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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 22 mai 1849

Séance du 22 mai 1849

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1848-1849)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1398) M. A. Vandenpeereboom fait l'appel nominal à 1 heure et quart.

- La séance est ouverte.

M. de Luesemans donne lecture du procès-verbal de la dernière séance; la rédaction eu est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. A. Vandenpeereboom présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le sieur Pierre-Victrice Desmonds, éclusier du canal de Charleroy, prie la chambre de revenir sur le vote par suite duquel sa demande de naturalisation a été rejetée. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« Les habitants de Louvain demandent que la garde civique soit divisée en deux bans. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


Projet de loi portant le budget du ministère de la justice de l’exercice 1850

Vote de l'article unique

M. le président - Il nous reste à voter sur l'article unique du projet. Il est ainsi conçu :

« Article unique. Le budget du ministère de la justice est fixé, pour l'exercice 1850, à la somme de douze millions cent un mille cinq cent dix-huit francs quatre-vingt-dix-sept centimes (fr. 12,10,518 97 c), conformément au tableau ci-annexé. »

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, une omission a été commise soit dans l'impression, soit peut-être dans le texte du budget; c'est à l'article 19, concernant l'impression du Recueil des lois, du Moniteur et des Annales parlementaires. Il a été conclu avec l'éditeur du Moniteur une convention pour l'impression de ce journal, convention qui a été renouvelée cette année de gré à gré, sous la réserve de l'approbation des chambres. Pour valider cette convention et nous mettre d'accord avec les dispositions de la loi de comptabilité, il faudrait ajouter à l’article 199, comme on l'a fait l'année dernière, ces mots : « Pour laquelle il pourra être traité de gré à gré. » Je demanderai donc que la chambre autorise l'adjonction de ces mots à l'article 19.

- L'addition des mots : « pour laquelle il pourra être traité de gré à gré, » est mise aux voix et adoptée.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, avant de passer au vote sur l’article du projet, je demanderai à la chambre la permission de donner quelques explications en réponse à l'interpellation qui m'a été faite, dans la séance d'hier, par l'honorable M. Jullien.

J’ai pris des renseignements sur la position de M. l'auditeur général près la cour militaire. Il est vrai, comme l'a dit l’honorable M. Jullien, que ce fonctionnaire remplit encore aujourd'hui les fonctions de commissaire du gouvernement près de la société pour l'encouragement du service militaire. Mais je me suis assuré que cette position, qui lui a été donnée il y a déjà plusieurs années, est irréprochable au point de vue de la légalité. En effet, rien ni dans la loi du 20 mai 1845, sur les traitements de la magistrature, ni dans la loi du 8 mai 1847 sur la milice, ne s'oppose à ce que ce fonctionnaire puisse exercer ces fonctions près la société dont il est question.

L'article 16 de la loi de 1845 défens à tout membre de l'ordre judiciaire de participer à la direction ou à l'administration de toute société ou établissement industriel; mais M. l'a auditeur général près la cour militaire ne participe pas à l'administration de la société pour l'encouragement du service militaire. Il n'a d'autre mission que de surveiller et contrôler, au nom du gouvernement, les opérations de cette société. La disposition de cet article ne lui est donc pas applicable.

Il en est de même, messieurs, de la loi de 1847. L'article 8 de la loi du 8 mai 1847 défend à tout fonctionnaire ou employé civil, participant de quelque manière que ce soit à l'application des lois sur la milice nationale, et à tout militaire de prendre aucune part aux opérations ayant pour objet le remplacement militaire opéré pour compte d'une société ni pour celui d'un particulier, ni aux bénéfices qui peuvent en résulter.

Or, M. l'auditeur général près la cour militaire est un fonctionnaire de l'ordre civil, et il ne participe en aucune manière à l'application des lois sur la milice nationale. Vous voyez donc, messieurs, qu'aucune disposition des deux lois invoquées n'est applicable à ce fonctionnaire.

Cependant, messieurs, j'ajouterai que le fonctionnaire dont il s'agit m'a déclaré tout à l'heure que, quoiqu'il considère sa position comme parfaitement légale, si le gouvernement voyait dans cette position quelque chose d'irrégulier, ou qui pût le moins du monde entraîner une incompatibilité morale, il est prêt à la résigner, et que, dès ce moment, il tient sa démission à la disposition du gouvernement. Le Gouvernement avisera donc et décidera s'il y a lieu de faire fruit de l'offre faite par ce fonctionnaire.

M. Jullien. - Messieurs, je n'3urais pas insiste sur l'interpellation que j'ai eu l'honneur d'adresser hier à M. le ministre de la justice, si ce haut fonctionnaire n'avait déclaré tout à l'heure que la position de l’auditeur général, comme commissaire du gouvernement auprès de l’association pour l'encouragement du service militaire était irréprochable au point de vue de la légalité. J'ai signalé hier deux lois qui me paraissent faire obstacle à ce l'auditeur général militaire puisse à la fois remplir les fonctions d'auditeur militaire et celles de commissaire du gouvernement attaché à la société pour le remplacement militaire. Je persiste à croire que ces deux lois sont parfaitement applicables au cumul dont il s'agit.

Hier, messieurs, on prétendait qu'il n'y avait point cumul parce qu'il n'y avait point perception de deux traitements ; aujourd'hui on ne conteste plus qu'il y a cumul de deux fonctions et cumul de deux traitements; ces deux fonctions sont-elles incompatibles? Selon moi, messieurs, elles sont incompatibles, et l'incompatibilité résulte positivement de l'article 16 de la loi du 20 mai 1845.

En effet, l'article 16 de la loi du 26 mai 1845 interdit à tout magistrat de participer à l'administration d'une société quelconque; eh bien, si je consulte les statuts de la société pour le remplacement militaire, j'y rencontre, à l'article 17, ce qui suit :

« La société sera administrée par un conseil composé d'un président honoraire et de quatre administrateurs assistés d'un directeur-gérant et d'un commissaire du gouvernement. »

Ainsi, messieurs, le commissaire du gouvernement, d'après l'article 17 des statuts, assiste le conseil d'administration. Il y a plus, c'est que, selon l'article 20 des mêmes statuts, le commissaire du gouvernement a le droit d'assister aux séances du conseil où il a voix consultative. Il est donc évident qu'en sa qualité de commissaire du gouvernement et à raison de cette fonction, l'auditeur général militaire participe à l'administration de la société.

Je disais, messieurs, que l'article 9 de la loi du 8 mai 1847 s'opposait également à ce que l'auditeur général militaire pût remplir les fonctions de commissaire du gouvernement. Je crois pouvoir aussi maintenir cette assertion. En effet, cet article défend à tout fonctionnaire ou employé civil participant de quelque manière que ce soit à l'application des lois sur la milice et à tout militaire, de prendre part à toute opération relative au remplacement, et de percevoir quoi que ce soit dans les bénéfices d'une société de remplacement.

Soutiendra-t-on que l'auditeur général militaire n'est jamais, à raison de ses fonctions, appelé à provoquer l'application des lois sur la milice nationale? N’est-ce donc pas lui qui demande l'application des pénalités portées, dans certains cas, par la loi du 8 janvier 1817, contre les réfractaires et les déserteurs? Sous ce rapport donc, il tombe encore dans la catégorie des fonctionnaires prévue par l'article 9 de la loi du 8 mai 1847.

Il y a plus; comme je le faisais ressortir hier, les statuts de la société assurent au commissaire du gouvernement, non seulement un traitement de 3,000 fr. au minimum, mais encore une part dans les bénéfices de l'association elle-même. A ce dernier point de vue encore, l’article 9 de la loi du 8 mai 1847 prohibe le cumul sur lequel j'ai cru devoir demander quelques explications à l'honorable ministre de la justice.

M. H. de Brouckere. - Messieurs, puisque l'honorable M. Jullien, malgré les explications si satisfaisantes données aujourd’hui par M. le ministre de la justice, est revenu sur l'interpellation qu'il avait adressée hier à ce haut fonctionnaire, je demanderai la permission à la chambre de répondre quelques mots à cet honorable collègue.

Messieurs, il est très vrai que l'article 16 de la loi de 1845 défend, sous des peines disciplinaires, à tout membre de l'ordre judiciaire, de d’exercer aucune espèce de commerce, d’être agent d'affaires et de participer à la direction ou à l'administration de toute société ou établissement industriel.

La question est de savoir si le fonctionnaire dont l'honorable M. Jullien a parlé participe oui ou non à la direction de l'association générale pour l'encouragement du service militaire, en sa qualité de commissaire du gouvernement. Eh bien, il me sera facile de démontrer qu'il ne participe point à cette administration.

Veuillez jeter les yeux sur les statuts de l'association, et vous y verrez qu'elle est administrée par un conseil composé d'un président honoraire et de quatre administrateurs.

Voilà l'administration de la société.

Maintenant cette administration, dit le mène article, est assistée d'un directeur-gérant et d'un commissaire du gouvernement. Mais quel est le rôle du commissaire du gouvernement? Est-ce celui d'un administrateur ? En aucune manière, car le paragraphe 3 de l'article 20 dit formellement que (page 1399) le commissaire nommé par le Roi n'a que voix consultative. Or, peut-on considérer comme administrateur celui qui ne peut prendre mienne part aux décisions et auquel on n'accorde que voix consultative? Evidemment non. Ainsi, voilà un point incontestablement établi : c'est que le commissaire n'est pas administrateur.

Mais, en qualité de commissaire, tombe-t-il sous la disposition de l'article 16 ? Non, messieurs; j'ai relu la discussion qui a eu lieu à l'occasion de cet article, et dans cette discussion, il a été formellement répondu qu'on avait en vue de n'atteindre, par l'article 10, que les magistrats qui auraient des fonctions d'administrateurs, et nullement ceux qui n'auraient que la qualité de commissaires, qui ne seraient chargés que d'une surveillance quelconque.

Voici comment s'expliquait, entre autres, un des orateurs qui ont parlé de la manière la plus catégorique sur cette question, l'honorable M. Malou :

« Le sens de l'article 16 est d'empêcher seulement les magistrats de participer à la direction active, à l'administration active des sociétés anonymes. Mais il peut exercer dans l'administration toutes les attributions de simple surveillant. »

Je pense qu'il serait difficile de réfuter ce que je viens de dire sur l'article 16.

L'article 17 peut-il être invoqué contre le fonctionnaire dont nous nous occupons? Non, car il ne s'applique qu'aux juges et non aux officiers du ministère public; voici comment il est conçu : « Il est interdit aux juges de recevoir aucune indemnité autre que les frais de déplacement pour des fonctions à la nomination du gouvernement. »

Et voici le commentaire de cet article présenté à la chambre par l'honorable M. Osy qui, si j'ai bonne mémoire, avait rédigé l'article. « Je crois que nous n'avons à nous occuper ici que des magistrats inamovibles. »

M. le ministre de la justice a donc eu parfaitement raison de dire que la position de M. l'auditeur général était irréprochable, entièrement irréprochable, au point de vue de la légalité; car si je voulais entrer dans l'examen de la loi sur la milice qu'on a invoquée, vous verriez qu'on n'a voulu atteindre, par l'article invoqué, que les fonctionnaires administratifs participant à l'application des lois sur la milice.

Or, je demande, sans crainte aucune, si un officier du ministère public, sur les poursuites duquel un tribunal prononce une condamnation contre des miliciens, peut être considéré comme rentrant dans la catégorie des fonctionnaires participant à l'application des lois sur la milice ? Il ne saurait en être ainsi. Tout ce que je voulais démontrer, c'est que l'auditeur général est absolument irréprochable, qu'il n'y a pas possibilité d'articuler contre lui un grief fondé quel qu'il soit; et je crois l'avoir établi à toute évidence.

Ce n'est du reste pas la première fois que semblable question est agitée dans cette chambre; je me souviens que, passé deux ou trois ans, un autre député du Luxembourg a soulevé une question du même genre ; à la suite de la discussion qui s'en est suivie, savez-vous ce qu'a fait l'auditeur général? Il s'est rendu chez son chef direct, M. le ministre de la justice d'alors; il lui a représenté tout ce que semblable discussion avait de pénible pour un fonctionnaire de son rang, et lui a déclaré que s'il y avait quelque chose de douteux quant à cette espèce de cumul dont on avait parlé, il l'autorisait, le ministre, à le considérer comme donnant sa démission en qualité de commissaire. M. le ministre de la justice d'alors, après avoir examiné la question comme nous venons de le faire, a reconnu qu'il n'y avait pas d'incompatibilité entre les deux fonctions, et par conséquent pas de motif pour admettre la démission.

Cet honorable fonctionnaire vient de faire la même démarche auprès de M. le ministre de la justice actuel; il lui a dit : Examinez la question, et si vous trouvez le moindre inconvénient dans ma double position, je déclare que dès à présent je renonce aux fonctions de commissaire. M. le ministre a répondu qu'il avisera. Je ne pense pas que la chambre puisse exiger davantage.

J'ajouterai un dernier mot. Par la loi dont nous nous sommes occupés récemment qui a organisé la haute cour militaire, l'auditeur général a perdu 1,500 fr. sur les appointements dont il jouissait depuis 18 ans. Je prie M. le ministre de nous dire si ce fonctionnaire a seulement articulé une plainte, s'il a fait la moindre réclamation pour conserver les appointements dont il jouissait depuis 1830. La réponse de M. le ministre sera certainement négative, et la chambre jugera par là quelle est la délicatesse qui dirige en toute chose l'honorable fonctionnaire dont il s'agit.

M. Cans. - Avant qu'on ne passe au vote du budget, je désirerais adresser à M. le ministre de la justice une interpellation sur un acte qui a été posé récemment.

La chambre se souviendra qu'un crédit supplémentaire de 195,000 fr. a été voté dernièrement pour les écoles de réforme de Ruysselede. La section centrale, et la chambre elle-même au premier vote, avaient admis une réduction sur le traitement de quelques employés compris dans ce crédit. Au second vote, la chambre revenant sur sa première décision, a adopté le chiffre primitivement proposé par M. le ministre de la justice. Postérieurement, par un arrêté du 22 avril dernier, M. le ministre de la justice, après avoir alloué aux employés les traitements réclamés par eux, a été plus loin encore; il leur a en outre accordé des émoluments montant à 1,000 fr. pour le directeur, à 300 fr. pour l'aumônier et à 400 fr. pour le commissaire-adjoint.

Je crois que ces dernières dispositions prises, en faveur de ces employés que j'ai désignés, ont dépassé les intentions que la chambre a manifestées lors du premier vote, et sont en dehors du crédit alloué.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - L'honorable M. Cans fait probablement allusion à un arrêté qui a pour objet la fixation des droits à la pension des employés de l’école de Ruysselede, mais non pas la détermination de leur traitement. Or, il y a réellement certains émoluments qui, d'après les règlements, sont alloués aux directeurs des établissements de ce genre.

Quant aux autres employés, voici ce qui a occasionné la fixation de ces émoluments relativement aux droits à la pension : c'est que les employés de l'école de Ruysselde, recevant la nourriture aux frais du gouvernement, ont un traitement très inférieur au traitement normal dont ils devraient jouir s'ils n'avaient pas cet avantage. Or, pour déterminer les droits à la pension de retraite de ces employés, il a fallu évaluer le montant de cette pension en nature qui leur est momentanément accordée, comme il a fallu évaluer également les émoluments éventuels du directeur.

C'est là ce qui a déterminé l'arrêté dont parle l'honorable M. Canss.

Mais je ne crois pas que, quant aux chiffres des traitements, le gouvernement se soit écarté des intentions qui ont été manifestées dans cette chambre, ni qu'on ait dépassé les chiffres qui ont été indiqués à cette époque par le gouvernement.

M. Cans. - Je suis charmé d’avoir provoqué ces explications. Ce que vient de dire M. le ministre de la justice est complétement satisfaisant. L'arrêté royal, dont j'ai parlé, avait attiré l'attention de mes collègues de la section centrale qui ont examiné le crédit supplémentaire. C'est à titre de rapporteur que j'ai fait mes observations, qui sont devenues sans objet.

- L'article unique du budget est adopté.

Vote sur l’ensemble du projet

Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du budget. En voici le résultat :

66 membres répondent à l'appel nominal.

58 votent pour le budget.

2 votent contre.

6 s'abstiennent.

En conséquence, le budget est adopté; il sera transmis au sénat.

Ont voté l'adoption : MM. Boulez, Cans, Cools, Cumont, Dautrebande, H. de Baillet, H. de Brouckere, de Brouwer de Hogendorp, Debroux, Delehaye, Delfosse, d’Elhoungne, Deliége, de Luesemans, de Perceval, de Pitteurs, de Renesse, de Royer, Destriveaux, d'Hoffschmidt, Dubus, Frère-Orban, Jacques, Jullien, Julliot, Lange, Lebeau, Le Hon, Lelièvre, Lesoinne, Mascart, Mercier, Moreau. Orts, Osy, Pierre, Pirmez. Prévinaire, Rogier, Rousselle, Schumacher, Tesch, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Toussaint, Tremouroux, Vanden Branden de Reeth, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Renynghe, Vermeire. Veydt, Ansiau, Anspach et Verhaegen.

Ont voté le rejet : MM. Dedecker et Moncheur.

Se sont abstenus : MM. Coomans, Dechamps, de Haerne, de Mérode, Dumortier et Rodenbach.

Les membres qui se sont abstenus sont invités à faire connaître les motifs de leur abstention.

M. Coomans. - Je m'abstiens, messieurs, de voter pour le budget de la justice, parce que je proteste, comme mon honorable ami, M. Dedecker, contre le détournement des legs charitables. J'aurais même voté contre le budget, si je n'avais pris la résolution de ne refuser les fonds nécessaires à la marche des services publics que dans le cas seulement où le ministère n'aurait plus ma confiance.

M. Dechamps. - Messieurs, je n'ai pas voulu voter contre le budget, puce que je n'ai pas voulu donner à mon vote un caractère politique. .Mas je n'ai pas pu voter pour le budget parce que je crois de mon devoir de désapprouver les principes professés par M. le ministre de la justice en matière de bienfaisance publique et de donations.

M. de Haerne. - Je me suis abstenu par les mêmes motifs.

M. de Mérode. - Je ne puis donner mon assentiment à l'administration de la justice, tant qu'elle exercera un despotisme que ne se permettait pas le gouvernement antérieur à l'émancipation de la Belgique sur les dispositions testamentaires et donations en faveur des pauvres; et tant qu'elle n'encouragera la charité libre que par la perspective de procès à soutenir contre la charité officielle, perspective dont l'effet n’est pas douteux au préjudice des indigents.

Tel est le motif de mon abstention.

M. Dumortier. - Messieurs, mon intention était bien certainement de voter le budget de la justice comme les divers budgets. Mais je ne puis m’empêcher de protester contre la doctrine professée par M. le ministre de la justice en matière des legs pieux et charitables.

J'ai été, messieurs, plusieurs d'entre vous le savent, non seulement rapporteur de la loi communale, mais encore l'auteur de l'amendement relatif à la matière qui a donné lieu hier à une discussion, et, je puis le dire, jamais il n'est entré dans l'esprit de personne de comprendre la loi comme le dit M. le ministre de la justice, interprétation qui ferait de ce ministre le grand testateur de la Belgique.

M. le président. - C'est un discours.

M. Dumortier. - Non, ce n'est pas un discours; ce sont les motifs pour lesquels je m'abstiens ; je vais, du reste, avoir fini. J'ai le droit d'expliquer les motifs de mon abstention.

(page 1400) Je dis, messieurs, que la doctrine professée par M. le ministre de la justice est contraire à la loi. A une époque où tout le monde s'occupe des malheurs de la classe des travailleurs, il est pénible de voir que M. le ministre de la justice viole ainsi la Constitution et les lois en détournant les donations faites 'dans l'intérêt de cette classe respectable de la société.

C'est pour ce dernier motif que j'ai cru devoir m'abstenir.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'est surtout pour réserver les droits du ministère, et je dirai même les droits des membres de la chambre, que je me lève. Il est évident que, si, sous le prétexte de motiver son abstention, on rentre directement dans le fond de la discussion, l’opinion contraire qui a triomphé dans le vote pourra prendre la parole pour répondre aux attaques qui seraient renfermées dans les motifs d'abstention. C'est donc avec réserve de tous les droits du gouvernement et de tous les membres de la chambre que je me dispense de répondre aux motifs sur lesquels plusieurs honorables préopinants ont appuyé leur abstention.

Le ministère se ferait scrupule de contester ou de restreindre les droits de la discussion. Il s'agit ici d'une question de forme et d'opportunité. La grande majorité de la chambre en jugera ainsi. Veut-on soulever une discussion nouvelle? Nous sommes prêts à la soutenir. Mais déjà la chambre a décidé cette question. (Interruption.) Il fallait exposer vos motifs d'opposition pendant la discussion et non après le vote. Vous reconnaîtrez que cela eût été plus régulier.

M. Dumortier. - Je demande la parole.

M. le président. - M. Dumortier, vous trouverez d'autres occasions de présenter vos observations; ce n'est pas le moment.

Il est très difficile pour le président de saisir la ligne de démarcation entre les motifs d'abstention et un discours. Si j'avais pu remarquer que quelques-uns des préopinants outrepassaient leur droit, j'aurais cru devoir immédiatement les arrêter. Je pense, du reste, que ce débat ne doit pas avoir de suite.

La parole est à M. Rodenbach pour faire connaître les motifs de son abstention.

M. Rodenbach. - Je me suis abstenu par les mêmes motifs que le représentant de Turnhout et le représentant de Charleroy.

Projet de loi accordant des crédits supplémentaires au budget du département de l’intérieur

M. le président. - Avant de passerait second objet à l'ordre du jour, j'ai l'honneur d'informer la chambre que M. le ministre de l'intérieur m'a fait connaître qu'il se proposait de demander à la chambre une augmentation à son budget, pour les écoles professionnelles d'agriculture. Une somme de 54,500 francs est portée au projet de budget. M. le ministre, pour différentes raisons qu'il développe, demande une augmentation de 40,000 francs. Il m'a prié de soumettre la question à la section centrale, mais la section centrale, ayant terminé ses travaux, son rapport étant même déposé, je proposerai à la chambre de lui renvoyer l'examen de cet amendement.

- Cette proposition est adoptée.

Projet de loi portant le budget du ministère des finances de l’exercice 1850

Rapport de la section centrale

M. T'Kint de Naeyer dépose le rapport de la section, centrale qui a examiné le budget des finances.

- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et le met à l'ordre du jour, à la suite des objets qui s'y trouvent déjà portés.

Projet de loi portant le budget de la dette publique de l’exercice 1850

Discussion générale

M. Van Grootven. - Messieurs, le budget de la dette publique de 1850, soumis à nos délibérations, est rentré dans la situation normale que M. le ministre des finances nous avait annoncée lors de la discussion du budget de 1849. C'est un changement utile, qui rétablit la régularité voulue dans le budget de la dette publique, et qui est plus conforme aux règles de bonne comptabilité, que le mode suivi jusqu'à ce jour.

Notre dette publique, déjà si élevée, s'est encore augmentée des deux emprunts de 1848. Il est vrai que plusieurs millions ont été utilement employés à éteindre une partie assez considérable de notre dette flottante, et qu'il reste encore disponible, dans les caisses de l'Etat, une somme de deux millions sur les crédits extraordinaires alloués au département de la guerre, et dont M. le ministre nous a déclaré ne pas avoir fait emploi.

Je pense, messieurs, que cette réserve, si toutefois les circonstances le permettent, pourrai recevoir un emploi favorable et servir à diminuer la circulation de nos bons du trésor dont le chiffre est encore d'une élévation telle qu'il pourrait donner lieu à des embarras auxquels un gouvernement a tort de rester exposé.

Si vous comparez le montant de nos ressources au chiffre si élevé de nos dettes dont les intérêts payer s'élèvent, pour 1850, à 29,722,548 fr., vous conviendrez avec moi, messieurs, que tous nos efforts doivent tendre désormais à améliorer notre situation financière, que je trouve trop gênée, je dirai presque compromise, si le moindre événement politique venait réclamer quelques sacrifices nouveaux, ou tarir quelques-unes de nos ressources

Cette situation, messieurs, nous pourrons l'améliorer, si aux réformes et aux économies importantes que nous avons déjà introduites et dont on ressentira bientôt les effets salutaires, nous ajoutons celles que nous avons l'espoir de pouvoir opérer encore dans certaines dépenses et qui ne seront pas les moins importantes. Si nous voulons éviter des charges nouvelles, nous devons apporter la plus sévère économie dans toutes nos dépenses. L'économie sagement organisée dans tous les services nous permettra avec le temps d'amortir insensiblement notre dette flottante, dont les intérêts figurent au budget de 1850 pour 550,000 francs.

Le temps ne peut manquer d'amener des réductions considérables dans le chiffre si élevé des pensions à charge de l'Etat, et de ce chef une ressource importante est réservée au trésor, dans un avenir peu éloigné même, grâce à la nouvelle loi sur les pensions. Par les amortissements très importants des emprunts, auxquels le gouvernement est tenu et qui s'élèvent annuellement à une somme considérable, nous diminuons notre capital et les intérêts de notre dette publique. Voilà le but vers lequel doivent tendre aujourd'hui plus que jamais les efforts de la chambre et du gouvernement. Nous devons entrer dans cette voie d'économie; elle est pour nous d'une nécessité impérieuse, car je regarde une bonne situation financière: comme une garantie d'ordre et de stabilité, alors qu'une situation obérée n'est pas toujours la cause des tourmentes. politiques, mais en est bien souvent le prétexte facile à exploiter L'histoire ne nous en offre que trop d'exemples.

La réorganisation importante dans nos administrations, dont le pays est redevable au ministère actuel, amène déjà dans quelques budgets une diminution importante. Il n'y a que le budget des pensions militaires qui va toujours croissant.

La discussion du budget de la dette publique me fournit l'occasion de vous rappeler que, lors de la discussion de la loi sur les pensions, dans les observations que j'ai soumises à.la chambre, j'ai exprimé le vœu que M. le ministre de la guerre, à l'exemple de son honorable collègue des finances, prît l'initiative et nous présentât un projet de loi, modifiant la loi de 1838, sur les pensions militaires.

M. le ministre n'a pas tenu compte de ce vœu, pas plus que de celui exprimé par la section centrale du budget de 1849, et au lieu d'une diminution que nous espérions, c'est une augmentation de 80,000 fr. qu'il réclame pour 1850. Quant à moi, messieurs, je ne cesserai de réclamer dans cette enceinte contre l'augmentation considérable et annuelle du chiffre des pensions militaires, tant qu'il n'aura pas été fait droit à mes réclamations. J'ai dit dans une discussion précédente, et, je le répète aujourd'hui avec la même conviction, que le besoin de modifier la législation des pensions se faisait plus vivement sentir pour le département de la guerre que pour les autres départements ministériels. Nous n'avons pas hésité à modifier la loi sur les pensions civiles, à tel point que la loi nouvelle réserve aux fonctionnaires civils une position bien moins favorable que ne leur assurait celle que nous avons modifiée.

L'état de nos finances et le chiffre trop élevé des pensions nous en faisaient un devoir, rigoureux et pénible sans doute, mais devant lequel le gouvernement et la chambre n'ont pas reculé. En justice, messieurs, nous devons faire pour le militaire ce que nous avons fait pour le fonctionnaire civil; il faut que les uns comme les autres contribuent dans l’allègement des charges publiques, et par la révision de la loi de 1838 nous obtiendrons ce résultat si vivement réclamé. La loi autorise le ministre de la guerre à mettre à la pension indistinctement tout officier ayant atteint l'âge de 55 ans. Il s'ensuit qu'on met à la retraite, souvent pour faire place à d'autres, des officiers valides et expérimentés, et qui pourraient rendre encore d'utiles et honorables services à leur pays.

Cette disposition principale de la loi est appliquée d'une manière bien différente, on la rend parfois très élastique. Tel officier est conservé jusque l'âge de 60 ans et plus, tel autre est mis à la pension à 55 ans. Récemment encore, la loi a reçu une application dans ce sens. Le général Skrynecski, qui n'a rendu aucun service effectif a la Belgique, âgé de plus de 65 ans, a été maintenu dans le grade de disponibilité jusqu’à ce jour. On lui a laissé gagner ses dix années de grade, comme dit l'arrêté de sa mise à la retraite, et on lui a accordé 7,650 fr. de pension! Je ne fais pas un reproche à M. le ministre de La guerre d'avoir mis cet officier à la pension, loin de là. Comme pensionnaire de l'Etat, il coûte moins au pays que dans la position de disponibilité. Mais je dis à M. le ministre de la guerre qu'il aurait dû mettre plus tôt cet officier à la pension. Alors il n'aurait pas eu ce vain prétexte de dix années de grade, et la pension eût été beaucoup moins forte, quoique assez élevée, eu égard aux services rendus.

Vous conviendrez avec moi, messieurs, qu'il est à désirer qu'un pareil état de choses subisse des modifications, et ce n'est que par la révision de la loi, soyez-en convaincus, que nous y parviendrons. Le rapport de la section centrale de 1849 s'exprimait dans des termes clairs et précis, et nous disait combien elle avait été impressionnée de l'extension que prennent de plus en plus les pensions militaires.

Le rapport de 1850 demande également la révision de la loi. Je n'ai qu'à vous citer les chiffres de quelques budgets antérieurs qui augmentent toujours malgré les extinctions, pour vous prouver combien le résultat financier de cette loi sera fatal au pays dans quelques années, si on ne la modifie.

Le chiffre des pensions a augmenté en 1848 et 1849 en plus sur l'exercice de 1847, déjà si élevé, d'une somme de 219,000 francs ! Ce qui a élevé les pensions, en 1849, à la somme de 2,350,000 fr.

Le seul chiffre qui nous soit connu du budget de la guerre pour 1850 augmente encore cette somme de 80,000 francs sur l'exercice de 1849, que le pays payera, si la chambre vote l'allocation. Quant à moi, je voterai contre cette augmentation de 80,000 francs.

Les pensions militaires figurent au budget de la dette publique pour 2.430.000 francs C'est 511,000 francs de plus que tout le budget des affaires étrangères pour le même exercice.

Pendant le cours si long de notre session nous avons recherché et appliqué toutes les économies compatibles avec la marche des services publics. Nous avons atteint plusieurs fonctionnaires dans leurs moyens d'existence (page 1401) peut-être, pour obtenir une économie parfois minime. Ici je signale à la chambre une économie très importante qu'elle peut réaliser facilement, La révision sage et modérée que je réclame ne portera la désorganisation dans aucun service, et les militaires eux-mêmes seront les premiers à l'approuver leur patriotisme m'est un sûr garant qu'ils contribueront volontiers à l'allégement des charges publiques.

J'espère que M. le ministre de la guerre tiendra compte des observations contenues dans le rapport de la section centrale et de celles que je lui adressé, et qu'il nous présentera incessamment un projet modifiant la loi de 1838, tant dans l'intérêt des militaires, que dans celui, du trésor, dont M. le ministre connaît comme nous la situation.

M. de Mérode. - A cause de mes relations indirectes avec l'ancien général en chef de l'armée polonaise, ayant été chargé par le ministre de la guerre, conformément à l'autorisation du Roi, de faire venir ce général en Belgique, pour la défense du pays, je dois en honneur et conscience m'opposer aux conclusions de la section centrale, qui tendent à priver un chef militaire, aussi loyal que distingué par ses faits d'armes, des droits les plus légitimement acquis.

En effet, messieurs, comme l'a fait connaître à la section centrale le ministre de la guerre d'aujourd'hui, en invitant le général Skrynecki à accepter le service de son grade en Belgique, le ministre de la guerre d'il y a dix ans lui assurait l'ancienneté et les droits qui s'y rattachent, à dater du jour où il avait obtenu le même grade au milieu des combats, c’est-à-dire en 1831. Quel militaire, en effet, voudrait réclamer les services d'un étranger illustre, qui avait commandé, en chef, quelquefois avec succès, malgré l'énorme infériorité des moyens, par exemple, avec une artillerie trois fois moindre que celle de l'ennemi, et toujours avec vigueur, dans de grandes et terribles batailles, quel militaire, dis-je, oserait réclamer de tels services en ne reconnaissant pas les titres antérieurs de celui dont il invoquerait pour son pays le courage et l'expérience?

Comment faire d'un homme qui possède de semblables antécédents et qui s'expose à un bannissement éternel de sa patrie, une sorte de général, conscrit auquel on ne tiendrait nul compte de son passé glorieux? Mais si ce passé n'est rien, pourquoi donc aller chercher à trois cents lieues l'officier qui ne vous demande point d'être admis dans vos rangs, qui sept ans plus tôt refusait même d'y prendre place et renvoyait l'argent qu'on lui avait expédié pour son voyage, parce que la guerre n'était point imminente et que c'était en cas de guerre qu'il quitterait sa retraite pour défendre notre nationalité, dont la cause se trouvait de même nature que celle de la Pologne, comme le Congrès belge l'avait si souvent et si hautement proclamé ?

Et quelle est la somme pour laquelle on violerait le contrat conclu avec le généreux étranger qui n’est pas cause du repos auquel il a été livré, après avoir accepté la cocarde belge pour l'exposer sur sa tête aux balles ennemies? Cette somme c'est douze cents francs à déduire d'une pension de sept mille deux cents, certes modeste pour un guerrier choisi par le suffrage unanime de ses compatriotes officiers, pour les commander dans la lutte la plus inégale, mais qu'ils étaient résolus à soutenir jusqu'à la dernière extrémité !

Ainsi, quand la cour des comptes a jugé cette pension parfaitement conforme au droit du soldat expatrié pour la défense de la Belgique, la chambre, plus haut placée dans la hiérarchie des pouvoirs, ne s'abaissera point à lui contester la valeur d'un brevet qui est le vrai titre du militaire, parce qu'il est plus explicite qu'un arrêté royal, dont le brevet est la conséquence parfaitement motivée.

Messieurs, je le dis de nouveau, la mission dont j'ai été chargé envers le général Skrynecki m'a imposé le devoir de soutenir ses droits légitimes, et il y aurait une souveraine injustice à l'accuser de n'avoir rien fait pour le pays lorsque la paix est venue lui ôter l'occasion d'agir conformément au but qu'il s'était proposé en venant parmi nous.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, on a critiqué la loi sur les pensions militaires. Bien que j'aie donné des explications sur cette loi dans la discussion du budget de la guerre, je demande à la chambre de.me permettre n'entrer encore dans quelques détails au sujet de cette loi,

La loi a été votée après un très mûr examen. Le maximum des pensions établi par cette loi est le même depuis 25 ans. L'arrêté-loi de 1814 fixait déjà le même maximum. Les pensions militaires, en thèse générale, sont moins élevées que les pensions civiles; c'est seulement pour le grade de lieutenant général que le maximum est plus élevé, mais c'est là un grade auquel un très petit nombre de militaires peuvent parvenir : il faut des services très longs, il faut avoir été exposé à de très grands dangers. Dans presque tous les pays le maximum des pensions militaires est plus élevé, surtout pour les grades supérieurs, qu'il ne l'est en Belgique. Pour ne parler que d'un Etat où certes on ne prodigue pas les ressources financières, aux Etats-Unis, les généraux conservent leur traitement toute leur vie, le traitement d'activité leur est garanti leur vie durant.

J'ai dit, messieurs, qu'il est extrêmement difficile d'arriver au maximum de la pension de lieutenant général; en effet, à l'époque où le général Evain a été pensionne, il n'y avait que 4 lieutenants généraux qui eussent obtenu cette pension depuis 1830. Un de ces lieutenants généraux avait 41 années de service, 11 campagnes et 3 blessures graves, et c'est celui dont les titres étaient les plus faibles. Les trois autres avaient chacun 50 ans de service, l'un avait 12 campagnes, l'autre 18, le troisième 26, et tous les trois avaient des blessures graves. Ces lieutenants généraux avaient exposé leur vie sur vingt champs de bataille, ils avaient plus de 40 ans de grade d'officier, et l'un d'eux avait plus de 18 ans de grade d'officier général.

Vous voyez, messieurs, qu'il n'est pas facile d'obtenir le maximum de la pension. Il y a, je pense, encore un seul officier général qui est appelé à pouvoir réunir les conditions nécessaires pour arriver à ce maximum ; tous les autres n'y arriveront probablement pas.

Messieurs, les causes de l'élévation du chiffre des pensions sont très faciles à expliquer. Après les événements de 1830, il a fallu réorganiser l'armée. On a fait appel à beaucoup d'officiers pensionnés; on les a élevés à un grade supérieur, on leur a donné un avancement très rapide et, au bout de fort peu de temps, il a fallu les pensionner de nouveau parce qu'ils étaient avancés en âge. L'avancement rapide qu'ils avaient obtenu a considérablement augmenté le chiffre de leur pension. L'armée a été assez longtemps sur le pied de guerre; pendant qu'elle était sur le pied de guerre, l’ophtalmie a fait de très grands ravages. Cette circonstance ne se représentera plus, parce qu'on a trouvé le moyen de conjurer ce fléau.

Il y a eu 1,307 jeunes miliciens pensionnés pour ophtalmie et de ce chef, il y a 460.000 fr. à payer. Pendant longtemps, il faudra servir ces pensions, parce que ces hommes sont fort jeunes. C'est un cas, je le répète, qui ne se présentera plus. De plus, 1,192 sous-officiers et soldats ont été pensionnés, et leurs pensions s'élèvent à la somme de 399 mille francs.

Cette augmentation des pensions, messieurs, a eu lieu à la suite des événements de 1830; elle a eu lieu partout où des événements analogues se sont produits. Ainsi, après 1814, lorsque la France a réorganisé son armée, les pensions se sont élevées à environ 60 millions. Ce chiffre a ensuite décru et, en 1849, le montant des pensions militaires n'est plus que de 38 millions environ. Eh bien, messieurs, nous aurons la même période décroissante dans quelques années.

En Hollande, messieurs, les pensions militaires sont bien plus élevées qu'en Belgique, car elles s'élèvent à 3,436,715 fr. En Belgique elles ne sont que de 2,350,000 fr. Il y a donc une différence en moins pour la Belgique, de 1,086,715 fr.

Ainsi, messieurs, il n'y a rien dans notre situation qui soit extraordinaire.

On a parlé du général Skrzynecki et de la pension qui lui a été allouée. Voici la position très nette de cet officier général. Il n'a pas demandé à venir en Belgique, premier point qu'il faut établir. En 1832, le gouvernement a fait un premier appel au général Skrzynecki; comme l'a dit l'honorable M. de Mérode, on lui a envoyé des fonds pour faire le voyage, il a refusé disant qu'il ne croyait pas la guerre imminente et que, par conséquent, ses services ne nous étaient pas nécessaires, En 1839 on s'est adressé de nouveau à lui et alors, comme la guerre paraissait certaine, il s'est empressé de répondre à cet appel.

Pourquoi s'adressait-on au général Skrzynecki ? Parce que l'on avait confiance dans ses talents militaires; parce qu'il avait une expérience acquise par de nombreux services. Si le général est venu en Belgique,, c'est à cause de son expérience, de ses anciens services; il était donc tout naturel que le gouvernement d'alors prît l'engagement de lui compter ses anciens services. Mais peu après l'arrivée du général, la politique fut changée, le traité de paix intervint, et le général ne put être appelé en activité de service. On l’a mis en disponibilité.

Ce n'est pas la faute du général; mais les engagements que le gouvernement avait contractés n'en étaient pas moins sérieux et n'en devaient pas moins être observés. Le général est resté pendant près de 10 ans en disponibilité; par mesure d'économie, j'ai voulu faire cesser cette, position le général ne pouvant rendre aucun service actif à l'armée, puisqu'il n'exerçait aucun commandement, j'ai cru qu'il y aurait économie à le pensionner.

Messieurs, quand j'ai voulu régler sa pension, je ne connaissais pas les engagements que le gouvernement avait autrefois contractés envers lui ; j'avais réglé sa pension sans tenir compte du 1|5 d'augmentation pour dix ans de grade.

Le général, après avoir reçu notification du chiffre de sa pension, a déclaré qu'elle n'était pas réglée conformément aux engagements que le gouvernement avait pris envers lui; il m'a fait connaître qu'on s'était engagé à lui tenir compte de son ancienneté de grade, et il m'a communiqué une lettre de M. le général Willmar, qui contient en effet un engagement positif à cet égard. Il en résulte que le général avait au-delà de 10 années de grade. Il a donc fallu changer le taux de sa pension.

J'ai dû changer les premières dispositions, et la cour des comptes, en présence des pièces, a reconnu que la pension, telle qu'elle était liquidée en dernier lieu, était parfaitement légitime.

M. Thiéfry. - Messieurs, plusieurs sections ont émis le vœu, de voir réviser la loi sur les pensions militaires, pour diminuer les rétributions; la section centrale s'est associée à ce vœu : cette opinion, messieurs, je viens la combattre.

Les pensions peuvent être divisées en trois classes;

Les pensions des soldats.

Les pensions des sous-officiers.

Les pensions des officiers.

Après 40 ans de service, les soldats ont une pension de 250 francs et les sous-officiers en ont une de 400. Ces sommes ne peuvent être majorées qu'en cas d'amputation, cécité, blessures ou infirmités graves, II est évident, messieurs, que cela est insuffisant pour vivre convenablement; ceux qui en doutent en auront la certitude, en considérant combien il y a peu d'hommes qui se décident à prendre un nouvel engagement quand leur terme de service est expiré. Presque tous les (page 1402) sous-officiers et soldats abandonnent l'état militaire trop tôt pour obtenir leur pension. Les sous-officiers ne conservent pas assez de vigueur pour supporter les fatigues du métier, ils sont usés par l'instruction des recrues, leur poitrine a peine à résister à la fatigue des commandements par suite du renouvellement annuel des classes de la milice.

Si l'on veut conserver les vieux soldats dans les régiments, eh bien, qu'on leur assure une retraite plus convenable ; alors, messieurs, alors seulement l'armée aura dans ses rangs ce qu'on appelle vulgairement de vieux troupiers, de ces hommes dont les nations s'honorent, et qui sont d'une absolue nécessité pour faire campagne. De nombreux écrivains ont traité cette matière depuis 20 ans, et notamment le capitaine Coubert, en 1838. M. Nothomb a fait insérer au Moniteur, en 1847, un projet qui, modifié en certaines parties, présenterait de grands avantages. L'assemblée nationale de France a commencé la discussion d'une loi sur l’organisation de la force publique ; elle a déjà adopté un principe qui a beaucoup d'analogie avec les projets de MM. Coubert et Nothomb.

Le système proposé est de la plus haute importance pour l'armée (je n'y comprends cependant pas la réserve), il a pour but d'améliorer l'avenir du soldat sans grever le trésor; c'est un moyen d'attacher à nos institutions ces hommes qui ont une si grande part au maintien de la tranquillité publique ; on les empêchera par là de prêter l'oreille à ces doctrines qui menacent de bouleverser la société. J'engage fortement M. le ministre à méditer ces divers projets et à présenter une loi qui serait en rapport avec les nôtres sur la milice.

Quant aux pensions des officiers, la loi accorde 1/3 en sus du maximum à ceux qui ont 40 années de service et dix années d'activité dans le grade.

Elles sont alors fixées comme suit :

7,560 fr. pour un lieutenant général.

6.000 fr. pour un général-major.

3,840 fr. pour un colonel.

3,000 fr. pour un lieutenant-colonel.

2,520 fr. pour un major.

2,040 fr. pour un capitaine.

1,440 fr. pour un lieutenant.

1,200 fr. pour un sous-lieutenant.

Je ne pense pas, messieurs, que ce maximum soit trop élevé; je justifierai cette opinion.

Je demanderai d'abord s'il est un seul membre de cette chambre qui n'ait pas remarqué, comme moi, que les officiers retraités sont obligés de s'imposer de grandes privations, d'abandonner amis et connaissances pour ne pas rougir de leur état de gêne. C'est même en raison de cette position que le ministre a dû leur accorder, moyennant une retenue sur leurs appointements, le droit d'avoir un médecin et des médicaments en cas de maladie.

La situation financière fait rechercher tous les moyens de diminuer les dépenses dans les diverses administrations; mais on ne songe pas qu'économiser sur les pensions militaires, c'est oublier la reconnaissance pour les services rendus, et perdre de vue les dangers auxquels les officiers peuvent être exposés. Ne font-ils pas en outre abnégation de leur personne et de leur liberté? Ne doivent-ils pas être toujours prêts à sacrifier au pays leur vie et l'avenir de leurs enfants? Ils sont en général pensionnés à 55 ans, c'est l'âge auquel le ministre peut les mettre à la retraite; par exception les généraux le sont vers 60 ans. Eh bien, messieurs, j'ai pris au hasard un paquet du Moniteur; c'étaient les numéros de mars et d'avril dernier; j'y ai fait le relevé des employés civils qui ont eu les pensions les plus élevées de 2,300 à 6,000 fr., ils sont au nombre de 17.

2 ont 60 ans, 5 ont de 62 à 67 ans, 4 de 68 à 69 ans, 5 de 73 à 75 ans et 1 a 80 ans.

Vous voyez, messieurs, qu'on jouit de son emploi bien plus longtemps dans les administrations civiles que dans le militaire; n'est-il pas juste de donner une compensation aux officiers? Elle est d'autant plus méritée que, jusqu'aujourd'hui, il n'est peut-être pas un seul officier supérieur qui ait été pensionné sans avoir versé son sang sur le champ de bataille.

Le maximum de la retraite, y compris un cinquième en sus, est, à peu de chose près, égal à la moine de la solde d'activité, excepté pour le lieutenant général dont le chiffre est bien en dessous, tandis que pour les officiers subalternes il est supérieur.

J'ai comparé les retraites d'une douzaine de royaumes ; nulle part je n'ai remarqué une proportion moindre, et dans beaucoup de pays au contraire, elle est largement dépassée: il en est même plusieurs où l'officier, à 40 ans de service, reçoit pour retraite sa solde d'activité : ce sont la Russie, l'Angleterre, le Wurtemberg, le duché de Bade, le duché de Hesse. En Autriche et en Saxe les officiers ont les 2/3 de leur solde d'activité ; en France le maximum ne s'obtient qu'à 50 ans de service, mais il dépasse la moitié de la solde excepté pour les généraux. La pension de ceux-ci est celle qui paraît avoir soulevé le plus de critiques; je crois donc utile de faire part à la chambre des comparaisons que j'ai faites avec ce qui se pratique dans d'autres pays.

(Suit un tableau, non repris dans la présente version numérisée).

Il résulte de ces comparaisons, que tous les gouvernements, pour ainsi dire, donnent aux généraux des pensions plus élevées qu'en Belgique. S'il y a exception pour la France, c'est que les généraux en activité reçoivent des sommes très importantes pour indemnités; un lieutenant général a alors 23,400 francs, et un général-major 14,100 francs. Ces officiers peuvent donc faire des économies dont le placement compense la différence qui existe entre leur retraite et celle des généraux belges.

Si vous songez, messieurs, d'une part, aux dangers auxquels peuvent être exposés les militaires, et de l'autre, à l'importance que les généraux ont sur le maintien de la tranquillité publique, sur l'existence même du pays, vous trouverez, je pense, comme moi, que les pensions ne sont pas trop élevées. Le moment, d'ailleurs, n'est pas opportun pour menacer les soldats d'une diminution de ressource dans leurs vieux jours.

Les motifs qui font demander la révision de la loi proviennent du chiffre des pensions dont les budgets nous offrent une progression toujours croissante. J'ai à ce sujet une observation à présenter. Est-il bien nécessaire de mettre à la retraite des officiers encore très valides? Nous en connaissons tous q u sont dans ce cas. C'est une mesure onéreuse à l'Etat et qui prive le pays d'hommes pouvant encore lui être très utiles. La loi autorise le gouvernement à retraiter tout militaire âgé de 55 ans ; on ne peut cependant en inférer l'obligation de mettre à la pension ceux qui ont atteint un âge fixe. En Autriche, en Bavière, en Prusse, dans le duché de Bade,, les officiers ne sont admis à la retraite que quand l'âge ou les infirmités les mettent dans l'impossibilité de continuer leur service.

En Belgique plus que partout ailleurs, on doit conserver les généraux qui ont fait la guerre, parce que notre pays, entouré de puissants voisins, pourrait être envahi tout à coup, et son peu d'étendue ne laisserait pas le loisir d'acquérir l'expérience.

Les anciens généraux qui ont fait de nombreuses campagnes, ne sont pas toujours, à un âge fixé à l'avance, incapables de commander : Blucher avait 73 ans à Waterloo, Soult était encore ministre de la guerre à 77 ans. Chassé avait 67 ans au siège d'Anvers, Ridetsky a aujourd'hui 83 ans. En faut-il davantage pour prouver que c'est nuire aux intérêts du pays que de le priver des services de tous les généraux qui ont 58 à 60 ans? J'ai été convaincu du préjudice que cette mesure occasionne au trésor, en faisant le relevé des généraux pensionnés : depuis le 9 juillet 1847, c'est-à-dire depuis moins de deux ans, ils sont au nombre de 18, c'est la moitié de tout le cadre de l'armée; leurs pensions s'élèvent à 103,430 francs; on en a remplacé 14, dont 10 en 1847.

Je terminerai par des observations sur la position du lieutenant général pensionné le 31 décembre 1848; elles ont une certaine importance en ce sens qu'à mon avis, deux fois on s'est écarté de la loi relativement à cet officier : la première pendant son activité au service, la deuxième pour fixer le montant de sa pension.

Avant de m'expliquer, je dirai qu'imitant M. le ministre de la guerre, je ne veux ni approuver ni critiquer sa nomination; je n'ignore pas qu'elle a eu lieu dans un but politique; ceux qui l'ont faite ont cru qu'elle aurait été avantageuse au pays : je la considère donc comme un fait accompli qui a mis le ministre actuel dans la nécessité de créer une pension.

J'ai dit qu'on s'était écarté de la loi pendant que ce général était au service : en effet, nommé le 1er février 1839, il a été placé immédiatement en disponibilité; eh bien, messieurs, cette position ne pouvait lui être conservée que momentanément et non pendant dix ans. Il suffit, pour s'en convaincre, de lire l'article 5 de la loi de 1836.

« La disponibilité est la position spéciale de l'officier général ou supérieur qui appartient aux cadres de l'armée et qui est momentanément sans emploi. »

Le texte de la loi est formel, il ne peut donner lieu à interprétation ; les discours prononcés par le ministre lors de la discussion de la loi viennent encore à l'appui de mon opinion. Par conséquent si on ne voulait pas lui donner un emploi, il fallait le mettre en non-activité au traitement de 6,760 francs, en non pas le laisser en disponibilité avec (page 1403) 11,360 francs et quatre rations de fourrage, représentant la somme de 1,825 fr.

J'engage la chambre à prendre cette observation en sérieuse considération, car au moyen du cadre de la disponibilité, on entretient un plus grand nombre d'officiers que celui autorisé par la loi d'organisation; ainsi, contrairement à la loi, il y a eu jusqu'à la fin de 1848, 12 lieutenants généraux dans les cadres de l'armée au lieu de 11, et il y avait encore en plus au budget de 1849, 1 général-major, 1 sous-intendant de première classe, 1 major d'artillerie, I médecin de garnison.

Je reviens à la pension du général, elle a été fixée à 7,560 fr. La section centrale a examiné si l'on devait tenir compte des anciens services de cet officier ; la majorité s'est prononcée pour la négative; dans cette hypothèse la pension ne devrait être que de 3,150 fr. Si au contraire on tient compte des anciens services, la pension ne doit s'élever qu'à 6,300 fr.; dans aucun cas elle ne peut être de 7,560 fr.

La première question à examiner est celle de savoir si l'on doit, oui ou non, compter les services à l'étranger pour la fixation de la pension. Je ne doute pas, messieurs, que nous serons tous d'accord sur un point, c'est que s'il y a eu un engagement pris, pour l'honneur de la Belgique il faut le respecter.

Eh bien, messieurs, le ministre vient déclarer qu'il y a eu un engagement pris; mais ne le dirait-il pas, la seule mention dans le brevet, « que le général prendra rang dans l'armée du jour de sa nomination en Pologne, 26 février 1831, » cette seule mention, dis-je, est une preuve certaine que les anciens services ont été reconnus jusqu'à la nomination en 1831.

Comme on ne peut séparer en deux parties l'état de service d'un militaire, ni disjoindre les services du droit à la pension, il est évident qu'en 1839 le ministre de la guerre a contracté, au moins tacitement si pas par écrit, l'engagement de traiter ce général comme un officier belge ayant servi en pays étranger. Je ne veux pas examiner si la mesure a été utile, ni si elle a été légale, je constate un fait et du moment où il existe, je dis que ce général doit être retraité suivant la loi de 1838, et eu égard à tous ses services.

Il me reste à prouver que la pension doit être de 6,300 francs et non de 7,560.

La pension d'un lieutenant général est de 6,300 francs, elle est augmentée d'un cinquième quand il a 10 années d'activité dans son grade, soit 1,260 fr. ensemble 7,560 francs. C'est ce cinquième qu’il n'était pas permis de donner.

L'article 17 de la loi de 1838 est ainsi conçu:

« Art. 17. La pension de retraite de tout officier, sous-officier, caporal et brigadier, à l'exception des officiers mis au traitement de réforme, ayant douze années d'activité dans son grade, est augmentée du cinquième. »

La loi du 25 février 1842 a modifié cet article de la manière suivante :

« Art. 1er. Le terme de douze années, fixé par le premier paragraphe de l'article 17 de la loi du 24 mai 1838 [Bulletin officiel, n° 195), est réduit à dix années. »

La loi est parfaitement claire, pour obtenir le cinquième il faut avoir 10 années d'activité dans son grade. On pourrait, je crois, prétendre avec raison que le législateur, ayant fait une loi pour les officiers belges, a voulu que les 10 années fussent employées au service de la Belgique; néanmoins en donnant à la loi l'interprétation la plus large, on est bien loin de trouver les 10 années exigées.

Cet officier a été promu lieutenant général en Pologne le 26 février 1831, et a occupé cet emploi jusqu'au 28 septembre de la même année, c'est-à-dire pendant 7 mois et 2 jours. Le 1er février 1839, il a été nommé lieutenant général en Belgique, et le même jour il a été mis en disponibilité, il n'a donc pas eu un seul jour d'activité en Belgique.

Pour avoir droit à un cinquième en sus du maximum de la retraite, la loi exige 10 années d'activité dans le grade ; cette condition n'a pas été remplie, la pension ne peut être fixée qu'à 6,300 fr. Afin de lui accorder ce cinquième, on a admis comme activité tout le temps pendant lequel il a été en disponibilité ; mais il résulte du texte même de la loi du 16 juin 1836 sur la position des officiers, que la disponibilité ne peut être assimilée à l'activité : je vais, messieurs, vous en lire les articles 3, 4 et 5.

« Art. 3. Les positions de l'officier sont :

« 1° L'activité ;

« 2° La disponibilité ;

« 3° La non-activité;

« 4° La réforme. »

La loi établit donc 4 positions différentes, et elle distingue l'activité de la disponibilité.

« Art. 4. L'activité est la position de l'officier appartenant aux cadres de l'armée, et pourvu de l'emploi. »

« Art. 5. La disponibilité est la position spéciale de l'officier général ou supérieur qui appartient aux cadres de l'armée, et qui est momentanément sans emploi. »

Ainsi les distinctions sont bien indiquées : pour être en activité il faut avoir un emploi, et la disponibilité est la position sans emploi. Or le général n'a eu un emploi qu'en Pologne, il n'a donc été en activité que pendant qu'il était au service de cette puissance, c'est-à-dire pendant 7 mois et 2 jours.

Pourquoi la loi exige-t-elle 10 années d'activité dans le grade pour avoir 1/5ème en sus? C'est que ce cinquième est une récompense accordée pour les services rendus pendant les 10 années d'activité ; eh bien, messieurs, le militaire en disponibilité n'en rend aucun, pas plus que celui qui est en non-activité.

Je répète, messieurs, que la pension doit être fixée à 6,300 et non à 7,560.

Les raisons que je viens de développer m'engagent à présenter un amendement tendant à réduire la pension à 6,500 fr.

- L'amendement est appuyé.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, il y a erreur, de la part de l’honorable M. Thiéfry, relativement au règlement de la pension du général Skrzynecki. L’officier général qui est en disponibilité où à la réserve conserve les mêmes droits que l’officier général en activité pour la retraite. De là vient que le général dont il s'agit a eu le maximum de la pension, parce que les dix années de disponibilité doivent lui compter comme activité de service.

La non-activité pour les officiers, par suite de suppression d'emploi ou pour cause de maladie, compte comme activité de service ; en cas de punition, elle ne compte que pour la moitié.

M. de Mérode. - Messieurs, je n'ai à faire qu'une seule observation : c'est qu'on nous transforme ainsi en cour des comptes. Moi, par exemple, je ne puis pas répondre aux objections qui viennent d'être faites par l'honorable M. Thiéfry. J'ai réfuté d'autres attaques qui avaient eu lieu contre la pension du général dont il s'agit, parce que je les connaissais ; la section centrale les avait mises au jour, et j'ai pu prendre des informations. Mais si nous étions obligés à prendre une décision à la suite des objections faites par l'un ou l'autre membre de cette assemblée, nous nous transformerions en cour des comptes. Ce qu'on pourrait faire de mieux en pareil cas, ce serait de renvoyer à la cour des comptes les observations qui auraient été faites, pour qu'elle pût présenter des conclusions à la chambre, si la chambre administre plutôt que M. le ministre de la guerre.

Au reste, je déclare que si le général n'a droit qu'à 6,500 fr., mon intention n'est pas qu'on lui accorde une pension plus forte. Mais je dois dire que ce matin j'ai pris des informations à la cour des comptes, et il m'a été assuré que rien n'était mieux établi que la pension du général; qu'il était impossible delà lui refuser, ou de la réduire, sans injustice.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, la cour des comptes a été consultée par le département de la guerre sur le règlement de la pension, et la cour a été à cet égard de l'avis du département de la guerre. La cour a fait savoir au ministre que la pension du général Skrzynecki était parfaitement liquidée.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, voici l'article 4 de la loi sur les pensions qui n'a pas été cité : « Le temps passé hors d'activité sans traitement ne peut compter dans la supputation du service. Le temps passé en disponibilité compte pour toute sa durée; il en est de même du temps passé en non-activité pour cause de maladie contractée à l'occasion du service, pour licenciement de corps ou suppression d'emploi. Le temps passé en non-activité pour toute autre cause, compte pour la moitié de sa durée, et le temps passé en réforme, pour le quart seulement. »

M. Thiéfry. - L'article 4 dit : « Le temps passé hors d'activité sans traitement ne peut compter dans la supputation du service. Le temps passé en disponibilité compte pour toute sa durée. »

Cela veut dire que le temps passé en disponibilité compte pour la durée du service, pour la durée du temps nécessaire afin d'avoir droit à la pension.

Mais l'article 17 exige, pour pouvoir obtenir un cinquième en plus, que l'officier ait 12 années d'activité dans son grade; en 1842 ce temps a été réduit à 10 années.

Il n'y a donc que ceux qui ont 10 ans de grade en activité de service qui peuvent avoir le supplément du cinquième.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Si le temps passé en disponibilité compte pour toute sa durée, la fiction légale doit être prise en considération pour la fixation de la pension ; ce n'est même que pour cela qu'elle a été établie.

Il semble qu'une autre preuve de l'exactitude de cette interprétation se trouve dans le même article 4 qui porte: « Il en est de même du temps passé en non-activité pour cause de maladie contractée au service, de licenciement de corps et de suppression d'emploi. »

Dirait-on que le temps passé en non-activité pour cause de maladie ne peut pas compter pour l'augmentation de la pension?

M. Thiéfry. - Je demanderai le renvoi de mon amendement à la section centrale, qui l'examinera.

M. Le Hon. - Messieurs, je me crois obligé de faire connaître â la chambre le motif qui a déterminé la mise en disponibilité d'un officier général étranger qui avait été appelé au service de la Belgique dans un moment où la guerre paraissait imminente. Il y a, dit-on, au fond de cette question spéciale, un intérêt d'honneur pour la Belgique. Je suis (page 1404) de cet avis, et chacun de nous, pour en juger, peut se demander comment, après avoir appelé un général polonais à commander notre année, on a pris l'étrange résolution de le mettre presque immédiatement en disponibilité; car, bien qu'on ne fit pas la guerre, cet officier, on doit le reconnaître, pouvait figurer dans le cadre d'activité; il était même convenable et juste de l'y maintenir pendant la paix, lui que l'on avait jugé capable des fatigues du commandement en campagne et qui avait accepté, pour défendre notre cause, les conséquences de l'expatriation.

Sans entrer dans le détail de faits qui ne comportent pas la publicité de la tribune, je vous dirai que la mise en disponibilité de cet officier général a été fondée sur des raisons très graves, non d'ordre militaire, mais de haute politique ; qu'elle a eu pour but d'enlever à la présence de cet honorable étranger dans notre armée, un caractère d'hostilité, qui mettait obstacle aux relations de la Belgique avec certaines puissances du Nord.

Je vous le demande maintenant; quand vous avez à résoudre une question de bonne foi et de dignité nationales, pouvez-vous faire peser sur un officier général la mesure qui l'a frappé dans un intérêt de politique belge, en dehors de toute considération de service et de discipline.

Je ne viens pas justifier ou expliquer le passé. Je prends les faits tels qu'ils sont; ainsi que vous, je les considère comme faits accomplis, mais ma conscience me dit que l'homme qui s'était rendu chez nous, à l'appel du gouvernement, pour y exercer un commandement actif et qu'on a placé en état de disponibilité pendant dix ans, par des raisons impérieuses de nécessité politique, est, vis-à-vis de la chambre et de notre législation militaire, dans une situation tout exceptionnelle; et qu'il ne serait pas équitable d'argumenter contre lui de la position que la force majeure des circonstances lui a faite pour lui dénier un droit qui eût été reconnu incontestable si l'homme n'avait pas été sacrifié à la raison d'Etat.

M. Mercier. - Pour ne pas renouveler cette discussion lorsqu'on entamera le chapitre des pensions, je crois devoir présenter maintenant quelques observations sur les considérations générales dans lesquelles la section centrale est entrée. La section centrale a cru qu'il était de son devoir de faire part à la chambre du vœu émis par quatre sections sur six, pour qu'on s'occupât de la révision de la loi sur les pensions militaires. Les sections sont entrées dans trop peu d'explications pour que la section centrale ait pu bien comprendre dans quel sens elles voulaient que la révision se fît; une seule section a émis l'opinion que le maximum des pensions militaires devait être fixé à 5,000 fr.

Quant à la section centrale, elle n'a pas pensé qu'en général le maximum des pensions militaires fut trop élevé; au contraire, elle a pensé qu'il était convenablement établi ; ses observations ont porté particulièrement sur les pensions qui sortent de la règle générale, c'est-à-dire celles qui sont augmentées d'un cinquième pour dix années de grade, ou qui sont portées à un taux beaucoup plus élevé que la pension ordinaire, lorsque les militaires sont considérés comme ayant des infirmités équivalentes à la perte d'un membre.

La section centrale avait sous les yeux le Moniteur du jour même où elle s'occupait de la question et dans ce numéro se trouvait publiée la collation de 17 pensions ; de ce nombre, 13 avaient été augmentées d'un cinquième par suite de 10 années de grade, et 9 avaient été liquidées à un taux exceptionnel, parce que les titulaires avaient été envisagés comme ayant des infirmités équivalentes à la perte d'un membre.

Elle a pensé que les dispositions qui établissent ces pensions extraordinaires sont trop larges ; elle craint aussi qu'il ne soit plus ou moins fait abus de celle qui permet d'élever la pension en cas d'infirmité équivalente à la perte d'un membre; il arrive en effet que les pensions de ces deux catégories sont plutôt la règle que l'exception.

Voilà quelles sont les observations qu'a faites la section centrale et que j'ai cru nécessaire de reproduire pour que la question reste sur son véritable terrain.

Quant à l'honorable général dont on a parlé tout à l'heure, la question qui le concerne n'a pas été examinée par la section au point de vue où s'est placé M. Thiéfry. Il s'agissait de décider si, dans l'opinion de la section centrale, il y avait lieu d'admettre les services rendus à l'étranger par cet officier général. La majorité, au nombre de trois membres, s'est prononcée pour la négative; la minorité, que je compose seul, a été d'un avis contraire; je me suis appuyé sur la loi de 1831 et sur l'exposé des motifs de cette loi; cet exposé rangeait en deux catégories les officiers étrangers qui devaient être appelés au service de la Belgique; les officiers de la première catégorie étaient ceux qui entraient comme officiers indigènes dans l'armée belge ; la seconde concernait les officiers qui, sans cesser d'appartenir à l'armée de leur pays, en y conservant leur grade et leur rang, voudront bien nous aider officieusement de leurs bras et de leurs épées.

Il m'a paru logique d'admettre que les officiers de la première catégorie ne seraient pas entrés au service de la Belgique comme indigènes, sans que leurs anciens services fussent comptés dans la liquidation de leur pension.

Le général auquel on a fait allusion s'est trouvé dans cette position; on doit agir envers lui comme on l'a fait à l'égard d'un autre officier général récemment pensionné.

On vient d'élever une nouvelle question sur l'adjonction d'un cinquième; je désire, pour me prononcer à cet égard, avoir le temps d'examiner le texte de la loi.

M. Osy. - Pour moi, j'ai fait partie de la majorité de la section centrale, qui a cru que la pension dont il s'agit n'avait pas été liquidée et vertu des lois existantes.

Cependant, comme il y a doute d'après la réponse du gouvernement, j'appuie la proposition qu'a faite l'honorable député de Bruxelles de renvoyer la question à la section centrale qui examinera les raisons données; par l'honorable membre et les réponses que pourra y faire M. le ministre de la guerre. Ce n'est pas pour la somme de 1,250 fr. qui est en litige ; c'est pour le principe, et pour qu'à l'avenir on ne fasse pas erreur, s'il y a eu erreur.

M. Dolez. - Les observations qui ont été soumises par l'honorable M. Thiéfry, sur la portée de la loi, me paraissent de nature à être prises en sérieuse considération. Pour mon compte, je l'avoue, je ne puis me prononcer quant à présent sur la véritable portée du texte de loi qui a été cité. Mais d'autre part, il siérait à la dignité de la chambre et du pays de passer outre au vote en ce qui concerne la pension du général Skrynecki. Il faut bien reconnaître qu'il y a pour cet officier général une position exceptionnelle.

Les faits qui nous ont été exposés, et sur lesquels il me semble bon de ne pas insister, me paraissent de nature à ne pas continuer la discussion quant à eux.

Mais quant à la question qui intéresse l'armée, quant à la question de principe, sur laquelle des doutes existent de la part des ministres et de la part des membres de la chambre, elle mérite un sérieux examen. Il y aurait quelque inconvénient à la résoudre par un vote émis à la fin d'une session, alors qu'un grand nombre de nos collègues sont absents.

Je propose donc d'allouer le crédit, moyennant qu'il soit entendu que ce vote ne préjuge absolument rien sur la question soulevée par l'honorable M. Thiéfry.

M. Thiéfry. - Je ne puis me rallier à l'opinion de l'honorable préopinant, parce que j'ai examiné la loi avec attention. J'ai été frappé en remarquant que le brave lieutenant général Clump, faute de deux ans de grade, n'a qu'une pension de 6,300 fr., lui qui a 21 campagnes, 70 années de service, toutes employées sans exception pour son pays ; tandis qu'un officier étranger, dont je ne conteste ni le mérite ni le désir de nous être utile, mais qui, en définitive, n'a pas été à même de tirer l'épée pour la Belgique, et qui n'y a pas été un seul jour en activité, cet officier, dis-je, a une pension de 7,560 fr. Je vous le demande, messieurs, y a-t-il dans cette chambre un seul membre qui puisse ne pas trouver, comme moi, que cela est injuste?

Si ce général avait rendu des services éminents, s'il avait organisé l'armée, comme le général Evain, je n'élèverais pas la voix pour combattre une pension qui est fortement désapprouvée et qui a produit une impression fâcheuse dans l'armée.

M. de Mérode. - Je ne crois pas qu'il y ait des officiers comme cela.

M. Delehaye. - Il n'est pas d'argument avancé par les honorables MM. Le Hon et Dolez, que je ne sois prêt à invoquer à mon tour. Mais il ne faut pas perdre de vue la position que nous avons en présence de la loi. La loi ne permet pas à la législature, au gouvernement d'accorder une augmentation de pension à titre de récompense sans un certain nombre d'années passées au service. Ce nombre d'années de service n'a pas été accompli par le général Skrynecki; donc avec la meilleure volonté du monde de lui être utile, je ne puis me rendre aux raisons données par l'honorable M. Dolez.

Je crois que si le général Skrynecki n'a pas rendu de services, ce n'est pas sa faute ; ce n'est pas à lui qu'on peut s'en prendre de l'espèce de volte-face fait à l'époque où il est entré au service de la Belgique. Toujours est-il qu'il existe une loi qui a été appliquée à tous les Belges. Pourquoi ferions-nous aujourd'hui une exception en accordant un cinquième en sus de la pension pour des services actifs qui n'ont pas été rendus?

Je suis fort étonné de l'insistance de l'honorable M. de Mérode, qui ordinairement invoque le respect dû à la loi ; c'est ce respect que j'invoque; mes sympathies sont acquises à tous ceux qui ont montré de la bienveillance pour la Belgique; mais ce qui me domine c'est le respect dû à la loi qui nous régit. S'il y a un moyen de concilier nos sympathies avec le respect dû à la loi que la section centrale le propose. J'appuie la proposition de renvoi à la section centrale faite par l'honorable M. Thiéfry.

M. Lebeau. – Quant à moi, je regarde comme un devoir d'appuyer la motion de l'honorable M. Dolez.

Il y a un fait qui semble avéré, un fait qui semble n'être contesté par personne, c'est que l'application de la loi, depuis sa promulgation jusqu'aujourd'hui, a été constamment faite dans le sens de ce qui s'est passé pour le général Skrzynecki. Voilà ce qui a, je crois, été affirmé au banc des ministres. La confiance qu'inspire la loyauté des ministres est telle qu'on ne peut supposer qu'ils émettent légèrement une pareille assertion.

On m'interrompt pour me dire que pas un général n'a été dans une position identique. Je l'admets. Mais il suffit qu'on ait admis même partiellement les années passées en disponibilité dans le grade pour lequel dix années emportent l'augmentation d'un cinquième de la pension, pour que l'application de la loi doive être faite dans le même sens au général.

Je vais rendre ma pensée plus claire par un exemple : supposons qu’un officier général ait passé neuf années de son grade dans la position d’activité ; la dixième année, il tombe malade; il est mis en non-activité pour cause de maladie, de maladie résultant du service; sa mise en non-activité résulte ainsi d'une force majeure; je parle du cas de non-activité. A (page 1405) l'expiration de cette année, il est incapable de continuer son service; il demande et obtient sa retraite.

N'est-il pas vrai que ce serait se tromper sur le sens de la loi, de prétendre que par suite du fait de maladie, du fait de force majeure, qui assimile la non-activité à l'activité, il ne devrait pas jouir du bénéfice du cinquième après ces dix années? Ne considérerait-on pas cette année passée peut-être sur un lit de douleur pour cause de maladie ou de blessure, comme la conséquence même des services qu'il aurait rendus, comme le complément des dix années qui emportent l'augmentation de la pension ? L'affirmative est évidente.

Mais, messieurs, le doute fût-il permis, et tout au moins on conviendra qu'il y a doute, est-il possible, lorsqu'il y a des faits exceptionnels sur lesquels je n'ai pas besoin d'insister; lorsqu'il y a une jurisprudence qui ne s'est pas démentie, bien que les faits ne soient pas identiques (et il n'est pas nécessaire qu'ils le soient pour que cette jurisprudence puisse être invoquée) ; lorsque la cour des comptes, spécialement appelée à veiller à l'application des lois de finances, est venue se joindre au ministre qui avait eu la prudence de la consulter à l'avance; lorsque les faits se sont ainsi accomplis, ne serait-ce pas manquer à la bonne foi? ne serait-ce pas méconnaître les circonstances très délicates, tout exceptionnelles, qui doivent imposer à la chambre une très grande réserve dans cette circonstance ?

Je conseille donc à la chambre d'accepter la motion de l'honorable M. Dolez et de réserver la question de principe pour les cas qui se présenteront à l'avenir.

M. de Mérode. - Je n'ai que deux mots à dire relativement à l'espèce de reproche que me fait l'honorable M. Delehaye de ne pas me soumettre à la loi. J'ai, au contraire, demandé l'exécution pure et simple de la loi; j'ai demandé que l'autorité qui était la plus propre à juger du sens de la loi fût consultée de nouveau pour savoir s'il y avait eu erreur. Vous voulez m'obliger à juger comme si j'étais un membre de la cour des comptes. Or, je vous le déclare, je ne me crois nullement l'aptitude qu'il possède sur les matières qui le concerne, et j'ai plus de confiance dans les connaissances de M. Hubert à leur sujet que dans celles de vingt individus comme moi.

Je crois, messieurs, que les membres de la cour des comptes ne sont nullement d'avis de laisser liquider des pensions par faveur ou mal à propos. Eh bien, ils m'ont assuré ce matin que la pension dont il s'agit avait été réglée en toute justice, et que la réduire par les motifs que j'ai dû combattre serait une iniquité.

M. Orts. - Messieurs, je viens appuyer la proposition qui vous est faite par l'honorable M. Thiéfry. Je crois que résister à cette proposition, c'est témoigner une défiance injuste pour les sentiments de la chambre â l'égard de l'honorable général dont il s'agit. Si tout le monde est, comme moi, persuadé que, dans le sein de cette chambre, il n'est aucun de nous qui ne veuille faire tout ce qu'il est légitimement possible de faire en faveur du général Skrzynecki, je ne vois pas pourquoi on se refuserait à ce que la section centrale examinât une objection qui n'avait pas été produite dans son sein ; l'honorable M. Mercier vient de le déclarer; la question n'a pas été posée devant la cour des comptes et devant la section centrale dans les termes dans lesquels l'a posée l'honorable M. Thiéfry.

A quoi donc a droit le général Skrzynecki, de l'aveu de tout le monde? A être traité comme un officier belge qui aurait consacré au pays les années que cet honorable général a consacrées au service de la Pologne, de sa patrie à lui. Eh bien, la question, dans les termes où l'a posée l'honorable M. Thiéfry, est de savoir si un officier belge aurait droit à la pension concédée après avoir passé une partie du temps de son service en disponibilité, au lieu de l'avoir passé dans l'activité.

La question ainsi posée a du reste un terme de comparaison parfaitement analogue dans la loi. Si je me rappelle bien les termes de la loi dont M. le ministre des finances a donné lecture, il peut arriver qu'un officier belge soit mis en disponibilité pour suppression d'emploi. Eh bien je pense que la position la plus favorable qu'on puisse concéder au général Skrzynecki, en présence des faits diplomatiques ou politiques qui l'ont empêché de faire pour la Belgique ce qu'il voulait faire, c'est de le considérer comme un de ces officiers que le gouvernement belge aurait été obligé de mettre en disponibilité par suppression d'emploi. Supposons-le donc dans cette position et que la section centrale juge la question sur ce terrain.

La cour des comptes, dit l'honorable M. de Mérode, a examiné la difficulté. Pourtant, l'honorable membre, qui a défendu très chaudement les intérêts du général Skrynecki, ne s’oppose pas à un nouvel examen de la part de cette cour ; seulement il le croit inutile. Cette observation de l'honorable M. de Mérode prouve combien est fondée la demande d'un nouvel examen. Il y consent en réalité.

Mais l’honorable M. de Mérode va plus loin, il proclame notre incompétence en même temps que l'inutilité d'un second examen. Je lui dirai d'abord que la cour des comptes, en matière d'appréciation des pensions, est loin d'être infaillible, semblable en cela à toute institution humaine, si bonne qu'elle soit. Ne voyons-nous pas souvent des arrêtés dans le Moniteur , qui viennent rectifier le chiffre de pensions accordées, et ce par suite d’observations émanées du gouvernement ou des pensionnés eux-mêmes ? Ceci prouve que la cour des comptes peut quelquefois avoir besoin d'un second examen pour faire bonne et exacte justice.

Quant à l'incompétence des membres de la chambre pour examiner une pension, incompétence sur laquelle s'est appuyé l'honorable M. de Mérode en disant que, pour sa part, il se croyait vingt fois inférieur à un membre de la cour des comptes dans l'appréciation de la question, je lui dirai qu'il fait beaucoup trop bon marché de la position que la loi sur la comptabilité elle-même lui a faite. L'honorable M. de Mérode a oublié que lorsqu'une décision de la cour des comptes a été cassée par la cour de cassation, c'est une commission prise dans le sein de la chambre qui, aux termes de la loi, doit examiner en deuxième ressort.

Je crois donc utile, pour montrer notre respect à la loi et faire bonne et bienveillante justice à M. le général Skrynecki, sans toutefois sortir de la légalité, d'adopter la proposition de l'honorable M. Thiéfry.

M. Pierre. - Je me joindrai, messieurs, à l'honorable M. Osy pour demander le renvoi de la proposition de M. Thiéfry à la section centrale, chargée de l'examen du budget qui nous occupe.

Il serait fâcheux d'entrer dans la voie des exceptions, à laquelle nous convie l'honorable M. Dolez. La loi doit être une, invariable, la même pour tous. Pourquoi donc admettre une exception en faveur d'un étranger, quel qu'il soit et quel que puisse être son mérite personnel, plutôt que pour un Belge? Pour ma part, je ne puis, dans aucun cas, tolérer, pour l'application d'une loi, deux poids et deux mesures. Cette manière d'agir serait évidemment inique. Rien ne pourrait, à mes yeux, la justifier.

J'insiste pour le renvoi demandé. Je ne crois pas que la bonne foi, la délicatesse, ni l'honneur de la Belgique puissent être par là le moins du monde compromis. Je repousse de toutes mes forces l'insinuation qui vient de nous en être produite.

L'honorable M. Le Hon vient de nous retracer l'historique diplomatique de la mise en disponibilité du générai dont il s'agit. Il a en cela été amené à nous rappeler de fort tristes et douloureux souvenirs. Nous ne devons point, je pense, prendre nos inspirations, pour le présent et pour l'avenir dans ce fatal et regrettable passé. Nous agirons mieux et plus sagement en faisant désormais nos affaires autrement qu'on nous forçait à les faire alors.

Aucune considération ne peut, selon moi, nous faire une obligation d'être, envers ce général, plus généreux que la loi elle-même. Non, messieurs, et prenons-y bien garde, jamais la loi ne doit fléchir devant personne, pas même devant la diplomatie !

M. Le Hon. - Messieurs, si j'ai bien entendu les paroles de l'honorable préopinant, il m'a supposé la pensée de faire intervenir la diplomatie dans ce débat.

L'honorable membre ne m'aura sans doute pas compris ou plutôt je ne me serai pas assez clairement expliqué.

J'ai voulu faire acte de justice envers un étranger absent, dont la nomination m'a paru, à moi, une faute politique quand elle a eu lieu : il est vrai que j'avais alors l'honneur d'être diplomate. J'ai voulu attester un fait qui a donné à cet officier général une position toute particulière, tout exceptionnelle, à ce point même que je crois impossible qu'il s'en reproduise de semblable. Il ne peut pas arriver, en effet, qu'un officier belge, dès le lendemain de son entrée dans l'armée, soit mis en disponibilité pour des raisons étrangères à sa conduite et à sa capacité, étrangères aussi au service et à la discipline militaire. Eh bien, messieurs, c'est pour caractériser cette position extraordinaire, unique même, que j'ai révélé un fait qui est à ma connaissance personnelle par des circonstances que tout le monde peut comprendre. Ce fait a eu pour résultat qu'un officier général, appelé dans notre armée pour y prendre un commandement supérieur et un rôle actif, a été mis en disponibilité dans l'intérêt de nos relations politiques et, permettez-moi d'ajouter, dans l'intérêt de nos rapports commerciaux avec une grande puissance.

Mes observations n'ont pas eu d'autre but et ne sauraient avoir une autre portée.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Je n'ai pas la prétention, messieurs, de discuter la question de droit qui a été soulevée; mais je ferai observer que de tout temps la disponibilité a été comptée pour la retraite comme l'activité. L'officier en disponibilité conserve son rang d'ancienneté, tandis que celui qui est en non-activité perd la moitié de son ancienneté. Du reste la loi est claire à cet égard. L'article 4 porte :

« Le temps passé en activité sans traitement ne peut compter dans la supputation du service. Le temps passé en disponibilité compte pour toute sa durée ; il en est de même du temps passé en non activité pour cause de maladie contractée à l'occasion du service, pour licenciement de corps ou suppression d'emploi. Le temps passé en non-activité pour toute autre cause compte pour la moitié de la durée, et le temps passé en réforme, pour le quart. »

Ainsi l'on a bien voulu que la disponibilité comptât en entier comme activité. La non-activité compte pour moitié dans les années de service, et la réforme pour un quart. Il me semble que cela est bien clair. Du reste tous les précédents en font foi.

C'est pour cela, messieurs, que la cour des comptes a admis la liquidation de la pension au maximum.

Dans le principe, j'avais liquidé la pension du général Skrzynecki, sans la porter au maximum, parce que j'ignorais la mesure qui faisait dater son ancienneté depuis le jour où il a été nommé en Pologne; mais du moment où j'ai connu cette disposition, il n'y avait plus à la contester, et la cour des comptes a partagé cet avis, qui est du reste conforme aux antécédents.

Du reste, messieurs, nous ne nous opposons nullement à ce que l'on examine la question.

(page 1406) M. Delehaye. - Puisque M. le ministre de la guerre vient de dire qu'il ne s'oppose pas à l'examen de la question, c'est-à-dire au renvoi à la section centrale, je ne prolongerai pas cette discussion. Toutefois j'ai une observation à faire.

M. le ministre de la guerre invoque pour la disponibilité les mêmes avantages que pour le service actif. Mais, messieurs, il faut prendre garde à une chose, c'est que la mise en disponibilité est déjà une position exceptionnelle. L'officier en disponibilité n'a aucune charge, il ne fait aucun service, et cependant il touche son traitement; l'activité, au contraire, oblige à beaucoup de dépenses et impose des devoirs rigoureux. Il n'est donc pas possible que la disponibilité et l’activité soient placées sur la même ligne, et c'est ce que le législateur n'a pas voulu. Quand le législateur a augmenté la pension d'un cinquième, il l'a fait uniquement pour l'activité.

Je n'en dirai pas davantage. Nous pourrons examiner la question d'une manière plus complète, lorsque la section centrale nous aura fait sou rapport.

- Le renvoi à la section centrale est mis aux voix et prononcé.

M. Osy. - M. le ministre de la guerre, dans la réponse qu'il a faite à la section centrale, n'a parlé que des observations d'une seule section qui demande un maximum de 5,000 fr. La section centrale n'a nullement appuyé ce chiffre : elle a demandé seulement, comme nous le demandons, la révision de la loi sur les pensions militaires en trois points : les certificats, l'âge et le quantum. M. le ministre de la guerre nous a dit tout simplement : « De la manière dont la question a été posée, nous ne pourrons pas y donner suite. » Mais je demanderai à M. le ministre de la guerre si, d'après les observations faites par la section centrale, il compte présenter, dans le cours de la session prochaine, un nouveau projet de loi sur les pensions militaires.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, comme j'ai eu l'honneur de le dire, la loi sur les pensions militaires a été examinée très attentivement par la chambre. Je crois que cette loi ne contient pas de stipulations ni trop onéreuses ni trop favorables ; elle fonctionne bien, et je ne pense pas qu'il soit utile d'y revenir. L'honorable M. Thiéfry a démontré tout à l'heure que partout ailleurs la loi sur les pensions militaires était plus favorable à l'armée que ne l'est la nôtre. Je ne puis donc pas prendre l'engagement de présenter un projet de loi, destiné à amoindrir encore la position des officiers qui, après de longs et loyaux services, sont mis à la retraite.

M. Dolez. - Messieurs, je ne suis pas non plus partisan des modifications trop fréquentes dans les lois organiques, et je suis tout prêt à défendre celles qui assurent la position de l'armée; mais je crois convenable de soumettre quelques observations à M. le ministre de la guerre à côté de cette profession de foi que je n'hésite pas à faire.

Ce qui porte trop souvent à modifier les lois organiques, c'est la manière dont on les applique. Eh bien, je pense que, dans notre pays, très souvent on s'est montré trop facile pour l'admission à la pension militaire. Je crois que l'hostilité qui existe dans une partie du pays, et surtout dans une partie des membres de cette chambre, contre le budget du département de la guerre, procède principalement des mises à la pension militaire trop multipliées dont le pays a été le témoin.

Je connais une seule ville dans laquelle le poste de commandant de place montre aux habitants le spectacle de deux généraux et d'un colonel pensionnés dans l'espace de quelques années. Et cependant le dernier colonel qui a été mis à la retraite a été, très peu de temps après, jugé capable d'être nommé commandant de la garde civique de la même ville, fonction qu'il remplit avec autant de vigueur que d'activité. C'était un homme très énergique, très en état de continuer le service, d'ailleurs peu actif, de commandant de place; et cependant il a été mis à la pension. Deux ou trois ans auparavant, un lieutenant général, commandant de place de la même ville, avait été également mis à la retraite; il a été remplacé par un colonel que l'on élevait au grade de général; deux ans après, ce nouveau commandant était pensionné à son tour. Il en résulte que toute la population de la ville à laquelle je fais allusion est convaincue par ces faits que tout est abus, prodigalité au département de la guerre. Je n'hésite pas à dire qu'il y a exagération très grande dans les préoccupations qui se sont répandues dans le public à cet égard ; et cependant j'estime qu'il y a quelque chose de vrai dans ces préoccupations.

Je crois me montrer ami du ministère et surtout de M. le ministre de la guerre, en l'engageant de la manière la plus pressante à agir avec la plus religieuse réserve pour les mises à la retraite qu'il aurait à prononcer à l'avenir.

M. Tesch. - Messieurs, je dois confirmer ce que vient de dire l'honorable M. Dolez. La province de Luxembourg se trouve dans le même cas. En quelques années de temps, nous avons vu deux commandants de la province successivement mis à la pension, et chaque fois l'officier qui venait occuper la place vacante n'était pas un homme plus valide que celui qu'on avait pensionné. Ces mesures ont également produit dans la province le plus détestable effet, et c'est en partie à ces faits qu'on doit attribuer l'espèce d'antipathie que des membres de cette chambre montrent contre le budget de la guerre.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, les faits qu'on vient de signaler s'expliquent très naturellement. Lorsqu'un officier ne peut plus exercer utilement un commandement actif, si cet officier n'a pas le nombre d'années voulu pour être mis à la retraite ou s'il peut rendre encore des services dans un poste sédentaire, on lui confie un commandement de province ou un commandement de place pendant quelques années. Telle est la cause naturelle des faits qui viennent d'être signalés et qui se reproduiront quelquefois encore.

Quant aux motifs qui ont engagé le gouvernement à mettre tel ou tel officier à la retraite, je ne pense pas que la chambre puisse exiger du gouvernement qu'il vienne les exposer dans cette enceinte. Le gouvernement doit pouvoir décider si un officier est apte à rendre au pays et à l'armée tous les services qu'il est en droit d'exiger de lui en raison des circonstances.

M. Osy. - M. le ministre de la guerre dit que la loi sur les pensions militaires fonctionne bien et qu'il n'y a pas lieu de la changer. Eh bien, la loi sur les pensions civiles fonctionnait très bien aussi, et cependant nous avons jugé convenable de la changer dans le cours de cette session.

J'en reviens aux observations que j'ai eu l’honneur de présenter tout à l'heure. Quant aux certificats, j'ai connu des militaires qui, ne voulant plus servir, ont obtenu des certificats, et qui ont été pensionnés, bien qu'ils fussent plus jeunes et qu'ils se portassent beaucoup mieux que moi.

Quant à l'âge, il n'est pas possible de conserver, dans un pays neutre, l'âge de 55 ans pour l'admission à la pension. Ce sont ces mises à la pension multipliées qui, dans le budget de 1850, ont porté le chiffre des pensions militaires à 2,450,000 fr.

Maintenant quant au maximum, je ne vois pas que, dans un pays neutre depuis 18 ans, il soit impossible de réaliser une économie de ce chef. Pour ma part, aussi longtemps que je siégerai sur ces bancs, si M. le ministre ne propose pas de modifier la loi sur les pensions militaires, chaque année je demanderai la révision de cette loi ; et j'espère que le pays finira par obtenir cette révision, de même que pour les pensions civiles le gouvernement a été obligé de présenter un projet de loi.

Eh bien, pour les pensions militaires c'est la même chose; je ne serai pas exagéré, je ne demanderai pas, comme une section, que le maximum soit réduit à 5 mille fr., mais je veux être juste envers tout le monde : ayant fait quelque chose pour le civil, il faut le faire aussi pour le militaire, (Interruption.) C'est de l'Etat que je parle; ayant fait une économie sur les pensions civiles, nous devons en faire aussi sur les pensions militaires.

Nous devons demander au gouvernement d'examiner la question et de/ présenter un projet de loi.

M. Van Grootven. - M. le ministre, en répondant au vœu que j'aurais émis que la loi sur les pensions militaires fût révisée, a dit que cette loi fonctionnait bien et qu'il n'y avait pas de motif pour la changer.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - L'armée fonctionne bien !

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Oui, cette loi fonctionne bien, je le répète, et je ne prendrai pas l'engagement de présenter un projet de loi pour la modifier.

M. Van Grootven. - Elle fonctionne si bien qu'en trois années de temps, le chiffre des pensions militaires s'est trouvé augmenté de 300,000 francs, sans tenir compte des extinctions.

Je pourrais vous citer tel colonel mis à la pension seize mois après sa nomination au grade de général et qui se porte mieux que beaucoup d'entre nous; il a été envoyé comme commandant dans une ville, sans vouloir accepter le commandement; il a manifesté le désir d'être mis à la pension ; et voilà un homme bien valide, âgé à peine de 56 ou 57 ans, qui jouit d'une pension.

Je persiste dans les motifs que j'ai présentés pour demander la révision de la loi sur les pensions militaires, j'entends par là une révision sage, modérée; je suis étonné que M. le ministre n'accepte pas la proposition telle que je l'ai posée.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je ne pense pas que le moment soit venu de commencer une nouvelle discussion relativement à la position des officiers. Nous avons eu une discussion du budget de la guerre, nous en aurons encore une avant la fin de l'année. Je pense que les observations qui viennent d'être faites auraient mieux trouvé leur place dans la discussion de ce budget.

Quand M. le ministre de la guerre a déclaré qu'il trouvait la loi sur les pensions militaires convenable, et témoigné de la répugnance â la réviser, il était pénétré des services rendus par l'armée et de la nécessité d'y maintenir un bon esprit, de ne pas y jeter des germes de défiance et de désaffection. Sous ce rapport, il a pu dire que la loi fonctionnait bien, faisant allusion à la manière dont l'armée fonctionne pour le pays.

Je ne pense pas qu'on puisse reprocher au ministre de la guerre actuel d'avoir fait fonctionner la loi des pensions plus activement que les ministres précédents ; ce sera un compte à rendre lors de la discussion du budget de la guerre.

Que les officiers avancés en âge trouvent ici certains défenseurs, je ne les blâme pas ; j'ai beaucoup de respect pour la vieillesse ; mais dans l'armée, j'aime mieux voir, en règle générale, les grades occupés par des jeunes gens que par des vieillards.

La législation française est plus sévère pour les officiers que la nôtre. A un certain âge, qu'ils soient valides ou non, en état de servir ou non, la loi les frappe; elle les met à la pension. Ici la faculté a été laissée au gouvernement de mettre les officiers à la retraite à un certain âge.

La section centrale, qui a examiné la loi d'organisation de l'armée, avait voulu y introduire ce principe, que je considère comme salutaire, de la mise à la retraite à un certain âge en vertu de la loi. Parce que nous (page 1407) sommes un pays neutre et qu'on suppose apparemment que nous n'aurons jamais à défendre notre neutralité et notre indépendance, on pense que notre armée peut marcher avec de vieux officiers. C'est précisément parce que nous sommes un pays neutre et que par conséquent nous aurions peu d'occasions de combattre, de faire la guerre, qu'il faudrait trouver dans les moyens que présente la loi, des occasions d'avancement pour les officiers. C'est précisément parce nous n'aurions pas occasion de faire la guerre, que toute voie d'avancement serait fermée aux officiers, si à un certain âge les officiers occupant les grades supérieurs ne quittaient pas la place pour laisser arriver les autres. Il faut dans les cadres du mouvement ; il ne faut pas condamner un sous-lieutenant de 20 ans à rester 30 ans dans son grade. Si vous immobilisez à la tête de leurs corps des nommes d'un grand âge, vous jetteriez le découragement et le relâchement dans les rangs inférieurs.

Messieurs, quelque opinion qu'on puisse avoir sur les sacrifices que l'entretien d'une armée occasionne au trésor public, il est, ce me semble, des circonstances où tous nous devrions être d'accord pour nous abstenir de remettre en quelque sorte en question les nombreuses existences qui se rattachent à l'armée.

Aujourd'hui, messieurs, l'armée belge, en peut le dire, offre le spectacle, bien rare en Europe, d'une grande force marchant dans le plus parfait accord avec le reste du pays et le gouvernement; tandis qu'ailleurs nous voyons s'infiltrer dans les armées des germes d'indiscipline et de démoralisation, l'armée belge est restée intacte; elle saura, dans les circonstances, s'imposer les sacrifices que le pays entier s'imposera; mais dans ce moment, sans nécessité, ne suscitons pas de discussion qui pourrait jeter certaine défiance , certaine désaffection dans les rangs de l'armée; qu'on ne puisse pas dire que l'existence des officiers est de nouveau mise en question, non seulement pour ceux qui sont en activité, mais qu'il serait question de toucher à la position des officiers pensionnés; cela ne pas être dit...

M. Osy. - Personne n'a proposé cela.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Ces questions pourront venir en leur temps, mais je prie la chambre de ne pas les agiter aujourd'hui.

M. Jullien. - Lorsque j'ai eu l'honneur de faire partie de la section centrale chargée de l'examen du projet de loi pour la révision des pensions civiles, j'ai exprimé le désir que la section centrale appelât l'attention du gouvernement sur la nécessité de réviser également la loi sur les pensions militaires. Pour faire droit à mon observation, la section centrale a cru devoir demander officieusement à M. le ministre des finances, appelé dans son sein, quelles étaient les vues du gouvernement sur ce point.

M. le ministre des finances nous a répondu franchement qu'il avait ouvert avec son collègue de la guerre une correspondance dans laquelle il avait signalé diverses anomalies entre la collation des pensions civiles et la collation des pensions militaires.

L'entretien que nous avons eu avec M. le ministre des finances nous avait donné la conviction que réellement le gouvernement voulait également faire quelque chose pour la révision de la loi sur les pensions militaires. Je regrette d'avoir entendu un langage tout à fait opposé dans la bouche de M. le ministre de la guerre.

Quoiqu'il en soit, je me joins aux honorables MM. Van Grootven, Dolez, Tesch et Osy, pour demander qu'une bonne fois il soit fait droit aux plaintes vives et légitimes du pays, quant aux pensions militaires.

Il ne s'agit pas de porter atteinte à des droits acquis ; il s'agit d'empêcher, pour l'avenir, la collation de pensions trop multipliées et trop onéreuses pour nos finances.

L'armée, a dit M. le ministre de l'intérieur, s'associe aux sentiments du pays. Eh bien, cet accord, cette communauté de sentiments a dû faire comprendre à l'armée que le pays a besoin d'économies. Ce vœu est trop ardent et trop bien justifié pour que l'armée s'y montre hostile.

M. Lebeau. - Dans les nombreux actes du département de la guerre, comme dans ceux des autres ministères, qu'il puisse se glisser de temps en temps un abus, c'est chose très facile à comprendre. Avec les meilleures intentions du monde, quelle que soit la vigilance qu’un ministre apporte à l'exercice de ses fonctions, il est impossible que de temps en temps, malgré ces intentions, il n'y ait pas quelques abus, quelques applications, plus ou moins susceptibles de critique, des dispositions des lois dont l'exécution lui est confiée. Il est toujours facile d'apporter ici quelques faits personnels à la connaissance des membres des chambres législatives pour justifier quelques critiques.

Mais, remarquez combien la position des membres du ministère est différente, lorsque de telles questions sont soulevées. Le ministère n'a pas une entière liberté pour défendre ses actes, lorsqu'ils tiennent à des questions de personnes. Il est impossible à un ministre de dire : Il est très vrai que tel officier général que j'ai mis à la retraite n'est pas d'un âge très avancé ; mais il y a des raisons que, sous ma responsabilité, j'ai jugées suffisantes pour motiver sa mise à la retraite, sans que je puisse les préciser ici. Ce sont des choses qu'on pourrait tout au plus dire dans la conversation, dans le cabinet du ministre, mais qu'on ne peut dire en séance publique.

Chacun de nous peut être frappé de tel ou tel fait, par suite de ses relations de société. Mais le ministre, qui est responsable, doit procéder d'après des considérations tout à fait différentes.

Déjà M. le ministre de l'intérieur a fait remarquer que si l'on interprétait la loi d'une manière trop restreinte, si on l'interprétait généralement dans le but de conserver surtout les officiers d'un âge avancé, il est évident que l'émulation, l'avancement, qui est un des plus grands ressorts de l'armée, viendrait à manquer. Plus un pays est neutre, si par là on entend qu'il reste en paix, plus les mises à la pension sont parfois nécessaires, dans une certaine mesure, pour assurer l'avancement.

Je n'insiste pas sur ce point, que M. le ministre de l'intérieur a traité tout à l'heure. J'arrive à un point plus important.

Il faut bien prendre garde que, malgré les intentions de ceux qui proposent de toucher à la législation des pensions militaires, on ne prenne le change sur ces intentions. En présence des attaques dont le budget de la guerre est constamment l'objet dans la chambre, il est très facile de s'y tromper. Cela suffit pour que de telles discussions, reproduites avec tant d'insistance, fassent un ravage profond dans l'esprit de l'armée.

L'armée n'est pas au-dessus des conditions de l'humaine faiblesse, elle les partage avec nous; elle peut très bien prendre le change sur les intentions de la chambre. Il n'en faudrait pas davantage, peut-être, pour propager dans l'armée la désaffection et le découragement.

Dans certains pays on a fait des réformes financières radicales, imprudentes même (on peut le dire ; car c'est ainsi qu'elles ont été qualifiées par l'opinion publique) ; eh bien, on a épargné l'armée, on n'a pas touché à son budget; et lorsque dernièrement une commission de l'assemblée nationale est venue proposer une réduction plus ou moins considérable sur le budget de la guerre, ce ne sont pas seulement les hommes qui portent l’épaulette qui ont défendu le budget, MM. Cavaignac, Lamoricière; ce sont les hommes appartenant à la carrière civile, en tête desquels se trouvait M. de Lamartine.

Il y a eu presque unanimité pour repousser cette proposition; tant on sentait que, dans les circonstances graves où l'on se trouve, il était dangereux de donner des prétextes à ceux qui voudraient semer la désaffection dans l'armée.

Voilà ce qui s'est passé tout récemment dans un pays voisin, où l'esprit de réforme a été cependant poussé aussi loin qu'il l'ait jamais été, plus loin même, à certains égards, que chez nous. Voilà les considérations qui ont été mises en avant pour ne pas donner de prétexte à ceux qui cherchent à semer la désaffection et l'indiscipline dans les rangs de l'armée.

Je demandée la chambre de ne pas prolonger cette discussion. Je rappellerai que la chambre, sur la demande du ministre de la guerre, en présence de circonstances moins graves peut-être que celles où nous nous trouvons, a mis des millions à sa disposition; nous devons reconnaître qu'il n'en a pas abusé. Lorsque nous avons fait des sacrifices si considérables pour fortifier notre état militaire, en vue de circonstances graves que nous voyons se reproduire, n'allons pas défaire notre œuvre par des discussions sur lesquelles il est si facile de prendre le change (je n'attaque pas les intentions). Je désire que la discussion ne dure pas davantage; non pas que je veuille limiter le droit de personne, le ciel m'en préserve! mais j'exprime sincèrement mon opinion; je crois cette discussion intempestive, imprudente, dangereuse.

M. d'Elhoungne. - Si la discussion actuelle est aussi imprudente, aussi alarmante, aussi intempestive que le disent M. Lebeau et M. le ministre de l'intérieur, j'ai le droit de m'étonner que ce soient précisément ces membres qui l'aient soulevée, qui l'aient placée sur le terrain où elle se trouve maintenant.

Dans quels termes ce débat se présentait-il devant la chambre ? Deux vœux avaient été émis : d'abord de la part des membres qui pensent que la législation sur les pensions militaires est susceptible de révision et qui avaient exprimé ce vœu en des termes qui n'avaient, certes, rien d'alarmant pour l'armée, ni pour le pays, ni même pour M. Lebeau, ou pour M. le ministre de l'intérieur.

Puis un autre vœu avait été émis par des membres qui n'ont aucune hostilité ni contre l'armée, ni même contre son organisation, et qui trouvent que la loi sur les pensions militaires, bien loin de fonctionner parfaitement, comme le prétend M. le ministre de la guerre, fonctionne beaucoup trop.

Ils ont pensé que l'activité qu'on a imprimée à l'action de cette loi est devenue beaucoup trop forte, même depuis le ministère actuel. Car, quoi qu'en ait dit le ministre de l'intérieur, on doit reconnaître que jamais ou n'a vu autant de mises à la retraite que sous le ministère actuel

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'est ce qui reste à démontrer.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Je viendrai demain prouver à la chambre, par des chiffres, tout le contraire de ce que dit l'honorable M. d'Elhoungne.

M. d’Elhoungne. - Je persiste à dire que jamais on n'a mis autant de militaires à la retraite, surtout dans les grades supérieurs; jamais on n'a vu une pareille avalanche d'officiers supérieurs, de généraux mis à la retraite. Qu'il y a eu des mises à la retraite sous les ministères qui ont précédé le cabinet actuel, cela n'est pas douteux, mais elles font masse avec celles qui les ont suivies, et le pays et l'opinion publique se sont émus de ce grand nombre de mises à la retraite qui se sont succédé coup sur coup les unes aux autres.

Sont-ce messieurs, les adversaires du budget de la guerre qui signaient ces faits? Mais non ! Ce sont les partisans les plus dévoués du budget de la guerre qui viennent dire que l'impression produite par ces actes si fâcheuse pour l'armée, qu'elle fait supposer des abus plus grands peut-être que ceux qui pourraient exister ; et ils affirment qu'il serait prudent de faire fonctionner la loi avec moins d'activité.

(page 1408) Je le répète donc, il n'y avait qu'un vœu émis et par les adversaires de la législation sur les pensions militaires et par ceux qui, partisans de cette législation, trouvaient qu'elle fonctionnait avec trop d’activité. Je ne vois rien la d'alarmant pour l'armée, rien qui puisse faire supposer que l’existence des nombreux officiers de l'armée doive être mise en question.

M. Lebeau. - Et la révision des pensions ?

M. d'Elhoungne. - La révision des pensions n'a pas été demandée. Pour moi je ne veux pas de la révision des pensions ; mais ce que nous demandons, c'est la révision de la loi.

Qu'a-t-on fait pour la loi sur les pensions civiles ? Ne l'a-t-on pas appliquée à tous les fonctionnaires qui à l'avenir seraient mis à la pension? Est-ce là ce qu'on appelle l'effet rétroactif? Je ne le pense pas; car M. le ministre des finances est venu lui-même nous le proposer.

Ainsi la question s'est formulée en un simple vœu, vœu qui partait aussi bien des adversaires de la législation sur les pensions militaires que de ses partisans, et je le répète, il n'y avait là rien d'alarmant, de compromettant pour les droits de l'armée.

Je dirai plus : c'est que ceux qui veulent qu'on use avec plus de circonspection de la loi sur les pensions ne sont nullement opposés aux intérêts des officiers.

Car si les mises à la retraite donnent lieu à quelques promotions, elles donnent aussi lieu à de grands froissements et à des injustices à l'égard de ceux qui sont mis à la retraite. D’un autre côté, si la trop grande activité imprimée aux mises à la retraite des officiers de l'armée cause une impression défavorable dans le pays, soulève une sorte d'hostilité contre le budget de la guerre, prétendez-vous servir intelligemment les intérêts de l'armée en les multipliant ?

Il faut, messieurs, en cette matière, une sage circonspection ; il faut que désormais on ne mette plus à la pension avec la même facilité qu'on l'a fait jusqu'aujourd'hui. Je pense que l'espèce de roideur avec laquelle on vient de déclarer que la loi fonctionne bien, qu'elle sera toujours appliquée comme elle l'a été jusqu'ici, ne peut que froisser inutilement les sentiments de ceux qui croient que les dépenses de notre état militaire sont exagérées.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, M. le ministre de la guerre se chargera de démontrer à M. le représentant de Gand, qu'il est dans l'erreur lorsqu'il attribue au ministère actuel des mises à la retraite, relativement beaucoup plus nombreuses que celles qui ont eu lieu sous les ministères précédents.

Il pourrait cependant arriver que les circonstances fussent telles que sous un ministère il y eût un plus grand nombre de mises à la retraite que sous un autre, sans qu'un tel fait fût le résultat d'un système ou d'un parti pris.

Il pourrait arriver, par exemple, qu'à une époque donnée un plus grand nombre d'officier, eussent atteint l'âge qui leur donne droit à la retraite et de là un accroissement dans le chiffre des pensions.

Quant à la révision de la loi des pensions militaires, plusieurs orateurs ont interpellé mon honorable collègue, M. le ministre de la guerre, pour lui demander, pour lui enjoindre, en quoique sorte, de présenter immédiatement, ou à l'ouverture de la session prochaine, un projet de révision.

C'est là une proposition qui nous a émus, je le reconnais. Nous avons cru que le moment n'était pas venu de faire de pareilles propositions. (Interruption.) Si vous ne le demandez pas maintenant, nous croyons qu'il était intempestif de soulever cette question.

M. le ministre de la guerre ne s'est pas engagé à tout jamais. Il a agi selon ce qu'il croit être l'intérêt de l'armée, et l'acquit de son devoir. Nous prions la chambre d'être convaincue qu'en nous expliquant comme nous le faisons en cette circonstance, nous n'avons qu'un seul but; c'est celui de maintenir intacte l'excellente position de l'armée vis-à-vis du pays, et du pays, représenté par vous, vis-à-vis de l'armée.

Je persiste à croire et je répète que si vous voulez que l'armée fonctionne utilement pour le pays, il faut laisser aux grades inférieurs la perspective d'un avancement. Il ne faut pas se prendre d'une sympathie exclusive ou d'une commisération nuisible pour les cheveux blancs que l'on aime à voir parfois à la tête d'une division, d'une brigade ou d'un régiment. Il est reconnu qu'a part de rares exceptions, une armée, pour bien agir, pour bien remplir sa mission dans toutes les circonstances, doit être surtout commandée par des hommes jeunes, vigoureux et actifs. Personne ne voudra contester, je pense, de pareilles idées.

D'ailleurs ce grand nombre de mises à la retraite diminuera successivement. S'il y a eu excès, ce ne sera que pour un temps. M. le ministre de la guerre vous la dit, un grand nombre d’officiers sont rentrés au service en 1830, qui déjà étaient pensionnés.

Depuis lors ces officiers, qui ont occupé tout à coup des grades supérieurs, ont dû être remis de nouveau à la pension. Voilà ce qui a multiplié ces mises à la retraite. Mais aujourd'hui notre armée, on peut le dire, est rajeunie, et les mises à la retraite deviendront de jour en jour plus rares.

Du reste, il y a parfois dans les mises à la retraite de véritables économies. Ainsi les deux généraux dont il a été parlé tout à l'heure n'ont pas été, je pense, remplacés. Le général Evain, le général Skrzynecki, étaient, l'un en activité, l'autre en disponibilité. Par mesure d'économie, ils ont été mis à la pension, bien malgré eux. Trouvez-vous que ce soit là un acte de mauvaise administration?

En résumé, messieurs, je ne vois pas que la chambre s'associe au vœu qui a été exprimé par deux ou trois orateurs dans d'autres circonstances M. le ministre de la guerre aura à s'expliquer. Le temps lui indiquera la marche qu'il a à suivre, et je suis bien convaincu que M. le ministre de la guerre se déterminera toujours par ce qu'il croira être l'accomplissement de son devoir et l'intérêt de l'armée.

M. Dumortier. - Messieurs, je regrette vivement que la discussion actuelle se soit produite. Dans mon opinion, ce n'est nullement l’instant de s'occuper de pareilles choses. Ce n'est pas au moment où l'orage s'amoncelle et déjà gronde, ce n'est pas au moment où l'Europe est peut-être à la veille de subir les plus grandes commotions, qu'on doit venir ainsi à chaque instant mettre l'armée en perspective d'atteintes portées à sa position.

On parle de réviser la loi sur les pensions militaires; eh! messieurs, veuillez y faire attention : si la chambre pouvait en venir à cette extrémité, voici ce qu'elle amènerait fatalement, elle toucherait aux pensions de tous les officiers indistinctement, à toute l'armée, depuis le soldat jusqu'au général; elle amènerait, par conséquent, le mécontentement de tous les officiers de l'armée, sans en excepter un seul. Pour mon compte, je ne vois rien de plus dangereux qu'une pareille politique que je qualifie d'antinationale.

Comment ! L'armée n'a-t-elle donc pas rendu d'immenses services ? Est-ce que le pays n'a pas toujours pu compter sur son zèle, son dévouement et son patriotisme? Ah, si en 1839, lorsqu'on a appelé le général polonais dont on parlait tout à l'heure, si alors on avait eu recours à notre brave armée, jamais nous n'aurions subi le traité des 24 articles jamais nous n'aurions vu s'accomplir le morcellement de notre territoire, la perte à jamais déplorable du Limbourg et du Luxembourg.

Je dis, messieurs, qu'il y a de grands dangers à soulever de pareilles questions dans les circonstances actuelles, et je désire vivement que la chambre veuille bien prendre cela en considération, afin d'éviter que tous les trimestres le sort de l'armée ne soit remis en question.

L'armée, messieurs, c'est la défense de nos frontières, c'est le soutien de notre existence politique, c'est la garde du drapeau de la patrie, et je maintiens que la présentation d'une loi de réforme sur les pensions militaires serait, par le découragement que ce projet pourrait produire, une grave atteinte à l'indépendance de la Belgique. Mon cœur patriotique s'irrite à cette seule pensée, et je m'oppose donc de tous mes moyens à une mesure aussi contraire à l'intérêt de notre nationalité. Nous pouvons d'ailleurs avoir une grande confiance dans M. le ministre de la guerre actuel.

Sous les ministres qui l'ont précédé, pendant la paix, la chambre a souvent réclamé des réductions sur le budget de la guerre et cependant les budgets votés s'élevaient toujours à plus de trente millions.

L'honorable général Chazal a agi autrement, il a pris l'initiative des économies et a réduit, en présence des possibilités de la guerre, son budget de plusieurs millions. Loin d'essuyer des critiques, nous devrions lui voter des remerciements. N'allons donc pas, par des demandes inconsidérées, lui créer des embarras, dans un moment où notre nationalité aura besoin peut-être de services plus grands encore.

Pendant 16 années, messieurs, nous avons fait les plus grands sacrifices pour maintenir une armée forte, afin de l'avoir prêté au moment où la paix de l'Europe serait en danger; nous sommes aujourd'hui dans cette position, et ce serait précisément ce moment que nous choisirions pour venir décourager l'armée ! Non, messieurs, il n'en sera pas ainsi, nous nous souviendrons de la conduite que l'armée a tenue dans toutes les circonstances où elle a été appelée à rendre des services au pays, et nous nous garderons bien de lui laisser croire que la chambre pourrait jamais oublier ce qu'elle doit à son dévouement, à sa discipline, à son patriotisme.

M. Osy. - Messieurs, lorsque l'honorable M. d'Elhoungne a pris la parole, on a dit que j'avais demandé la révision de la liste des pensions; jamais je n'ai fait une semblable demande ; je suis ennemi juré de tout ce qui est rétroactivité.

Je dois un mot de réponse à M. le ministre de l'intérieur. M. le ministre de l'intérieur a dit que très peu de voix dans la chambre demandent la révision de la loi des pensions; eh bien, messieurs, ayant fait partie de la section centrale, je dois dire que quatre sections sur six ont demandé cette révision, mais, bien entendu, dans un temps opportun.

Nous ne voulons pas cette révision aujourd'hui, mais nous demandons que le gouvernement se prépare pour le moment où les circonstances seront favorables. Seulement nous devons réclamer lorsque M. le ministre de la guerre vient dire qu'il ne fera jamais une semblable révision.

M. Dolez. - Je crois, messieurs, que l'on a singulièrement exagéré la portée des observations qui ont été faites dans cette discussion. Je ne pense pas qu'il ait été dans l'opinion d'aucun des membres qui ont pris la parole ni de porter atteinte à la position de l'armée ni de méconnaître les services si réels, si dignes de reconnaissance rendus à l'armée et au pays par l'honorable chef du département de la guerre. Les uns ont pensé que la loi des pensions militaires, est susceptible d'une révision, non pas actuelle, mais sur laquelle ils croyaient utile d'appeler les méditations du gouvernement; d'autres, et j'étais de ce nombre, ont pensé qu'il faut maintenir la loi des pensions militaires telle qu'elle est; mais, pour ma part, j'ai ajouté que le moyen le plus efficace de faire disparaître la pensée de modifier la législation, c'est d'être réservé, prudent dans la manière, dont on l'applique. En agir ainsi, c'est, suivant moi, se montrer (page 1409) les amis les plus sérieux, les plus positifs de l'armée. Nous demandons au gouvernement d'exécuter la loi de manière à en assurer la stabilité; est-ce que par là nous ne nous montrons pas les véritables défenseurs de cette loi?

Nous invitons le gouvernement à faire en sorte que, dans l'application de la loi, on ne trouve point de motifs plus ou moins plausibles de critiquer le chiffre du budget de la guerre; est-ce que par là nous ne nous montrons pas les défenseurs les plus zélés du grand intérêt national qui se lie à ce budget ?

Je n'entends pas dire que le chef du département de la guerre ait multiplié les mises à la pension plus que ses prédécesseurs; le système qui a fait naître les observations que j'ai cru devoir lui soumettre remonte à une époque bien antérieure à son entrée aux affaires.

C'est ainsi que les faits que j'ai cités tout à l'heure lui sont en majeure partie étrangers ; de ces trois faits il n'en est qu'un seul qui émane du général Chazal.

Il n'était donc nullement dans ma pensée d'adresser un reproche personnel à l'honorable ministre de la guerre, en qui j'ai la plus grande confiance; mais je voulais constater que quand on multiplie les mises à la pension, on amène le pays à croire que tout est abus dans la loi des pensions, et qu'avec plus de circonspection on éviterait un semblable résultat.

En ma qualité de partisan de l'armée, de député qui a voté le budget de la guerre, qui est disposée défendre la loi des pensions militaires, je persévère à émettre le vœu que, dans l'application de cette loi, on soit très prudent, très réservé.

On disait tout à l'heure que les mises à la pension augmentaient le stimulant de l'avancement en faveur des jeunes officiers ; mais, messieurs, il y a une compensation à ce stimulant: à 45ans, l'officier voit déjà la perspective d'être mis à la pension dans dix ans. Vous lui enlevez donc à la fin de sa carrière l'avantage que vous lui faites au commencement. Je ne rois, donc pas là un stimulant réel pour l'armée, un avantage qui puisse être pris en considération.

Je persévère à penser qu'une application modérée, prudente de la loi sur les pensions, est une chose essentiellement utile à l'armée elle-même. J'espère que M. le ministre de la guerre, en y réfléchissant, trouvera que mes observations ne sont pas complètement sans portée ; et je répète, en terminant, que c'est l'intérêt bien entendu de l'armée qui me les inspire.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, je suis bien loin, de trouver les observations de l'honorable préopinant sans portée; je partage complètement sa manière de voir ; je prie la chambre d'être persuadée que lorsque je mets un officier à la retraite, ce n'est pas de gaieté de cœur, mais c'est â mon corps défendant, c'est dans l'intérêt de l'armée et du pays.

Je ne puis pas dire à la chambre : « J'ai mis à la retraite tel ou tel officier pour tel ou tel motif. » Il y a une foule de considérations, qui nécessitent ces mises à la retraite. Dans certaines circonstances, des officiers, se trouvant remplir les conditions légales, demandent eux-mêmes leur pension, et je ne puis maintenir en activité l'officier à qui la loi donne un droit absolu. En ce moment, il y a plusieurs officiers, et notamment un officier général, qui demandent leur retraite, et je ne la leur accorde pas encore. Mais il est telles circonstances où je dois pouvoir mettre à la retraite, pour couvrir ma responsabilité. La chambre peut être persuadé que je ne mets un officier à la retraite que lorsqu'il y a nécessité absolue. Cette voie, j'y persévérerai, et surtout dans les circonstances actuelles ; j'y persévérerai, parce que je la crois la seule bonne, la seule utile aux véritables intérêts du pays et de l'armée.

M. Delfosse. - Je ne voudrais pas que l'on pût conclure de mon silence que j'adhère aux opinions qui ont été émises, soit par M. le ministre de l'intérieur, soit par l'honorable M. Dumortier. Je ne puis admettre qu'il serait dangereux de soulever et de discuter, dans cette enceinte, les questions qui se rattachent au budget de la guerre, pas plus que celles qui se rattachent à d'autres branches d'administration.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je n'ai pas dit que cela serait dangereux.

M. Delfosse. - Il m'a paru que cette idée était au fond de vos observations; elle a d'ailleurs été formellement exprimée par M. Dumortier.

Notre devoir est de contrôler exactement les dépenses de l'armée comme les autres dépenses. Si je ne prends pas part au débat actuel, ce n'est pas que je le regarde le moins du monde comme dangereux, c'est uniquement parce que nous avons eu, il y a peu de temps, une discussion approfondie sur le budget de la guerre, c'est que la même discussion, doit se reproduire à l'ouverture de la session prochaine. Tout débat sur ce point me paraît en ce moment intempestif ; comme M. le ministre des finances l'a dit avec raison, il y a quelques jours, c'est une question réservée.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je tiens seulement à constater que l'honorable M. Delfosse me paraît être absolument dans la même opinion que moi,

M. Delfosse. - Tant mieux, mais je ne le croyais pas.

- La discussion générale est close.

La discussion des articles est remise à demain.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du ministère de la justice

Dépôt

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer un projet de loi, portant allocation d'un crédit supplémentaire au département de la justice pour les exercices 1844, 1845 et 1846.

Ce projet de loi sera imprimé et distribué.

La chambre en ordonne le renvoi aux, sections.

- La séance est levée à 4 heures trois quarts.