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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 6 février 1851

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1850-1851)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 615) M. A. Vandenpeereboom procède à l'appel nominal à deux heures et un quart.

M. le président. - Quarante membres seulement ont répondu à l'appel. Nous ferons le réappel dans dix minutes ; si alors on n'est pas en nombre nous remettrons la séance à demain et les noms des membres présents seront insérés au Moniteur, aux termes de l'article 12 bis du règlement.

- A 2 heures 20 minutes la chambre est en nombre et la séance est ouverte.

M. T’Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la précédente séance, dont la rédaction est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. A. Vandenpeereboom fait connaître l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« Plusieurs fabricants de couvertures de coton à Termonde demandent une réduction de droits d'entrée sur le déchet ou bien la faculté de payer les droits actuels sur déclaration, d'après la valeur du déchet. »

M. Vermeire. - Messieurs, cette pétition émane de plusieurs fabricants de couvertures de coton à Termonde, qui demandent une réduction de droits sur le déchet de coton. Ils font remarquer à la chambre qu'il y a, dans le pays, insuffisance de cette matière première, et ils croient pouvoir trouver en France de quoi suppléer à cette insuffisance ; mais les droits d'entrée sur le déchet de coton, qui ne vaut que 15 ou 25 centimes, sont égaux aux droits sur le coton en laine qui vaut au moins 2 francs. Comme l'industrie dont il s'agit emploie beaucoup d'ouvriers dans l'arrondissement de Termonde et notamment dans la ville de Termonde, où il y en a plus de 600 qui en vivent, la pétition est d'une très haute importance, et je demanderai qu'elle soit renvoyée à la commission d'industrie, avec prière de présenter un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.


M. A. Vandenpeereboom. - Plusieurs gardes civiques à Molenbeek-Saint-Jean demandent la révision de la loi sur la garde civique. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


M. Desoer fait connaître à la chambre ciu'une indisposition l'empêche d'assister à la séance de ce jour.

- Pris pour information.

Projet de loi ayant pour objet la restitution d’un droit d’enregistrement

Rapport de la section centrale

M. de Perceval dépose le rapport sur le projet de loi qui a pour objet la restitution d'un droit d'enregistrement.

- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et met le projet à l'ordre du jour entre les deux votes du projet de loi sur le régime hypothécaire.

Motions d’ordre

Droits sur les fils de lin et de cotons entreposés

M. Rodenbach. - Messieurs, lorsque j'ai fait hier ma motion d'ordre, conjointement avec M. de Muelenaere, M. le ministre de l'intérieur était absent ; je désirerais savoir s'il a pris connaissance de notre interpellation, par le Moniteur.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'ai lu la séance dans le Moniteur, et il me semble que la réponse de M. le ministre des finances est complète. Si cependant on le désire, je suis prêt à donner de nouvelles explications.

M. Rodenbach. - Je ferai remarquer à M. le ministre de l'intérieur qu'il n'y a que très peu de localités où l'on puisse faire usage de la faculté de prendre du fil étranger en entrepôt pour tisser des toiles destinées à l'exportation. Je désirerais savoir jusqu'à concurrence de quelle somme on a usé de cette faculté. C'est bien certainement dans les Flandres que l'on confectionne le plus de toiles, notamment dans les districts de Roulers, de Thielt et de Courtray ; eh bien, dans ces localités la mesure dont il s'agit n'a pas produit l'effet qu'on en désirait ; la cause en est qu'il fallait tisser la toile et l'exporter dans le délai de six mois, qui est évidemment trop court. Les fabricants que j'ai consultés à cet égard à Iseghem et à Roulers, m'ont dit : Nous trouvons l'arrêté utile et nous approuvons la mesure prise par le gouvernement, mais il devrait nous donner une année pour exporter nos toiles, au lieu de six mois. Jusqu'à présent nous n'avons pas pu profiter de l'arrêté.

C'est là le vœu qui a été exprimé par les fabricants du district de Roulers et autres arrondissements d'autant plus que, comme il y a fort peu de filatures de lin dans notre pays, ces établissements ont une espèce de monopole de la vente des fils de lin ; c'est la cause pour laquelle on a besoin de fil étranger pour le tissage.

Le gouvernement persiste à ne vouloir pas présenter un projet de loi pour la création d'une société d'exportation ; et il vient de supprimer les primes au grand regret du commerce. Il me semble qu'on doit dès lors recourir à tous les autres moyens possibles pour assurer de l'ouvrage aux ouvriers, et pour amener l'exportation des toiles. Je demande à M. le ministre de l'intérieur si, dans l'intérêt de l'industrie linière qui est souffrante, on ne pourrait pas accorder un an au lieu de six mois pour l'exportation des toiles. Sur cela il pourrait consulter les chambres de commerce dans les districts iiniers.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, l'article 40 de la loi sur les entrepôts autorise les fabricants à faire entrer libre de droits dans le pays la matière première, à charge de réexportation sous forme de fabricats ; cet article a reçu successivement son exécution depuis quelques années ; nous l'avons appliqué aux fils de fer à transformer en clous ; à certains tissus de coton destinés à recevoir la teinture dans le pays ; nous l'avons ensuite appliqué aux fils de lin et aux fils de coton. Cette dernière mesure n'avait d'abord qu'un caractère provisoire ; comme elle avait donné lieu à certaines réclamations, et qu'elle était entourée de certaines préventions, on n'a pas cru devoir la rendre tout d'abord définitive. Mais après une expérience de quelque durée, aucune réclamation ne s'étant produite, nous avons cru qu'il y avait lieu de rendre définive la mesure, en ce qui concerne les fils de coton et les fils de lin, lesquels sont admis sans droit dans le pays, à la condition d'être réerportés sous forme de tissus.

Cette mesure rentre dans les vœux de ceux qui veulent plus de stabilité, plus de garanties, plus de facilité dans l'exécution de l'article 40. En effet, aussi longtemps que la mesure n'était que provisoire, les fabricants qui transforment les fils en tissus, n'osaient rien entreprendre, dans la crainte de voir cesser l'application de l'article 40.

Aujourd'hui, cette mesure est définitive ; l'on a donc plus de garantie pour opérer. Le gouvernement ayant reconnu la mesure ulile, il faut supposer qu'il fera en sorte que cette mesure produise tous ses résultats.

Nous voulons favoriser autant que possible la main-d'œavre dans le pays, et je le répète, nous avons successivement appliqué l'article 40 à divers produits étrangers qui reçoivent la main-d'oeuvre dans le pays, et qui en sortent sous la forme de produits nouveaux.

Si donc, comme le disait hier M. le ministre des finances, il y a des mesures à prendre pour faciliter de plus en plus l'application de l'article 40, ces mesures seront prises pour autant qu'elles ne léseront ni le trésor, ni l'industrie. Je ne sais s'il y a d'autres points auxquels l'honorable M. Rodenbach désire que je réponde.

M. Rodenbach. - Je suis satisfait de la réponse de M. le ministre ; mais je le prierai de prendre des renseignements aux chambres de commerce, en Flandre, pour voir s'il ne vaudrait pas mieux que le délai pour la réexportation fût d'un an au lieu de six mois.

Le fil, en Belgique, est de 15 à 20 p. c. plus cher qu'en Angleterre ; nos fabricants ne peuvent se procurer ces fils dans notre pays qu'à des prix excessivement élevés.

La mesure qu'on a prise est bonne, je suis loin de l'avoir désapprouvée ; mais, je le répète, je voudrais qu'où accordât un délai d'un an au lieu de six mois pour réexporter la toile.

Pièces adressées à la chambre

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau, ainsi que je l'ai annoncé hier, le compte rendu, prescrit par l'article 3 de la loi du 21 juin 1850. Je demande à ajouter quelques explications verbales.

La loi de 1850 renferme deux dispositions distinctes. Par la première de ces dispositions, une somme d'un million est accordée au gouvernement, pour être employée à différents objets d'utilité publique énumérés dans la loi, notamment à la voirie vicinale, travaux d'assainissement, encouragements aux arts, à l'industrie et au commerce.

Par la seconde disposition, la loi autorise le gouvernement à appliquer à la même destination, les sommes qui devaient lui rentrer sur le crédit de deux millions, qui lui avait été alloué au mois d'avril 1848.

Le gouvernement, faisant un usage prudent de ce crédit de deux millions, n'avait pas abandonné aux communes ni aux particuliers la somme tout entière ; le gouvernement s'était réservé de rentrer dans une partie de ses avances. C'est ce qui a eu lieu. Sur la partie de cette somme de deux millions susceptible d'être remboursée, le gouvernement a recouvré déjà 427,000 fr. ; c'est cette somme de 427,000 fr. dont le gouvernement a fait réemploi en vertu de l'article 3 de la loi du 21 juin 1849, c'est aussi du réemploi de cette somme que je viens rendre compte à la chambre. Reste le million mis à la disposition du gouvernement en vertu de la même loi. La loi n'a pas exigé qu'il rendît compte de l'emploi de cette somme de un million ; cependant, messieurs, comme je n'ai aucun motif de ne pas mettre sous les yeux de la chambre tous les actes de l'administration, si la chambre le désire, je rendrai compte de l'emploi du million.

(page 161) Je désire, messieurs, que toutes ces opérations soient livrées à la plus grande publicité. Aucune d'elles n'a été destinée à être tenue secrète, tout le monde peut d'ailleurs en prendre connaissance en se rendant à notre belle et bonne institution de la cour des comptes. Là toutes les opérations sont à la portée de chacun.

Depuis trois ans et demi, au milieu des circonstances très difficiles que nous avons heureusement traversées, la chambre a mis à la disposition du gouvernement une première somme de 300,000 fr. destinée à venir en aide aux Flandres.

De ce crédit de 300,000 francs, il a été rendu compte à la chambre le 20 décembre 1848. Ce compte détaillé a été distribué aux membres de la chambre.

Le 18 avril 1848, une somme de 2 millions a été mise également à la disposition du gouvernement, pour être consacrée non plus seulement aux Flandres, mais au maintien du travail dans tout le pays.

De cette somme de deux millions, un compte spécial, détaillé, a été rendu à la chambre le 27 décembre 1849 ; il a été imprimé et distribué.

Vient maintenant le troisième et dernier crédit qui est d'un million, plus la faculté de réemployer les sommes rentrées sur le crédit de deux millions.

Aux termes de la loi, il doit être rendu compte du réemploi des sommes rentrées sur le crédit de deux millions. Je viens d'en rendre compte à la chambre en vertu de l'article 3 ; et je me propose de rendre également compte du million qui m'a été alloué par la même loi.

M. Vilain XIIII. - M. le ministre de l'intérieur se croit-il autorisé à réemployer de nouveau les sommes qui lui rentreront.Et jusqu'à quelle époque s'y croit-il autorisé ?

- Plusieurs membres. - Pendant trois ans.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Le gouvernement peut pendant trois ans faire réemploi des sommes qui rentreront. Sur le crédit de deux millions, ainsi que je l'ai dit, 427,000 francs ont été réemployés.

Une partie de cette somme, je l'espère, fera encore retour au trésor, bien que la chambre n'ait pas imposé au gouvernement l'obligation de disposer des fonds avec cette réserve. C'est par esprit de prudence et de saine économie que le gouvernement a fait des efforts pour s'en assurer le retour éventuel.

Bien entendu, les deux millions ne feront pas complètement retour à l'Etat. Le compte rendu a prouvé qu'il y a des sommes définitivement dépensées, notamment celles qui ont été appliquées à la voirie vicinale. Mais des sommes qui sont rentrées, celles que nous pourrons réemployer, nous les utiliserons.

Je crois la mesure irréprochable. Mieux vaut réemployer qu'abandonner définitivement.

La loi, d'ailleurs, nous y autorise.

M. Osy. - Je conviens qu'il y a doute, dans la loi du 21 juin 1849, sur le point de savoir si le gouvernement doit nous rendre compte du million, comme il rend compte du réemploi des sommes rentrées sur les deux millions.

M. le ministre de l'intérieur vient de dire que, si la chambre le trouve convenable, il rendra compte du million ; sous ce rapport, nous sommes tous d'accord.

Effectivement, le gouvernement a rendu compte de l'emploi de deux millions.

Ces pièces sont aux archives de la chambre, elles n'ont pas été examinées. Je demande donc que le rapport sur l'emploi du crédit de deux millions et le rapport qui sera fait sur l'emploi du crédit d'un million soient renvoyés à la commission des finances qui les examinera, et fera un rapport s'il est nécessaire.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je ne m'oppose pas à cette proposition ; au contraire, je demande qu'on y joigne le rapport sur l'emploi des 500,000 fr., alloués spécialement pour les Flandres.

Seraient donc renvoyés à la commission, ce dernier rapport qui a été imprimé ; le deuxième rapport sur le crédit de deux millions, un troisième rapport sur le réemploi de cette somme, et enfin le quatrième rapport que je promets sur l'emploi du million.

Puisque nous sommes en train de rendre des comptes, l'honorable M. Osy admet sans doute aussi le renvoi à la même commission des comptes des crédits ouverts en 1845 et 1846 à propos de la crise alimentaire. Vous savez que sous les ministères qui nous ont précédés, un crédit de 2 millions d'abord a été alloué en 1845 ; un autre crédit de 1,500,000 fr. a été alloué en 1846. Pour l'un et l'autre, il a été rendu compte par mes prédécesseurs. L'honorable M. Osy, je le répète, trouvera bon sans doute que ce compte soit renvoyé aussi à la commission des finances.

M. Osy. - Effectivement. Les rapports de 1845 et de 1846 sont anciens, mais je ne vois aucun inconvénient à les renvoyer également à la commission des finances qui ferait un seul rapport sur le tout.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Les allocations sont de la fin de 1845 et de 1846, et les rapports sur les crédits alloués de 1846 et de 1847.

M. Lebeau. - Je comprends que par un sentiment de délicatesse, exagéré peut-être, le gouvernement ne se refuse à aucune investigation de ses actes, surtout quand il s'agit de maniement de fonds. Mais je ne sais si on ne pousserait pas la chambre vers une voie dans laquelle elle n'est pas entrée jusqu'ici, en proposant d'instituer une espèce d'enquête, une sorte de commission spéciale. L'admission de cette proposition ne semblerait-elle pas frapper d'une sorte de suspicion la gestion du gouvernement ? Pourquoi faire examiner par une commission spéciale extraordinaire ce qui sera naturellement soumis à l'examen régulier, normal de la chambre, puisque cette partie de l'administration de M. le ministre de l'intérieur sera nécessairement soumise à nos délibérations lors de la discussion de son budget ? Cet examen sera aussi complet qu'on peut le désirer ; car il aura lieu en sections, en section centrale et en séance publique.

Je soumets mes scrupules à la chambre ; je l'engage à réfléchir un peu au précédent qu'on veut lui faire poser. Il va de soi que je n'accuse ni les intentions de M. Osy, ni celles de personne ; mais il y a peut-être ici, je le répète, de la part de M. le ministre de l'intérieur une exagération de délicatesse, fort naturelle d'ailleurs, dans l'acquiescement qu'il a donné à la proposition de M. Osy. Je crois qu'on doit s'en rapporter à l'examen, en sections, du budget de l'intérieur ; là chacun pourra se livrer à toutes les investigations qu'il jugera nécessaires, et certes, cet examen sera aussi complet que celui qui pourrait être fait par une commission. La cour des comptes, d'ailleurs, est là aussi pour dire le dernier mot sur l'emploi des crédits dont il s'agit.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je répète que je ne vois aucun inconvénient à ce que les comptes que j'ai rendus ou à rendre soient examinés par la chambre comme elle l'entend, sous toute forme, par toute espèce de commission ; si j'entrevoyais une pensée de défiance de la part de l'honorable M. Osy, je m'opposerais à sa proposition ; mais je ne crois pas qu'en demandant le renvoi à la commission des finances, il ait voulu jeter l'ombre d'un soupçon sur les opérations du gouvernement. S'il en était ainsi, je le répète, je combattrais sa motion.

Il est vrai que depuis que des comptes sont rendus, on n'a jamais employé ce procédé. C'est la première fois, je pense, que l'on parle de renvoyer à la commission des finances les comptes rendus des crédits spéciaux. Mais si l'on veut commencer ce système, je n'ai aucun motif de m'y opposer.

Je désire appeler la plus grande publicité sur les comptes rendus des crédits spéciaux. J'ose croire que le gouvernement n'aura que des éloges à recueillir de l'application générale qu'il a faile de ces fonds. Pour moi, personnellement, je ne m'oppose pas à la motion de l'honorable M. Osy. C'est à la chambre à décider si elle a à renvoyer ces comptes à l'examen de la commission des finances.

M. de Theux. - J'ai demandé la parole pour faire la même déclaration, en ce qui concerne les comptes relatifs aux fonds mis à la disposition du gouvernement, en 1846 et 1847, au moment de la crise alimentaire.

M. Rousselle. - Je pense aussi que la demande de l'honorable M. Osy a un caractère tout à fait insolite, et que la chambre ne doit pas entrer dans ce système.

Il suffit que le rapport de l'honorable minisire de l'intérieur soit imprimé et distribué à la chambre, comme l'ont été les précédents rapports.

Quant à la mission de la commission permanente des finances, elle s'exercera sur cette partie de la comptabilité de l'Etat comme sur toute autre partie, lorsque l'examen des comptes de l'exercice viendra ; mais je ne pense pas qu'il faille faire un examen spécial sur les comptes dont il s'agit en ce moment.

M. Cools. - Messieurs, je suis un peu étonné de voir la discussion se prolonger, lorsque l'honorable ministre de l'intérieur est tout à fait d'accord avec l'honorable M. Osy, qu'il n'y a aucun inconvénient à examiner les rapports qui nous sont soumis ou promis, sous toutes leurs faces et alors qu'aucune idée de suspicion n'a guidé l'honorable député d'Anvers à faire la proposition.

On conteste que la commission des finances soit chargée d'examiner les comptes de la nature de ceux dont il s'agit.

Mais si vous avez créé une commission des finances, c'est pour qu'elle fasse quelque chose, c'est pour examiner toutes les pièces financières qu sont présentées à la chambre.

Il paraît qu'on ne l'entend pas ainsi, que la commission des finances ne serait plus chargée que d'examiner des pièces ayant la forme de comptes. Je vais trop loin ; on ne veut pas même concéder cela. La commission des finances devrait se borner à examiner un seul compte spécial, celui qui se fait une fois par an, c'est-à-dire le compte de la gestion des budgets.

Je crois que vous avez créé une commission des finances pour faire quelque chose de plus, pour examiner les pièces financières sans distinction qui arrivent à la chambre.

Messieurs, les rapports qui nous occupent présentent deux caractères différents : ils ont un caractère administratif ; mais ils ont aussi un caractère financier. Du caractère administratif, on peut en parler à l'occasion, par exemple, de la discussion du budget de l'intérieur. Mais ils présentent aussi un côté financier qui ne doit pas être perdu de vue ; la question du remploi des fonds, la question de savoir ce qu'il faut faire des fonds qui rentrent successivement dans les caisses de l'Etat, ont certainement leur importance. Faut-il remployer ces fonds, ou faut-il en faire recette dans le trésor ? C'est sous ce rapport que la question mérite d'être examinée, et je ne vois pas pourquoi on veut contester la proposition de l'honorable M.Osy, qui a ce but, alors que le gouvernement s'y rallie.

(page 617) M. de Man d'Attenrode. - Messieurs, la cause de cette discussion provient d'une dissidence sur l'interprétation à donner à l'article 3 de la loi du 21 juin 1849, qui a accordé un crédit d'un million au département de l'intérieur.Comme le sens de cet article me semble fort clair, je vais vous donner lecture de cette disposition. En voici le texte ;

« Les rentrées à opérer sur le fonds spécial indiqué en l'article précédent, et celles qui pourront être remboursées sur le crédit de deux millions de francs alloué par la loi du 18 avril 1848, pourront être employées pendant une période de trois années aux dépenses désignées ci-dessus. Il sera rendu compte annuellement aux chambres des dépenses et recettes faites en vertu de la présente disposition. »

M. le ministre de l'intérieur a d'abord prétendu que l'article susmentionné ne l'obligeait pas à rendre compte des dépenses faites sur le crédit d’un million, que cette disposition ne l'obligeait à rendre compte que des rentrées faites sur ce million et de leur réemploi. Que l'on examine le dernier paragraphe, et l'on verra qu'il est clair que le gouvernement nous doit un compte des dépenses et des recettes. (Interruption.) Toute autre interprétation me semble peu conforme à l'esprit de la loi.

Aussi M. le ministre de l'intérieur a renoncé à cette interprétation, et ne s'oppose pas à nous soumettre un compte complet, je le reconnais.

Mais ce n'est pas sans étonnement que j'ai entendu les honorables MM. Lebeau et Rousselle...(interruption) s'opposer au renvoi à la commission des finances, en qualifiant la conduite du gouvernement d'excès de délicatesse, et en déclarant que cette proposition constituait un acte de méfiance.

Il n'y a là ni excès de délicatesee de la part du gouvernement ni méfiance de notre part.

C'est un devoir pour l'administration de rendre compte de ses actes, et notre devoir à nous est d'examiner avec soin les pièces qu'il nous soumet ; or, pour que cet examen soit sérieux, il convient de voter le renvoi à la commission des finances et des comptes. (Interruption.)

Si vous ne voulez pas m'entendre plus longtemps, c'est que vous êtes disposés à accueillir la proposition de l'honorable M. Osy ; et dès lors je n'ai rien à ajouter.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il m'importe, messieurs, de constater que je ne suis pas revenu de l'opinion que j'avais d'abord exprimée.

J'ai dit que la loi de 1849 m'oblige à rendre compte à la chambre des sommes réemployées sur le crédit de deux millions, mais qu'elle ne m'oblige pas à rendre un compte spécial de l'emploi du crédit d’un million ; je dois rendre compte aussi du réemploi des sommes qui pourraient rentrer sur ce million, mais quant au million lui-même je n'aurais pas à en rendre compte.

M. Malou. - Il y a des dépenses et des recettes.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Mais j'ai ajouté que je rendrais également compte de ce million. (Interruption.)

J'ai rendu encore d'autres comptes. Aux comptes que j'ai cités, je dois ajouter celui d'une somme de 300,000 fr. mise à la disposition du ministère précédent pour les défrichements. Ce compte, il faudra également le renvoyer à la commission des finances, avec la mission que la chambre voudra bien lui donner.

M. le président. - On est d'accord sur la question des comptes à rendre : des comptes ont été rendus, il en est un autre qu'on rendra ; sur ce point on est d'accord ; mais il paraît qu'on n'est pas d'accord sur la question de savoir si ces comptes seront renvoyés à la commission des finances. Je vais donc mettre cette dernière question aux voix.

- Le renvoi à la commission des finances est mis aux voix et adopté.

M. Malou. - Il reste à mettre aux voix une demande supplémentaire que M. le ministre a bien voulu faire ; je veux parler de la proposition de rendre nos comptes à nous. Je demande qu'elle soit appuyée par ceux même qui ne sont pas d'avis de rendre les leurs.

M. le président. - Il est entendu que le vote qui vient d'être émis concerne tous les comptes.

M. Malou. - J'avais compris qu'il ne s'agissait que des comptes à rendre par le ministère actuel,et j'ai demandé à ceux qui n'ont pas voté pour la reddition des comptes du ministère actuel de vouloir bien voter pour la reddition des nôtres.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il nous est impossible de laisser passer sans protestation l'imputation injurieuse, malveillante qui a été faite par M. Malou. (Interruption.) Personne, messieurs, n'a refusé de rendre ses comptes. Il est incroyable que, après avoir entendu M. le ministre de l'intérieur, M. Malou se soit permis de dire qu'on refusait de rendre des comptes.

M. Malou. - Je n'ai pas dit cela.

M. le ministre de la justice (M. Tesch) et M. de Brouckere. - Vous l’avez dit clairement.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je pose une seule question à l'honorable M. Malou : Entend-il que l'on rende compte de tous les crédits qui ont été ouverts pendant son ministère ?

M. Malou. - Je suis au regret d'avoir causé une certaine émotion dans la chambre et surtout au banc ministériel. Voici l'observation que j'ai faite, et dans ma pensée, elle n'a rien d'injurieux : après avoir constaté en fait que MM. les minisires ne se sont pas levés pour le renvoi à la commission des finances, j'ai demandé qu'ils voulussent bien se lever pour que le compte relatif au crédit des subsistances y fût renvoyé. (Interruption). Je pense, après tout, que l’interprétation de ma pensée et de ma parole m'appartient : si elle vous a présenté un autre sens et si j'en rétablis en ce moment le sens véritable, de quel droit contestez-vous l'exacltitude de mon explication ? J'ai signalé un fait ; s'il a quelque chose d'injurieux pour vous, selon votre appréciation, ce n'est pas de ma faute.

Je réponds maintenant à l'interpellation qui m'a été faite, tout en contestant aux ministres le droit d'interpeller un membre de la chambre. Je demande itérativement qu'il soit rendu compte de tous les crédits qui ont été accordés, comme vote de confiance, à l'administration dont je faisais partie, et que ces comptes soient renvoyés à l'examen de la commission des finances.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, je pensais que la manière dont je m'étais expliqué aurait pu satisfaire les gens les plus scrupuleux en matière de comptabilité. J'ai été le premier à appeler la glus grande publicité sur toutes nos opératiom. Il n’y avait donc pas lieu, ce me semble, au reproche qui nous a été adresse de la part de l'honorable M. Malou. Nous désirons qu'il puisse appeler aussi le plus grand jour, la plus grande publicité, le contrôle de la commission des finances et de la chambre, sur toutes les opérations financières auxquelles il a pris part. C'est le vœu que nous formons...

M. Malou. - C'est un vœu que j'avais fait moi-même.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - On n'a pas répondu d'une manière catégorique à une question très catégorique qui a été posée : Etes vous disposés à rendre compte de toutes les sommes que vous avez allouées sous votre administration ?

M. Malou. - Sans doute. Nous ne pouvons, du reste, pas nous en dispenser.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Nous vous y attendons.

M. le président. - Il y a encore deux orateurs inscrits ; on est d'accord ; je pense que la chambre doit reprendre son ordre du jour, (Oui !)

MfFO$. - Je demande la parole.

M. le président. - Si j'accorde la parole à M. le ministre des finances, il faudra, pour être juste, que je l'accorde aux membres qui demanderont à lui répondre.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'insiste pour avoir la parole. On a toujours le droit de se défendre, de répondre à une agression injuste. L'honorable M. Malou refuse à un ministre le droit de l'interpeller ; mais il y a aussi le droit, qui n'est pas contestable pour un député, d'interpeller un ancien ministre ; je pourrais en user au besoin.

Vous êtes disposé, dites-vous, à rendre compte de tous les crédits qui ont été mis à votre disposition, et qui ont été des actes de confiance de la chambre ; mais ma question n'avait pas pour objet ces crédits. il y a des sommes, des crédits dont on a disposé sans loi ; c'est à ces sommes que je faisais allusion.

Sous votre ministère, dans les premiers mois de l'année 1847, une convention portant engagement à concurrence d'un million a été faite au profit de l'industrie d'une de nos villes ; nous avons trouvé un premier crédit ouvert, lorsque le cabinet s'est constitué ; nous avons empêché que l'on continuât à exécuter la convention ; il y avait des engagements pris, pour une somme de 200,000 fr. ; cette somme a dû être payée, et elle est encore presque entièrement due au trésor.

M. Malou (pour un fait personnel). - Messieurs, je me rappelle parfaitement les circonstances auxquelles M. le ministre des finances vient de faire allusion. Cet acte, non pas du ministre des finances, mais de l'administration à laquelle j'ai eu l'honneur d'appartenir, j'en revendique ma part de responsabilité, j'en revendiquerais volontiers la responsabilité tout entière. Je désire que les motifs qui ont fait agir le gouvernement dans cette circonstance, et les résultats de son intervention soient soumis en même temps à l'examen de la commission des finances.

Il sera facile d'établir que l'acte posé par le gouvernement, sous sa responsabilité, n'était pas seulement légitime mais nécessaire, dans les circonstances où il a été posé, en l'absence des chambres.

J'espérais bien avoir un jour à m'expliquer sur ce fait, et j'y suis touf disposé. J'ai toutes les pièces nécessaires pour justifier les motifs qui ont fait agir le gouvernement et pour indiquer les résultais utiles qu'il se proposait d'obtenir.

Cet incident terminé, il me reste à remercier M. le ministre des finances d'avoir bien voulu préciser, par renonciation d'un fait, ce qui dans le principe n'était qu'une insinuation sous laquelle il ne pouvait pas me convenir de rester.

M. Delfosse. - L'honorable M. Malou, par des motifs que je ne veux pas rechercher, a fait un appel à ceux qui ne se sont pas levés pour le renvoi à la commission des finances. Je ne me suis levé ni pour ni contre, je me suis abstenu. Je n'avais nulle raison pour repousser l'examen à faire par la commission, je n'en avais pas non plus pour le désirer. Les pièces seront imprimées et distribuées, chacun de nous les (page 618) examinera, le public pourra aussi en prendre connaissance, et j'ai la conviction que la commission des finances n'y verra rien que chacun ne puisse y soir s'il veut se donner la peine de lire les pièces attentivement.

M. de Theux. - Messieurs, je remercie aussi M. le ministre des finances d'avoir indiqué le fait auquel il avait primitivement fait allusion. Pour moi, je compléterai l'indication.

Il s'agissait d'un arrangement pris avec la régence de Gand, et qui avait été spécialement traité par l'honorable M. Rolin, le collègue, pendant quelque temps, des membres du cabinet actuel. J'ai assez de confiance dans la loyauté de l'honorable M. Rolin, pour me reposer entièrement sur lui de la défense à prendre de cet acte, si l'acte avait besoin dl'être défendu.

Quant à la moralité du fait, je dirai que nous étions personnellement disposés à rester responsables de l'emploi des fonds, pour le cas où les chambres en auraient désapprouvé l'emploi pour le compte du gouvernement.

Cet acte était, de notre part, un acte de patriotisme, et je ne pensais pas qu'il put donner lieu a des critiques.

Ce n'est pas la première fois que j'ai pris part à une mesure semblable. L'administration n'a pas toujours été aussi facile qu'elle l'est aujourd'hui, une majorité forte allège aujourd'hui le fardeau de l'administration ; mais il y a eu des circonstances où le ministère s'exposait à une bien grande responsabilité, lorsqu'il prenait réellement à cœur les intérêts du pays, au point d'exposer personnellement sa fortune, en posant un acte qu'il croyait commandé par la nécessité impérieuse de la situation.

Dans un autre cas, j'ai également pris part à un acte de même nature ; jamais on ne m'a adressé de reproche de ce chef ; j'ai reçu, au contraire, à ce sujet, des remerciements ; je crois qu'il en sera encore de même de l'acte auquel on a fait allusion, quoique la majorité soit contraire à l'ancienne politique.

J'ai assez de confiance dans son équité pour ne point craindre la décision de la chambre.

Projet de loi sur la révision du régime hypothécaire

Discussion des articles

Chapitre III. Des hypothèques

Section I. Des hypothèques légales
Article 44

M. le président. - On a déposé sur le bureau deux nouveaux amendements : le premier est relatif à l'article 75, il est déposé par MM. Lelièvre et Deliége. Ces messieurs proposent d'énoncer à l'article 75 la disposition additionnelle suivante :

« Le créancier ayant une hypothèque spéciale dont le gage a été absorbé par un créancier ayant une hypothèque générale immédiatement antérieure est légalement subrogé dans les droits de ce dernier. »

Il y a un amendement de M. Moncheur à l'article 77 ; il tend à rédiger ainsi le n°2° de l'article 77 :

« Les noms, prénoms, domicile et profession des débiteurs et ceux des tiers détenteurs ayant possédé l'immeuble, endeans l'année qui a précédé l'inscription. »

- La chambre ordon ne l'impression de ces amendements, qui seront renvoyés à la commission.

M. Jullien. - Messieurs, le dernier orateur que vous avez entendu hier a parlé pour le projet du gouvernement. Comme je me propose de parler dans le même sens, il me semble qu'il conviendrait d'entendre l'honorable M. Orts, qui est l'adversaire du projet de loi.

M. Orts. - Messieurs, l'amendement que j'ai eu l'honneur de proposer à la chambre a rencontré dans la discussion deux espèces d'adversaires également écartés l'un et l'autre du principe qui sert de base à ma proposition.

J'ai eu à répondre à M. le ministre de la justice et au rapporteur de la commission, défendant leur œuvre collective. J'ai eu, d'autre part, à essuyer des critiques retombant en partie sur moi, et en partie sur le système du gouvernement, de la part d'honorables membres qui proposent, sinon le maintien de la loi actuelle, au moins quelque chose d'à peu près équivalent pour les avantages comme pour les défauts.

Mon intention n'est pas, au point où en est la discussion, de répondre d'une manière bien précise et bien complète aux observations d'honorables membres qui demandent le maintien du système actuel, qui demandent la conservation de cette hypothèque occulte et générale que la commission, comme moi, nous avons aussi repoussée. Cette opinion, aujourd'hui, n'est plus défendue que par de rares exceptions, même en dehors de cette enceinte, parmi les jurisconsultes, par les économistes, parmi tous ceux qui ont fait de ces matières l'objet ou le but de leurs études.

M. Vanden Branden de Reeth. - En Belgique.

M. Orts. - En Belgique et en France ; l'honorable M. Vanden Branden, qui m'interrompt, a cité hier son système comme ayant l'appui de la majorité des jurisconsultes au sein de l'Assemblée nationale, alors cependant que les discussions qui ont eu lieu nous prouvent que les hommes de science étaient plutôt contraires à ce système qu'ils ne lui étaient favorables.

Le véritable adversaire que je rencontre est évidemment le système du gouvernement et de la commission. Il y a trop loin de l'autre système au mien pour que je puisse espérer, par une réponse aux objections qui m'ont été faites, amener entre nous un rapprochement quelconque ou une conversion.

Je pars donc, en répondant, de ce point qu'on ne veut plus d'hypothèque occulte et d'hypothèque générale ; je m'adresse à ceux qui acceptent cette base de discussion ; là je puis espérer conquérir quelques partisans, ramener quelques voix à mon opinion ; entre les autres et moi il y a un abîme que je ne puis espérer combler.

Entre le système du gouvernement ou de la commission et le mien, quelle est la différence ? Mon système a été attaqué par les partisans du projet du gouvernement, à l'aide d'arguments passablement contradictoires.

Je signale cette observation ; car elle va démontrer que mes adversaires ne s'entendent pas sur l'atteinte si grave que mon système porterait aux idées qui ont dominé dans la conception du système du gouvernement.

M. le ministre de la justice me dit : Votre système est, vis-à-vis de la femme mariée, d'une rigueur à laquelle je ne puis me rallier. Vous faites du mari, sans responsabilité aucune, le dispensateur arbitraire de la fortune de la femme, une sorte de despote à l'endroit des intérêts pécuniaires de la femme.

D'un autre côté, l'honorable M. Lelièvre, parlant au nom de la commission, me dit : Votre système a pour conséquence nécessaire, inévitable, de mener tout droit, non au despotisme sans contrôle du mari, mais à l'émancipation directe de la femme qui doit reprendre, si votre système triomphe, l'administration de sa fortune aujourd'hui confiée à son mari. Vous allez réduire l'autorité martiale, me dit-on, tandis que M. le ministre de la justice m'accuse de vouloir la rendre trop forte, despotique même ; la commission, à part les aménités de langage, est bien près de me présenter comme prêchant ici l'évangile de la femme libre, comme menant sinon au socialisme, du moins à quelque chose de véhémentement soupçonné de saint-simonisme.

Entre ces deux reproches, il y a un juste milieu, qui est, je crois, la position de mon amendement. Ce juste milieu est de nature à rassurer M. le ministre de la justice et l'honorable M. Lelièvre à la fois, aux deux points de vue opposés auxquels ils se sont placés.

En définitive, qu'y a-t-il entre le projet du gouvernement et le mien ?

Peu de chose en résultat ; une très grande, très importante chose en théorie. Il y a, entre le système du gouvernement et le mien, quelque chose de plus d'un côté, quelque chose de moins de l'autre. C'est la franchise. Mon système est net, vrai, il se présente à visage découvert. Ce qui distingue le système du gouvernement de mon système, c'est un masque, et comme un masque ne sert qu'à tromper, je l'arrache, je veux la vérité toute nue.

Je dis donc que mon système repose sur la même idée que celui du gouvernement, avec cette seule différence que, dans mon système, l'idée est nette et franche et qu'elle ne l'est pas dans l'autre.

Dans le système du gouvernement, qu'avez-vous de plus que dans le mien ? Je dis : La femme fixera l'étendue de ses droits hypothécaires par son contrat de mariage. Je ne veux pas que, après avoir accepté les charges et les espérances de la communauté, elle vienne modifier sa position au préjudice des tiers.

Le gouvernement donne aux représentants des intérêts de la femme la faculté illusoire d'augmenter son droit, le droit que je lui concède. Ainsi il y a de plus dans le système du gouvernement, pour la femme ou les protecteurs des intérêts de la femme, une faculté illusoire sans garantie qui, en définitive, n'est sérieuse que quand elle devient une tracasserie pour le mari. La facilité en réalité est sans avantage pour la femme, d'inscrire une hypothèque pendant la durée du mariage.

Maintenant suis-je donc d'une rigueur extrême quand de cette faculté menteuse, tracassière, je fais bon marché ? Si je suis trop rigoureux dans cette position, je partage cette rigueur avec une loi que le gouvernement a défendue devant vous lors de la discussion du projet de loi sur les faillites. Cette loi, vous l'aviez admise quand elle devait régir les intérêts de la femme dans la situation où elle est plus que jamais exposée à se voir ruiner par les opérations de son mari.

En effet, lorsqu'il s'agit de commerçants, en cas d'insuccès, j'ai, grâce à vous, pour garantir l'avoir de la femme, une seule hypothèque ; celle dont je vous demande de faire le droit commun... (Interruption.) Exactement la même chose, et c'est ce que je vais démontrer.

Aujourd'hui la femme qui épouse un commerçant, ne peut espérer d'hypothèque légale que sur les immeubles que son mari possède en propre, le jour du mariage.

Que viens-je demander ? D'autoriser toute femme qui se marie de stipuler, par son contrat de mariage, une hypothèque sur tous les biens propres au mari au moment où se contracte le mariage.

Je vous demande, sauf la publicité en plus, ce qui existe pour la femme du commerçant, pour cette femme qui est plus qu'une autre, quant à sa ruine, livrée au caprice de son mari. On a invoqué contre moi, comme raisons, la touchante sollicitude des rédacteurs du Code civil envers les droits éventuels de la femme sur les biens de son mari. Aussi, avais-je besoin de rappeler déjà que, dans la discussion du Code de commerce, ces mêmes hommes avaient reconnu qu'ils avaient été trop loin dans les dispositions du Code civil ; et qu'il fallait amoindrir les faveurs, les privilèges trop libéralement concédés à la femme. On présentait cela comme une idée parfaitement morale et juste, comme conforme avec la position qui doit appartenir à la femme dans l'état de mariage.

L'orateur du tribunal, M. Tarrible, qui avait pris une large part à la (page 619) discussion du titre des hypothèques, lors de la préparation du Code civil, faisait à ce sujet le plus éclatant acte de contrition possible en parlant au nom du corps dont il était membre, à propos de la discussion du Code de commerce.

Que la chambre me permette de placer sous ses yeux les paroles que ce jurisconsulte éminent, un des principaux auteurs du titre des hypothèques, faisait entendre au nom du tribunat.

« La femme qui s'unit à un commerçant s'unit aussi à sa fortune. Elle peut chercher sa sécurité dans les immeubles que son mari possède en ce moment (au moment du contrat), et qui paraissent placés hors du tourbillon du négoce ; mais elle ne peut asseoir que des espérances incertaines sur les fonds actuels du commerce et les métamorphoses nombreuses et rapides qu'ils sont destinés à subir.

« La femme, plus intimement liée au sort du débiteur qu'à celui des créanciers, est par-dessus tout intéressée à obtenir dans le commerce des bénéfices qu'elle doit parlager avec son mari, et elle ne peut, lorsque les événements trompent son attente, isoler sa cause et chercher son salut exclusif dans les débris d'une fortune qui ne pourrait acquérir de la consistance que par des succès et devient une illusion lorsque les dettes absorbent toutes les valeurs réelles. »

Qu'on ne dise pas qu'il s'agissait là de droit exceptionnel. Dans la réalité, remarquons-le, en dehors de la position de la femme qui épouse un commerçant, les ruines, en vue desquelles l'hypothèque légale a été introduite, sont de rares exceptions. Ce n'est pas sur de rares exceptions qu'il faut bâtir le droit commun.

J'avais insisté principalement, pour motiver la proposition que j'ai eu l'honneur de développer devant la chambre, sur cette considération que la femme appelée à faire valoir l'hypothèque légale contre les créanciers de son mari, puise d'ordinaire le principe de son action dans un fait volontaire, un fait d'abdication de son droit, librement consenti pendant la durée du mariage.

Si mon point de départ est vrai, mon système devient évidemment équitable. On ne peut, sans aller au-delà de ce qui est la mission naturelle du législateur, être plus prévoyant que la personne chargée elle-même de la direction de ses propres intérêts, à une époque où elle était parfaitement libre de prendre, pour la conservation de ses intérêts, toutes les mesures que dicte la prudence.

C'est un danger grave, pour le législateur, de vouloir jouer partout et toujours le rôle de la Providence et se placer au-dessus de la prévoyance individuelle. A moins de soutenir (ce qu’on ne prétend plus aujourd'hui) que la femme est un être complétement incapable de diriger ses intérêts, en cette matière comme en toute autre, il ne faut pas que la loi prenne des précautions que ne juge pas à propos de prendre l'individu que la loi est appelée à régir. Tout le monde alors se fie à la loi et à l'autorité chargée de l'exécuter, et c'est à la loi et à l'autorité qu'on s'en prend de tous les mécomptes que peut apporter l'avenir.

La base que j'ai choisie, on me l'a contestée ; on dit : Il est inexact que la femme ne soit jamais appelée à faire valoir l'hypothèque légale si ce n'est après abandon volontaire de certaines parties de son pouvoir. Il est une foule de cas, a-t-on ajouté, où la femme est forcée d'aliéner malgré elle. C'est pour ce cas que nous lui donnons le droit d'hypothèque légale pendant le mariage. Telle est l'opinion qu'ont soutenue tous mes adversaires les uns après les autres. M. le ministre de la justice a cité certains cas ; M. Lclièvre en a cité d'autres ; M. Thibaut a invoqué tantôt les uns ou les autres, tantôt les hypothèses que lui a dictées sa fantaisie.

Voici à quoi tout cela se réduit en définitive.

On dit : La femme est exposée à devoir aliéner, malgré elle, ses biens pendant le mariage, et le prix de ces biens est représenté par une somme d'argent que le mari peut aliéner.

Il arrive, dit M. le ministre de la justice, que des biens mobiliers sont donnés à la femme par acte entre-vifs ou par testament, avec la condition qu'ils n'entreront pas en communauté.

Il arrive qu'un bien soit aliéné par expropriation pour cause d'utilité publique, et que l'argent qui en provient soit mis à la disposition du mari.

Enfin il peut arriver (ce cas avait été cité sous la forme d'une interruption à laquelle je croyais avoir répondu, lorsque j'ai pris une première fois la parole), que par contrat de mariage la femme exclue de la communauté une certaine quantité de valeurs mobilières.

Dans ces quatre objections, il en est une que je considère comme sérieuse et réelle, mais à laquelle je ne suis pas embarrassé de répondre.

Quant aux trois autres, elles ne tiennent pas, ou elles résultent de circonstances tellement exceptionnelles, qu'encore une fois c'est faire une œuvre sans utilité que les prendre pour base de l'établissement d'un droit commun.

J'arrive aux biens mobiliers donnés à la femme entre-vifs ou par testament à la condition qu'ils ne tomberont pas en communauté. Cette objection, je ne l'admets pas, par deux raisons : la première, c'est que ce que l'on suppose n'est pas précisément légal ; c'est qu'on ne peut, par donation ou par testament, apporter des modifications au régime matrimonial. En second lieu, l'on peut éviter que la donation ne tombe dans la communauté en donnant un immeuble ou en imposant à l'exécuteur testamentaire l'obligation de convertir en un immeuble la valeur immobilière.

C'est, du reste, un fait exceptionnel qui ne se présentera guère et qui, le donateur averti par votre loi nouvelle, ne se présentera plus.

Vient l'exclusion contractuelle. On peut, sans doute, exclure ainsi des meubles de la communauté. Mais du moment qu'il s'agit de clauses conventionnelles inscrites dans le contrat de mariage, on peut, en même temps qu'on exclut certains meubles de la communauté, prendre l'hypothèque conventionnelle, ou se retourner, à son défaut, vers une autre stipulation protectrice de la femme.

Reste l'objection grave : c'est l'aliénation forcée. Pour l'aliénation forcée à la suite de partage ou de licilalion, il y a un remède auquel, pour ce cas comme pour bien d'autres, on n'a pas assez souvent songé, quand on a voulu refaire le système hypothécaire, au point de vue de la femme et des mineurs. Ce remède consiste, non à outrer l'hypothèque légale de la femme, mais à toucher à une partie de la législation, à laquelle les novateurs hypothécaires ont trop souvent oublié de toucher pour compléter leur oeuvre, pour la rendre exempte de toute objection. Nous partageons ce tort grave avec les législateurs des autres pays, si ce n'est peut-être avec la Hollande et l'Allemagne ; nous voulons toucher au régime hypothécaire en ce qui concerne les hypothèques des femmes et des mineurs, sans toucher à certaines dispositions qui, dans le Code civil, ont été coordonnées en vue du système hypothécaire en cette matière, c'est-à-dire au droit des maris et des tuteurs.

Lorsqu'on a fait ce que nous faisons maintenant, dans les pays qui nous environnent, on a suivi une marche que je regrette de ne pas voir suivre ici, on a pris des précautions corrélatives dans la loi réglant la tutelle et le régime matrimonial.

On m'a reproché d'avoir, à l'aide de mon système, fait du mari dans la société conjugale une sorte de lion prenant la plus grosse part comme dans la société de la fable. Mais que M. le ministre, s'il se défie de ce lion, consente à lui rogner un peu les ongles en ce qui concerne la part qu'il prend, et nous serons bientôt d'accord. La loi pourrait faire, par exemple, ce qui, dans la pratique, se fait souvent, à défaut de législation, pour éviter les inconvénients que M. le ministre signalait ; ce qu'on fait pour les mineurs qui sont, pour ce cas, dans la même situation que la femme.

Lorsque l'aliénation s'opère à la suite d'une licitation, si l'autorité ou l'officier public qui intervient était chargé par la loi comme aujourd'hui l'en charge la jurisprudence, lorsque l'action des tribunaux est sollicitée pour une licitalion, s'il était chargé de faire immédiatement l'emploi du prix de la vente en immeubles avant de lâcher le prix soit au mari, soit au tuteur, vous auriez évité l'inconvénient que vous signalait M. le ministre de la justice.

Du reste, je le répète, cet inconvénient me touche peu ; l'inconvénient ne sera jamais évité ; la femme fera ce qu'elle fait toujours, elle fera bon marché de son hypothèque légale, chose que le système du gouvernement n'évitera pas.

Le gouvernement est obligé de le reconnaître, comme tous ceux qui ont défendu son système l'ont reconnu avant lui.

Nous sommes, dans l'appréciation de cette question, placés à un point de vue qui ne me paraît pas exact. Nous raisonnons toujours comme si les droits du mari sur les choses de la communauté et même sur la fortune de sa femme devaient être nécessairement restreints en bonne justice, en bonne législation ; nous partons toujours de cette idée qu'il doit y avoir une distinction, une division profonde, dans l'association conjugale, entre l'intérêt de la femme et l'intérêt du mari.

Eh bien ! c'est là un point de vue faux, surtout dans un pays où le système de la communauté, de la communauté la plus large, est un système traditionnel.

Et ce système, messieurs, en théorie comme en tradition, est le bon, le vrai système.

Rappelons-nous, messieurs, que nous vivons en Belgique sous l'empire d'anciennes idées ; qu'elles dominent encore nos mœurs d'aujourd'hui, malgré les lois étrangères qui sont venues modifier quelque peu ces idées nationales depuis à peu près un demi-siècle.

Nous subissons encore aujourd'hui, dans nos contrats, l'empire d'idées anciennes tendant à faire considérer la femme comme liée intimement au sort de son mari. On n'a pas oublié que, dans la plupart de nos vieilles coutumes, la femme était responsable, à la dissolution de la communauté, de toutes les dettes contractées pendant cette communauté ; tellement responsable que dans plusieurs de ces anciennes coutumes belges la femme ne pouvait décliner sa responsabilité.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - C'était une exception.

M. Orts. - Ce n'est pas une exception, M. le ministre ; rappelez-vous les coutumes de la province à laquelle vous appartenez, de la province du Luxembourg, et vous verrez que la femme était héritière mobilière de son mari.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - C'est une erreur très grave. La femme avait le droit de renoncer à la communauté et de plus elle avait une hypothèque légale.

M. Orts. - Elle avait une hypothèque légale en cas de stipulation dotale, et c'est ce que je propose.

J'ajoute que, dans la majeure partie de nos coutumes, la femme était héritière mobilière de son mari. La défense de renoncer était une exception, je le reconnais, et je n'ai point affirmé que cette dernière disposition fit règle.

Le vrai régime, messieurs, le régime national, traditionnel dans tous les pays qui sont en communauté d'habitudes et de mœurs avec nous, ce n'est pas la communauté réduite du Code civil, c'est la communauté universelle.

(page 620) Aussi voyez les pays germaniques, qui, pour refaire le droit imposé par la conquête, sont remontés à leur origine ; ils ont substitué un système de communauté plus intime au système du législateur français.

Je ne vois pas, messieurs, pourquoi vous n'en reviendrez pas à associer de plus près et davantage la femme au succès des affaires du ménage. Agir autrement, ce serait dénier à la femme toute espèce de puissance, même à titre de conseil, même à titre d'influence officieuse sur la direction que le mari donne aux affaires de la communauté.

Mais, messieurs, la question n'est pas là.

La question n'est pas placée entre le gouvernement et moi sur ce terrain. La question est de savoir si la faculté qu'offre le système du gouvernement est une faculté sérieuse, si la faculté qu'il offre de prendre des hypothèques pendant le mariage pourra être bonne à autre chose qu'à tromper les tiers ou à apporter des entraves à l'administration du mari. Eh bien, je dis que, sous ce rapport, rien de ce que j'ai objecté n'a été renversé ; ce que j'ai dit sur l'inutilité, l'inefficacité, les dangers même de cette faculté restent debout.

M. le ministre de la justice convient avec moi que, dans la majeure partie des cas, on ne prendra pas d'hypothèque légale pour la femme, que la femme n'en prendra pas davantage pendant la durée du mariage, qu'ainsi, en règle générale, les hypothèques légales ne se manifesteront pas ; et M. le ministre croit si bien qu'il y aurait un danger à voir les prescriptions de la loi s'exécuter à la lettre, qu'il m'a même reproché d'être tombé dans ce vice beaucoup plus avant que le projet du gouvernement. Mais si la faculté offerte est complètement illusoire, si elle ne peut servir qu'à tracasser, pourquoi la conserver ? Où est son utilité ? Où est son but ?

La faculté est ouverte au profit de la femme ; elle est ouverte au profil du mari.

Quant au mari, je doute qu'il en use.

S'il en use, ce ne sera que dans une seule circonstance : lorsque, se joignant à sa femme, il voudra porter préjudice à ses créanciers, il voudra trouver les moyens de soustraire quelque chose au gage sur lequel ils comptent. Laisons donc de côté l'intervention du mari ; elle ne peut être que contraire aux règles de la justice et de l'équité.

La femme pourra seule pendant le mariage prendre des hypothèques sur les biens de son mari. Mais, je l'ai dit, c'est solliciter, de la part de la femme, des procès ; c'est porter atteinte à la bonne intelligence qui doit régner, dans le malheur surtout, entre les époux ; c'est porter atteinte à la considération du mari vis-à-vis du public, vis-à-vis de sa propre famille, vis-à-vis de ses enfants.

Mais, dit M. le ministre, votre système marche beaucoup plus vite que le mien vers cet inconvénient ; en effet, votre système provoque la séparation de biens, séparation que mon système mixte permettra d'éviter en substituant à la demande de séparation une prise d'inscription.

Messieurs, il n'y a pas une large différence entre les deux systèmes. Pour obtenir la séparation de biens, il faut que la femme ait réellement perdu quelque chose ou qu'elle soit à la veille d'un danger imminent. La prise d'inscription peut se faire sans qu'il y ait le moindre danger pour des créances éventuelles, pour des créances qui ne courent aucun risque. On n'est donc pas en droit de rétorquer contre mon système les inconvénients que j'ai signalés dans le système du gouvernement. Il y a entre eux la différence de la réalité à la fiction, de ce qui est vrai à ce qui ne l'est pas, du péril à la menace.

Le gouvernement fonde encore son espoir sur l'intervention des parents et du ministère public. Je dis que cette intervention est dangereuse.

Vous voulez que les parents ou amis aillent prendre une hypothèque légale sur les biens du mari, quand la femme peut-être n'en voudra pas. Pour ma part, je doute fort que des parents ou amis songent à intervenir dans ces sortes d'affaires ; les parents et amis savent très bien qu'il n'est pas bon d'intervenir entre femme et mari ; ils savent, depuis Molière, que le parti le plus sage est le respect pour le principe de non-intervention ; qu'au voisin qui se hasarde entre le mari qui bat sa femme, cette dernière répond : « Et s'il me plait à moi d'être battue ! » D'autre part, un obstacle matériel arrêtera les parents et les amis. Lorsque les parents et les amis voudront prendre une hypothèque légale dans un but d'utilité pour la femme, il se trouvera devant eux un conservateur d'hypothèques qui dira : Votre intervention nécessite le payement préalable de certains frais.

M. le ministre de la justice croit-il que beaucoup de parents et beaucoup d'amis iront prendre dans leur poche de quoi sauvegarder les droits de la femme ? Pour ma part, j'en doute excessivement fort, et je crois que c'est se faire grande illusion que d'espérer le contraire, à l'endroit du désintéressement général dans l'état actuel de la société.

Et quand il s'agira du ministère public, dans quelle poche encore se prendront les frais relatifs à l'inscription ? Sera-ce comme les frais de justice au budget du département qu'on ira prélever quelques centaines de mille francs dans ce but ? Ferez-vous le recouvrement de ces avances sur les maris, alors que les maris se trouveront dans une position d'affaires dérangées ? Ce serait un nouvel et singulier emploi des deniers de l'Etat.

Remarquez maintenant que ces prises d'hypothèques pour la femme mènent à un dernier danger que je vais signaler.

Il est décidé que quand la femme aura usé, pendant son mariage, de la faculté de prendre hypothèque, elle ne pourra plus y renoncer ; l'hypothèque, d'après le projet, devient immuable, lorsqu’elle est prise par la femme. Eh bien, quand une femme, dans un moment de mauvaise humeur, aura pris une hypothèque parfaitement inutile sur les biens de son mari, il faudra une procédure tout entière pour la faire disparaître. Vous aurez donc les vices que j'ai signalés en terminant les développements de mon amendement ; vous aurez des hypothèques pour ainsi dire inaliénables. Vous porterez l'atteinte la plus grave au crédit.

J'ai reproché au système du gouvernement d'avoir contre lui l'expérience, et M. le ministre de la justice a cru sur ce point me battre par l'opinion de ceux qui ont appuyé jusqu'ici mon système. J'avais dit : « Le système du gouvernement a fonctionné jusqu'au Code civil sous l'empire de la loi de brumaire an VII ; les partisans de cette loi au conseil d'Etat ont reconnu que la loi était inefficace, comme sauvegarde des droits de la femme, en ce qui concerne la faculté d'inscription, ouverte au profit de tiers. »

Qu'a fait M. le ministre de la justice pour repousser cette argumentation ? Il est allé prendre un passage du discours prononcé par M. Wolowski devant l'assemblée nationale de France. ! L'aulorilé était assez mal choisie, car M. Wolowski, d'accord avec un des jurisconsultes les plus éminents de France, M. Valette, professeur de droit à la faculté de Paris, demandait précisément à la chambre de France ce que je demande dans le parlement belge ; M. Wolovvski, en définitive, disait devant la chambre française, non pas que la faculté d'inscription ouverte par la loi de brumaire an VII, était inutile pouv la femme ; mais il disait que la loi de brumaire, en tant qu'elle avait forcé les hypothèques légales à se manifester, au lieu de rester occultes, que cette loi était approuvée par la majeure partie des hauts corps judiciaires français ; c'est à l'appui de ce certificat donné à la loi de brumaire, au point de vue de la publicité, que M. Wolowski citait et la cour de cassation et les cours belges qui s'étaient rangées à cette opinion, à l'époque où la Belgique était réunie à la France. Tout le monde était d'accord, dès cette époque (comme le dit le premier parmi les jurisconsultes contemporains de France, le président Troplong, dans la préface de son traité des hypothèques), tout le monde s'accordait déjà pour reconnaître que la faculté d'inscription au profit du ministère public était complètement illusoire ; qu'elle était tombée en désuétude au bout de peu de temps.

Je fais une dernière observation quant à la faculté ouverte aux parents, et je dis que cette faculté est plus nuisible qu'utile.

Les parents peuvent avoir, dans une foule de cas, des intérêts contraires à ceux de la femme et à ceux du mari.

Si une femme consent à s'obliger avec son mari, consent à poser des actes qui donnent ouverture à une créance garantie par une hypothèque légale, il pourra se faire que, contre le gré de la femme, les parents prennent des hypothèques, et ils pourront y être menés par esprit de cupidité personnelle.

La faculté s'étend aux parents du troisième degré. Or, il peut arriver que, parmi ces parents, il y ait des individus appelés à hériter éventuellement de la femme mariée qui n'aura pas d'enfants.

Pour frapper d'indisponibilité une partie notable du patrimoine de cette femme à leur profit, pour se conserver une succession non encore ouverte et ce au préjudice du mari, ils iront, pendant le mariage, prendre toutes les hypothèques légales possibles, au risque même d'avoir quelques démêlés avec la justice. Ce sera toujours du temps de gagné pour eux. C'est, comme on le dit avec raison à mes côtés, une conduite que pourront tenir particulièrement certains neveux à l'égard de certaines tantes.

Prenez des parents d'un degré même plus rapproché. Je suppose un frère et une sœur, succédant à des parents qui ont exercé un commerce avec honneur et avec fruit, et qui ont inspiré pour leur nom une grande confiance au public ; la fille mariée exerce le même commerce, le frère le continue également de son côté ; voilà deux maisons qui sont évidemment en rivalité d'intérêts. Pour entraver le crédit du mari, ne peut-il pas arriver que le frère ou quelque autre parent plus éloigné, qu'un neveu encore par exemple, que je suppose dans la même position, vienne prendre hypothèque malgré la femme et le mari sur les biens de la femme ? On ruinera ainsi, sous couleur d'un acte de protection, les opérations industrielles ou commerciales que le mari dirige en concurrence avec ce parent. Cela peut arriver et, dès lors, avec la puissance dissolvante qu'exerce aujourd'hui l'intérêt sur les liens de famille, cela arrivera, gardez-vous d'en douter.

Voilà, messieurs, des inconvénients sérieux, des inconvénients pratiques, et j'espère qu'ils vous engageront à réfléchir sur l'unique différence qui existe, je le répète, entre le système du gouvernement et le mien.

Je le dis encore une fois avec une profonde conviction, la discussion n'est pas entre le système du gouvernement et le mien ; la discussion est entre le principe de l'hypothèque occulte, qui sauvegarde outre-mesure les droits de la femme et l'hypothèque que vous trouvez, comme le législateur précédent, suffisante pour sauvegarder les droits de la femme, alors que son mari est commerçant. Je pense que la chambre, convaincue de l'exactitude de cette appréciation, adoptera l'amendement que je propose et qui ramènera la vérité dans la loi.

M. Jullien. - Messieurs, si j'ai demandé la parole, ce n'est pas que j'aie la prétention d'apporter quelque argument nouveau dans cette discussion à peu près épuisée.

(page 621) Je tiens seulement à mettre en relief les inconvénients des systèmes opposés à celui du gouvernement et à vour déclarer que je voterai pour ce dernier système, que je considère comme étant le plus acceptable et, en tout cas, le moins mauvais.

Trois systèmes sont nettement dessinés. Selon le premier, qui est celui du Code civil et que proposent nos honorables collègues MM. Thibaut et Vanden Branden de Reeth, la loi serait l'unique titre de l'hypothèque de la femme mariée ; cette hypothèque continuerait d'être générale et occulte et par conséquent dispensée de toute espèce d'inscription pendant le mariage. L'honorable M. Orts disait tout à l'heure que ce système avait fait son temps, et je me range entièrement à son avis. Un système qui n'assure aucune publicité à l'hypothèque, qui ne garantit aucune spécialité à l'inscription, est un système fatal au crédit du débiteur, fatal aux préteurs et préjudiciable à la femme elle-même.

D'abord, messieurs, aujourd'hui un prêteur ne peut vérifler avec certitude quelle est l'étendue des charges grevant les propriétés qui lui sont offertes en garantie. Il y a pour lui, sous ce rapport, manque de sécurité, exigeât-il même l'accession de la femme ; car les immeubles peuvent avoir été précédemment possédés par d'autres propriétaires dont les mariages, qui ne lui sont point révélés, auraient donné naissance à des hypothèques qui resteront occultes. Aujourd'hui, en effet, le prêteur n'a pas même la ressource qu'a le tiers acquéreur, la ressource de la purge légale au moyen de laquelle il pourrait obtenir la preuve de la liberté de l'immeuble qui doit servir de gage à sa créance, et les honorables membres qui ont reproduit le système du Code civil ne nous ont présenté aucun mode d'une semblable purge.

C'est là une lacune qu'il serait bien difficile, si pas impossible de combler. A la vérité, l'honorable M. Thibaut nous a parlé d'un système de purge à l'aide duquel on pourrait arriver, soit à un remploi des fonds de la femme, soit pour acquitter des dettes du mari antérieures au mariage, soit pour acquérir des biens qui seraient propres à la femme, soit pour améliorer les immeubles dont elle serait déjà propriétaire ; mais l'honorable M. Thibaut perd de vue que la purge légale conduit nécessairement à un dessaisissement de fonds de la part de celui qui l'opère.

Supposez, messieurs, qu'un tiers acquéreur, qu'un tiers bailleur de fonds, fasse purger toutes les hypothèques légales qui peuvent grever la propriété acquise ou offerte en gage des capitaux empruntés ; à qui versera-t-il ses fonds ? sera-ce entre les mains de la femme ? Non, il les versera entre les mains du mari, qui en aura ainsi la disposition. On pourra les consigner, dit l'honorable M. Thibaut, qui m'interrompt ; mais, messieurs, le mari en vertu de ses droits de mari, retirera la consignation.

Ainsi, le système de la purge légale pourra dans ses conséquences tourner contre la femme elle-même, dont vous voulez garantir les intérêts. La femme, qui avait primitivement une hypothèque bien assise sur les biens du mari, verra cette hypothèque disparaître par l'effet de la purge, et ne plus reposer que sur un gage couvent insuffisant.

Mais, messieurs, il y a un autre inconvénient. La purge légale, qui convie les femmes à faire inscrire leur hypothèque, cette purge légale s'opérera le plus fréquemment à l'insu de la femme, et quoi qu'en ait dit hier l'honorable M. Thibaut, il arrive ordinairement dans la pratique que les femmes ignorent qu'on procède à la purge légale, et cette purge une fois consommée sans qu'elles aient pris inscription, leur enlève littéralement le bénéfice de leur hypothèque.

En effet, messieurs, on ne signifie pas même le contrat à la femme ; on se borne à signifier à la femme du débiteur, si le contrat la fait connaître, et au procureur du roi, que le titre de vente est déposé au greffe. Lorsqu'il y a des femmes de propriétaires successifs de l'immeuble inconnues à l'acquéreur, alors la notification ne leur est faite ni à personne ni à domicile, mais par voie de publication dans un journal, conformément à un avis du conseil d'Etat du 1er juin 1807. Voilà la seule garantie que la législation actuelle offre à la femme, et c'est ainsi que la purge légale se consomme souvent sans que la femme, qui n'en a pas été informée, ait pris inscription.

Aujourd'hui, d'après le système proposé par le gouvernement, la purge légale sera rarement nécessaire. Au moyen de l'inscription qui devra toujours être prise par la femme, pour la conservation de ses droits, les bailleurs de fonds, les tiers acquéreurs connaîtront parfaitement la position et l'étendue de ces droits ; ils traiteront en s'obligeant à les respecter, ou bien ils exigeront une simple radiation, sans recourir à une purge légale qui peut exposer la femme à perdre son droit, et qui toujours est une entrave pour les transactions avec le mari, sur qui pèsent d'ailleurs les frais qu'elle enlraine.

J'abandonne le premier système proposé par l'honorable M. Thibaut, pour donner quelques mots de réponse au système de l'honorable M. Orts, et je prie la chambre de bien vouloir prêter quelque peu d'attention aux observations très sommaires que je vais lui soumettre.

Dans le système de l'honorable M. Orts, le principe, la racine de l'hypothèque légale de la fcmme doit résider dans le contrat de mariage.

Eh bien, messieurs, il est une observation qui vous frappera tous, c'est que s'il n'y a pas de contrat de mariage, la femme n'aura jamais une hypothèque légale quelconque. A défaut de contrat de mariage, la femme perd complètement toute espèce de garantie dans le système de l'honorable M. Orts, qui veut forcer les époux à régler toujours leur association par un contrat de mariage, système en dehors de notre droit commun.

L'honorable M. Orts nous rappelait tout à l'henre le système coutumier, il veut le faire revivre ; mais alors il faut changer le Code civil, car le Code civil, au titre du contrat de mariage, porte que les époux ne pourront pas même stipuler que leur association sera régie par une ancienne coutume quelconque.

Le système de l’honorable M. Orts repose sur cette base, c'est qu'il doit exister entre les époux une société à titre universel ; c'est là réellement la pierre angulaire de son système. N'y a-t-il donc que ce régime dans la législation actuelle ? N'avons-nous pas le régime de la communauté légale ? N'avons-nous pas, à côté de ce régime, une foule d'autres systèmes exclusifs et modificatifs de la communauté ? L'hononble M. Orts peut-il raisonnablement soutenir l'applicabilité de son système à tous ces régimes ?

Il est évident que l'hypothèque, telle qu'il la propose, ne pourra avoir quelque efficacité que dans le cas où le mari et la femme feraient un contrat de mariage, se borneraient à stipuler una hypothèque pour les reprises de la femme nées au moment du mariage. Cette hypothèque, en effet, ne s'étendrait jamais aux reprises nées pendant le mariage. Ce n'est pas là le seul inconvénient.

Mais qu'aviendra-t-il si le mari n'a aucun immeuble lors du contrat de mariage ? Quel sera, dans ce cas, le gage de l'hypothèque conventionnelle offert par le mari à la femme ?

Mais elle n'en aura aucun, si vous restreignez l'exercice de son hypothèque aux biens propres du mari au moment du mariage.

Ainsi, le système de M. Orts ne tend à rien moins qu'a priver la femme mariée de toute espèce de garantie pour le cas où, au moment du mariage, le mari ne posséderait aucun immeuble.

Messieurs, l'on a dit avec beaucoup de raison à M. Orts : Les restrictions que vous apportez à l'hypothèque de la femme sont injustes ; vous lui enlevez le bienfait de cette hypothèque pour les sommes dotales provenant de donations qui lui seront faites ou de successions qui lui écherront pendant le mariage ; ces sommes qui n'entreront pas dans la communauté parce qu'elles en seront exclues par une clause du contrat de mariage ou par une clause de la donation même, ces sommes seront livrées, abandonnées au mari qui pourra impunément les dissiper, sans que la femme ait la moindre reprise sur les biens de son époux. Il suffit de signaler de telles conséquences dans le système de l'honorable M. Orts pour qu'il ne puisse pas être consacré par cette chambre.

L'honorable M. Orts disait encore : Mais mon système, vous l'avez admis dans la loi sur les faillites. Et vous, M. le ministre de la justice, qui avez contribué à l'adoption de cette loi, vous avez défendu la même opinion.

L'honorable membre perd de vue que le système de la loi sur les faillites est un système exceplionnel pour les commerçants et les femmes de commerçants. L'honorable membre sait mieux que personne qu'on ne peut ranger sur la même ligne la femme du débiteur civil et femme du débiteur commerçant. Celle-ci s'associe aux chances du commerce de son mari. Elle partage la bonne et la mauvaise fortune de celui-ci. Ses droits vis-à-vis des créanciers du mari doivent donc être plus limites.

Il n'en est pas de même de la femme du débiteur non commerçant. En somme, l'honorable M. Orts supprime le droit commun pour y substituer quoi ? Un régime entièrement exceptionnel.

L'honorable M. Orts disait aussi que son système pourrait fonctionner, avec les garanties qui seraient stipulées dans le contrat de mariage, sur les biens qui écherraient au mari. Ceci nous conduit à examiner la valeur des promesses d'hypothèques, faites dans le contrat de mariage, au profit de la femme sur les immeubles futurs de l'époux. La commission de révision du régime hypothécaire vous a fait un rapport par lequel elle condamne toutes espèces de promesses d'hypothèque et les frappe de nullité, quand même elles portent sur des biens déterminés et présents. C'est une opinion qui devra être mûrement examinée par la chambre. La question, tout au moins douteuse lorsque la promesse porte sur des biens présents, doit être, selon nous, résolue dans le sens de la nullité lorsque la promesse s'applique à des biens futurs. La valider pour ce cas, ce serait saper le principe que les biens futurs ne peuvent faire l'objet d'hypothèque conventionnelle ; ce serait permettre de faire, par contrat de mariage, ce qui sera interdit par tout autre acte authentique.

Je me résume, je dis que je voterai pour le projet du gouvernement, parce que ce projet consacre des garanties qui n'existent pas dans la législation actuelle ; il consacre d'une manière très large le régime de la publicité et de la spécialité des hypothèques. C'est le plus grand bienfait que produira la loi actuelle, outre qu'elle augmente sensiblement les garanties qui ne se rencontreraient jamais dans le système de M. Orts.

Une autre innovation heureuse de la loi nouvelle, c'est qu'elle supprimera le mode de purge des hypothèques légales actuellement en vigueur et qu'il n'y aura à l'avenir qu'un purgement uniforme à l'égard de tous les créanciers et que la femme en sera toujours individuellement touchée, à l'instar des autres créanciers. La loi nouvelle aura un autre résultat encore, c'est, à mes yeux, de ne plus exposer aussi fréquemment la femme à abdiquer son droit d'hypothèque.

Aujourd'hui que tous les biens du mari, présents et futurs, sont grevés de l'hypothèque légale de la femme, aucun tiers ne veut traiter avec le mari sans exiger l'acquiescement et l'engagement solidaire de la femme ; désormais les tiers acquéreurs ou prêteurs connaîtront l'étendue des droits de la femme ; ils traiteront avec plus de sécurité avec le mari, et ils ne demanderont l'engagement de la femme que lorsque son hypothèque ne leur laisserait point des sûretés suffisantes.

Enfin le système du gouvernement parmettra à la femme de prendre ou de ne pas prendre d'inscription, en un mot de ne pas graver d'une (page 622) manière indéfinie et absolue les biens de son mari. Si les affaires de celui-ci prospèrent, la femme ne prendra pas d'inscription ; les biens du mari ne seront plus vinculés par l'hypothèque générale et occulte de la femme, qui à l'avenir ne prendra inscription que lorsque le désordre des affaires de son mari mettra ses reprises en péril.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Au point où en est arrivée la discussion, je n'ai que peu de mots à ajouter à ce que j'ai dit dans la dernière séance ; je veux seulement relever quelques erreurs capitales échappées à l'honorable M. Orts.

Il a appuyé le système qu'il propose sur le régime exceptionnel admis pour les femmes en matière de faillites. Il n'a pas tenu compte de l'énorme différence qu'il y a entre les deux positions. Pourquoi, dans la loi des faillites, l'hypothèque de la femme qui épouse un commerçant est-elle restreinte aux immeubles que le mari possède au moment du mariage ? La raison en est simple ; c'est que si l'hypothèque légale de la femme portait sur tous les biens que le mari peut acquérir, il arriverait que celui-ci, au moment où le désordre s'introduit dans ses affaires, acquerrait des immeubles de manière à les soumettre à l'hypothèque légale de la femme au détriment de ses créanciers ; les valeurs mobilières qui sont principalement le gage des créanciers se transformeraient en immeuble pour devenir le gage de la femme. Voilà la véritable raison de la législation commerciale sur ce point.

Je disais hier que le système de M. Orts n'était pas équitable, qu'il manquait de justice, je soutenais que des droits pouvaient s'ouvrir pendant la communauté, à une époque où la femme n'a pas le droit de s'ingérer dans l'administration, et je signalais les donations mobilières qui peuvent être faites à la femme avec la condition qu'elles ne tomberaient pas en communauté.

L'honorable M. Orts m'a répondu qu'il pensait que ce serait là une condition contraire à l'ordre public, que ce serait là une disposition très critiquable. Il a oublié l'article 1401 du Code civil qui déclare de la manière la plus formelle que « la communauté se compose... de tout le mobilier que les époux possédaient au jour de la célébration du mariage, ensemble de tout le mobilier qui leur échoit pendant le mariage à titre de succession ou même de donation, si le donateur n'a exprimé le contraire... » c'est-à-dire que quand le donateur a déclaré que la donation ne tombe pas en communauté, elle n'y tombe pas. Cette donation reste propre de la femme, qui a le droit de la garantir par une hypothèque légale. C'est incontestable.

Il y a eu un autre oubli de la part de l'honorable M. Orts. Il nous disait tantôt qu'avec notre système qui donne aux parents et amis le droit de prendre inscription, il pourra arriver que des parents prennent inscription par une cupidité d'héritier, ou par une jalousie mercantile. Eh bien, l'honorable M. Orts a oublié l'article 2139 du Code civil dans lequel je lis :

« Art. 2139. Pourront les parents, soit du mari, soit de la femme et les parents du mineur, ou à défaut de parents, ses amis requérir lesdites inscriptions : elles pourront aussi être requises par la femme et par es mineurs. »

Ainsi, dans l'état actuel de la législation, le droit d'inscription n'est pas limité aux parents au troisième degré.

Or, je demande si, sous l'empire de cette législation, on a vu des parents, des amis, mus par les sentiments que je viens d'indiquer, vouloir rendre indisponibles les biens de la femme, ou jeter la perturbation dans les affaires d'un concurrent !

- La discussion est close.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Ainsi que je l'ai dit, il y a trois systèmes en présence :

1° Hypothèque occulte et générale du Code civil. (Amendement de M. Thibaut.)

2° Hypothèque conventionnelle. (Amendement de M. Orts.)

3° Hypothèque conventionnelle et légale. (Système du gouvernement.)

C'est, ce me semble, dans cet ordre qu'il faut procéder au vote.

M. Delfosse. - Il est bien entendu que ceux qui donnent la préférence au système du gouvernement se réservent le droit d'examiner les articles.

M. le président. - Evidemment ! Il ne s’agit que de la question de principe.

- Le système proposé par M. Thibaut est mis aux voix ; il n'est pas adopté.

Le système proposé par M. Orts est mis aux voix par appel nominal.

Voici le résultat du vote :

72 membres prennent part au vote.

7 votent pour l'adoption.

65 votent contre.

La chambre n'adopte pas.

Ont voté pour l'adoption : MM. Jacques, Orts, Ad. Roussel, Thibaut, Vilain XIIII, Cools et Coomans.

Ont voté contre : MM. F. de Mérode, de Mérode-Westerloo, de Muelenaere, de Perceval, de Pilleurs, De Pouhon, de Renesse, de Steenhault, Destriveaux, de Theux, d'Hoffschmidt, Dolez, Dumorlier, Frère-Orban, Jouret, Jullien, Juïliot, Landeloos, Lange, Lebeau, LeHon, Lelièvre, Lesoinne, Loos, Malou, Mascart, Mercier, Moncheur, Moreau, Moxhon Osy, Peers, Pierre, Pirmez, Prévinaire, Reyntjens, Rodenbach, Rogier, Ch. Rousselle, Tesch, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Van Cleemputte, Vanden Branden de Reeth, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Van Grootven, Van Iseghem, Vermeire, Allard, Ansiau, Bruneau, Cans, Dautrebande, David, H. de Baillet, de Bocarmé, de Brouckere, de La Coste, Delehaye, Delfosse, Deliége, de Man d'Attenrode et Verhaegen.

- Le système du gouvernement est, quant au principe, mis aux voix et adopté.

Le même principe est adopté en ce qui concerne l'hypothèque légale des mineurs.

- La séance est levée à 4 heures et demie.