à la Chambre et à M. le ministre serait l'institution de séances mensuelles dans les instituts en faveur des sourds-muets après leur éducation, et certes, cette institution combinée avec les commissions de patronage serait de tous les bienfaits en faveur des sourds-muets et des aveugles le plus avantageux et pour contribuer à leur développement et pour leur conserver les fruits de l'éducation que l'Etat est tenu de leur donner.

C'est dans ce but, messieurs, que j'ai proposé d'augmenter de 2,000 fr. le subside accordé aux institutions des sourds-muets et des aveugles, et j'aime à me persuader que vous vous empresserez d'accorder cette légère augmentation de dépense en faveur d'une classe si éprouvée et si nombreuse de vos concitoyens.

M. Rodenbach. - L'approbation que je viens donner à l'amendement de l'honorable M. Della Faille s'explique aisément (Note du sténographe : L’honorable membre fait allusion à la cécité dont il est atteint depuis son enfance).

L'approbation de mon écrit fait par un homme aussi compétent que notre honorable collègue me touche vivement ; je le remercie beaucoup de l'éloge qu'il vient de faire de ma nouvelle méthode pour apprendre à parler aux sourds-muets.

A mon tour je crois devoir déclarer dans cette enceinte que l'honorable député d'Anvers est une spécialité en matière d'instruction de sourds-muets, car ayant le malheur d'avoir une fille privée de l'ouïe et de la parole, c'est le père lui-même qui a étudié les moyens d'instruction pour rendre la parole à sa fille. Je forme des vœux pour que cet exemple soit suivi par les parents qui ont des enfants pour lesquels la nature a été avare, et je partage l'opinion de mon honorable collègue que dans les écoles primaires les instituteurs pourraient donner les premiers éléments d'instruction aussi bien aux sourds-muets qu'aux aveugles dont le nombre est malheureusement très considérable, car on compte approximativement en Belgique 3,000 aveugles et 2,000 sourds-muets.

A ce qu'il a bien voulu dire, j'ajouterai que M. le chanoine Carton, qui est à la tête de l'institut des sourds-muets de Bruges, s'est distingué d'une manière toute particulière. La Belgique possède l'homme le plus compétent en matière d'instruction des sourds-muets. Ce respectable ecclésiastique a une réputation européenne. L'Institut de France a ouvert un concours sur la meilleure méthode pour l'éducation des sourds-muets. Dans ce concours, où il y avait 18 concurrents, M. le chanoine Carton a obtenu le prix, consistant en une médaille d'or.

Je voudrais que les indications de ce mémoire fussent suivies dans tous les instituts.

C'est dans ce mémoire que M. Carton engage les enfants privés de l'ouïe et de la parole à proférer quelques mots dès l'enfance.

C'est ainsi que l'on est parvenu aujourd'hui à faire parler les sourds-muets. Je ne me porte pas garant qu'ils deviendront des orateurs, et qu'ils arriveront à la Chambre, mais au moins ils savent proférer des paroles et peuvent demander tout ce dont ils ont besoin. On trouve dans le mémoire de M. le chanoine Carlon toutes les indications propres à assurer le succès de ce système ingénieux. Je ne saurais trop le recommander aux personnes qui ont des sourds-muets dans leur famille et à tous ceux qui s'intéressent à la situation de ces infortunés.

Grâce à ce système, les sourds-muets, ces déshérités de la nature, peuvent acquérir une instruction d'une certaine étendue.

En résumé, j'appuie de toutes mes forces l'amendement de mon honorable collègue. J'espère qu'il sera accueilli favorablement par le gouvernement et adopté par la Chambre.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Il n'est que trop vrai que l'éducation des aveugles et des sourds-muets, quoiqu'on ait fait pour ces infortunés, en Belgique, laisse encore beaucoup à désirer. Jusqu'à présent, si mes renseignements sont exacls, il n'y a guère que le tiers des sourds-muets qui reçoivent l'éducation D'ailleurs, les sourds-muets que les communes envoient aux instituts spéciaux pour recevoir l'éducation, y arrivent d'ordinaire à un âge beaucoup trop avancé, à un âge où leur intelligence n'est plus susceptible de se développer, où leurs organes ne peuvent plus se prêter à la vocalisation.

Il y aurait donc là quelque chose à faire. Il faut d'abord tâcher de répandre l'éducation des sourds-muets plus qu'on ne le fait aujourd'hui et la commencer plus tôt. Une méthode nouvelle vient d'être indiquée par l'homme compétent et dévoué, dont l'honorable M. Rodenbaeh a fait un si juste éloge. Dans un concours ouvert à Paris, auquel 18 concurrents ont pris part, M. le chanoine Carton, de Bruges, a obtenu la médaille d'or. Il s'agissait d'exposer les méthodes les plus propres à mettre l'instituteur ou toute autre personne plus ou moins instruite en état de commencer, dans l'école ou dans la famille, l'instruction des sourds-muets.

L'honorable chanoine Carton paraît avoir indiqué un système tout pratique qui pourra être appliqué facilement et avec succès. C'est un immense service rendu à toutes les familles qui sont affligées de cette infortune. On pourrait ainsi commencer dans les familles et très avantageusement l'instruction et l'éducation des sourds-muets. On pourra peut-être même dispenser beaucoup de ces enfants pauvres d'aller aux instituts et suppléer ainsi à l'insuffisance des revenus de certaines communes qui ne peuvent envoyer tous les sourds-muets pauvres à ces instituts.

Le livre qui a été couronné sera imprimé, je dirai même que je serais heureux d'encourager par un subside de l'Etat cette publication, afin d'en abaisser le prix de vente et d'en vulgariser l'usage.

Il y a ensuite un autre système qu'il s'agirait d'introduire, système qu'a exposé mon honorable ami M. le baron Della Faille, et qui est applicable aux sourds-muets qui sont susceptibles d'apprendre à parler. Je ne suis pas tout à fait d'accord avec l'honorable membre lorsqu'il dit qu'on pourrait apprendre à parler à tous les sourds-muets.

D'après les expériences qui ont été faites, je crois que ce n'est pas même la majeure partie de ces infortunés que l'on peut exercer à formuler le langage ordinaire de la société.

Je m'en réfère toutefois volontiers, sous ce rapport, aux connaissances spéciales de mon honorable ami. Mais d'après des renseignements (page 588) que j'ai lieu de croire exacts, on parviendrait difficilement à faire prononcer des mots et des phrases intelligibles à la moitié des sourds-muets qui sont aujourd'hui dans nos instituts.

Quoi qu'il en soit, il est évident qu'à ce double point de vue il y a beaucoup à faire encore pour l'éducation des sourds-muets.

Il est un troisième point où le gouvernement et les administrations communales pourraient intervenir efficacement : c'est pour le patronage des sourds-muets et des sourdes-muettes sortant des instituts. Aujourd'hui ces enfants, après avoir reçu de l'éducation, après avoir reçu des notions exactes sur les devoirs religieux, sur les phénomènes de la nature, sur les principaux faits sociaux, etc., sont sans moyens de communication avec le reste de la société. Il serait très utile d'organiser des comités de patronage qui leur faciliteraient l'entrée dans la société.

Sous tous ces points de vue, il y a donc du bien à faire. Mais je ne sais si cette question est assez mûrie ; si immédiatement il y aurait moyen de faire un emploi judicieux des 2,000 fr. que l'honorable membre propose d'aujouter aux 16,000 fr. alloués pour cet objet.

Au fond je ne suis donc nullement opposé à l'amendement ; au contraire. Mais je pense que peut-être la question n'est pas assez étudiée et j'avoue que je ne vois pas encore les moyens de faire immédiatement un emploi suffisamment judicieux des 2,000 fr., pour que je puisse d'emblée appuyer la proposition qui nous est faite. Cependant si la Chambre veut faire un essai, il est certain qu'il peut-être très utile.

M. Dellafaille. - J'insiste encore pour que l'on veuille bien admettre mon amendement. Je suis persuadé que la personne que M. le ministre a consultée sur la question de savoir si le langage oral peut être généralement enseigné aux sourds-muets, était de celles qui avaient fait des tentatives lorsqu'il était trop tard pour donner cet enseignement. Il est certain que lorsqu'on applique cet enseignement à des enfants très jeunes, on réussit généralement. Nous en avons fait l'essai à Anvers et nous avons obtenu des succès complets. Sur onze sourds-muets qui sont en ce moment dans ce petit institut, il n'y en a qu'un à qui cet enseignement n'ait pas profité.

Je persiste aussi à demander que mon amendement soit admis, parce que j'ai la certitude que dès à présent M. le ministre de l'intérieur trouvera l'occasion de donner des subsides à des établissements existants afin de favoriser davantage les cours oraux qui ne sont ni assez suivis ni assez encouragés. Il y aura aussi des établissements qui se formeront dans d'autres parties du pays qui jusqu'à ce jour n'en sont pas dotés et qui, comme l'a dit M. le ministre, mettront en pratique le système de M. le chanoine Carton. Il pourra encore l'appliquer, lorsque les instituteurs communaux, initiés à cette méthode, pourront donner l'enseignement aux sourds-muets sans déplacement de ceux-ci ; alors beaucoup de ces infortunés recevront une éducation qu'auparavant ils ne pouvaient acquérir.

Par ees motifs je demande qu'on veuille bien ajouter au crédit pétitionné une somme de 2,000 fr. Si ces 2,000 fr. ne trouvaient pas leur application, la dépense ne se ferait pas. Mais je pense que dans le courant de l'année, M. le ministre pourra trouver à en faire une utile application en faveur d'une classe si intéressante et malheureusement si nombreuse de nos concitoyens.

M. de La Coste. - J'ajouterai, comme simple renseignement, à ce qui vient d'être dit, qu'il y a plus de quarante ans que j ai vu dans le nord de la Hollande, un établissement de sourds-muets où l'enseignement oral faisait partie de l'éducation et était donné par des procédés aussi simples qu'ingénieux.

M. Rodenbach. - Je ferai remarquer à M. le ministre de l'intérieur que depuis quelque temps on a imaginé une nouvelle méthode pour apprendre l'art de parler aux sourds-muets. On peut trouver les détails de cette méthode dans l'ouvrage que j'ai publié ; elle est très simple ; la Chambre me permettra de la lui indiquer.

« Voici une méthode que j'ai inventée récemment pour apprendre à parler aux sourds-muets. Les succès qu'elle a obtenus m'engagent à l'exposer ici :

« Il suffit, pour apprendre à parler aux sourds-muets, de leur faire articuler les 32 sons primitifs de la langue française.

« A cet effet, on place le sourd-muet devant une glace ; l'instituteur se met derrière, lui de façon que l'élève puisse voir dans la glace son maître articuler les 32 sons : le sourd-muet doit observer dans le miroir le mouvement de la bouche, des lèvres et des dents de son professeur, et quand il sera parvenu à se rappeler les 32 manières d'articuler ces sons ou syllabes, il saura parler.

« Ce travail mécanique de la longue demande beaucoup d'exercice.

« Voici les 32 sons ou syllabes en question :

* Pe, A, ne, Ne, Me. Cé. Fe, Gne, Ve, I, Ai, Que, Gi, O, Che, U, Je, An, Ce, In, Ze, On, Te, Un, De, Oi, Re, OEu, Le, Ou, X, Lieu.

« L'élève peut apprendre à prononcer, en même temps qu'on lui enseigne à écrire les lettres de l'alphabet et les syllabes isolément, et l'on ne doit lui enseigner des noms entiers que lorsqu'il possède assez les éléments de la parole pour pouvoir articuler les mots.

« On est généralement d'accord qu'il n'y a qu'un cinquième des sourds-muets qui soient complètement sourds ; des quatre cinquièmes, deux entendent, mais confondent la parole avec les autres bruits ; deux autres distinguent même la parole ; et, puisqu'il n'y en a que quatre cinquièmes qui entendent plus ou moins, on peut encore pratiquer un autre système que l'on pourrait exercer conjointement avec une nouvelle méthode qui, comme je viens de l'expliquer, reporte sur les 32 sons primitifs.

« Voici un moyen que j'ai déjà fait essayer, il y a environ 18 ans, avec succès, à Roulers par la mère d'une jeune fille sourde-muette. Elle a eu le malheur de la perdre, à l'âge de 11 ans, alors qu'elle savait déjà parler suffisamment pour se faire comprendre de sa famille.

« On prend un cornet acoustique ou plutôt un porte-voix en zinc ou en fer-blanc : on en fait saisir entre les dents par le sourd-muet l'extrémité à petit diamètre, on articule les sons en plaçant la bouche au centre du pavillon. Pour varier, on peut aussi placer le cornet dans l'oreille en proférant des syllabes et des mots ; mais on doit écrire, au fur et à mesure, les mots, syllabes et phrases sur une planche noire avec de la craie, ou sur une ardoise, afin que le sourd-muet puisse regarder ce qu'on lui a fait entendre par la bouche ou par l'oreille au moyen du porte-voix, qu'on applique sur un corps dur de la tête, les dents par exemple, et c'est à l'aide de ce procédé que le sens de l'ouïe s'améliore. Certes, il n'est pas possible de faire entendre des enfants absolument sourds, mais on peut développer le sens de l'ouïe par cet exercice souvent répété. Les méthodes actuellement employées avec tant de persévérance dans les institutions réussissent parfois, mais d'une manière imparfaite. Je pense que par ce système on pourrait beaucoup abréger le temps des études, pour que les sourds-muets pussent proférer les mots et les phrases. Ce serait ainsi que la mère pourrait commencer elle-même l'éducation de son enfant sourd-muet, laissant à un instituteur le soiu de la perfectionner. »

Je dois ajouter, messieurs, que le deuxième des systèmes que je viens de faire connaître réussit presque toujours, tandis que l'autre est moins certain.

Il y a un curé en France que j'ai visité naguère et qui a déjà obtenu des succès avec le système du cornet acoustique.

J'appuie l'amendement de l'honorable M. Della Faille.

M. de Haerne. - Je viens appuyer aussi l'amendement proposé par mon honorable collègue le baron Della Faille.Tout le monde connaît la compétence de l'honorable membre en cette matière, on est généralement d'accord aussi pour reconnaître que l'enseignement des sourds-muets laisse encore beaucoup à désirer. Mon honorable ami le chanoine Carton s'est livré à des études toutes spéciales sur l'éducation scientifique et domestique de ces malheureux ; il en a fait, pour ainsi dire, l'occupation constante de sa vie.

Il a voyagé dans la plupart des pays qui possèdent des instituts de sourds-muets pour se mettre au courant des méthodes les plus perfectionnées. C'est à la suite de ces investigations qu'il a depuis longtemps introduit dans l'établissement qu'il dirige avec tant d'intelligence, l'enseignement oral, qui y est très développé ; j'ai rencontré, à ma grande surprise, dans cet institut des sourds-muets qui m'appelaient par mon nom à la vue du mouvement des lèvres de l'instituteur.

Si j'ai bien compris M. Della Faille, il voudrait que, pour amener les améliorations qui sont à désirer dans cet enseignement spécial, il y eût des comités et des réunions d'instituteurs où l'on pût s'éclairer, par la discussion, sur le perfectionnement des méthodes. C'est ce qu'on a compris en France. Dernièrement cette idée a été mise en pratique à Paris. Après l'honorable distinction accordée à M. Carton, après que son mémoire eut été couronné, il a été appelé à Paris par monseigneur l'archevêque, et là il a tenu des conférences où se trouvaient réunis, sous la présidence de Sa Grandeur, la plupart des instituteurs de Paris et des environs, ainsi que plusieurs personnages des plus distingués.

Il a obtenu un plein succès dans l'explication de sa méthode qui se rapporte principalement à l'idée émise par l'honorable M. Della Faille. Ce succès, je ne crains pas de le dire, fait honneur à la Belgique. C'est l'opinion qu'on a exprimée à cet égard en France, où l'on croit qu'il y a des progrès à réaliser dans cette matière, en suivant les idées pratiques du chanoine de Bruges. Je pense, messieurs, que les leçons que mon honorable ami a données à Paris pourraient être également utiles en Belgique.

Du reste, j'abandonne aux hommes compétents l'application du nouveau subside que demande l'honorable M. Della Faille. Dans tous les cas, comme il y a quelque chose à faire, il me paraît utile d'augmenter quelque peu le subside, ne fût-ce que pour faire un essai. Quel que soit cet essai, il me semble que la modicité de l'augmentation proposée est de nature à la faire adopter par la Chambre. Quant à moi, je n'hésite pas à. l'appuyer.

M. Deliége. - Il me semble, messieurs, qu'il serait très dangereux, à la fin d'une séance et sans plus ample examen, de voter le principe d'une nouvelle dépense. L'honorable ministre de l'intérieur vient de dire lui- même qu'il ne sait guère à quoi il emploierait la somme demandée. Il me semble qu'une pareille dépense devrait être proposée en sections et que dans tous les cas elle devrait passer par l'examen en section centrale. Je proposerai à la Chambre de renvoyer l'amendement de l'honorable M. Della Faille à la section centrale.

- Cette proposition est adoptée.

La séance est levée à 4 heures 1/2.