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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 25 janvier 1855

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1854-1855)

(Présidence de M. Delfosse.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 551) M. Dumon procède à l'appel nominal à deux heures et un quart.

M. Maertens donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Dumon présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur d'Hondt, barbier à Bas-Warneton, réclame l’intervention de la Chambre pour que l'autorité judiciaire lui accorde le pro Deo qu'il a demandé. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le conseil communal d'Ohnen demande que les habitants de cette commune soient exemptés des logements militaires et indemnisés des pertes qu'ils ont subies en 1854 par suite de ces logements. »

- Même renvoi.


« Le sieur Vander Mersch, ingénieur civil à Audenarde, réclame l'intervention de la Chambre, pour que le département de la guerre l'autorise à conserver un bâtiment rural qu'il a élevé dans le rayon stratégique de la forteresse d'Audenarde. »

- Même renvoi.


M. Magherman. - Messieurs, je viens appuyer cette pétition ; elle intéresse un grand nombre de propriétaires qui se trouvent dans un cas identique à celui du pétitionnaire. Je propose à la Chambre d'ordonner qu'il soit fait un prompl rapport.

- Cette proposition est adoptée.


« Le sieur Brasseur, fabricant de produits chimiques à Gand, appelle l'attention de la Chambre sur un fait qu'il a omis de citer dans sa pétition relative au droit d'entrée à établir sur le bleu d'outre-mer. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi concernant le tarif des douanes.


« M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, deux demandes de naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« Plusieurs industriels, appelant l'attention de la Chambre sur la question de l'exportation des houilles, proposent de supprimer les privilèges accordés aux transports de charbons destinés à l'exportation, notamment ceux concédés par arrêté royal du ler novembre 1849, et d'assimiler ces charbons, quant aux droits de péage sur les canaux, à plusieurs autres matières premières employées dans l'industrie, qui sont soumises aux droits les plus élevés, ou bien d'établir un droit de sortie à l'exportation des houilles et d'étendre en faveur des destinations de l'intérieur, les privilèges relatifs aux transports. »

M. Wasseige. - Messieurs, la pétition dont il s'agit est d’une grande importance ; des industriels très recommandables de la province de Namur se plaignent avec raison du haut prix du charbon de terre et de la difficulté que l'on éprouve à s'en procurer suffisamment. Ils craignent que, si cet état de choses continuait, ils ne se trouvent obligés de laisser chômer en partie leurs établissements, au grand préjudice de la classe ouvrière, qui souffre déjà tant de la cherté des denrées alimentaires et des rigueurs de la saison. Ils demandent en conséquence que la législature et le gouvernement prennent des mesures pour diminuer l'exportation du combustible qui jouit actuellement d'un traitement de faveur, qui n'est plus justifié. Inutile d'insister pour démontrer l'urgence de cette pétition ; j'en demande le renvoi à la commission permanente d'industrie, en la priant de l'examiner avec la sérieuse attention qu'elle mérite et de faire un prompt rapport à la Chambre.

M. Lelièvre. - J'appuie également la pétition qui repose sur les motifs les plus fondés. Elle signale un état de choses qui mérite l'attention de la Chambre et du gouvernement dans l'intérêt de l'industrie. Il est impossible de ne pas prendre des mesures pour garantir des intérêts importants auxquels les pouvoirs publics doivent une protection spéciale.

Je demande donc également que la commission des pétitions veuille s'occuper le plus tôt possible de l'objet dont il s'agit.

M. Rodenbach. - J'appuie la demande d'un prompt rapport.

M. Loos. - La commission d'industrie s'est déjà occupée de pétitions semblables. Je demande que la pétition soit renvoyée à la commission d'industrie avec invitation de faire un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur de l’exercice 1855

Discussion du tableau des crédits

Chapitre XIII. Industrie

Discussion générale

M. le président. - La discussion continue sur le chapitre XIII, « Industrie ».

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Messieurs, j'ai à justifier aujourd'hui les articles proposés au budget en ce qui concerne l'industrie, mais je dois répondre d'abord à des observations présentées dans la séance d'hier par deux honorables membres, MM. Van Overloop et de T'Serclaes.

On s'est élevé, messieurs, contré l'intervention du gouvernement dans les affaires industrielles, intervention qu'on' a représentée comme une concurrence faite à l'industrie libre. Messieurs, en principe on a raison, je n'hésite pas à le dire ; aussi ce système de concurrence par les subsides de l'Etat n'est pas celui du gouvernement, et ne l'a jamais été.

Le gouvernement a pour principe, en cette matière, la non-intervention, et s'il est intervenu à une époque de crise, c'est à titre d'encouragement, soit pour ouvrir à la Belgique des voies nouvelles dans les relations commerciales avec les pays étrangers, soit pour introduire en Belgique des industries nouvelles ou de perfectionner celles qui existent en les transformant.

Je cite pour exemple ce qui s'est passé dans les Flandres. Messieurs, ce genre d'intervention, appliqué aux Flandres avec succès, avec l'assentiment de la législature, et qui n'est autre chose qu'un encouragement momentané, a produit d'excellents résultats, personne ne le nie. Les Flandres sont là, du reste, pour attester la vérité de ce que je dis.

Mais, messieurs, je m'empresse d'ajouter que le gouvernement, dans cette voie exceptionnelle, s'est toujours borné au plus strict nécessaire, et il s'attache à réduire encore chaque jour son action, toutes les fois que cela est possible, de manière à rendre d'ici à peu d'années son concours complètement inutile.

Voilà le système qui a été suivi, et que le gouvernement continuera à pratiquer jusqu'à ce que le résultat dont je viens de parler soit obtenu.

Je dois cependant justifier ce qui a été fait par le gouvernement au point de vue des Flandres, afin que l'opinion ne se méprenne pas sur les résultats du concours du gouvernement.

Je fais d'abord cette remarque que le budget de l'industrie, fixé dans le principe à 300,000 fr. environ, n'est plus aujourd'hui que de 204,000 fr. ; encore dans cette dernière somme les encouragements industriels proprement dits, ceux accordés à l'industrie linière, ne figurent que pour 80,000 fr. ; le reste du crédit est consacré à l'instruction industrielle, à l'achat de modèles et d'autres objets analogues.

Il ne s'est pas jusqu'ici élevé de plaintes fondées sur le système qui a été suivi dans les Flandres pour relever leur industrie. Les résultats produits par les ateliers d'apprentissage sont des plus significatifs.

Le premier grand résultat se rattache au travail. En 1847, de nombreux ouvriers languissaient sans ouvrage ; la plupart d'entre eux étaient réduits à un salaire insuffisant.

Aujourd'hui, que les ateliers subsidiés par l'Etat ont rendu la vie à une industrie mourante, le travail s'est relevé, de nombreux ouvriers se sont formés et se répandent chaque jour sur tous les points du pays. On a également formé des contremaîtres. Le salaire de ces ouvriers qui en 1847 était de 40 ou de 50 centimes, s'est élevé successivement à 1 fr. 25, 1 fr. 50 et même 1 fr. 90. Aussi la conséquence de cet abaissement des salaires était-il, avant 1847, de peupler les dépôts de mendicité de braves gens, qui, par leur travail ordinaire, ne pouvaient plus suffire à leurs besoins et à ceux de leurs familles. Voici quelques chiffres qui constatent les bons résultats qu'on a obtenus.

Je citerai seulement deux localités. Il y avait, en 1847, dans la commune de Sleydingz 2,200 indigents secourus, sur une population de 5,200 habitants ; en 1854, les personnes secourues n'y ont plus été qu'au nombre de 1,008 ; encore ces 1,008 habitants sont généralement des personnes infirmes, ce qui prouve que tous ceux des indigents qui, en 1847, étaient valides, ont trouvé, depuis la formation des ateliers d'apprentissage, un salaire plus élevé et sont parvenus à devenir de nouveau de bons ouvriers.

En 1847, la même commune a dépensé en secours une somme de 24,000 francs pour nourrir cttle population indigente et valide. En 1854 on ne dépense plus que 11 mille francs.

A Aeltre, où en 1847 sur une population de 6 mille habitants on comptait 1,900 indigents et où la bienfaisance coûtait 20,200 fr., il n'y a plus en 1854 que mille individus secourus et la dépense n'est plus que de 8 mille fr.

Messieurs, des faits analogues ont été cités hier par M. Vander Donckt ; en ce qui concerne l'atelier d'apprentissage de Cruyshautem, les ouvriers valides n'étaient pas suffisamment rétribués ; les mêmes faits, quant aux dépenses que le bureau de bienfaisance devait faire, s'y produisent dans des proportions aussi satisfaisantes que celles que je viens d'indiquer pour les deux autres communes.

Dans le rapport auquel j'ai fait allusion hier les faits qui établissent les grandes améliorations obtenues dans les Flandres par les ateliers d'apprentissage soint résumés de la manière la plus convaincante. Perùmettez-moi d’en lire un passage.

Le rapport conclut en ces termes :

« Les conclusions à tirer des données qui précèdent, c'est que les ateliers répondent largement au but qu'on s'est proposé en les créant : ils forment de bons ouvriers à des genres de fabrication ignorés jusqu'ici dans les centres où on les a institués ; ils ont relevé l'industrie linière par la vulgarisation de meilleurs procédés de fabrication ; ils moralisent la population ouvrière et améliorent sa position matérielle par le travail ; ils ont contribué à affranchir, comme, nous l'avons démontré, les bureaux de bienfaisance d'une partie des charges écrasantes qui pesaient sur eux, et rendu plus favorable en même temps la situation financière des communes. »

(page 552) Le rapport en dit assez sur le système adopté pour l'industrie des Flandres.

J'arrive à l'objection faite par le représentant du district de St-Nicolas : Les ateliers que vous avez créés, dit-il, font concurrence au travail libre surtout à St-Nicolas.

Cette observation n'est pas exacte ; elle est du moins fort exagérée ; les ateliers subsidiés par le gouvernement ne sont pas créés pour faire concurrence à des industries existantes ; ils sont créés pour développer une industrie nouvelle, ou perfectionner une industrie ancienne par des procédés inconnus jusque-là.

Ce que je dis n'est pas une opinion individuelle, c'est le résultat de conventions écrites, d'instructions adressées à toutes les commissions chargées de surveiller les ateliers d'apprentissage. Je tiens en main deux de ces conventions faites avec les chefs de ces ateliers.

Un des articles de cette convention porte ce qui suit :

(Il s'agit précisément du district de St-Nicolas.)

Convention pour l'atelier d'Evergem :

« Art. 1er. Ces étoffes ne peuvent pas imiter celles qui se confectionnent à Saint-Nicolas. Elles seront, autant que possible, d'une fabrication nouvelle pour la province de la Flandre orientale, ou susceptible d'un plus grand développement. »

Il en est de même dans d'autres conventions notamment dans celle de Waesmunster.

Là encore il est stipulé d'une manière formelle que le gouvernement n'intervient que pour favoriser une fabrication nouvelle.

Mais, dira-t-on, ces conditions ne sont pas exécutées rigoureusement. Je m'attendais à l'objection. Si cette condition n'était pas exécutée, la faute n'en serait pas au gouvernement.

Je pose en fait que l'exécution a lieu conformément à la convention. Mais si, par impossible, cette exécution laissait quelque chose à désirer, eh bien, les commissions de surveillance qui sont instituées par le gouvernement, et qui sont composées d'hommes appartenant aux provinces et aux communes, où les ateliers sont subsidiés, avertiraient immédiatement le gouvernement des infractions qui seraient faites aux contrats. Mais, je le répète, jusqu'à présent, aucune espèce de plainte n'est parvenue au gouvernement, et les ateliers encouragés se renferment dans les limites qui leur sont prescrites.

On a dit aussi, messieurs, que les ateliers, en recevant un certain nombre d'ouvriers à titre d'apprentis, pouvaient abuser de la présence de ces ouvriers pour les retenir pendant un temps considérable au-delà des limites nécessaires pour les former au travail, et qu'ainsi ces ateliers font aux industries libres une concurrence ruineuse. C'est encore là une erreur. Les mêmes conventions qui ont réglé le mode de fabrication, ont stipulé le nombre des apprentis et la durée du temps pendant lequel les ouvriers peuvent rester à l'atelier.

Le gouvernement a le droit, chaque année, de faire sortir ceux qui sont suffisamment instruits et de les remplacer par d'autres. Ainsi, sous ce rapport encore, il n'y a pas d'abus, et l'abus serait à l’instant même réprimé par les commissions de surveillance.

Des instructions, conformes à ces conventions et à l'exécution qu'elles doivent recevoir, ont été adressées aux gouverneurs de province, et les rapports qui sont parvenus au gouvernement, prouvent que partout on se conforme aux prescriptions qui ont été faites.

J'arrive, messieurs, aux observations qui s'appliquent aux détails du chapitre.

L'intervention de l'Etat, ainsi que je le disais, s'élève à la somme de 204,000 fr. L'enseignement professionnel prend, dans ce chiffre, une somme de 50,000 francs, le musée industriel 28,000 francs, les brevets 20,000 francs. Quant à l'industrie linière, c'est un article qui exige une mention toute particulière. Le gouvernement fidèle au principe d'une intervention limitée, a fait descendre le chiffre primitif successivement de 150,000 à 125,000, à 100,000 et maintenant à 80,000 fr.

Mais, a-t-on dit, dans l'intérêt de l'industrie des Flandres, cet abaissement du chiffre du crédit est-il prudent ? Ne doit-il pas compromettre les encouragements que tout le monde s'applique à reconnaître nécessaires pour l'industrie linière ? Non, messieurs, le gouvernement n'a à cet égard aucune crainte. Il peut donner à la Chambre la certitude que tous les ateliers utiles seront maintenus. Ils le seront parce que, si nous diminuons le crédit de 20,000 francs pour l'année 1855, nous avons obtenu, à l'aide de sacrifices plus considérables des communes et des provinces, à l'aide d'améliorations introduites dans le système économique de ces ateliers d'apprentissage, des réductions qui nous permettent de tout maintenir sans dépenser autant que dans les années précédentes.

L'intention du gouvernement est de continuer à diminuer chaque année, dans les limites du possible, le crédit demandé, afin d'arriver à une abstention complète, dans peu d'années.

Je ne veux pas dire qu'il n'y aura jamais d'encouragement à donner. Mais je crois que le système d'encouragement qui consiste à subsidier des ateliers d'apprentissage, pourra être abandonné d'ici à un petit nombre d'années.

La Chambre peut avoir à cet égard la plus complète garantie, car les conventions qui ont été faites avec ces ateliers sont limitées à un petit nombre d'années, à trois, quatre ou cinq ans au maximum.

Je pense qu'au moyen de ces explications, la Chambre n'aura plus d'inquiétude sur le système qu'on a reproché au gouvernement de favoriser au-delà d'une juste limite, et que les articles portés au chapitre obtiendront l'approbation de la Chambre sans aucune difficulté.

M. Rodenbach. - J'étais hier en divergence d'opinion avec M. le ministre de l'intérieur au sujet des chemins vicinaux. Aujourd'hui je crois devoir appuyer les observations que vient d'émettre M. le ministre. Ces observations sont très vraies, et je dois à la vérité de le déclarer.

C'est à Roulers qu'on a établi le premier atelier d'apprentissage et de perfectionnement. Cet atelier y a été organisé, il y a déjà plusieurs années, par l'honorable comte de Theux, qui était alors ministre. Des améliorations y ont ensuite été introduites par le successeur de l'honorable M. de Theux.

Il est très vrai, et M. le ministre vient de vous le dire, que depuis que les ateliers d'apprentissage ont été créés, le vagabondage a considérablement diminué dans nos Flandres. On doit aussi à ces établissements, le perfectionnement du tissage et l'introduction de nouvelles industries. Mais le plus grand avantage, c'est que les enfants de 14 à 16 ans qui auparavant croupissaient dans la misère, qui se livraient à la mendicité, sont aujourd'hui reçus dans ces ateliers et doivent y apprendre un métier.

Je le répète, il y a de ce chef une grande amélioration. Les résultats m'ont même étonné ; car dans le principe je n'étais pas tout à fait partisan de ces ateliers, parce que je suis en principe contraire à la centralisation ; mais aujourd'hui je dois déclarer qu'ils ont été d'une grande utilité.

Les honorables députés de Saint-Nicolas nous ont dit que les fabricants donnaient de l'ouvrage aux ateliers d'apprentissage. Cela peut exister ; mais ce n'est pas le gouvernement qui en est responsable ; c'est la commission de surveillance, qui est composée de bourgmestres et de spécialités. Je crois même que dans les campagnes on a fait entrer dans ces commissions des ecclésiastiques.

C'est à ces commissions à faire disparaître les abus s'il y en a. Mais en général dans les ateliers de Roulers et de Rumbeke, on ne reçoit que les enfants de la banlieue et des villages voisins ; ces enfants y apprennent un métier, et lorsqu'ils sont suffisamment instruits, on en prend d'autres.

Il y a aussi des fabricants qui font des essais. C'est ce qui est arrivé pour les métiers à la Jacquard. Dans l'atelier modèle de Roulers, qui est le premier du royaume, on a placé deux ou trois de ces métiers, qui auparavant n'étaient pas connus dans le pays. On vient encore de perfectionner en France ces métiers ; on a trouvé, je crois, le moyen de diminuer de moitié le nombre des cartes. Il serait extrêmement utile de populariser ce métier perfectionné, et c'est à quoi le gouvernement pourrait arriver par l'acquisition de quelques modèles.

Ainsi, je le répète, l'institution de ces ateliers et les mesures propres à diminuer le prix des subsistances de manière à le mettre en harmonie avec le taux des salaires, sont peut-être ce qu'on a pu faire de mieux pour améliorer le sort des malheureux habitants des Flandres.,

Je n'en dirai pas davantage. Mais je pense qu'on ne contestera pas le chiffre de 80,000 fr. pour l'industrie linière. Je partage, du reste, l'opinion de M. le ministre ; je crois que ce chiffre, comme une foule d'autres articles du budget, devra être diminué. Economie, telle doit être notre devise.

M. Van Overloop. - Messieurs, je remercie l'honorable ministre de l'intérieur d'avoir proclamé le principe de la non-intervention de l'Etat en matière d'industrie. Je n'ai pas, messieurs, contesté hier l'utilité des ateliers d'apprentissage, encore moins ai-je critiqué le motif qui les a fait créer. La ville de Saint-Nicolas elle-même ne s'est pas plainte. Elle ne s'est jamais plainte dans les temps de crise, parce que la ville de Saint-Nicolas est avant tout une ville de cœur. La ville de Saint-Nicolas ne se plaint pas, quoiqu'elle ait des motifs de plainte, lorsqu'elle peut, en gardant le silence, laisser venir en aide à de malheureux compatriotes.

Mais, messieurs, aujourd'hui cet état de choses est passé, aujourd'hui les salaires sont trop bas à Saint-Nicolas, et je croirais manquer à mon devoir si je ne venais protester contre une concurrence que je considère comme préjudiciable aux ouvriers de l'arrondissement que j'ai l'honneur de représenter.

L'honorable ministre de l'intérieur a fait un tableau comparé de la situation des Flandres en 1847 et de la situation des Flandres en 1854. Il a taxé d'abord d'exagérées les plaintes que nous avons fait entendre hier ; qu'il me permette, à mon tour, de taxer d'exagérés les résultats qu'il a attribués aux ateliers d'apprentissage.

Je ne conteste pas que les ateliers d'apprentissage ont rendu de grands services ; mais il importe, lorsqu'on parle de l'ancienne misère des Flandres, de ne pas perdre de vue ce qui a été fait par les efforts de la charité privée.

Ce qui a, avant tout, atténué le paupérisme des Flandres, reconnaissons-le, c'est la charité privée. (Interruption.) C'est la charité privée, et je prie tous mes honorables collègues, qui ne connaissent pas les Flandres, de vouloir y faire une visite ; alors ils partageront complètement mon opinion.

M. Manilius. - C'est le travail.

M. Van Overloop. - C'est le travail, mais c'est avant tout la charité privée qui a atténué les effets de la misère. Du reste, messieurs, j'avance un fait facile à vérifier : il suffit pour cela de faire un tour dans les Flandres et de visiter les établissements que la charité privée y a fondés.

(page 553) L'honorable ministre a invoqué les conventions qui interdisent de produire des fabricats similaires à ceux qui se produisent dans d'autres parties du pays, par l'industrie non subsidiée.

Je me permettrai, messieurs, de reproduire une objection que M. le ministre a déjà rencontrée, savoir : Ces conventions ne sont pas exécutées ! L'honorable ministre répond : Mais elles doivent être exécutées, car les commissions de surveillance sont là.

Je ne veux pas critiquer la manière dont les commissions de surveillance remplissent leur mandat, mais toujours est-il (et de nombreux industriels de l'arrondissement de Saint-Nicolas peuvent l'affirmer, pour l'avoir vu de leurs propres yeux), toujours est-il que dans les ateliers que j'ai cités, on crée des produits similaires à ceux que l'on crée dans l'arrondissement de Saint-Nicolas.

C'est, messieurs, ce que pourraient affirmer aussi d'autres membres de la Chambre que les représentants de l'arrondissement de Saint-Nicolas.

Ils pourraient vous dire que certains directeurs d'ateliers se contentent d'avoir pour bénéfice les 1,500 francs que le gouvernement leur accorde à titre de subside.

Or, comme la main d'œuvre est plus basse dans les localités dont il s'agit que dans l'arrondissement de Saint Nicolas, il est évident que les produits de ces localités doivent faire aux produits de Saint-Nicolas une concurrence contre laquelle il est pénible de lutter.

Du reste, messieurs, je remercie le gouvernement en terminant, comme je l'ai fait en commençant, d'avoir proclamé le principe de la non-intervention de l'Etat et j'espère qu'au budget prochain il y aura encore diminution sous ce rapport. Que, si malheureusement on doit continuer à venir en aide à certaines populations souffrantes, ce que, encore une fois, je ne blâme pas, j'espère que le gouvernement le fera de manière à ne pas rendre souffrantes d'autres populations.

M. T’Kint de Naeyer. - L'honorable représentant de Saint-Nicolas se plaint de nouveau de la concurrence que les ateliers d'apprentissage des Flandres feraient à l'industrie de la ville qui l'a envoyé dans cette enceinte. Il importe que cette opinion ne s'accrédite point, et je crois qu'il est utile de rétablir les faits.

Si les ateliers d'apprentissage étaient organisés d'après le système dont l'honorable M. Van Overloop se plaint, ce seraient de véritables ateliers nationaux ; mais, messieurs, il n'en est rien : nous avons dans la Flandre orientale 27 ateliers d’apprentissage, dont 22 constituent des entreprises à forfait.

Ces ateliers sont dirigés par des fabricants qui ont conclu des conventions spéciales avec le gouvernement.

Il ne s'agit donc pas là d'établissements fonctionnant en régie, pour compte de l'Etat.

Dans cinq ateliers seulement, les opérations se font, soit directement pour le compte des ouvriers, soit pour celui des industriels qui fournissent la matière première.

La plupart des ateliers-modèles sont la propriété des industriels qui les dirigent, et ils sont organisés de telle façon que l'intervention financière de l'Etat pourra diminuer d'année en année.

Les dépenses ne devront pas être appliquées d'une manière permanente aux mêmes localités. Lorsqu'un atelier a rempli sa mission, il peut être transféré ailleurs si le besoin s'en fait sentir. Déjà l'on a pu entrer dans cette voie.

Maintenant, messieurs, je rends hommage avec l'honorable préopinant à la charité privée qui a fait des merveilles dans les Flandres. Mais ce que la charité pouvait difficilement entreprendre, c'était de régénérer l'industrie linière, de diversifier le travail en stimulant de nouvelles entreprises.

Il n'est plus possible de révoquer en doute l'utilité des ateliers d'apprentissage comme intermédiaires pour le perfectionnement industriel.

L'exposition de 1849 en a constaté les premiers résultats et voici en quels termes s'exprimait à cette époque le président du comité des Flandres :

« ... Indépendamment des mesures financières qui ont élargi le crédit et augmenté la circulation dans l'intérêt du commerce et de l'industrie, le gouvernement a directement contribué tant par les ateliers d'apprentissage que par les établissements dont il a favorisé la formation, à améliorer la situation, à activer le perfectionnement, à développer les ressources du travail industriel des Flandres. »

Les ateliers, messieurs, forment de bons ouvriers et vulgarisent les meilleurs procédés. Grâce aux progrès du travail industriel dans nos communes rurales, nous pouvons aujourd'hui constater une diminution notable dans le nombre des pauvres à charge de la bienfaisance.

M. Vander Donckt. - Messieurs, il est une chose qui a lieu de me surprendre dans cette discussion : lorsqu'il s'est agi des grands travaux qui ont été décrétés par la Chambre, lorsqu'on a décrété de la dérivation de la Meuse, les travaux sur la Lys et sur l'Escaut, le canal de Zelzaete et le canal de Schipdonck, vous avez tous été témoins, messieurs, de l'opposition systématique qui a été faite à l'exécution de ces travaux. Et qui s'est fait l'organe de cette opposition ? Un honorable représentant de la ville de Bruges !

Maintenant qu'il s'agit du subside aux ateliers d'apprentissage qui ont contribué largement au soulagement de la profonde misère des Flandres, je pouvais m'attendre à de l'opposition de la part de mes honorables collègues de Liège, de Verviers, de Bruxelles même qui sont étrangers aux Flandres ; mais il n'en est rien ; c'est encore un représentant d'une partie de la Flandre orientale, qui fait de l'opposition, qui demande au gouvernement une réduction pour l'avenir, et qui appartient précisément à cette partie de la province qui, heureusement, n'a pas participé à cet état de profonde misère où se sont trouvées les autres localités de cette province ; j'en félicite la ville de Saint-Nicolas de grand cœur, je rends volontiers justice aux industriels de cette ville qui, par leur énergie et leur courage, se sont mis en mesure de pourvoir constamment aux besoins pressants de la classe ouvrière, et qui, aujourd'hui même, veuillez bien le remarquer, ne se plaignent pas de la concurrence des ateliers de l'Etat ; mais ce qui m'afflige profondément, c'est qu'un honorable représentant de la Flandre orientale prenne cette initiative.

On paraît me faire un grief des remerciements que j'ai cru devoir adresser dans la séance d'hier au prédécesseur de l'honorable ministre de l'intérieur actuel pour les bienfaits nombreux qu'il a répandus sur les Flandres ; eh bien, n'est-ce pas à juste titre ? ne devrais-je pas en même temps témoigner ma reconnaissance envers tous les membres de la Chambre qui n'appartiennent pas aux deux Flandres. Vous comprendrez, messieurs, combien on a mauvaise grâce de faire cette opposition et de demander de nouvelles réductions, surtout de la part d'un représentant de cette province.

Je le regrette bien vivement. J'ai du reste, dans la séance d'hier, fait voir combien étaient peu fondées les observations de l'honorable membre.

Je n'abuserai pas des moments de la Chambre ; je ne suis pas préparé ; mais j'aurai l'honneur à une autre occasion, d'établir à toute évidence ce que M. le ministre de l'intérieur n'a fait qu'ébaucher. Quant à la suppression de l'allocation, je serai obligé de m'y opposer de toutes mes forces.

Je crois que cette allocation doit devenir permanente, parce que les générations naissantes renouvellent annuellement les besoins et que c'est seulement ainsi que vous parviendrez à soulager par continuation la profonde misère qui n'a cessé de peser sur les Flandres. On a parlé de la crise ; oui, la misère a été plus grande encore dans les Flandres, mais elle est loin d'être extirpée, et j'ose espérer que le gouvernement regardera à deux fois ayant de songer à réduire davantage l'allocation dont il s'agit.

M. Sinave (pour un fait personnel). - M. l'honorable M. Vander Donckt vient de dire que lors de la discussion de la grande loi de 1851 concernant les travaux publics, il y a eu, de la part d'un membre appartenant à la ville de Bruges, de l'opposition contre ces travaux. Il n'en est absolument rien, j'ai voté tous les travaux. La seule chose que nous ayons demandée, c'était qu'on donnât à certains travaux la direction la moins nuisible aux intérêts des propriétaires et la plus utile au commerce.

Quant à la discussion actuelle, je suis parfaitement d'accord avec l'honorable préopinant.

M. de T'Serclaes. - Bien loin de regretter la discussion qu'a provoquée la motion de l'honorable M. Van Overloop, je m'en applaudis. Nous avons obtenu des explications et des renseignements détaillés au sujet du fait de la concurrence que, dans plusieurs cas, les établissements subsidiés ont faite à l'industrie privée.

Le gouvernement s'engage à ne pas tolérer cette concurrence, à faire observer sévèrement les règlements qui ont organisé les ateliers d'apprentissage ; il promet que les subsides alloués aux établissements industriels vont tous les ans être diminués.

Maintenant, messieurs, que répondre à la sortie que vient de faire l'honorable M. Vander Donckt ? Evidemment, il a porté la question sur un terrain tout autre que celui où nous nous sommes placés ; il ne s'agissait pas de discuter le mérite des ateliers d'apprentissage, les services qu'ils ont rendus ; il s'agissait simplement de demander au ministère des explications sur des plaintes trop généralement formulées pour être dénuées de fondement ; ces explications ont été satisfaisantes ; nous ne demandons pas autre chose pour le moment que l'application des véritables principes de l'intervention de l'Etat dans l'industrie ; là s'est arrêtée l'interpellation, nous n'avons demandé rien de plus, rien de moins, le reste est tout à fait en dehors de notre motion.

M. Desmaisières. - Messieurs, je n'ai que très peu de mots à dire. Je ne me proposais même pas de prendre la parole dans cette discussion ; ayant beaucoup concouru moi-même à la formation des ateliers d'apprentissage, je croyais devoir laisser à d'autres le soin d'apprécier le bien qu'ils avaient produit.

Messieurs, on a dit tout à l'heure que c'était la charité privée qui avait tout fait et que par conséquent l'intervention du gouvernement était inutile. Voyons les faits.

En 1838, une association privée s'est formée ; j'ai eu l'honneur d'en être le président. Cette association a eu pour but, et je puis le dire, pour effet de venir au secours de nos malheureuses populations de tisserands et de fileuses des Flandres ; elle a d'abord essayé avec ses seules forces ; mais bientôt elle a vu qu'il lui fallait bien recourir au gouvernement, et que si le gouvernement n'intervenait pas, il lui serait impossible de remplir la mission toute patriotique qu'elle s'était donnée.

C'est ensuite du concours du gouvernement qui nous a été accordé (page 554) par l'honorable comte de Theux, que nous avons pu envoyer en France et en Allemagne deux membres de notre comité directeur, pour explorer les diverses industrie qui s'y pratiquaient avec avantage dans les campagnes et qui pouvaient être substituées au travail perdu de notre ancienne industrie linière. Le rapport fait par ces deux membres du comité directeur, après une tournée dans les départements du nord, nous a signalé comme pouvant être pratiquée avec succès l'introduction de la fabrication des batistes et du fil de mulquinerie qui sert à les confectionner.

Un membre de notre comité directeur qui était en même temps président du comité industriel cantonal de Courlrai, notre honorable collègue.M l'abbé de Haerne, est allé, ensuite, passer un mois ou deux en France ; il a logé chez les divers curés des communes où se pratiquait l'industrie des batistes, et bientôt après, il a pu, par suite de ses études et de ses observations, importer cette industrie dans l'arrondissement de Courtrai ; il a associé à ses efforts un tisserand remarquable, un homme de génie, aujourd'hui malheureusement décédé, mais qu'avant sa mort l'Etat a récompensé à juste titre, en lui accordant la croix de l'Ordre de Léopold ; M. de Haerne a, de concert avec ce tisserand, institué une école pour la filature du fil de mulquinerie et la fabrication des batistes à Moorseele, près de Courtrai. Dans le principe, cet. atelier d'apprentissage a été subsidié par l'Etat ; depuis un certain nombre d'années, il ne l'est plus, et maintenant il y dans le même arrondissement deux ou trois fabriques de fil de mulquinerie de et tissage des batistes qui emploient 7,000 à 8,000 ouvriers.

Je parlerai encore d'un autre fait remarquable : ce sont les écoles-manufactures de dentelles. Plusieurs comités industriels, ensuite des instructions qui leur ont été données par notre comité directeur, ont cherché à instituer des écoles-manufactures dès 1838.

Ils l'ont fait avec le concours du clergé qui a montré dans ces circonstances le plus grand patriotisme. Je le dis, parce que, malheureusement, dans cette enceinte on a, dans d'autres sessions, prétendu que le clergé avait fait plutôt du mal que du bien. Eh bien, ces comités ont institué des écoles-manufactures, ou ateliers d'apprentissage, et à l'aide de ces écoles, on a tellement perfectionné la fabrication de la dentelle à la main, que la dentelle mécanique, c'est-à-dire le tulle, qui, vous ne l'ignorez pas, avait fait tomber nos fabriques de dentelles, les avait pour ainsi dire anéanties, a été, à son tour, presque anéantie par la dentelle à la main perfectionnée, dont la fabrication est très florissante depuis dix à douze ans.

On ne voit presque plus de fabriques de tulle. Il y a à Bruxelles un fabricant de tulle, c'était, je crois, la plus considérable du pays, sur la porte duquel on lit aujourd'hui : Fabrique de dentelle. Il a abandonné entièrement la fabrication du tulle pour s'adonner à l'industrie dentellière.

Dans les écoles-manufactures de la Flandre orientale, on voit depuis 1845 une population de 16 à 17 mille jeunes filles qui sont instruites dans la fabrication de la dentelle, de la broderie, du festonnage, etc. Je cite la Flandre orientale parce que c'est la province que je connais le mieux, mais je sais qu'il y a également dans les écoles-manufactures de la Flandre occidentale une population considérable de jeunes élèves.

Vous voyez par là combien les ateliers d'apprentissage, les écoles-manufactures ont produit de bons effets pour le pays. Je crois par conséquent qu'il faut continuer à subsidier les établissements nouveaux jusqu'à ce qu'ils soient assez forts pour marcher seuls, jusqu'à ce qu'ils deviennent des fabriques privées. Leurs succès amèneront la formation d'autres manufactures.

Loin de redouter la concurrence, je l'appelle de tous mes vœux, parce que plus il y aura des fabricants, plus il y aura d'ouvriers employés, et ils ne seront plus exposés à mourir de faim, comme cela est malheureusement arrivé.

Les industries dont je viens de parler travaillent d'ailleurs principalement pour les marchés étrangers, et ceux-ci sont assez vastes pour que notre production puisse, sans danger, prendre de plus fortes proportions.

M. Lesoinne. - Des plaintes se sont élevées sur la manière dont la loi nouvelle sur les brevets d'invention est exécutée.

On a compliqué pour l'obtention des brevets d'importation les formalités à remplir ; on a exigé des inventeurs étrangers la production de pièces qu'il leur était souvent iinpossible de fournir.

On a exigé d'eux, par exemple, la production d'actes notariés dans des pays où l'institution du notariat n'existe pas. Si ces plaintes étaient fondées, ce serait d'autant plus surprenant que rien dans la loi nouvelle, ni dans l'arrêté royal, qui en règle l'exécution, ne prescrit ces formalités.

Le dernier paragraphe de l'article 3 dit qu'il ne sera pas exigé de taxe pour les brevets de perfectionnement quand ils seront demandés par les titulaires du brevet principal.

Cependant par une circulaire en date du 15 juillet adressée à MM. les gouverneurs de province, M. le ministre de l'intérieur leur prescrit d'exiger la taxe pour les brevets de perfectionnement, comme pour les autres brevets.

Cela me paraît tout à fait contraire à la lettre comme à l'esprit de la loi.

Je comprends que, dans l'application d'une loi nouvelle, qui diffère essentiellement des lois antérieures sur la matière, on rencontre des difficultés dans l'exécution, mais on ne doit pas oublier que la loi à été faite précisément pour simplifier les formalités, les complications exigées par la loi antérieure pour l'obtention des brevets.

Je demanderai en conséquence, à M. le ministre, de remédier à cet état de choses afin que ces plaintes ne se renouvellent plus à l'avenir.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Les plaintes dont l'honorable M. Lesoinne vient de se faire l'écho, je les ignore. C'est la première fois que j'entends dire que la loi donne lieu à quelque difficulté que ce soit. Le gouvernement s'est attaché à simplifier les formalités nécessaires pour l'obtention des brevets sollicités par les inventeurs. Mais si, quand il s'est agi de cession de droits, il a exigé certaines précautions propres à garantir la sincérité de la cession, on ne peut pas trouver là un abus, on doit, au contraire, louer le gouvernement d'avoir pris des mesures pour éviter qu'on n'abuse d'un acte de transmission qui pourrait être le résultat d'une surprise. C'est là une mesure plutôt digne d'éloge que de blâme.

La pratique peut apprendre jusqu'à quel point il est possible de simplifier les formalités. Tout ce qui sera compatible avec l'exécution de la loi et la garantie des droits des inventeurs, le gouvernement s'empressera de l'introduire.

Je n'ai pas entendu dire qu'on ait perçu des droits en dehors de ceux qui sont fixés par la loi. Je prendrai des informations à cet égard, et s'il y a l'ombre d'un doute sur la légalité des taxes perçues, le gouvernement s'empressera d'en faire cesser la perception.

M. Vermeire. - Une taxe de dix francs se perçoit sur les brevets de perfectionnement,, contrairement au texte de la loi du 24 mai 1854. En effet, l'article 3 dit : « Il ne sera perçu aucune taxe pour le brevet de perfectionnement quand il est délivré au titulaire du brevet principal. »

La perception de cette taxe n'est, d'après moi, que le produit d'une confusion qui règne dans l'interprétation de l'article 17.

Le gouvernement croit que l'article 17 doit s'appliquer en même temps aux brevets de perfectionnement et d'importation et aux brevets d'invention.

Ce qui concerne les brevets de perfectionnement est réglé par un autre article. L'article 17 ne se rapporte qu'aux brevets primitifs, c'est-à-dire aux brevets d'invention. Cela résulte de la discussion et du dernier paragraphe de ce même article, où il est dit : « Un procès verbal dressé sans frais par le greffier provincial ou par le commissaire d'arrondissement sur un registre à ce destiné et signé par le demandeur, constatera chaque dépôt, en énonçant le jour et l'heure de la remise des pièces. »

Or, l’énonciation du jour et de l'heure de la remise des pièces n'a pour but que de donner une date fixe au brevet.

La même précaution ne doit pas être prise pour le brevet de perfectionnement quand il est demandé par le titulaire du brevet principal.

M. le ministre nous a parlé tantôt d'abus qui pourraient résulter de ce qu'on accorderait les brevets de perfectionnement ou d'importation à des personnes qui n'ont pas le droit de les obtenir. Mais ces abus ne peuvent se présenter puisque, je le répète, les brevets d'importation ne peuvent s'accorder qu'aux titulaires des brevets primitifs. S'il en est ainsi, il est évident que les précautions que prend le gouvernement ne sont pas nécessaires.

- La discussion sur le chapitre est close.

Articles 67 et 68

« Art. 67. Traitement de l'inspecteur et des membres du comité consultatif pour les affaires d'industrie : fr. 7,600. »

M. le président. - M. le ministre avait demandé une augmentation de 1,200 fr. La section centrale n'a pas admis cette augmentation.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Je me rallie aux observations de la section centrale ; je maintiens le chiffre primitif de 7,600 francs.

- L'article est adopté.


« Art. 68. Enseignement industriel : fr. 51,850. »

- Adopté.

Article 69

« Art. 69. Achat de modèles et de métiers perfectionnés, inspection des établissements dangereux ou insalubres, expertises des machines pour lesquelles on demande l'exemption des droits d'entrée ; voyages et missions ; publications utiles ; prix ou récompenses pour des ouvrages technologiques ou d'économie industrielle ; subsides en faveur d'industries nouvelles ; caisses de prévoyance : fr. 25,000. »

M. Dumortier. - Cet article soulève des questions très sérieuses ; il s'agit ici de l'inspection des établissements dangereux et insalubres. Ces établissements, vous le savez, donnent souvent lieu à des réclamations très justes et très fondées.

Il n'est que trop malheureusement vrai que dans beaucoup de localités le gouvernement a autorisé et autorise chaque jour la création d'établissements qui portent un préjudice réel aux habitants du voisinage.

- Un membre. - Témoin la Monnaie de Bruxelles.

M. Dumortier. - Un honorable collègue me rappelle ce qui s'est passé relativement à la Monnaie. Il est positif qu'il est difficile de comprendre comment on peut créer un établissement aussi insalubre au centre d'une capitale. Je sais que des réclamations nombreuses ont été (page 555) adressées au, gouvernement sur ce point, et que ces réclamations sont restées sans aucune espèce de succès.

Ce n'est pas tout, dans beaucoup de communes rurales, on établit des établissements insalubres presque à proximité des routes, et quand la députation permanente a donné un avis défavorable, quand elle a, par des résolutions longuement motivées, rejeté la création de pareils établissements, M. le ministre vient les autoriser.

Le fait ne sera pas contesté, car j'en ai la preuve en main ; il s'agit d'un fait pour lequel j'ai moi-même entretenu une correspondance avec M. le ministre depuis la dernière session.

Je dis que le gouvernement est coupable de tolérer des établissements insalubres, des établissements nuisibles à la santé publique, de les tolérer malgré l'avis des députations ; qu'il devrait surtout veiller à ce que des centres de populations rurales ne fussent pas sous l'influence d'établissements insalubres ; car cela peut amener des maladies très graves.

Comment ! vous nous parlez d'hygiène publique ; vous nous faites voter des fonds pour l'hygiène publique ; on y veille de tous côtés ; on en parle très haut et dans le moment où l'on en parle, on autorise la création des établissements les plus contraires à l'hygiène !

Je dis que ce système ne peut continuer davantage et qu'il est indispensable que le gouvernement prenne des mesures pour sauvegarder la santé et la salubrité publique.

Il ne s'agit pas ici d'agiter la question de la liberté de l'industrie. Certainement l'industrie est libre ; mais l'industrie n'est pas libre d'assassiner, d'empoisonner les voisins. Si l'industrie veut créer des établissements insalubres, qui compromettent la santé publique, qu'elle se place dans une situation telle qu'elle ne puisse nuire ; mais autoriser, comme on le fait chaque jour, des établissements de cette nature qui dégagent des gaz méphitiques, autoriser de pareils établissements à portée des populations, à portée des habitants qui se sont fixés dans telle ou telle localité, c'est un acte de mauvaise administration et que je ne puis assez condamner.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - S'il fallait, messieurs, admettre toutes les réclamations qui arrivent au gouvernement ou aux administrations locales, contre les établissements que l'on appelle insalubres ; et surtout s'il fallait prendre en considération les griefs articulés par l'honorable M. Dumortier, je n'hésite pas à dire qu'il faudrait proscrire l'industrie de toutes les localités de la Belgique.

Si je suis bien informé, l'établissement auquel l'honorable membre vient de faire allusion est siluéà une demi-lieue environ de Tournai, par conséquent à la campagne. Cet établissement, incommode, si l'on veut, pour les habitants domiciliés dans son voisinage, n'est cependant pas insalubre au premier chef. Il a été l'objet d'une instruction de la part de la commune, ensuite de la part de l'autorité provinciale et, en définitive, de la part du gouvernement.

Messieurs, que fait le gouvernement quand il est saisi, par voie d'appel, dans les limites tracées pour sa compétence en vertu des arrêtés organiques, d'une réclamation contre l'érection d'une usine ? II a, à côté de lui, un comité supérieur, composé d'hommes spéciaux, chargé d'examiner la demande, de prendre connaissance de la nature de l'usine, et, quand il le faut, de se rendre sur les lieux pour apprécier si l'établissement semble devoir justifier les plaintes qui sont formulées.

Eh bien, c'est précisément ce qui a eu lieu dans le cas dont il s'agit. L'établissement dont vient de parler l'honorable M. Dumortier a été l'objet de plaintes de la part des habitants domiciliés dans son voisinage ; ces plaintes ont été appréciées par la commnne d'abord, par l'autorité provinciale ensuite ; et, comme cela arrive souvent dans les localités, on donne assez légèrement un avis défavorable.

M. Dumortier. - Je demande la parole.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Ce que je dis n'a rien d'offensant pour personne ; j'ajoute que ce résultat est pour ainsi dire inévitable, parce que les autorités locales se trouvent placées à côté de ceux qui se plaignent, et sont exposées à toute sorte de sollicitations et quelquefois même d'obsessions.

C'est précisément pour éviter l'inconvénient d'une décision qui ne serait pas parfaitement équitable et qui serait contraire au principe de la juste liberté dont l'industrie doit jouir, que la voie d'appel est ouverte contre les décisions des autorités locales et que l'on a établi à côté du gouvernement un comité d'inspection qui fait la visite des établissements. Eh bien, dans le cas actuel, le gouvernement a chargé les inspecteurs du service de salubrité de se rendre sur les lieux, et c'est après avoir recueilli sur les lieux tous les renseignements relatifs à l'établissement dont il s'agit, qu'on a reconnu que moyennant certaines précautions à prescrire, l'autorisation sollicitée pouvait être accordée.

En outre, le gouvernement s'est réservé, par une clause formelle de l'acte d'autorisation, le droit d'imposer des conditions nouvelles toutes les fois qu'il le jugera nécessaire. Que voulez-vous qu'il fasse de plus ? A moins d'interdire la création d'établissements industriels dans toutes les parties de la Belgique, il est impossible de se conduire avec plus de réserve que ne l'a fait le gouvernement,

Je pense donc, messieurs, que le gouvernement n'est pas coupable d'imprévoyance comme le dit l'honorable M. Dumortier.

Quant à la Monnaie, messieurs, c'est une affaire qui a eu du retentissement. Lorsque des plaintes se sont élevées contre l'atelier d'affinage de l'hôtel des Monnaies, le gouvernement a institué une enquête, dont il a chargé des hommes dont l'autorité scientifique et pratique est irrécusable.

Le premier résultat de cette enquête a été de faire cesser un mode de fabrication qui était nuisible à la salubrité publique. Il a prescrit un nouveau système d'exploitation qui a été mis à l'essai depuis quelque temps.

Les essais qui se font sous la surveillance d'hommes désignés par le gouvernement ont pour objet de compléter les expériences reconnues nécessaires. C'est seulement quand ces essais seront terminés, que le gouvernement pourra prendre une décision définitive sur le point de savoir si la Monnaie peut être maintenue à Bruxelles, et dans cette question on ne négligera rien de ce qui peut intéresser la santé publique et la commodité des habitants du voisinage.

M. Prévinaire. - Je dois contester, messieurs, la connexité qui serait inévitable, selon M. le ministre de l'intérieur, entre l'affinage et le monnayage. En effet, à Paris, où la monnaie a une grande importance, cette connexité n'existe pas. On peut donc parfaitement isoler l'affinage du monnayage.

Il est très vrai que le gouvernement a pris quelques mesures pour faire cesser en partie l'état de choses dont on se plaint, mais il n'est pas moins vrai qu'il existe un rapport très circonstancié rédigé par les hommes les plus compétents, qui y ont déclaré que l'opération de l'affinage est nuisible à tout le bas de la ville, mais surtout aux maisons qui sont le plus à proximité de l'hôtel des Monnaies.

On fait, dit M. le ministre de l'intérieur, de nouveaux essais pour trouver un remède aux inconvénients de l'affinage, et on en a déjà fait disparaître quelques-uns. Cela peut être vrai, mais ceux qui parcourent le bas de la ville lorsqu'on travaille à l'affinage et que le vent souftie dans cette direction, s'aperçoivent parfaitement que ces inconvénients sont toujours très considérables. L'affinage cause un très grand préjudice aux propriétés voisines de la Monnaie et les grands hôtels des environs se sont vu déserter à cause de ce voisinage.

Quant à moi, messieurs, je renouvelle auprès du gouvernement les instances que j'ai faites il y a quatre ans relativement au même objet. Cet objet est digne de la plus grande attention, et les observations très sérieuses de l'honorable magistrat qui se trouve à la tête de la capitale méritent à tous égards d'être prises en considération.

Quant à ce qui a été dit par l'honorable M. Dumortier, nous connaissons tous les précautions qui sont prescrites relativement aux établissements insalubres. Ces établissements ne peuvent être créés qu'à la suite d'une enquête de commodo et incommod0 et d'une autorisation accordée soit par l'administration communale, soit par la députation provinciale, soit enfin par le gouvernement.

Quant à moi, je suis loin d'engager les autorités qui ont à statuer en cette matière, à se montrer très sévères, quant à l'emplacement de ces établissements, mais je voudrais que, quant aux conditions d'érection, l'on fût plus sévère qu'on ne l'a été jusqu'ici. Est-il convenable, par exemple, que dans un établissement comme celui de la Monnaie, dont il vient d'être question, l'on se contente d'une cheminée par où s'échappent tous les gaz qui devraient être condensés, cheminée qui s'arrête à quelques pieds au-dessus du toit, tandis qu'on devrait y donner une grande élévation. C'est ainsi qu'à Londres, où il y a beaucoup d'établissements industriels, les cheminées de ces établissements ont une élévation beaucoup plus grande.

On a parlé de l'indifférence du gouvernement. Je crois, messieurs, que cette indifférence n'est pas si grande. En effet, nous avons vu un établissement frappé d'interdit et le propriétaire condamné même à l'emprisonnement, probablement parce qu'il n'avait pas voulu consentir à ce que demandait le gouvernement. Je crois qu'il ne faut pas entraver l'érection d'établissements industriels dans le pays ; l'industrie a besoin de la plus grande liberté possible, mais il faut concilier cette liberté avec les exigences de la salubrité publique.

Un autre objet sur lequel j'appellerai l'attention du gouvernement, c'est l'érection des fabriques. Jusqu'à présent le gouvernement est resté complètement étranger à tout ce qui concerne le mode d'érection des fabriques. Cependant il est évident qu'il y a quelque chose à faire sous ce rapport. Nous nous occupons de la santé publique, nous devrions bien nous occuper aussi de la santé des ouvriers. Je ne dis pas que le gouvernement doit intervenir ici par voie de réglementation, mais il pourrait engager les administrations communales qui ont la surveillance des constructions, à s'occuper du système de construction des fabriques.

Il y a certaines fabriques où les ouvriers sont placés dans des conditions hygiéniques vraiment incroyables. Nous avons donné assez de preuves de notre sollicitude pour les classes ouvrières pour que sous ce rapport leurs besoins ne soient pas perdus de vue. il est évident (page 556) que des enfants qui passent plusieurs heures de la journée dans des ateliers où l'air circule mal, où l'air est vicié, se trouvent dans des conditions telles, que leur existence ne peut pas se développer convenablement. Je recommande cet objet à la sollicitude du gouvernement.

M. Dumortier. - L'honorable préopinant a pris le soin de se réfuter lui même. Dans la première partie de son discours, il a dit que le gouvernement devait prendre des mesures pour faire cesser les inconvénients qui résultent de l'affinage à l'hôtel des Monnaies, et dans la deuxième partie il a dit qu'il ne fallait rien refuser à l'industrie.. Ce sont là des choses parfaitement contradictoires.

L'honorable membre s'est occupé en troisième lieu de la question du travail des ouvriers dans les fabriques. La conclusion à laquelle il aurait dû arriver et à laquelle je crois qu'il n'arrivera pas, c'est qu'il faudrait enfin voter une loi sur le travail des enfants dans les manufactures. Cet objet est d'une très haute importance et il est regrettable qu'on laisse sous ce rapport le pays en arrière tandis qu'en Angleterre et en France le travail des enfants dans les fabriques est réglé par la loi.

J'arrive, messieurs, au sujet qui m'a fait prendre la parole. J'ai signalé tout à l'heure la facilité extrême avec laquelle le gouvernement accorde l'autorisation de créer des établissements insalubres. J'avais parlé en termes généraux et j'avais fait remarquer à l'assemblée qu'il était à ma connaissance que l'érection de pareils établissements avait été autorisée contre l'avis de la députation permanente. J'ai dit que j'avais les pièces en main. Puisque M. le ministre est entré dans les détails de la question, je vais mettre la Chambre à même d'apprécier ce qui s'est passé.

Il s'agissait de créer aux portes de Tournai un établissement d'équarrissage, c'est-à-dire ce qu'il y a de plus infect au monde. L'administration communale refusa l'autorisation. Ceux qui voulaient créer cet établissement choisirent un terrain situé à un pas plus loin sur le territoire de la commune de Kain, à dix minutes de la porte de Tournai, à dix minutes de la station du chemin de fer. Il y a ici plusieurs membres qui connaissent les localités et ils savent que le premier emplacement était sur le dernier hectare de Tournai, tandis que l'emplacement nouveau est sur le premier hectare de Kain, qui y touche.

Toute la commune de Kain protesta contre l’établissement projeté, et remarquez, messieurs, que c'est la commune la plus populeuse des environs de Tournai ; il s'y trouve au moins trente maisons de campagne. L'affaire fut portée devant la députation permanente. La députation prit un arrêté dans lequel elle déclara que cet établissement ne pouvait se créer sans un grand danger pour la santé publique. Vous pensez, messieurs, qu'après cela tout était fini. Les communes intéressées le croyaient aussi.

Tout le monde était tranquille lorsqu'un beau jour arrive le Moniteur avec un arrêté qui accorde l'autorisation refusée par la ville deTournai, refusée par la commune de Kain après une enquête où plus de 250 personnes étaient intervenues, refusée enfin par un arrêté longuement motivé de la députation permanente. Tout cela, messieurs, a été mis de côté par le gouvernement. Tout le monde se demande si ce n'est pas là une chose déplorable.

Mais, dit-on, il y a un bureau consultatif et on a été faire une enquête sur les lieux.

Eh bien, messieurs, je serais fort curieux de savoir auprès de qui cette enquête a été faite.

Ce qui est positif c'est qu'on ne s'est adressé à aucun membre du conseil communal de Tournai, ni à aucun membre de l'administration communale de Kain.

Qui donc a-t on consulté ? Probablement ceux qui voulaient créer l'établissement Et c'est sur uue pareille enquête que, contrairement à tout ce qui s'était fait jusqu'ici, contrairement à toutes les règles conservatrices établies par la loi, le gouvernement est venu accorder l'autorisation de créer un établissement d'équarrissage à la porte de Tournai, au milieu d'une population nombreuse.

Or, messieurs, vous savez, je le répète, qu'un pareil établissement est tout ce qu'il y a de plus infect. Lorsque les matières putréfiées sont extraites et transportées sur les terres, il est impossible de tenir à une demi-lieue à la ronde. Et voilà ce qu'on accorde à dix minutes de la station du chemin de fer, en dépit de toutes les autorités ! Mais M. le ministre a-t-il donc la science infuse, est-ce qu'il croit en savoir plus sur une pareille question que les autorités locales et la députation permanente ?

Je dis que de pareils arrêtés sont des actes de partialité et d'injustice.

Ce n'est pas tout, messieurs ; dans quelques jours la Chambre sera saisie de réclamations très fortes au sujet d'un établissement autorisé dans la province de Namur. Dans la province de Liège il a été accordé également une autorisation de ce genre qui a soulevé les plaintes les plus vives et les plus nombreuses.

Mais, messieurs, la vie de l'homme et la santé publique ne sont-elles donc plus rien ? Je suis très disposé à faire beaucoup pour l'industrie, mais quand ou veut s'enrichir par l'industrie il faut le faire de manière à ne pas nuire aux autres, c'est pousser le culte de l'industrie jusqu'à l'idolâtrie que de sacrifier la santé des populations pour remplir la bourse des industriels.

M. Lelièvre. - Je pense qu'il serait important de régler par une loi ce qui concerne les établissements insalubres.

La législation actuelle est insuffisante en cette matière et présente des lacunes. J'appelle l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur cet objet, et je le prie de bien vouloir faire étudier la question en examinant s'il n'y aurait pas lieu de proposer des dispositions nouvelles à la législature. J'estime qu'un nouveau projet de loi serait nécessaire pour sauvegarder tous les intérêts légitimes, ceux de l'industrie non moins que les intérêts privés.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - L'honorable M. Dumortier vient, suivant son habitude, de faire entendre les plaintes les plus vives, qui sont, je dois le dire, entachées d'une grande exagération. En effet, messieurs, quel est, en définitive, le résultat de toutes ces plaintes ? C'est qu'il ne serait plus possible d'autoriser un établissement industriel dans uue ville ou à proximité des populations.

Vous venez de l'entendre : ce n'est plus de Kain seulement qu'il s'agit ; des plaintes doivent arriver à la Chambre de la province de Namur, de la province de Liège, du Brabant. En résumé, que veut-on faire ? On veut faire de la Chambre une sorte de bureau industriel qui aura à connaître administrativement de toutes les plaintes que le public formulera contre les prétendus dangers qui se rattachent à certains établissements.

Messieurs, je ne veux rien dissimuler, il y a dans l'existence de quelques usines des choses qui sont contraires à la santé de ceux qui habitent dans le voisinage ; mais toutes les fois que des établissements de ce genre demandent l'autorisation à l'autorité supérieure, le gouvernement prend toutes les précautions possibles afin que tout danger pour le voisinage disparaisse ou du moins soit alténué autant que faire se peut. En en tout cas, il se réserve d'imposer toutes conditions nouvelles que l'expérience acquise de l'exploitation pourrait rendre nécessaires. Aller au-delà, ce ne serait plus protéger le voisinage, ce serait proscrire en masse toute industrie sous prétexte d'insalubrité. L'intérêt général s'oppose évidemment à un pareil régime.

On dit, et ceci n'est pas du tout équitable de la part de l'honorable membre, on dit que le gouvernement procède en cette matière avec une légèreté coupable, qu'il accorde des autorisations sans le moindre examen, que les administrations communales et provinciales ont beau s'opposer aux demandes, signaler les dangers des établissements insalubres, que le gouvernement ne tient aucun compte de leurs observations, qu'il croit en savoir plus que tout le monde et qu'il passe outre. Tout cela, il m'est permis de le répéter, c'est de l'exagération.

M. Dumortier. - Le fait que j'ai cité esl-il vrai, oui ou non ?

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Le fait que vous avez cité n'est pas exact.

M. Dumortier. - Je demande la parole.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Les autorités locales ont donné un avis défavorable, j'en conviens ; mais il y a eu appel au gouvernement ? Que devait faire le gouvernement ? Il devait instituer à son tour une enquête : c'est ce qu'il a fait ; il a chargé deux membres du comité consultatif pour les affaires industrielles de se rendre sur les lieux, et de s'entourer de tous les renseignements propres à éclairer les faits ? Que voulez-vous que fasse de plus le gouvernement ? L'honorable membre auquel je réponds fût-il lui-même le gouvernement, je le défierais d'imaginer d'autres moyens d'enquête que ceux auxquels j'ai eu recours.

Dans les enquêtes de ce genre, toutes les mesures préventives que l'administration, la science, la pratique peuvent indiquer, comme propres à rendre l'élablissement industriel inoffensif, sont adoptées avec empressement et deviennent les conditions auxquelles l'administration subordonne l'autorisation qui lui est demandée.

Voilà ce que le gouvernement a fait dans le cas dont il s'agit : voilà ce qu'il fait chaque fois qu'il y a lieu d'instruire une demande de ce genre. Il m'est donc permis de dire que les plaintes que vous venez d'entendre sont des exagérations.

M. Dumortier. - Je demande la parole pour un l'ail personnel.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Il n'y a pas là de fait personnel ; mais savez-vous où il y a un fait personnel ? C'est quand vous venez à tout moment accuser légèrement le gouvernement de prendre des mesures illégales ou irrégulières ? Cependant je ne m'en plains pas, je ne demande pas la parole pour des faits personnels ; je me permets seulement de dire qu'il y a de votre part de l'exagération, quand vous vous livrez à des aperçus qui s'écartent aussi loin de l'exactitude des faits.

Et à cette occasion, je dirai que je n'accepte pas non plus l'observation que m'a faite l'honorable M. Prévinaire qui veut bien excuser l'administration dans cette occurrence.

L'honorable membre a dit : « Le gouvernement n'est pas aussi coupable qu'on l'a prétendu, on l'a accusé d'une grande indifférence, je crois qu'il n'y a pas eu tant d'indifférence de sa part. » Voilà les paroles de l'honorable membre.

Messieurs, le gouvernement ne veut pas réclamer ici un bill d'indemnité, il n'a pas d'indulgence à réclamer ; le gouvernement a été dans (page 557) son droit ; dans tout ce qui se rattache à l'hôtel de la Monnaie de Bruxelles, le gouvernement n'est coupable d'aucune incurie, n'a pas fait preuve d'indifférence.

Et si je voulais citer des faits pour démontrer jusqu'à quel point le gouvernement porte sa sollicitude à l'égard de la santé des habitants de la capitale, ainsi que des populations qui l'entourent, je dirais que, dans des circonstances récentes, l'autorité supérieure a fait supprimer un établissement industriel qui s'exploitait aux environs de Bruxelles, à la faveur d'une autorisation déjà ancienne, autorisation que le gouvernement s'était réservé le droit de retirer, si des abus venaient à être constatés ; eh bien, des abus ayant été constatés, le gouvernement n'a pas hésité un instant à retirer l'autorisation, et l'établissement a été supprimé.

Un autre établissement, d'une immense importance, existe dans le voisinage de la capitale ; que s'est-il passé ?

Quand le gouvernement, qu'on dit si insensible aux intérêts de la santé publique, a eu connaissance des plaintes nombreuses articulées contre le mode d'exploitation de cet établissement, il a ouvert une enquête ; l'enquête ayant constaté qu'on ne se conformait pas rigoureusement aux conditions imposées à l'octroi de l'autorisation, l’autorité a intenté une poursuite à l'industriel devant les tribunaux ; il en est résulté que non seulement l'observation des conditions imposées à l'octroi de concession a été assurée, mais qu'on a prononcé contre l'industriel des amendes très fortes qui s'élèvent à 5 ou 6 mille francs. Voilà la sollicitude que le gouvernement a montrée, et continuera à montrer pour la santé des habitants. Il n'est donc pas coupable d'indifférence, et il n'a sous ce rapport à réclamer d'indulgence de qui que ce soit.

M. Malou. - Messieurs, j'engage le gouvernement à être juste pour tous les intérêts ; il arrive très souvent que le gouvernement doit être ici en quelque sorte le médiateur entre les intérêts. Il y a quelquefois des préjugés, des coalitions contre certains établissements ; on croit sentir des émanations délétères, des gaz méphitiques. Je puis citer un fait qui m'est personnel. On s'est présenté un jour chez moi pour m'inviter à signer une pétition qu'on voulait adresser à l'autorité, contre une fabrique du faubourg de Saint-Gilles : on parcourait tout le faubourg de Namur pour obtenir des signatures ; d'après la pétition, il régnait même dans les jardins du quartier de Saint-Gilles, sur certains poiriers, une maladie qui devait être attribuée à l'existence de cet établissement industriel. Je me suis refusé, comme de raison, à signer la pétition, parce que jamais on n'a ressenti le moindre inconvénient de cet établissement qui est à une demi-lieue de là.

On se coalise contre des établissements qui existent et qui souvent même sont antérieurs aux habitations faites par ceux qui se plaignent d'un voisinage qu'ils sont allés choisir eux-mêmes.

Maintenant on dit : « Il faut sauvegarder avant tout l'intérêt public ;» je réponds qu'il faut sauvegarder équitablement tous les intérêts et que l'intérêt industriel est aussi un grand intérêt national.

Voici un fait qui est à ma connaissance, et ce n'est pas le seul fait de ce genre qui se soit passé en Belgique.

Un industriel qui exploite chez nous de très importantes industries voulait créer un établissement nouveau ; on lui a suscité tant de difficultés en Belgique qu'il est allé fonder cet établissement dans l'intérieur de la ville de Rotterdam sans y rencontrer la moindre difficulté.

Eh bien, si on pousse les choses à l'extrême, si on fait accueil à toutes les réclamations qui, dans beaucoup de cas, sont dues à des préjugés et provoquées par des coalitions, vous amènerez très souvent l'émigration d'industries très importantes.

Voyez, par exemple, à quoi vous pouvez aboutir. Les fonderies de cuivre sont rangées dans la deuxième classe. Si j'ai bon souvenir, c'est à 400 ou 500 mètres de toute habitation que les fonderies de cuivre doivent être établies.

Eh bien, chacun de vous sait que dans l'enceinte des villes, depuis un temps immémorial, il existe partout de petites fonderies de cuivre.

Or, si vous appliquez vigoureusement, littéralement, le texte des dispositions réglementaires, vous arriverez à favoriser beaucoup de jalousies de voisins, à ruiner une foule de petits industriels ; mais vous n'arriverez absolument à rien autre chose.

Maintenant, messieurs, le gouvernement s'excuse quand on l'attaque pour avoir été trop facile.

Je crois, moi, qu'il ne devait pas trop se justifier de cela, je trouve qu'il est plutôt trop difficile. Il peut se tromper, mais, à mon avis, notre législation et l'application qu'on en fait est trop rigoureuse. Je n'entends pas parler du fait dont s'est plaint mon honorable ami M. Dumortier. Si un établissement d'équarrissage a été créé aux portes de Tournai, on a eu tort de l'autoriser, car un établissement semblable est insalubre et doit être éloigné des centres de populations.

Je n'ajoute plus qu'un mot, c'est au sujet de la Monnaie. L'affinage a été adjoint à la Monnaie en vertu d'une loi. Quand il a fonctionné, des plaintes se sont élevées ; une commission composée de chimistes a été nommée ; elle a prescrit de nouvelles constructions, de nouveaux appareils. Après qu'on eut fait droit à ce qui avait été demandé, de nouvelles réclamations ont surgi, une nouvelle enquête a eu lieu, de nouvelles constructions, de nouvelles dépenses ont été imposées à l’entrepreneur de l'affinage ; on a exécuté des travaux tels, qu'il est impossible qu'un atome de gaz délétère sorte encore de la Monnaie. Si on persiste à réclamer, je crois qu'il y a coalition contre l'établissement, mais en réalité je pense qu'il n'y a plus d'inconvénient à redouter du voisinage de l'affinage.

M. de La Coste. - Je ne dirai qu'un mot, l'observation que je veux faire m'a suggérée par les paroles que vient de prononcer l'honorable M. Dumortier. C'est une question que je veux adresser à M. le ministre. L'année dernière, la commission d'industrie a fait un rapport sur une pétition des industriels de Gand qui demandaient l'introduction de mesures législatives pour régler la durée du travail des enfants. Cette proposition était peut-être insuffisante, mais c'était une initiative extrêmement précieuse. Je sais que quelquefois les aspirations philanthropiques peuvent être imprudentes ou exagérées. Mais il ne faut pas que toutes les améliorations soient frappées de la même désapprobation.

Je crois qu'il y a quelque chose à faire, beaucoup à faire même, surtout pour les enfants, afin de garantir leur santé et de leur permettre de recevoir une instruction qui en fasse des créatures raisonnables, des hommes en un mot.

Je demanderai donc ce qui a été fait de cette pétition renvoyée au département de l'intérieur sur la proposition de la commission d'industrie qui résumait, dans son travail, ce qui avait été fait dans ce pays et dans les autres en cette matière. Je demanderai si au département de l'intérieur on s'occupe de cette question très délicate, je le reconnais, mais qui me semble exiger une solution.

M. Dumortier. - Il paraît que M. le ministre de l'intérieur n'aime pas beaucoup de voir censurer ses actes. Cela n'est pas étonnant. Son origine peut l'expliquer. Quant à nous, qui sommes ici depuis longtemps, qui connaissons la Constitution et le privilège du parlement, nous savons que nous sommes ici pour critiquer, pour passer au crible les actes des ministres, pour ne pas laisser passer ce qu'on appelle des abus.

Ce mandat, je l'ai toujours rempli, et M. le ministre ne m'empêchera pas de continuer à le faire, dût-il qualifier mes appréciations d'exagération. Mais c'est là son système. C'est une réponse qu'il applique à tout. Hier il l'adressait à mon honorable ami M. Van Overloop, maintenant il me l'adresse, demain il l'adressera à un autre. Puisqu'il parle d'exagération, je demanderai s'il est vrai, oui ou non, que la ville de Tournai a refusé l'autorisation de placer où il est l'établissement d'équarrissage ? Exagération. S'il est vrai que le conseil communal de Kain a refusé également cette autorisation ? Exagération. Si une enquête a été faite où cent personnes ont protesté contre cet établissement, et où pas une voix ne s'est élevée en sa faveur ? Exagération. S'il est vrai, oui ou non, que la députation permanente, appelée à prendre un arrêté, a déclaré qu'on ne pouvait autoriser cet établissement sans grave danger pour la santé publique ? Exagération ! S'il est vrai, oui ou non, que M. le ministre a passé au-dessus de la décision du conseil communal de Tournai et du conseil communal de Kain ; de l'opposition exprimée dans l'enquête de l'avis de la députation, qu'il s'est cru plus savant que toutes les autorités qui étaient sur les lieux et s'il a accordé l'autorisation qu'elles avaient refusée ? Exagération !

Je viens de démontrer qu'il n'y a pas eu d'exagération dans mes paroles, je vais démontrer qu'elle existe chez M. le ministre. Il vient de dire qu'il a fait faire une enquête. Quelles sont les personnes qui ont été entendues ? On n'en citera pas une seule, si ce n'est les intéressés.

Il n'y a pas eu d'enquête ; vous ne sauriez pas montrer les témoins qui y ont comparu. Il n'y en a pas eu ; je veux croire que vous avez envoyé un inspecteur ou un commissaire à Tournai, mais ce que j'affirme c'est que les commissaires que vous avez envoyés ne se sont mis en rapport avec aucun membre du conseil communal de Tournai ou de Kain ; et vous appelez cela une enquête !

Vous avez envoyé un commissaire pour détruire ce qui avait été fait auparavant.

Le fait que j'ai signalé ne s'est pas passé à Tournai seul.

Dans beaucoup d'autres villes, le gouvernement s'est mis au-dessus des résolutions des autorités communales et des députations provinciales.

Il n'en tient aucun compte, il se croit illuminé, sachant mieux que toutes les localités ce que la santé publique exige.

Dans une ville de grande importance, à Anvers et dans d'autres encore, des abus semblables ont eu lieu.

Le gouvernement ne devrait pas pouvoir autoriser l'érection d'un établissement quand il y a dans la commune unanimité pour s'y opposer.

Quand l'opposition est unanime et qu'il autorise l'établissement, il y a un abus et un abus criant.

Maintenant le ministre dit : Je suis si sévère, que je poursuis devant les tribunaux ceux qui n'observent pas les conditions de l'autorisation. Mieux vaudrait ne pas autoriser et ne pas poursuivre.

Sî vous n'aviez pas autorisé vous n'auriez pas besoin de poursuivre. Pourquoi poursuivez-vous ? Parce que vous avez autorisé contre l'avis des autorités qui, ayant la conscience de leur devoir, qui est en premier lieu de protéger la santé publique, se hâtent de provoquer des poursuites contre ceux qui ont obtenu à tort une autorisation quand ils s'écartent des conditions qu'on y a mises.

L’honorable M. Malou prétend que le gouvernement est trop sévère (page 558) et, à l'appui de son opinion, il signale ce qui se passé pour les fonderies de cuivre, Si, dit-il on appliquait la loi rigoureusement, on devrait supprimer toutes les petites fonderies qui existent dans toutes les villes.

Mais je prierai mon honorable ami de remarquer que quand il s'agit de fonderies de cuivre, on n'entend pas, dans la loi, ces petits établissements ou la fonte s'opère dans la cheminée ; mais les établissements où l'on fond le minerai de cuivre.

Au surplus ce n'est pas de cela qu'il s'agit, il n'est ici question que des établissements qui nuisent réellement à la salubrité publique, de ces établissements qui sont érigés dans de grands centres de population. Voilà ce qui est véritablement intolérable ; et quant à moi quoique je sois grand partisan du développement de l'industrie, je ne veux nullement qu'elle prospère aux dépens de la santé et de la vie des habitants.

Je pense donc que le gouvernement a tort de se croire plus savant que les autorités communales et provinciales et d’accorder des autorisations d’érection d’usines et dépit de tous les avis contraires qui lui sont transmis ; et je crois qu’il serait indispensable d’introduire à la loi sur les brevets un article additionel qui porterait que, lorsqu’il y a refus unanime, le gouvenement ne peut pas accorder l’autorisation.

Et en effet, messieurs, voyez comment les choses se passent. Si c'est la commune qui appelle, il faut qu'elle communique son appel à l'intéressé ; mais si c'est l'intéressé qui appelle auprès du gouvernement, la commune ne sait absolument rien, et elle est souvent fort étonnée de trouver un beau jour au Moniteur un arrêté qui accorde ce qui avait été rejeté par toutes les autorités.

Je pense donc que, quand l'opinion de toutes les autorités est unanime pour repousser l'érection d'usines considérées comme insalubres, le gouvernement ne devrait pas pouvoir, de sa propre autorité, se mettre au-dessus de toutes ces garanties ; car mieux vaudrait supprimer toute la loi et dire que le gouvernement fera tout ce qu'il voudra.

M. Prévinaire. - C'est bien a tort que M. le ministre de l'intérieur m'a supposé la prétention de vouloir lui accorder un bill d'indemnité ; je sais parfaitement qu'il n'en a pas besoin. Je me suis borné à faire allusion à un fait ; j'ai dit, quant à l'établissement de la Monnaie, que l'attitude du gouvernement laissait à désirer. Je sais fort bien où gît toute la difficulté en ce qui concerne cet établissement, mais il n'en est pas moins vrai qu’aujourd'hui encore c'est un établissement insalubre.

J'ai opposé aux faits qui se rattachent à cet établissement ce qu'on a fait relativement à d'autres usines qui, quoi qu'en dise l'honorable M. Malou, étaient réellement insalubres. Il est possible que les émanations de la fabrique dont il a parlé ne s'étendaient pas jusqu'au faubourg de Namur ; mais ce que je puis affirmer, c'est qu'on les ressentait en ville jusque sur la place de la Chapelle.

Quoi qu'il en soit, nous sommes en présence de deux systèmes : l'honorable M. Dumortier voudrait qu'on se montrât excessivement rigoureux. et circonspect dans les autorisations d'érection d'usines ; moi, je pense, au contraire, qu'on doit se montrer très large, mais en même temps aussi, que l'on doit attacher à ces autorisations toutes les conditions désirables et qu'il faut veiller à ce que ces conditions soient scrupuleusement observées, dût-on même compter sur les habilants du voisinage pour en assurer l'exécution, l'autorité judiciaire étant là pour agir de rigueur si les industriels ne prennent pas toutes les précautions qui leur sont prescrites.

Il n'est pour ainsi dire pas de fabrication dont il ne soit possible de neutraliser les mauvais effets extérieurs. Suivons, sous ce rapport, l'exemple de l'Angleterre, nous y trouverons le système qui concilie le mieux les intérêts des habitants avec les besoins des industriels.

M. Coomans. - A l'occasion d'un récent et déplorable sinistre, j'engagerai le gouvernement à ne jamais approuver la construction de salles de spectacle non isolées. Je crois que le gouvernement, je ne parle pas du ministère actuel, s'est montré parfois un peu trop complaisant sous ce rapport. Les salles de spectacle peuvent être considérées comme des établissements réellement dangereux pour les habitations voisines, surtout depuis qu'on y a introduit le gaz, le chauffage à la vapeur et depuis que l'on mêle tant de feux d'artifice à la musique d'opéra.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Je dois répondre à l'interpellation de l'honorable M. de La Coste. Cet honorable membre a demandé ce qu'était devenue une pétition des industriels de Gand qui ont réclamé des mesures législatives pour réglementer le travail des enfants dans les manufactures.

Cette pétition, renvoyée au département de l'intérieur, a donné lieu à une double enquête. D'abord, les chambres de commerce ont été consultées sur l'utilité d'appliquer certains principes de la législation anglaise à nos manufactures.

La Chambre sait qu'il n'y a peut-être pas de matière plus délicate à réglementer que celle qui se rattache à la liberté du travail, à la question des salaires, et, par conséquent, à la question du prix de nos produits manufacturés en général, au point de vue de la concurrence avec les produits étrangers.

La seconde enquête, à laquelle le gouvernement a dû se livrer, a pour objet de connaître ce qui se passe en Belgique dans les manufactures dont on se plaint à l'occasion du travail des enfants.

Cette seconde partie n'est pas la moins intéressante.

Je crois pouvoir dire, en effet, d'après les renseignements qui nie sont déjà parvenus, que le travail des enfants en Belgique est réglé, en général, de manière à concilier les exigences de l'humanité avec celles du jeune âge et les intérêts des industriels.

Je puis ajouter qu'en fait et en l'absence d'une loi spéciale, les usages établis dans nos manufactures valent bien mieux que les règles suivies dans d'autres pays où cette matière a été réglementée législativement, c'est-à-dire que les patrons des ouvriers, les chefs de grandes manufactures ont, en général, beaucoup plus d'égards pour le jeune âge et pour les personnes du sexe employées dans leurs établissements, que les directeurs de ces grandes manufactures de pays étrangers à l'égard desquelles la législature a dû intervenir pour empêcher qu'il ne s'y passe rien de contraire aux lois de l'humanité. Quand l'enquête sera terminée, elle démontrera que notre régime est, sans contredit, le plus paternel, et que nulle part il n'existe d'abus graves qui méritent d'être réprimés.

Ce sera quand le gouvernement aura réuni tous les éléments de cette double enquête qu'il examinera s'il y a lieu de présenter quelques mesures à la législature, et dans le cas contraire, il fera connaître aux Chambres les motifs pour lesquels il s'abstient de toute proposition.

M. de Theux. - Je crois aussi devoir appeler l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur la question soulevée par l'honorable M. Coomans. En général, les administrations communales prennent de grandes précautions quant à l'établissement des salles de spectacle ; et il est fort heureux, un sinistre récent l'a prouvé, que l'administration communale de Bruxelles ait fait isoler la salle du Théâtre royal. Mais il n'en est pas de même des particuliers et des associations qui exploitent des théâtres. On sait cependant que par l'amas de matières combustibles que renferment les théâtres et par cette circonstance que les représentations ont lieu le soir, on peut avoir à redouter les sinistres les plus épouvantables, surtout lorsque les salles de spectacle ne sont pas isolées.

L'administration supérieure ferait bien, je pense, de ranger les théâtres parmi les établissements dangereux et, lorsqu'elle ne peut pas prescrire l'isolement, elle devrait au moins prescrire certaines conditions de construction, telles, par exemple, que l'emploi exclusif de charpentes en fer ; ce serait déjà une grande amélioration.

Qu'on se figure le désastre auquel la ville de Bruxelles eût été exposée si le théâtre royal n'avait pas été isolé. L'imagination est épouvantée à la seule idée des conséquences d'un pareil événement.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Je suis convaincu, comme l'honorable comte de Theux, de la nécessité qu'il y aurait de procurer, par tous les moyens possibles, un état complet d'isolement pour les théâtres. Aussi, je me suis proposé, depuis ce malheureux sinistre, d'examiner jusqu'à quel point il serait possible, dans l'état actuel de notre législation, d'obtenir que désormais on ne concédât plus d'octroi pour l'établissement des théâtres que dans des localités où le voisinage n'aurait aucun danger à courir.

- Plusieurs membres. - Très bien.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Je ferai de la question 'un examen immédiat et de nature à obtenir autant que possible le résultat que je viens de signaler.

- L'article 69 est adopté.

Article 70

« Art. 70. Subsides en faveur de l'industrie linière et de la classe des tisserands et des fileuses ; distribution de métiers, etc. : fr. 80,000. »

- Adopté.

Article 71

« Art. 71. Frais relatifs à la publication et à l'impression du Recueil officiel des brevets : fr. 20,000. »

M. le président. - M. Osy propose, par amendement, de supprimer les mots : « la publication », et de dire : « frais relatifs à l'impression du recueil officiel des brevets. »

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - J'ai d'abord à proposer à la Chambre une réduction sur cet article. Je crois qu'on peut sans inconvénient le porter à 12,000 fr.

Les motifs de cette réduction sont que le service dont il s'agit était entièrement nouveau, lorsque le budget a été préparé. Le gouvernement croyait à cette époque qu'une somme supérieure à celle de 12,000 francs lui serait nécessaire ; aujourd'hui l'expérience est faite, et je crois que je parviendrai à me renfermer dans les limites que je viens d'indiquer.

J'ai une seconde observation à faire au sujet de l'amendement de l'honorable M. Osy.

L'honorable M. Osy demande qu'on fasse disparaître du libellé de l'article les mots : « à la publication et ».

La Chambre sait que depuis la nouvelle loi sur les brevets d'invention, le département de l'intérieur doit publier un recueil officiel des brevets. Cette publication exige un travail considérable. Il a donc été nécessaire d'attacher à ce bureau spécial un employé nouveau. Indépendamment du traitement de cet employé, des frais de copie sont indispensables, et le gouvernement ne pourrait trouver le moyen de (page 559) suffire à cette dépense qui est nouvelle et qui résulte de la loi, sans emprunter à l'article une partie du crédit de 12,000 francs. (Interruption.)

On dit, et je conviens que l'observation, est toute logique, que la somme dont je crois avoir besoin pour la publication du recueil, devrait se trouver à l'article 2. Il y aurait à cet égard un transfert à opérer. Mais je ne pourrais que difficilement préciser le chiffre qu'il faudrait transférer. Il faut encore quelque temps d'expérience. Le budget de 1856 n'est d'ailleurs pas éloigné, et je pourrai dans ce budget formuler d'une manière exacte le chiffre à transférer à l'article 2. Je demande donc pour le moment le maintien de l'article.

M. Osy. - Messieurs, il a été convenu depuis plusieurs années que tous les traitements des employés seraient payés sur l'article 2. L'année dernière, à l'occasion d'un article du budget, la même question s'est présentée ; la Chambre n'a pas voulu que des frais de rédaction et de publication fussent payés sur un article autre que l'article 2, et elle n'a pas pour cela augmenté ce dernier article.

Je crois, messieurs, que par une bonne répartition des employés, on pourrait trouver facilement la légère somme dont on a besoin pour payer la publication du recueil des brevets. Déjà nous avons supprimé quelques attributions du gouvernement, tels que la Bibliothèque rurale, etc. Il y aura de ce chef une économie, et bien certainement la somme de 194,000 francs peut suffire pour payer la besogne de tout le ministère.

Je crois donc que nous pouvons voter les 12,000 francs pétitionnes uniquement pour l'impression du recueil des brevets, et qu'il est inutile de payer, pendant une année encore, sur ce crédit des traitements d'employés.

Une note, à cet égard m'a été envoyée par la cour des comptes, qui trouve qu'après les observations qui ont été faites au gouvernement, après que celui-ci a consenti à ce que tous les traitements fussent payés sur l'article 2, on ne pouvait de nouveau venir payer des employés sur des articles spéciaux.

Je maintiens donc mon amendement.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Il n'y aurait rien de plus simple que de se conformer aux règles qui doivent être suivies en matière de crédits de personnel. Mais j'ai eu l'honneur de faire observer que la dépense dont il s'agit résulte d'une loi nouvelle qui viont d'être mise en pratique et qu'il est impossible de dire exactement aujourd'hui de quelle importance doit être le crédit nécessaire pour le personnel attaché à la publication du recueil des brevets.

Cependant si l'on veut immédiatement opérer le transfert, je ne m'y oppose pas d'une manière absolue ; que l'on porte à l'article 2 une somme de 2,000 francs. Mais il me paraît plus convenable d'attendre le budget prochain, pour que le gouvernement puisse indiquer d'une manière précise la somme qui sera nécessaire.

M. Lelièvre. - Je recommande à M. le ministre de l'intérieur les observations qu'a présentées l’honorable M. Vermeire relativement.à la taxe exigée pour les brevets de perfectionnement. Je pense que l'article 3 de la loi sur les brevets est clair et positif et ne permet d'exiger aucune taxe lorsqu'il s'agit du brevet de perfectionnement accordé au titulaire du brevet principal. Cette disposition est générale et ne comporte aucune exception. J'appelle donc l'attention du gouvernement sur la question dont il s'agit. A mon avis l'article 17 est étranger au cas prévu par l'article 3.

La disposition de ce dernier article prévoit un cas spécial qui seu doit être consulté dans l'espèce actuelle. J'espère que M. le ministre, après avoir examiné le point en discussion, fera cesser toute perception indue.

M. Vilain XIIII. - Je crois qu'il faut un amendement pour traduire en chiffres ce que M. le ministre a dit tout à l'heure. Je propose donc de réduire {l’article 71 à 10,000 fr. et d’augmenter l'article 2 de 2,000 francs.

M. Rousselle, rapporteur. - Je préférerais de maintenir la proposition de M. le ministre, plutôt que de faire immédiatement le transfert sans avoir pu examiner s'il faut réellement augmenter de 2,000 fr. le crédit du personnel de l'administration centrale. J'aimerais mieux que cette question fût réservée pour le budget de 1856. En examinant ce dernier budget, nous pourrions voir quels sont tous les frais de personnel nécessaires. Le résultat serait le même quant à la dépense et nous ne nous prononcerions définitivement qu'en parfaite connaissance de cause.

M. Vilain XIIII. - Il est certain, messieurs, que la loi des brevets a créé un service nouveau ; il faut donc, en toute justice, accorder quelques fonds nouveaux au ministère de l'intérieur pour subvenir au traitement des employés chargés de ce service. M. le ministre croit que 2,000 fr. suffiront, et il faut bien reconnaître que ce n'est pas une somme considérable. M. le rapporteur propose d'attendre le budget prochain pour déterminer le chiffre de cette dépense, mais en accordant cette année la somme demandée par le gouvernement on ne l'oblige pas à la dépenser et on ne l'accorde pas pour toujours ; si M. le ministre peut pourvoir aux besoins du service dont il s'agit avec 1,500 ou 1,800 fr., il ne dépensera pas davantage et l'année prochaine on ne votera plus qu'un crédit ainsi limité.

Je crois que le principal est d'exécuter la loi de comptabilité aux termes de laquelle tout le personnel doit être rétribué sur l'article qui le concerne. Il est beaucoup plus important de respecter cette prescription de la loi que d'échapper à l'inconvénient d'aventurer quelques centaines de francs.

M. Rousselle, rapporteur. - Je n'insjste pas.

- L'amendement de M. Vilain XIIII est mis aux voix et adopté. En conséquence, le chiffre de l'article est fixé à 10,000 francs et le crédit de l'article 2 est augmenté de 2,000 francs.

Articles 72 à 75

« Art. 72. Personnel du bureau de la librairie : fr. 6,600. »

- Adopté.


« Art. 73. Matériel : fr. 4,500. »

- Adopté.


« Art. 74. Musée de l'industrie. Traitement du personnel : fr. 17,748. »

- Adopté.


« Art. 75. Matériel et frais divers : fr. 10,252. »

- Adopté.

Article 66

M. le président. - La Chambre revient à l'article 66, dont M. Osy a proposé de réduire le chiffre à 6,210 francs.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Je puis me rallier à l'amendement de M. Osy. Les 3,500 francs que M. Osy retranche de l’article 66 seraient ajoutés au crédit de la voirie vicinale.

- L'amendement de M. Osy est mis aux voix et adopté, ainsi que le transfert de 3,500 francs indiqué par M. le ministre de l'intérieur.

- La séance est levée à 4 heures trois quarts.