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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 27 juin 1851

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1850-1851)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1477) M. A. Vandenpeereboom fait l'appel nominal à 1 heure et un quart.

La séance est ouverte.

M. T'Kint de Naeyer lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. A. Vandenpeereboom présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« Plusieurs habitants d'Anvers demandent une loi qui interdise aux administrations communales de percevoir un impôt sur les vidanges. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Plusieurs chaufourniers, et notamment ceux établis dans l'arrondissement d'Ypres, demandent que la chaux française ne puisse, en aucun cas, être introduite en Belgique avec exemption de droit. »

- Renvoi à la commission d'industrie.


« Le sieur Traugott de Schwarz, sergent au 4ème régiment de ligne, né à Seewes (Suisse), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi au ministère de la justice.


M. Sinave demande un congé pour indisposition.

- Accordé.

Projet de loi sur les successions

Discussion générale (article premier)

M. Delehaye remplace M. Verhaegen au fauteuil.

M. Osy (pour une motion d’ordre). - Avant d'aborder l'objet en discussion, je demande la permission de prendre la parole pour une motion d'ordre par suite de ce qui s'est passé avant-hier dans la discussion. Vous vous rappelez qu après mon discours M. le ministre de l'intérieur s'est levé avec vivacité pour me donner un démenti en disant que tous les arrêtés royaux accordant des subsides avaient été insérés au Moniteur.

Je ne les y avais pas vus ; M. le ministre s'est hâté de faire faire les recherches nécessaires ; il vient de m'adresser une lettre par laquelle il avoue que, pour ce qui concerne l'affaire de Deynze, rien n'a été inséré au Moniteur comme j'avais eu l'honneur de vous le dire ; que, pour ce qui concerne la Californie, comme j'avais eu l'honneur de vous le dire aussi, rien ne se trouve au Moniteur, mais que, pour l'affaire d'Alost, la mention s'en trouve dans le Moniteur du 8 avril 1849. Je me suis empressé de recourir à ce numéro du Moniteur. J'ai trouvé en effet qu'il y était dit qu'on faisait un établissement à Alost, mais il n'y a pas un mot du subside accordé.

Quand nous voyons qu'on accorde des subsides à un établissement, cela attire notre attention, mais quand il s'agit d'établissements dans lesquels le gouvernement n'entre pour rien, nous ne nous en occupons pas.

Ayant déclaré dans la séance d'avant-hier que si on me démontrait que je me suis trompé, je m'empresserais de reconnaître mon erreur, et depuis lors ayant été attaqué violemment par les journaux de Bruxelles et d'Anvers, j'ai cru devoir donner ces explications.

Maintenant j'aborde la grande question soulevée par le projet de loi.

Nous assistons véritablement à un spectacle inouï dans les fastes constitutionnels ; le pays sera peu édifié de ce qui se passe depuis six semaines, et je crains beaucoup que tout cela n'amène la déconsidération du pouvoir et de la représentation nationale.

Voilà dans six mois que le ministère donne deux fois sa démission et chaque fois, il reprend le timon des affaires, parce qu'on vous dit qu'il n'y a pas moyen, en dehors du cabinet actuel, de former un ministère sérieux.

Le ministère, nonobstant l'échec du 16 mai, reprend le pouvoir, mais sous la condition que les vingt-trois membres de la chambre qui ont un instant pensé autrement que le ministère, se rétractent, fassent acte de soumission et votent aujourd'hui l'impôt en ligne directe pour lequel il y avait encore plus de répugnance que pour le serment.

On veut les ramener par l'inquiétude de voir disparaître définitivement le ministère actuel et de tomber dans une autre couleur, soit mixte ou tiers parti, et comme on ne peut plus vous faire voter le serment, on vous impose un impôt bien plus odieux.

Permettez-moi de vous citer les paroles prononcées par le gouvernement il y a peu de jours.

M. Rogier disait, le 2 mai 1851 (Annales parlementaires, p. 1249} :

« Le gouvernement reconnaît que cette partie de la loi n'a pas de chances d'obtenir la sanction des chambres, ni même la sanction de l'opinion publique. Il n'insiste donc pas pour obtenir le vote de cette disposiiton. »

M. Frère, le 2 mai 1851, page 1245 :

« Le gouvernement a constaté à regret que le projet, en ce qui concerne la ligne directe, rencontrerait encore la même opposition qu'en 1849. Je ne me fais, pour ma part, aucune espèce d'illusion à cet égard ; je ne mets pas mon amour-propre à nier que, dans l'état actuel des esprits ce projet de loi échouerait probablement devant cette chambre et, dans tous les cas, au sénat. »

Le 13 mai, page 1352, M. Frère disait :

e, Personne n'a changé quant au droit en ligne directe ; ceux de mes honorables amis qui avaient manifesté une pensée d'opposition, ont maintenu leur opinion. »

Le ministère était donc certain que l'impôt en ligne directe serait repoussé ; il l'abandonne et se décide à aborder la question du serment pour lequel il avait plus de confiance dans la majorité.

Cependant il s'est trompé, et le serment est rejeté comme l'aurait été au mois de mai la ligne directe d'après le propre aveu du gouvernement.

Au lieu de chercher d'autres moyens de combler le déficit du trésor,, on se fâche contre les dissidents et on dépose le portefeuille. Je veux bien croire que les hommes au pouvoir aujourd'hui n'ont mis aucune entrave à la formation d'un autre cabinet, mais pour moi, et beaucoup d'autres personnes partagent cette opinion, nous étions persuadés qu'il n'y aurait aucun changement dans le cabinet qu'après avoir tenu le pays dans une longue incertitude, on reprendrait le pouvoir, mais plus fort que jamais, et qu'aujourd'hui dans la crainte de le voir passer dans d'autres mains, on pouvait tenter une pression formidable sur les députés qui, un moment ont montré de l'indépendance et ne s'étaient pes laissé effrayer de votre menace de question de cabinet.

Le rapport de l'honorable M. Le Hon me prouve que la marche suivie par le gouvernement a déjà fait de l'impression sur la section centrale.

Il y a deux ans que la section centrale repoussait la ligne directe par six voix contre une ; aujourd'hui on l'admet par 4 contre 2 et une abstention, et tout le monde devine clairement que c'est l'honorable M. Deliége qui s'abstient, puisqu'il ne se charge plus du rapport sur les nouvelles propositions du gouvernement.

L'honorable M. Deliége, comme je le connais, n'abdique pas ses convictions, mais pèse les inconvénients d'un impôt direct ou la retraite de ses amis politiques.

Et, je crois être assez bien informé, il pense encore toujours que l'impôt en ligne directe est un des plus mauvais impôts à introduire dans notre système financier.

Ainsi, l'attitude et les menaces du cabinet ont porté leurs premiers fruits et il espère bien ramener, sinon tous, au moins le plus grand nombre des vingt-trois dissidents du mois de mai.

On ne vit jamais une pression pareille sur une assemblée qui représente le pays, et je regrette pour l'honneur de la Belgique que nous donnions ce spectacle.

Vous acceptez aujourd'hui ce que le gouvernement lui-même regardait comme impossible il y a six semaines ; ainsi nous faisons des lois financières, non dans l'intérêt du pays, mais pour la conservation au pouvoir de quelques hommes.

Oui, il est possible que la marche que vous indiquez, vous réussisse cette fois ; mais ne pensez-vous pas que ceux à qui vous faites violence aujourd'hui vous tiendront rancune, que les honorables collègues qui vont revenir sur leurs pas ressentiront longtemps la blessure qu'on leur fait ? Le pays n'oubliera pas l'entraînement d'aujourd'hui et verra comme nous que les votes qu'on donnera sont sous une intimidation sans antécédents depuis vingt ans qu'existe la Belgique.

Je conçois que le gouvernement fasse une question de cabinet, en disant à la chambre : « Je suis forcé, par la perspective des événements, de trouver des impôts pour combler le déficit et rétablir l'équilibre financier.

« Si vous ne me secondez pas dans ces vues, je ne puis répondre de l'avenir, et je dois laisser à d'autres le soin de mener le char de l'Etat. Mais ce n'est pas ce langage que vous tenez ; vous dites : Il me faut l'impôt direct ou je me retire. »

La différence est énorme ; dans le premier cas, moi-même j'aurais soutenu le cabinet, et je lui voterais les ressources nécessaires pour enfin et en présence de 1852 avoir une situation financière telle que je puisse affronter tous les événements ; mais je ne puis plus vous suivre, quand vous me mettez le marché à la main, en disant : Je veux tel impôt et pas d'autres, ou je vous abandonne la situation. »

C'est un amour-propre tellement déplacé que je vous renvoie, sans scrupules ni craintes, les conséquences de la position que vous avez prise. Pour moi, je crois qu'il est à désirer que le ministère actuel reste au pouvoir et qu'il se fasse juger par les élections de 1852 : mais je ne puis plus le soutenir quand il ne reste pas avec dignité, et qu'il ne gouverne que par l'intimidation.

Je vous ai donc dit, messieurs, que je soutiens le ministère s'il veut rétablir l'équiibre financier, mais que je ne puis le suivre dans les moyens qu'il vous propose.

(page 1478) Le premier rapport de la section centrale et les discusions il y a deux ans ont éclairé tout le monde sur le système proposé pour la ligne directe, et je crois inutile d'en parler aujourd'hui,

J'étais déjà, lors de la présentation du projet de loi en 1847, le plus grand adversaire d'un impôt sur les successions en ligne directe, et mon honorable ami, M. Veydt, pourra vous dire si je lui ai jamais caché opinion et mon aversion contre un pareil impôt, lorsqu'il était ministre des finances.

Tout ce que j’ai lu et entendu dans cette enciente a plutôt encore fortifié mon opinion, et moi qui veut soutenir le pouvoir jusqu’au jugement de juin 182, il m’est impossible de me rendre à votre invitation, et toute votre influence et votre pression ne me fera pas adhérer à votre système.

Mais tout en refusant cet impôt, je suis le premier à sentir le besoin de rétablir l'équilibre financier, qui n'est pas aussi effrayant qu'on veut bien vous le faire croire et que vous rembrunissez, pour faire d'autant plus d'effet sur nos honorables collègues, qui se sont un instant détachés de vous.

Il est vraiment étonnant que M. le ministre des finances se soit borné dans les discussions du mois de mai à parler de la situation d'avant le 12 août 1847 ; nous avons assisté à une joute très brillante entre le ministre des finances de 1847 et celui qui est aujourd'hui au timon des affaires.

Mais tout cela est de l'histoire ancienne et n'éclaire pas la situation. Ce qui nous intéresse, c'est de connaître la position réelle à la date de ce jour et c'est ce que l'honorable M. Frère, ni aucun de ceux qui soutiennent son projet ne nous a dit. J'ai donc cru de mon devoir de m'éclairer moi-même et de livrer mon travail à mes honorables collègues de la section centrale des voies et moyens pour 1852 et ils m'ont permis d'insérer dans mon rapport mes recherches qui ont été contrôlées par le ministère des finances.

J'ai fait le cadre et les chiffres m'ont été remis par M. le ministre lui-même, je le considère donc comme officiel et je vous le livre avec toute confiance, ne craignant aucune rectification.

Vous aurez donc vu, messieurs, dans le rapport que j'ai eu l'honneur de déposer sur le budget des voies et moyens pour 1852, que le déficit ou le découvert du trésor à la date d'aujourd'hui, mais y compris tous les crédits supplémentaires demandés, et non encore votés, sauf celui présenté hier,se monte à la somme de 24,925,361 fr. 76 c., dont il faut déduire ce qui est une créance non exigible avant la conversion de vos emprunts 5 p. c. et qui se monte à 5,788,156 fr. 42 c. Ainsi, le découvert réel et exact à la date de ce jour est 19,137,205 fr. 34 c.

C'est loin des 30 ou 40 millions dont on a parlé. J'admets qu'on aura encore à nous présenter quelques crédits supplémentaires ou dépenses arriérées, et je veux être très large en supposant que notre arriéréà la fin de la session sera de 20 millions.

Si nous décrétons qu'il faut consolider cette somme en faisant un emprunt en 2 1/2, il est à présumer que vous le négocierez aussi bien que les 13 millions au mois de février, et, dans ce cas, vous ferez le pair, et les 2 et demi pour cent n'ayant pas d'amortissement, il faudra augmenter le budget de la dette publique de 1 million ; mais vous aurez à économiser 700,000 fr. portés au même budget pour les intérêts de la dette flottante, de manière que le budget de 1852 ne sera finalement augmenté que de 300,000 francs.

Il convient de commencer l'année 1852 avec une certaine réserve ; aussi le budget de 1852 vous est présenté avec un excédant de 1 million 834,131 fr. 5 c, auquel il faut ajouter 1 million pour vente de domaines, de manière qu'en retranchant les 300,000 fr. pour la consolidation de l'arriéré, il vous reste un excédant de 2,500,000 francs.

Mais je veux bien encore, en prévision des événements, augmenter cet excédant ; au lieu de nous occuper de la loi des successions, qui éprouve tant de répugnance, et qu'on ne votera que contraint et forcé, faites sortir de vos archives les changements proposés sur le personnel. Le rapporteur de cette loi pourra vous dire s'il ne serait pas possible de s'en occuper dans peu de jours, si on voulait convoquer la section centrale qui est saisie de cette loi depuis près deux ans. Les changements proposés à cette loi augmenteraient les revenus du trésor d'un million au moins. Mettez ces améliorations en exécution pour le 1er janvier prochain, et vous commencerez l'année si redoutée de 1852 avec un excédant de 3,500,000 fr., et après avoir consolidé votre dette flottante et comblé tous vos arriérés.

Jamais le gouvernement n'a demandé d'avoir un équilibre financier aussi brillant et d'affronter les événements avec moins de soucis et avec un excédant aussi considérable.

Si le gouvernement ne veut pas entrer dans la voie que j'ai indiquée, c'est qu'il veut satisfaire un amour-propre bien déplacé et faire passer la majorité par toutes ses exigences ; car, pourquoi dire : Je ne veux que la ligne directe, quand vous avez sous la main et prêt à voter un autre impôt qui vous fait une si brillante position.

Vous voyez, messieurs, comme je le disais au commencement, je soutiens avec conviction le gouvernement, je veux, comme lui, rétablir l'équilibre financier ; mais je l'abandonne, parce qu'il ne nous donne pas le choix des moyens à employer pour arriver à une position financière très convenable et qui doit nous rassurer tous.

Je ne parlerai pas aujourd'hui du second programme du gouvernement pour les travaux publics, mais il est vraiment étonnant que, dans le discours prononcé lundi par M. le ministre des finances, il n"ait jamais fait entrer en ligne de compte le million que doit nous produire en plus la loi du personnel.

Je dirai donc à la majorité : Ne vous effrayez pas sur la situation financière. Si vous repoussez avec moi la ligne directe, nous avons en réserve le personnel qui, avec les autres excédants, nous fait, pour 1852, une très belle position financière.

Mettons de la dignité dans nos décisions, et ne nous laissons pas guider par des menaces continuelles. Nous pouvons atteindre le même but que le gouvernement, mais par d'autres moyens, et personne ne sera obligé d'abandonner ses convictions.

Je demande donc que le gouvernement se borne à nous présenter une loi pour consolider notre arriéré qui ne se montera pas à 20 millions, de prier M. le président de convoquer sans retard la section centrale pour examiner les dernières réponses du gouvernement, ce qui permettra au rapporteur de nous déposer sous peu de jours son rapport sur les changements à introduire dans la loi du personnel, ce qui, à partir de 1852, augmentera vos revenus de 1 million.

Vous aurez alors rétabli, comme le demande le gouvernement, l'équilibre financier.Vous n'aurez plus d'arriéré ni de dette flottante, et vous commencerez l'exercice 1852 avec la position la plus nette et la plus claire et avec un budget laissant un excédant de 3,500,000 francs, et même j'autoriserais le gouvernement à émettre, en 1852, 5 millions de bons du trésor pour faciliter le service du trésor.

Même en cas de crise avec vos établissements financiers, le pays peut, dans les plus mauvais jours, toujours supporter une émission de 5 millions de bons du trésor, et alors avec l'excédant du budget de 3,500,000 fr., nous armons le gouvernement de 8,500,000 fr., avec lesquels nous pourrons tous voir arriver les événements dont on nous parle tous les jours.

Je dis donc, sans le moindre esprit d'opposition, mais ne voulant que le bien du pays : N'insistez pas à faire décréter par la contrainte un impôt qui répugne au pays et à vos amis les plus dévoués, comme l'honorable M. Deliége entre autres.

Vous avez souvent fait appel à la chambre pour vous indiquer les moyens de rétablir avec vous l'équilibre financier ; je crois l'avoir fait avec clarté et franchise.

Abandonnons tout amour-propre et ne pensons qu'au bien du pays. Nous voulons tous arriver au même but, nous ne différons que sur les moyens.

Je veux faire décréter un changement à une loi existante, qui vous rapportera un million, tandis que je pense qu'avec tous les amendements proposés et ceux qu'on nous annonce encore, vous aurez une loi toute mutilée, qui sera impopulaire dans le pays, que vous n'obtiendrez qu'après avoir fait violence à une grande partie de votre majorité et qui compromettra, de la manière qu'on veut l'obtenir, la dignité du pouvoir et de la représentation nationale.

Il est vrai que vous serez, à partir de ce vote, affermis au pouvoir ; mais il vous reste la seconde partie de votre programme, où il y a également des dépenses que vous aurez bien de la peine à obtenir ; et recommencerez vous alors pour la quatrième fois, dans six mois, à menacer votre majorité de votre retraite, en cas d'échec ?

Tout s'use dans ce monde, et je finirai par dire comme l'honorable M. Lebeau : Je ne suis pas partisan de questions de cabinet multipliées ou posées à la légère, et il ne faut la poser que quand on est dans l'impossibilité d'accomplir la mission qu'on considère comme un de ses premiers devoirs.

Ainsi, j'aurais compris qu'on posât la question de cabinet, si on voulait refuser au gouvernement de le suivre, pour rétablir l'équilibre financier ; mais on ne devait pas la poser pour les moyens à employer, et si on préférait la réforme de la loi du personnel à l'impôt direct pour les successions, vous pouviez, sans aucun échec qui compromettrait le pays, abandonner votre remède et prendre le mien. Laissez au moins le choix libre à chacun et ne faites violence à personne, étant d'accord sur le but que nous voulons atteindre.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - M. Osy a cru devoir, au début de son discours, entretenir la chambre de la communication que je lui ai faite ; je n'étais pas présent, mais on me dit que M. Osy a prétendu que j'avais reconnu une erreur, Je désirerais qu'il voulût bien répéter son explication.

M. Osy. - J’ai remercié M. le ministre de l’empressement qu’il a mis à faire faire les recherches que je lui ai demandées, ; j’ai dit que M. le ministre avouait que, pour l’affaire de Deynz, rien n’avait été inséré au Moniteur.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'est une erreur ; lisez...

M. Osy. - Voici l'extrait de la lettre de M. le ministre : « Vous trouverez à la page 618, année 1848 de ce recueil, la convention du 23 janvier 1848, concernant l’établissement à Deynze pour la fabrication des soies ; elle n’est pas reproduite au Moniteur, mais l’arrêté qui crèe l'atelier a été publié textuellement dans ce recueil. »

C'est un recueil que personne ne connaît, mais ce n'est pas le Moniteur, nous ne connaissons que le Moniteur. J'ai dit que l'affaire de Deynze ne se trouvait pas au Moniteur, M. le ministre avoue que j'avais raison.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - L’arrêté qui institue l'atelier de Deynze a été insèré au Moniteur du 20 janvier 1848, et la convention dans le Recueil administratif, qui est tiré à un grand nombre d'exemplaires. (Interruption.)

- Plusieurs voix. - L'ordre du jour !

(page 1479) M. Coomans. - Il y a eu démenti, les explications ne sont pas complètes.

- Plusieurs voix. - L'ordre du jour ! l'ordre du jour !

M. Delehaye. - Nous reprenons l'ordre du jour. La parole est à M. le ministre des finances.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - (page 1487) Je ne comptais pas encore intervenir dans ce débat ; mais le discours que vous tenez d'entendre m'oblige à prendre la parole.

J'ai été touché, je l'avoue, de la vertueuse indignation de l'honorable préopinant. Il s'effrave à l'idée qu'un certain nombre de nos amis seraient disposés à renoncer à une opinion qu'ils avaient sur un impôt, pour ne pas créer au pays une situation difficile, pour ne pas faire naître une crise, dans laquelle pourrait succomber, pour longtemps peut-être, l'opinion que nous avons l'honneur de représenter au pouvoir.

Est-ce bien l'honorable membre qui aurait le droit de critiquer, de blâmer la conduite de quelques-uns de nos amis, si, dans de telles circonstances, changeaient d'opinion sur un point de cette nature ? L'honorable membre appartenait jadis au parti catholique...

M. Osy. - Qu'est-ce que cela a à faire dans cette discussion ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je vais vous le dire. L'honorable membre, un jour, par des raisons sans doute bien plausibles dont il était seul juge, seul appréciateur, s'écria dans cette chambre : Je me sépare du parli réactionnaire ! Il changeait d'opinion, il trouvait qu'il avait des raisons suffisantes pour le faire...

M. Osy. - Je demande la porole.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'honorable membre entra dans nos rangs : il appuya pendant longtemps le cabinet libéral.

Un jour, je ne sais pourquoi, mais par d'excellentes raisons, sans doute, il jugea à propos de se séparer du cabinet libéral : il retourna auprès de ses anciens amis.

L'honorable membre a-t-il cru que ces conversions successives l'avaient humilié, amoindri ? A-t-il cru qu'il avait trahi ses devoirs de bon et loyal député, et qu'il devait être mis au ban de l'opinion publique ?

Dans cette discussion même, n'avons-nous pas entendu l'honorable M. Osy protester contre la mesure relative au serment, lui qui, dès 1843, s'était fait le promoteur de cette mesure ; lui qui, dans la section du budget des voies et moyens, à laquelle il appartenait, avait fait la proposition formelle de rétablir le serment comme seul moyen efficace pour atteindre les valeurs mobilières ! L'honorable membre s'est subitement converti, et, au moment du vote, il m'a abandonné sur cette question !

Avait-il, pour changer ainsi, les mêmes raisons que pourraient invoquer ceux de nos amis dont il se constitue le censeur et le juge ? S'il a répudié, le lendemain, l'opinion qu'il professait la veille, pour délaisser le ministère et aller se joindre à l'opposition ; si, n'ayant consulté que sa conscience, sa conscience l'absout de sa conduite et de ses votes, de quel droit viendrait-il faire un crime à quelques-uns de nos amis qui appuient l'ensemble de notre politique, d'étouffer un dissentiment sur un point accessoire, de sacrifier une opinion personnelle, pour ne pas compromettre de plus grands, de plus sérieux intérêts ?

Ce n'est donc pas à l'honorable préopinant qu'il appartiendrait de récriminer si quelques-uns des membres de la majorité, puisant dans leur conscience les inspirations qui doivent les guider dans les circonstances graves où nous nous trouvons, jugeaient à propos de se rallier loyalement à l'opinion du cabinet.

Quels seraient, d'ailleurs, les motifs de ce changement ? Il plaît à l'honorable membre, comme il a plu hier à un autre orateur de supposer que sur les bancs de la gauche, la fraction de nos amis qui n'était pas d'accord avec nous, était tout entière opposée au principe d'un impôt sur les successions en ligne directe. C'est habile peut-être, car de la renonciation à l'opposition, on conclut à la désertion d'un principe.

Mais les opposants à l'impôt sur les successions en ligne directe l'étaient-ils tous à raison du principe ? Non certes ; c'était là le plus petit nombre. Nous l'avons constaté dès 1849. Ce n'est pas pour l'opportunité de la situation actuelle que nous en parlons. En 1849, lors de la première discussion de ce projet de loi, je constatais que les opposants au projet de loi se divisaient en trois fractions distinctes.

Les uns repoussaient le projet de loi, parce qu'ils ne voulaient pas voter d'impôts avant que le gouvernement eût fait toutes les réductions possibles dans les dépenses publiques.

Quel motif ces opposants d'autrefois auraient-ils de ne pas voter aujourd'hui avec nous ?

M. Osy. - Revoyez vos paroles.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous vous trompez. Je vous montrerai tout à l'heure comment vous avez, contre votre gré, modifié, altéré le texte de mes explications.

M. Osy. - J'ai copié.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). -Vous avez mal copié, car vous n'avez pas tout copié.

Vous aurez tout à l'heure votre condamnation complète. Ne vous pressez pas.

Quel motif donc les honorables membres qui étaient opposants à ce titre, auraient-ils de ne pas voter aujourd'hui avec le cabinet ? Ils ont approuvé toutes les réformes introduites dans les services publics ; ils le déclarent hautement ; ils sont d'accord avec nous ; ils peuvent et ils veulent maintenant voter l'impôt ; ils sont parfaitement conséquents avec l'opinion qu'ils ont exprimée et, bien loin qu'on puisse les accuser, on doit applaudir à leur conduite, car ils prouvent qu'ils n'invoquaient pas un vain prétexte pour échapper à la nécessité d'assumer avec nous la responsabilité des actes qui ont pour but de rétablir l'ordre dans les finances de l'Etat.

Il y avait une autre fraction, plus nombreuse celle-là, qui soutenait que d'autres impôts étaient préférables à celui que nous proposions. Ils n'avaient aucune répugnance contre le principe d'un impôt sur les successions en ligne directe.

Je l'ai dit, et cela est imprimé aux Annales parlementaires de 1849. Il est bon de le répéter encore.

Si ceux-là, par suite même des votes qui ont eu lieu, par suite du rejet de certains impôts, de la probabilité, de la certitude presque du rejet de certains autres, sont aujourd'hui convaincus qu'il faut, pour rétablir l'équilibre dans les finances de l'Etat, voter l'impôt sur les successions en ligne directe, en quoi, je vous prie, sont-ils inconséquents, en quoi désertent-ils les principes qu'ils avaient défendus ?

Il en est un plus petit nombre, et ce nombre est extrêmement restreint, qui avaient manifesté une vive antipathie contre le principe même de l'impôt. A ceux-là vous pouvez dire qu'ils accepteraient un principe qu'ils ont combattu, je veux vous le concéder.

Mais, d'abord, ceux qui repoussaient le principe, parce que son application avait pour résultat d'obliger les fils à faire connaître l'actif et le passif de la famille, voient leur principale objection détruite par la modification que nous avons proposée au projet de loi.

Et puis, vous étonneriez-vous que par suite des lumières que la discussion a fait naître, et qui ont été assez puissantes pour faire disparaître tant d'objections accumulées il y a deux ans, et que personne ne reproduit plus aujourd'hui ; vous étonneriez-vous qu'en présence d'un véritable péril pour leur opinion, dans une situation critique où le sort de leur parti est peut-être en question ; dans la crainte d'une division imminente de la majorité, vous étonneriez-vous qu'ils se résignassent à voter cet impôt, bien qu'il n'ait pas leurs sympathies ? Qu'y aurait-il là d'étrange, de bien extraordinaire, et que signifie surtout cette violence morale dont vous n'avez cessé de parler ? Qu'est-ce donc qu'une question de cabinet, si ce n'est un moyen de contraindre des dissidences à s'effacer pour sauvegarder de grands intérêts ?

Cette contrainte morale ne s'applique pas d'ailleurs aux deux premières et plus nombreuses catégories d'opposants ; elle ne s'appliquerait donc qu'à quelques membres de la majorité. Eh bien, c'est à eux et à eux seuls qu'il appartient de décider si, dans l'intérêt de l'opinion qu'ils représentent, ils peuvent faire le sacrifice qui leur est demandé.

Vous me dites que c'est pour une misérable question d'amour-propre que je viens faire cette violence à mes amis. Vous avez donc oublié que, mettant de côté toute espèce d'amour propre, moi, plus engagé en faveur de cette question de l'impôt sur la ligne directe qu'aucun autre membre de cette chambre n'était engagé contre cet impôt, vous oubliez donc que dans l'intérêt de la paix, de l'union, de l'homogénéité de mon parti, j'ai offert de renoncer à cet impôt ! Mais je ne pouvais y renoncer à tout prix, je ne pouvais y renoncer sans conditions, car après avoir mûrement examiné tous les impôts qui existent, j'étais profondément convaincu que si le projet de loi tout entier était abandonné, on serait conduit fatalement pour rétablir l'équilibre financier, à aggraver les impôts de consommation, c'est-à-dire d'atteindre le plus grand nombre, c'est-à-dire d'atteindre les classe laborieuses ; or ce moyen-là, je n'en veux pas.

Je vous disais tout à l'heure que vous avez, sans le vouloir, tronqué les paroles que j'ai prononcées dans les séances du 2 mai et du 15 mai. Vous allez y lire ce que je viens, tout à l’heure, d'avoir l'honneur de rappeler à la chambre, c'est que, dès ce moment, j'ai annoncé que si l'impôt qui était en discussion ou les autres impôts encore à soumettre à la chambre étaient rejetés, le cabinet aurait à examiner si le moment n'est pas venu de reproduire l'impôt sur les successions en ligne directe. Nous avons dit nettement notre pensée, nous l'avons dite clairement, nous avons annoncé, dès ce moment, ce que nous faisons aujourd'hui...

M. Coomans. - Les autres n'ont pas été rejetés.

M. Delehaye. - N'interrompez pas.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - « Le gouvernement a constaté, à regret, disais-je, dans la séance du 2 mai, que le projet, en ce qui concerne la ligne directe, rencontrerait encore la même opposition, car un grand nombre de membres de cette chambre, convaincus que d'autres ressources seraient plus facilement acceptées par le pays, ne consentiraient à voter cet impôt, que s'il leur était démontré qu'il est indispensable d'y avoir recours. Je ne me fais, pour ma part, aucune espèce d'illusion à cet égard ; je ne mets pas mon amour-propre à nier que, dans l'état actuel des esprits, ce projet de loi échouerait probablement dans cetle chambre et, dans tous les cas, au sénat.

« Il est un moyen, rentrant parfaitement dans le plan que nous avons suivi, de constater si, en effet, on peut se dispenser de recourir à cet impôt si juste et si légitime. On nous disait, dans de récentes discussions : Présentez-nous des impôts acceptables et nous les voterons ; personne ne niait la nécessité de nouveaux impôts, on s'occupait exclusivement du genre qu'il fallait préférer ; eh bien, messieurs, procédons ainsi.

« Je tiendrai en suspens les dispositions relatives à la ligne directe ; nous ne retarderons pas les autres améliorations que le projet de loi contient et qui sont de nature à procurer au trésor des ressources encore assez notables. Je proposerai immédiatement d'autres projets de loi. » (lnterruption de M. Osy.) Veuillez donc me permettre ; je ne puis pas à la fois lire, vous écouter et répondre à vos observations ; je répondrai tout à l'heure à vos interruptions.

(page 1488) Je disais le 15 mai :

« J'ai fait connaître, au début de la discussion, les intentions du gouvernement en ce qui concerne la ligne directe.

« Le gouvernement constate un fait évident : c'est qu'une partie de la majorité, unie a l’opposition, a repoussé lé droit sur les successions en ligne directe. En face de cette situation, le gouvernement ne juge pas à propos de soumettre le principe à un vote. Le gouvernement ne veut pas se priver d'un moyen de succéè peut être pour la mesure même que l'on condamne aujourd’hui. Si les impôts actuellement proposés ou qui le seront encore venaient à être rejetés, le gouvernement aurait à examiner si le moment n’est pas venu de reproduire l’impôt sur les successions en ligne directe. Car, quelle est l’objection d’un grand nombre de personnes ? Nous ne voulons pas, disent-elles, l'impôt sur les successions en ligne directe pour des raisons que, pour ma part, je ne comprends pas ; il y a d'autres objets imposables, présentez-les et nous les accepterons.

« Eh bien, messieurs, nous allons voir, nous allons reconnaître si, en effet, on repousse l'impôt sur les successions en ligne directe d'une manière absolue pour lui-même, ou si ce n'est pas plutôt par un motif qui s'applique à peu près à tous les impôts, c'est-à-dire par suite d'une répulsion assez grande que l'on ne sait pas surmonter, contre tout nouvel impôt. Nous verrons donc ultérieurement. »

M. Dumortier. - Vous voyez, il s'agissait des impôts annoncés par vous.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'honorable M. Dumortier comprend-il mes paroles mieux que moi-même ? « Si les impôts actuellement proposés - c'est-à-dire ce qui restait de la loi sur les successions - ou ceux qui le seront encore... » Que résulle-t-il de ces paroles ? C'est que si les impôts qui étaient proposés, étaient rejetés, il fallait revenir au droit de succession en ligne directe. Je dirai tout à l'heure pourquoi, en rencontrant une interruption de l'honorable M. Coomans et l'interruption de l'honorable M. Osy.

Le cabinet a déclaré dès ce moment qu'il agirait comme il le fait aujourd'hui.

M. Dumortier. - Vos paroles étaient extrêmement claires, mais c'est dans le sens contraire à celui que vous leur attribuez.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'en fais juge la chambre (C'est évident ! c'est évident !), et d'ailleurs, comme je suis maître de ma pensée, je récuse entièrement votre interprétation.

Messieurs, le gouvernement avait donc clairement annoncé que les projets soumis ou à soumettre à la chambre, devaientêtre adoptés ; hors de là il lui était impossible de réaliser le plan qu'il avait fait connaître ; hors de là, il lui était impossible de rétablir l'équilibre dans les finances et d'exécuter de grands travaux d'utilité publique.

Vous n'avez, me dit-on, proposé qu'un seul impôt : c'est ce qui restait de la loi sur les successions ; c'était le serment ; les autres n'ont pas été rejetés, s'écrie l'honorable M. Coomans ; vous les avez montrés en perspective ; ils ne sont pas venus, reprend l'honorable M. Osy. Mais ne devaient-ils pas venir ? Pour faire le sacrifice de l'impôt sur les successions en ligne directe, il avait fallu préparer d'autres projets d'impôt ; il fallait, dans ce système, réclamer au moins un million de la bière, un million du tabac, quinze cent mille francs du genièvre.

Si le gouvernement se trouvait privé de 8 à 900,000 francs par suite du rejet du serment et d'autres dispositions de la loi qui était alors soumise à la chambre ; il fallait donc grever dans une proportion d'autant plus forte, les impôts qui avaient été annoncés.

Or, l'opinion de la chambre, ainsi qu'il m'a été donné de l'apprécier, je ne serai, je pense, démenti par personne, l'opinion de la chambre, bien loin de se montrer favorable à l'accroissement de l'accise sur la bière dans une proportion plus forte que ce qui aurait été nécessaire pour procurer un million au trésor, aurait été très probablement, je ne veux pas dire certainement, défavorable au projet annoncé.

Il fallait obtenir du tabac non plus un million, mais une quotité plus forte encore, d'autant plus forte, que l'on n'aurait obtenu que quelques centaines de mille francs par l'accise sur les bières. Je vous ai dit ce qu'il fallait faire pour arriver à un million sur les tabacs, abstraction faite du monopole, dont il ne peut être maintenant question en Belgique, et en écartant l'idée d'un droit d'accise, tel que l'avait proposé l'honorable M. Mercier, et qui fut rejeté par la chambre à une immense majorité.

Il fallait doubler le droit de douane ; pour en assurer la perception, établir un impôt à la culture ; et pour que cet impôt représentât seulement l'augmentation du droit de douane, frapper les terres de 300 fr. par hectare au minimum. Je dis que l'impôt ainsi combiné, quelque faible qn'en fut le produit, eu égard à la denrée qui devrait le procurer, aurait été rejeté dans cette chambre. Je concède que le droit sur les genièvres aurait eu un meilleur sort.

Ainsi le gouvernement était complètement paralysé dans l'exécution de ses projets. Ainsi le plan qu'il avait annoncé, les combinaisons qu'il avait fait connaître, tout venait à lui manquer. Sa retraite était alors une nécessité, il lui était impérieusement commandé de ne pas rester un seul instant de plus au pouvoir ; il ne pouvait plus y rester honorablement.

Comment pouvait-il y rentrer ?

A quelle condition pouvait-il revenir ? A la condition de pouvoir exécuter ses projets.

Certes, chacun, dans cette chambre, est libre d'approuver ou d'improuver les projets du cabinet ; la majorité peut se séparer de lui, ne pas le suivre dans la voie dans laquelle il veut entrer ; mais vous devez reconnaître aussi la liberté des membres du cabinet. Ils sont libres de ne pas rester ministres qu’à des conditions déterminées. Vous parlez de contrainte morale ! Faut-il que la majorité pèse sur le cabinet de manière à lui imposer toutes ses volontés, faut-il que le cabinet soit réduit au rôle d’instrucment de la majorité ? Ainsi affaibli et déconsidéré, que pourrait un ministère, si les circonstances venaient à réclamer de lui des résolutions promptes et énergiques ? S’il faut de la dignité à la majorité, et nous en voulons pour elle, il en faut aussi, il en faut surtout au pouvoir qui propose, qui dirige, et a par conséquent une plus grande responsabilité.

Mais, dit-on, ne pouvez-vous trouver d'autres impôts ? Je ne reviens pas sur la situation financière ; c'est un sujet épuisé pour nous tous ; je n'ai voulu ni l'embellir, ni l'assombrir, et l'honorable M. Osy me fait à ce sujet un reproche bien tardif ; il me suffit de l'aveu de l’honorabl » membre que des impôts sont nécessaires. Mais, s'écrie l'honorable membre, vous avez la contribution personnelle dont vous pouvez obtenir un million. Il est facile d'allouer ainsi un million. C'est parfaitement commode. On peut de la sorte rétablir aisément les finances. Pourquoi pas deux millions ?

M. Osy. - On peut en dire autant de votre impôt de succession.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - On a supputé avec soin son produit probable. Nous savons ce que rapportera l'impôt sur les successions. Non sans doute d'une manière rigoureusement exacte, mais très approximativement. Quels sont vos éléments d'appréciation pour déclarer que la contribution personnelle peut donner un million de plus ? Vous n'en possédez pas un seul, c'est une simple affirmation de votre part, dont vous voudrez bien rabattre la moitié.

J'ai communiqué le résultat d'une application fictive du projet de loi sur la contribution personnelle qui a été faite dans tout le royaume, et qui établit qu'on peut espérer une augmentation de 600 mille francs, si cette loi était mise à exécution.

Mais, comme vous le verrez ultérieurement, dans la supposition que vous voteriez cette loi, cette ressource serait nécessaire pour compléter le plan du cabinet. Si vous remaniez l'impôt personnel pour en rendre la répartition plus équitable, pourrez-vous en même temps augmenter cet impôt ? C'est impossible.

Vous croyez que ce serait un moyen plus favorablement accueilli par les populations ! Vous croyez que ces bons bourgeois dont vous parlez, dont parlait l'honorable M. Lelièvre, accueilleraient avec une vive reconnaissance cette augmentation d'impôt substituée à l'éventualité d'un impôt sur les successions en ligne directe !

Vous croyez qu'il leur serait plus agréable de payer immédiatement, sur-le-champ, qu'ils soient en peine ou en prospérité, que leur situation soit heureuse ou malheureuse. Vous croyez qu'il leur serait plus agréable de payer chaque année la somme que viendra réclamer le fiss, que d'attendre l'événement d'un décès, pour que le fisc prélève un droit sur l'avoir qu'ils auront accumulé pour le transmettre à leurs enfants !

Vous croyez qu'ils vous seront bien reconnaissants, si au lieu de prélever l'impôt après leur mort, sur un avoir net et liquide, vous venez le réclamer d'eux pendant leur vie, chaque année, que leur commerce prospère, qu'il décline, et en accroissant d'autant les charges dont ils sont grevés !

Vous croyez que vous servez mieux les intérêts des contribuables, en les défendant comme vous le faites, que comme le fait le gouvernement ! Je crois que vous vous trompez.

Je crois que les impôts que vous appliqueriez immédiatement, que vous seriez obligés de réclamer en même temps de tout le monde, seraient d'une nature plus compromettante que l'impôt sur les successions en ligne directe qu'il s'agit de réclamer aujourd'hui à l'un, demain à l'autre, sans que jamais une coalition d'intérêts froissés puisse s'élever contre vous.

Quand tous les contribuables en même temps seront frappés par les autres impôts, ils se plaindront vivement, ils protesteront, vous aurez semé des germes de mécontentement. Mais quand vous aurez décrété l'impôt sur les successions en ligne directe et que Pierre obligé de l'acquitter et de payer une somme assez ronde, parce qu'il recueille un gros héritage, ira trouver son voisin pour essayer de l'apitoyer sur son misérable sort, le voisin lui dira : Je voudrais être à ta place, je voudrais payer un pareil droit, je voudrais payer le double. (Interruption.)

M. Dumortier. -A la place de celui qui a perdu son père ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Gardez donc pour vous ces. détestables sentiments.

M. Dumortier. - Mais c'est ce que vous dites.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - ous savez bien que c'est dénaturer ma pensée d'une manière odieuse. Pierre ne gémit pas sur la mort de son père au moment où il parle ; il gémit d'avoir à payer une trop grande somme à titre d'impôt.

Je répète donc que l'on se fait une complète illusion lorsque l'on pense que l'on peut substituer à l'impôt qui vous est soumis, d'autres impôts qui seraient plus facilement accueillis par les populations.

Mais, nous dit-on, cet impôt tel que vous l'avez combiné, n'est pas démocratique ! L'honorable M. de Liedekerke veut bien nous l’assurer, l'honorable M. Coomans l'affirme, et lorsque l'honorable M. Lelièvre le dit plus haut que tous les autres, ces honorables membres applaudissent. Qu'entendez-vous, je vous prie, par ce mot : démocratique ?

(page 1489) M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). Vous n’avez pas été heureux dans vos recherches

M. Coomans. - Je n’ai rien trouvé !

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Si je comprends bien votre formule, quand elle se traduit en chiffres, elle signifie : « guerre aux riches » ; cela ne signifie pas autre chose. Si c'est là votre démocratie, elle est détestable, je la répudie.

M. Coomans. - Je ne m'enrôle pas sous cette bannière.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - La loi sera démocratique si elle est juste. Elle sera injuste, quand vous exempterez de l'impôt les parts héréditaires de sept mille francs, comme vous le faites, à plus forte raison, les parts héréditaires, de 25 mille francs, comme le fait M. Lelièvre. Elle sera détestable, elle constituera un odieux privilège, je la repousserai et, à coup sûr, je ne l'exécuterai pas. Elle sera démocratique, elle sera juste, quelles que soient les fortunes qui soient atteintes par l'impôt par cela seul qu'elle atteindra des fortunes, par cela seul qu'elle atteindra des capitaux accumulés, par cela seul qu'elle portera sur une richesse acquise.

J'excepte des parts infimes, et encore par une raison de justice et d'équité, parce qu'alors les frais accroissent trop notablement l'impôt. Et si vous voulez la juger, cette loi, demandez-vous ce que vous voudriez y substituer. Si votre intention consiste uniquement à retrancher une quotité plus ou moins forte du produit que nous espérons de la loi, votre but sera atteint, mais par un moyen inique, en consacrant un principe injuste que vous devriez condamner. Et si vous reconnaissez qu'il faut reprendre quelque part ce que vous aurez ainsi retranché de la loi sur les successions en ligne directe, demandons-nous sur quoi vous pourrez récupérer ce qui vous manquera.

Vous ne pouvez faire porter vos impôts que sur les bases que vous possédez aujourd'hui : ou bien sur la propriété, sur les capitaux en voie de formation, sur le travail de la classe moyenne ou bien sur les objets de consommation, non pas des objets de luxe, parce qu'ils ne rapportent rien, mais les objets de grande consommation ; non pas sur les perdrix, les chevreuils, les pâtés de foie gras, mais sur le pain, le sel, la houille, le café, les denrées alimentaires, sur tout ce qui sert aux classes laborieuses de la société. Vous ne voulez pas grever la propriété : vous refusez les moyens d'atteindre les capitaux mobiliers. Prenez garde ! Que vous restera-t-il ? Les impôts de consommation que je viens de vous indiquer.

Et ceux-là, les trouvez-vous bien démocratiques, ou pour mieux dire, bien justes ? En les élevant encore, pensez-vous que vous ne commettriez aucune espèce d'iniquité ?

Votre démocratie, c'est de celle-là qu'on peut dire ce que l'honorable M. de Liedekerke disait de la loi sur les successions : elle a une mauvaise odeur : elle est inspirée par un sentiment que je réprouve. La démocratie nous est fort suspecte au surplus, je dois le dire, applaudie par vous.

Cette loi attendra les petits héritages ; oui ! Et j'aime mieux une loi qui atteint les petits héritages qu'une loi qui réduit le salaire de ceux qui n'ont pas d'héritage ; car tous vos impôts de consommation sont une réduction des salaires, qui ne s'accroissent pas avec la cherté des vivres, qui diminuent au contraire, avec la cherté des vivres.

Voilà pourquoi la loi sera juste et morale, voilà pourquoi celle que vous voudriez y substituer serait inique et dangereuse.

Quelle que soit la quotité des fortunes, elles sont très légitimement atteintes par l'impôt. Il ne doit plus exister aujourd'hui aucun privilège en matière d'impôt. Il n'y a pas lieu à revenir à l'ancien régime sous une autre forme. Parce que, dans l'ancien régime, on avait des classes privilégiées affranchies de l'impôt, ce n'est pas un motif pour rétablir ce privilège au profit des classes moyennes de la société.

Non, les classes moyennes, celles qui gouvernent aujourd'hui, ont d'autres devoirs à remplir, elles comprennent autrement leur mission : elles ont à s'occuper du sort du plus grand nombre, du sort des classes laborieuses : les classes moyennes peuvent et veulent s'imposer légitimement un sacrifice, plutôt que de l'imposer à ceux qui ne possèdent pas.

C'est là la politique qui doit aujourd'hui diriger les affaires en Europe.

L'heure n'est plus où il s'agissait de se préoccuper des classes riches ou moyennes, pour établir entre elles des distinctions, des rivalités, des luttes. Elles doivent s'unir dans une commune pensée ; elles doivent avoir le même but et y marcher du même pas. Elles ont les mêmes intérêts à sauvegarder.

L'heure est venue - et toute la politique est là - de s'occuper constamment, ardemment, avec cœur et âme, du sort des classes laborieuses.

Vous nous parlez des charges qui grèvent la propriété foncière. Et-ce bien venu, en un pareil moment ? Ces charges, je vous l'ai dit, je vous l'ai prouvé, vous ne sauriez le contester, sont moindres aujourd'hui qu'elles n'étaient en 1797, moindres, beaucoup moindres ! Et cependant depuis cette époque, quel changement a eu lieu dans la valeur de la terre ! Ce qu'elle pouvait supporter alors, comment ne le supporterait-elle pas facilement aujourd'hui ?

M. Rodenbach. - Il n'y avait pas alors d'autres impôts !

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il n'y avait pas d'autres impôts ! On ne connaissait donc pas pendant notre réunion à la France, la contribution mobilière et personnelle, les patentes ; les impôts sur le vin, les eaux de la bière, le tabac, le sel ; les droits de timbre et d’enregistrement, les droits même sur les successions en ligne directe ; que sais-je ! tout ce cortège d’impôts qui a existé sous l’empire…

M. de Liedekerke. - On ne les avait pas en 1797.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je vous ai cité cette date, pour parler de l'époque la plus reculée Mais je vous ai parlé également des charges qui pesaient sur la propriété, en 1805, 1806, 1810, 1813, 1814. Je vous ai prouvé qu'à toutes ces époques il y avait sur la propriété foncière des charges bien plus considérables qu'aujourd'hui.

Vous me dites que des impôts que nous avons aujourd'hui n'existaient pas alors. Mais que voulez-vous en conclure ! Le budget de l'Empire est bien inférieur à celui de la Restauration, et nous pouvons juger de l'accroissement pour ce qui nous regarde, par comparaison avec nos propres budgets.

Oui, il y a eu des charges nouvelles ; mais ne comprenez-vous pas que c'est là précisément ce qui condamne l'opinion que vous professez. Alors que d'autres impôts ont été établis, qu'il se sont notablement accrus, sur qui ont-ils pesé, puisque les charges de la propriété foncière n'ont pas varié, puisqu'elles ont été réduites, puisqu'aujourd'hui l'impôt foncier procure 4 millions de moins qu'en 1797 ?

C'est donc sur d'autres classes de la société qu'on a fait peser en très grandes parties les impôts. Oui, sur d'autres classes de la société. Oui, beaucoup d'impôts nouveaux sont venus, mais ont atteint dans une plus forte proportion la consommation. Beaucoup d'impôts sont venus qui ont atteint dans une plus forte proportion la bourgeoisie (je citerai l'impôt personnel), qui ont atteint dans une plus forte proportion la bourgeoisie dans nos villes. Car la contribution personnelle n'exerce presqu'aucune influence dans les campagnes, elle y est relativement bien moins élevée que dans les villes.

Et pourquoi ? Parce que le système d'impôt, qui avait été inauguré par le gouvernement des Pays-Bas, en 1821, reposait sur une combinaison dont une partie a été retranchée.

Il y avait dans le système du roi Guillaume, dans les impôts établis en 1821, il y avait la contribution personnelle, grevant, dans une forte proportion, les villes. Mais il y avait, par compensation, l'abattage et l'impôt mouture qui grevait dans une plus forte proportion les campagnes. Or, ces impôts, qui produisaient 11 millions de francs, ont été abolis sans qu'aucune autre charge ait été imposée aux campagnes.

Je ne prétends pas pourtant qu'il faille augmenter la contribution foncière, comme il vous plaît de le dire. Car, lorsque vous avez adopté un thème, l'évidence fùt-elle là, vous ne l'abandonnez pas.

Je suis l'adversaire de la propriété foncière ! Voilà ce que vous dit l'honorable M. de Liedekerke.

Et pourquoi, je vous prie, serais-je l'adversaire de la propriété foncière ? Quels motifs aurai-je d'en être l'adversaire ? Pourriez-vous en indiquer un ?... Vous gardez le silence...

Je vous ai communiqué certains documents dont vous vous étayez et qui devraient, qui auraient dû à eux seuls, vous prouver qu'il serait absurde de ma part, contraire à toutes les idées que j'ai exprimées, de soutenir qu'il fallait surtout, exclusivement, s'adresser à la propriété foncière. La propriété foncière, mais qu'est-ce donc en Belgique ? Vous avez 738,000 propriétaires ; sur 738,000 cotes de contribution, il y en a 450,000 en dessous de 10 fr. Quand il s'agit d'augmenter l'impôt foncier, on sait donc bien qui doit en fournir une bonne partie, si ce n'est le contingent le plus élevé. Ce sont ces classes moyennes au nom desquelles vous sembliez parler ? Il n'y a pas plus de raison de les atteindre de ce côté que de les atteindre, comme je vous le disais tantôt, par des augmentations de la contribution personnelle ou par une augmentation des patentes, puisque, en effet, c'est encore la même position que vous devez rencontrer là.

Prenez les patentes : vous avez en Belgique 350,000 patentables environ Vous en avez 300,000 dont la patente est inférieure à 10 fr.

Qu'il s'agisse de la terre ou des autres biens, c'est là un signe heureux de la division des capitaux, de la propriété. Mais cela prouve que c'est toujours au grand nombre qu'il faut s'adresser pour obtenir de notables produits. Et c'est pourquoi, messieurs, si, outre l'injustice que je signalais tantôt, vous adoptiez soit l'amendement de l'honorable M. Coomans, soit, à plus forte raison celui de l'honorable, M. Lelièvre, la loi produirait peu de chose, peu de chose dans le système de l'honorable M. Coomans, bien moins dans le système de l'honorable M. Lelièvre.

Dans le système de l'honorable M. Lelièvre, au lieu de trouver 1,800,000 francs je suppose, par l'impôt sur les successions en ligne directe, il est vraisemblable que nous n'obtiendrions pas 250,000 francs.

Un mot encore, messieurs, et je termine. Je ne veux pas finir sans exprimer quels sont à mon sens, les devoirs de la majorité dans les circonstances difficiles où nous nous trouvons.

Messieurs, nous formons un grand parti. Quelques-uns semblent le regretter. On entend même parfois des personnes s'écrier : quel malheur que ces partis existent !

Je ne suis pas de cet avis. Je suis au contraire convaincu que l'existence de deux grands partis, dans lesquels viennent se fondre les nuances diverses d'une même opinion, sont utiles, nécessaires. Dans notre pays les deux partis en présence et qui subiront assurément plus tard des transformations, représentent des idées fondamentales, diamétralement (page 1490) opposés, des principes contraires. L'un procède du principe d'autorité, l'autre du principe de libre examen. Ils poursuivent avec une égale conscience, un but qu'ils croient également bon ; et cette situation loin d'être fâcheuse pour le pays, lui est salutaire. Heureuse, les nations ayant des partis puissants qui se disputent honorablement et pacifiquement le gouvernement de la société.

Quand on veut au contraire nier les principes, essayer de les fondre, tenr de faire croire qu'on peut unir les choses contraires, c'esl-à dire la vérité et l'erreur, on se trompe, on introduit la démoralisation dans un pays.

Ne vous plaignez pas de voir deux partis en présence. Craignons de nous affaiblir et de perdre la position que nous avons conquise. C'est peut-être parce que des partis ayant aussi des idées, des systèmes à faire prévaloir, ont existé en Angleterre, que les institutions constitutionnelles s'y sont développées, fortifiées, et que tous les progrès que la politique pouvait faire ont été successivement inaugurés. C'est peut-être aussi parce que, au lieu de rencontrer des partis dans un pays voisin, les institutions électorales ne faisant arriver qu'une même pensée dans les assemblées législatives, on a vu la politique se transformer en questions de personnes, tandis que se préparait sourdement la dernière révolution. Les opinions qui auraient pu se faire jour dans le sein des assemblées, s'y produire et contraindre le pouvoir à marcher, ont été tenues à l'écart. D'hommes qui auraient été d'utiles conseillers, d'hommes qui auraient pu avertir, on a fait des mécontents, sinon des conspirateurs.

Nous devons, à mon sens, faire tous nos efforts pour maintenir notre parti ; c'est dans l'intérêt du pays. Il ne faut pas s'exposer à voir inaugurer de nouveau ce que l'on a nommé de la politique mixte. Non, c'est impossible aujourd'hui, et cela serait bien fatal au pays.

Et voilà pourquoi, messieurs, profondément convaincu que l'existence du parti libéral est nécessaire ; que son maintien au pouvoir est indispensable dans les circonstances actuelles, je convie mes amis à de mutuelles concessions, à d'honorables sacrifices, afin de conserver l'unité, l'homogénéité, la force dont nous avons besoin pour accomplir notre mission.

Vous vous occupez, messieurs, de la droite, de l'honneur et de la dignité des membres qui siègent sur les bancs de la gauche ; ils ne se tromperont pas en vous entendant : c'est l'avertissement d'un adversaire, et il est dans la nature de toute espèce de minorité, de chercher à diviser. Tenant conseil entre nous, comme on tient un conseil de guerre dans des circonstances difficiles, lorsque deux armées sont en présence, nous trouvons que tel plan doit être suivi, que telle marche doit être adoptée... (Interruption.) Je parle de la majorité. Tenant conseil entre nous...

M. Coomans. - Conseil de guerre.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Comme dans des circonstances difficiles, on tient un conseil de guerre quand deux armées sont en présence...

M. Dumortier. - Il n'y a plus de pays alors.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - ... on juge que telle marche doit être suivie, que tel plan doit être adopté. Viennent les adversaires, vient l'armée qui était inférieure en nombre, qui pouvait compter sur une victoire peut-être, en voyant ses adversaires divisés, vient cette armée qui redoute maintenant la défaite, elle crie à ceux qui étaient en minorité dans le conseil : « Quoil vous allez passer sous les fourches caudines ! quoi ! vous allez vous humilier, abdiquer vos idées, étouffer des dissentiments et exécuter le plan de la majorité ! Quoi ! vous ne venez pas à nous ! »

Si ce langage était tenu par les chefs d'une armée ennemie à une partie de l'armée contre laquelle elle doit combattre, savez-vous comment on le qualifierait ? on dirait tout d'une voix : Vous préconisez la trahison.

Rapports sur des demandes en naturalisation

M. Destriveaux dépose divers rapports sur des demandes en naturalisation.

- La chambre a ordonné l'impression et la distribution de ces rapports et les met à l'ordre du jour à la suite des objets qui s'y trouvent déjà portés.

Projet de loi sur les successions

Discussion générale

(page 1479) M. de Renesse. - Messieurs, la question de l'établissement de nouveaux impôts nedoit pas être considérée comme une affaire de parti, pouvant porter une atteinte au principe libéral du ministère, si elle n'obtenait pas une solution conforme à son désir ; je ne crois pas que l'on doive diviser les impôts en impôts libéraux ou catholiques, d'après le ministère qui les aurait présentés, pour que les membres de la représentation nationale puissent, dans leurs votes, suivre l'une ou l'autre direction, suivant l'opinion à laquelle ils appartiennent ; dans ces sortes de questions, comme aussi à l'égard des décisions à prendre pour l'exécution de nouveaux travaux publics, il faut, au contraire, que chaque membre des chambres possède son entière indépendance, il faut laisser à son appréciation l'opportunité de l'établissement de préférence de tel ou de tel impôt ; et si un ministère veut présenter un nouveau système d'impôts, imposer de nouvelles charges aux contribuables, c'est à lui de se mettre à cet égard, en premier lieu, d'accord avec la majorité avant de proposer ces nouveaux impôts ; il ne faut pas, d'après moi, qu'il y ait de contrainte morale : elle existerait réellement si le ministère, revenant sur sa décision de retirer le droit de succession en ligne directe, tout en le modifiant d'après la nouvelle proposition, voulait forcer une partie de sa majorité à admettre un principe qu'elle a non seulement combattu dans la session de 1849, mais encore dans la session actuelle.

Si les membres de la majorité dans les chambres devaient, sur presque toutes les questions posées par le gouvernement, suivre son impulsion, s'ils ne peuvent former une opposition de conviction sans provoquer, contre leur désir formel, même sur une question d'impôt, une crise ministérielle, alors il est inutile dorénavant que le pays ait des chambres législatives ; toute la représentation nationale se résumerait alors dans la volonté exclusive des six ministres, il serait superflu d'avoir des chambres dont les membres ne seraient plus que des machines à voter d'après la direction qui leur serait donnée par le ministère.

D'après mon opinion, les représentants du pays ne devraient jamais subir de contrainte morale, ils ne doivent compte de leurs votes qu'à leurs électeurs ; c'est à ceux-ci d'apprécier s'ils remplissent convenablement leur mandat parlementaire ; néanmoins, tout en se conformant autant que possible aux volontés de leurs commettants, les membres de la représentation nationale ne doivent subir aucune pression de quelque part qu'elle vienne ; ils doivent avant tout voter d'après leur conviction la plus intime, et lorsqu'il s'agit d'imposer de nouvelles charges aux contribuables, il doit leur être permis de se trouver en désaccord avec le ministère, sans pour cela être taxés de déserter leur parti, d'être des transfuges, sans être qualifiés de surnoms peu bienveillants de la part de la presse ministérielle, surtout s'ils croient consciencieusement que d'autres voies et moyens seraient préférables à ceux indiqués par le gouvernement ; l'on ne peut, du reste, inférer, qu'en se trouvant en opposition, sous ce rapport, avec le ministère, ils lui soient hostiles ; quant à moi, je tiens à déclarer que je désire que le ministère actuel soit maintenu à la tête de l'administration du pays, et j'ai vivement regretté qu'il ait cru devoir offrir sa démission, par suite d'un dissentiment survenu entre lui et une partie de sa majorité sur une simple question d'impôt.

Je n'entrerai pas dans le fond de l'examen du droit de succession en ligne directe primitivement proposé, ensuite retiré et actuellement modifié, d'après la nouvelle proposition faite à la chambre ; dans le lucide et consciencieux rapport de notre honorable collègue et ami M. Deliége sont exposés, avec autant de convenance que de force, tous les motifs qui peuvent s'opposer à l'adoption du principe de l'établissement d'un droit de succession en ligne directe ; principe, d'ailleurs, contraire à l'opinion de la généralité du pays, et ceci ne pourrait guère être contesté, puisque, depuis 1848, le ministère n'a pu jusqu'ici faire admettre un pareil impôt ; s'il n'y avait pas eu réellement une forte répugnance contre ce droit de succession en ligne directe, il eût été voté depuis longtemps.

Il me semble, qu'avant de recourir à imposer surtout une nouvelle charge à la propriété immobilière, il y a encore une assez grande latitude pour augmenter les ressources de l'Etat ; si, tous les moyens étaient épuisés, s'il y avait péril dans la demeure, de fournir de nouvelles recettes au trésor, alors seulement, et en dernier lieu, il faudrait songer à augmenter, dans un intérêt commun, les charges de cette propriété.

Déjà actuellement, la propriété foncière concourt, pour une large part, dans les ressources de l'Etat ; d'après une excellente brochure très opportune, récemment publiée à Liège, par M. A. Godin, sous-ingénieur des mines, intitulée : « L'impôt et ses privilèges », il paraît résulter, d'après les chiffres officiels, que cette propriété contribue, annuellement, environ pour 47 p. c. dans la somme totale des impôts payés à l'Etat ; elle est grevée, en outre, de charges provinciales et communales qui, dans plusieurs de nos provinces, sont assez notables, et de dettes hypothécaires d'environ 800,000,000 de fr.

Dans le moment actuel, il ne faut pas exiger de cette propriété de nouveaux sacrifices en faveur de l'Etat ; il faut la réserver pour les temps calamiteux, pour les circonstances tout extraordinaires où les autres ressources font défaut aux caisses publiques ; c'est ainsi qu'en 1848, lors de la crise politique, elle a pu verser au trésor, en ressources ordinaires et extraordinaires, près de 49,000,000 de francs.

Dans la discussion générale du projet de loi des successions, j'ai indiqué, ainsi que plusieurs de nos honorables collègues, d'autres voies et moyens pour augmenter les revenus du trésor, pour rétablir surtout l'équilibre entre nos recettes et dépenses ordinaires ; car je désire, autant que le gouvernement, que la situation financière du pays soit bonne, qu'il y ait chaque année un excédant de recettes sur les dépenses des budgets ; mais aussi longtemps que l'on n'aura pas cherché à tirer parti d'autres ressources que je crois préférables, je ne pourrai consentir à créer une nouvelle charge sur la propriété immobilière. Il me paraît, d'ailleurs, que ce nouvel impôt, quoique modéré dans son principe, ne pèserait que peu sur les grandes fortunes territoriales qui ne forment que l'exception en Belgique, mais serait plutôt une charge réelle pour les fortunes moyennes, par suite de la grande division des propriétés ; cet impôt frapperait surtout la classe de nos cultivateurs, petits industriels et commerçants, et parfois sur une partie de ces petites fortunes acquises au moyen du travail commun des parents et des enfants, et comme l'expose fort bien le rapport de la section centrale, « pour une grande fortune que vous atteindrez, vous en frapperez cent qui seront minimes. »

Lorsqu'en 1841, un ministère libéral parvint aux affaires, il crut de son devoir de proposer de nouvelles ressources pour rétablir l'équilibre dans les finances de l'Etat ; quelques-unes de ces ressources furent votées, d'autres considérablement modifiées, surtout un droit assez marquant sur le café ; cependant le ministère d'alors ne fit pas une question de cabinet sur une simple question d'impôt ; il ne chercha pas à peser sur la décision de la majorité.

En 1844 un autre ministère proposa un système d'impôt sur les tabacs ; il devait rapporter au trésor au-delà de fr. 3,000,000 ; cette proposition fut considérablement modifiée par la chambre, au grand préjudice de nos ressources financières ; la majorité fut plutôt influencée par la pression du dehors que par le ministère ; quant à moi, je déclarai alors aux différentes députations de fabricants de tabac, que je voterais pour la proposition du gouvernement, voulant faire contribuer les tabacs pour une plus large part dans les ressources de l'Etat, que j'y donnerais d'autant plus mon assentiment, que jusqu'ici on conservait un impôt exorbitant de plus de 300 p. c. sur le sel, dont déjà à plusienrs reprises j'avais appuyé une forte réduction ; le sel étant une denrée de première nécessité pour la classe ouvrière ainsi que pour l'industrie agricole ; cette opinion, je la maintiens encore actuellement, et je suis résolu à voter des ressources nouvelles au moyen d'une augmentation de charges sur le tabac, matière éminemment imposable ; si surtout M. le ministre des finances nous donnait une certaine assurance contre la fraude de l'étranger.

Je donnerai aussi mon assentiment à toute proposition qui ferait contribuer les sucres et autres denrées de luxe, pour une plus forte part dans les voies et moyens du trésor, afin d'équilibrer nos recettes et dépenses ordinaires.

J'ai la conviction, en outre, que conformément à ce qui se passe aux Etats-Unis de l'Amérique du Nord, pays démocratique par excellence, et en Angleterre, nous devons chercher à améliorer principalement nos ressources financières, par un système modéré d'impositions indirectes qui, en général, se payent plus facilement, et ne mettent pas constamment les contribuables en contact avec le fisc.

Si, d'après l'article 112 de notre Constitution, il ne peut être établi de privilèges en matière d'impôt, il ne doit non plus y avoir d'exemptions ou de modérations d'impôt qu'en faveur de la classe nécessiteuse, secourue par la bienfaisance publique ; il faut que toutes les autres classes de la société contribuent, d'après leurs moyens, aux charges de l'Etat ; en divisant ces charges d'après la position de fortune des contribuables, en faisant surtout concourir les sociétés anonymes, ainsi que différentes catégories d'autres capitaux, qui ne contribuent que peu ou point aux ressources du fisc, les capitalistes étant actuellement les véritables privilégiés du trésor, l'on parviendrait à mettre une plus grande égalité entre les divers contribuables ; l'on allégerait ainsi le poids des contributions ; l'on établirait alors le principe que : s'il y a égalité devant la loi, il doit aussi y avoir égalité devant le percepteur.

Pour que notre nationalité, notre indépendance constitutionnelle n'ait réellement rien à craindre des théories subversives que l'on cherche à répandre parmi les populations, il faut que le gouvernement cherche constamment à administrer le pays avec la plus grande équité et impartialité, sans distinction de parti, car l'oppression nous est antipathique ; il faut que l'on cherche plutôt à diminuer les charges des contribuables, qu'à les augmenter, en restreignant autant que possible l'action et les dépenses de l'Etat ; il faut surtout tâcher d'introduire dans nos impôts existants une plus égale répartition, et de tirer parti de différentes autres ressources et de certains capitaux qui, jusqu'ici, ne contribuent pas aux recettes de l'Etat ; de cette manière, l'on trouvera probablement une augmentation de voies et moyens pour le trésor ; l'on diminuera ainsi la charge réelle par tête ; il n'y aura plus alors de plaintes contre les surcharges de contributions ; ce sera la plus sûre garantie du maintien de la tranquillité dans le pays, et la sauvegarde de notre indépendance nationale.

(page 1480) D’après ces considérations, je crois devoir persister dans ma résolution de refuser mon vote en faveur de l’établissement d’un droit de succession en ligne directe.

- Plusieurs membres. - La clôture ! la clôture !

M. Delehaye. - M. Jacques a présenté un amendement, il serait convenable de l’entendre.

M. Jacques. - J'avais demandé la parole pour soutenir une seconde fois qu'il est inutile de créer de nouveaux impôts, et que l'équilibre financier existe ; mais j'ai entendu tout à l'heure l'honorable M. Osy soutenir cette thèse aussi bien et mieux que je n'aurais pu le faire, et comme j'ai remarqué que M. le ministre des finances ne lui donnait pas un seul mot de réponse en ce qui concerne la situation financière, je pense qu'il est à peu près inutile que je vienne soumettre de nouveau à la chambre les mêmes observations que M. Osy vient de présenter tout à l'heure.

Je ferai remarquer de plus que, dans une séance précédente, je me suis déjà étendu assez longuement sur la situation financière, et que dans aucune des circonstances où M. le ministre des finances a pris la parole il n'a rien répondu aux observations que j'avais eu l'honneur de présenter à cet égard.

Puisque j'ai la parole, je dirai cependant quelques mots en réponse aux observations présentées tout à l'heure par M. le ministre des finances sur quelques points de détail.

M. le ministre nous a dit que la loi sera démocratique si elle est juste ; mais je soutiens, au point de vue où je me suis placé, qu'un impôt ne peut être juste qu'autant qu'il soit indispensable à la bonne marche des affaires ; et, comme je crois avoir démontré que l'administration du pays peut marcher sans nouveaux impôts, je ne puis pas reconnaître que l'impôt proposé sur les successions en ligne directe soit juste le moins du monde.

M. le ministre a dit aussi que les droits sur les objets de luxe ne rapportent rien ; cependant, messieurs, nous avons des accises sur les vins et sur les sucres, qu'on peut considérer comme des objets de luxe, et, dans les circonstances actuelles, ces deux branches rapportent au-delà de 4 millions : je pense d'ailleurs qu'une administration intelligente parviendrait à obtenir de ces accises une somme beaucoup plus forte que celle qu'elles rapportent maintenant. J'ai indiqué dans une autre discussion que l'on pourrait profiter du renouvellement du traité avec la France, pour reprendre le droit de rétablir l'accise sur les vins à son taux intégral ; l'on pourra ainsi prochainement, si on le veut, obtenir sur le seul article « vins », une augmentation d'un million au moins.

M. Frère a classé ensuite en trois groupes les représentants qui s'opposaient au droit de succession en ligne directe, lors de la discussion de 1849.

J'appartenais, je crois, à ces trois groupes ; du moins je ne trouvais dans les conditions que M. le ministre a indiquées pour chacun de ces groupes. M. Frère a dit que les uns ne voulaient pas de l'impôt, avant qu'on n'eût fait toutes les économies possibles. J'étais de ce nombre-là ; mais je demanderai si l'on a bien fait toutes les économies praticables ? Quant à moi, je ne le pense pas. Je pense que l'on pourrait encore réaliser pour deux millions d'économies dans les diverses dépenses de l'Etat, et si c'était le moment d'entrer dans les détails, je pourrais le démontrer ; mais je crois que c'est inutile, je crois m'en être suffisamment expliqué dans des circonstances précédentes.

M. Frère disait qu'une autre catégorie de membres ne voulaient pas de l'impôt sur les successions en ligne directe parce que ces membres pensaient que d'autres ressources étaient préférables .Eh bien, j'étais aussi de ce nombre et j'en suis encore. J'ai indiqué tout à l'heure la possibilité d'augmenter les accises sur les vins et les sucres, j'indiquerai de plus le transport des marchandises par le chemin de fer comme pouvant donner des produits plus considérables que ceux qu'il donne maintenant.

Enfin la troisième catégorie d'opposants au droit sur les successions en ligne directe, se composait, suivant M. le ministre des finances, de ceux qui ont une répugnance invincible contre cet impôt, mais qui sont placés dans la nécessité d'examiner s'il ne vaut pas mieux le voter que d'amener le renversement du cabinet. J'étais aussi et je suis encore de ce nombre. Je suis désireux de conserver le ministère et en général je lui prête mon appui s'il veut en user, mais je lui déclare que dans la circonstance actuelle je ne puis pas voter l'impôt qu'il nous présente.

Je crois, messieurs, ne pas devoir en dire davantage pour le moment. Si M. Frère veut me faire une réponse sur la nécessité de créer de nouveaux impôts, je me réserve de prendre de nouveau la parole.

Je déposerai un amendement tendant à réduire le chiffre de 25,000 fr. proposé par M. Lelièvre, à 10,000 fr.

- Plusieurs membres. - Aux voix ! aux voix !

M. de Theux. - Si la chambre ne désire pas m'entendre, je céderai à la pression, mais je déclarerai que la discussion n'a pas été libre jusqu'au bout.

- Plusieurs membres. - Parlez ! parlez !

M. de Theux. - Messieurs, l'honorable ministre des finances a prononcé, pour la défense de son projet, un discours que je reconnais volontiers être plein d'habileté. Pour mieux assurer le vote de ce projet, il vous a fait entrevoir la mort du parti libéral, la mort de sa propre majorité, la mort du ministère. Un tableau si triste a dû vous impressionner profondement et vous disposer favorablement en faveur de l'impôt.

M. le ministre des finances est allé jusqu’à proclamer la bonté de deux grands partis divisant le pays ; d’où sans doute il veut faire ressortir la force du pays, la force de la nation, contrairement à la devise du congrès : « l’union fait la force.

L'union dans chaque parti fait la force du parti, j'en conviens ; mais l'union des partis fait la force de la nation.

Messieurs, une autre habileté de la part de M. le ministre des finances, c'est de vous avoir présenté l'impôt sur les successions en ligne directe comme nécessaire pour rétablir l'équilibre dans les finances.

Quant aux dépenses nouvelles que le ministère veut faire prévaloir, il présentera d'autres impôts. Mais pour rétablir l'équilibre dans les finances, l'impôt sur les successions en ligne directe est le seul auquel le gouvernement veuille avoir recours.

Messieurs, soyons dans le vrai et disons que l'impôt sur les successions en ligne directe n'est que le premier anneau de la chaîne d'impôts que vous serez obligés de voter. C'est le premier article d'un système complet ; cela tient essentiellement à la politique du cabinet.

Il ressort du discours qui a été prononcé aujourd'hui par M. le ministre des finances, qu'il ne se contente pas de rétablir l'équilibre, mais qu'il veut encore faire décréter un vaste système de travaux publics. C'est là la double condition de l'existence du cabinet.

Ainsi, il ne vous sera pas facultatif de vous borner à voter cet impôt ; il vous sera commandé de voter tous les autres, jusqu'à concurrence des besoins et des travaux publics que le gouvernement a annoncés ; c'est un capital de 100 millions qui doit être consacré aux travaux publics, partie par les sociétés, avec garantie d'un minimum d'intérêt, partie par le budget de l'Etat. Mais, messieurs, qui vous assure que, ces travaux une fois décrétés, une somme de 100 millions suffira ? Qui vous dit que ce ne sont pas 200 millions, peut-être même davantage ?

Nous nous rappelons qu'en 1834 le projet du chemin de fer à exécuter par l'Etat, qui avait rencontré dans cette enceinte une si vive opposition, fut annoncé au capital modeste de 50 millions, fut annoncé comme devant non seulement couvrir les intérêts des capitaux, mais fournir largement aux besoins du budget des dépenses. Que sont devenues ces belles chimères, ces belles promesses ? Vous savez quel est le capital consacré au chemin de fer ; vous savez quelle est la différence entre les intérêts des capitaux empruntés et les frais d'exploitation d'une part, et la recette, de l'autre.

Je ne crains pas d'être mauvais prophète en vous disant que ce que vous avez eu pour le chemin de fer, vous l'aurez pour le système nouveau que le gouvernement annonce, et vous l'aurez avec des résultats plus graves.

Et puis, sont-ce bien les seules dépenses qui sont réclamées dans le pays ? Assurément non ; recueillez vos souvenirs, rappelez-vous tous les travaux qui ont été préconisés dans cette enceinte et dans la presse, signalés dans diverses localités ; rappelez-vous tous les autres projets qui peuvent avoir un grand caractère d'utilité, j'en conviens, et vous verrez qu'après avoir voté tout ce que le gouvernement se propose de vous présenter actuellement, d'ici à quelques années, les chambres se trouveront dans une position identique ; nouveau déficit dans les recettes, comparativement aux dépenses ; équilibre rompu beaucoup plus profondément qu'il ne l'est aujourd'hui ; nouvelles réclamations des intérêts qui ne sont pas satisfaits aujourd'hui, et qui se préparent à se faire jour pour une époque rapprochée ; et alors le gouvernement, dominé de nouveau par les demandes si pressantes de tant d'intéressés, sera obligé peut-être de recourir aux mêmes moyens que l'on emploie dans cette circonstance.

Les intéressés presseront le gouvernement dans l'avenir d'autant plus vivement qu'ils auront acquis la connaissance du moyen d'arriver à leur but ; ils sauront qu'un gouvernement, appuyé par une majorité compacte, peut toujours obtenir de cette majorité ce qu'il désire.

Mais, dit-on, vos prévisions sont sinistres ; le gouvernement, les chambres sauront s'arrêter à temps.

Messieurs, l'expérience nous montre qu'il est bien difficile à un gouvernement et à des chambres de s'arrêter dans une mauvaise voie. Quand s'arrête-t-on ? Lorsqu'il est trop tard, lorsqu'il y a impossibilité de continuer à marcher.

Et dans de pareilles circonstances, le gouvernement se fait-il à meilleur marché ? Peut-il proposer de grandes réductions de dépenses ? Non, messieurs ; plus il y a de mécontents dans un pays, plus le gouvernement est entraîné à faire des dépenses pour satisfaire et contenir les mécontents....

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Cela vaut mieux que des coups de fusil.

M. de Theux. - Des dettes sont contraclées, il faut les payer ; les services publics sont nécessaires, le gouvernement ne peut pas les supprimer, il ne peut pas les amoindrir. Et puis le mécontentement des collèges électoraux se traduit dans les choix qu'ils font pour la législature, et alors le gouvernement représentatif est à bout de moyens. En voyant ce qui se passe depuis un grand nombre d'années dans divers pays, s'il y a un sujet de crainte pour le gouvernement représentatif, c'est précisément la facilité avec laquelle on se laisse entraîner à toutes sortes de dépenses.

Tous les pouvoirs ont les mêmes tendances ; les conseils communaux pour se rendre populaires, s'empressent de faire faire des dépenses ; les conseils provinciaux en font autant, les chambres également, et le (page 1481) gouvernement par-dessus tout. Or, la composition de ces corps, le personnel du gouvernement se renouvelant fréquemment, chacun étant tenté de payer sa bienvenue, on arrive forcément à un système de dépenses exagérées qui un jour, je le crains, deviendra fatal.

J'aborde maintenant directement la question de succession en ligne directe. Je tâcherai de ne vous présenter que des arguments fondés sur des raisons péremptoires et sur des chiffres.

L'impôt de succession en ligne directe, avec l'ensemble des dispositions de votre loi modifiant celles de la loi de 1817, est le premier élément du système d'impôts, est la base du système de travaux publics que vous voudriez faire voter. Quant à moi, décidé à ne pas adopter ces propositions, comme système, dans leur ensemble, je n'adopte pas l'article premier du projet qui en est la base.

L'impôt sur les successions a cela de particulier qu'il est un impôt sur le capital, de plus qu'il est un impôt aléatoire. En effet, suivant que la mort sévit plus fréquemment dans les familles, les charges de l'impôt de succession deviennent plus pesantes. Il y a donc en cette matière atteinte à la justice distributive.

Cet impôt n'est pas assis sur un accroissement de fortune ; car je maintiens que le sens intime de chacun de vous comme l'expérience sont d'accord pour reconnaître que le patrimoine du père est le patrimoine des enfants. Sans cela, ne verrait-on pas les pères de famille disposer quelquefois d'une partie de leur patrimoine en faveur d'individus autres que leurs enfants ? Or cela ne se voit jamais. Par conséquent l'expérience, d'accord avec le sens intime de chacun de vous, constate que le patrimoine du père est le patrimoine des enfants. Ce n'est pas sur un accroissement des fortunes qu'est assis l'impôt de succession en ligne directe, c'est sur un décroissement de la fortune.

Mais, dit-on, l'impôt sur les successions en ligne directe pèse plus particulièrement sur le sol, attendu qu'il est plus facile de constater les valeurs immobilières que les valeurs mobilières. En est-il meilleur ? Je ne le pense pas. En Hollande, pays commercial puisque la fortune publique repose sur le commerce, l'impôt sur les successions en ligne directe n'existe pas, et on ne propose pas de l'établir.

Cependant la Hollande, depuis 1830, ne s'est-elle pas trouvée dans des embarras financiers bien autrement graves que ceux de la Belgique ? En Hollande, on reste fidèle aux engagements législatifs ; ici on veut les rompre. Savez-vous en quoi consistent les engagements législatifs ? C'est que la loi de 1817, en maintenant l'abolition du droit de succession en ligne directe, a établi une compensation en aggravant considérablement les droits de succession en ligne collatérale.

Messieurs, un deuxième argument employé en faveur de la loi est celui-ci : on paye un droit de mutation entre-vifs sur le sol ; on paye pour les successions en ligne collatérale des droits exorbitants, tellement que l'honorable jurisconsulte, M. Troplong, ne pourrait pas trouver des termes assez durs pour les qualifier ; c'est dans ces circonstances qu'on puise un motif pour établir un impôt de succession en ligne directe, et aggraver de nouveau d'une manière spéciale les charges de la propriété.

Mais la propriété est-elle, en Belgique, l'ennemi de la patrie ? Faut-il dire au sol : Vae victis. Vous payez beaucoup de toutes parts, vous devez payer davantage. Voilà l'argument que je combats. Mais, dit-on, la loi de 1817 consacre le principe de l'impôt de succession en ligne directe, car le Belge qui hérite d'un domaine situé à l'étranger doit payer le droit de mutation.

Si le gouvernement hollandais a établi un impôt sur la succession de domaines situés à l'étranger, contrairement aux usages des autres gouvernements, il l'a fait en haine de l'étranger, il a voulu restreindre les alliances des nationaux avec l'étranger et les acquisitions à l'étranger, mais il n'a eu en aucune manière en vue de proclamer la bonté de l'impôt de succession en ligne directe. Le gouvernement hollandais, si cette connexité avait existé en réalité, aurait su s'en prévaloir et obtenir l'impôt de succession en ligne directe à l'intérieur du pays.

Troisième objection : la valeur du sol est considérablement augmentée. Mais est-ce de la part du fisc qu'il faut s'attendre à cette objection ? n'est-ce pas lui qui profite sous toutes les formes de l'augmentation de la valeur du sol ? Est-il vrai que l'importance du revenu s'agrandisse à proportion de l'augmentation de la valeur vénale des propriétés immobilières ? Non, cela n'est point vrai ; dès lors l'héritier qui veut conserver l'héritage qui lui est venu de ses parents ne jouissant que du revenu ne trouve dans l'augmentation de la valeur vénale estimée par le fisc que la cause d'un impôt plus fort.

Nous disons qu'il est injuste d'aggraver les charges du sol et nous nous autorisons de l'exemple d'autres nations. En France, depuis 1848, on a diminué le chiffre de l'impôt foncier ; en Angleterre on demande la diminution des charges qui pèsent sur la propriété foncière, et on l'obtiendra, en compensation du retrait de la protection qui était accordée aux produits du sol.

En Hollande, pays éminemment commercial, l'on n'a point songé à aggraver les charges de la terre, et c'est en Belgique, pays renommé par son agriculture, pays dont la fortune a toujours été rétablie par son agriculture à la suite des circonstances les plus calamiteuses, c'est dans ce pays que, faisant bon marché de la tradition, des exemples des autres nations, on s'engage dans cette voie.

Que diraient de cette manière de procéder les hommes d'Etat qui sous le royaume des Pays-Bas se voyaient attaqués parce que le gouvernement n'était pas assez favorable à la propriété ? Certes, ils pourraient dire ce que disait naguère un de nos collègues, que le plus grand nombre de nos griefs était imaginaire, qu'ils étaient bons tout au plus pour frapper le gouvernement.

Mais, nous dit-on, le gouvernement des Pays-Bas avait établi en 1821 et 1822 un système complet d'impôts ; dans ce système, l’ahriculture était grevée spécialement de deux impôfs : l'abattage, la mouture. Ces impôts pesaient principalement sur les habitants des campagnes. Disons d'abord que ces impôts furent abolis sous le gouvernement des Pays-Bas lui-même ; mais ajoutons que c'est une erreur de dire que ces deux impôts pesaient davantage sur les campagnes que sur les villes, et, en effet, n'est-ce pas dans les villes que l'on consomme surtout le froment ? Or, la taxe sur le froment était incontestablement plus forte qu'elle ne l'était sur le seigle. L'ouvrier des villes est obligé de manger plus de pain que l'ouvrier des campagnes qui se nourrit en grande partie de légumes. N'est-ce pas dans les villes que l'on se consomme surtout la viande ? C'était donc sur les villes que pesait davantage l'irnpôt de mouture et de l'abattage.

Ainsi, c'est à tort que l'on présente l'abolition de ces deux impôts comme autorisant de nouvelles charges sur le sol.

Messieurs, je veux être court sur ce chapitre. Cependant je ne puis me dispenser de vous communiquer encore quelques observations.

En Belgique, les produits du sol ne sont plus protégés contre la concurrence étrangère.

Il y a plus. Ses produits principaux sont frappés de droits : ainsi aux distilleries, aux brasseries, aux octrois des villes, les produits de l'agriculture rencontrent les taxes du gouvernement, les taxes des villes.

Non seulement, la terre supporte l'impôt foncier ordinaire, mais elle doit supporter presque exclusivement les contributions extraordinaires dans les temps calamiteux.

Ce sont ces contributions extraordinaires, dont on peut grever le sol dans des temps calamiteux, qui peuvent seules, soas un gouvernement représentatif, constituer la réserve financière. Vous auriez beau remplir les caisses du trésor, y mettre des millions que, dans quelques années, vous n'y trouveriez rien. Voulez-vous une réserve ? Laissez la propriété en position de supporter des impôts extraordinaires, des emprunts forcés.

Mais, nous dit-on, nous sommes dans des circonstances extraordinaires : l'année 1852 approche, cette année qui peut amener de grands bouleversements. Donc, décrétons dès maintenant de grands travaux d'ulilité publique. Ce système est plein de danger : que savez-vous si, en 1852, vous n'aurez pas à pourvoir à d'autres dépenses plus urgentes que celles des travaux publics, si, à cette époque, vous n'aurez pas à armer, à approvisionner vos forteresses, à augmenter peut-être la force de votre armée. Et comment le ferez-vous, après avoir augmenté vos impôts, pour des travaux qui au moins pourraient être ajournés à une époque de sécurité ?

Et pour les ouvriers, savez-vous quelle est la catégorie qui aura besoin de secours, en 1852 ? Si l'industrie manufacturière des grandes villes venait à chômer, si les populations agglomérées étaient dépourvues de moyens d'existence, pensez-vous que ce serait dans des travaux de chemins de fer ou de canaux qu'elles trouveraient des ressources alimentaires ? Mais non, l'expérience prouve que c'est à d'autres moyens qu'il faut recourir en faveur de ces populations.

Si nous avons défendu avec quelque chaleur les intérêts de la propriété, croyez bien que la considération qui nous anime est celle-ci : c'est qu'il y aurait lâcheté pour ceux qui les connaissent à en abandonner la défense, lorsqu'ils sont attaqués, compromis ; c'est que nous sommes persuadés qu'il y va d'un intérêt national de premier ordre.

Il importe de ménager cette ressource, parce que nous ne savons pas quand la crise politique dont nous sommes menacés éclatera, ni combien elle durera. Rappelons-nous la durée de la révolution de 1789 ; nous ne sommes qu'à l'ouverture de la révolution de 1848. Quand finira-t-elle ? Vous ne le savez pas ; je ne le sais pas non plus : tout ce que je sais, c'est qu'un gouvernement, une législature prudente tiendrait des ressources en réserve pour les événements qui peuvent se présenter.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il faut d'abord les créer avant de les tenir en réserve.

M. de Theux. - Il ne faut pas les créer pour les dépenser immédiatement. Voilà ma réponse.

Messieurs, l'impôt en ligne directe doit être repoussé encore à raison de ce qu'il vient joindre les rigueurs du fisc aux rigueurs de la mort. C'est-à-dire qu'aux désolations les plus poignantes qui atteignent les familles, on vient ajouter des embarras souvent inextricables et des charges financières.

Ce ne sont pas seulement les enfants du père de famille qui sont grevés, c'est encore l'époux survivant, et peut-être de la manière la plus pénible. Car avant la déclaration de la consistance d'une succession, ainsi qu'on vous l'a démontré, il faudra procéder à la liquidation de la communauté, ce qui peut-être, par le bon accord des enfants avec l'époux survivant, n'aurait jamais eu lieu.

Mais, me dit-on, les objections que l'on avait à faire contre la loi, les répulsions que l'on manifestait dans la discussion précédente, doivent être considérablement amoindries, puisque nous n'exigeons plus la connaissance des affaires des familles.

Messieurs, n'adoptons pas cet argument avec trop de facilité. Il faudra dans tous les cas que la famille fasse connaître, sa position (page 1482) immobilière et sa position mobilière. Elle ne pourra cacher ni ses capitaux, ni ses rentes, ni ses fonds publics. Elle pourra cacher une seule chose : c'est l'importance des dettes. Mais, dans certaines circonstances, la famille, pour éviter un droit onéreux, sera amenée encore à faire connaître la consistance des charges. D'ailleurs, la véritable appréciation de la situation des familles, c'est de connaître l'importance de leurs possessions tant en meubles qu'en immeubles.

Messieurs, il se passe un spectacle bien étrange dans cette discussion :

C'est que la Belgique de 1850, qui s'est toujours proclamée la nation la plus avancée dans ses institutions va, en matière d'impôts, puiser ses exemples, où ? Dans les temps de la féodalité. L'impôt des successions existait sous le régime féodal, il faut l'établir en Belgique.

Elle va puiser ses exemples dans les gouvernements dont elle ne voudrait à aucun prix subir les institutions : c'est dans le nord de l'Allemagne ; je dirai même que c'est en France. Car enfin, en matières financières, nous ne sommes pas du tout partisans des institutions françaises ; nous ne l'avons pas été à l'époque de la réunion ; nous ne le serions pas encore aujourd'hui.

Et c'est, messieurs, un impôt établi dans de tels pays, établi sous l'empire de telles législations, que l'on ose proclamer, présenter à votre sanction comme un impôt populaire, comme un impôt émanant d'un esprit de progrès ! Oh ! véritablement, messieurs, c'est par trop abuser des termes.

Mais, puisque l'on invoque sans cesse l'exemple de la France, voyons ce qui existe dans ce pays en matière de droits de succession ; et quand j'aurai fait la comparaison, j'espère que nos adversaires cesseront d'invoquer cet exemple.

Messieurs, en France, pour le deuxième et troisième degré, c'est-à-dire entre frères, entre neveux et oncles, la moyenne des droits, décime compris, est de fr. 5.22 pour 100 fr. de capital ou pour 5 francs de revenu. Car, vous savez que la propriété immobilière est estimée à 20 fois le revenu, comme les rentes.

En Belgique, messieurs, pour le deuxième et le troisième degré, l'impôt sera, avec la majoration votée entre frères, de 7 fr. 25 c, non pas comme en France pour un revenu de 5 fr., mais pour un revenu de 3 fr. 73 c, attendu que contrairement à ce qui se passe en France, on évalue ici la valeur vénale des immeubles et que cette valeur est communément portée à 40 fois le revenu.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est une erreur ; si vous le permettez, je la rectifierai.

Vous supposez, et vous l'avez dit dans le discours prononcé en 1849, qu'en Belgique il y a des contestations résultant de ce qu'il faut évaluer les immeubles pour en connaître la valeur vénale, tandis qu'en France on se bornerait à prendre vingt fois la valeur cadastrale.

M. de Theux. - Cette erreur, je l'ai reconnue et je l'ai moi-même rectifiée aujourd'hui, puisque je n'ai parlé que du revenu des biens.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Eh bien, il y a autant de difficultés pour constater le revenu des biens que pour constater leur valeur vénale. Aussi y a-t-il autant de contestations en France qu'en Belgique. Elles ne sont d'ailleurs pas très nombreuses.

M. de Theux. - Quant au nombre de contestations, je ne veux pas contredire l'assertion de M. le ministre des finances. Mais ce n'est pas sur le nombre des contestations que je veux baser mon argumentation. Elle ne portait, quant à présent, que sur la hauteur de l'impôt comparé à ce qui existe en France.

Messieurs, je disais tout à l'heure qu'en Belgique, le droit revenait à 7 fr. 25 c pour 3 fr. 75 c. de revenu, en supposant que dans une succession il y eût moitié meubles et moitié immeubles. Mais je dois faire à cela une déduction, c'est celle des dettes. En France on ne les déduit pas ; en Belgique on peut les déduire.

J'admets l'évaluation de M. le ministre des finances et je suppose que dans une succession il y ait un quart de dettes. Eh bien, dans cette circonstance encore, l'impôt diminué d'un quart est de 6 fr. 44 c. pour 3 fr. 78 c. de revenu, tandis qu'en France il n'est que de 5 fr. 22 pour 5 fr. de revenu.

Messieurs, des calculs à peu près identiques s'appliquent au quatrième degré qui en France paye encore beaucoup moins qu'en Belgique, puisque en Belgique au quatrième degré on paye le droit le plus élevé, 10 p. c. comme entre non-parents.

Entre non-parents en France, le droit, décime compris, ne s'élève qu'à 8 fr. 25 c., toujours pour 5 fr. de revenu, tandis qu'en Belgique ce droit s'élève à 14 fr. et quelques centimes, en supposant un quart de dettes et en faisant la déduction d'un quart du droit.

Mais si nous différons tant avec la France pour le droit en ligne collatérale, nous rapprochons-nous au moins pour le droit en ligne directe ? En apparence, oui ; le gouvernement propose le droit d'un pour cent, comme en France. Mais quand vous appliquez les dispositions du projet, vous trouvez encore une différence considérable.

Ainsi, par exemple, en France pour un revenu de 5 francs vous trouvez un impôt de 82 centimes, décime compris, en supposant que la succession soit composée pour moitié de meubles et pour moitié d'immeubles. En Belgique, sur un revenu de 3 fr. 78 c., c'est-à-dire inférieur d'un quart à celui que j'ai cité pour la France, vous avez à payer 09 centimes et 1/2, c'est-à-dire que le droit sur les successions en ligne directe, tout mitigé qu'il est par M. le ministre des finances, rapportera en Belgique 36 c. de plus qu'il ne rapporte en France. Pour un revenu égal de 5 fr., ajoutons qu'en France on ne paye rien de plus pour les transports, soit en ligne directe, soit en ligne collatérale.

Maintenant, messieurs, entre époux, mais vous avez encore un droit infiniment plus élevé en Belgique qu'en France. D'abord, en lisant le projet de M. le ministre des finances, on ne s'aperçoit pas du droit dont sera frappé le legs fait à l'époux survivant avec des enfants ; ce droit, messieurs, sera de 4 p. c. en principal.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Non, de 1 p. c.

M. de Theux. - Je suis charmé d'avoir provoqué l'explication, parce que le texte de la loi n'indique pas de différence entre les époux laissant des enfants ou n'en laissant point.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je présenterai un amendement pour qu'il n'y ait plus de doute.

M. de Theux. - Je ne reviendrai pas sur ce qu'on a dit de l'opinion de M. Troplong ; je dirai seulement que M. Troplong qui trouve le droit sur les successions en ligne directe, tel qu'il est établi en France, simplement tolérable, s'opposerait très certainement à toute espèce d'aggravation de ce droit ; eh bien, ici nous l'aggravons d'un tiers et demi à peu près.

Maintenant, messieurs, qu'a produit en 1842 le droit de succession en France ? Il rapporté 42 millions de francs, ce qui, en raison de la population de la Belgique, qui est d'un peu moins du huitième de celle de la France, n'aurait pu donner que 5 millions.

Eh bien, à cette même époque, l'impôt, tel qu'il est établi par la loi de 1817, a produit 5,300,000 fr. 6 p., de plus qu'en France.

On dira peut-être que la population est plus riche en Belgique qu'en France ; mais je ferai remarquer que l'étendue du territoire, comparativement à la population, est des plus grande en France qu'en Belgique ; or comme l'impôt porte principalement sur le territoire, il ne peut être douteux pour personne qu'un droit établi de la même manière, devrait donner en France un chiffre plus élevé qu'en Belgique.

Eh bien, messieurs, en ajoutant aux droits établis par la loi de 1817 l'impôt sur les successions en ligne directe, soit 1,500,000 fr., et l'augmentation de 750,000 fr. devant résulter des diverses modifications que la chambre a déjà adoptées, vous arrivez à un accroissement de 2,250,000 fr. Savez-vous, messieurs, ce qui en résultera ? C'est que le droit de succession rapportera en Belgique 55 p. c. de plus qu'en France. Et cela malgré l'abolition du serment, qui, d'ailleurs, n'a jamais existé en France, et malgré la grande disproportion du territoire.

Voilà, messieurs, un résultat incontestable, car j'ai établi mes chiffres avec le plus grand soin pour qu'on ne pût pas m'accuser de présenter des arguments qui ne fussent point sérieux.

Mais, dira-t-on peut-être, si l'impôt est de 55 p. c. plus élevé en Belgique qu'en France, nous avons (sur les prévisions de la loi de 1817) un déficit résultant de l'abolition du serment. Il est difficile, messieurs, de dire quel est le chiffre de ce déficit, mais d'après les explications que M. le ministre des finances a données dans son exposé des motifs, on peut, en prenant les choses au plus haut, supposer qu'il sera d'un million. Eh bien, portez-le même à 1,100,000 fr., comme il y a augmentation de 2,500,000 fr. des divers chefs que j'ai indiqués tout à l'heure, il en résulte que si le fisc perd un par la suppression d'une mesure impopulaire, il gagne deux par l'établissement d'une autre mesure impopulaire.

Un honorable député de Huy accusait M. le ministre des finances de n'avoir point le « génie de l'impôt ». Mais tout au moins vous reconnaîtrez que si M. le ministre n'a pas le génie de l'impôt, il a le génie de la fiscalité, et quant à moi, loin de l'engager à donner cours à son génie, j'espère qu'il s'arrêtera à cette loi et que ce génie de la fiscalité ne s'appliquera plus à d'autres impôts, alors même qu'ils ne frapperaient pas l'agriculture, car il ne faut pas, lorsqu'on se noie, entraîner les autres dans le naufrage.

Quant à la chambre, nous la conjurons de bien réfléchir qu'en adoptant la loi actuelle elle s'engage nécessairement à voter les autres lois d'impôt et à voter le système de dépenses que M. le ministre nous a fait connaître, nous la conjurons de bien réfléchir que l'impôt sur les successions en ligne directe n'a d'autre raison d'être que le système d'ensemble que le gouvernement a adopté comme programme de sa politique.

Ainsi, messieurs, ce serait bien à tort qu'après avoir adopté ce projet, vous espéreriez combattre les autres impôts et ajourner à des temps plus propices le système de travaux publics conçu par le cabinet. Non, messieurs, vous êtes enchaînés au premier anneau du système du gouvernement par l'adoption de cette loi ; vous ne vous délierez point. Vous voulez rétablir l'équilibre dans les finances et vous créerez pour une époque peut-être bien autrement difficile, un nouveau déficit bien autrement considérable que celui dont vous vous plaignez maintenant.

Nous considérons l'impôt comme mauvais, comme impolitique ; c'est la deuxième fois que nous le combattons.

L'ajournement de 1849, fondé sur la conviction bien acquise que l'impôt aurait été rejeté au moins à la majorité des trois quarts de voix, aura-t-il été fatal ? Nous l'ignorons ; c'est à vous à en décider.

Messieurs, on vous a parlé de la situation que le gouvernement doit conserver intacte ; on vous a parlé des concessions que vous avez à lui faire ; on a dit avec vérité que cette question ne regardait pas la minorité, que c'était une affaire de majorité. Mais ce qui est vrai aussi, ce que la minorité (page 1483) a le droit de dire, c'est que s'il est une question éminemment parlementaire, c'est celle des impôts, c'est celle des dépenses.

C'est à raison de ces questions que le régime représentatif a pris naissance, et si le parlement abdique son individualité, abdique en quelque sorte ses pouvoirs en matière d'impôts, je dis que le parlement a perdu sa première raison d'être.

Messieurs, dans mon opinion, le gouvernement s'est engagé dans une fausse voie ; il veut nous y entraîner à sa suite ; quant à moi, je suis bien décidé à ne pas l'y suivre.

Que quelques-uns d'entre nous, comme adversaires du gouvernement, soient tentés de s'applaudir des fautes accumulées dans cette session, ce serait là un sentiment qui s'excuserait chez une minorité politique. Mais si nous considérons la question de plus haut, si nous considérons avant tout l'avenir du pays, si nous prenons avant tout garde à ses plus chers intérêts, nous déplorons ce qui se passe.

Je voterai contre le projet de loi.

M. Mercier. - Messieurs, si, après avoir donné mon approbation à la plupart des dispositions essentielles du projet de loi, je la refuse à celle qui fait l'objet des débats actuels, c'est, messieurs, que j'ai la conviction intime, profonde, que le nouvel impôt sollicité par le gouvernement n'est pas nécessaire pour établir un parfait équilibre entre nos recettes et nos dépenses, alors même que l'on n'apporterait pas au budget de la guerre les réductions qu'on a exprimé l'espoir de pouvoir y introduire encore.

Je viens soumettre à votre jugement, messieurs, les motifs sur lesquels repose cette conviction. Après quelques rectifications d'une certaine importance que j'ai expliquées et qui n'ont pas été contestées, j’ai exprimé l'avis qu'il n'était ni juste, ni rationnel de comprendre intégralement parmi les dépenses ordinaires l'énorme somme de 375,884,000 fr. pour le budget de la guerre des années 1831 à 1839 ; c'est, messieurs, en moyenne pour chacun de ces exercices un budget de 41,765,000, c'est-à-dire 13,765,000 fr. de plus qu'un budget normal qui serait fixé à 28 millions.

En émettant cette opinion, je n'ai fait, du reste, que partager celle de M. le ministre des finances, qui dans la distinction qu'il a faite des dépenses ordinaires et extraordinaires, a porté parmi ces dernières pour l’exercice 1848 une somme de 6,500,000 fr. dépensée au-delà du budget ordinaire du département de la guerre de cet exercice. C’est donc avec raison que j'ai attribué comme dépense ordinaire, à chacun des neuf exercices de 1831 à 1839, un budget normal de 28 millions, considérant le surplus comme une dépense extraordinaire faite pour fonder et maintenir l'indépendance du pays.

De cette manière, au lieu d'une insuffisance de ressources de 39 millions 600,000 fr. j'ai trouvé sur l'ensemble desexercices 1831 à 1839 un boni de 93,973,000 fr., qui a été employé à couvrir des dépenses extraordinaires.

Je dois ajouter qu'indépendamment de ce boni de 93,973,000 fr., une somme d'environ 48 millions a été consacrée à l'amortissement de la dette publique pendant ce même laps de temps, de telle sorte que l'économie réalisée sur les recettes et les dépenses ordinaires de ces vingt exercices s'est élevée à 141,973,000 fr.

On objectera peut-être que, de 1831 à 1838, la Belgique n'a eu à supporter qu'une très faible partie de la dette des Pays-Bas ; certes, je pourrais soutenir que cette exemption n'était qu'une compensation de l'influence fâcheuse que les circonstances politiques ont exercée sur la situation du pays jusqu'en 1839 ; toutefois, même en tenant compte de cette objection, l'économie s'élèvera encore à la somme de 62,213,000 fr. En effet, pendant les huit exercices de 1831 à 1838, la Belgique n'a acquitlté cette dette que jusqu'à concurrence de 611,894 fr. 17 c. ; le complément de la dette transférée par les traités est de 9,970,116 fr. 40 c. ; la charge complémentaire pour les huit exercices serait donc de. 79,760,000 fr.

Ainsi, même en grevant ces exercices de la dette transférée en 1839, l'économie, comme je viens de le dire, resterait encore de 62,213,000 fr.

Du reste, messieurs, d après le travail même de M. le ministre des finances, l'insuffisance des exercices dont nous possédons les comptes définitifs, c'est-à-dire des exercices 1831 à 1846 inelusivement, n'est que de 19,805,250 fr.

Mais j'ai ici deux rectifications à faire.

La première consiste en ce que le département des finances a porté intégralement parmi les recettes extraordinaires une somme de 16,866,000 fr., dont la Belgique a été mise en possession à la suite du traité du 5 novembre 1842, et qu'on n'a pas remarqué que dans cette somme se trouvait comprise celle de 4 millions qui n'était qu'un simple remboursement de dépenses faites par la Belgique depuis 1830, et qui doit, par conséquent, être réintégré dans les recettes ordinaires, ci 4,000,000 fr.

La seconde rectification porte sur ce que par suite d'un principe de comptabilité consacré par la loi du budget de la dette publique de 1849, l'exercice 1841 a supporté indûment et par double emploi une dépense de 3,760,000 fr. pour intérêts de la dette publique dont l'échéance n'avait lieu que dans l'exercice suivant. Cette somme a donc aggravé indûment la situation des exercices clos et doit être retranchée des dépenses de l'exercice 1841.

La situation des exercices clos se trouve ainsi améliorée d'une somme de 7,7600,000 fr., et l'insuffisance des recettes ordinaires des exercices 1831 à 1846 inclusivement, n'est donc que de 12,045,000 fr.

Ce serait une insuffisance annuelle de 735,000 fr.

Mais pendant ces mêmes années, une somme d'environ 34 millions, portée dans les dépenses ordinaires, a été consacrée à l'amortissement de la dette publique, de telle sorte que dans cette appréciation, qui admet une dépense de fr. 41,765,000 pendant 9 ans pour le budget de la guerre, l'économie définitive sur les années 1831 à 1846 s'élève à 21,935,000 fr. C'est une économie de 1,372,000 fr. annuellement.

Je ferai remarquer, d'ailleurs, qu'une partie relativement peu considérable de l'insuffisance qui se remarque pour certains exercices provient de ce que les prévisions de recettes n'ont pas toujours été bien établies au budget des voies et moyens. J'ai eu parfois l'occasion de signaler les vices de ces prévisions et les faits sont venus justifier le fondement de mes observations.

Aujourd'hui, grâce à l'expérience acquise, les prévisions du budget des voies et moyens peuvent être réglées de telle sorte que l'on ait la certitude morale qu'il y a égalité entre les chances d'excédants et de déficit et que sur une série de quelques exercices la balance entre les prévisions et les recettes effectives sera à peu près exacte.

Mais, dit-on avec raison, il faut faire la part de l'imprévu ; chaque année des crédits supplémentaires s'élevant à des sommes considérables viennent altérer la situation qui résulte, sans doute, des budgets présentés ou votés. Mais ne s'est-on pas sur ce point livré à beaucoup d'exagération ? Les observations qui ont été faites, les opinions qui ont été émises, n'ont-elles pas été fondées, soit sur des faits qui n'ont pas été suffisamment appréciés, soit sur des exercices qui ont subi l'influence de circonstances toul à fait exceptionnelles ou dont le compte définitif n'était pas encore connu ?

Quoi qu'il en soit, je crois utile d'examiner mûrement la question de savoir si pour garantir un parfait équilibre entre les recettes et les dépenses de l'Etat, il faut que le budget des recettes présente sur le budget général des dépenses un excédant de 4 1/2 millions ?

Pour résoudre cette question, je pourrais me référer aux résultats que j'ai déjà indiqués, et qui ont été obtenus, bien que les budgets des recettes fussent parfois inférieurs aux budgets des dépenses, abstraction faite des crédits supplémentaires, et ne les aient jamais dépassés que de faibles sommes ; mais j'ai poussé mes rcherches plus loin, afin qu'on puisse bien se fixer sur l'excédant de recettes qui est nécessaire lorsque les prévisions des recettes et des dépenses des budgets sont sagement établies.

Nous ne ferions pas une saine appréciation des faits financiers si nous choisissions pour exemples un ou deux exercices influencés peut-être par des circonstances extraordinaires, ou des exercices dont le compte définitif ne nous a pas encore été communiqué. J'ai donc cru qu'il convenait d'appliquer mes recherches à une série d'exercices dont nous possédons les comptes définitifs et j'ai pris les cinq derniers ; ce sont ceux de 1842 à 1846 inclusivement.

J'ai comparé le budget primitif des dépenses de chacun de ces exercices avec les dépenses réellement faites d'après le tableau formé par les soins de M. le ministre des finances, qui, je n'ai pas besoin de le dire, comprend toutes les dépenses opérées tant sur les crédits ouverts par les lois des budgets, que sur les crédits supplémentaires alloués par des lois spéciales.

Vous verrez, messieurs, par les résultats de cette comparaison que les dépenses faites pour chaque exercice sont loin de dépasser les budgets primitifs des dépenses d'une somme de 4 1/2 à 5 millions.

Pour l'exercice 1842, les budgets primitivement votés par les chambres s'élèvent à 105,366,962 fr. Les dépenses faites malgré des crédits supplémentaires formant ensemble plus de 3 1/2 millions, n'ont été que de 105,190,751 fr. Ainsi, bien loin que ces dépenses dépassent le montant des budgets votés en premier lieu, elles lui sont inférieures de 376,211 fr.

Cela provient de ce que pendant cette année, comme il arrive presque toujours, bien des crédits ouverts ne sont pas épuisés.

La même comparaison faite pour les quatre autres exercices donne les résultais que je vais indiquer.

Les dépenses faites pendant l'exercice 1843, excèdent le montant des budgets des dépenses primitivement votés par les chambres, d'une somme de 537,148 fr.

(page 1484) Quant à l’exercice 1844, les dépenses faites malgré les crédits supplémentaires s’élevant à 5 1/2 millions, sont, au contraire, inférieures au montant des budgets votés, d’une somme de 1,449,218 fr.

L'exercice 1845 présente un excédant de dépenses faites pat rapport au montant des budgets primitifs, de 84,225 fr.

Enfin, pour l'exercice 1846, l'excédant des dépenses faites sur le montant des budgets adoptés est de 1,602,007 fr.

D'après les modifications que je viens de donner, trois exercices présentent un excédant de dépenses par rapport au montant primitif des budgets. Cet excédant s’élève en totalité à. 2,243,380 fr.

Pour deux exercices les dépenses sont inférieures aux budgets primitivement votés, d'une somme de 1,825,425 fr.

D'où il résulte que sur ces cinq exercices les dépenses faites n'ont dépassé les crédits ouverts par les budgets généraux que d'une somme de 417,955, c'est-à-dire une moyenne de 83,590 fr. par année.

Ainsi, messieurs, si chaque budget des recettes de ces cinq exercices sainement établi, avait donné un faible excédant de ressources de 83,590 fr., il y aurait eu balance exacte entre les recettes et les dépenses.

Or, le budget des recettes présenté par M. le ministre des finances pour l'exercice 1852, offre un excédant de ressources, non pas de 83,590 fr., mais de 1,830,000 fr.

Si les budgets des recettes des cinq exercices que je viens d'indiquer avaient offert le même excédant sur les dépenses primitivement votées, l'économie qui en serait résultée eût été de 8,752,000 fr., indépendamment de celle qui se fait par l'amortissement de la dette publique.

Et, cependant, messieurs, est-ce à 1,830,000 fr. que doit se borner cet excédant ?

Loin de là : déjà par suite d'une modification apportée au projet de loi relatif à la contribution personnelle, de commun accord entre M. le ministre des finances et la section centrale, ce n'est plus une augmentation de produits de 100,000 fr. seulement qui doit résulter de la loi, mais de 600,000 fr., de l'aveu de M. le ministre, et peut-être d'une somme plus forte encore ; je la porte toutefois à 600,000 fr.

Est-ce trop présumer, messieurs, d'espérer que la révision du tarif des marchandises fournira au moins un accroissement de produit de 600,000 fr. ? Je le crois d'autant moins que M. le ministre des travaux publics lui-même, au sein de la section centrale, a exprimé l'opinion qu'une notable augmentation pouvait être obtenue par ce moyen. C'est donc là une ressource qui peut être évaluée à 600,000 fr.

Le canal latéral à la Meuse, les canaux de la Campine, ne sont-ils pas destinés à fournir quelques nouvelles ressources au trésor ? Je ne les évaluerai qu'à 250,000 fr.

Enfin, messieurs, puisque M. le ministre des finances évalue à 2,400,000 fr. le produit de la nouvelle loi sur les successions après la suppression de la disposition relative au serment, je ne crois pas exagérer en portant à 800,000 le produit des dispositions autres que celles qui concernent le droit de succession en ligne directe ; en renonçant à cette disposition on obtiendrait probablement cette ressource : 800,000 fr.

L'excédant des recettes sur les dépenses serait donc de 4,080,000 fr.

Cet excédant ne fût-il que de trois millions, je le considérerais comme suffisant, en considérant l'action de l'amortissement de la dette publique ; et remarquez bien, messieurs, que, dans cette appréciation, je n'ai pas eu égard à l'accroissement de produit promis et attendu de la loi asur la réforme postale, ni à la progression ordinaire du mouvement et, par conséquent, des recettes du chemin de fer de l'Etat.

On a rendu justice aux efforts faits par le ministère de 1840 pour établir l'équilibre dans nos finances ; ce ministère, messieurs, était loin d'avoir la prétention ou l'espoir d'obtenir un excédant de ressources de quatre millions de francs, outre les sommes affectées à l'amortissement. D'accord avec mes honorables collègues, j'ai présenté divers projets qui avaient pour objet d'augmenter les ressources de l'Etat de 5,251,000 fr. pendant l'exercice 1841, et de 7,218,000 par la suite ; en même temps, j'ai exprimé l'opinion que, pour l'exercice 1842, la somme des augmentations devait être porlée à 10,000,000 de francs.

Mais voici quel était alors l'état des choses :

Les voies et moyens existant pour faire face aux différents budgets des dépenses laissaient une insuffisance de 4,415,217 fr. 31 c.

Dans le budget des voies et moyens de cet exercice figurait encore une somme de 2,240,000 fr, provenant du prix de vente de domaines, ressource sur laquelle on me pouvait plus compter pour les exercices suivants ; il fallait, dès 1842, pourvoir à cette insuffisance de 2,240,000 fr.

La dernière partie de l'emprunt autorise par la loi du 20 juin 1840, n'étant pas contractée au moment de la présentation des budgets, il restait à demander pour intérêts et amortissement de cette dette un crédit de 1,916,000 fr.

L’augmentation du traitement de la magistratire, dont il a été fait mention dans le rapport qui accompagnait les budgets, nécessitait une nouvelle dépense de 584,000 fr.

L’indemnité à accorder à ceux qui avaient souffert des événements de la révolution était évluée à environ 300,000 fr.

Enfin on prévoyait la nécesssité de créer un amortissement pour tout ou partie de la dette transférée de la Hollande ; le chiffre de cct amortissement est de 425,000 fr.

Les besoins certains et prévus étaient donc de 9,882,217 fr. 31 c.

C'est-à-dire qu'ils atteignaient toutes les ressources que l'on se proposait de réclamer des chambres.

L'excédant des ressources aurait été obtenu de la progression du revenu du chemin de fer et de l'intérêt des sommes qui devaient être mises à notre disposition par suite du traité avec les Pays-Bas.

On était donc bien loin à cette époque de solliciter un excédant de ressource de 4 millions que M. le minisire des finances actuel aurait à sa disposition, tout en renonçant au droit de succession en ligne directe.

Un tel excédant est certes bien suffisant, et laissera dans les temps ordinaires de fortes économies sur chaque exercice ; si nous n'avions pas un amortissement très actif, on pourrait aviser à l'augmenter encore, mais avec un amortissement déjà fort onéreux, qui dès 1852 atteindra le chiffre de 5 millions et va s'accroître successivement d'année en année, ce serait surcharger la génération actuelle qui s'impose déjà de grands sacrifices au profit de celles qui la suivront.

- La clôture est demandée.

M. Dumortier (contre la clôture). - Messieurs, il y a encore plusieurs orateurs inscrits ; M. le rapporteur de la section centrale n'a pas même parlé ; je ne pense pas qu'il soit dans l'intention de la chambre de clore, après deux ou trois jours de débat, la discussion sur la grande question qui se rattache à l'article premier. Je suis inscrit : je demande à pouvoir dire quelques mots ; d'autres membres sont également inscrits ; ils doivent désirer aussi de pouvoir motiver leur opinion.

Je sais qu'il n'y a plus d'orateurs inscrits en faveur du projet ; je ne pense pas que ce soit un motif pour clore le débat ; cela prouve seulement que bien peu de personnes se lèvent pour prendre la défense du projet.

Je demande que la discussion continue.

M. Coomans (contre la clôture). - Messieurs, je ferai remarquer que les amendements relatifs à l'exemption de l'article 2 tiennent au cœur de la loi Cela est si vrai que le vote de plusieurs membres de cette assemblée sur l'article premier dépend de l'accueil qui sera fait aux amendements de l'article 2. Je proposerai donc à la chambre de joindre la discussion des amendements à celle de l'article premier ; et par conséquent je demande la permission de développer un de ces amendements qui n'a pas encore été développé et qui mérite d'autant plus de l'être qu'il a été attaqué par plusieurs orateurs, surtout par l'honorable ministre des finances. Il serait étrange que la parole me fût enlevée, car je ne l'ai pas encore eue, ni cette année ni les années précédentes, dans l'affaire des successions.

M. de Decker (contre la clôture). - Messieurs, moi aussi je désire la continuation du débat. J'entends rester fidèle à mes convictions, et voter l'article en discussion ; mais vous comprenez, messieurs, que la tournure spéciale et presque imprévue donnée à ce débat au point de vue politique dans la séance d'hier et dans celle d'aujourd'hui, m'oblige à faire des réserves. Ces réserves, je voudrais pouvoir les faire librement et avec une certaine étendue.

- De toutes parts. - On n'insiste pas pour la clôture.

M. Delehaye. - Ainsi la discussion continue. La parole est à M. Coomans.

M. Coomans. - Messieurs, je n'ai pas l'inutile courage de revenir sur le fond de la loi. Il s'agit à peine des successions en ligne directe dans ce débat qu'on s'efforce d'irriter. Il s'agit de tout autre chose ; nous ne discutons pas le projet de loi, ni les questions de savoir si les besoins du trésor justifient un impôt si impopulaire ; si d'autres impôts ne seraient pas préférables, en cas de déficit bien constaté. Nous discutons la question (plus intéressante à bien des yeux) de savoir si le ministère restera ; s'il faut acheter son maintien au prix d'une rétractation du parlement. Nous discutons nos intentions mutuelles ; nous recherchons qui de vous ou de nous constitue le parti de l'autorité et le parti du libre examen, selon la définition de M. le ministre des finances, qui revendique pour ses amis de la gauche la qualification de parti du libre examen.....Son parti est à la fois homogène et libre ! Il est parfaitement uni et toujours libre ! Il n'admet pas les dissidences, mais il pense et vote selon son bon plaisir ! A merveille ; mais cela n'y paraît pas. Voilà toutes questions que nous examinons depuis deux jours. Messieurs, je vous prie de me permettre de suivre mes honorables adversaires dans quelques-unes de ces digressions, et de vous présenter quelques remarques dans le double but de justifier mon amendement, qui m'intéresse naturellement, et de défendre ma personne, mes intentions, mes convictions, qui me touchent de beaucoup plus près.

L'honorable M. Lebeau, dans la séance d'hier et, si j'ai bien compris, M. le minisite des finances, dans la séance d'aujourd'hui, ont prétendu que la question de l'impôt sur les successions en ligne directe n'est pas une question de principe. « Vous pouvez, a dit hier en substance (page 1485) M. Lebeau, voter blanc et noir du jour au lendemain sur cette question-là, suivant les circonstances. » Et M. le ministre des finances, pour rendre plus facile le sacrifice douloureux qu’il impose à plusieurs de ses amis, a prétendu tout à l’heure que les articles fondamentaux de son projet, dont nous somme saisis pour la troisième fois, ne constituent pas des questions de principes, que ce sont des questions d’argent et d’appréciation temporaire qu’on peut résoudre en sens divers, de mai en juin, sans que la conscience y soit pour quelque chose.

Il a ajouté qu'en 1848 et 1849, la plupart des opposants à la ligne directe ne blâmaient pas le principe, mais l'opportunité de l'impôt. Je ne puis admettre ces explications tardives, contraires à la vérité. J'ai fait partie de la section centrale, et je puis assurer que six membres de la section centrale, c'est-à-dire les six membres qui représentaient les six sections de la chambre, ont repoussé l'impôt avec ses accessoires, comme un principe mauvais, condamné par les mœurs, les vœux et les institutions du pays.

Veuillez, messieurs, relire le rapport de M. Deliége (document devenu très rare et que beaucoup de nos collègues ne possèdent pas), vous vous convaincrez que l'article premier et ses accessoires ont été rejetés comme de mauvais principes, et que la section centrale ne s'est occupée ni de la question financière, ni de celle des économies possibles. Quand les honorables MM. Lebeau et Frère viennent prétendre que nous ne nous trouvons pas devant un principe et que très peu de membres de cette assemblée ont rejeté le projet à titre de principe, ils inventent de purs sophismes, facilitant aujourd'hui une rétractation, mais auxquels personne ne songeait en 1849.

L'honorable M. Deliége le sait bien, lui qui a recueilli avec tant de soin, les opinions de la chambre et de la section centrale, lui qui, à présent encore désapprouve le principe de la loi et le trouve plus mauvais que jamais ; il sait que la section centrale entière (M. Verhaegen excepté) a vu un dangereux et inadmissible principe dans l'imposition de la ligne directe. Mais l'honorable M. Deliége, vu les circonstances et préférant le maintien d'un ministère ami au triomphe de ses principes, a déclaré qu'il s'abstiendrait cette fois de repousser le projet de M. Frère.

Messieurs, allons au fond des choses. On a présenté la loi comme une mesure démocratique. L'honorable M. Lebeau l'a prétendu hier, quand il vous a dit : « Faites de bonne grâce aujourd'hui des sacrifices qu'on pourrait vous arracher plus tard, et qui alors n'auraient plus de prix. »

Ici éclate une nouvelle contradiction de nos adversaires. Comment se fait-il qu'au moment où je propose d'étendre les exceptions reconnues nécessaires par le gouvernement, on m'accuse d'anti-démocratie, de vouloir changer le système d'impôt, de vouloir prélever toutes les sommes nécessaires aux dépenses nationales sur les denrées alimentaires et les objets de première nécessité ?

Eh quoi ! n'est-il pas évident qu'un enfant qui reçoit pour tout héritage une somme de 7,000 francs, dans laquelle est compris un mobilier improductif, peut suffire à peine aux premiers besoins d'une famille ? C'est un revenu de 80 centimes par jour ; c'est à peine de quoi se faire entretenir dans un dépôt de mendicité. Au point de vue démocratique, ne sommes-nous pas autorisé à demander qu'un capital qui donne un si modeste revenu ne soit pas imposé ? Eh bien, l'honorable ministre des finances nous refuse cette restriction à une loi odieuse. Il disait tout à l'heure que mon amendement est inacceptable, je pense même que la qualification de ridicule lui a été donnée.

Voyez cependant combien nous différons. M. le ministre exemple de la taxe 607,166 propriétaires ; l'amendement de M. Lelièvre tend à en exempter 126,000 de plus, de manière que M. Lelièvre ne diffère du gouvernement que d'un septième ; mon amendement n'en exempterait en plus que 50,000 environ, de sorte que ma proposition, si parfaitement ridicule aux yeux de M. Frère, ne diffère de la sienne que d'un treizième.

S'il est vrai, comme l'a dit M. le ministre des finances, qu'en exemptant les héritages au-dessous de 7,000 fr., la loi devient improductive, n'est-ce pas la critique la plus forte qu'on puisse faire de cette loi prétenduement démocratique qui devait apaiser les appétits des classes qui ne possèdent pas à la vue des privilèges prétendus des propriétaires ? Si votre loi ne peut produire qu'à la condition d'atteindre les revenus de 300 fr., vous n'avez pas fait une loi démocratique mais une loi hostile à la propriété, votre démocratie est un prétexte qui voile un autre but.

M. le ministre vous a dit : Vous voulez d'autres impôts, vous voulez des impôts sur le travail, sur le labeur, sur le salaire du peuple. Je ne lui répondrai pas que c'est là une calomnie, mot qu'il a naturalisé dans le dictionnaire parlementaire, je dirai seulement que c'est une erreur manifeste, une erreur volontaire, puisque j'ai eu plusieurs fois l'occasion de m'expliquer à cet égard. Comment se fait-il que M. le ministre ose attaquer avec tant de force les impôts sur les denrées alimentaires, alors qu'il en a voté lui-même, alors que je l'ai convié plusieurs fois inutilement à exécuter un des articles de son programme politique, qui est la suppression des taxes communales perçues en Belgique sur les denrées alimentaires, sur les viandes, les poissons et la houille ?

Comment se fait-il, quand il dépend de lui d'abolir des taxes iniques comme l'impôt mouture qui existe encore dans plusieurs villes, que M. le ministre, si soucieux des intérêts populaires, reste sourd à ma voix et me force à user de mon droit d'initiative, droit que j'exercerai bientôt ? J'attends avec curiosité les discours et les votes des libre-échangistes de cette assemblée pour le maintien des octrois et des droits de douane sur les objets manufacturés. Je sais qu’ils seront contraires à mes propositions.

- Un membre. - On les acceptera.

M. Coomans. - On les repoussera. Nos libre-échangistes s'accommodent de tous les droits protecteurs qui favorisent l'industue et le commerce. J'aurai beau les défier d'être justes et logiques, je fais d'avance mon deuil des projets de loi que je déposerai.

Il est vrai, messieurs, j'ai demande un impôt sur les denrées alimentaires. J'ai le courage de mon opinion, et je ne la voile pas sous des déclamations hypocrites. Cet impôt, vous l'avez voté en partie, nous n'avons différé que de 33 p. c.

Pourquoi l'ai-je demandé ? C'était pour constituer un privilège en faveur du sol, vous l'affirmez, mais erronément et vous le savez bien. Je l'ai proposé pour me rapprocher autant que possible de l'égalité de protection, pour faire disparaître la criante iniquité de votre système économique. (Interruption.) Ne croyez pas que je commettrai la maladresse de demander encore pour l'agriculture une protection douanière. Vos votes comme les discours sont prêts pour repousser une semblable réclamation, quelque équitable et raisonnable qu'elle soit. Je demanderai désormais justice, et je provoquerai l'application de vos doctrines, de ces doctrines que vous vantez de bouche, mais que vous ne pratiquez point. Je vous précéderai dans la voie du libre échange, non avec la conviction qu'elle soit la bonne, mais avec l'espérance de vous en dégoûter ; vos refus seront d'autant plus difficiles que je me contenterai d'une demi-justice ; je ne solliciterai pour l'agriculture qu'une faible partie de la protection accordée à tous les autrees produits du travail national. Cette modeste protection, je la demanderai en vain peut-être, car c'est chez, vous un parti pris de mettre l'agriculture hors du droit commun ; je provoquerai cependant un vote, ne fût ce que pour édifier la nation sur la sincérité de vos convictions et la loyauté de vos actes.

La nation verra le cas que vous faites de vos propres principes et la complaisance avec laquelle vous les sacrifiez aux intérêts de quelques catégories de citoyens. Elle verra qui de vous ou de nous est le plus disposé à voter des lois sagement démocratiques.

Quad on m'objecte qu'il est inique et impolitique de prélever un impôt sur le pain, je puis répondre qu'il est inique aussi de prélever un impôt sur les vêtements du peuple, et qu'il est absurde que ceux qui prélèvent sur les vêtements du peuple un impôt de 160 p. c. trouvent exagéré l'impôt de 7 p. c. que j'ai demandé sur les denrées alimentaires, non pas sur les denrées alimentaires produites par des bras belges, sur le sol belge, mais sur les denrées alimentaires produites à l'étranger, tandis que vous prélevez dans les villes un impôt double, triple sur les denrées alimentaires belges.

Je le déclare à mes honorables adversaires, ils n'esquiveront pas au débat sur la question des octrois communaux. Ils auront à démontrer que les grandes villes ont raison de se livrer à des dépenses de luxe au moyen de lourdes taxes perçues sur la viande, le pain et le charbon de terre ; ils auront à prouver que la ville de Gand, par exemple, s'est montrée sensée, progressive, dévouée aux classes ouvrières, en construisant un théâtre de deux millions avec l'impôt prélevé sur le pain de ses habitants. Singulier progrès que nous avons réalisé ! Il y a dix-huit siècles le peuple romain recevait gratis le pain et les jeux, panem et circenses. Aujourd'hui, le peuple belge paye ses spectacles dans des salles construites avec la dîme prélevée sur son pain à lui !

Le temps est venu de démasquer toutes ces évolutions de principes, toutes ces capitulations de consciences.

Je regrette vivement que le ministère n'ait pas posé la question de cabinet qui est une arme qu'il manie si habillement, sur son système de commerce et sur d'autres points d'intérêt national, au lieu de la poser sur des questions de théorie et de conscience. Je conçois que l'on se fasse quelque violence en faveur d'un ministère sur des questions de commerce, sur des questions de politique administrative, de personnes,, sur des questions d'argent et même sur des questions de travaux publics ; je conçois que les dissidents d'une majorité s'accordent et donnent de l'argent à un ministère, même pour le mal employer, quand un changement de cabinet paraît difficile ; mais, ce que je ne conçois pas, c'est que l'on sacrifie sa conscience à des amis politiques. Au prix de la conscience, tout ce qu'on achète est trop cher. Messieurs, une dernière réflexion à l'appui de mon amendement. Il n'est pas vrai que l'on fasse une exemption sérieuse en ne prélevant pas l'impôt sur les capitaux de mille francs ; l'enfant qui hérite de mille francs peut être considéré comme un pauvre, c'est un ouvrier à qui d'autres ressources sont indispensables.

L'héritage de sept mille francs est déjà très faible ; il constitue une rente de 300 fr. tout au plus. Je supplie la chambre de voter au moins, l'amendement de sept mille francs que j'ai présenté, et, pour ma part, je voterai les amendements avec les chiffres les plus élevés, afin d'atténuer et de restreindre autant que possible l'application d'une loi injuste, immorale et impopulaire. Ici j'insiste sur le mot « impopulaire », car s'il n'est pas indispensable que de grandes mesures politiques soient toujours populaires (la popularité peut égarer dans cet ordre d'idées), il est nécessaire que les impôts ne répugnent point au pays En matière d'impôt, l'assentiment public est nécessaire, il eu est la meilleure consécration.

M. Deliége, rapporteur (pour un fait personnel). - Dans le discours que l'honorable M. Coumans vient de prononcer, il m'attribue un (page 1486) propos que je n'ai pas tenu : je n'ai pas dit en section centrale que l'impôt était plus mauvais que jamais.

M. Coomans. - Loin de moi, messieurs, d'attribuer à l'honorable membre des expressions qui ne seraient pas les siennes ; mais s'il m'autorisait à dire ce que mes souvenirs me rappellent, je rectifierais et compléterais volontiers mes expressions.

M. Deliége. - Parlez.

M. Coomans. - Si j'ai bonne mémoire (je suis prêt du reste à accepter toutes les rectifications que voudrait bien faire l'honorable membre), M. Deliége a déclaré en section centrale, que les réflexions qu'il a faites depuis 18 mois, n'ont pas modifié ses convictions ; qu'il persiste à considérer comme essentiellement mauvais, comme absolument mauvais, l'impôt en ligne directe et qu'il regrettait beaucoup qu'on n'eût pas renoncé à cette dangereuse mesure, dont le retrait est infaillible d'ici à quelques années.

M. Deliége. - J'ai dit que je conservais mes convictions. Mais je n'ai pas dit que la loi fût plus mauvaise qu'auparavant.

- La discussion est continuée à demain.

Projet de loi sur les loteries

Dépôt

M. le ministre de la justice (M. Tesch). présente un projet de loi sur les loteries.

- La chambre donne acte à M. le ministre de la justice de la présentation de ce projet de loi ; en ordonne l'impression, la distribution et le renvoi aux sections.

La séance est levée à 4 heures 3/4.