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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 28 novembre 1850

Séance du 28 novembre 1850

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1850-1851)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 161) M. A. Vandenpeereboom procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

- La séance est ouverte.

M. T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. A. Vandenpeereboom fait connaître l'analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.

« Les membres d'une société de rhétorique a Ostende prient la chambre de voter au budget de l'intérieur un subside annuel en faveur de la veuve du poêle flamand Van Ryswyck.

« Même demande des membres des sociétés de rhétorique établies à Waerschoot, Renaix, Gand et Lokeren. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur.


« Le conseil communal de Namur appelle l'attention de la chambre sur la requête qui avait pour objet le retrait de la loi de 1834 concernant les enfants trouvés, et son remplacement par une loi qui mette l'entretien des enfants trouvés à la charge de l'Etat. »

M. Rodenbach. - Cette pétition est relative à la question des enfants trouvés. Dernièrement nous avons aussi reçu une pétition de la régence de Bruxelles, relative à la question des tours. Je demande que ces deux requêtes soient renvoyées l'une et l'autre à la commission des pétitions, avec prière de faire un prompt rapport ; la question est importante.

- Cette proposition est adoptée.


« Le sieur Bury, faisant hommage à la chambré de 5 exemplaires d'un mémoire justificatif quant à son administration comme ancien trésorier de la fabrique de l'église de Sainte-Foi à Liège, et comme ancien membre du comité de bienfaisance de la même paroisse, réclame son intervention pour obtenir une décision au sujet du conflit pendant entre lui et le conseil de fabrique. »

- Dépôt à la bibliothèque et renvoi à la commission dés pétitions.


« Le sieur Muller Tellering, ancien référendaire à la cour royale de Cologne, réclame l'intervention de la chambre pour faire retirer l'arrêté d'expulsion qu'on a pris à son égard et pour qu'on lui remette tous les papiers, sauf son dernier passeport, qu'il a déposés au département de la justice. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

M. de Bocarmé demande un congé de quinze jours.


M. de Haerne, appelé au sein de sa famille par des affaires particulières, demande un congé de quelques jours.

- Ces congés sont accordés.

Motion d’ordre

Organisation des gouvernements provinciaux

M. Rousselle (pour une motion d’ordre). - Le rapport de l'honorable M. Veydt, sur le budget de l'intérieur nous parle d'un document très intéressant sur l'organisation des bureaux des gouvernements provinciaux. Je désirerais que ce document pût être imprimé comme annexe au rapport et distribué aux membres de la chambre avant la discussion du budget.

M. Veydt, rapporteur. - Messieurs, je crois avoir compris que l'intention de la section centrale était de se borner à déposer ce document sur le bureau pendant la discussion du budget. Mais, comme le dit l'honorable membre, ce sont des renseignements fort utiles. Si l'impression en était ordonnée par la chambre, la distribution pourait s'en faire encore ce soir.

Ce document contient une analyse des observations faites dans les provinces, sur ce qui s'est dit, dans une session précédente, de l'organisation des administrations provinciales.

M. Rodenbach. - Quelle organisation ?

M. Veydt. - L'organisation des bureaux des gouvernements provinciaux.

- L'impression de ce document est ordonnée.

Proposition de loi sur la liberté de la charité

Prise en considération

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, nos adversaires dans cette discussion ont un très grand talent, c'est d'abriter leurs prétentions, comme ils le font d'ordinaire, devant des principes que personne ne conteste.

Quand on veut le monopole de l'enseignement, c'est au nom de la liberté de l'instruction, de la liberté des communes qu'on le demande.

Quand on veut rétablir les cloîtres, rétablir au profit des congrégations religieuses la personnification civile, c'est au nom de la liberté de la charité qu'on vient réclamer.

Le but que l'on poursuit, c'est le même. Les moyens seuls sont différents.

On veut posséder le monde moral par l'instruction ; on veut posséder le monde matériel par les richesses que la personnification civile permet d'accumuler. Le but, c'est la domination. Et, messieurs, qu'on ne m'accuse pas de venir évoquer des fantômes. Qu'on ne vienne pas me dire que, quand je parle des couvents, ce sont des armes que je forge pour la discussion.

Les couvents existent ; la statistique en est faite, et au 15 octobre 1846 on en compte en Belgique 622 renfermant une population de 9,895 individus.

Ce ne sont pas là des fantômes ; ce sont bien des moines et des nonnettes pour me servir d'une expression employée par le document que je citais hier, qui existent aujourd'hui en chair et en os.

M. Rodenbach. - Ce sont d'honnêtes gens.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je ne conteste pas leur moralité, je constate un fait.

Il y a donc en Belgique aujourd'hui 622 couvents. Eh bien, qu'ai-je dit hier ? J'ai énoncé une opinion qui, historiquement et philosophiquement, est prouvée.

Les castes, les pouvoirs tendent toujours à récupérer ce qu'ils ont perdu. Il est dans leur nature, dans la nature humainc.de chercher toujours à arriver à la position que l'on croit favorable à ses intérêts. La Constitution, en proclamant la liberté d'association, en permettant à 622 couvents d'exister, a établi en Belgique un élément qui tendra toujours à récupérer, comme je le disais hier, la personnification civile que les grands événements de 1789 lui ont enlevée.

Maintenant, dira-t-on que le régime que l'on propose, ce régime de liberté absolue, ne serait pas un moyen d'arriver à ce but ?

Eh bien, messieurs, qu'on me donne la faculté d'établir des administrateurs spéciaux et il me faudra peu de temps pour rétablir toute l'ancienne société. (Interruption.) Ou vous ne resteriez pas fidèles à vos principes de liberté, ou telle est la portée de voite proposition.

Admetlrez-vous qu'un testateur puisse donner une somme de... aux pauvres, à charge que cette somme soit administrée par la congrégation des Rédemptoristes, par exemple ? '

M. Malou et M. Dechamps. - Non.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Où donc est votre système de liberté ? Où donc est-il ? Je pose un cas et vous devez répondre : Non.

Admettrez-vous qu'on puisse donner aux pauvres à la condition que l'objet de là donation soit administré par le curé de la paroisse ?

M. Dumortier. - Oui.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Eh bien, c'est le rétablissement des bénéfices. Car si vous admettez que le testateur a le droit de donner, à charge de faire administrer votre don par le curé, vous devez admettre aussi pour le donateur le droit de laisser au curé certains frais d'administration, qu'il fixera. (Interruption.) Est-ce non ? Est-ce non encore une fois ? Où est donc le principe de liberté ?

Admettrez-vous qu'on puisse laisser aux pauvres une propriété à charge de la faire administrer par un membre de la famille, par droit de primogéniture, par exemple ? Eh bien, c'est le fidéi-commis, ce sont les substitutions, c'est le droit d'aînesse. Je ne veux que votre proposition, je ne veux que le droit d'établir des administrateurs spéciaux et j'ai immédiatement rétabli tout l'ancien état social.

M. Malou me reprochait hier d'avoir dit que la droite faisait des questions de charité une arme de guerre. Messieurs, c'est ce que je n'ai pas dit. J'ai dit que le parti libéral, que le ministère qui le représentait au pouvoir désirait non seulement que les sources de la charité pussent féconder, mais voulait encore en surveiller la direction, qu'il voulait que la charité allât soulager des infortunes et ne devînt pas un moyen d'entretenir l'oisiveté ou ne devînt une arme de guerre aux mains d'un parti. Je n'entendais par là qu'une chose, c'est que nous voulions que, quand la charilé a disposé de certaines sommes, ces sommes ne fussent pas employées, par exemple, à faire des élections. Voilà quelle était ma pensée ; je l'explique très clairement.

Mais si j'avais dit que le parti catholique avait fait des questions de charité une arme de guerre ; oui, je ne me rétracte pas. Depuis trois ans, vous faites de cette question une arme de guerre, et vous n'avez pas d'autre but que d'en faire une arme de guerre. (Interruption.)

Et ce qui le prouve, c'est la proposition même de l'honorable M. Dumortier.

Depuis trois ans, vous ne cessez d'attaquer le gouvernement. La charité, depuis trois ans, est prise comme dans un lacet ; depuis trois ans, le gouvernement ne cesse, selon vous, de violer la volonté des testateurs. Et pour arrêter le gouvernement dans cette voie, vous produisez la proposition la plus indiscutable, la plus insoutenable et la plus incomplète qu'on puisse produire ; vous aboutissez à une proposition qui ne peut pas même être le canevas d'un projet, qui ne peut pas être le texte d'une discussion, qui peut en être à peine le prétexte.

Eh bien, cette proposition, telle qu'elle est formulée, constate votre impuissance ; cette proposition constate que vous êtes impuissants à produire une formule qui favorise le développement de la charité, et qui en même temps empêche les abus de cette liberté que vous revendiquez. Depuis trois ans vous parlez de cete formule, et depuis trois ans, vous êtes en retard de la produire.

Voulez-vous une autre preuve que vous n'avez jamais fait de cette question qu'une arme de guerre ? C'est la discussion actuelle. Vos exagérations, vos accusations imméritées, vos expressions si peu mesurées, (page 192) ne prouvent-elles pas que c'est une arme de guerre contre nous ? Vous nous avez dit hier qu'on faisait de la législation un traquenard (Interruption), c'est là votre expression ; eh bien, vous savez que cela n'est pas.

Lorsqu'à peine arrivé aux affaires, l'honorable M. de Haussy a vu toutes les difficultés de la législation, qu'a-t-il fait ? S'est-il conduit comme un homme qui tend un piège ?

L'honorable M. de Haussy a fait une circulaire ; il a exposé nettement ses principes ; il a fait connaître la manière dont il interprétait l'article 900 du Code civil et l'article 84 de la loi communale. Est-ce là le fait d'un homme qui tend un piège ? La circulaire dont je parle a été adressée à toutes les administrations communales, à toutes les fabriques, à toutes les administrations de bienfaisance, à tous les notaires ; encore une fois, est-ce là le fait de l'homme qui tend un piège ?

Vous citez des faits et vous les citez d'une manière erronnée. j'ai présents à l'esprit les détails de l'affaire de Montmorency. Qu'est-il arrivé dans cette affaire ? Madame de Montmorency se proposait de faire une donation qui, à plusieurs égards, violait la loi ; cette dame voulait une école dirigée par des soeurs qui devaient être toujours désignées par le curé ; elle voulait une administration spéciale ; de là les difficultés. On était presque tombé d'accord. Madame de Montmorency avait consenti à accepter les conditions posées par le gouvernement. Mais alors sont survenues d'autres influences ; madame de Montmorency a cédé à ces influences ; si ces influences ne s'étaient pas exercées, madame de Montmorency aurait accepté les conditions du gouvernement....

- Un membre. - C'est une insinuation.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Voulez-vous d'autres faits, des faits qui sont constatés authentiquement ?

Eh bien, messieurs, dans les pièces que j'ai vues, que j'ai examinées depuis le peu de temps que je suis au pouvoir, j'en ai vu plusieurs relatives à des donations que se proposaient de faire à des membres du clergé, des curés, donations qui n'ont pas été réalisées dans les conditions qui étaient proposées par le gouvernement, conditions qu'il croit conformes à la légalité ; et par quelles raisons ? C'est que leurs supérieurs ecclésiastiques s'y sont opposés.

Direz-vous encore que ce sont des insinuations ? Voulez-vous que je vous cite des noms ? Je prie M. Dechamps de venir au ministère, je les lui communiquerai.

L'honorable M. Malou a parlé hier de testaments cassé du régime turc introduit par le ministère ; dernièrement, il a parlé du régime vénitien. Je ne désespère pas de l'entendre parler de l'inquisition.

Messieurs, je voudrais bien savoir quels sont les testaments cassés ; je voudrais bien que M. Malou m'indiquât dans quel cas le régime turc a été introduit.

J'ai trouvé, dans les dossiers que j'ai eu à parcourir, quelque chose qui ressemblait singulièrement au regime turc. Mais les faits ont été posés par les amis politiques de M. Malou, par M. d'Anethan, par M. de Theux.

On nous parle de testaments faits en faveur de certains établissements du pays, et dont les dispositions ont été réduites. Je crois que le gouvernement ne doit en général pas réduire les donations ; mais quand il le fait, il ne peut pas répartir la partie réduite d'après son arbitraire.

C'est cependant ce que vous faisiez. Lorsque le testateur avait dit : Je lègue, par exemple, 25 mille franes au séminaire de Malines, M. de Theux disait : Non, ces 25 mille francs n'iront pas au séminaire de Malines, il ne lui en sera donné que 12,500 et ces douze mille cinq cents francs, je vais les partager entre tel et tel autre que bon me semblera, ils ne seront pas partagés d'après le degré de parenté, d'après les dispositions de la loi. C'est là ce qui ressemble le plus au régime turc de tout ce que j'ai vu dans tous les actes administratifs posés.

L'on a parlé, messieurs, de l'Empire, l'on a parlé de la législation française, l'on a parlé de la législation anglaise.

Qu'il me soit permis de suivre un peu l'honorable M. Malou sur ce terrain.

En France on applique la législation tout à fait comme on le fait dans notre pays.

L'empereur appliquait l'article 900 du Code civil tout à fait comme nous n'appliquons. Si vous voulez en avoir la preuve, lisez le décret du 13 septembre 1813, par lequel l'empereur annulait une de ces dispositions que M. Dumortier tendrait à faire entrer dans la pratique, c'est-à-dire la collation de bénéfices. (Interruption.)

Sans doute je l'ai démontré tantôt.

M. Dumortier. - Vous n'avez rien démontré du tout.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Il n'est de pire sourd que celui qui ne veut pas entendre.

Voici ce que porte le décret du 13 septembre 1813 :

« Art. 1er. Le trésorier de la fabrique de l'église de Sainte-Gudule, à Bruxelles, département de la Dyle, est autorisé à accepter, au profit de ladite fabrique, la fondation d'une messe journalière, faite par le sieur Lambert de Lamberts,dans son testament du 6 ventôse an XII (26 février 1804), déposé chez Carely, notaire à Bruxelles, aux charges et conditions autorisées par ledit testament, dont extrait sera annexé au présent décret, sauf toutefois la disposition qui tend à établir un bénéfice à collation laïque, laquelle étant contraire aux lois de l'Empire, est, conformément à l’article 900 du Code Napoléon, réputée comme non écrite. »

Ainsi vous voyez que l'empereur faisait parfaitement usage de l’article 900. Du moment où un testament contenait des dispositions contraire aux lois de l'empire, l'empereur annulait.

Je citerai une autre espèce qui a beaucoup d'analogie avec celle du curé Lauwers à laquelle on faisait, je pense, allusion dans la séance d'hier. Que faisait encore l'empereur, quand on léguait à un prêtre à charge par lui de distribuer aux pauvres ? Il faisait ce qu'on a fait en Belgique, il faisait accepter par les bureaux de bienfaisance. Voici le décret :

« Art. 1er. Les legs faits par le sieur Philippe-Joseph Bernaerts, aux curés et desservants de six églises, tant paroissiales que succursales, de la ville de Malines, département des Deux-Nèthes, et montant ensemble à la somme de deux mille sept cent vingt-deux francs quatorze centimes, pour être distribués par eux aux pauvres de leurs paroisses respectives, suivant le testament dudit sieur Bernaerts, du 14 floréal an XII, reçu par Colibrant, notaire, seront acceptés par la commission administrative du bureau de bienfaisance de ladite ville.

« Art. 2. Le receveur de ladite administration fera tous les actes conservatoires qui seront jugés nécessaires pour le recouvrement desdits legs.

« Art. 3. Le montant en sera employé en acquisition de rentes sur l'Etat, à la diligence du directeur général de la caisse d'amortissement ; le produit annuel en sera remis par le bureau dans les proportions fixées par le testament aux curés et desservants des paroisses indiquées en son testament pour être par eux distribué sous lu surveillance du bureau, entre les pauvres résidants dans leurs paroisses et inscrits au rôle général des pauvres de la ville. »

Or, qu'a-t-on fait au sujet du testament du curé Lauwers ? On a fait identiquement la même chose, on a fait distribuer les revenus par les comités de charité présidés par le curé des paroisses.

Maintenant, comment en France l'article 900 annulant les dispositions qui sont contraires à la loi est-il entendu ? Je trouve dans un avis du conseil d'Etat du 4 mars 1841 le paragraphe suivant :

« Et qu'alors même qu'il résulterait du testament que le testateur a voulu que la condition fût accomplie uniquement et exclusivement par l'établissement institué, et qu'il a même fait de l'inexécution de sa volonté, sous ce rapport, une clause révocatoire, ces dispositions devraient être réputées non écrites, comme étant contraires aux lois (article 900 du Code civil). »

Voilà ce que déclare le conseil d'Etat en France dans un avis du 4 mars 1841.

Jamais le gouvernement belge n'a fait autre chose que ce qu'a fait le conseil d'Etat de France en 1841.

Voulez-vous savoir ce qui en est de cette liberté illimitée de la charité en Angleterre ? On y a pris contre ce que vous appelez la liberté de la charité des précautions beaucoup plus grandes, beaucoup plus sévères qu'en Belgique ; il est défendu de disposer en faveur d'établissements charitables par dernière volonté ; il faut que ce soit par donation qui précède d'au moins une année la mort.

Voici ce que je lis dans le Recueil des lois anglaises de M. Alexandre Laya :

Quelques restrictions ont été apportées à ce droit illimité relativement aux legs qui étaient faits dans un but charitable par l'acte de mainmorte, et qui tendaient à placer une grande quantité de biens territoriaux dans la main de certaines corporations religieuses, lesquelles, à la longue, les rendaient improductifs : et aussi, dans le but de mettre un terme à ces dispositions arrachées à la faiblesse des hommes qui pensaient racheter les fautes de leur vie, en faisant ainsi l'application de leur fortune à des œuvres pieuses et charitables. Le dernier acte qui cherche à remédier à cette tendance est l'acte 9, G. Il, c. 36. Par cet acte, aucune terre, tenement, somme d'argent, ne peuvent être abandonnés ou appliqués à des œuvres pieuses ou charitables que par un contrat d'investiture, dressé en présence de deux témoins, douze mois au moins avant la mort du donateur, enregistré en cour de chancellerie six mois après son exécution ; et, à moins que cet acte ne soit mis à effet immédiatement, sans pouvoir être jamais révoqué. »

Ainsi, en Angleterre, il n'est pas même permis de disposer par acte de dernière volonté, en faveur de fondations pieuses, charitables ; il faut que ce soit par actes entre-vifs, qui précèdent au moins d'un an la mort de l'individu qui a fait cette disposition ; et vous savez que nonobstant ces précautions, l'Angleterre est aujourd'hui en travail pour réviser toute sa législation sur cette matière.

L'honnorable M. Malou m'a reproché de ne pas tenir compte de notre siècle, de ne m'être occupé que des abus, de ne pas avoir vu les grands résultats qui ont été obtenus par le système en vigueur jusqu'en 1789. Messieurs, qu'ai-je constaté hier ? J'ai constaté des faits qui ne peuvent être contestes.

La charité a fait de grandes choses ; elle en fera encore ; mais pour qu'elle continue à les produire, il faut que la direction en soit toujours surveillée.

La charité a créé de nombreux hospices à Bruxelles. Mais quand la surveillance a mmqué, qu'est-il arrivé de ces fondations ? Le monastère s’est emparé de ce qu'avait fait la charité ; il a fallu la grande leçon de 1789 pour rendre aux pauvres ce que le monastère leur avait enlevé.

Mais, dit-on, votre système avait toujours existé, aujourd'hui la première pierre des abris que trouvent les pauvres n'existerait point encore.

Tout cela, que l'honorable M. Malou me permette de le lui dire, ce sont de très belles phrases ; mais ce n'est que cela, et je vais immédiatement (page 163) prouver à l'honorable M. Malou qu'elles ne sont pas du tout en rapport avec les faits.

En 1776. alors qu'il existait beaucoup de fondations particulières, qu'il existait ici de nombreux hospices, quelle était la population pauvre, qui, à Bruxelles, était entretenue par ces établissements charitables ? Elle était de 111 femmes et 44 hommes. Voilà ce qu'elle était. Savez-vous ce qu'elle est aujourd'hui, avec ce svstème abominable, exécrable qui étrangle la charité ? Elle est de 3,762 individus. Ainsi en 1776, avec votre magnifique système, Bruxelles, avec toutes ses fondatiins, entretenait 155 pauvres, et aujourd'hui avec ce système des lois françaises, des lois de la république, de l'empire, de ces lois révolutionnaires, on est parvenu à en entretenir 3,762.

Mais veuillez bien nous dire comment, sans le régime de la centralisation, vous seriez parvenus à créer ces hôpitaux dont vous parlez. Ce n'est que grâce à ce système de centralisation, qui a permis de réunir toutes ces petites administrations particulières, qui étaient livrées au gaspillage, ce n'est que par ce système qu'on est parvenu à faire tout le bien que l'on a produit.

Mais, dit-on, avec nos institutions les abus ne sont plus possibles.

Messieurs, voyons quels sont les abus qui existaient, et voyons si aujourd'hui, tout autour de nous, ces abus ne se reproduisent pas.

Un de nos plus grands abus, c'est évidemment d'avoir eu des administrations qui ne rendaient pas compte. Cet abus n'existe-t-il pas encore aujourd'hui ?

Mon honorable ami M. le ministre des finances vous le disait hier, il y a des congrégations religieuses qui existent en vertu du décret de 1809 ; ce décret fait une obligation aux congrégations de rendre compte ; et le jour où l'on veut exécuter vis-à-vis d'elles ce décret de 1809, vous nous lancez l'accusation la plus injurieuse ; vous dites que nous établissons leur bilan, que nous voulons voir si leurs biens sont suffisants pour que nous allions jusqu'à la spoliation.

Voilà votre accusation ; et elle se reproduira toujours. Pourquoi donc ne rend-on pas compte ? Vos administrations particulières auront toujours vis-à-vis du gouvernement la même arme.

Mais il y a encore un autre exemple. Aux termes d'un décret de 1813, le gouvernement a le droit de nommer les trésoriers des séminaires ; quand le gouvernement veut user de son droit, et c'est le seul moyen de contrôler une administration à laquelle on fournit des subsides, que dit-on ? On dit : La loi est tombée en désuétude ; c'est une vexation, c'est une tyrannie ; il y a indépendance des cultes ; vous n'avez rien à voir dans notre administration. Voilà comment vous vous soumettez à rendre compte.

Mais il y a un exemple que j'ai eu encore occasion d'apprécier depuis que je suis aux affaires.

Une donation a été faite en 1842 au profit des pauvres de Bruges. Cette somme devait être distribuée par les sept curés des paroisses de Bruges qui se la sont partagée. Quand on demande un compte de ces sommes, on veut bien vous faire dire que ces sommes sont placées ou en fonds de l'Etat, ou chez un banquier ; mais on vous déclare en même temps que MM. les curés ne donnent ces renseignements qu'officieusement, « croyant que, ni le testateur, ni l'arrêté royal ne leur impose aucune obligation de rendre compte à qui que ce soit. »

Voilà, messieurs, comment on consent à rendre compte. La somme était de 120,000 fr., qui se trouve aujourd'hui entre les mains. je le répète, de sept curés de Bruges qui vous déclarent que s'ils veulent bien donner quelques renseignements, c'est officieusement ; qu'ils ne sont pas le moins du monde tenus de rendre compte.

Voilà ce qu'on vous déclare ; et vous trouvez que les abus dont on se plaignait dans l'ancien temps ne peuvent se reproduire à notre époque ?

Voilà donc déjà un grand abus, un abus qui a pour effet de laisser le bien des pauvres à la merci de personnes dont je ne soupçonne pas la bonne foi, dont je ne soupçonne pas la moralité, mais enfin l'emploi de ce bien est laissé complètement à leur arbitraire.

Il y a plus, messieurs, c'est que le placement n'est garanti par rien. Ainsi je vois dans l'état que je tiens en mains qu'une somme de 15,845 francs se trouve déposée chez un banquier, mais que ce banquier fasse faillite, qu'emporte-t-il ? Il importe le bien des pauvres.

Je demande si c'est avec des règles semblables que vous pouvez venir dire que nos institutions, que la publicité garantissent suffisamment le patrimoine des pauvres contre toute espèce d'abus ? Ce sont là des faits que vous ne pouvez contester.

Et à côté de cet abus qui consiste en l'absence complète de contrôle, il y a un abus beaucoup plus grave, c'est que, comme je vous le disais hier, vous avez à Bruges huit ou neuf bureaux de bienfaisance.

Vous avez parqué vos pauvres par paroisse et vous les avez livrés à la merci d'administrateurs spéciaux. Ainsi l'une de ces paroisses a pour ses pauvres un revenu de 25,000 fr., l'autre de 20,000 fr.. une autre de 15,000 fr.

Voilà la répartition qui est faite. Mais est-ce que le personnel des pauvres ne peut pas changer d'un jour à l'autre à Bruges ? Est-ce qu'une paroisse ne peut pas voir des pauvres au-delà de la proportion des sommes qui lui sont remises ? Une autre paroisse ne peut-elle pas avoir des revenus trop élevés pour le nombre de ses pauvres ? Qu'arrive-t-il de ce système ? C'est qu'en l’absence de centralisation certaines paroisses ont trop pour leurs besoins, que d'autres doivent laisser périr leurs pauvres de misère.

M ssieurs, ce ne sont pas là les seuls abus. Je ne puis vous en citer que quelques-uns ; ce sont des faits que j'ai recueillis depuis trois mois que je suis au ministère. Si on pouvait faire de ceci une étude rétrospective, si le temps ne me manquait pas, je pourrais vous en citer un grand nombre d'autres.

Ainsi, messieurs, une fondation avait été faite dans la province de Liège, une école avait été fondée et qui devait être administrée par une fabrique. Qu'est-elle devenue au bout d'un certain temps ? Une buanderie. Et la fabrique elle-même qui avait été chargée de l'administration de cette école a dû finir par la remettre à la commune qui a appliqué le bâtiment à sa véritable destination.

Un autre fait, et il est tout récent, c'est un testament fait, le 27 octobre 1836, par une demoiselle Thérèse-Calherinc Vermersch, de Wormezeele, léguant une maison à la condition d'affecter le bâtiment à une école de travail, ainsi qu'à une école dominicale, dont M. le curé de la paroisse nommerait les instituteurs, et dont il aurait la direction exclusive.

Ce testament porte la date de 1836, et l'acceptation en a été autorisée par un acte du 23 novembre 1837.

Eh bien. savez-vous ce qui est arrivé de cette donation ? Elle n'a été exécutée que treize ans après avoir été fondée, c'est à-dire après la mort du curé qui avait l'administration de la fondation, qui devait ériger l'école.

Enfin, messieurs, je rencontre le dernier argument de l'honorable M. Malou. Il me dit : Votre système, c'est de faire tout par l'Etat, par les institutions de l'Etat. En dehors de l'Etat pas de charité possible. Messieurs, c'est là ce que nous n'avons jamais dit. Voici quel est notre système : toutes les donations qui seront faites aux établissements institués pour les pauvres par la loi, seront autorisées par le gouvernement ou les députations d'après les règles établies. Mais lorsque vous voudrez sortir de ces règles, lorsque vous voudrez établir des personnes civiles autres que celles qui sont établies aujourd'hui par la loi,vous vous adresserez à la législature, et je serai très heureux, ce sera un beau jour de ma vie quand je pourrai monter à cette tribune pour déposer un projet qui autorise l'érection d'un hospice assez important pour mériter l'intervention du pouvoir législatif.

Mais nous ne voulons pas, et je crois que c'était autrefois l'opinion de l'honorable M. Malou, nous ne voulons pas que le gouvernement ait le droit, à lui seul, d'ériger des personnes civiles.

Je crois que M. Malou a écrit dans le temps une brochure sur la personnification civile et qu'il soutenait que le gouvernement ne devait jamais accorder la personnification civile, mais que ce droit devait être réservée à la législation.

Noire système est très rationnel : de deux choses l'une ; ou les fondations que l'on voudra créer auront une certaine importance, où elles n'en ont pas ; si elles ont une certaine importance, pourquoi donc ne ferait-on pas intervenir la législature ?

Elle intervient pour des choses bien moindres. Elle intervient quand il s'agit d'ériger un hameau en commune. Eh bien, il s'agit ici de créer une commune de bienfaisance. En France, une commune ne peut pas, je pense, s'imposer des centimes additionnels sans l'assentiment des chambres. L'établissement, au contraire, n'a-t-il pas d'importance ? Mais alors il devient dérisoire de créer des administrations spéciales, mais alors, vous tombez dans l'inconvénient que je signalais hier, de faire absorber en frais d'administration le plus net et le plus clair du revenu.

Du reste, messieurs, en cela faisons-nous donc autre chose que suivre le système qui a été admis pour les fondations d'instruction ?

Comme je le disais hier, quand vous avez voulu obtemir la personnification civile de l'Université de Louvain,vous êtes venus la demander à la chambre ; eh bien, quand il se présentera un cas important, vous viendrez demander à la chambre de consacrer législativement un établissement de cette espèce.

Il me reste maintenant, messieurs, à m'expliquer sur la prise en considération de la proposition de M. Dumortier.

Messieurs, cette prise en considération ou l'ajournement, je pouvais l'accepter hier, avant le discours de l'honorable M. Malou ; mais après la signification qu'on donne à cette proposition, je ne puis plus accepter ni la prise en considération ni l'ajournement.

Je l'ai dit tantôt, en elle-même, au fond, la proposition n'a pas de valeur ; au fond, évidemment, et personne ne contestera cette assertion,, cette proposition ne peut faire le canevas d'un projet ele loi ; elle ne jette sur la question aucune espèce de lumière. C'est une déclaration de principes aussi large que possible, et elle ne renferme pas la matière d'un article ni d'un projet de loi.

Il n'y a donc pas lieu, soit de la renvoyer aux sections, soit de l'ajourner puisqu’elle ne peut être d'aucune utilité pour la discussion elle-même. Le maintien de cette proposition a donc évidemment un autre but. Ce but, qu'on nous l'explique. Les discours que j'ai entendus hier me disent quelle en est la portée. Cette proposition est un blâme de l’administration ou un vote de défiance ; peut-être est-ce l’un et l’autre. C’est un blâme : après tout ce qu’a dit M. Malou de la manière dont le gouvernement interpétait la législation, évidemment la proposition n’est autre chose que la condamnation de tout ce qui a été fait par le ministère jusqu’à présent ; à ce point de vue, je ne puis l’accepter. Ou bien c’est un acte de défiance : j’ai fait spontanément une déclaration très nette ; rappelant le précédent posé par le gouvernement, la nomination d’une commission chargée de réviser la législation sur la bienfaisance, j’ai déclaré que dans le courant de cette session, je présenterais un projet de loi. Voilà ce que j’ai dit.

(page 164) A quoi donc doit tendre la proposition de M. Dumortier en présence de ma déclaration ?

Ah ! je comprendrais parfaitement qu'on insistât pour la prise en considération de la proposition de M. Dumnrlier. Si la proposition de M. Dumortier pouvait jeter de grandes lumières sur la discussion ; alors je serais très heureux moi-même d'accepter le renvoi aux sections, car quand j'étudie un projet de loi, je recherche la lumière, bien loin de la repousser. Mais quand une proposition consiste en une déclaration de principe que nul ne conteste, qui traîne dans la presse depuis des années, est-ce que cette proposition n'a pas une portée que je dois repousser ?

Ainsi, messieurs, soit acte de blâme, soit acte de défiance, je repousse l'un et l'autre, et je rejette l'ajournement, et la prise en considération.

M. Dumortier. - Messieurs, il se passe dans cette discussion quelque chose de très étrange. Ecoutez M. le ministre de la justice, la proposition que j'ai eu l'honneur de présenter n'a aucune valeur ; elle ne peut pas même faire le canevas d'un projet de loi ; et voilà deux jours que M. le ministre de la justice s'évertue à la combattre. Mais si elle a si peu de valeur, si elle ne signifie rien, pourquoi donc venez-vous entasser argument sur argument, effort sur effort pour donner à ma proposition une couleur qu'elle n'a pas, pour lui faire signifier autre chose que ce qu'elle signifie ? Il y a là une singulière contradiction. Quel a été le but des efforts du ministère, et surtout de M. le ministre de la justice ? C'est de dénaturer complètement ma proposition.

Que vous a dit M. le ministre de la justice ? C'est le rétablissement des moines, des majorats, des bénéfices. C'est la destruction des institutions du gouvernement. C'est la faculté illimitée de créer des établissements de mainmorte, c'est l'absence de toute espèce de surveillance.

Eh bien, messieurs, ma proposition tout entière donne le démenti le plus formel à ces allégations. Le rétablissement des moines ! Mais depuis quand donc les établissements de charité, les établissements de bienfaisance, les hospices, les institutions destinées à soulager les pauvres, depuis quand donc sont-ce des abbayes, des monastères ?

Je sais fort bien, que, dans son antipathie générale pour les établissement religieux, M. le ministre confond les nonnettes avec les moines. (Interruption.)

Il y a cependant de ces nonnettes, respectées du monde entier, des femmes qui vont au lit des malades, y porter toutes les consolations possibles. Je crois, moi, qu'elles ne sont pas dignes de mépris, ces femmes qui se dévouent au soulagement de l'humanité souffrante.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je les respecte autant que vous. (Interruption.) Je demande la parole pour un fait personnel,

M. Dumortier. - Ces anges de vertu, saluées respectueusement par les socialistes eux-mêmes, au milieu de la guerre civile, on ne doit pas chercher à les vouer au ridicule, en leur appliquant la dénomination de nonnettes, comme ont vient de le faire encore.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Ce n'est pas moi qui ai employé ce mot-là ; il se trouvait dans le document dont j'ai donné lecture à la chambre.

M. Dumortier. - Ma proposition a pour but, en second lieu, dit M. le ministre de la justice, de détruire les établissements du gouvernement. Y a-t-il dans ma proposition une seule ligne, un seul mot qui tende à la destruction des établissements du gouvernement ? Mais si nous demandons la liberté de faire le bien, de faire l'aumône aux pauvres, voulons-nous donc détruire les établissements du gouvernement ? Vous avez entendu les développements de ma proposition. Il y est dit en toutes lettres « que l'Etat conserve ses établissements et que la liberté aura les siens. » Est-ce là, je vous le demande, vouloir porter la main sur les établissements du gouvernement ? Vous le voyez, le gouvernement se met à côté de la question ; il crée des fantômes pour les combattre. Quand nous avons voté la loi communale, personne d'entre nous songeait-il alors que nous voulions consacrer la liberté des fondateurs ; personne d'entre nous songeait-il à détruire les établissements du gouvernement ?

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Le gouvernement n'a pas d'établissements.

M. Dumortier. - Quelqu'un d'entre nous voulait-il détruire les établissements légaux si vous voulez ? Cela n'est entré dans la pensée de personne. Mais on crée des fantômes pour les combattre ; on cherche à dénaturer la proposition. Je dois ramener les choses sur leur véritable terrain. Il ne s'agit ici ni de moines, ni de nonnelles ; il s'agit de la liberté de la charité, il. s'agit d'autoriser l'homme généreux qui veut faire du bien aux pauvres, à pratiquer la charité ; comme il l'entend ; à confier la distribution de son aumône à celui qui a ses sympathies, qui jouit de sa confiance, sans que le gouvernement puisse changer les donations des fondateurs.

Messieurs, les bienfaits de la charité ne consistent pas seulement à soulager matériellement le pauvre ; ces bienfaits consistent aussi à lui donner le secours des consolations religieuses. Eh bien, parmi les personnes qui, à leur mort, veulent consacrer une partie de leur fortune au soulagement des malheureux, il en est un très grand nombre qui tiennent en très haute estime les consolations religieuses.

Vous dites que la charité est libre. Non, dans votre système, la charité n'est par libre chez nous. Ce qui est libre dons votre système, c'est l'aumône et non la chariiè (Interruption.)

Oui, le jour où vous refusez à l'homme charitable la faculté de perpétuer son désir, sa volonté, dans l’œuvre de charité qu'il crée, vous ne voulez pas de la charité ; or, le libre exercice de la charité, voilà le seul but de la proportion ; vous n'osez pas franchement la combattre, et vous cherchez à la renverser, en vous efforçant d'en dénaturer le texte.

On nous objecte que jadis il y a eu des abus. Eh ! depuis quand, dans l'humanité, pourrait-il exister une seule chose, sans donner lieu à quelques abus ? Il y a eu des abus à toutes les époques.

Que demandait-on aux époques anciennes ? Que les administrations rendissent des comptes ; eh bien, cette reddition de comptes est stipulée dans le projet de loi. Le projet de loi dispose-t-il, comme on le demandait au Congrès, que chacun peut de plein droit établir des personnes civiles ? Nullement ; l'autorisation royale est maintenue.

Ainsi, toutes les garanties existent dans le projet de loi, mais ce qui existe aussi, c'est la faculté laissée à chacun de pratiquer librement la charité, de donner son aumône comme il le désire, voilà ce que vous combattez, et c'est pour cela que vous ne voulez pas de la proposition. (Interruption.) Oui, c'est la liberté de la charité que vous combattez.

On parle d'anciens abus. Qu'est-ce à dire ? Sans doute, il a existé des abus dans les établissements libres. Mais n'en a-t-il pas existé dans les établissements légaux ? N'avons-nous pas vu dans plusieurs de nos villes une partie importante du patrimoine des pauvres distraite de son but, pour être employée à la construction d'édifices somptueux, de palais ? N'avons-nous pas vu des millions dépensés de la sorte, et qui auraient reçu un bien plus utile et plus légitime emploi si on les avait consacrés au soulagement des pauvres ?

Ces abus, vous n'en parlerez pas, parce que ce ne sont pas des nonnettes qui les ont commis. Cependant ces abus existent, et ils sont bien plus grands que ceux que vous signalez pour nous combattre.

Au reste, ne récriminons pas ; partout où il y aura des hommes, il y aura des abus ; les extirper d'une manière absolue, c'est impossible ; ce à quoi nous devons tendre, c'est à ce qu'il y en ait le moins possible.

Eh bien, le meilleur moyen d'éviter qu'il y ait un grand nombre d'abus, c'est d'établir une noble concurrence entre les établissements de charité légaux et les établissements de charité dirigés par des particuliers.

Voyez quel a été déjà le résultat de la concurrence ! L'honorable M. T'Kint de Naeyer vous disait dans la séance d'avant-hier : La journée d'entretien d'un pauvre dans les établissements du gouvernement est de 45 centimes, et cette journée d'entretien est descendue jusqu'à 13 et même jusqu'à 11 centimes dans deux établissements libres...

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Ces établissements sont subsidiés par l'Etat.

M. T’Kint de Naeyer. - Pour dissiper l'erreur dans laquelle l'honorable M. Dumortier paraît tomber sur la portée du fait auquel j'ai fait allusion dans la séance d'avant-hier, je lui demande la permission de dire que les deux hospices agricoles que j'ai cités ont reçu des subsides de l'Etat.

M. Dumortier. - C'est possible ; mais je fais un appel à la loyauté de mon honorable collègue, et je lui demanderai s'il n'est pas à sa connaissance que, dans des établissements privés non-subsidiés, on est parvenu au même résultat.

M. T’Kint de Naeyer. - Je dois ajouter encore que, comme on me le fait remarquer à mes côtés, la journée d'entretien revient à 11 centimes, après déduction des produits de l'exploitation agricole. J'avais cru inutile d'en faire la remarque : il me paraissait impossible que l’on s'y méprît.

M. Dumortier. - Eh bien, que conclure de là ? C'est que la charité privée, tout en entretenant les pauvres, aussi bien et mieux peut-être que l'administration gouvernementale, arrive à ce résultat, qui paraissait impossible, de donner à l'ouvrier une nourriture très bonne ; car l'ouvrier entretenu au moyen de ces 13 cenlimes par jour, doit avoir trois fois de la viande par semaine. Voilà un résultat auquel on arrive par la liberté. C'est cette liberté qu'on veut combattre ; c'est de cette liberté qu'on ne veut pas !

M. le ministre de la justice disait tout à l'heure qu'il voulait avoir, soit pour lui, soit pour ses agents, la surveillance de la direction de la charité. Voilà une prétention que je n'avais jamais entendu énoncer dans aucune assemblée délibérante par aucun gouvernement.

J'ai bien entendu le gouvernement vouloir obtenir un pouvoir absolu, illimité, un monopole en beaucoup de choses ; mais je n'ai jamais soupçonné qu'il arrivât à ce résultat, que les pauvres dussent être formés à son image et à sa ressemblance ; il faudra donc façonner tous les pauvres sous la pensée ministérielle ? Je vous le demande, messieurs, est-ce là un système soutenable ?

Vous allez donc aussi probablement porter des règlements généraux pour l'exercice de la charité ; mais, mon Dieu ! laissez donc quelque chose à la liberté ; vous qui l'avez tant proclamée à d'autres époques, pourquoi vous refuser aujourd'hui à son exercice ? Laissez aux établissements libres le soin de se conduire eux-mêmes ; ne détruisez pas la concurrence entre les établissements libres et les établissements du gouvernement ; c'est grâce à cette noble concurrence que le bien-être des pauvres sera le mieux assuré, tandis que le monopole aux mains du gouvernement amènera de très fâcheuses conséquences.

Messieurs, j'ai été étrangement surpris de voir M. le ministre de la justice représenter la question qui nous occupe, comme une ruse de guerre.

(page 165) Pour mon compte, autour de la proposition, je vous déclare que je n'ai eu aucune manière cherché à faire une ruse de guerre de cette proposition. Mon but unique a été un but de charité et rien autre choses.

Savez-vous ce qui est une ruse de guerre ? C'est de dénaturer la proposition, c'est de lui donner une couleur tout à fait différente de celle qu'elle comporte, afin d'en faire une question cléricale, une question de moines, une question de nonnettes. (Interruption.)

M. de Perceval. - En voilà assez avec les nonnettes ! (Nouvelle interruption.)

M. Dumortier. - Est-ce donc une ruse de guerre qui de venir critiquer les actes de l'honorable M. de Haussy ? Et pourquoi donc, je vous prie, les actes de M. de Haussy ne seraient-ils point soumis à la critique comme ceux de tous les ministres ? Je crois que nous sommes bien dans notre droit d'examiner les actes de tous les ministres qui passent. Vous êtes ici pour être critiqués par nous, et nous pour vous critiquer, (Interruption.)

Mais puisque l'honorable ministre de la justice prend ici fait et cause pour toutes les opinions de son prédécesseur, puisqu'il prend la défense de tous ses actes, ce que je n'aurais jamais cru, je le déclare sur mon honneur, je demanderai à M. le ministre de la justice de vouloir nous dire premièrement s'il consent à déposer sur le bureau le rapport de la commission dont il a parlé tout à l'heure. Je demanderai que cette pièce soit déposée sur le bureau afin que la chambre puisse voir comment la commission nommée par M. le ministre a apprécié ses actes.

En second lieu, je demanderai à M. le ministre de la justice s'il entend maintenir les circulaires de l'honorable M. de Haussy dans leur entier, et ces circulaires dans lesquelles il n'était ni plus ni moins question que d'absorber les droits des sœurs de la charité qui ne se soumettent pas aux caprices du gouvernement.

J'aime à croire que M. le ministre me répondra négativement.

Voici le texte de cette circulaire adressée à tous les bourgmestres. Le ministre y demande l'avis des administrations communales sur les points suivants :

« 1° Sur les modifications et améliorations à introduire dans la législation concernant les associations hospitalières, spécialement en ce qui concerne le but exact de leur mission, leurs rapports avec les commissions administratives des hospices et les bureaux de bienfaisance, la comptabilité, etc.

« 2° Sur le meilleur mode de régularisation des associations dont les statuts excéderaient les limites du décret du 18 février 1809 et celles qui seraient tracées par la nouvelle loi.

« 3° Sur les mesures transitoires à prendre quant aux personnes et quant aux biens, à l'égard des mêmes associations dont les membres préféreraient renoncera la personnification civile. »

Ce dernier paragraphe annonce la suppression des hospitalières qui ne voudraient pas se soumettre aux caprices du gouvernement.

Ainsi, messieurs, il était sommairement injuste de prendre des mesures quant aux personnes et quant aux biens des sœurs hospitalières. Et vous viendriez dire que nous ne devons pas nous émouvoir en présence de pareilles choses, que nous pouvons rester muets, indifférents à de pareils actes, comme ceux dont vous menacez les sœurs hospitalières dans leurs biens et dans leur personne, ces femmes vénérables et vénérées, qui sont l'objet du respect de tous les pays !

Vous les menacez dans leur personne et dans leurs biens...

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - C'est inexact.

M. Dumortier. - Je vais vous le prouver.

« 3° Les mesures transitoires à prendre, quant aux personnes et quant aux biens, à l'égard de ces mêmes associations, dont les membres préféreraient renoncer à la personnification civile. »

Je ne dis pas que ce soit le fait du cabinet, mais cela résulte d'une pièce authentique.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Cette pièce, vous la travestissez !

M. Dumortier. - Vous les menacez dans leurs personnes et dans leurs biens.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Ce n'est pas vrai ! (Interruption.)

M. Coomans. - Je demande le rappel au règlement ! Ce n'est pas parlementaire !

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je n'accepte pas l'imputation que M. Dumortier adresse au cabinet : quand il nous impute de vouloir exercer des persécutions contre les sœurs hospitalières, j'ai le droit de dire : Cela n'est pas vrai !

M. Dumortier. - Je lis de nouveau et maintiens mon affirmation milgré les démentis du ministre.

« 3° Sur les mesures transitoires à prendre, quant aux personnes et quant aux biens à l'égard des mêmes associations (c'est-à-dire des hospitalières) dont les membres préféreraient renoncera la personnification civile. »

Voilà les expressions de la circulaire de M. le minisire. Evidemment, plutôt que de se soumettre à vos exigences, elles renonceront à la personnification civile. Donc vous les menacez dans leurs personnes et dans leurs biens.

Je maintiens que c'est la vérité. Je le maintiens malgré vos démentis. Etait-il possible que nous ne fussions pas émus en présence de pareilles eboses ? Etait-il possible que le pays restât indifférent en présence d'un pareil système ? Evidemment, c'était ramener la Belgique à la pire de toutes les époques, à l'époque de la spoliation des sœurs hospitalières,

Maintenant, je demanderai à M. le ministre de la justice s'il entend maintenir de telles circulaires, de telles dispositions ?

Evidemment quand on n'a pas l'intention d'agir, d'exécuter des choses aussi monstrueuses, on ne pose pas des questions semblables.

Messieurs, le projet que j'ai eu l'honneur de présenter me paraissait de nature à donner satisfaction à toutes les opinions raisonnables ; à l'Etat il conservait ses institutions ; à la charité il accordait la liberté. J'espérais et je devais croire que le gouvernement ne serait pas venu s'opposer à la prise en considération d'une proposition aussi simple, aussi justifiée par l'état de la société en Europe. Je vois avec une vive douleur l'attitude prise par le cabinet dans une pareille question. En effet, de quoi s'agit-il ? De charité. De qui s'agit-il ? Des pauvres. Et le gouvernement vient s'opposer à la prise en considération d'un projet qui n'a pour but que de développer la charité, d'encourager les riches à soulager les pauvres.

Je vois avec peine, je le répète, la conduite du cabinet, parce qu'elle révèle la volonté de continuer des mesures réactionnaires qui, avec justice, avaient soulevé les plus vives réclamations dans le pays, qui avaient soulevé le pavs d'indignation.

J'avais conçu l'espoir que le changement intervenu dans le cabinet amènerait un changement de système de conduite vis-à-vis des sœurs hospitalières, des établissements de bienfaisance, vis-à-vis des personnes qui se dévouent à la charité libre. Cette espérance a été trompée ; je le regrette amèrement pour le pays.

Il est déplorable de voir le gouvernement faire des questions de parti au sujet de la charité, au sujet de questions sur lesquelles nous devrions être d'une unanimité parfaite, car en définitive, il s'agit de soulager ses semblables, de porter secours aux ouvriers, de les aider dans leurs maladies ; on fait une question politique d'une question de philanthropie ; on nous représente comme tendant des pièges au gouvernement ; je n'accepte pas la position qu'on veut nous faire.

Il est vraiment déplorable de voir le gouvernement persister dans une voie qui doit conduire aux résultats les plus funestes pour la société.

Beaucoup de personnes, par leurs dernières volontés, désirent faire quelque chose dans l'intérêt des pauvres ; je puis citer un exemple récent. N'avons-nous pas vu notre Reine bien-aimée, par son testament, vouloir assurer l'existence à une école qu'elle a fondée ? Eh bien ! ce qu'on fait aujourd'hui n'aurait d'autre conséquence que de supprimer cet acte de haute bienfaisance. C'est une conséquence de votre système que je signale, j'use de mon droit en démontrant combien il est déplorable.

Je désiré que le gouvernement change de position, qu'il abandonne un terrain où viennent s'agiter des questions brûlantes, qu'il donne à la charité la liberté dont elle a besoin. Mais, je le vois, mon vœu ne sera pas entendu ; la liberté vous offusque, c'est de la liberté de la charité que vous ne voulez pas, parce qu'elle s'exercerait en faveur des idées religieuses. C'est la liberté que vous combattez, vous qui l'avez si souvent invoquée ! Cependant, s'il est une liberté sainte et sacrée entre toutes, c'est celle de soulager les malheureux. Je vois avec peine le gouvernement s'opposer à la prise en considération d'une proposition ; depuis la révolution, il n'est pas d'exemple qu'une proposition ait été rejeté dédaigneusement à la prise en considération. Ce qui ne s'est jamais vu dans la chambre depuis qu'elle exisle, se verra à propos de la liberté de la charité. Je livre cette conduite à l'appréciation du pays.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - L'honorable M. Dumortier m'a accusé de vouloir jeter le mépris sur des personnes qui se vouent à la charité, parce que je me suis servi du mot « nonnettes ». Je proteste de toutes les forces de mon âme contre cette accusalion très peu loyale, car l'expression, l'honorable membre le sait, se trouvait dans le document que j'ai cité et que je ne pouvais pas travestir pour éviter de prononcer le mot « nonnette ». Voilà la vérité. Je professe autant de respect que l'honorable M. Dumortier pour toutes les personnes qui se dévouent au soulagement de l'humanité au nombre desquelles se placent les sœurs hospitalières.

M. Orts. - Messieurs, j'ai demandé la parole en entendant hier l'honorable M. Malou dire qu'il combattait, au point de vue de l'intérêt du pauvre, le système de la charité laïque exclusive. L'honorable M. Malou, en parlant du système de charité laïque exclusive, appliquait évidemment cette expression au système pratiqué jusqu'à ce jour, et le système auquel il donne la préférence est celui que le grand courant d'idées de 1789 a fait disparaître, ce système dont l'adoption de la proposition de M. Dumortier serait la restauration.

C'est donc pour moi, non pas une question de parti, non pas une question d'opinion qui doit motiver mon vote sur la prise en considération de la proposition faite par l'honorable M. Dumortier ; c'est une question de principe, une question de principe tenant à l'ordre la plus élevé, une question d'intérêt social. L'intérêt social se place, en effet, avant tout quand il s'agit d'examiner si, en présence, de l'état de l'Europe, pour apporter remède à un mal profond, c'est au remède appliqué jusqu'à ce jour ou bien je ne sais à quel empirisme suranné qu'il faut donner la préférence.

Je défends, et je défends depuis longtemps, l'opinion que la charité, pour être utile dans 1es conditions sociales où nous vivons aujourd'hui, doit être sécularisée, laïque par excellence. Cette opinion, je ne l'ai point adoptée d'aujourd'hui, en vue des luttes de partis : s'il le fallait prouver, (page 166) je ferais appel aux souvenirs d'un des plus éloquents orgares de l’opinion que je combats, de l'honorable M. Dedecker. Il n'a peut-être pas oublié qu'il y a cinq ans, dans la presse, je défendais ces idées contre lui. J'ai d'autant plus lieu de tenir à mon opinion ancienne, aujourd'hui qu'elle a obtenu un triomphe auquel ma modestie ne me permettait pas d'aspirer à l'époque où je la professais publiquement. Elle a amené peut-être chez l'honorable M. Dedecker lui même des idées plus conciliantes en cette matière que celles qu'il professait alors. Car après le discours que la chambre a entendu hier, il ne m'est plus permis de répéter comme l'opinion actuelle de l'honorable M. Dedecker, ce qu'il disait naguère de la charité légale, lorsqu'il l'appelait la « sophistication de la vertu ».

Vous le voyez, messieurs, je ne pourrais voter la prise en considération pure et simple de la proposition de l'honorable M. Dumortier parce que ce serait pour moi une abdication de conviction. Cependant avant d'aller plus loin dans l'examen de certains détails, qu'il me soit permis d'exprimer un regret. J'aurais préféré, je préférerais mille fois encore une discussion sur les idées que je combats et sur celles que je défends au rejet pur et simple d'une proposition due à une initiative que je considère comme loyale et généreuse de la part de son auteur.

Maintenant, pourquoi veux-je de la charité légale, pourquoi en veux-je, je ne dirai pas exclusivement, mais pourquoi veux-je lui donner la plus grande part possible ? Parce que les faits sont là pour nous dire qu'elle est bonne, qu'elle est utile ; que l'autre peut être généreuse dans son principe, composée des dévouements les plus sublimes, mais que c'est une générosité qui ne profitera pas ; c'est un dévouement stérile, non par le fait de ceux qui se dévoueront, mais par le vice du principe d'où jaillit ce dévouement même.

Vous voulez que la charité puisse se faire librement sans aucune direction du pouvoir civil que vous préposez pourtant à la direction de tous les intérêts sociaux. Vous réclamez cette liberté au nom du passé, au nom de ce qu'à détruit 1789.

C'est au nom de ce même passé que je viens vous combattre. La liberté, l'action individuelle dans la charité sans contrôle, sans direction du pouvoir civil, vous l'avez eue en maints pays, à diverses époques. Vous l'avez conservée telle jusqu'à nos jours. Qu'en avez-vous fait ? Quelles plaies sociales avez-vous guéries ?

Que sont devenus ces pays où vous avez la liberté illimitée des fondations, la liberté de créer des établissements de charité de toute espèce en vue de toutes les misères qui affligent l'humanité ? Qu'avez-vous fait de l'Italie ? Qu'avez-vous fait de l'Espagne ? Qu'est devenue l'Amérique du Sud où vous étiez, où vous êtes libres encore, où vous édifiez toutes les fondations qu'il plaît à votre charité d'enfanter ? Ce sont les pays de l'Europe les plus favorisés par le ciel. L'homme y trouve sans peine les dons les plus précieux de la nature répandus par la main libérale du Créateur ; qu'en a-t-on fait, de ces terres favorisées entre toutes, grâce au système de la charité librement exercée ? On en a fait la terre classique de la mendicité. De cette situation, je n'en veux pas pour mon pays. Et ne croyez pas que lorsque je m'y oppose, ce soit parce que je suppose que le pouvoir civil puisse avoir à redouter la puissance politique que donneraient les ressources de la charité à quelque autre pouvoir que, pour ma part, je ne redoute ni ne jalouse.

Ce que je redoute, disais-je à mes adversaires, ce n'est pas votre force, votre pouvoir. Ce que je redoute, c'est votre impuissance !

Je ne veux pas du régime que vous prétendez restaurer parce que je ne veux pas que des ressources précieuses, qui bien employées doivent soulager de nombreuses misères, soient gaspillées et perdues sans résultat utile ; parce que, à l'époque d'aujourd'hui comme à toutes les époques où l'on a demandé la sécularisation de la charité, c'est sur les motifs que j'indique, sur l'impuissance que l'on s'est fondé.

On a fait de l'histoire, je ne veux pas la refaire. Mais j'engage l'honorable M. Dedecker, qui a parfaitement étudié l'histoire de la charité en Belgique, à jeter les yeux sur les raisons que faisaient valoir nos administrations communales belges dès le XVIème siècle pour demander la sécularisation de la charité. A cette époque il ne s'agissait certes pas de jalousie du pouvoir civil envers le pouvoir ecclésiastique ; le motif vrai, on pouvait l'avouer tout haut, on l'avouait.

On disait alors ce que je dis aujourd'hui. Le pouvoir civil, frappé des envahissements du pauperisme au milieu de notre Flandre, de nos provinces si riches, réclamait le droit de réparer le mal que d'autres avaient laissé faire, qu'il n'avaient pu empêcher. Il fallait, disait-on, séculariser entre les mains du magistat les établissements, les fondations, toutes les institutions jusque-là stériles. Il fallait s'en rapporter au pouvoir civil, comme au meilleur juge de l'emploi des fonds, plutôt qu'à la volonté des fondateurs.

Les fondateurs, ajoutait-on, n'ont eu en vue que le bien à faire, peu soucieux de savoir par qui et comment il se ferait. Et l'on avait raison, car le fondateur d'aujourd'hui ne saurait être juge compétent des moyens à employer pour soulager demain. Les maux changent, et les remèdes à y opposer doivent changer aussi, s'ils veulent rester efficaces.

Ces paroles, ces principes, je les ai retrouvés dans un livre écrit en 1526 à Bruges, par un homme dont les sentiments religieux ne peuvent être contestés ; car cet homme, professeur à l'université de Louvain, certes non moins catholique alors qu'elle l'est aujourd'hui, cet homme c'est Louis Vives, et ses idées étaient partagées par tous les hommes d'élite de cette glorieuse époque.

Pourquoi donc aujourd'hui le système des fondations libres serait-il encore moins utile aux classes souffrantes que ne peut l'être la charité laïque sous la direction intelligente du pouvoir civil ? Les fondations, je le disais tout à l'heure, peuvent être parfaites au moment où l'on a fondé. Mais les maux qui affligent l'humanité changent. Ils se cachent précisément devant les remèdes efficaces et reparaissent transformés. Il faut alors changer les remèdes. Le remède d'il y a cent ans n'est plus le remède d'aujourd'hui.

Si maintenant un fondateur, en vue de combattre telle ou telle misère de son temps, crée une fondation éternelle, si aucun pouvoir au monde ne peut appliquer les revenus de cette fondation à une autre destination, qu'arrive-t-il lorsque les misères changent, lorsque le mal se cache pour reparaître ailleurs ? Les ressources de la fondation sont complètement perdues, ces sources restent stériles.

Il faut ou violer le respect de la fondation à une époque où ce respect a grandi dans l'esprit populaire, ou continuer à dépenser en pure perte ce qui, bien dépensé, tournerait au profit de l'humanité souffrante.

D'ailleurs, messieurs, qu'on ne le perde pas de vue, ces fondations de charité qui sont essentiellement limitées parce qu'elles sont l'œuvre de la charité individuelle, produisent nécessairement, par essence, de minces résultats hors de proportion avec les sacrifices que l'on s'impose.

On vous l'a dit et répété, si la direction n'est pas centralisée, si la direction n'est pas combinée avec celles d'autres établissements du même genre, chacune de ces fondations nécessite essentiellement une administration séparée, des frais d'administration distincts, des dépenses qui doivent être prélevées sur les revenus, avant que ces revenus n'arrivent à leur destination originelle.

Et au prix de quels sacrifices atteint-on un aussi mince résultai ? Mais au prix de sacrifices qui coûtent plus cher à la société que ne sont grands les biens qu'ils rapportent.

Vous voulez des fondations qui doivent toujours durer. Car la charité exercée pendant la vie de la personne charitable est hors de cause dans les débats actuels.

Ces fondations, pour répondre à vos vues, doivent pouvoir durer, elles doivent devenir des mainmortes. Qu'on me pardonne de me servir de ce mot qui réveille de mauvaises querelles, de mauvaises idées de lutte, mais que je dois employer parce que c'est le mot vrai. Toutes ces fondations sont des mainmortes, et toute mainmorte est pour la société un sacrifice plus dur que n'est grand le bien qu'elle peut produire. Songez à ce que deviennent ces biens qui font l'objet de vos fondations, à ce qu'ils deviendront surtout si, avec la liberté que vous réclamez, les fondations se multiplient. Mais à mesure que ces fondations naîtront, elles viendront produire au profit des pauvres un bienfait minime qui diminuera chaque jour, parce que chaque jour les frais iront grandissant. Vous aurez des biens soustraits à la circulation, au travail, à l'impôt.

Voilà le côté fatal, le côté désastreux du système que je combats. Voilà pourquoi je combats, et pourquoi je pense que cette discussion ne peut aboutir à un résultat utile pour l'humanité. Souvenons-nous que le bien qui reste entre les mains de ceux qui travaillent et qui font travailler est plus utile que toutes les charités possibles. Souvenons-nous que le pauvre demande quelque chose avant de tendre la main, avant d'implorer l'aumône : il demande le travail d'abord et le pain ensuite, comme condition de son travail. Songez que les capitaux que vous enlevez à la circulation,que vous n'employez pas, comme cela vous arrivera fatalement avec votre système de charité, que ces capitaux qui amortis ne feront peut-être pas vivre dix pauvres, feront vivre, si l'on s'en sert, cent ouvriers laborieux.

Je dis que ces capitaux sont nécessairement encore, par le fait de l'immobilité que leur donne la fondation, soustraits à l'impôt, ce qui est funeste pour les classes inférieures, pour les classes souffrantes. Pourquoi ? Parce que ce ne sont pas les classes inférieures, les classes souffrantes qui possèdent ces capitaux ; parce que ces capitaux appartiennent aux classes favorisées, et s'ils sont soustraits comme base imposable à l'impôt, ce sera à d'autres bases atteignant peut-être le pauvre, que vous devrez demander de quoi combler le déficit que les capitaux immobilisés laisseront dans les caisses de l'Etat ; c'est que ces ressources que vous devrez demander pour combler le déficit pèseront sur ceux que vous voulez secourir plus lourdement que ne sera grand le bien procuré par votre système.

Messieurs, je ne nie pas ce qu'a pu avoir d'utile le système ancien de la charité en Europe, je ne nie pas les services qu'ont pu rendre l'influence religieuse et ceux qui l'exerçaient, mais je dis que ce sont des services qui ont eu leur temps, qui ne sont plus de notre époque, et permettez-moi de le dire, quand le clergé de France est venu demander dans la nuit du 4 août 1789, l'abolition des dîmes et des droits féodaux écrasant le travail, il a fait plus pour les classes pauvres que n'ont fail quinze siècles de fondations.

Vous le voyez donc, messieurs, ce n'est pas par esprit de parti, ce n'est pas par esprit de lutte que je m'oppose à l'introduction dans notre organisation sociale, d'un système proscrit depuis soixante ans.

J'ai montré ce que ce système avait fait anciennement ; j'ai dit ce qu'il avait fait encore sous nos yeux dans des pays qu'on avait cités comme exemple, et avec peu de bonheur. Car ne l'oublions pas, si quelques-uns de ces pays ont échappé aux tempêtes de 1848, si, comme le fait observer l'honorable M. Dumortier dans ses développements, quelques-uns de (page 167) ces pays n'ont pas reçu le contre-coup de ces grands événements, et ont été sous ce rapport aussi heureux que la Belgique, il en est d'autres plus malheureux, et parmi eux j'en citerais un, si je le voulais, un des plus malheureux de tous, car c'est le seul où il a fallu après 1848 appeler, pour rétablir l'ordre et la tranquillité, le secours des baïonnettes étrangères.

Ne croyez pas que c'est par votre système que vous combattrez le socialisme. Non. Vous guérirez le socialisme lorsque vous aurez donné à ceux qui se confient en ces chimères irréalisables, ce que ne leur donnera pas votre système, ce que leur donne aujourd'hui le système contraire : le travail, les capitaux, la faculté de vivre, lorsque vous les déchargerez des sacrifices que ne peuvent supporter les biens immobilisés par votre système et que vous devez aller demander ailleurs.

Je ne suis pas cependant à nier qu'il y ait dans la charité bien exercée, dans la charité convenablement pratiquée, une part à faire à l'influence religieuse, mais cette part, ceux à qui je réponds l'ont faite d'avance et ce n'est pas celle-là qu'ils réclament. Ils ont dit : Nous voulons la liberté de la charité comme nous voulons la liberté de l'enseignement.

Eh bien, nous aussi nous voulons de l'influence religieuse dans la charité comme nous l'avons acceptée dans l'enseignement ; et de même que le prêtre peut entrer dans nos écoles, le prêtre entrera dans les établissements de bienfaisance que nous dirigeons, convié, appelé par nous. Il y entrera chaque fois qu'il y aura des misères à consoler, des plaies sociales à guérir, mais surtout lorsqu'il y aura des plaies morales, pour la guérison desquelles il a une mission spéciale.

Il entrera dans nos hôpitaux librement ; il arrivera aux chevets de nos malades, et nous nous mettrons devant lui, chapeau bas et à genoux, quand il passera. Mais ne demandez pas plus là pour le prêtre que vous ne demandez ailleurs ; laissez-lui sa part, elle est assez belle, et n'oubliez pas plus en fait de charité qu'ailleurs, que son royaume n'est pas de ce monde.

Ainsi donc, messieurs, si je repousse le système vers lequel je crois que tend nécessairement la proposition de l'honorable M. Dumortier, je ne viens pas le repousser en proclamant, comme on le disait hier avec une injustice que je me permets de rappeler à l'honorable M. Malou, dans l'espoir qu'il la réparera, je ne viens pas le combattre en m'écriant : Périssent les pauvres plutôt qu'un principe !

C'est parce que votre principe ferait périr les pauvres, c'est parce qu'il augmenterait indéfiniment le nombre des pauvres en Belgique comme il l'a fait ailleurs, que je m'oppose à son introduction dans la législation de mon pays.

Cette opposition, messieurs, je la fais aujourd'hui et je la renouvellerai quand nous nous occuperons de la discussion du fond.

J'ai maintenu ces principes dans toutes circonstances, même dans celle à laquelle on a fait allusion, et si la chambre accueillait la demande de M. Dumortier quant aux travaux de la commission dont j'ai fait partie, M. Dumortier verrait qu'en 1849 comme en 1845, j'ai défendu la charité sécularisée comme je la défends aujourd'hui.

Fort de ma vieille conviction, je persévérerai dans cette voie et j'espère que la chambrer m'y suivra.

M. de Theux. - Messieurs, je ne puis laisser sans réponse le discours de M. le ministre de la justice.

Déjà plusieurs fois nous avons remarqué que ce qu'il y a surtout de nouveau dans la politique inaugurée en 1847, c'est l'abandon de la modération dans la discussion au banc ministériel.

Jusqu'en 1847, nous avions vu l'opposition traitée avec plus d'égards. Les cabinets précédents avaient cru que la modération dans la discussion était pour le pays une sorte de garantie de la modération dans l'administration !

Nous croyions que les accusations violentes dirigées contre la minorité n'amenaient point la conciliation, mais tendaient plutôt à fortifier cette minorité.

Nous croyions, que le gouvernement, qui est le gardien et qui doit être la sauvegarde de toutes nos libertés, devait surtout donner l'exemple de la tolérance dans les discussions parlementaires, qui sont la plus forte sauvegarde de ces libertés.

Messieurs, l'on accuse l'opposition de dénaturer les intentions du gouvernement et de vouloir arriver à une domination indirecte par la voie de la charité. Notre réponse est simple : nous renvoyons l'objection à nos adversaires, et nous disons que c'est surtout en cherchant à amoindrir partout l'influence morale et sociale du clergé, si utile, si nécessaire aujourd'hui, que l'on cherche à établir une domination contre les vœux, contre le gré du pays.

J'aborde maintenant la discussion de la proposition de l'honorable M. Dumortier.

Trois mainmortes sont instituées de par les lois pour sauvegarder les intérêts des indigents : d'abord les bureaux de bienfaisance pour les secours à domicile, ensuite les hospices pour les maux qui doivent être traites dans des établissements spéciaux, troisièmement les depôts de mendicité qui servent de prison à ceux qui se sont livrés à la mendicité et, d'autre part de maison de passage ou de refuge à ceux qui s'y rendent spontanément, pour trouver temporairement des moyens d'existence. Voilà la division de la charité légale, voilà la division des mainmortes reconnues par la loi. Ces institutions suffisent-elles à tous les besoins ? Non. messieurs, et personne ne le soutiendra de bonne loi, dans cette enceinte. Nous ne craignons pas de dire que nulle part les bureaux de bienfaisance ne peuvent pourvoir complètement à tous les besoins, suffire complètement à leur mission. Nous dirons que si quelques grandes cités sont richement dotées d'hospices divers et peuvent jusqu'à un certain point suffre aux besoins de la population, cependant il existe encore une insuffisance de moyens, même dans ces localités ; mais ce que nous dirons surtout, c'est qu'il existe un grand nombre de communes dépourvues d'hospices et où cependant ces établissements seraient très utiles, où il serait nécessaire d'en encourager la fondation.

Nous dirons que les dépôts de mendicité ne sont point un remède au mal du paupérisme ; si quelquefois la détenlion des mendiants est nécessaire pour arrêter les progrès trop faciles de la mendicité, d'autre part il est notoire que les dépôts de mendicité sont la ruine d'un très grand nombre de communes. Il est évident que si les lois sur la répression de la mendicité recevaient une exécution complète, une exécution sévère, toutes les communes succomberaient sous le poids des charges résultant de l'entretien de leurs mendiants dans les dépôts de mendicité.

La concurrence, messieurs, est un principe du aussi à la révolution de 1789, on la réclame en toutes choses ; pourquoi donc l'exclurait-on dans une matière aussi importante que celle des secours divers fournis aux malheureux ? La concurrence en cette matière ne peut-elle pas aussi stimuler l'émulation et amener des progrès ? Répondez non, si vous le voulez, mais alors vous êtes inconséquents avec le principe que vous proclamez en toute autre matière.

Le projet de M. Dumortier a deux objets principaux : le premier, d'empêcher le gouvernement de substituer sa volonté à celle des testateurs, en attribuant à un établissement des biens que le testateur n'a pas voulu lui léguer et en chargeant de l'exécution des dispositions de dernière volonté celui que le testateur n'a pas voulu pour exécuteur testamentaire.

Le deuxième objet de la proposition de l'honorable M. Dumortier est de permettre au testateur de choisir les personnes qu'il croit les plus dignes de sa confiance pour exécuter ses volontés dernières, soit qu'il s'agisse d'une exécution immédiate et qui n'exige point la perpétuité et la mainmorte, soit qu'il s'agisse d'un établissement de longue durée, qui exige l'approbation plus spéciale du gouvernement ou l'intervention de la législature, suivant le principe que la chambre adoptera.

La mainmorte, messieurs, dont on a tant parlé, n'est donc, en réalité, que le troisième objet de la proposition de l'honorable M. Dumortier.

Le premier objet de cette proposition, qui est d'empêcher le gouvernement de substituer sa volonté à celle du testateur, ne peut, je pense, souffrir de contestation sérieuse ; et si les renseignements que je tiens d'un membre même de la commission instituée par le gouvernement, sont exacts, je crois que, dans le projet élaboré par cette commission, il y a des règles proclamées qui ne sont point entièrement en harmonie avec les errements suivis par l'administration. Quoi qu'il en soit, il faut que la question soit vidée, il faut que nous sachions jusqu'à quel point le gouvernement a le droit de modifier les dispositions de dernière volonté.

Et ici, messieurs, j'arrive à une objection toute personnelle que m'a faite M. le minisire de la justice et qui ne m'embarrasse en aucune manière.

D'abord j'avais proposé de réduire une disposition testamentaire faite en faveur d'un établissement public. Eh bien, si le gouvernement a droit de refuser complètement l'autorisation d'accepter un legs, il a certainement le droit d'autoriser à n'accepter ce legs que pour une partie (Oui ! oui !) Nous sommes donc d'accord. Le ministère a usé de ce droit dans une circonstance où je n'en aurais pas usé, dans l'affaire du testament de M. le curé Lauwers, parce que j'ai la conviction que, dans ce cas, la somme dont le curé Lauwers avait disposé au profit des pauvres, était un dépôt ou le fruit des épargnes qu'il avait faites dans un but de charité ; et qu'il importe que les dispositions de ce genre reçoivent complètement leur exécution, surtout dans des circonstances aussi calamiteuses que celles où le legs a été fait.

M. le ministre de la justice articule un autre grief ; dans la même circonstance où j'ai proposé au Roi de réduire le legs fait en faveur d'un établissement public, il a été stipulé par un arrête royal que la somme réduite profiterait à une partie seulement des héritiers légaux. Et ici encore je maintiens que cette disposition était tout à fait conforme à la loi et surtout conforme à son but... (interruption) ; je le prouve.

Un testateur vient à mourir, en léguant une somme considérable à un établissement public. Il laisse des parents dont les uns sont riches, et les autres pauvres. Or, qu'a fait le gouvernement ? Investi par la loi du droit de réduire les dispositions excessives, il a réduit le legs, non pas au profit des parents riches dont la loi n'a pas à s'occuper, mais au profit des parents pauvres dont les intérêts doivent être sauvegardes par la loi.

Voilà dans quel sens et dans quelles circonstances j'ai propose un arrêté au Roi ; dans une circonstance identique, je provoquerais toujours une mesure semblable. (Interruption.)

Ce n'est pas moi qui faisais le testament ; ma réponse est facile ; le testament disputait d'une certaine somme en faveur d'un établissement public. Quant à cette somme, j'avais certainement le droit de ne proposer l'annulation de la disposition que pour une partie ; et la somme retranchée du legs, je l'ai attribuée aux héritieurs pauvres. Je n’ai fait en cela que remplir l'intention de la loi, intention qui serait méconnue si la réduction du legs devait profiter à ceux des héritiers qui sont largement pourvus des biens de la fortune. (Interruption.)

Je ne m'inquiète pas des objections. Je maintiens que j'ai été dans (page 168) mon droit, que j'ai suivi strictement les intentions du législateur, et j'ose dire que c'est pour la première fois que j’entends critiquer la disposition qui a été prise alors ; je crois, au contraire, qu'à l'époque où elle intervint, elle reçut l’approbation générale.

Le second objet de la proposition de l'honorable M. Dumortier est de permettre au testateur de constituer une administration spéciale, pour une disposition qui doit recevoir immédiatement son exécution et qui ne comporte donc pas la mainmorte.

Ainsi, par exemple, quelqu'un charge le curé de sa paroisse ou toute autre personne dans laquelle il a pleine confiance, de distribuer ses aumônes. Eh bien, quel but le testateur veut-il atteindre en agissant ainsi ? Venir au secours d'une classe bien intéressante de nécessiteux, qui ne peut recevoir ce secours d'un bureau de bienfaisance. Car il est des familles qui reculent jusqu'au dernier jour devant la constatation de leur situation par une autorité publique ; elles ne consentent, en aucun cas, à laisser inscrire leurs noms sur le registre des pauvres de leur commune. Eh bien, au moyen de la disposition dont je m'occupe, le testateur peut, par une personne spéciale, secourir les malheureux de cette classe qui méritent grandement notre intérêt.

La troisième objection, c'est la mainmorte. Je sais que pour quelques personnes l'expression mainmorte apparaît tout aussi effrayante que la mort elle-même, mais c'est véritablement se faire illusion.

Nous savons parfaitement, que pendant les premiers siècles qui ont suivi la conversion de l'Europe au catholicisme, il a été créé un grand nombre de mainmortes ; nous savons que l'exercice de la faculté illimitée laissée aux hommes de faire des fondations de ce genre, a été poussée à l'excès ; nous le demandons : Qu'y a-t-il à cela d'étonnant ! Quelle est l'institution qui, confiée à des hommes, ne dégénère pas quelquefois en excès ?

Le gouvernement, dont l'action est si nécessaire à l'humanité que la civilisation ne peut exister sans lui ; le gouvernement ne dégénère-t-il pas quelquefois en excès ? La liberté elle-même, si chère au coeur de l'homme, ne dégénère-t-elle pas en excès ? Un gouvernement, qui use d'une autorité exagérée, ne provoque t-il pas fréquemment des révolutions au grand détriment des nations ? Est-ce à dire que la liberté doive être bannie du monde ? Certainement non ; cela veut dire uniquement qu'il faut s'efforcer, autant qu'il est au pouvoir des hommes, de prévenir les abus, ou de les réprimer là où ils se produisent.

Et spécialement en ce qui concerne les mainmortes dont j'ai parlé, qu'y a-t-il d'étonnant à ce que des abus se soient révélés dans une longue suite de siècles, à ce que ces abus se soient enracinés, au milieu des troubles, des guerres civiles et des guerres étrangères de toutenature, alors surtout que les gouvernements étaient faiblement constitués, alors que les gouvernements n'intervenaient en rien, que tout était pour ainsi dire abandonné à l'individu ?

Admettez pour vrais tous les abus qui se trouvent signalés dans les documents dont M. le ministre de la justice vous a donné lecture dans la séance d'hier ; n'ayez aucun égard au ton passionné qu'on remarque dans certains de ces écrits, car ces écrits n'ont pour objet, que d'atteindre un but déterminé et conséquemment peuvent être taxés d'exagération, surtout lorsque l'on n'a point entendu les parties adverses.

Mais tenez tout cela pour vrai ; s'ensuit-il qu'il n'y ait pas de milieu entre le système de la liberté absolue où chacun pouvait créer de ces mainmortes suivant son bon plaisir, et le système que défend le gouvernement, où aucune institution de mainmorte ne peut recevoir de sanction de l'autorité royale.

Nous croyons que la loi peut entourer de plusieurs garanties les institutions de ce genre en en déterminant bien le but, en établissant telles limitations, telles garanties, que le législateur juge les plus nécessaires. Nous croyons que certaines institutions peuvent encore à l'endroit de la charité être d'une haute utilité.

L'honorable député de Bruxelles, nous dit : « Une institution à perpétuité ne peut pas toujours remplir son but, le temps y apporte des modifications.»

Oui, messieurs, mais aussi des institutions de ce genre, lorsque leur but ne peut pas être atteint, peuvent recevoir des changements par l'autorité compétente.

Ainsi, M. le ministre de la justice nous a cité différents actes qui ont suppléé aux lacunes que le temps avait amenées dans des institutions anciennement fondées. Ce qui a été fait peut encore se faire à l'avenir. Un établissement à perpétuité ne sera pas un obstacle, il sera toujours utile à la société.

L'honorable membre dit encore que des institutions de charité ont existé en grand nombre en certains pays, et que cependant une grande misère a régné où ils étaient établis. Le fait peut être vrai, mais il ne prouve rien. Si l'on faisait porter la discussion sur ce terrain, si l'on voulait examiner les institutions politiques dans ces Etats, les institutions commerciales, industrielles et agricoles, il serait très facile de découvrir d'autres causes que celles que nous a signalées l'honorable membre.

Jamais on ne me fera croire que les nombreuses institutions de charité, les créations chrétiennes qui ont élevé l'indigent à sa véritable dignité, qui ont eu pour but de le secourir dans toutes les phases de la misère, que ces institutions aient eu pour effet d'augmenter la misère.

Dans les temps barbares ces établissements n'existaient pas, et alors nous voyons l'humanité abandonnée à la brutalité des hommes riches et puissants ; mais sous le christianisme cela ne se voit pas.

Mieux vaut, dit-on, laisser ses biens dans le commerce ; ils deviennent l'objet d'un travail plus considérable ; le travail prévient la misère, il est plus utile que les secours.

Si l'argument était vrai, je dirais : Supprimez les bureaux de bienfaisance, supprimez les hospices richement dotés ; mettez tous ces biens dans le commerce ; laissez ces biens dans le commerce, l'indigence disparaîtra. Maïs non, vous ne le ferez pas. L'argument va trop loin. Sans doute, l'argument, dans une certaine mesure, a du vrai ; ainsi je ne nie pas que l'excès de l'amortissement des biens ne soit une véritable calamité dans un Etat ; mais nous disons aussi que l'amortissement, dans une certaine mesure, dans un but utile et bien employé, est une nécessité sociale qu'aucun gouvernement n'a répudiée, et qu'aucun gouvernement ne répudiera.

M. le ministre des finances, dans la séance d'hier, s'est prévalu de la discussion du Congrès sur l'article 20 de la Constitution. Je m'en prévaudrai à mon tour, mais dans un but différent. L'honorable ministre a oublié de vous citer le texte du projet de Constitution, qui a amené au sein du Congrès la discussion qu'il a rappelée. Il était formulé de telle manière qu'aucun bien ne pourrait être amorli au profit d'une association, si ce n'est en vertu d'une loi spéciale. En présence de ce projet, des propositions contraires ont surgi. L'une d'elles portait : Toute association, par le fait seul de sa constitution, aura droit d'amortir : 1° l'immeuble servant à sa constitution ; 2° des revenus modiques, mais suffisants pour la sustentation de chacun de ses membres.

Ainsi, d'une part restriction constitutionnelle à l'amortissement, d'autre part extension constitutionnelle au profit de la mainmorte.

Le Congrès n'a voulu ni de l'un ni de l'autre de ces systèmes. Quel est le système qui a prévalu ? Le système de MM. Van Meenen et Lebeau membres de l'union, qui ont toujours défendu les principes les plus libéraux, les plus larges.

Ici je puis citer une circonstance particulière et qualifier l'article 20 de la Constitution d'unioniste. Après la première discussion au Congrès, l'honorable M. Lebeau s'est entendu avec moi, et a proposé de supprimer de l'article du projet les paragraphes additionnels, laissant à la législature le soin de déterminer ce qu'elle croirait le plus utile dans sa sagesse.

Pourquoi le Congrès agit-il ainsi ? Il ne voulut pas consacrer un principe restrictif qui exigeait une loi spéciale pour chaque amortissement ; il ne voulut pas consacrer le droit d'amortissement en faveur de toutes les associations en l'absence d'une discussion approfondie qu'une matière aussi importante devait exiger.

Messieurs, les mainmortes pour institutions de bienfaisance ne sont pas les seules que le gouvernement soit autorisé à créer ; il crée une espèce de mainmorte chaque fois qu'il autorise une société anonyme dans un intérêt commercial ou industriel ; la durée en est limitée, il est vrai ? mais elle n'est pas moins une mainmorte ; à ceux qui exigent une loi spéciale pour chaque établissement de charité et ne veulent pas s'en rapporter au gouvernement, je dis que le même motif existerait pour la création de chaque société anonyme, qui a une aussi haute portée quant aux intérêts matériels.

Mettons, messieurs, un peu de générosité à l'endroit de la bienfaisance exercée au nom de la religion ; rappelons-nous que la charité est la fille de la religion chrétienne ; ne perdons pas de vue que s'il existe des maux physiques à soulager parmi les indigents, il existe aussi à soulager des maux moraux aussi graves, aussi sérieux que les maux physiques.

Mais, dit M. le ministre, le système que nous suivons n'a rien de désavantageux pour l'indigence ; les dons aux bureaux de bienfaisance et aux hospices continuent comme par le passé ; la charité n'est donc pas refroidie. Nous répondons que deux années d'expérience écoulées au moment où le gouvernement a arrêté sa statistique, ne prouvent pas pour le système général. Nous dirons d'ailleurs que beaucoup de legs ont été attribués aux bureaux de bienfaisance par le gouvernement contre lavolonté du testateur ; nous dirons en troisième lieu que plusieurs projets de fondations d'utilité publique en faveur de l'indigence ont été écartés, que d'autres n'ont pas été produits à cause des maximes que le gouvernement avait adoptées.

L'on a beau nous dire qu'en 1776 le nombre des malades, vieillards ou infirmes reçus dans les établissements publics de Bruxelles était beaucoup moins considérable qu'aujourd'hui ; à cela il y a plusieurs réponses à faire ; d'abord que les établissements que l'on cite n'étaient pas les seuls moyens de venir en aide à l'humanité souffrante ; nous dirons en second lieu que les hospices ont reçu une grande augmentation de richesses par l'attribution qui leur a été faite des biens de l'Eglise celés au domaine, et qui ont pu être révélés à leur profit ; nous dirons aussi que le temps aidant, les richesses des établissements publics doivent s'accumuler. La population d'ailleurs n'était pas aussi considérable qu'aujourd'hui, la différence est énorme.

Mais, nous demande-t-on, pourquoi voulez-vous innover à l'état actuel des choses ? Nous répondons que ce n'est pas nous, mais le cabinet qui innove. La loi française que le cabinet applique d'une manière si restrictive est appliquée dans un sens plus large en France même. La meilleure preuve c'est qu'une personne de ma connaissance, qui voulait fonder une institution en Belgique, rencontra des objections telles qu'elles la détournèrent de son projet.

(page 169) Elle s'adressa en France, où elle possédait aussi des biens ; elle étendit beaucoup la liberté pour l'institution qu'elle voulait fonder. Qu'arriva-t-il en France ? C'est que, sur le vu des pièces, presque par le retour du courrier, l'approbation du gouvernement fut donnée.

Et puis, nous n'en sommes plus aux lois françaises : le gouvernement des Pays-Bas avait, dans les règlements des villes et du plat-pays, donné une extension à ces lois, en permettant fréquemment la création d'administrations spéciales, et pour répondre à M. le ministre de la justice, qui demande si un curé peut être chargé de l'exécution d'une fondation, je déclare qu'il est à ma parfaite connaissance qu'une institution de ce genre, créée en Belgique sous l'empire de ces règlements, a reçu la sanction du roi des Pays-Bas. J'en parle avec pleine connaissance de cause ; car, avant tout, il me répugnerait d'avancer un fait hasardé, qui pourrait informer l'autorité de mes opinions.

Et puis, la loi communale dans quel but a-t-elle été faite ? Est-ce uniquement dans le but de régler l'administration des fondations que le roi Guillaume avait approuvées ? Evidemment non. Pour cela, la loi était inutile : ce que le roi Guillaume avait autorisé devait continuer à subsister, a moins d'être détruit par une loi nouvelle. Mais ces deux articles ont été inscrits dans la loi communale, pour perpétuer dans l'avenir le système du gouvernement des Pays-Bas. C'est l'honorable M. Dumortier qui a été l'auteur de l'amendement, comme il était le rapporteur de la section centrale. C'est avec cette interprétation que j'ai soutenu la discussion ; et mon honorable ami M. Dubus m'a également confirmé que telle avait été son opinion, quoique l'ancien ministre de la justice ait jugé convenable de lui attribuer ainsi qu'à moi, dans une circulaire, une opinion tout à fait opposée à celle que nous avons soutenue dans la chambre, et sur laquelle nous n'avons jamais varié.

Je dis donc que l'article 20 de la Constitution ne porte aucun obstacle à ce que le gouvernement soit investi du droit d'accorder, dans certaines circonstances, l'amortissement d'un établissement de charité.

Une autre considération qui doit engager la chambre à entrer plus largement dans la voie de la liberté en cette matière, c'est que la population va toujours croissant, c'est que l'industrie depuis 50 ans a pris un développement extraordinaire, que les infirmités que contractent les ouvriers dans les travaux industriels sont nombreuses, que les crises auxquelles l'industrie est sujette sont fréquentes. Nous sommes donc dans des conditions nouvelles, qui amènent de nouveaux besoins, et exigent de nouveaux remèdes.

Mais, dit-on, les sœurs hospitalières se sont récriées, lorsque le gouvernement leur a demandé compte de leur gestion ; elles devaient en rendre compte, conformément au décret de 1809. En ce qui concerne les comptes, il y a une distinction essentielle à faire. Si le gouvernement s'est borné à demander compte de l'imputation des biens amortis, avec l'autorisation du gouvernement, pour une destination spéciale, il était parfaitement dans son droit, et je ne doute pas qu'il ne soit satisfait à cette demande. Mais s'il va au-delà, les sœurs hospitalières ont raison de ne pas reconnaître au gouvernement un droit qui ne lui appartient pas.

Je conclus par des considérations toutes spéciales à la prise en considération.

D'abord, il est constant qu'il y a une loi à faire : j'en ai pour garant l'opinion de M. de Haussy, ancien ministre de la justice, l'opinion de M. le ministre de la justice actuel ; j'en ai pour garant le travail fait par la commission instituée par M. de Haussy. Il faut, dis-je, que la loi nouvelle détermine clairement quels sont les droits du gouvernement ; les testateurs ne peuvent plus rester dans l'incertitude sur le point de savoir si, quand ils ont fait une disposition charitable et chargé spécialement quelqu'un de l'exécution de cette dispositîon, cette fondation peut être attribuée à d'autres établissements, ou si la disposition des fonds peut avoir lieu par des personnes autres que celles qu'ils en ont chargées.

Voilà une chose que la loi doit définir d'une manière très précise, la limite des droits du gouvernement, et dans quel cas les dispositions du testateur peuvent être modifiées, dans quels cas elles sont nulles.

Il ne faut pas que des choses aussi sacrées que la volonté du testateur puissent être sujettes à doute, à ambiguïté. Il faut que l'on sache quels sont les droits du testateur, quelles sont les conséquences des dispositions qu'il a faites.

Mais, dit-on, si le gouvernement outrepasse ses pouvoirs, la faculté de recourir aux tribunaux est ouverte à tous les intéressés. Je réponds que c'est une faculté illusoire. Non pas que je conteste la compétence ou l'impartialité des tribunaux. Mais je dis qu'il est impossible qu'un exécuteur testamentaire engage à ses frais un procès de longue durée, qui l'exposera à des dépenses considérables, qu'il le gagne ou le perde. Non ! ces sortes de choses ne se font pas.

Si l'on veut bien accepter d'être l'exécuteur testamentaire d'une disposition de bienfaisance, le zèle va rarement jusqu'à consacrer une partie considérable de son temps et de sa fortune pour soutenir des procès.

Je dis en outre qu'il est reconnu par tout le monde (l'honorable M. Orts lui-même en a fait l'aveu) que, quelle que soit l'opinion que l'on professe, il y a des modifications à apporter au moins sous quelques rapports. Il faut que l'action de la charité soit élargie. Par quels moyens ? Dans quelles limites ? C'est ce que la loi aura à déterminer.

Le troisième moyen est l'insuffisance des institutions existantes. Nous l'avons démontré, les bureaux de bienfaisance en général, les hospices dans quelques localités, les dépôts de mendicité sont partout insuffisante à subvenir à tous les maux qui affligent l'humanité.

Et ici, messieurs, je ferai à la chambre une observation que j'ai faite souvent. C'est que si le rapport de la commission instituée par M. de Haussy avait pleinement adopté ses vues, si d'autre part cette commission avait décidé qu'il n'y avait rien à faire, il y a longtemps que son rapport figurerait parmi les documents parlementaires, il y a bien longtemps qu'il remplirait les colonnes du Moniteur, il y a longtemps que ce rapport eût été jeté à la face de l'opposition. Mais non, messieurs, il n'en est pas ainsi, et aussi longtemps que ce rapport ne sera pas publié, nous serons en droit de croire qu'il contient en germe la rectification de plusieurs de nos griefs.

Messieurs, la prise en considération n'est jamais refusée dans cette chambre ; ces errements sont constants depuis un grand nombre d'années. Et dans quelle circonstance la chambre dévierait-elle de sa jurisprudence ?^ C'est lorsqu'il s'agit d'un objet aussi essentiel, d'un objet d'un aussi haut intérêt.

Messieurs, veuillez-y réfléchir. En refusant de prendre la proposition en considération, vous ne calmerez pas les inquiétudes qui existent dans le pays à l'égard du système suivi depuis 1847. Ce grief subsistera dans son entier ; je dirai même que si la prise en considération est rejetée, ce grief acquerra une nouvelle intensité. C'est donc, messieurs, dans l'intérêt bien entendu du gouvernement, c'est dans l'intérêt de la chambre, c'est surtout dans l'intérêt du pays que je demande l'examen simultané du projet de l'honorable M. Dumortier et du projet que le gouvernement nous a annoncé.

- La séance est levée à 5 heures.