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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 10 février 1857

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1856-1857)

(Présidence de M. Delehaye.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 803) M. Tack procède à l'appel nominal à une heure et quart, et donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Crombez, secrétaire, présente l'analyse des pétitions suivantes.

« La dame Lehougue, veuve du sieur Bavard, ancien receveur des contributions, demande la rentrée eu jouissance de sa pension. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

« Le sieur Carlier, ancien professeur du collège d'Enghien, réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir une indemnité. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Châtelineau, Farciennes, Forchies-la-Marche, Gilly, Jumet, Marchienne-au-Pont, Monceau-sur-Sambre, Mont-sur-Marchienne et Pont-de-Loup prient la Chambre d'autoriser le gouvernement à admettre, au moins temporairement, l'or français dans les caisses publiques. »

-Même renvoi.


« Des propriétaires, cultivateurs et membres du comice agricole du canton de Marche présentent des observations sur la situation que fout à l'agriculture les droits sur les houilles et sur les fontes. »

« Mêmes observations d'habitants de Levalle-Chaudeville, Clabecq, Niel, Massemen-Westrem, Lessines, Bra, Lierneux. »

-Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi portant révision du tarif des douanes.

Projet de loi sur les jurys d’examen universitaire

Discussion des articles

Titre II. Des moyens d'encouragements

Article 40

La discussion continue sur l'article 40 et les amendements.

M. Tesch. - Messieurs, dans la séance d'hier, l'honorable comte de Theux a examiné quelle a été, sous la république et sous l'empire, la législation relative aux fondations. Il est arrivé à cette conclusion que les biens appartenant aux fondations n'avaient jamais été nationalisés ; qu'ultérieurement et sous l'empire ils avaient été réunis à la dotation de l'université de France, mais que d'après les dispositions du décret de 1811, la volonté des fondateurs était parfaitement respectée, à tel point que toutes les administrations particulières avaient été maintenues.

Continuant cet examen historico-légal, l'honorable ministre de l'intérieur et notre honorable collègue, M. Landeloos, ont examiné la législation relative à la même matière sous le royaume des Pays-Bas, l'ont mise en rapport avec la Constitution et sont, à leur tour, arrivés à cette conclusion que toute la législation formulée sous le gouvernement des Pays-Bas était abrogée ; que tout ce qui existait aujourd'hui était parfaitement légal et que, par conséquent, il n'y avait absolument rien à y changer.

Messieurs, j'examinerai à mon tour ces différentes questions et j'aboutirai à un résultat diamétralement opposé à celui des honorables membres que je viens de citer.

La question de savoir si les biens des fondations ont été nationalisés ou ne l'ont pas été, a déjà fait l'objet de l'examen de l'autorité judiciaire. Elle a été discutée devant la magistrature suprême du pays, par conséquent, en dehors de toute idée politique, en dehors de tout esprit de parti et la solution qui a été donnée à la question par M. l'avocat général Delebecque, qui portait la parole dans cette circonstance, a été tout à fait différente de celle que lui a donnée l'honorable comte de Theux. Et il est très difficile, pour ne pas dire impossible, d’échapper aux arguments que cet honorable magistral a fait valoir devant la cour de cassation.

La nationalisation des biens des fondations ressort à la dernière évidence et de l'intention du législateur et du texte formel des lois.

La première disposition que nous trouvons et qui a rapport à cet objet, sous la république, c'est la loi du 20 octobre 1790.

De l'article premier mis en rapport avec l'intitule du titre premier, il ressort qu'à cette époque l’intention du législateur était de comprendre dans la mainmise nationale les biens des fondations de bourses. Voici quel est cet intitulé :

« Titre premier. De la distinction des biens nationaux à vendre dès à présent et de l'administration générale. »

Et dans l'article premier on indique les biens qui doivent être vendus et les biens à l'égard desquels on se réserve de statuer ultérieurement ; et par un décret du 23 messidor an II, tous les biens des établissements de bienfaisance, des hospices, maisons de secours, etc., sont réunis au domaine de l'Etat. Une loi postérieure, celle du 25 messidor an V, déclare que dans cette disposition sont compris les biens des fondations. Je pourrais citer une autre loi, la loi du 8-10 mars 1793 ; mais la citation que je viens de faire des dispositions de la loi du 23 messidor an II, interprétée par celle du 25 messidor an V, ne peut laisser aucun doute sur la question de savoir si ces biens ont été nationalisés.

Mais à ces textes clairs, précis, formels, on oppose une objection ; On dit que la loi du 23 messidor an II n'a pas été publiée en Belgique ; il est bien vrai que cette loi n'a pas été publiée ; mais il est vrai aussi que dans la loi de brumaire an IV, qui restitue provisoirement les biens aux établissements de bienfaisance, aux hospices, il en est question, qu'elle y est rappelée tout au long, et qu'elle se trouve ainsi publiée en Belgique par le mode appelé « per relationem ».

Mais ici je rencontre de nouvelles objections de l’honorable comte de Theux.

La loi du 2 brumaire an IV correspond, selon lui, au 26 août 1795 et la réunion de la Belgique à la France ne date que du 1er octobre 1795. La loi qui suspend la vente des biens des établissements de bienfaisance et qui rappelle la loi de messidor an II, serait donc antérieure à la réunion de la Belgique à la France, n'aurait pas été publiée depuis dans notre pays et la publication « per relationem » n'existerait pas.

J'ai, messieurs, procédé à une vérification de dates et j'ai trouvé que la loi du 2 brumaire an IV, à laquelle l'honorable M.de Theux donne, la date du 26 août 1795, par conséquent une date antérieure à la réunion de la Belgique à la France, correspond, quant à la date grégorienne, au 24 octobre 1795, el est par conséquent postérieure à la réunion de la Belgique à la France.

M. de Theux. - Le recueil- des lois françaises que je possède porte la date que j'ai indiquée.

M. Tesch. - Je ne suspecte pas la véracité de l'honorable M. de Theux, mais je le répète, j'ai fait ce matin une première vérification dans le recueil qui se trouve à la bibliothèque ; j'ai fait plus : j'ai pris le calendrier qui contient le rapport entre les dates grégoriennes et les dates républicaines. j'ai constaté que la loi n'a pas la date du 26 août 1795, date qui serait antérieure à la réunion de la Belgique à la France, mais la date du 20 octobre 1795, postérieure par conséquent à la réunion.

Cette loi se trouve donc publiée et elle se trouve, de plus implicitement publiée par la loi de messidor an V. La publication « per relationem », par le rappel dans d'autres lois publiées, me paraît donc incontestable.

L'honorable M. de Theux argumente d'un mot qui se trouve dans la loi de vendémiaire an V, et qui serait applicable à la loi de messidor an V. La loi du 16 vendémiaire, dit-il, porte : « Les hospices et bureaux de bienfaisance conserveront, etc. »

Conséquemment, ils n'étaient pas dessaisis de leurs domaines, la propriété n'avait pas cessé de leur appartenir. C'est encore là, à mon sens, une erreur très grave.

En présence des textes formels on ne peut pas contester, au moins pour la France, que les biens des hospices el des bureaux de bienfaisance aient été pendant quelque temps au moins nationalisés. Le mot « conserveront » employé par la loi de vendémiaire ne peut donc pas avoir la signification que les biens des fondations ne sont jamais sortis du domaine des établissements de bienfaisance ; mais voici l'explication de l’emploi de ce mot.

Après la loi de messidor an II est venue la loi du 3 brumaire an IV, qui a suspendu provisoirement les effets de la loi de messidor, et qui restitue provisoirement aux établissements de bienfaisance la propriété de leurs biens ; et après est venue la loi de vendémiaire, qui en a décrété la restitution définitive. Et celle-là a pu déclarer que les hospices et tes établissements de bienfaisance conserveront ce que la loi de brumaire an IV leur avait remis provisoirement.

Voilà l'explication de l'emploi du mot « conserveront » dont se sert la loi de vendémiaire an V.

Ainsi quant à la mainmise nationale sur les biens de fondation, elle ne peut être contestée.

Ces biens, que sont-ils ultérieurement devenus ? Nous ne voyons aucun acte d'envoi en possession au profil d'une administration quelconque ; nous n'en trouvons pas de trace ; ce que nous trouvons après la loi de vendémiaire an V, c'est un décret du 11 décembre 1808 qui réunit ces biens à ceux de l'université de France qui avait été organisée par le décret du 17 mars précèdent ; puis vient le décret du 15 novembre 1811 qui confirme cette annexion des biens des fondations à l'administration universitaire de France.

Maintenant quel a été, quant à l'administration de ces biens, le régime introduit par le décret de 1811 ? Quel est le respect manifesté par ce décret pour la volonté du fondateur ?

Les dispositions de ce décret autorisent-elles les assertions de M. le comte de Theux ? Je n'hésite pas à dire : Non.

Ce décret respecte le droit de collation dans la personne du fondateur et de ses héritiers. Rien de plus.

L'honorable membre a cité quelques articles, mais qui ne sont pas applicables au point en discussion.

Je vais le démontrer de la manière la plus claire, la plus péremptoire. Le décrut du 15 novembre 1811 contient des chapitres et des titres divers. Le chapitre IV, titre 1er, de quoi traite-t-il ? « Des dotations et fondations provenant des universités, académies et collèges (page 804) tant de l'ancien que du nouveau territoire de l'empire attribuées à l'université impériale. »

L'article premier du titre premier de ce chapitre confirme l'attribution à l'université de France des biens de fondations de bourses, attribution faite par le décret du 11 décembre 1808, et cette attribution entraînait nécessairement pour ces biens le même mode d'administration auquel étaient soumis tous les autres biens de l'université de France ; et il n'y avait à ce régime, comme je l'ai dit plus haut, qu'une seule exception, c'est celle qui est établie par les articles 172 et 174 de ce décret ; c'était la réserve du droit de collation en faveur des fondateurs et de leurs héritiers. Du reste, l'université administrait ces biens comme elle administrait tous ses autres revenus.

L'article que l'honorable comte de Theux nous a cité pour prouver que l'on conservait les administrations instituées par les fondateurs, se trouve sous un tout autre titre. L'article 179 se trouve sous le titre II, chapitre 4. Et quel est l'intitulé de ce titre ? J'appelle sur ce point l'attention de la Chambre : « Des dotations et fondations qui seront faites à l'avenir’. C'est sous ce dire que se trouve l'art. 179 : « Si le fondateur, porte cet article, a désigné des administrateurs des biens affectés à la fondation, cette administration aura lieu sous la surveillance du recteur de l'Académie dans l'arrondissement duquel l'objet de la fondation devra être rempli, et il pourra s'en faire rendre compte chaque année.»

Or, la preuve la plus évidente qu'on ne mettait pas sur la même ligne l'administration des fondations supprimées et l'administration des fondations qui seraient faites à l'avenir, c'est que les dispositions réglant les unes et les autres, dispositions différentes, sont placées sous des titres différents, avec des intitulés qui ne laissent pas place au moindre doute, à la moindre équivoque.

Or qu'a fait l'honorable comte de Theux ? Il a cherché dans le titre II, rubrique des dotations et fondations qui seront faites à l'avenir, un article qu'il applique aux fondations qui existaient dans le passé et dont le sort était réglé par le titre précédent.

C'est donc méconnaître formellement ce que porte le décret de 1811, que de soutenir que les administrations particulières des fondations supprimées étaient maintenues, et de soutenir que ces fondations étaient réglées par les mêmes règles que celles qui étaient établies pour les fondations qui devaient être créées à l'avenir.

Cette distinction, cette différence s'explique du reste. On a voulu encourager les fondations en laissant aux fondateurs liberté de régler l'administration de leur œuvre.

La vérité est donc que lors des événements de 1814 et de 1815 l'état, le régime des fondations supprimées était celui-ci : Les biens et leur administration appartenait à l'université de France, la collation seule appartenait aux fondateurs ou à leurs héritiers, quand le titre la leur reservait.

Messieurs, en 1814 et en 1815, la Belgique a été séparée de la France. Evidemment les biens de fondations ne pouvaient plus avoir la même destination qu'ils avaient eue antérieurement, c'est-à-dire ne pouvaient rester propriété de l'université de France avec laquelle notre union était rompue. Ces biens se sont donc trouvés en quelque sorte vacants ;, ils se sont trouvés dans le domaine ; et c'est là, dans cet état, que le royaume des Pays-Bas les a trouvés.

Quelles sont, messieurs, les dispositions qui sont intervenues après les événements de 1815 réglant l'objet qui nous occupe ? De nouvelles administrations ont été créées. On a restitué aux collateurs les droits tels qu'ils existaient d'après les titres anciens, quand cela était possible. Ou a donné au ministre le droit de constituer les administrations, en respectant autant que possible la volonté des testateurs.

Quant à l'attribution des bourses, la première disposition que nous trouvons est l'arrêté du 25 septembre 1816 qui porte :

« Art. 158. Les bourses provenant de quelque contrai ou disposition testamentaire de particuliers seront administrées, pour autant que cela peut se concilier avec l'organisation nouvelle, conformément aux contrats et dispositions du fondateur, et celles qu'on pourrait découvrir de nouveau seront rendues, sous la première condition, à leur première destination.

« En conséquence, toutes ces bourses seront partagées entre les trois universités. Les villes auront, en outre, la faculté d'accorder des bourses à des jeunes gens méritants, mais peu aisés. »

C'est là certes, messieurs, une disposition très formelle : en conséquence toutes ces bourses seront partagées entre les trois universités.

Cette disposition se trouve confirmée de la manière la plus expresse par l'arrêté du 2 décembre 1823, qui porte, article 13 :

« Aucun payement fait à ceux auxquels les bourses ont été conférées, ne sera alloué en compte qu'autant que le receveur se sera fait remettre et produira avec la quittance du boursier un certificat constatant que celui-ci s'applique effectivement, dans un des établissements d'instruction publique du royaume reconnu par le gouvernement, à l'espèce d'éludé pour laquelle la bourse lui a été conférée. Ces certificats seront délivrés par les chefs desdits établissements. »

Ainsi voilà une disposition qui corrobore celle de l'arrêté de 1816. Il est indispensable que le boursier fasse des études dans l'un des établissements publics du royaume reconnus par le gouvernement. Il est bien certain, messieurs, que jusqu'en 1830, personne n'a pu contester que ces bourses appartinssent aux universités de l'Etat, que c'était dans les trois universités de l'Etat que les boursiers devaient faire leurs études.

Mais, dit-on, la Constitution de 1830 a modifié ce régime ; elle a aboli l'arrêté de 1816 et l'arrêté de 1823.

Messieurs, je ne saurais admettre cette abolition. Il n'y a, à mon avis, laissant de côté l'abrogation des lois par la désuétude, abrogation dont il ne peut s'agir ici, il n'y a, dis-je, que deux modes d'abrogation des lois: ou bien une abrogation expresse ou une abrogation tacite, implicite.

De révocation expresse, il n'y en a évidemment pas. On ne trouvera pas de disposition qui déclare que l'article 158 du décret de 1816 et l'article 13 de l'arrêté du 2 décembre 1823 soient abrogés. Personne ne le soutiendra.

Il faut donc argumenter d'une abrogation implicite, d'une abrogation tacite. Eh bien, je demande quand il y a abrogation tacite ? Il n'y a jamais abrogation tacite que dans le cas où il y a opposition complète entre deux dispositions. Lorsqu'il y a une contradiction absolue entre deux dispositions, quand les deux dispositions ne peuvent pas coexister, alors il y a abrogation tacite. Mais lorsqu'il n'y a pas de contradiction entre deux dispositions, lorsqu'il y a possibilité de les faire exister ensemble, de les concilier, il n'y a pas d'abrogation possible. Il n'y a pas de jurisconsulte qui puisse soutenir que lorsque deux dispositions peuvent coexister, il y a abrogation de l'une par l'autre. C'est cependant un genre d'abrogation semblable que l'on veut appliquer dans l'espèce.

Il me sera facile d'établir que cette contrariété, cette incompatibilité entre les arrêtés de 1816 et 1823 et la Constitution n'existe pas. Qu'est-ce que la liberté d'enseignement ? C'est la liberté, pour chacun, d'enseigner. Mais peut-on prétendre que l'attribution de bourses à un établissement porte atteinte à la liberté de n'importe qui, d'enseigner ? Evidemment la liberté d'enseignement n'existerait pas moins s'il n'y avait pas de bourses du tout ; ou bien si toutes les bourses étaient attribuées soit à l'université de Bruxelles, soit à l'université de Louvain, soit aux universités de l'Etat, la liberté d'enseignement ne serait-elle pas néanmoins complète, absolue ?

Il n'y a personne qui puisse le contester. Et vous voudriez faire résulter une abrogation, de dispositions qui n'ont rien de contraire, qui se concilient parfaitement ! Ce n'est pas sérieux.

Il n'y a pas eu abrogation des arrêtés de 1816 et de 1823. Ces arrêtés existent en plein ; la loi a été véritablement méconnue jusqu'à ce jour.

L'honorable M. Landeloos disait hier : Mais dans votre système, l'article du Code pénal qui défend les associations existerait encore.

C'est là une erreur complète, erreur de droit, erreur de fait. D'abord, l'article du Code pénal a été abrogé par un décret du gouvernement provisoire en date du 16 octobre 1830. Il y a là abrogation formelle. Ce décret porte que toutes les dispositions du Code pénal, du Code civil et du Code de commerce qui sont contraires au droit d'association sont et demeurent abrogées.

Mais il y a d'un autre côté une énorme différence entre ce qui concerne le droit d'association et l'article du Code pénal, d'une part, et d'autre part, les arrêtés dont j'ai parlé en rapport avec la liberté d'enseignement.

Vous ne pouvez dire : Je proclame la liberté d'association, et je maintiens des lois qui défendent les associations. Là il y aurait abrogation tacite s'il n'y avait eu abrogation expresse, parce que les deux choses sont inconciliables. Vous ne pouvez dire à la fois : On peut s'associer, et l'on ne peut pas s'associer. Mais on peut dire : Tout le monde est libre d'enseigner ; seulement tel et tel établissement aura des bourses ; car les bourses n'ont aucun rapport avec la liberté d'enseignement. C'est peut-être un moyen de concurrence vis-à-vis de l'un ou de l'autre établissement. Mais la Constitution ne s'est pas occupée des établissements. Je sais qu'on tire de la liberté d'enseignement des conséquences fort exagérées. Ce n'est plus seulement la liberté de l'enseignement que l'on veut, ce sont des droits de concurrence absolue des établissements libres vis-à-vis des établissements de l'Etat. C'est là le système, l'interprétation qu'on veut faire prévaloir aujourd'hui. Mais ce n'est évidemment pas le système constitutionnel.

La preuve que cette abrogation implicite ne peut être invoquée dans l'espèce, c'est ce qui s'est passé relativement à la liberté de la presse et au décret qui est venu ultérieurement la réglementer.

Il y avait, avant la Constitution, des lois de 1829 et de 1830, qui n'étaient pas très favorables à la liberté de la presse, qui même étaient une véritable atteinte à cette liberté.

Ces lois ont-elles été abrogées ipso facto par la proclamation de la liberté de la presse ?

Du tout. Dans les derniers jours de la réunion du Congrès, un décret a été présenté. Une commission a été nommée pour l'examiner. Elle a déclaré que les lois de 1829 el 1830 sur la presse étaient restées intactes.

Voici en quels termes l'honorable comte de Theux, rapporteur de cette commission, s'est exprimé. Je cite textuellement :

« M. le chevalier de Theux de Meylandt, rapporteur, dit que la commissiou n'a pas cru nécessaire de présenter une loi nouvelle ; elle a été d'avis unanime que les lois de 1829 et 1830 étaient en vigueur et pouvaient nous régir. »

Voilà ce qu'on disait à cette époque, et bien certainement les lois de 1829 et de 1830 étaient bien plus contraires à la liberté de la presse que l'existence de certaines bourses attribuées à tel ou tel établissement n'est contraire à la liberté de l’enseignement.

(page 805) Je répète donc que l'argument que l'honorable ministre de l'intérieur et l'honorable M. Landeloos tirent de la Constitution est complètement inadmissible.

Mais je suppose que la proclamation de la liberté d'enseignement ait aboli ces arrêtés. Je suppose qu'il soit dans l'esprit de la disposition constitutionnelle que les bourses soient également réparties entre toutes les universités, alors que faut-il ? Il faut que vous meniez le fait en rapport avec le droit, que vous organisiez l'administration des bourses, de manière qu'elles puissent profiter à tous les établissements d'enseignement.

Que signifie que vous admettiez que tous les établissements peuvent profiter de ces bourses, lorsque, en fait, vous les confisquez à votre profit ?

Le fait est en opposition avec le droit. C'est une raison de plus pour admettre la proposition qui a été faite de réglementer cette administration de manière à n'exercer aucune espèce d'influence, d'action, de pression pour que les bourses, au lieu d'appartenir à toutes les universités, appartiennent exclusivement à l'université de Louvain.

Mais, dit-on, vous n'avez pas le droit de faire cela. On a appelé cela de « l'incamération ». On a parlé du Piémont. La similitude que je remarque entre le Piémont et la Belgique, c'est que les adversaires de l'opinion libérale sont les mêmes dans le Piémont qu'en Belgique. C'est que, quand il y a un abus dont ils profitent, ils ne veulent pas qu'on y touche ; c'est que quand ils détiennent ce qui appartient à l'Etat, au domaine public, et que nous le revendiquons au nom de l'Etat, au profit du domaine public, dans les deux pays on crie au vol, à la spoliation.

Je ne pense pas qu'il soit sérieusement contestable que tout ce qui a rapport à des fondations, à des personnes civiles, ne soit toujours dans le domaine du législateur.

Personne ne peut contester ce principe, et je dis que s'il n'en était pas ainsi, la volonté individuelle serait au-dessus de tous les intérêts sociaux, ce qui n'est pas admissible. On doit respecter la volonté individuelle, quand cela ne présente pas d'inconvénient ; mais jamais la volonté individuelle ne peut être substituée aux intérêts de la société. Cela n'a jamais été soutenu par personne.

Mais, messieurs, est-ce la première fois qu'on le professe ? N'est-ce que l'opposition libérale qui vient le proclamer ? Non, messieurs, cette question a été examinée en dehors de toute espèce d'esprit de parti, d'idées politiques, d'abord par la cour de cassation, puis, par la commission spéciale qui a été chargée dans le temps d'étudier toutes ces questions et dont le travail respire, à chaque ligne, le plus profond respect pour la volonté des fondateurs.

Que dit la cour de cassation :

« Attendu que les fondations de bourses d'études ne peuvent être envisagées que comme des établissements d’utilité publique, qui placés sous la haute tutelle du gouvernement qui leur donne leur existence légale, demeurent soumis à toutes les mesures qu'il croit devoir prescrire dans l'intérêt général pour leur administration et pour atteindre le but même de la fondation ; que les moyens d'atteindre ce but selon les circonstances et dans un intérêt d'ordre public appartiennent entièrement à l'autorité administrative et ne peuvent être soumis à l'appréciation de l'autorité judiciaire, appelée à statuer sur des droits civils et sur les contestations relatives à l'intérêt privé des parties, et non à prescrire les mesures que réclame l'intérêt général. »

Voyons maintenant, ce qu'a fait la commission spéciale. Comme le disait dans une des dernières séances mon honorable ami, M. Frère, cette composition était composée de magistrats dont on ne suspectera certainement pas les intentions ; du procureur général à la cour de cassation, de M. Liedts, gouverneur de Brabant, ministre d'Etat, de M. Paquet, d'un de nos honorables collègues M. Orts, de M. de Luesemans, de M. Tielemans ; eh bien, que proposait la commission ? De ramener toutes les fondations à une administration unique que nous aurions organisée par une loi ; et dans toutes les discussions qui ont eu lieu à cette époque, il a été unanimement reconnu qu'il n'y avait aucun inconvénient, qu'au contraire il y avait un grand avantage à ramener ces administrations à un centre commun et que, sous le rapport du droit, il n'y avait aucune objection à faire.

Voilà ce qui a été reconnu par les magistrats les plus élevés de la Belgique ; voilà ce qui a été reconnu par des hommes dont les intentions, les sentiments et les opinions conservatrices sont à l’abri de toute espèce de suspicion.

Ainsi, au point de vue du droit, il n'y a pas lieu de discuter si le législateur peut, oui ou non, changer l'administrateur des biens des fondations, et l'organiser de manière que la liberté, que cette liberté que vous prétendez exister en droit, existe aussi en fait.

Maintenant je conviens que dans les termes de la proposition qu'a faite mon honorable ami M. Frère, il y a peut-être quelque chose de très large ; mais je suis convaincu que l'honorable membre n'a pas entendu porter la moindre atteinte au droit des familles, tel qu'il est exercé aujourd'hui ; pour ma part, je crois que si ce mode de collation ne lésait en aucune façon les intérêts de la société, le législateur n'aurait pas le droit de modifier ce qui a été fait ; du reste, je crois ce droit en ce moment peu important, car si les détails statistiques que nous a donnés hier l’honorable M. Verhaegen sont exacts, il n'y a que 23 de ces familles.

M. Frère-Orban. - Dans le Brabant ; et il n'y en a pas plus de 60 pour tout le pays.

M. Tesch. - C'est la seule question à examiner et sur laquelle il puisse surgir une discussion ; or, je le répète, je suis convaincu que l'honorable. M. Frère n'a pas entendu, par sa proposition, porter la moindre atteinte au droit des familles.

Il y a un autre genre de collation ; ce sont les collations qui sont faites par des fonctionnaires. On a assimilé le droit de ces fonctionnaires au droit des familles ; M. le ministre de l'intérieur faisait cette assimilation que je ne puis pas accepter.

Mais par qui sont réglés, déterminés les droits, les attributions des fonctionnaires ?

Evidemment par le gouvernement dont ils relèvent. C'est le gouvernement qui détermine les attributions de ses agents, et il n'a appartenu à personne de donner, contre la volonté du gouvernement ou en dehors de la volonté du gouvernement, des attributions à un fonctionnaire quelconque. Il y a une énorme différence entre un fonctionnaire auquel il plaît à un individu de conférer des attributions, à raison de son office, et une famille que le même individu investirait d'un droit.

Le gouvernement est parfaitement libre à l'égard de ses fonctionnaires ; il y a des collateurs parmi les commissaires d'arrondissement, les procureurs du roi, etc. ; il est évident que le gouvernement peut parfaitement déclarer qu'à l'avenir ces fonctionnaires n'interviendront plus dans la collation des bourses. Ce droit, du reste, ils en ont été en partie investis par suite de l'arrêté de 1823 ; et aujourd’hui le gouvernement ne pourrait, sans porter atteinte à la volonté des testateurs, enlever à ces fonctionnaires un droit que le gouvernement leur a conféré ; le gouvernement ne serait plus libre de modifier une des attributions spéciales de ses fonctionnaires.

Vous parlez de la collation comme d'un droit civil. Prétendez-vous que ce soit un droit civil pour un fonctionnaire de se charger de la collation de bourses ?

Je comprends que vous me parliez d'un droit civil, en ce qui concerne les représentants des familles ; mais prétendez-vous que nous lésions un droit civil, lorsque nous déclarons qu'un fonctionnaire cessera d'exercer une de ses attributions ?

Ainsi, dans l'amendement de l'honorable M. Frère, il y a l'administration des bourses proprement dite ; on ne peut pas contester sérieusement que le législateur ne puisse la régler, si, comme vous le dites, la liberté d'enseignement entraîne l'application des bourses à toutes les universités.

Quant aux collations, je respecte les droits des familles ; en ce qui concerne les collations faites par des fonctionnaires, à raison de leur office, il est évident que le législateur peut modifier ce qui existe, quand et comment il le veut, et qu'il est opportun de le faire.

Il me reste à examiner la proposition du gouvernement, tendante à partager les 60 bourses de l'Etat entre les différentes universités.

Messieurs, l'honorable M. Dedecker prétend que c'est là une politique très large et très généreuse. Politique large et généreuse vis à vis des établissements libres. Mais je ne sais pas si elle est très rationnelle. Je comprendrais que si le système était appliqué dans sa vérité, l'honorable ministre pût soutenir une semblable politique ; mais est-ce bien de la générosité que de partager avec des établissements qui ne partagent pas du tout avec vous ?

On n'est pas d'accord sur le nombre des boursiers de l'université de Louvain ; un membre nous a dit qu'il était de 300, un autre a dit qu'il y en avait 250 ; M. Landeloos a prétendu qu'il n'y en avait que 157 ; mais on lui a répondu que des boursiers profitaient de deux et même de trois bourses. Quoi qu'il en soit de ce dissentiment quant au nombre des boursiers, il est constant que l'université de Louvain ait de 400 à 500 bourses. Je demande si, quand un établissement jouit d'une aussi grande quantité de bourses, il est convenable, rationnel, de faire vis-à-vis de lui de la générosité ?

Quand un établissement est doté cinq, six, sept fois plus richement que les universités de l'Etat réunies, il me semble qu'il faut conserver ses ressources pour les établissements qu'on est plus spécialement chargé de diriger ; ou bien, il faut tout au moins organiser l'administration de manière que toutes les bourses qui se trouvent dans le pays profitent à tous les établissements du pays.

Je conçois le système en ce sens que toutes les bourses étant réparties entre toutes les universités du pays, il y aurait les mêmes moyens de concurrence entre tous les établissements d'enseignement, mais je ne puis pas admettre que, dans la situation actuelle, on donne à l'université de Louvain, qui déjà jouit de quatre à cinq cents bourses, une partie des soixante bourses dont jouissent les universités de l'Etat.

Je ne comprends pas qu'on dépouille les universités de l'Etat des soixante bourses qui leur sont attribuées pour en attribuer une partie à un établissement qui en regorge.

Abordant un autre ordre d'idées, je demanderai si le gouvernement peut bien renoncer à toute espèce de surveillance sur les fonds qu'il alloue pour la distribution des bourses ?

On a soutenu que les bourses n'étaient pas faites pour les établissements, mais pour les jeunes gens ; moi je crois qu'elles ne sont créés ni pour les établissements ni pour les élèves, mais qu'elles sont établies pour le développement des études et des bonnes études. Je répète : des études et des bonnes études. La conséquence à tirer est que le gouvernement doit surveiller si le boursier utilise l'argent qui lui est donné, en d'autres termes s'il travaille ; de plus le gouvernement doit s'assurer du (page 806) genre d'études qu'il fait ; or il ne peut s'acquitter de ce devoir qu'à la condition que le boursier soit dans un établissement dont la direction et la surveillance lui appartiennent.

Du moment où le boursier n'est pas dans ses établissements, le gouvernement ne peut plus savoir ce que fait le boursier, si les progrès sont en rapport avec les encouragements qu'on lui donne ; il ne sait pas si les études qu'il fait tourneront au préjudice ou au profit de la société. Je ne veux pas sortir des débats de cette session pour prouver qu'il est tout à fait indispensable que le gouvernement doit conserver une surveillance sérieuse sur les études des boursiers et que nos adversaires devraient être d'accord avec nous sur ce point.

Naguère et pendant toute une séance, notre honorable collègue M. Dechamps a cherché à nous prouver que l'université de Bruxelles n'était instituée que pour décatholiser la Belgique. Si cela était vrai, le gouvernement ne devrait pas donner 15 bourses pour décatholiser 15 jeunes gens. La majorité ne peut pas accepter un système qui forcerait le gouvernement à donner 15 bourses pour que des jeunes gens se décatholisent.

D'un autre côté, je suppose que l'université de Louvain veuille rester orthodoxe, qu'elle veuille conformer son enseignement à l'encyclique de Grégoire XVI, expliquée cette fois par Pie IX lui-même, dans son allocution du 15 décembre dernier, où il condamne de la manière la plus expresse, non seulement comme un droit absolu dérivant de Dieu, mais encore comme un droit relatif, dérivant d'une constitution, la liberté de la presse, la liberté des cultes, l'égalité devant la loi, la séparation des pouvoirs, en un mot tous les principes de notre droit public et, je le répète, ce n'est pas seulement comme droits absolus, mais comme des droits relatifs, constitutionnels, que ces droits sont condamnés, de sorte qu'il n'est pas possible que la Constitution belge y échappe.

Je suppose que l'université de Louvain veuille se conformer aux principes qui se trouvent consignés, expliqués, commentés dans l'allocution du 15 décembre.

Qu'arrivera-t-il ? Que tous les principes de notre droit public y seront condamnés.

Donnerez-vous 15 bourses à des jeunes gens pour aller apprendre à l'université de Louvain, que notre Constitution n'est faite que pour propager la peste effroyable de l'indifférence ?

Je dis donc que le gouvernement en donnant des bourses à des jeunes gens pour étudier dans des établissements qui échappent à sa surveillance, se dépouille du droit de s'assurer si les études du boursier tourneront au profit de la société ou à son détriment, il abdique son droit de s'assurer si les individus recevant des bourses en profitent, font des études convenables ; et cette abdication, je ne l'admets pas ; le gouvernement en donnant l'argent de la société pour faire faire des études à des jeunes gens peu favorisés de la fortune doit pouvoir s'assurer que ces études tourneront au profit de la société.

M. de Theux. - Messieurs, d'après l'honorable M. Tesch, je me suis trompé de date quand j'ai cité la loi qui a suspendu la vente des biens des hospices et des fondations de bourses. Je suis sorti pour aller chercher le recueil d'après lequel j'avais fait ma citation.

J'ai la satisfaction de pouvoir dire que je ne me suis nullement trompé. J'avais dit, dans la séance d'hier, qu'une loi du 26 août 1795 avait suspendu la vente des biens des hospices.

Que fait M. Tesch ? Il argumente de la loi du 2 brumaire an IV (24 octobre 1795) tandis que j'avais argumenté d'une loi antérieure, de la loi du 9 fructidor an III (26 août 1795). Le fait est exact ; il est constaté, non seulement par le Recueil des lois, mais par le calendrier officiel mis en concordance avec le calendrier républicain. J'étais donc dans le vrai, c'est l'honorable membre qui est dans l'erreur. Alors la Belgique n'était pas réunie à la France ; c'est ce que j'ai dit, ainsi donc mon argumentation était parfaitement exacte.

Dans tous les cas, ainsi que je l'ai dit hier, cette question est tout à fait indifférente. Que les biens aient été nationalisés et restitués, ils n'en restent pas moins une propriété dans les mains de ceux qui les possèdent.

L'honorable membre a cru que je prétendais trouver un argument très fort dans ces mots : « sont conservés dans la jouissance ». Mais non ! J'ai reconnu que les biens ont été réellement confisqués au profit de l'Etat ; mais cette expression prouve que le gouvernement a eu honte de son œuvre.

L'honorable membre a cru m'embarrasser, en faisant remarquer que l'article 179 fait partie d'un litre intitulé : « Des dotations et des fondations qui seront fondées à l'avenir ». Eh bien, c'est ce que j'ai déclaré dans la séance d’hier, ajoutant que cette disposition s'appliquait a fortiori au passé ; car il serait absurde de supposer que l'on voulait disposer rétroactivement autrement qu'on ne faisait pour l'avenir.

M. Tesch (pour un fait personnel). - Il est possible qu'il y ait une loi du 16 août 1795, mais il y en a une du 2 brumaire an IV. Mon argument reste complètement le même.

M. de Theux, rapporteur. - Du tout !

M. Tesch. - Je vous le démontrerai.

Quel est l'argument de l’honorable M. de Theux ? Le voici ; il dit: La loi que vous invoquez n'a pas été publiée en Belgique. Je réponds qu'elle a été publiée en Belgique par la loi de brumaire an IV, postérieure à la réunion de la Belgique à la France. Je constate ce fait que la loi de brumaire an IV a visé, rappelé la loi qui a nationalisé les biens des établissements de bienfaisance, que cette loi de brumaire est postérieure à notre réunion à la France et qu'ainsi la loi du 23 messidor an II s'est trouvée publiée « per relationem » en Belgique.

Quant au point qui nous divise, l'honorable comte de Theux et moi, il me suffira, pour prouver qui de nous a tort ou raison, de lire l'intitulé et l'article premier de la loi du 2 brumaire an IV.

« 24 octobre (2 brumaire an IV). Loi qui suspend celle du 23 messidor an II en ce qui concerne l'administration et la perception des revenus des établissements de bienfaisance.

« Art. 1er. En attendant qu'il ait été statué définitivement sur l'organisation des secours, l'exécution de la loi du 23 messidor an II est suspendue en ce qui concerne l'administration et la perception des revenus des hôpitaux, maisons de secours, hospices, bureaux des pauvres et autres établissements de bienfaisance sous quelque dénomination qu'ils soient connus. »

Ai-je donc bien cité, quand j'ai dit que c'est la loi du 2 brumaire an IV qui a suspendu la loi du 25 messidor an II ? Et il est, je pense, inutile de dire à la Chambre que je n'ai pas fait faire ce livre tout exprès pour la discussion actuelle.

J'ai dit à l'honorable comte de Theux qu'il citait à faux le décret de 1811, et je maintiens ce que j'ai dit. L'honorable comte de Theux nous a parfaitement bien dit hier qu'on lui opposerait peut-être que l'article 179 n'est applicable qu'aux fondations à créer, mais il n'a pas ajouté que ce qui concerne les fondations de bourses était réglé dans ce décret par des titres différents, dont l'un règle tout ce qui a rapport aux fondations antérieures réunies à l'université de France, et dont l'autre porte pour intitulé : « Des dotations et fondations qui seront faites à l'avenir ». Or, la disposition que je cite fait partie de ce dernier titre.

Maintenant l'honorable comte de Theux dit : Il serait absurde que pour le passé on n'eût pas maintenu les administrations particulières, alors qu'on les maintenait pour l'avenir.

Mais, messieurs, il n'y a absolument rien d'absurde à cela ; le passé était acquis ; les biens appartenant aux fondations du passé étaient réunis à l'université de France par le décret du 11 décembre 1808, cl le décret de 1811 commence par confirmer cet acte. Mais quant aux fondations à établir, comme il y a là un espoir, comme on espère que des personnes généreuses continueront à créer des fondations, on leur donne un droit plus large, on leur donne le droit d'organiser des administrations.

Voilà la véritable différence : les institutions du passé étaient acquises ; on voulait favoriser la création d'institutions semblables dans l'avenir et dans ce but on donne aux fondateurs un droit plus étendu.

M. de Theux, rapporteur. - Messieurs, je n'ai en aucune manière nié l'existence de la loi du 2 brumaire an IV dont il a donné lecture, mais il ne peut pas nier non plus la loi du 9 fructidor an III, du 26 août 1795, qui statue la même chose. De ce que la Convention a décrété deux fois la même chose, il ne s'ensuit pas que la loi du 9 fructidor an III n'existe pas. Or voici ce que porte cette loi :

« La convention nationale, sur la motion d'un de ses membres, décrète qu'il sera sursis à la vente des biens des hospices de vieillards, de malades, d'enfants, des maisons de secours et autres établissements de bienfaisance, jusqu'au rapport qui lui sera fait sous une décade par les comités de secours publics et des pauvres, sur la demande en rapport de la loi du 23 messidor. »

Or la loi du 2 brumaire an VI, rendue sur le rapport prévu dans la loi du 9 fructidor, n'a fait que confirmer celle-ci.

Ou il ne faut plus avoir de recueil des lois ou il faut admettre que la loi du 9 fructidor an III, du 26 août 1795, existe et qu'elle est antérieure à la réunion de la Belgique à la France ; qu'ainsi la loi du 23 messidor n'a jamais été applicable en Belgique.

L'honorable M. Tesch revient sur la citation de l'article 179 du décret de 1811.

Eh bien, qu’ai-je dit ?

« Mais, dira-t-on peut-être, l'article 179 est relatif aux fondations futures. Je répondrai que cet article est à plus forte raison relatif aux fondations du passé, puisque, par les articles 172, 173, 174, les droits des fondateurs sont maintenus. Or le droit des fondateurs est de faire administrer les fondations par les personnes qu'ils ont instituées à cet effet. »

Voilà ce que j'ai dit hier et ne puis que répéter aujourd'hui.

Je dis donc qu'il est de toute vérité que la loi qui avait réuni les biens des hospices auxquels, aux termes de la loi du 10 vendémiaire an V, sont assimilées les fondations des bourses, a été suspendue avant la réunion de la Belgique a la France.

M. Tesch. - L'honorable comte de Theux semble vouloir avoir le dernier mot. Mais je laisse les jurisconsultes juges entre son argumentation et la mienne.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Messieurs, j'hésitais à prendre part à ce débat, parce que la discussion me semble réellement épuisée sur la question. Si je demande à la Chambre la permission de lui présenter quelques observations pour lesquelles je réclame d'avance son indulgence, c'est que je ne puis laisser, sans essayer de les réfuter, quelques-unes des observations présentées par l'honorable M. Tesch.

Cet honorable membre est revenu sur une question qu'a traitée hier l'honorable comte de Theux : c'est celle de savoir si les biens, faisant (page 807) partie des fondations de bourses, ont été frappés de la mainmise nationale. L'honorable comte de Theux a soutenu la négative ; l'honorable M. Tesch soutient maintenant l'affirmative.

Je concède volontiers à l'honorable membre que la question est controversée. Elle n'a pas reçu, que je sache du moins, de solution positive devant les tribunaux. Elle a été agitée une seule fois devant la cour de cassation dans un réquisitoire très remarquable de M. l'avocat général Delebecque, mais elle n'a pas été résolue. La question, je le répète, fournit donc matière à controverse.

C'est, messieurs, dans cette controverse que je vais suivre l'honorable M. Tesch.

Je partage complètement l'opinion de l'honorable comte de Theux. Les biens provenant des fondations des bourses n'ont, selon moi, jamais été frappées de mainmises nationale. Je vais essayer de le prouver.

La première loi que nous ayons à voir dans cette question, c'est la loi du 23 messidor an II de la République française, date qui correspond au 11 juillet 1794. Cette loi réunit au domaine national les biens des hôpitaux, hospices, maisons de secours, bureaux des pauvres et autres établissements de bienfaisance.

Cette loi, de fatale mémoire, qui rappelle une époque sinistre, n'a jamais reçu d'exécution. Elle était mort-née. Le sentiment nationa1, si comprimé qu'il pût être à cette époque par la terreur qui régnait sur la France, ne permit cependant pas de la mettre à exécution. Aussi, treize mois après, apparut le premier acte réparateur : c'est le décret du 2 frimaire an IV, dont il a été souvent question, date qui répond au 24 octobre 1795, et qui suspend la loi du 23 messidor an II, en ce qui concerne l'administration et la perception des revenus des établissements de bienfaisance.

Là, messieurs, vous le voyez, on ne s'occupe pas nominativement ni des fondations de bourses. Il s'y agit des établissements de bienfaisance sous quelque dénomination qu'ils se présentent. Mais plus tard, comme j'aurai l'honneur de le démontrer à la Chambre, les fondations de bourses sont nominativement désignées dans la loi du 25 messidor de l'an V.

La loi d'expropriation, de spoliation, de confiscation du 23 messidor an II est donc suspendue ; et le législateur ne se borne pas à suspendre l'exécution de cette loi ; il fait un pas de plus ; il insère un article sur lequel j'appelle toute l'attention de la Chambre : c'est l'article 2 qui, selon moi, est capital comme base de la discussion. Cet article 2 porte : « Chaque administration particulière jouira provisoirement, comme par le passé, des revenus qui lui étaient affectés. » C'est donc, messieurs, l'ancien état de choses formellement consacré. Les administrations particulières restent investies, comme par le passé, du droit de gérer les biens des pauvres, les biens ressortissant aux établissements de bienfaisance.

Ici je n'entre pas dans le débat qui vient de s'élever entre les deux honorables préopinants louchant le point de savoir si ce décret a été publié ou non en Belgique. Cela importe peu à la thèse que je soutiens. Je puis d'ailleurs admettre avec l'honorable M. Tesch, en thèse générale, que la mention qui est faite dans un décret postérieur équivaut à une publication en Belgique.

Tel est l'état de choses en l'an IV. Les établissements de bienfaisance qui ont des administrations particulières conservent ces administrations et ces administrations gèrent les biens comme par le passé.

Intervint alors la loi du 10 vendémiaire an V (7 octobre 1796), qui conserve les hospices civils dans la jouissance de leurs biens et règle la manière dont ils sont administrés.

L'article 5 porte textuellement :

« Les hospices civils sont conservés dans la jouissance de leurs biens, des rentes et redevances qui leur sont dues par le trésor public ou par des particuliers. »

Cette loi, messieurs, vous le voyez, n'a trait absolument qu'aux hospices civils dont l'administration est remise aux municipalités. Elle ne s'explique pas positivement sur la disposition ni sur la portée de l'article 2 de la loi de brumaire an IV. Elle laisse cette disposition en dehors.

La même année, nous trouvons une mesure qui s'applique spécialement et formellement aux fondations de bourses : c'est la loi du 25 messidor an V (15 juillet 1797) qui déclare que par les mots : « établissement de bienfaisance » dont se servent les lois antérieures, notamment la loi du 2 brumaire an IV, il faut également entendre les fondations de bourses.

A cet égard, messieurs, le décret entre dans des considérations qui méritent réellement d'être pesées, et le décret conclut ainsi : « Les dispositions de la loi du 16 vendémiaire an V, qui conserve les hospices civils dans la jouissance de leurs biens, sont déclarées communes aux biens affectés aux fondations des bourses dans tous les ci-devant collèges de la République. »

Donc, on conserve aux fondations de bourses ce qu'on conserve aux hospices civils, c'est-à-dire la gestion de leurs biens. La loi de messidor an V, selon moi, n'a pas le moins du monde la portée d'attribuer aux administrations qui géraient les hospices la gestion des fondations de bourses. Elle n'en a pas dit un mot. On dit simplement que les dispositions de la loi de l'an V qui conservent les hospices civils dans la gestion de leurs biens, sont rendues communes aux fondations de bourses. Les fondations de bourses conservent ce qu'elles avaient.

Or qu'avaient-elles, les fondations de bourses ? J'ai eu l'honneur de vous le montrer: elles avaient l'administration particulière de leurs biens en vertu de l'article 2 de la loi du 2 brumaire an IV. Elles sont restées maîtresses absolues de la gestion de leurs biens, que jamais on ne leur a enlevée, dont on a menacé un instant de les priver, mais qu'on leur a rendue par cet article 2. Elles sont donc, à la date de l'an V, maintenues dans l'administration libre de leurs biens.

Nous arrivons, messieurs, à l'époque impériale, et ici nous retrouvons le même esprit réparateur qui avait déjà lui sous le gouvernement directorial et animé le gouvernement consulaire.

Hier, l'honorable comte de Theux en a fourni la démonstration, et je verserais réellement dans une répétition si j'insistais sur la portée du décret du 15 novembre 1811 qui a constitué l'université de France.

L'honorable M. Tesch a également parlé de l'article 172 de ce décret, lequel maintient expressément les donations qui sont faites sous certaines conditions et notamment sous la condition que les bourses seraient à la nomination des fondateurs ou bien qu'elles seraient données de préférence à la famille.

Vous le voyez donc, le premier principe du décret de 1811, c'est de maintenir le droit des fondateurs, c'est de maintenir le droit de la famille.

L'article 173 maintient le droit des bénéficiaires, car il porte que les bourses seront distribuées à ceux que les fondateurs auront indiquée d'une manière déterminée.

L'article 174 est très important, il prévoit l'hypothèse où le gouvernement aura à conférer les bourses, où il aura à faire ce que nous appelons maintenant la collation. Eh bien, messieurs, dans quel cas croyez-vous que le gouvernement impérial, qui est représenté comme ayant voulu attirer à lui la collation des bourses, dans quel cas croyez-vous qu'il se réserve cette collation ? Voici comment s'exprime l'article 174 :

« Lorsqu'il vaquera des bourses de l'espèce de celles désignées en l'article précédent, ou dont la fondation ne serait faite en faveur d'aucune personne ou d'aucun lieu déterminé, et dont les fondateurs ne se seront pas réservé la nomination, ou n'auront pas laissé d'héritiers de leurs droits, elles seront données par nous sur la présentation qui nous sera faite de trois sujets par notre ministre de l'intérieur, sur l'avis du grand maître, lesquels seront pris de préférence parmi ceux qui prouveraient qu'il appartenait à leur famille des bourses fondées dans des universités, académies ou collèges supprimes, dont les dotations sont perdues pour ces familles. »

Ainsi lorsque le fondateur se réserve la collation ou lorsqu'il laisse des héritiers de son droit de nommer, le gouvernement n'en est pas investi, il ne la revendique même pas. Que veut donc dire ce mot « héritiers de leurs droits » ? Faut-il l'interpréter dans le sens étroit, comme le fait l'honorable M. Tesch ? Je ne le crois pas, messieurs. « Héritiers de leurs droits » cela veut dire ayants droit, ceux qui viennent aux lieu et place des fondateurs. Voilà ce que signifie, selon moi, l’expression « héritiers d'un droit ». Il ne faut pas être uni à quelqu'un par les liens du sang pour être son héritier.

Au surplus, on interprète les actes d'un gouvernement par l'esprit qui anime ce gouvernement. Or, nous avons vu que le gouvernement impérial s'inspirait des traditions réparatrices du directoire. Nous trouvons ce gouvernement, en matière de bienfaisance, rétablissant les administrateurs spéciaux.

Nulle part il n'a proscrit les administrateurs spéciaux ; au contraire, il les a rétablis dans plusieurs circonstances. Nous le montrerons bientôt.

Je dis donc qu'il est impossible d'admettre que le gouvernement impérial, imbu des idées dont j'ai eu l’honneur de parler, ait voulu restreindre les droits des fondateurs, comme le prétendent les honorables membres. Evidemment il a entendu les mots « héritiers de leurs droits’, dont se sert l'article 174, dans un sens large, dans un sens qui permet que la collation se fasse par des tiers.

En effet, nous trouvons dans les articles 179,180 et 184 du même décret, la preuve de la pensée libérale qui en cette matière animait le gouvernement. Déjà hier l'honorable comte de Theux l'a fait remarquer ; l'article179 stipule que lorsque le fondateur a désigné des administrateurs, cette clause doit être respectée en tout point. L'article 180, que fait-il ? Il rend applicable aux bourses à venir, les dispositions des articles 172,173 et 174, et quels sont ces articles ? Vous le savez, messieurs, ils consacrent le maintien du droit de collation au fondateur, aux membres de sa famille et à ses ayants droit.

Enfin le gouvernement impérial prévoit le cas où des communes fondent des bourses.

A cette époque la liberté communale était assez peu de chose ; eh bien, croyez-vous que le gouvernement impérial va dire aux communes : Quand vous aurez fondé des bourses, moi je les donnerai ? Non, messieurs, il dit aux communes : Vous pouvez fonder des bourses et quand vous les aurez fondées, vous les distribuerez. Que veut-on de plus concluant ?

Ainsi, messieurs, vous voyez, dans chaque article se refléter cet esprit réparateur dont je parlais tantôt el dont la première manifestation date de l'an IV de la République.

Le gouvernement du roi Guillaume n'a pas fait autre chose. Certes il faut lui tenir compte d'avoir porté les arrêtés de 1818, de 1823 (page 808) et de 1829, parce que ce sont autant d'actes réparateurs, mais l'honneur de l'initiative ne lui en revient pas, il a suivi les traditions des gouvernements qui l'ont précédé, du gouvernement directorial et du gouvernement impérial.

Dans les temps agités qui ont marqué la fin de l'empire, il est évident que beaucoup de fondations de bourses ont été perdues ; plus ou moins les autorités communales les attiraient à elles ; il y avait un véritable chaos administratif.

Le gouvernement du roi Guillaume eut l'honneur de rétablir l'ordre, il a continué la voie de restitution, il l'a complétée, mais il n'en a pas pris l'initiative.

Je crois, messieurs, avoir démontré que depuis l'an IV jusqu'en 1818, les administrations de bourses n'avaient jamais été, en droit, dépouillées de la libre administration des biens qui constituent ces fondations.

L'honorable M. Tesch, après avoir discuté ce point, est entré dans un autre ordre d'idées, et répondant spécialement à l'honorable M. Landeloos, il a critiqué le discours de cet honorable membre, en ce qui concerne l'abolition de l'article 13 de l'arrêté de 1823 par le fait même de la Constitution ; l'honorable M. Tesch n'admet pas cette abolition, et selon lui, l'article 13 de l'arrêté de 1823 qui porte que le boursier devra faire ses études dans un établissement reconnu par l'Etat, conserve encore toute sa vigueur, parce que, dit-il, aucune loi expresse ne l'a abrogé.

Je ne puis me rallier à la doctrine de l'honorable membre, en ce qui concerne l'abrogation des lois. Il y a deux modes d'abroger les lois ; l'honorable membre le reconnaît : c'est le mode exprès et le mode tacite ou implicite. Eh bien, je dis qu'ici il y a plus qu'une abrogation implicite, mais une abrogation de fait en quelque sorte ; il n'y a pas seulement opposition, mais incompatibilité d'existence entre les dispositions de l'article13 de l'arrêté de 1823 et la Constitution.

Il y a, messieurs, un mode d'abrogation tacite, le plus puissant de tous, reconnu de tous les jurisconsultes, de tout le monde ; c'est lorsque l'ordre de choses pour lequel une loi est faite vient à être changé lui-même. Toutes les lois faites pour cet ordre de choses viennent à tomber par le renversement de ce régime.

En présence d'un régime de liberté comme le nôtre, les restrictions nées d'un régime de compression s'évanouissent naturellement ; il ne faut pas une abrogation formelle. Voilà ce qui existe pour l'article 13 de l'arrêté de 1823.

Le roi Guillaume devait nécessairement, dans un arrêté, parler d'écoles reconnues par le gouvernement, parce qu'à cette époque il n'y en avait pas d'autres. C'était une conséquence du monopole ; mais de nos jours, sous le régime de liberté, toutes ces restrictions viennent à disparaître complètement.

L'honorable M. Landeloos faisait une observation très juste ; il disait : « Vous ne pouvez soutenir qu'à défaut d'une abrogation expresse, toute disposition qui restreint la liberté d'association puisse exister en face de la Constitution. »

L'honorable M. Tesch a paru critiquer ces paroles, je ne puis être de l'avis de l'honorable député d'Arlon. Il est évident que si je voulais rechercher dans l'arsenal de nos lois une foule de dispositions restrictives de la liberté des cultes, de la liberté d'enseignement, de la liberté de la presse, je n'aurais pas de peine à les y trouver ; mais toutes ces dispositions ont disparu devant la Constitution, parce que le régime pour lequel ces restrictions étaient consacrées, est lui-même aboli et n'existe plus.

D'ailleurs, comme me le fait remarquer l'honorable M. Dumortier, l'article 138 de la Constitution déclare que toutes dispositions contraires à la présente Constitution sont abolies par le fait même de sa publication.

L'honorable M. Tesch a fait une distinction entre la liberté d'enseigner et la liberté d'étudier ; il a dit : « J'admets que toutes les dispositions restrictives de la liberté d'enseignement ont disparu ; mais il n'en est pas de même de la liberté d'étudier. »

Je regrette encore de devoir me séparer de l'honorable député ; la distinction qu'il établit me paraît subtile...

M. Tesch. - Je ne l'ai pas faite.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Elle me paraît subtile, si tant est que l’honorable membre l'ait faite. La liberté d'enseigner et la liberté d'étudier ne peuvent pas être séparées : elles sont indissolubles et solidaires.

L'honorable M. Tesch dit encore : Il est impossible que personne ait pu voir dans la liberté d'enseignement l'abrogation de l'article 13 de l'arrêté de 1823.

L'honorable membre est dans l'erreur. Depuis 1831 on n'a cessé de soutenir qu'en présence de la liberté d'enseignement proclamée par l'article 17 de la Constitution, il est permis aux boursiers d'étudier où bon leur semble et qu'aucune entrave ne peut être mise à l'exercice de ce droit. Je vais le prouver par la citation de quelques documents administratifs.

La question n'est pas nouvelle, comme je viens d'avoir eu l'honneur de le dire : elle date de loin. Le comité des fondations de bourses qui fonctionne en vertu de l'arrêté de 1823 a déjà soutenu en 1831 que devant la liberté d'enseignement, avaient disparu les restrictions de l'article 13 de l'arrêté de 1823 ; M. le ministre de l'intérieur de l'époque, M. de Sauvage, a approuvé cette opinion du comité. La question a surgi plus tard, en 1833 ; le comité a exprimé le même avis qu'en 1831 et le ministre de l'intérieur d'alors a signé, au mois de mars 1833, une circulaire dont a parlé l'honorable M. de Theux el où ces principes sont exposés de la manière la plus large et la plus formelle. Voici cette circulaire adressée aux gouverneurs :

« Je dois appeler votre attention sur des changements essentiels que la Constitution a apportés aux règles établies par le gouvernement précédent, relativement aux établissements d'instruction publique où les jeunes gens, pourvus de bourses, doivent faire leurs études.

« Par suite du principe qu'avait adopté ce gouvernement relativement à l'instruction publique, les arrêtés de rétablissement de fondations de bourses portent que : « les boursiers devront faire les études voulues par les fondateurs dans un des établissements d'instruction publique du royaume, reconnus par le gouvernement- »

« Comme conséquence de cette règle, l'article 13 de l'arrêté réglementaire du 2 décembre 1823, défend aux receveurs de fondations, de faire aucun payement au titulaire d'une bourse, s'il ne produit, avec sa quittance, un certificat constatant qu'il s'applique effectivement, dans un des établissements publics du royaume, reconnu par le gouvernement, à l'espèce d'étude pour laquelle la bourse lui a été conférée. Ces certificats doivent être délivrés par les chefs de ces établissements.

« La Constitution du peuple belge a proclamé, au contraire, par son article 17, la liberté absolue de l'enseignement, sans aucune mesure préventive, sauf la répression des délits.

« Aucune exclusion quelconque ne doit donc plus être prononcée pour ceux qui auraient préféré faire leurs études ailleurs que dans les établissements où l'instruction publique est donnée aux frais de l'Etat ; aucune contrainte directe ou indirecte ne doit plus leur être imposée.

« L'obligation absolue, imposée par les arrêtés de rétablissement et par l'article 13 de l'arrêté du 2 décembre 1823, d'étudier dans un des établissements publics du pays, paraît enfin en opposition formelle avec l'article 17 de la Constitution, el il est nécessaire d'apporter, à ces dispositions antérieures, les modifications propres à les mettre en harmonie avec le principe constitutionnel.

« Toutefois, je dois vous faire à cet égard quelques observations.

« Beaucoup d'actes de fondations déterminent expressément l'établissement d'instruction publique et le lieu où le boursier doit faire ses études.

« Tantôt c'est l'université de Louvain ou de Douai, tantôt c'est le collège de telle localité, etc., etc.

« Dans ce cas, la règle fondamentale est que l'on doit observer scrupuleusement la volonté du fondateur où s'y conformer par équivalent, autant que possible, lorsque des changements, amenés par le temps ou les révolutions, sont survenus ; ainsi, par exemple, lorsque le fondateur a désigné l'université de Louvain, le boursier peut être autorisé à suivre les cours des universités de Gand ou de Liège, s'il le préfère, parce qu’il est présumable que s'il eût existé trois universités au lieu d'une seule, à l'époque où le fondateur vivait, il aurait étendu sa disposition aux trois universités du pays, et que, d'ailleurs, l'ancienne université de Louvain ayant été supprimée, elle est remplacée maintenant par les trois nouvelles.

« Il en est de même de la désignation de l'université de Douai ; il est évident que le fondateur ne l'a désignée que parce que cette ville faisait partie des provinces belges : de là, présomption naturelle que s'il eût vécu de nos jours, il eût préféré les universités du pays à une université étrangère.

« La faculté de faire les études voulues par le fondateur, dans un institut quelconque, ne doit donc être accordée aux boursiers, en conséquence de l'article 17 de la Constitution, qu'autant que l'établissement ou le lieu où il doit faire ces études, n'ait pas été expressément déterminé par l'acte de fondation ; ou bien, que le fondateur n'ait pas dit : que les études se feraient dans un établissement public d'instruction.

« Une autre difficulté se présente, relativement au mode de constater que le boursier fait réellement les études pour lesquelles la bourse lui est conférée.

« Certainement, tout en reconnaissant au boursier le droit d'étudier, s'il le préfère, dans un établissement particulier, on ne peut le dispenser d'en fournir la preuve ; sans cette constatation, les intentions bienfaisantes du fondateur pourraient être continuellement tronquées et les revenus des fondations détournés de leur véritable destination.

« Il est donc indispensable de maintenir la règle tracée à cet égard, par l'article 13 de l'arrêté du 2 décembre 1823, sauf à l'approprier aux établissements privés.

« Il est, à cet effet, nécessaire de soumettre le boursier à la production d'un certificat constatant qu'il s'applique réellement à l'espèce d'étude pour laquelle la bourse lui a été conférée, délivré par le chef de l'institution particulière qu'il fréquente ; la signature de celui-ci doit être légalisée par l'autorité municipale, qui doit attester en outre qu'il est à sa connaissance et de notoriété publique que ce chef d'établissement se livre à l'enseignement de cette espèce d'étude.

« Tant que l'on peut concilier la liberté de l'enseignement avec l'intention du fondateur, il faut, sans doute, accorder tout ce que la Constitution accorde, mais lorsque cette intention est formellement restrictive, on ne peut s'en écarter, et, celui qui est pourvu de bourse ne peut se (page 809) plaindre des mesures de précaution, indispensables pour obtenir la certitude que cette intention est remplie.

« Ce n'est point apporter des entraves à la liberté constitutionnelle de l'enseignement, que de soumettre le boursier à certaines restrictions et conditions qui résultent de la volonté du fondateur, ou qui sont indispensables pour en assurer l'exacte exécution.

« Ce qui précède conduit à la solution d'une question plus délicate : c'est celle de savoir si le pourvu d'une bourse pourra en jouir, en prenant des leçons particulières, soit chez lui, soit chez une personne qui ne tient point publiquement une institution ou un pensionnat.

« Cette question doit être résolue affirmativement (toujours dans la supposition que le fondateur n'ait pas désigné un établissement d'instruction publique), pourvu que le boursier puisse fournir aux receveur et collateur la preuve suffisante, qu'il se livre effectivement aux études voulues.

« Il est nécessaire, dans ce cas, de l'astreindre, pour qu'il jouisse de sa bourse, à la production d'un certificat signé par la personne qui lui donne des leçons, affirmé véritable par quatre personnes notables et dignes de foi, habitant la commune, et légalisé par l'autorité locale. Par surcroît de précaution, dans ce cas comme dans le précédent, il serait en outre très utile d'autoriser expressément les collateurs à soumettre, quand ils le jugent convenable, le boursier à l'examen de personnes instruites, afin de s'assurer, en cas de doute, que celui-ci s'instruit réellement aux études pour lesquelles la bourse lui a été conférée.

« Je ferai remarquer ici que beaucoup d'actes de fondations donnent expressément aux collateurs le pouvoir de retirer la bourse, lorsque le pourvu ne se livre pas assidûment aux études, ou ne montre aucune disposition.

« Cette précaution préviendra le danger des certificats de complaisance et, dans tous les cas, si le boursier qui aurait été privé de sa bourse, pour défaut d'études, se croyait lésé, il pourrait recourir à l'autorité supérieure, comme dans tous les autres cas où il s'élève des difficultés sur les collations de bourses.

« Mais le pourvu d'une bourse peut-il s'en servir pour aller étudier à l'étranger ?...

« D'une part on peut dire, pour la négative, que l'on doit naturellement présumer que le fondateur a voulu favoriser l'instruction publique de son pays, que c'était celle qu'il préférait, parce qu'il la connaissait sans doute mieux qu'une autre ; qu'il y a d'ailleurs des raisons d'intérêt public à ce que le revenu de nos nombreuses fondations s'emploient dans le pays même.

« On pourra répondre que l'article 17 de la Constitution est illimité et qu'il a, entre autres, eu pour but de prévenir à jamais des arrêtés semblables à ceux qui naguère proscrivaient les études faites à l’étranger.

« Je pense au reste, messieurs, qu'il sérail difficile et peut-être dangereux d'établir dès à présent, quant à ce dernier point, une règle générale.

« La solution de cette question dépendra, le plus souvent, des termes mêmes des actes de fondation. D'ailleurs les bourses sont attribuées et se donnent presque exclusivement à des jeunes gens dénués de fortune et, par cette raison, il n'est pas présumable que le cas où ils voudraient aller étudier dans d'autres pays se présente bien fréquemment.

« Il paraît donc préférable de ne rien décider à cet égard dans le moment.

« Si des pétitions ou requêtes la soulèvent, ou pourra l'examiner dans les cas spéciaux qui se présenteront et alors l'expérience pourra servir de guide, si l'on sent ensuite la nécessité de prendre une décision réglementaire.

« Telles sont, messieurs, les considérations et instructions que j'ai cru important de vous communiquer, avec prière de vouloir les prendre pour guide dans tous les cas qui pourront se présenter. »

M. de Man d'Attenrode. - Qui a signé cette circulaire ?

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - C'est l’honorable M. Rogier.

M. Rogier. - Je ne la désavoue pas.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Quand j'ai été interrompu, je disais donc que l'abolition de l'article 13, en ce qui concerne les fondations, est incontestable devant l'article 17 de la Constitution.

Quelle est la pratique constante de l'administration depuis 1831 ? Non seulement elle est conforme à l'opinion émise par l'honorable M. Rogier en 1833, mais le comité de fondation consulté par le ministre n'a jamais élevé le moindre doute ; cette opinion n'a jamais été abandonnée, jamais l'administration n'a varié ; en 1848 le comité émettait la même opinion ;en 1852 le comité a eu à s'occuper de la même question, il a maintenu l'opinion qu'il a toujours soutenue. Je crois devoir donner à la Chambre connaissance d'un extrait d'un avis émis le 10 octobre 1852 sur la question.

« (…) Reste la question de savoir si les bourses peuvent profiter à des élèves d'un établissement privé, ou, en d'autres termes, si la disposition des anciens arrêtes d'après laquelle les études devaient se faire dans un établissement reconnu par m'Etat a été abrogée par l'article 17 de la Constitution, comme incompatible avec le principe de la liberté de l'enseignement.

« Cette question n'est pas nouvelle, elle a été résolue affirmativement par une circulaire en forme d'instruction du ministre de l'intérieur (M. Rogier) en date du 6 mars 1833, circulaire rédigée conformément aux avis du comité consultatif pour les affaires des fondations, en date du 16 mai 1831, qui avait déjà reçu l'approbation du ministre de l'intérieur de cette époque (M. de Sauvage).

« Nous ne pensons pas, monsieur le ministre, qu'il y ait lieu de revenir sur cette circulaire qui repose sur des principes incontestables...

«.En supposant que les biens des fondations aient été nationalisés (question controversée et dont la solution est indifférente dans la présente affaire), il suffit de lire les arrêtés des 26 décembre 1818 et 2 décembre 1823, pour se convaincre que le roi Guillaume a entendu que les dispositions des actes de fondation soient autant que possible scrupuleusement observées dans tous les points (article 5 du premier de ces arrêtés) et que la disposition qui enjoignait aux boursiers de faire leurs études dans un établissement reconnu par l'Etat, n'a été que la conséquence du monopole que le gouvernement s'était attribué, en matière d'enseignement, sous le régime de l'article 226 de la loi fondamentale de 1815 ; cette disposition a donc dû disparaître avec ce monopole ; elle est inconciliable avec l'article 17 de notre Constitution actuelle qui garantit la liberté de l'enseignement et interdit toute mesure préventive.

« Nous sommes donc d'avis :

« 1° (…)

« 2°

« 3° Que les boursiers conservent eux-mêmes le droit de choisir l'établissement où ils entendent faire leurs études, si le fondateur n'en a pas autrement disposé. »

Quel était donc l'état de la jurisprudence administrative en cette matière ? Elle était telle que l'ont présentée les honorables membres qui ont combattu l'opinion des honorables MM. Frère et Verhaegen, et en dernier lieu de l'honorable M. Tesch.

L'honorable membre, traitant plus particulièrement la question de fait, nous a dit tout à l'heure que ce qui se passe constitue au profil de l'université de Louvain une véritable confiscation. C'est l'expression dont il s'est servi. Je ne la crois pas exacte. Je ne comprends pas que l'on vienne parler de confiscation, lorsque, en définitive, il s'agit de l'exercice d'une liberté. Le boursier va où il veut. Et jamais il n'est entré dans l'idée de personne d'appeler confiscation l'usage d'une liberté constitutionnelle. Il n'y a pas autre chose.

L'honorable M. Tesch a parlé également des travaux de la commission instituée en 1850, pour élaborer un projet de loi relatif aux fondations de bourses. Déjà l'honorable M. Frère en avait parlé. Je me permettrait d'en dire également quelques mots et de citer un extrait des procès-verbaux des séances de la commission.

L'honorable M. Frère nous déclarait au début que ce qu'il demandait n'a rien d'exorbitant, que ces chose toute naturelle, que de confier à l'autorité administrative, la gestion, l'administration, la collation des bourses, et que la commission de 1850 avait proposé cette mesure.

C'est là, messieurs, une erreur de la part de l’honorable membre. Il faut bien se rendre compte de ce qui s'est passé en 1850, dans le sein de la commission.

Elle a voulu attribuer à une autorité publique, centrale, quoi ? L'administration des biens affectés aux bourses, la simple gestion matérielle des biens ; rien de plus. Mais, dans l'opinion de la commission de 1850, la collation des bourses reste à ceux qui en sont investis. Ceci est bien autre chose et la distinction est essentielle ; le droit d'administrer les biens n'est qu'un accessoire ; le pouvoir de conférer la bourse domine tout ; il y a la même différence qu'entre la nue-propriété et le plein domaine.

M. Frère-Orban. - Vous n'avez pas compris.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Vous dites toujours cela, mais je suis sûr que l'assemblée a compris comme moi. L'honorable M. Tesch, à qui je réponds plus particulièrement, me paraît avoir confondu l'administration matérielle des biens et la collation des bourses. Il a invoqué les procès-verbaux de la commission de 1850. Je les invoque à mon tour. Or, il en résulte que la commission a émis l'avis qu'on ne peut enlever le droit de collation à ceux qui en sont investis par les actes de fondation.

Voici comment la question a été posée :

« Le premier membre: La rédaction suivante me semble concilier tous les intérêts :

« Le droit de collation des bourses est maintenu dans son intégrité lorsqu'il est réglé par les actes de fondation, en tant qu'ils sont susceptibles d'exécution, sous ce rapport.

« Dans le cas contraire, etc.

« M. le président met aux voix la première partie de cet article qui est adoptée. »

La commission a justifié cette résolution par les principes que je soutiens en ce moment, par les principes de justice et d'équité.

M. Tesch. - Mais vous n'avez pas le droit de me prêter des opinions que je n'ai pas émises.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Si je me suis trompé, vous me rectifierez. Mais je vous ai compris ainsi.

- Plusieurs membres. - Et l'amendement ?

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Il y a d'ailleurs, comme on le fait remarquer, l'amendement de l'honorable M. Frère qui conclut positivement dans ce sens. L'amendement tend à attribuer formellement au gouvernement la collation des bourses. Or, je le répète, la commission de 1850, composée d'hommes honorables, de magistrats (page 810) très distingués et parfaitement indépendants, a décidé qu'il fallait respecter la volonté des fondateurs et que la collation des bourses devait, comme par le passé, appartenir à ceux qui en avaient été investis par l'acte de fondation.

Les notions de justice et d'équité commandent de laisser ce droit de collation où il est.

- Plusieurs membres. - Très bien !

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - L'honorable M. Tesch a mentionné un arrêt de la cour de cassation de 1847 pour prouver qu'on peut enlever la collation des bourses à ceux qui en sont investis. Mais cet arrêt distingue encore entre l'administration proprement dite et les droits des familles qui consistent dans la collation.

Dans la séance d'hier, mon honorable collègue M. le ministre de l'intérieur et l'honorable comte de Theux ont établi que les droits des tiers sont aussi sacrés que les droits des fondateurs.

Le collateur existe en vertu de la volonté du fondateur que tous les gouvernements réguliers ont respectée, respect que le roi Guillaume a scrupuleusement pratiqué, que l'empire a consacré et dont le Directoire lui-même a donné l'exemple.

Ce n'est pas, dit-on, un droit civil. Qu'est-ce donc ? Ce n'est pas le pur droit civil peut-être dans le sens ordinaire du mot ; il en a cependant les caractères essentiels ; ceci saute aux jeux à la simple lecture des arrêtés de 1818 et de 1823 ; le roi Guillaume a formellement réservé aux tribunaux tout ce qui touche à la collation des bourses. Il y a un article qui est aussi formel, aussi explicite, que jamais disposition législative a pu l'être. Il y a plusieurs articles qui ont trait à l'intervention des tribunaux. L'article 11 de l'arrêté de 1818 porte ceci :

« Notre ministre de l'instruction publique, de l'industrie nationale et des colonies nommera une commission à l'effet d'examiner les titres et documents, et, sur son rapport, réglera la restitution des biens, bois et rentes, ainsi que de leur administration, en faveur de ceux qui y auront droit d'après les actes de fondation, ou, à leur défaut, à ceux qui y seront appelés par notre décision ultérieure ; si, néanmoins, il survenait quelques contestations relatives aux biens desdites fondations, ou sur le droit d'administrer, de conférer ou d'obtenir lesdites bourses, ces contestations seront renvoyées aux tribunaux. »

Il est donc évident qu'un droit dont on réclame le maintien, la consécration devant les tribunaux est un droit qui tient du droit civil, qui n'en a peut-être pas toutes les nuances, mais qui en a les caractères principaux, puisqu'il aboutit à la juridiction des tribunaux. Aussi les cours qui ont eu à connaître de ces questions n'ont jamais hésité à décider que le droit de statuer sur une réclamation de bourse ressortirait au pouvoir judiciaire en vertu de l'article 92 de la Constitution.

L'honorable M. Tesch ajoute encore : Mais le gouvernement nomme des tiers auxquels il est libre de reprendre la collation qu'il leur a donnée. Je n'admets pas cela. Je conteste que lorsqu'un droit de collation a été régulièrement conféré, le gouvernement puisse le reprendre. Si quelqu'un prétend au droit d'être collateur d'une bourse, il doit en justifier devant les tribunaux qui, seuls, ont capacité pour statuer en dernier ressort. 'Telle est la disposition formelle de tous les arrêtés du roi Guillaume.

Les honorables membres auxquels je réponds s'attaquent aussi au droit de collation en lui-même en tant qu'il s'applique à des tiers étrangers à la famille du fondateur. Nous verrons cela plus tard ; cette occasion viendra, je l'espère, avant peu. Mais en attendant, je répéterai ce que vous disait hier mon excellent ami et honorable collègue, M. le ministre de l'intérieur, que la faculté d'établir des tiers collateurs est aussi légitime que celle de les choisir parmi les membres de la famille ; l'une comme l’autre dérive du principe sacré de la propriété et de la liberté. On ne pourrait invoquer une seule bonne raison ni de droit naturel, ni de droit civil qui s'oppose à cette faculté d'établir des collateurs, qui continueront après la mort du fondateur l'œuvre de bienfaisance qu'il aura créée.

Je m'aperçois, messieurs, que j'abuse des moments de la Chambre.

- Plusieurs membres. - Non ! non !

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - J'abrège mes observations. Je les résume en disant que depuis l'an IV de la République, on est rentré dans une voie d'équité et de justice, suivie tour à tour par tous les gouvernements qui se sont succédé depuis cette époque. Le roi Guillaume l'a déclaré formellement ; l'empire l'a reconnu de même, et le conseil des Cinq-Cents, en votant la loi du 23 messidor an V, en avait donné la plus éclatante des preuves.

J'ai la conviction que l'accueil de la proposition de l'honorable M. Frère serait contraire à cet esprit de réparation. Je demande à la Chambre, comme mon honorable collègue M. le ministre de l'intérieur, qu'elle veuille bien écarter l'amendement proposé. Entre les tendances de la législation de l'an II et celles de la législation conservatrice qui l'a renversée, le choix ne saurait être douteux.

M. Malou. - J'avais demandé-la parole à la séance d'hier en me proposant spécialement de traiter la question de fait. D'honorables préopinants et notamment l'honorable M. Verhaegen, ont persisté à dire à la séance d'hier que l'université de Louvain jouit en fait de la presque totalité, sinon de la totalité des bourses de fondation particulières. L'université de Louvain, selon ces honorables membres, a même un excédant tel, que l'on est obligé de solliciter auprès des étudiants pour qu'ils veuillent bien accepter des bourses, et qu'en outre il y a un excédant dont on ne sait que faire et qu'en affecte à quelque destination mystérieuse, par exemple, à la résurrection, à la reconstitution de la mainmorte.

Messieurs, j'ai demandé à l'université de Louvain quelle était la somme affectée sur les fondations particulières pour les diverses facultés pendant l'année académique actuelle, et voici les chiffres par faculté.

Il y a dans les facultés de philosophie, lettres et sciences, 269 élèves qui jouissent ensemble d'un revenu en bourses de 11,531 fr. 98 c.

Dans la faculté de droit, 180 élèves qui jouissent d'un revenu en bourses de 3,072 fr. 67 c.

Dans la faculté de médecine, 150 élèves parmi lesquels il y en a qui ont des bourses particulières à concurrence de 4,697 fr.

Ainsi pour les quatre facultés de l'université de Louvain qui sont communes aux universités de l'Etat, un revenu de 19,301 fr. 65 c.

Ce relevé est pris exclusivement dans l'administration des fondations de bourses dont M. Staes, est le receveur général, et il n'y a à Louvain, en dehors de M. Staes, que deux administrations particulières autres que celle-là, l'administration du collège d'Irlande et une autre très petite dont le nom m'échappe en ce moment.

- Un membre. - La fondation de Bay (Baïus).

M. Malou. - L'honorable membre arrive à des chiffres fabuleux et fantastiques. Mais comment ? En mêlant en premier lieu les bourses de théologie avec toute les autres, et je ne pense pas que l'honorable membre ait quelque prétention que les élèves en théologie puissent venir à l'université de Bruxelles. Je ne comprends donc pas comment l'honorable membre peut produire sérieusement devant la Chambre des chiffres dans lesquels on confond les bourses affectées spécialement à la théologie avec les autres. Pour une discussion sérieuse il faut évidemment prendre des objets comparables, et raisonner sur les capitaux et revenus qui, d'après l'intention des fondateurs, sont affectés à l'étude de la philosophie, des sciences, de la médecine el du droit.

M. Verhaegen. - Où avez-vous pris vos chiffres ?

M. Malou. - A l'université de Louvain. Je les affirme exacts, d'après les renseignements qui m'ont été donnés.

M. Verhaegen. - Ah ! vous les ayez pris à l'université.

M. Malou. - Sans doute, je les ai demandés à l'université Je vais prouver que tous ceux que vous avez cités ne sont pas exacts.

J'avais dit, dans une précédente séance, que l'honorable membre commettait une erreur en attribuant toutes les fondations dont le siège était dans le Brabant, à l'université de Louvain, et que probablement il y avait des élèves jouissant de ces bourses de fondation, qui étaient à l'université de Bruxelles.

Dans son premier discours il l'a nié ; mais dans son discours d'hier l'honorable membre a bien voulu reconnaître qu'il y en avait dix.

M. Verhaegen. - Vous aviez dit beaucoup.

M. Malou. - Il n'y en aurait qu'une, cela prouverait la liberté pour celui qui jouit de bourses de fondation particulière de faire ses études où il veut.

Or, c'est ce que vous avez nié. Il y en a à Liège et à Gand. De plus une grande quantité de bourses ne sont affectées ni à la théologie, ni aux études universitaires, mais à l’enseignement professionnel, à l’enseignement moyen et même à l'enseignement primaire.

J'indique, messieurs, le chiffre des revenus des fondations, pourquoi ? Parce que c'est le seul moyen de discuter sérieusement. Je trouve, par exemple, une bourse qui a douze francs de revenu ; j'en trouve un grand nombre qui n'ont pas cent francs ; vous aurez donc beau dire : Il y a à Louvain cent bourses : vous diriez mille bourses, si ce sont des bourses de dix francs. (Interruption.) Il faut considérer le produit total, non le nombre des fondations.

Dans une précédente séance, l'honorable M. Verhaegen nous a dit :

« J'ai réuni dans les comptes les recettes et les dépenses de toutes les fondations du Brabant ; il y a 581,000 fr. de recettes 464,000 fr. de dépenses. » Mais cela comprend toutes les opérations de comptabilité et il n'y a qu'un revenu réel de 204,000 francs, y compris les fondations volantes.

Hier l'honorable membre nous a dit que la fondation du collège du Saint-Esprit laissait un excédant de revenu de 10,000 fr. Eh bien, messieurs, je prends l'état officiel, je réunis toutes les fondations du collège du Saint-Esprit et je trouve un revenu total de 7,540 fr. 22 c.

Voilà une administration (je désire bien ne pas la voir destituer, car c'est véritablement une administration modèle) qui trouve le moyen de servir les bourses de la fondation et de réaliser une économie de 10,000 fr., le tout avec 7,540 fr. 22 c. de revenu.

M. Thiéfry. - Cela n'est pas conforme, aux comptes remis au bureau du gouvernement provincial du Brabant.

M. Malou. - Je vous prie de croire que l'argument est très sérieux. Hier l'honorable membre, contrairement à ce qu'il avait fait dans une séance précédente, raisonnait d'après des comptes dans lesquels se trouvaient comprises les opérations de comptabilité et il a constaté un excédant qui ne peut pas exister. J'ai fait remarquer que le revenu normal ne s'élève pas à 10,000 fr.

M. Frère-Orban.-— Cela n'est pas concluant.

M. Malou. - Alors il faut que nous ne sachions pas faire une addition de quatre pages avec un total de 10,000 fr. (Interruption.)

(page 811) Je vous signale une erreur de principe d'où est résultée une erreur de fait. Il fallait voir le revenu normal.

L'année dernière, les fondations des anciens collèges de l'université de Louvain ont retiré de la caisse d'épargne un capital considérable, 700,000 à 800,000 francs, si je ne me trompe, qu'elles ont placés presque entièrement dans l'emprunt provincial du Brabant ; si l'honorable membre avait appliqué sa méthode à ce compte, il aurait trouvé un excédant de 1,400,000 à 1,500,000 fr. qu'il n'aurait pas pu s'expliquer et que je m'attache, en ce moment, à lui faire comprendre.

Le mystère que l'on croit voir dans ces excédants doit, je l'espère, avoir disparu pour la plupart d'entre nous.

Ou disait hier : Pourquoi ne donne-t-on pas de bourses quand le compte présente un excédant ? Parce que le revenu ne présente pas un excédant. Quand l'excédant d'un compte ne résulte pas des revenus vous ne pouvez pas dire que cet excédant doit être distribué en bourses, à moins que vous ne vouliez entamer le capital.

Il peut arriver encore que pour une bourse vacante il ne se présente aucun ayant droit dans les conditions établies par le fondateur ; que fait-on dans ce cas, on ajoute l'excédant du revenu au capital.

L'honorable membre a paru croire qu'il y a dans tout cela un système tendant à augmenter la fortune de l'université de Louvain.

Qu'il se rassure ; il faudrait à l'université de Louvain un complice que l'honorable membre ne soupçonnera pas ; la députation permanente du Brabant devrait être le complice du recteur magnifique de l'université de Louvain, car les comptes de toutes les fondations sont soumis chaque année à la députation et arrêtés par elle. Ainsi, on ne peut pas disposer d'un centime en dehors du contrôle de la députation permanente.

Je crois, messieurs, avoir établi deux choses. D'abord que les chiffres présentés comme indiquant les revenus de fondations de bourses sont exagérés. J'ai indiqué quelles sont véritablement les bourses conférées.

J'ai dit pourquoi je raisonnais sur le chiffre et non pas sur le nombre des bourses, qui n'est propre qu'à induire en erreur. J'ai prouvé qu'il est impossible, dans l'organisation actuelle, qu'un centime provenant des fondations de bourses, soit détourné de sa destination. Ces explications sur les questions de chiffres me paraissent suffire.

Abordons un instant la question de droit, avant d'examiner les moyens d'ajournement direct ou déguisé que l'on propose.

L'honorable M. Verhaegen nous disait, dans la séance d'hier : « Vous avez parlé de l'intérêt de sept cent et autant de familles et, en réalité, lorsqu'on dépouille les états officiels, on ne trouve plus que 21 familles dans telle partie. » C'étaient, je crois, les fondations de Louvain.

Il faut, pour que nous nous comprenions bien, expliquer encore une fois le mécanisme des fondations, afin d'établir ainsi la thèse que nous soutenons en droit et en fait. Nous disons que les fondations ont constitué un droit privé, un droit privé quant à la collation, un droit privé quant à l'institution et un autre droit quant à l'administration. Quel est celui de ces trois droits que l'amendement de l'honorable M. Frère détruit ? C'est le droit de collation.

Lorsque, dans une précédente séance, j'ai demandé si on entendait modifier l'institution, c'est-à-dire si on entendait donner au gouvernement la faculté d'accorder les bourses fondées, par exemple, pour les jeunes gens de Bruxelles, pour ceux de Liège, pour ceux de Tournai, on a paru admettre que le ministre dût seulement établir un équilibre quelconque entre les établissements, mais on n'a pas dit si l'on entendait que le ministre fût obligé du respecter les institutions.

M. Frère-Orban.- Je vous l'ai dit formellement.

M. Malou. - Très bien. Prenant donc la chose pour toutes les villes et communes de la Belgique, le ministre devrait parquer les jeunes gens en quatre lots et leur dire : Vous irez, vous à Bruxelles, vous à Louvain, vous à Liège, vous à Gand ! Et c'est là la liberté que vous voulez nous faire ! Merci.

M. Frère-Orban. - Vous aimez mieux la liberté d'aller à Louvain.

M. Malou. - L'amendement attaque donc spécialement le droit de collation. Qu'est-ce que le droit de collation ? C'est la faculté de faire qu'on jouisse du revenu d'une chose, c'est le droit utile et sérieux qu'on enlève.

Voyons quelle position vous allez faire au gouvernement ? Si les 700 et autant d'actes de fondation doivent être respectés par lui, il faudra qu'il prenne les élèves un à un, qu'il les enrégimente, qu'il les embrigade pour ses universités, ou qu'il les envoie ailleurs.

Encore une fois, voyez comment, en sortant du droit, quelle corvée, permettez-moi cette expression, quelle impossibilité vous allez imposer au gouvernement.

On dit, avec raison, à mes côtés qu'une pareille œuvre ne peut se faire que par les bureaux ; que c'est un bureau d'enrôlement qu'il faut créer au ministère de la justice, et qu'il pourra faire concurrence ou venir en aide au bureau d'enrôlement du ministère de la guerre. Les miliciens de la science auront une liste d'inscription comme les autres miliciens.

Et si vous ne respectez pas l'institution, vous faites quelque chose d'excessivement grave : vous dites que dans un cas donné, celui qui a affecté des biens au profit des membres de sa famille ou de jeunes gens d'une localité déterminée (cela existe dans presque tous les actes de fondations), le fruit de la fondation sera transféré à d'autres, c'est-à-dire qu'il n'y aura plus de fondations.

Discuterons-nous longtemps sur le troisième droit, sur le droit d'administration ? L'honorable M. Tesch dit d'une manière générale, que l'administration des personnes civiles est sous le domaine éminent de la loi, que le législateur peut faire ce qu'il veut. Oui, le législateur peut faire ce qu'il veut, mais à une condition, à la condition d'être juste, et de respecter le droit.

Je conçois qu'on touche à l'administration des personnes civiles quand il y a une impérieuse nécessité, un besoin public et évident ; un grand orateur disait à l'assemblée constituante : « Si vos ancêtres avaient usurpé la terre pour leurs tombeaux, vous jetteriez leurs cendres aux vents pour vivre.» Il donnait ainsi la définition de ces circonstances impérieuses où l'on peut toucher à l'existence de personnes civiles.

Mais si l'on y touche lorsqu'il n'y a qu'un caprice, une préférence, ou, comme ici, un intérêt de boutique, ce n'est pas une loi que vous faites, c'est de l'arbitraire, de la révolution en pleine paix, de l'injustice à froid, sans aucune excuse, sans aucune justification.

« La volonté individuelle doit être limitée par l'intérêt social ; on ne peut pas lier les générations futures. »

Je vous le demande, messieurs, quelle est la législation d'un peuple civilisé qui ait consacré de pareils principes ? Est-ce qui partout, dans tous les ordres de faits, on n'a pas reconnu comme une conséquence du droit de propriété, le droit de disposer de sa propriété par donation, par testament ? C'est la raison de tout notre droit civil, c'est la raison de la civilisation tout entière, car il n'y aurait pas de travail, pas d'activité, si ou n'avait pas le droit de disposer de sa propriété d'une manière absolue. Ce droit, par un simple caprice, vous voulez le limiter, parce que vous ne pouvez, vous n'osez peut être pas le nier directement.

« La volonté individuelle doit être limitée par l'intérêt social. »

Quelle est donc la clameur qui s'est élevée dans ce pays de libre discussion pour vous dire qu'il y a une grande réforme à faire, qu'il y avait un droit à paralyser ou à restreindre ?

Je demande si quelqu'un, avant le malencontreux amendement, s'était aperçu qu'en Belgique il y avait une flagrante violation des lois, qu'il y avait enjeu un intérêt social tellement impérieux, qu'il fallût modifier profondément les habitudes séculaires de ce pays. Si cette voix s'est produite, qu'on la fasse entendre. Mais, je le répète, ce de l'arbitraire à froid, de la révolution en pleine paix.

Je viens à d'autres objections ; et vraiment s'il me fallut pousser un peu plus loin quelques-unes des conséquences que l'honorable M. Tesch a tirées, qu'en résulterait-il ? Qu'aujourd'hui le monopole de l'enseignement, tel qu'il existait sous le gouvernement des Pays-Bas, est encore parfaitement légal, et qu'il existait, comme le disait un jour l'honorable M. Verhaegen, avec ses appentis et dépendances ; attendu que cela n'a pas été abrogé directement, ni implicitement, d'après l'argumentation de l'honorable membre.

L'honorable M. Tesch a cité le règlement de 1810 sur les universités de l'Etat ; suivant ce règlement, la pensée du gouvernement des Pays-Bas n'est pas douteuse.

L'article 168 relatif aux bourses posait en principe l'exécution de la volonté des fondateurs et l'appropriait à l'état de choses alors existant.

(M. Malou donne lecture de l'article.)

Ne suffit-il pas de lire cet article pour vous démontrer que le gouvernement posait en principe l'observation scrupuleuse de la volonté de fondateurs, et que par voie de conséquence, comme il n'y avait que trois universités, il appliquait à ces trois universités les bourses qui pouvaient alors être conférés ? Que résulterait-il de là ? Que l'exception est tombée lorsque le motif qui l'a fait établir a cessé ; et qu'aujourd'hui que la liberté d'enseignement existe, que vous avez d'autres universités, vous n'avez plus la conséquence que toutes les bourses ne doivent plus être partagées entre les trois universités.

Ainsi, le gouvernement des Pays-Bas lui-même, dans l'art. 168 qu'on invoque, comme du reste, dans toutes les autres dispositions sur lesquelles je ne reviendrai plus, après le discours de mon honorable ami, M. le ministre de la justice, prenait pour point de départ le respect de la volonté des testateurs. (Interruption.)

- Une voix. - Comme toujours.

M. Malou. - Sans doute.

Les vérités sont anciennes ; il n'y a guère que les erreurs qui soient nouvelles.

L'honorable M. Tesch disait encore : « Nous voulons réprimer un abus, et vous nous appliquez les qualifications de spoliateur, même de voleur. »

Ce n'est pas nous qui avons dit cela les premiers, ce sont des arrêts de cour d'appel, passés en force de chose jugée, qui l'ont dit.

Ainsi, la cour d'appel de Bruxelles disait, le 26 juin 1839, que les bourses de fondation formaient une propriété privée. Je demande si l'on peut exprimer plus clairement cette idée: celui qui enlève une propriété privée, y porte évidemment atteinte. Je demande donc si toutes les qualifications que nous avons données à l'amendement ne sont pas réellement justifiées.

Faut-il, après un débat qui nous a occupée pendant quatre séances, (page 812) renvoyer cette proposition à une commission ? Il y a dans la Chambre deux opinions très nettement tranchées ; les uns pensent que l'amendement tend à violer un droit réel, et n'y eût-il qu'un seul Belge atteint, cela suffirait ; pour cette fraction, le renvoi est absolument inadmissible.

En effet, comment pourrions-nous admettre qu'on peut prendre en considération jusqu'à quel point il est utile de transférer au ministre de l'intérieur une partie des bourses fondées par des particuliers, alors que nous soutenons que la société ne peut, sans poser un acte révolutionnaire, modifier ces actes de fondation. C'est comme si on voulait examiner jusqu'à quel point on peut prendre en tout ou en partie un droit à quelqu'un pour le transférer au ministre de l'intérieur.

Pour nous, il est donc impossible d'admettre le renvoi à une commission Pour nos adversaires, à quoi bon le renvoi ? Ils sont convaincus que la collation des bourses de fondation doit être attribuée au gouvernement ; M. Tesch vient d'essayer de le démontrer. Alors, qu'ils volent pour qu'il en soit ainsi. Le renvoi d'une proposition sur laquelle toutes les opinions sont parfaitement arrêtées me paraît sans objet. (Interruption.) Si vos opinions ne sont pas arrêtées, je ne comprends pas les affirmations si vives des orateurs qui ont pris part au débat.

M. de Brouckere. - Mon opinion n'est pas faite ; je n'ai pas parlé.

M. Malou. - On aurait pu former une pareille demande au début de la discussion.

- Plusieurs voix. - Nous l'avons faite samedi.

M. Malou. - Je demande si la commission pourra faire autre chose qu'analyser notre discussion. (Interruption.)

Le caractère du renvoi à une commission, c'est de ne pas oser formuler son opinion, c'est rompre pour ne pas reculer ; c'est agir comme les médecins qui, désespérant de guérir un malade, l'envoient aux bains ou en Italie. Nous avons les uns et les autres exprimé très nettement notre opinion, traduisons-la dans nos votes.

- Plusieurs membres. - La clôture ! la clôture ! aux voix ! la clôture !

M. Frère-Orban. - Je demande la parole !

- Plusieurs voix. - Non ! non ! la clôture !

M. le président. - Vous avez la parole contre la clôture.

M. Frère-Orban. - Vous ne pouvez pas refuser d'entendre l'auteur de la proposition. Tous mes adversaires ont parlé plusieurs fois ; je dois être admis à m'expliquer, à répondre aux objections qui ont été présentées. (Interruption.)

Je ne suppose pas que la majorité de la Chambre veuille d'abord étouffer la discussion et empêcher ensuite l'examen de la proposition.

Trois orateurs ont été entendus hier contre l'amendement ; aujourd'hui l'honorable M. Tesch seul a parlé en sa faveur. M. Malou et M. le ministre de la justice viennent de prendre le reste de la séance pour me combattre, et l'on refusera de m'écouter ! L'honorable M. Malou et ses amis auront pu impunément parler d'atteinte à la propriété, de spoliation, de vol, expressions scandaleuses sorties de vos bouches... (Interruption.)

Ce n'est pas M. Tesch qui a dit cela ; il n'a répété ces paroles que pour répondre à vos houleuses accusations.

M. le président. - Vous ne pouvez pas attribuer à vos adversaires des accusations honteuses.

M. Frère-Orban. - Je maintiens que ceux qui m'accusent d'avoir déposé une proposition qui a pour résultat la spoliation ou le vol se sont permis une accusation honteuse !

M. le président. - Ces expressions ne sont pas parlementaires et ne peuvent être tolérées par le président.

M. Frère-Orban. - Il fallait nous opposer aux qualifications données à ma proposition.

M. le président. - Elles ne s'appliquaient qu'aux effets de la proposition.

M. Frère-Orban. - Quand l'accusation a pu se produite, la défense doit être écoutée. Au surplus, je suis habitué à pareilles imputations de votre part ; je vous ai entendus maintes fois les diriger contre les propositions que le cabinet dont je faisais partie soumettait à la Chambre ; mais, j'ai été vengé déjà. Après avoir agité le pays, après avoir longtemps dénoncé, comme des gens convaincus, de prétendues atteintes à la propriété et à la famille, je vous ai vus tous accepter humblement les lois que vous aviez si ardemment combattues ; pas un de vous n'a osé venir en proposer l'abrogation. Vous croyez, parce que vous criez à la spoliation, à l'atteinte à la propriété, que vous intimiderez, que vous détournerez l'attention du public de l'objet véritable de la discussion, et que l'on ne comprendra pas que tous nos efforts n'ont d'autre but que de permettre à une institution que vous chérissez, de retenir ce qu'elle détient injustement, en violant des lois, au mépris des droits de tous.

Le moyen que j'ai proposé pour faire cesser un inqualifiable abus, peut être discuté, examine ; on peut le trouver bon, on peut le trouver mauvais ; ; mais cette mesure écartée, d'autres seront proposées ; et quoi que vous fassiez, tôt ou tard, malgré vos clameurs et vos colères, cet abus cessera.

Il ne sera pas dit que sous prétexte de liberté... (Interruption.)

- Un membre. - Mais ce n'est plus sur la clôture ! C'est un discours.

M. Frère-Orban. - C'est de la discussion, écoutez-la, elle pourra peut-être vous éclairer.

Voilà ce que j'aurai à développer en me défendant des accusations qui ont été dirigées contre moi ; voilà pourquoi je demande que la discussion continue.

M. Verhaegen. - J'ai demandé la parole contre la clôture. Je n'ai qu'un mot à dire.

Dans la position où nous nous trouvons actuellement, clore serait un acte de violence réelle ; nous devrons nous y soumettre si la Chambre le veut, le pays jugera.

M. Tesch. - Messieurs, M. le ministre de la justice et après lui, M. Malou, dans tout le cours de leurs discours, m'ont prêté des opinions que je n'ai pas soutenues. C'est à ce point que j'ai été tenté de croire que M. le ministre de la justice était arrivé à la Chambre avec un discours tout fait, et que, ne rencontrant pas les arguments auxquels il s'était préparé à répondre, il avait été obligé de me prêter des opinions que je n'ai pas émises.

Je tiens à démontrer, dans une question aussi grave, aussi sérieuse, que je n'ai pas exprimé les opinions qu'on m'a prêtées.

M. Orts. - Je m'oppose formellement à la clôture, et je ne comprendrais pas que la Chambre pût la prononcer, après le discours de l'honorable M. Malou.

Voici pourquoi:

L'honorable M. Malou a adressé à l'honorable auteur de la proposition et à ceux qui la défendent une accusation. Il a dit : Vous reculez. Vous n'osez pas formuler votre système. Le renvoi à une commission est un masque pour couvrir votre retraite.

A ces mots, des réclamations se sont élevées sur plusieurs de nos bancs.

De nombreux collègues, entre autres l'honorable M. de Brouckere, se sont écriés qu'ils demandaient un examen ultérieur, parce que jusqu'à présent ils n'avaient pas une conviction faite ; parce qu'ils ne partageaient entièrement l'avis ni de ceux qui combattent absolument la proposition, ni de ceux qui la défendent, telle qu'elle est.

L'honorable M. Vandenpeereboom est dans le même cas, telle est aussi ma manière de voir.

Prononcer la clôture en pareille circonstance, ce serait refuser à ceux qui le demandent le moyen de s'éclairer, ce serait prouver que l'on a peur des raisons que l'on donnerait pour appuyer au moins le principe, sinon toutes les conséquences de l'amendement.

M. de Perceval. - Oui ! oui !

M. de Theux, rapporteur. - Je n'ai pas demandé la clôture. Mais je pense que si l'un des honorables membres voulait défendre la proposition de l'honorable M. Frère, la Chambre pourrait, après ce discours, prononcer la clôture.

M. Dumortier. - Je suis partisan de la clôture, et je vais en dire le motif.

Voilà quatre jours que celle discussion nous occupe exclusivement, Evidemment quand une Chambre a consacré quatre séances à l'examen d'une affaire, elle a le droit de dire qu'elle est instruite.

L'honorable M. Frère vous dit : Mais dans les séances d’hier et d'aujourd'hui, vous n'avez entendu que des orateurs qui aient parlé contre. Qu'est-ce que cela prouve ?

Cela prouve que vous n'avez personne pour vous appuyer. Cela prouve que votre système n'a pas même l'appui des bancs sur lesquels vous vous trouvez. Ce qui le prouve c'est que sur vos bancs mêmes plusieurs membres déclarent qu'ils veulent examiner la proposition parce qu'ils ne sont pas convaincus qu'il convienne de l'adopter.

Je pense donc que la Chambre doit en finir avec ce débat qui ne se prolongerait qu'en jetant le pays dans une agitation complètement inutile.

Il ne faut pas vous y tromper, quoi qu'en dise l'honorable M. Frère-Orban, c'est une véritable spoliation, dont on n'a pas d'exemple depuis le commencement du siècle. Les Chambres depuis 1830, les Chambres si patriotiques qui ont élaboré les lois organisant toutes nos libertés n'ont jamais eu à s'occuper d'une proposition telle que celle qui nous occupe depuis trois jours.

C'est inouï dans ce pays. Et si, comme l'honorable M. Frère vient de le dire, un jour doit venir où l'on verra la cessation du régime dont il parle, on verra en même temps la cessation du régime sous lequel nous vivons, parce que c'est une institution basée sur la liberté et non sur le système qu’il veut faire prévaloir.

Je pense donc que la Chambre est suffisamment éclairée, et qu'après quatre jours elle peut en finir avec ce débat.

M. de Brouckere. - L’honorable M. Matou a posé en fait que la Chambre était divisée en deux fractions: ceux qui sont favorables à la proposition de l'honorable M. Frère, el ceux qui la combattent. Je déclare qu'il est une troisième fraction, celle qui se compose des membres dont l'opinion n'est pas formée, et je crois pouvoir dire que nous sommes assez nombreux dans cette catégorie dont je fais partie.

Je suis partisan de la clôture, bien entendu si la proposition doit faire l'objet d'un rapport rédigé par une commission laquelle aura examiné les nombreuses lois qu'on nous a citées, et dont plusieurs sont en contradiction les unes avec les autres. Cette commission examinera les arguments que l'on a fait valoir, dans ces dernières séances, pour et contre la proposition.

(page 813) Si c'est là ce qu'on veut, je suis partisan de la clôture ; je crois même que la discussion a été bien longue ; car on eût mieux fait d'accueillir de suite la demande qui. a été faite dès les premières séances et de renvoyer la proposition à une commission.

Si, au contraire, on est d'avis de voler immédiatement sur le fond de la proposition, il nous est impossible à nous, dont l'opinion n'est pas formée, d'émettre un vote. Et c'est nous mettre dans l'impossibilité de voter sur la proposition que de ne pas vouloir la renvoyer à une commission.

M. de Theux, rapporteur. - Eh bien, continuons.

M. le ministre de l'intérieur (M. Dedecker). - Dans une précédente séance, un honorable membre a fait la motion de renvoyer la proposition de l'honorable M. Frère à une commission spéciale. Le gouvernement a déclaré hier ne pouvoir se rallier à cette proposition. Mais évidemment si l'on ne veut pas renvoyer l'examen de cette proposition à une commission, c'est à la condition que la discussion actuelle puisse suivre régulièrement son cours.

Je crois qu'il est essentiel de laisser au moins à l'honorable auteur de l'amendement la faculté de se défendre après les attaques dont il a été l'objet.

M. Malou. - Je prie mes honorables amis qui ont demandé la clôture de ne pas insister. Il me paraît de toute justice que les honorables MM. Frère et Verhaegen puissent me répondre. Je demande qu'on laisse continuer cette discussion. Deux ou trois séances de plus ne seront pas de trop pour arriver à résoudre la question dont la Chambre est saisie.

M. le président. - Puisqu'on n'insiste pas sur la demande de clôture, la discussion continue. Je rappelle que le règlement interdit toute imputation d'intention mauvaise. J'engage les orateurs à s'interdire des qualifications qui donnent lieu à des discussions fâcheuses.

M. Orts. - Je me lève pour appuyer la proposition du renvoi de l'amendement présenté par l'honorable M. Frère, à une commission chargée de l'examiner. Je le fais sans crainte, sans scrupule ; sans me croire au moment de toucher à la famille ou à la propriété, ces deux bases immuables de l'ordre social et de la civilisation.

Les gros mots, les grandes accusations de l'honorable M. Malou n'ont médiocrement touché.

Je n'ai pas l'habitude de m'effrayer, à propos d'une réforme proposée, quelque radicale qu'elle puisse paraître, des gros mots et des grandes accusations. Chaque fois qu'un abus invétéré profitant à quelque intérêt particulier, s'est trouvé combattu au nom de l'équité, de la justice, de l'intérêt social, on a, je m'en souviens, lancé pour la défense de cet abus les mêmes accusations que nous entendons aujourd'hui. Les mots sonores et vides de sens ont toujours été au service des mauvaises causes. N'a-t-on pas crié à la spoliation, au vol, lorsque nos pères touchèrent aux biens du clergé pour les nationaliser ? On a crié à la spoliation, et pourtant je doute que quelqu'un conteste sérieusement aujourd'hui à la nationalisation des biens du clergé le caractère d'une mesure essentielle à la constitution comme à la conservation de la société actuelle, qu'on méconnaisse dans ce grand acte de justice le principe des plus utiles réformes, la garantie des plus grandes libertés dont nous jouissons, et que nous devons, réformes et libertés, à qui ? à 1789 ; à une époque que ses contemporains ne cessaient d'accuser.

Le droit de tester, le droit de succession sont sacrés : y toucher est une spoliation, dit l'honorable M. Malou. Oui ; lorsqu'on a touché à l'ordre des successions, lorsqu'on l'a réformé dans quelque temps, dans quelque pays que ce soit, la même accusation de spoliation, d'atteinte à la propriété, d'atteinte à la famille, était proférée ; mais par qui ? Par les défenseurs des majorats, par les défenseurs du droit d'aînesse, par les défenseurs des substitutions, par les défenseurs d'incontestables abus dont personne aujourd'hui n'oserait demander la réédification, quelque grande que fût son audace de restaurateur. Je ne me paye donc pas de paroles ; je ne m'en effraye pas, j'examine et je juge.

L'amendement de l'honorable M. Frère signale, selon moi, à l'attention des pouvoirs publics un fait grave, une injustice et de plus une atteinte à la liberté de l'enseignement. Pour demander l'examen ultérieur de la proposition qu'a faite l'honorable M. Frère en vue de remédier à cet état de choses déplorable je me place en principe précisément sur le même terrain que ses plus chauds, ses plus ardents adversaires. Je n'aurai pas à défendre des principes contraires à ceux qu'ont proclamés et l'honorable comte de Theux et l'honorable M. Malou Je n'aurai pas besoin de me faire l'auxiliaire de la thèse soutenue par d'honorables amis dans le but d'arriver au résultat que je poursuis et que j'espère atteindre.

Je suis plus près, je le dis nettement et franchement, et je l'ai dit, depuis de longues aimées, sur la question qui nous occupe, d'accepter l'interprétation donnée à la liberté constitutionnelle de l'enseignement par les adversaires de l'honorable M. Frère-Orban que celle que lui donnent les défenseurs de la proposition. J'ai voté en 1849 pour le maintien de la législation de 1835 sur les bourses ; mon opinion n'a pas changé.

J'ai voté ainsi, parce que je voulais, et je crois que cela est ainsi voulu par la Constitution, parce que je voulais que le choix de l'établissement restât au boursier.

Aujourd'hui fidèle à mon opinion de 1849, je demande en outre que l'état de choses dont l'honorable M. Frère-Orban veut le renversement, et qui est un abus à mon sens, cesse. Pourquoi ? Parce que cet état de choses est une atteinte à cette liberté de l'enseignement dont je voulais la consécration dans la loi de 1849 comme dans la loi de 1835, de la liberté d'enseignement comprise comme la comprennent, avec moi, M. de Theux et Malou.

L'honorable M. Tesch nous disait avec justesse : Il ne s'agit pas seulement de s'entendre sur les principes, sur les vérités en droit, il faut la vérité, l'équité en fait.

Eh bien, l'équité, la vérité dans les faits n'existe pas. Le libre choix des boursiers sur lequel vous vous appuyez, qui est le principe que j'adopte et que j'ai défendu, en fait n'existe pas. Ce libre choix doit exister, pour que l'article 17 de la Constitution, comme vous et moi nous le comprenons, soit une vérité. Ah ! si comme le disait tout à l'heure M. le ministre de la justice, la thèse appliquée était cette thèse du libre choix des boursiers entre tous les établissements d'instruction supérieure, vos arguments auraient la vérité pour eux. Mais il n'en est pas ainsi.

Le monopole de fait, en matière de bourses de fondation, est à l'université de Louvain et la liberté du choix des boursiers est un vain mot.

Prenons les chiffres. L'honorable M. Malou, avec l'esprit pratique qui lui est propre, a senti que toute la question était là, beaucoup plus que dans les cris à la spoliation. Prenons les faits.

Que voyons-nous, ? Quelle est la situation accusée par les documents officiels ? Les bourses de fondation, presque toutes, vont à l'université de Louvain. En fait, l'université de Louvain en jouit presque seule. Voici les chiffres, et je les prendrai, non pas dans les documents fournis par ceux qu'on peut considérer comme parties intéressées et plaidant leur cause, mais dans des documents pris à une autorité impartiale, dans les relevés publiés par M. le ministre de l'intérieur.

On oublie trop, en s'emparant de renseignements privés, on oublie que le gouvernement nous a fait connaître officiellement la vérité. Un document, publié depuis peu, nous a dit quelles sont les bourses données sur les fonds de l'Etat, quelles sont les bourses données par le gouvernement comme administrateur de certaines fondations et quelles sont les bourses données par les administrations particulières. On oublie que quand cet état nous a été fourni, les chiffres n'en ont été contestées par personne. Messieurs, ces chiffres sont fort différents de ceux que nous a fournis tout à l'heure l'honorable M. Malou.

Voici, messieurs, la situation officielle des fondations particulières, de celles qui ne sont pas à la collation du gouvernement, de celles qui appartiennent à ces collateurs que l'on prétend devoir être injustement dépouillés par l'amendement de M. Frère.

Ces fondations sont aujourd'hui au nombre de 264 pour les quatre universités. Ces 264 fondations sont réparties entre 211 boursiers et ont un revenu de 60,436 fr. 15 centimes. Voulez-vous savoir quelle est la part de l'université de Louvain dans ce gâteau ?

Sur les 264 bourses, l'université de Louvain en possède 205 ; reste 59 pour les trois autres universités réunies. Sur les 211 boursiers, 157 sont à Louvain ; 54 dans les trois autres universités. Dans ce revenu de 60,436 fr. 15 c, Louvain prend 46,629 fr. 42 c ; reste à peu près 13,000 francs pour les trois autres universités !

M. Van Overloop. - Et la théologie !

M. Orts. - Il n'y a pas, messieurs, de théologie dans les calculs que je viens de faire. Le gouvernement a eu bien soin, pour donner à son travail un caractère complet d'exactitude, de distraire, les bourses de théologie de celles qui concernent les autres études. Les chiffres que je viens de citer se rapportent uniquement aux bourses données aux quatre universités pour les quatre facultés : lettres, sciences, droit et médecine. Le document le dit et le document le prouve.

Et maintenant, messieurs, il est assez curieux de rapprocher le nombre des boursiers dans chaque université du nombre des élèves payants de la même université. Prenons le relevé officiel qui porte le n°17 des pièces imprimées par ordre de la Chambre, relevé fourni par le département de l'intérieur. Il en résulte que la population des quatre facultés de Louvain est de 575 élèves, je ne compte pas les théologiens.

Ces 575 élèves ont 223 bourses conférées par des collateurs particuliers et par d'autres autorités. A l'université de Bruxelles il y a 367 élèves dont 30 boursiers. A l'université de Liège, le nombre des élèves est de 622 et le nombre des boursiers de 65. A l'université de Gand nous comptons 112 boursiers sur 294 élèves.

Que l'on explique, si on le peut ou si on l'ose, que l'on explique maintenant cette situation en admettant comme vrai le libre choix, par le boursier, de l'établissement dont il suit les cours ! Direz-vous que les boursiers préfèrent aller à Louvain parce qu'ils y trouvent une supériorité quelconque sous le rapport moral ou sous le rapport intellectuel ?

Mais si cette supériorité existait, elle serait bien mieux appréciée par les élèves payants ; généralement celui qui paye de sa poche pour avoir quelque chose tient à être d'autant mieux servi. Le moins délicat est certes celui qui paye avec l'argent d'autrui.

Sous le rapport des pères de famille qui envoient leurs enfants dans les quatre universités, en payant, la proportion ne correspond nullement à celle qui existe pour les boursiers. Ainsi il y a à Louvain 400 élèves payants ; il y en a 337 à Bruxelles et 557 à Liège. A Gand, il est (page 814) vrai 182 seulement. Pour les trois premiers établissements, c'est presque l'égalité, et s'il s'agit de boursiers, Louvain seul absorbe les trois quarts ! Un motif autre que celui auquel je viens de faire allusion, amène évidemment à Louvain la plupart de ceux qui jouissent de bourses de fondations privées !

Un monopole de fait empêche le libre choix des boursiers et ce monopole de fait où est-il ? Il est dans le mode de collation. Partout où la collation n'appartient pas à la famille, aux représentants naturels du fondateur, ce monopole de fait existe. Il faudrait fermer les yeux à la lumière pour le contester, lorsqu'on a devant soi ce tableau des fondations et des collateurs, distribué par les soins du gouvernement en 1846 et que j'ai sous la main. Il suffit d'y jeter un coup d'œil, à la première page venue, pour acquérir la preuve que sur cent collations, quatre-vingt-dix environ appartiennent au clergé ; ici c'est un curé, un doyen, un chapitre, là, un évêque, un archevêque, que sais-je ? Ce fait explique tout. Je comprends les sympathies très légitimes de ces collateurs pour l'université de Louvain. Si j'étais placé dans les conditions où ils se trouvent, j'éprouverais probablement ces mêmes sympathies. Mais ces sympathies indiquent que l'établissement est choisi par le collateur et non point par le boursier, comme le voudrait la liberté d'enseignement telle que vous la professez.

Voilà pourquoi je demande qu'une révision ait lieu, voilà pourquoi je demande qu'on touche à ce droit de collation, alors qu'il n'appartient pas à la famille du fondateur, alors qu'il appartient à une personne déléguée par le fondateur à raison d'un titre ou d'une fonction.

Voilà pourquoi je ne suis pas arrêté par la crainte de porter atteinte au droit de propriété, au droit de la famille, qui sont, je le répète volontiers, les bases de la société et de la civilisation. Je me trouve en face d'un de ces abus qui, de l'aveu de M. Malou, justifieraient, s'il s'en agissait, une atteinte à la propriété privée.

C'est un abus intolérable, en effet, que de voir la liberté d'enseignement inscrite dans la Constitution, la loi des lois, n'être plus qu'un vain mot, c'est-à-dire une liberté de droit à côté d'un monopole de fait. C'est un abus que la volonté du testateur ne peut pas plus autoriser que la volonté du collateur. Ministre, aucun de nous n'oserait aujourd'hui approuver une fondation qui aurait pour conséquence de violer un article de la Constitution.

Ce que vous ne permettriez pas lorsqu'il s'agît de créer, vous ne pouvez le permettre lorsqu'il s'agit d'administrer une fondation existante.

Je ne demande pas au gouvernement de parquer tous les ayants droit en quatre lots et d'en adjuger un à chacune des quatre universités. Cette liberté-là n'est pas la mienne, pas plus que celle de M. Malou. Je veux une liberté plus large et plus vraie, je veux que sincèrement, loyalement, le boursier ait le droit d'aller à l'établissement qu'il préfère. Vous le voulez en droit : vous me le refusez en fait. Messieurs, je pourrais citer des exemples de violence faite au choix des boursiers ; ajouter à cette preuve indirecte du monopole que j'ai rapportée, des témoignages et des noms ; citer les ayants droit ayant témoigné le désir de faire des études à Bruxelles et à qui les collateurs d'une bourse établie dans le Hainaut ont répondu : Pour l'université de Bruxelles, non. (Interruption.)

M. de Moor. - Le fait s'est présenté dans ma famille ; il s'agissait de fondation créée par un de mes parents.

M. Orts. - Les abus sont donc sérieux et réels...

M. Malou. - S'il avait un droit, il pouvait le faire valoir en justice.

M. Delfosse. - C'est trop coûteux.

M. Orts. - On recule devant les procès et vous le savez sur vos bancs beaucoup mieux que nous. C'est vous qui nous l'avez appris. Lorsque vous attaquiez dans cette enceinte le système pratiqué par l'honorable M. de Haussy, en matière de fondations de bienfaisance ou religieuses, ce ministre vous répondait : Si mes actes sont contraires à la loi que les ayants droit froissés se pourvoient devant les tribunaux. Vous répliquiez alors, et avec raison : « Il n'est pas toujours possible de s'en rapporter aux procès pour la défense du bon droit. La justice est un moyen difficile ; il n'est pas à la disposition des faibles ; il n'est pas à la disposition des pauvres. » Or, n'est-ce pas pour les pauvres et les faibles que les fondations de bourses, comme les fondations charitables sont faites ?

Du reste, vous oubliez que le collateur a souvent devant lui plusieurs ayants droit dont les titres sont égaux, et que, par conséquent, il a la faculté d'exercer une préférence, en restant complètement dans les limites légales du mandat qui lui est conféré.

Mille raisons prouvent donc que l'abus peut exister sans qu'il soit possible de le faire cesser par la voie judiciaire.

On a parlé de coalitions, d'intérêt de boutique. Ce n'est pas, messieurs, dans le but d'obtenir en faveur de l'université de Bruxelles une part équitable dans le partage dont je parlais tout à l'heure, que je me suis levé ; j'ai demandé l'examen de la proposition de l'honorable M. Frère, en vue d'obtenir la pratique sincère d'une liberté constitutionnelle. Sans doute, comme on le disait tout à l'heure, la liberté existe de droit lorsqu'une seule bourse de fondation appartient à un jeune homme ayant pu choisir l'université de Bruxelles et y suivre les cours. C'est l'argument que faisait valoir l'honorable M. Malou, en reprochant à l'honorable M. Verhaegen d'avoir oublié de mentionner qu'il y avait à Bruxelles une douzaine d'élèves jouissant de bourses de fondation.

Mais, messieurs, une liberté qui n'existe que pour la forme, ne peut pas me satisfaire. Oh ! si on était resté en fait dans les termes de cette circulaire dont vous aviez si vivement demandé la lecture et que vous avez ensuite trouvée trop longue, je n'aurais peut-être pas élevé la voix ; mais les principes ne sont point appliqués ; ils servent de règle au gouvernement, mais le gouvernement est impuissant en pratique. I ! n'est pas collateur. Le gouvernement n'est appelé que quand le collateur vient à défaillir et de l'application faite alors la liberté n'a point à se plaindre.

Messieurs, en demandant l'approbation des règles que je viens d'indiquer, je suis parfaitement d'accord avec l'opinion que j'ai défendue dans cette enceinte et ailleurs encore. Cette opinion est également celle, en effet, d'une autorité dont je faisais partie et à laquelle on a souvent fait appel dans cette discussion. Lorsque la commission chargée de préparer la révision de la législation sur cette matière, commission dont j'étais membre, s'est réunie et a formulé son avant-projet de 1850, elle a eu soin d'inscrire dans un article formel que le boursier serait essentiellement libre de choisir l'établissement dans lequel il voudrait faire ses études ; que ni fondateurs ni collateurs ne pourraient mettre obstacle à la liberté de ce choix ; que toutes clauses contraires des actes de fondation seraient réputées non écrites. La liberté de choix était selon nous constitutionnelle et nulle volonté individuelle ne saurait, ni dans le passé ni dans l'avenir, se placer au-dessus de la Constitution.

C'est toujours là ce que je veux.

L'honorable M. Malou nous reproche de ne pas oser formuler notre manière de voir ; je viens de développer la mienne ; je ne l'impose à personne et je n'hésite pas à la résumer.

Quelle serait ma position devant un examen ultérieur de la proposition de l'honorable M. Frère ? Je trouve juste, moral, équitable, je dirai même nécessaire, dans l'étal actuel des choses, de retirer le droit de collation aux autorités qui en abusent, au mépris de la disposition de l'article 17 de la Constitution.

Je trouve juste de maintenir le droit de collation des familles, ainsi que le faisaient le décret impérial de 1811, c'est-à-dire aux fondateurs et à leurs héritiers. Quant à l'administration, il n'y a aucune raison qui puisse, si cette administration est vicieuse, défendre au gouvernement de la corriger ou de lui en substituer une autre. M. le ministre de l'intérieur l'a lui-même reconnu.

Ces trois principes me paraissent devoir concilier dans l'application tous les intérêts légitimes et faire taire toutes les susceptibilités honorables.

L'honorable ministre de l'intérieur disait lui-même, dans la séance d'hier, qu'il comprenait parfaitement la possibilité, la légalité d'un changement dans l'administration actuelle ; on peut, d'après lui, la simplifier, la centraliser, la soumettre à un contrôle plus efficace ; j'ajoute que c'est là un droit, un devoir pour l'autorité publique.

En 1849, la commission spéciale n'a pas hésité à proposer de réunir dans chaque province toutes les administrations séparées en une seule administration ; si mes souvenirs ne me trompent, c'est là une des mesures qui ont été prises à l'unanimité par cette commission.

Quant au droit de collation, je ne le considère pas comme plus immuable que tout autre droit civil, dès l'instant où un intérêt social exige que ce droit soit modifié. Mais je ne vois pas qu'il soit utile d'enlever aux familles le droit dont elles jouissent maintenant, je le leur maintiens. Restent les individus qui n'exercent le droit de collation que par délégation du fondateur, non par droit héréditaire. Ici, je ne puis partager les scrupules de ceux qui l'appellent un avantage particulier, une propriété privée dans le chef des collateurs. Outre les raisons de droit public qu'on a fait valoir pour démontrer leur erreur, une raison de bon sens pratique prouve qu'on ne peut argumenter, au profit de nos collateurs, de la pensée du testateur, de l'homme qui a donné l'origine au bienfait dont il s'agit de faire application.

Ces autorités sont-elles aujourd'hui ce qu'elles étaient lorsque les testateurs les ont investies de leur confiance ? Les autorités civiles n'ont-elles pas changé de nom, d'attributions ? N'ont-elles pas changé, sous mille rapports avec les régimes qui se sont succédé dans le pays depuis l'origine des fondations.

Ces fondations datent en général du XVIème et du XVIIème siècle ; depuis lors, quelle transformation ne s'est pas opérée dans l'autorité, dans son exercice, dans la qualité, dans les pouvoirs de ses agents ! Celui qui avait confiance dans telle autorité provinciale de son temps aurait-il aujourd'hui nécessairement cette confiance dans un commissaire d'arrondissement que l'on y a substitué par analogie ? Evidemment ce n'est pas là un argument sérieux.

Il y a plus : certaines autorités indiquées comme collateurs étaient, à l'époque où le droit de collation fut conféré, des autorités exercées par des familles déterminées, une sorte de patrimoine privé.

Ainsi, l'administration municipale de Bruxelles qui a la collation de quelques bourses dans le Brabant, ainsi qu'on l'a rappelé, était autrefois confiée exclusivement à ce qu'on nommait les membres des sept lignages.

Qui sait si la collation de ces bourses n'a pas été donnée à l'autorité municipale pour cette seule raison qu'elle devait sortir de ces 7 lignages avec lesquels le fondateur était peut-être en liaison de famille et sous (page 815) l'empire de l'idée que ces familles continueraient à jouir de ce privilège.

Les autorités ecclésiastiques n'échappent pas davantage à l'objection ; elles ont changé comme les autorités civiles depuis la date de fondation. Les rapports de l'Etat et de l'Eglise sont complètement modifiés.

Tel testateur, du temps du gouvernement autrichien, a pu avoir confiance dans l'autorité ecclésiastique qui n'était pas alors, comme elle l'est aujourd'hui, indépendante du gouvernement civil et précisément pour cette raison.

On peut avoir fondé des bourses pour l'enseignement de la théologie à une époque où l'Eglise se trouvait, comme aujourd'hui en France, sous la surveillance et quelque peu sous l'autorité de l'Etat ; et pour ce motif, celui qui fonde des bourses de théologie, parce qu'on enseigne de son temps aux écoles du clergé le gallicanisme, est-il censé vouloir qu'on y substitue plus tard un enseignement ultramontain ? Celui qui désigne comme collateur un ministre du culte dans la nomination duquel l'Etat intervient, se serait-il nécessairement fié à l'indépendance absolue de l'Eglise ?

Messieurs, qui doit tenir compte de ces changements imprévus et nés du temps ? C'est nécessairement l'autorité publique, puisqu'il s'agit d'une chose d'intérêt public, d'utilité générale.

Il n'y a donc dans la proposition de l'honorable M. Frère rien qui doive effrayer les partisans très légitimes du droit des familles. J'avais raison de dire qu'un examen ultérieur pouvait être nécessaire, à moins qu'on ne niât complètement, de deux choses l'une : ou qu'à l'autorité publique appartient le droit de gouverner, de surveiller ce qui tient à l'intérêt public ou l'abus manifeste, le monopole inconstitutionnel dont j'ai prouvé l'existence. Dans l'un et l'autre cas nier, c'est nier la lumière, c'est nier l'évidence.

- La suite de la discussion est remise à jeudi prochain à une heure.

Projets de loi accordant des crédits supplémentaires aux budgets des ministères des finances et des affaires étrangères

Dépôt

M. le ministre des finances (M. Mercier) dépose deux projets de loi ouvrant, l'un un crédit supplémentaire au département des finances, et l'autre, un crédit supplémentaire au département des affaires étrangères.

- Ces projets de loi seront imprimés et distribués.

La Chambre les renvoie à l'examen des sections.

- La séance est levée à quatre heures et trois quarts.