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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 19 mai 1857

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1856-1857)

(Présidence de M. Delehaye.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1611) M. Crombez procède à l'appel nominal à une heure et un quart.

M. Tack donne lecture du procès-verbal delà séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

M. Crombez présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

Pièces adressées à la chambre

Par dépêche, en date du 16 mai 1857, M. le ministre des travaux publics transmet des explications sur la pétition d'exploitants de charbonnages, d'industriels, négociants et bateliers de l'arrondissement de Charleroi, tendante à ce que les fonds nécessaires à l'exécution des travaux d'approfondissement de la Sambre soient alloués au budget de son département.

- Dépôt au bureau des renseignements.


M. de Sécus, retenu chez lui par une attaque de goutte, prie la Chambre de lui accorder un congé de quelques jours.

- Ce congé est accordé.

Projet de loi relatif à la révision générale des évaluations cadastrales

Dépôt

M. le ministre des finances (M. Mercier). - Conformément à ce qui a été annoncé aux Chambres, dans le discours du Trône, et d'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de soumettre à vos délibérations un projet de loi ayant pour objet d'ordonner la révision générale des évaluations cadastrales.

- Il est donné acte à M. le ministre delà présentation de ce projet de loi ; la Chambre en ordonne l'impression et la distribution et le renvoie à l'examen des sections.

Projet de loi augmentant le personnel de la cour d’appel de Liége

Rapport de la section centrale

M. Moreau. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi concernant l'augmentation du personnel de la cour d'appel de Liège.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et le met à la suite des objets à l'ordre du jour.

Projet de loi relatif aux établissements de bienfaisance

Discussion générale

La discussion générale continue.

M. le ministre de l'intérieur (M. Dedecker). - Messieurs, dans la séance d'hier, la Chambre a été saisie, par l'honorable comte de Theux et par l'honorable M. Frère-Orban, de deux propositions dont vous avez compris l'importance.

Le conseil des ministres a naturellement été amené à délibérer sur ces deux propositions, et je viens, en quelques mots, communiquer à la Chambre la pensée du cabinet.

Les ministres ont été unanimes à considérer la proposition d'enquête faite par l'honorable M. Frère comme un ajournement indéfini du projet de loi et par conséquent comme un rejet déguisé. Le cabinet ne saurait accepter une pareille position.

Quant à la proposition de l'honorable comte de Theux, le cabinet s'y rallie, parce qu'après une enquête longue et approfondie comme celle à laquelle nous venons d'assister, il est fort naturel de commencer la série de nos votes par une question de principe dans laquelle se résumer pour ainsi dire tout le système de la loi.

M. le président. - La parole est à M. de Theux inscrit pour.

M. de Theux. - M. le président, mon intention n'est pas de prolonger la discussion générale. Bien au contraire, ainsi que je l'ai annoncé dans la séance de vendredi, je viens faire aujourd'hui la proposition de la clôture de la discussion générale, bien entendu que l'honorable M. Frère pourra ensuite développer sa proposition d'ajournement. C'est dans ce sens que je demande à la Chambre de prononcer la clôture de la discussion générale. Cette discussion ne peut plus avoir aucun motif raisonnable de se continuer.

- La demande de clôture est appuyée par plus de cinq membres.

M. Pierre. - Je demande la parole contre la clôture. Je suis, je crois, le dernier orateur inscrit et je suis inscrit depuis environ trois semaines. J'espère qu'après une discussion de quatre semaines, la Chambre voudra bien m'entendre. Cela ne l'empêchera pas de clore la discussion générale.

M. le président. - La Chambre consent-elle à entendre M. Pierre ?

M. de Theux. - Le discours de l'honorable membre prendra peut-être la plus grande partie de la séance.

M. Pierre. - J'en ai pour trois quarts d'heure.

M. de Theux. - Je maintiens ma motion (Interruption.)

Je dis que si chaque membre a le droit de prendre encore parti la discussion générale, il n'y a pas de fin possible à ce débat. L'honorable rapporteur de la section centrale était inscrit pour répondre à M. Verhaegen ; il s'est fait rayer dans le but de ne pas prolonger la discussion générale ; il a fait le sacrifice de sa réplique ; c'est là un grand sacrifice dont la Chambre, je pense, doit lui tenir compte.

M. Pierre. - Je comprendrais l'insistance de l'honorable M. de Theux s'il y avait encore un grand nombre d'orateurs inscrits ; mais je reste seul sur la liste. Je demande donc que la Chambre veuille bien m'entendre.

- Les auteurs de la proposition de clôture déclarent qu'ils y renoncent momentanément.

M. le président. - La parole est à M. Pierre.

M. Pierre. - Je ne me proposais point d'abord d'intervenir dans ce débat solennel ; je n'ai pris la résolution de le faire que quelques heures avant de demander mon inscription sur la liste des orateurs, le samedi, 2 du présent mois, à trois heures de l'après-midi.

Des hommes supérieurs, appartenant à la grande opinion libérale, à laquelle j'ai l'honneur d'appartenir moi-même, sont entrés en lice, armés de toutes pièces, ou plutôt ont fertilisé le champ livré aux araires fécondants de la discussion, en la labourant en tout sens et en y traçant des sillons aussi nombreux que puissants. De leurs courageux et actifs labeurs il est résulté que le champ, cultivé par eux, se trouve, maintenant, tellement couvert et chargé de riches épis de la raison, qu'il est très difficile d'ajouter à ces épis, multipliés au point de se toucher les uns les autres et de ne former, tous ensemble, qu'une seule masse compacte, semblable au pain allégorique dont parle saint Paul, d'autres épis quelque peu substantiel.

En toute autre occurrence, j'eusse assurément décliné l'entreprise ardue de mon concours, beaucoup trop insuffisant pour être nécessaire, et, j'eusse considéré la moisson comme étant assez belle, assez abondante, assez complète, sans ma modeste participation aux labeurs dont l'efficacité avait déjà abouti à la production d'une récolte aussi extraordinaire.

Qu'il me suffise, pour résumer ma pensée, de vous dire, messieurs, qu'en toute autre circonstance, j'eusse renoncé à mon tour de parole, car, en termes usités au barreau, la cause me paraît être suffisamment instruite et notre procès est gagné au tribunal du bon sens et de la saine raison du pays.

Je me hâte de vous le dire, messieurs, ce qui me détermine à ne point renoncer à mon tour de parole et à entrer dans le débat, c'est le caractère tout spécial imprimé à celui-ci. Je ne me dissimule pas la difficulté, en face de laquelle je suis placé, de venir pour ainsi dire glaner après d'aussi habiles moissonneurs. Au milieu des richesses oratoires déployées par plusieurs d'entre nous, je ne puis espérer d'apporter autre chose que ma faible et modique obole ; cette considération ne m'arrêtera point.

Si je n'ai pas l'autorité que donne à un homme, dans des discussions politiques, la réputation de haute science et de talent hors ligne, acquise à l'avance à son nom, j'aurai du moins la force morale que donne, à un homme d'une sphère moins élevée, l'accomplissement d'un grand devoir dicté par la voix de sa conscience. Et ce devoir, quoi qu'il me coûte d'efforts pour le remplir, car il est réellement pénible et surtout contradictoire aux propensions de mes sentiments naturels qui me font tant désirer de vivre en paix avec tous et ce devoir, ai-je dit, je m'en acquitterai, sans hésitation, résolument et sans crainte, mais non sans une certaine émotion, dont je ne puis, malgré moi, me défendre et m'affranchir.

Rien, toutefois, ne m'arrêtera dans l'accomplissement de ce devoir. Puisque la voix de ma conscience a parlé, j'obéirai en me résignant. Ni les difficultés, ni les résistances, ni les irritations qui peuvent se dresser menaçantes devant moi, rien, absolument rien ne me fera faillir à la tâche.

Veuillez, je vous prie, messieurs, ne point vous étonner des formes que revêtira mon discours. Le choix de ces formes ne m'a point appartenu et vous le comprendrez aisément. Un homme qui, dans cette enceinte, veut dire franchement tout ce qu'il pense, doit subir pour l'expression de sa pensée, en certains cas, les exigences des convenances parlementaires ; ces convenances, je prendrai le plus grand soin de les respecter scrupuleusement : sans de telles entraves, j'eusse été beaucoup plus explicite encore.

Vous le voyez, messieurs, je tiens à vous dire toute ma pensée, au point que je n'ai pas cru inopportun de vous faire connaître la raison d'être de la forme même de mon discours : ceci vous donnera la mesure de mon franc parler, n'acceptant d'autres limites que celles résultant strictement des convenances parlementaires et des prescriptions formelles du règlement de cette assemblée.

Dès le début, je me demande si nous sommes bien réellement dans une assemblée politique et législative, si nous sommes bien réellement dans la Chambre belge des représentants, où nous ont envoyés les électeurs du pays. Cette question se présente tout naturellement à mon esprit, car le débat emprunte, dans ses diverses phases et à chaque instant, une tendance et un caractère religieux tels, qu'il y aura lieu de (page 1612) nous croire plutôt dans un concile œcuménique et orthodoxe, que dans une assemblée politique et législative.

Ce rôle est-il celui qui appartient à une assemblée politique et législative ? Je n'hésite point à me prononcer pour la négative, et la plupart de mes concitoyens seront, je pense, de mon avis. L'immixtion, le mélange, la confusion des lois et des choses de l’Église avec les lois et les choses de l'État est un danger aussi redoutable pour l'Eglise que pour l'Etat. C'est, l'un des écueils les plus périlleux auxquels l'Eglise et le corps social puissent se heurter.

L'honorable M. Orts ne nous a-t-il pas démontré, dans la séance de jeudi dernier, à quel degré de démoralisation la tendance d'absorption de l'Etat par l'Eglise avait poussé la corporation religieuse la plus puissante et aussi la plus à craindre dans nos provinces ? ne nous a-t-il pas établi, irrécusablement et judiciairement, la mauvaise foi révoltante à laquelle des ministres des saints autels n'ont pas rougi d'avoir recours pour éluder la loi qui faisait obstacle à la satisfaction de leur appétit rapace de ce qu'ils appellent judaïquement les biens périssables et méprisables de la terre ?

Ne nous a-t-il pas fourni la preuve la plus évidente d'un parjure infâme, commis récemment par un prélat, souverainement indigne de ce titre sacré, dans le même but de rapacité scandaleuse ?

L'honorable M. Malou, antérieurement, et, après lui, l'honorable M. Rogier, en la séance de samedi dernier, nous ont dit que, dans les efforts de ces hommes poursuivant leur but à travers les siècles, avec une ténacité et une persistance à toute épreuve, il y avait quelque chose d'admirable. Je crois volontiers, avec ces deux honorables collègues, à la sincérité des convictions qui inspirent de tels efforts et j'accorde même, sans hésiter, aussi mon admiration à cette sincérité ; mais je ne me borne point à dire, avec eux, qu'il y a là quelque chose d'admirable, je m'empresse de dire qu'il y a là quelque chose d'effrayant ! Oui, je le répète avec toute l'énergie dont je suis capable, il y a là quelque chose d'effrayant !

Cela doit, en nous éclairant sur la gravité du péril, nous faire comprendre que non-seulement il faut redoubler d'efforts, de résistance, d'ardeur d'opposition, de persistance dans la lutte, mais encore qu'il faut parmi nous, hommes de la résistance, de l'opposition, de la lutte, plus d'entente, plus d'union, plus de cohésion.

Et cependant la funeste tendance d'absorption de l’Etat par l'église, que je viens de signaler comme un immense danger pour le corps social, n'est pas un danger moindre pour l'Eglise elle-même ; car cette tendance est on ne peut plus préjudiciable aux vrais intérêts de celle-ci. L'Eglise a tout à y perdre et rien, absolument rien à y gagner. Il peut résulter, pour elle, du choc à ce redoutable écueil, des maux incalculables et les plus affligeants.

J'ai la conviction intime et fondée que le clergé de tous les ordres et de tous les échelons hiérarchiques, agissant comme il le fait maintenant en cela, cause, à lui seul, plus de tort aux véritables intérêts de la religion, ainsi que je viens de l'avancer, que tous les adversaires et les ennemis les plus acharnés de cette même religion, coalisés, ligués, réunis en un déchaînement commun et d'autant plus formidable contre elle. Voilà quant à l'Eglise. Quant à l'Etat, qui pourrait nous répondre que du choc à ce dangereux écueil, ne résultera point le naufrage de notre nationalité, de notre indépendance, de nos institutions libres et constitutionnelles Dieu veuille détourner de notre chère et belle patrie d'aussi sinistres éventualités ! Le bon sens public, dont sont douées nos populations, nous donne, du reste, le meilleur espoir qu'il n'en sera point ainsi ; toujours est-il que vouloir l'immixtion, le mélange, la confusion des lois et des choses de l'Eglise avec les lois et les choses de l'Etat, c'est exposer imprudemment notre pays aux éventualités calamiteuses que je ne puis me dispenser de livrer à l'attention de nos adversaires.

La limite tracée par notre Constitution entre l'Eglise cl l'Etat, en principe général, est précisément ce qui nous procure sur toutes les autres nations catholiques de l'Europe une supériorité incontestable. Le Piémont, qui parmi celles-ci nous approche de plus près dans la voie de la liberté et du constitutionnalisme, on est encore à se débattre péniblement dans la fâcheuse et funeste étreinte d'une religion d'Etat, dont nous avons eu le bonheur providentiel de nous affranchir. N'est-il point, dès lors, évident que vouloir, par une loi quelconque, soit directement, soit indirectement, faire fléchir du côté de l'Etat la ligne séparative de l'Eglise et de l'Etat, tracée, en principe général, par notre Constitution, c'est entamer d'autant l'indépendance du pouvoir civil, sans profit et non sans péril pour l'Eglise, c'est, en un mot, porter atteinte à la sécularisation de l'Etat, qui constitue la principale force, je dirai même l'artère la plus vitale de notre régime constitutionnel et qui est, à ce titre, l'un des principaux fruits de la civilisation moderne, dont la parturition laborieuse a duré tant de siècles.

N'aimant point de m'exposer à tomber dans des redites, aussi peu intéressantes que superflues, surtout après une discussion aussi étendue que celle à laquelle nous assistons depuis quatre semaines, je n'aborderai pas l'examen en détail des nombreuses dispositions du projet de loi qui nous est soumis. Les questions les plus importantes se rattachant plus ou moins directement à ces dispositions, ont été savamment traitées, comme je l'ai dit tout à l'heure en d'autres termes, et sont généralement, me paraît-il, suffisamment élucidées pour tous les hommes qui ne veulent point se clore les yeux afin de ne pas voir.

Ceux-là, si tant est qu'il y en ait parmi nous, et je me plais à croire qu'il n'y en a point, jusqu'à preuve contraire à fournir, implicitement, par le vote qui sera émis sur le projet de loi dont il s'agit, ceux-là, ai-je dit, il faudrait renoncer à tout espoir de les convaincre, aussi longtemps qu'ils se fermeraient les yeux pour ne pas voir et les oreilles pour ne pas entendre, car ils seraient, certes, les pires de tous les sourds et de tous les aveugles, puisqu'il y aurait impossibilité absolue de leur ouvrir les yeux ou les oreilles de l'intellect, tandis qu'il arrive parfois, quoique, exceptionnellement et rarement, que, dans certaines circonstances et conditions particulières et exceptionnelles, des personnes privées, soit intégralement, soit partiellement, de l'organe visuel ou de l'organe auditif, récupèrent et recouvrent, gradationnellement, l'usage normal de 1 un ou de l'autre de ces organes naturels et physiques.

il conste de là que pour ceux-ci, à la différence de ceux-là, il n'y a point impossibilité absolue de guérison. On le voit, j'avais raison de dire que ceux-là, c'est-à-dire ceux qui se fermeraient les yeux pour ne pas voir et les oreilles pour ne pas entendre seraient les pires de tous les sourds et de tous les aveugles. Celle vérité peut, sans conteste, être dispensée d'une plus ample démonstration, pour être reçue et admise par tous, unanimement, comme étant hors du plus léger doute et d'une certitude absolue, puisqu'elle repose sur des faits de l'ordre matériel et physique le plus positif et dès lors d'une notoriété irrécusable, qui lui servent de base. Je me bornerai donc à ce qui regarde la pensée dominante du projet de loi en discussion.

Cette pensée dominante qui est, essentiellement et radicalement, la pensée-même du projet, il fait l'arracher en quelque sorte aux entrailles de ce projet, tant on a pris soin de la dissimuler le plus possible. Cette pensée, réellement et véritablement mère du projet, a été enveloppée, investie, couverte d'une foule de dispositions qui s'agencent, s'enchaînent, se combinent, aussi habilement que peu sérieusement, car il n'est pas possible de les prendre au sérieux. On a avisé à un moyen plus ou moins heureux pour rendre le projet acceptable à quelques-uns, chez lesquels on craignait de rencontrer des scrupules de constitutionnalité ou des répugnances de se séparer de leurs amis politiques, dans une question aussi importante que l'est celle-ci. Ce moyen, on a cru le trouver en multipliant, en variant, en entassant les unes sur les autres les dispositions dont je viens de parler. Puis, on a donné à tout ce mécanisme alambiqué le titre pompeux et sonore de garanties, espérant que quelques-uns voudraient bien se contenter du nom, aux lieu et place de la chose.

Mais ces prétendues garanties sont tellement futiles, tellement éphémères tellement dérisoires, que, puisqu'il s'agit de charité, je les appellerai, moi, en leur restituant le nom qui leur est propre, des haillons de toutes couleurs. C'est sous ce misérable accoutrement qu'on a caché et pour ainsi dire rendu invisible la pensée mère du projet, comptant qu'en l'affublant de la sorte de haillons de toutes couleurs, avec une vraie minutie, elle échapperait à la perspicacité de quelques hommes à convictions libérales. On a eu beau faire, des haillons, quelle que soit leur couleur, sont toujours des haillons et rien que des haillons.

Cette pensée même du projet, messieurs, est-il besoin de l'indiquer, et n'apparaît-elle pas aux yeux de tout homme clairvoyant et qui ne voudrait pas abdiquer sa clairvoyance ? C'est en vain que l'on s'efforce de relever l'affublement menteur et hypocrite dont est masquée la pensée-mère du projet, en lui donnant le beau et séduisant titre de liberté de la charité. Personne ne s'y méprendra ou du moins ne pourra, pour excuser sa prétendue méprise, alléguer le motif d'ignorance.

Non, assurément, ce ne sera point une méprise, mais une faute grave, commise sérieusement et de propos délibéré, malgré tant d'avertissements qui sont venus de tous côtés et se sont produits en diverses formes.

La liberté de la charité n'est nullement en question et elle est mise en scène uniquement pour la forme et pour le besoin de la cause.

Qui donc songe à restreindre la liberté de la charité et qui oserait dire que chacun de nous est moins charitable, moins philanthrope, moins soucieux de porter secours à l'humanité malheureuse que M. les ministres et leurs amis politiques ?

Je n'hésite pas, un seul instant, à défier le premier d'entre vous tous d'oser se lever de son banc pour le dire. La vérité que je viens de poser en fait, étant incontestable, du moins sérieusement et de bonne foi, il est donc faux, de toute fausseté, que la liberté de la charité soit ici en question, puisque nous sommes unanimes, à gauche comme à droite et à droite comme à gauche, pour vouloir la liberté de la charité. Une différence essentielle cependant nous sépare. Nous voulons que la liberté de la charité soit une réalité et non une fiction, aussi bien en pratique qu'en théorie, c'est-à-dire nous voulons que les pauvres reçoivent l'entièreté des libéralités faites à leur profit, à la différence de nos adversaires qui veulent le contraire. Et n'est-il pas évident que la liberté de la charité n'est une réalité qu'à la condition expresse, voulue par nous, car elle ne serait autre chose qu'une fiction si, envisageant uniquement celui qui donne, vous ne sauvegardez point l'application de la libéralité par lui faite, et le meilleur moyen d'y parvenir, c'est, sans contredit, celui de vous assurer que la libéralité parviendra à sa véritable destination.

Or, ce moyen nous le voulons, nous libéraux. Vous, au contraire, loin de vouloir ce même moyen qui nous fournirait la certitude de l'emploi philanthropique et l'humanitaire de la libéralité, vous voulez un moyen qui nous donne à l'avance la certitude qu'il en sera tout autrement, un moyen qui nous garantit à l'avance la certitude que la libéralité ne parviendra pas intégralement à sa destination de cette manière qui est la vôtre, la liberté de la charité, que vous exaltez tant en théorie, devient, en (page 1613) pratique, une fiction, à l'inverse de ce que nous voulons, car pour que la liberté de la charité ne soit point un vain mot, une fiction, il faut qu'il y ait certitude que la libéralité parviendra au destinataire. La liberté de donner, sans la certitude que le don parviendra à sa destination, ou plutôt avec la certitude, d'une part, qu'il n'y parviendra qu'imparfaitement, comme je le démontrerai ultérieurement, en indiquant comment le clergé procède pour distribuer ses secours et donner ses aumônes, et avec la certitude, d'autre part, que le don ne parviendra point intégralement à sa destination, ne devient-elle pas un vain mot, une fiction et non une réalité ?

On le voit, nos adversaires qui se disent, en théorie, les chaleureux défenseurs de la liberté de la charité, aboutissent, en pratique, à faire de la liberté de la charité un simulacre, un mensonge, puisque le canal conducteur de leur choix, pour les eaux salutaires de la bienfaisance, absorbera, dans son parcours et dans ses parois naturellement absorbantes, une partie notable de ces eaux réparatrices, et amoindrira d'autant le volume réfrigérant de celle-ci, au préjudice des véritables destinataires, qui sont les pauvres.

Selon nous, la charité doit profiter, sans distinction autre que celle des besoins de chacun, à tous ceux qui sont dans la misère. Outre l'absorption, que je viens, à l'instant, de signaler et qui privera les pauvres d'une partie notable des eaux salutaires de la bienfaisance, dont ils sont les destinataires, le système de nos adversaires est encore diamétralement opposé au notre, par un autre vice radical, car ce système aboutit à faire arriver ce qui reste, après l'absorption, aux uns et non aux autres, c'est-à-dire exclusivement suivant l'inclinaison du canal conducteur.

On sait comment le clergé, en général, distribue ses secours ou ses aumônes, il distribue ses secours ou donne ses aumônes, exclusivement et invariablement, à ceux qui professent ostensiblement le culte catholique. Le clergé prend pour règle constante d'exclure, inexorablement, de ses secours et de ses aumônes, tout homme ne professant pas ostensiblement le culte catholique.

Parmi ceux dont la misère et les souffrances sont égales, le clergé fait une distinction inflexible entre ceux qui professent ostensiblement le culte catholique et ceux qui ne le professent pas ostensiblement. Cette distinction est radicalement anti-fraternelle et anti-humanitaire ; c'est pourquoi nous n'admettons pas cette distinction, c'est pourquoi nous la repoussons de toutes nos forces. Voilà encore un déplorable résultat, certain à l'avance, de la loi dont le projet nous occupe. Si, comme je le crains beaucoup, cette loi est votée, c'est l’établissement d'une prime d'encouragement pour l'hypocrisie déjà malheureusement trop commune.

Puisque, comme je l'ai dit tout à l'heure et comme le fait est vrai, la liberté de la charité n'est point en question, pourquoi mentir à la face du pays, ainsi qu'on le fait ? Le masque hypocrite auquel on a recouru n'est rien autre chose qu'une machine de guerre politique, et on la briserait le lendemain de la lutte, s'il convenait aux intérêts du parti de la briser.

La liberté de charité que veulent nos adversaires, c'est le monopole de la charité dans les mains des leurs. En créant aujourd'hui ce monopole, ils espèrent de le voir grandir, développer, s'accroître de jour en jour. Dans la conception du projet de loi, la pensée d'intérêt de parti a la priorité, la pensée charitable, philanthropique, humanitaire, vient à la suite, c'est-à-dire en seconde ligne. Et quelle pensée met-on en avant dans la discussion actuelle ? C'est celle-ci et non point celle-là ; loin de mettre en avant la pensée qui a eu la priorité dans la conception du projet de loi, on la refoule dans son for intérieur, en se gardant bien de la laisser paraître le moins possible ; la première pensée, la pensée d'intérêt de parti, celle qui a véritablement présidé à la conception du projet de loi. Telle est donc la réalité, dont la seconde, la pensée charitable, philanthropique, humanitaire, n'est pour ainsi dire que l'enveloppe, la forme, la figure : et c'est cette triste réalité que l'on nous présente comme un nouveau serpent d'airain destiné à guérir les nombreuses, les affligeantes, les hideuses blessures de l'humanité. Les remèdes doivent être on rapport avec la gravité des maux à la guérison desquels ils sont destinés. Or, à des maux tels que ceux dont souffre l'humanité, il faut un remède autrement efficace que celui dont on nous convie de faire l'essai, il faut un tout autre nouveaux serpent d'airain. Que nos adversaires veuillent bien garder pour eux seuls et en dehors du domaine public, s'ils le jugent convenir, le remède héroïque qui leur paraît infaillible et dont il s'agit, mais nous sommes trop convaincus de son inefficacité pour consentir à ce qu'il soit appliqué comme panacée universelle au pays dont nous sommes les mandataires.

De quoi s'agit-il pour nos adversaires ? Quoique, déjà, on le leur ait tant de fois dit, je vais le leur dire encore. Il s'agit, pour eux, de favoriser, le plus possible, l'existence et l'extension des couvents et des corporations religieuses, au moyen d'une partie notable des fonds destinés à la bienfaisance publique. Pour atteindre ce but, il importe, paraît-il, de détourner, quoique indirectement et par la voie oblique dans laquelle on nous engage d'entrer, la partie notable, convoitée, des fonds destinés à la bienfaisance publique, en l'appliquant à une destination toute différente de la sienne. Il est vraiment curieux, à ce propos, d'entendre argumenter nos adversaires. Leur principale préoccupation, disent-ils, consiste à assurer l'exécution sincère, franche, loyale, de la volonté des testateurs et des bienfaiteurs des pauvres, généralement, tandis qu'au fond et en réalité, c'est précisément la chose dont ils se préoccupent le moins. Leur but capital, dominant, incontestable, est de rétablir, par cette voie oblique et détournée, la mainmorte à laquelle les progrès de notre époque ont porté un coup décisif et mortel.

Cette pensée ressort implicitement des discours de plusieurs de nos adversaires, malgré leurs palliatifs, leurs détours, leurs circonlocutions.

Si nous n'avions point eu déjà la certitude jusqu'à surabondance, que ce n'était point une loi de charité publique, une loi des pauvres, une loi des malheureux déshérités du corps social, de toute catégorie, que l'on voulait, mais bien une loi d'intérêt de parti, une loi régénératrice des couvents et des corporations religieuses de toute espèce et de tous les noms imaginables, M. le ministre de l'intérieur se serait chargé, dans la séance du lundi 11 du mois de mai courant, de dissiper tous les doutes possibles à cet égard.

En effet, dire qu'il est dans le sens naturel de nos institutions qu'un parti, arrivé au pouvoir, fasse les lois du pays, à son profit, au profit de lui, parti, n'est-ce point confirmer, à l'avance, de la manière la plus éclatante, l'exactitude de mon assertion et n'est-ce point, en même temps, professer une hérésie constitutionnelle flagrante ? C'est incontestablement confirmer, à l'avance, de la manière la plus éclatante, l'exactitude de mon assertion, puisque les paroles de M. le ministre de l'intérieur s'appliquaient, directement et sans aucune intermittence, à la loi en discussion. C'est, en même temps, professer une hérésie inconstitutionnelle flagrante et je vais le prouver. Sans doute, en thèse générale, c'est-à-dire toutes les fois qu'il s'agit du domaine politique, le principe émis par M. le ministre de l'intérieur est vrai. Une politique qui ne se conformerait point à ce principe, serait une politique négative et n'aurait point de raison d'être.

Pour l'application de ce principe, il faut donc distinguer entre les lois d'ordre politique et les lois d'ordre administratif. Le principe est applicable aux premières, mais non aux secondes. S'il en était autrement, vous feriez s'immiscer et descendre la politique jusque dans les moindres actes de l'administration. Une telle manière de gouverner et d'administrer serait évident tout anomale, irrationnelle et gravement préjudiciable à la chose publique, puisque tous les rouages gouvernementaux et administratifs, de même que les lois par lesquelles ils sont régis, seraient constamment soumis et exposés aux oscillations, aux changements, aux fluctuations de la politique qui, elle-même, est soumise et exposée aux éventualités les plus nombreuses, les plus variées, les plus incessantes. On le voit, comme je l'ai dit et comme je le répète, une telle manière de gouverner et d'administrer serait évidemment anomale, irrationnelle et gravement préjudiciable à la chose publique.

Si ceci est vrai, en thèse générale, et l'on ne peut nier qu'il en soit ainsi, je ne pense pas qu'il y ait dans tout l'ordre administratif une loi qui, par sa nature, doive rester plus en dehors du domaine politique que la loi sur la bienfaisance publique. Ce terrain est, de sa nature, radicalement neutre, et s'il est un terrain quelconque où les préoccupations politiques doivent se taire et ne point se manifester, c'est absolument celui-là.

Je suis, sur ce point, d'accord avec un économiste distingué, M. Molinari, dont je n'hésite point à citer l'opinion, quoiqu'il apprécie for mal le débat actuel, quant à l'attitude prise, en cette circonstance, par notre opinion.

Constater, d'après l'aveu le plus explicite de M. le ministre de l'intérieur, que le gouvernement entend faire de la loi sur la bienfaisance publique une loi politique, une loi de parti, c'est donc juger la loi pour ce qu'elle vaut, c'est à-dire constater, en cette loi, le vice organique le plus radical et le plus absolu. Justice étant ainsi irréfutablement faite du projet de loi, je pourrais me dispenser de rien ajouter pour le combattre, si je ne tenais à dire plus amplement ma pensée sur la politique qui nous gouverne en ce moment.

J'ai dit, tout à l'heure, que ce n'était point une loi de charité publique, une loi des pauvres, une loi des malheureux déshérités de l'ordre social de toute catégorie que l'on voulait : j'ai prouvé cela à la dernière évidence ; mais j'ajoutais que c'était aussi une loi régénératrice des couvents et des corporations religieuses de toute espèce et de tous noms imaginables que l'on voulait en même temps qu'une loi de parti, puisque, du reste, l'une de ces deux conséquence découle naturellement de l'autre, au point qu'il serait oiseux d'en produire, une démonstration, car elle serait surabondante et parfaitement inutile.

Je vais donc m'expliquer sur le mérite de la loi, en tant qu'elle aura pour effet de régénérer les couvents et les corporations religieuses de toute espèce et de tous noms imaginables. Nos adversaires comptent avoir trouvé là un remède au malaise et aux maux de toute nature dont souffre le corps social. Sans doute, je respecte la sincérité de leur conviction à cet égard, mais il m'est impossible de partager cette conviction. Ils comptent donc avoir trouvé là un remède efficace, puissant, héroïque, en un mot, un remède d'un mérite incomparable. Je ne suis point de leur avis et je crois que le remède est ailleurs. Il est, selon moi, dans le développement gradationnel et successif de la civilisation qui est un remède autrement efficace, autrement puissant, autrement héroïque, en un mot, un remède d'un mérite tout autrement incomparable. Certes, la civilisation a eu ses mauvais jours, mais est-il donné à l'humanité d'arriver au progrès, à une amélioration quelconque, sans subir et traverser des épreuves souvent très pénibles, très laborieuses, très rudes ? Non, assurément.

Quand la civilisation a eu ses mauvais jours, elle ne faisait donc que subir la loi commune à tout ce qui est inhérent à l'humanité et tend incessamment à devenir meilleur. Pourquoi dès lors reprocher à la civilisation ses mauvais jours et faire prédominer ce reproche dans toutes les appréciations que l'on fait d'elle ? C'est évidemment se montrer injuste à son égard. Pour parvenir au degré qui lui est acquis aujourd'hui, la (page 1614) civilisation a dû passer par les douleurs de l'enfantement d'abord, puis par les vagissements de l'âge nouveau-né, puis encore par les pas chancelants de l'enfance débile ; elle est ensuite entrée dans la phase accidentée et aventureuse de l'adolescence et enfin elle est arrivée à son âge viril dont elle a revêtu la robe.

La civilisation, parvenue là, n'est cependant point à son apogée : il lui reste à l'atteindre. Or, pour l'atteindre, il faut qu'elle marche vers ce but. Il faut que les taches dont elle fut maculée, et que vous lui reprochez si inexorablement et surtout si injustement, s'effacent et disparaissent, degrés par degrés, n'ayant entre eux aucune solution de continuité décroissante ; il faut, en un mot, qu'a l'instar du nouveau dogme de l'Eglise, elle aboutisse en définitive à une splendeur qui fera justice de toutes les oppositions en se dépouillant de toutes ses taches qui vous causent une sorte d'horreur ; car alors elle sera devenue immaculée, elle aussi. Ce n'est point que je veuille ici établir une comparaison entre la civilisation et le nouveau dogme de l'Eglise, Dieu m'en garde, puisque rien ne me parait plus fâcheux et plus regrettable que la confusion des choses de l'Eglise avec ce qui est et doit lui rester étranger.

Mais comme je l'ai dit et comme je le répète, je n'ai pu choisir ce terrain, et force nous est bien de nous y débattre, puisque vous nous y avez introduits. Or, je me sers de cet argument pour vous prouver combien est grande votre injustice à l'égard de la civilisation, en vous proposant pour exemple de la marche gradationnelle de la civilisation, la marche de l'Eglise elle-même dont vous nous avez tant parlé. Il a fallu à l'Eglise plus de dix-huit siècles pour proclamer un dogme qu'elle considère aujourd'hui comme l'un de ses principaux dogmes La marche de l'Eglise pour arriver là a donc été lente, difficile, laborieuse. Faut-il dès lors vous étonner si la civilisation a dû, de son côté, passer par des phases lentes, difficiles et laborieuses ?

N est-il pas évident que la marche de l'Eglise doit impliquer l'absolution des reproches immérités et mal fondés que vous adressez à la civilisation depuis sa naissance jusqu'à son entrée dans l'âge viril, puisque l'Eglise, que vous nous proposez pour règle et pour modèle, a procédé d'une manière lente, difficile, laborieuse, à travers les siècles, exactement, précisément, absolument, comme a procédé la civilisation ? De ce qui précède, il résulte que je vois le remède là où vous voyez le mal. Vous pensez que régénérer les couvents et les corporations religieuses, et les faire pulluler le plus possible sur le sol belge, c'est préparer à la Belgique une ère de bonheur, de félicité, de délices.

Je vois, moi, dans la régénération des couvents et des corporations religieuses une recrudescence de ce mysticisme ignorant et trop souvent fanatique, qui porte l'homme à trouver, en tout autre homme ne pensant pas comme lui, un adversaire, un ennemi même.

Or, cette manière d'agir des hommes concorde-t-elle avec la liberté, des cultes et de conscience, l’une des plus belles et des plus précieuses conquêtes de notre époque ? Elle est inscrite dans notre pacte constitutionnel ; cela est vrai, mais si vous façonnez les hommes de manière à les faire penser et agir contrairement à cette prérogative consacrée par notre Constitution, il est évident que vous ferez de cette prérogative une vaine théorie, une lettre morte, sans pratique, en un mot un mensonge continuel et incessant. Pour que des prescriptions d'ordre constitutionnel et politique soient sérieuses, il faut qu'elles soient conformes aux tendances de l'esprit, des mœurs, de la manière d'être d'un peuple. Dans le cas contraire, de deux choses l'une : ou ces prescriptions disparaissent et cessent d'exister, ou, comme je viens de le dire, elles constituent un mensonge incessant et continuel.

Or, outre les deux alternatives, le choix de la première me paraît préférable, car en choisissant l'autre alternative on fait mentir la vie publique d'un peuple, d'une manière permanente, avec les prescriptions de sa loi suprême, dans cet ordre d'idées, et qui est la Constitution.

Or, dans cette hypothèse, c'est former le peuple au mensonge qui est l'école de la fourberie, de la duplicité, de l'hypocrisie, puisque ces trois vices moraux ne font réellement avec le mensonge qu'un seul et même vice moral, et celui-ci serait assurément de nature à devenir la source de la dégradation de notre pays, petit par le nombre, mais grand d'avenir. Il m'est donc impossible de prêter les mains à une œuvre que je considère comme étant grosse de périls pour le pays, puisqu'elle tendrait à le démoraliser, car je ne pense pas qu'aucun veuille prendre sur lui de proposer le choix de la première alternative, dont je parlais tout à l'heure, c'est-à-dire la radiation pure et simple de la liberté des cultes et de conscience inscrite dans notre Constitution et que nous nous trouverions conséquemment dans la seconde alternative, c'est-à-dire celle du mensonge incessant et continuel.

A mon avis, relever les couvents et les corporations religieuses, c'est relever entre les hommes une barrière que la lumière de la civilisation a amoindrie et qu'elle amoindrit, chaque jour, de plus en plus. Je regarde comme un devoir impérieux de combattre le projet de loi, puisque, d'un côté, de son adoption résulterait la régénération des couvents et des corporations religieuses, et puisque, de l'autre côté, les couvents et les corporations religieuses ont été, de tout temps, le plus puissant auxiliaire de l'obscurantisme. Et n'est-il pas superflu d'ajouter que l'obscurantisme est l'antipode des progrès de la civilisation, puisque ceux-ci émanent de la lumière ?

Il ne nous convient point, à nous, de faire descendre l'esprit humain à l'antipode de ce procès. Nous voulons, au contraire, aider, autant qu'il est en nous, l'esprit humain à élargir son horizon intellectuel et moral, à s'élever même de plus en plus au-dessus du niveau actuel de ce dernier, tandis que vous voudriez faire rétrograder l'esprit humain vers le bas de ce même horizon intellectuel et moral. Vous le voyez, votre régénération du corps social ne peut nous convenir. C'est une tout autre régénération du corps social que nous appelons de nos vœux les plus sincères, les plus vifs, les plus ardents.

Pour résumer ma pensée, qu'il me suffise de vous dire ceci : Selon vous, la grande œuvre providentielle de la régénération du monde vivant auquel nous appartenons actuellement, doit s'opérer en retournant vers le passé, en d'autres termes, en arrière.

Selon nous, la grande œuvre providentielle de la régénération du monde vivant, auquel nous appartenons actuellement, est commencée et s'opère déjà, en ces temps-ci, par la diffusion gradationnelle de la lumière ; mais ce n'est point en marchant en arrière, c'est en marchant en avant.

Vous le voyez, messieurs, il y a entre le système de nos adversaires et le nôtre, une différence intégrale et absolue ; deux systèmes qui sont en présence, face à face, diamétralement opposés, exclusifs l'un de l'autre, aucune transaction ni conciliation n'est possible, comme on a voulu trop souvent le faire croire au pays.

Nos adversaires préféreraient sans doute, de beaucoup, rétablir carrément et sans aucun palliatif, cette bien-aimée mainmorte, objet de leurs désirs, de leurs convoitises, de leurs prédilections. Ils réservent ceci pour plus tard, quand l'occasion leur paraîtra favorable, leur tactique se borne, maintenant, au rétablissement indirect de la mainmorte, et afin de ne point soulever, contre leur projet, l'opinion publique qui est toujours sympathique au mot vibrant de liberté, ils nomment le rétablissement indirect de la mainmorte, résultant de ce projet, la liberté de la charité. Malheureusement pour cette combinaison de stratégie politique, le temps des masques de l'hypocrisie et du mensonge, sous lesquels se déguisait l'obscurantisme, n'est plus le temps où nous vivons, et il nous appartient, à notre époque de lumière, de les arracher impitoyablement.

La lumière de notre siècle est l'antithèse de l'obscurantisme, c'est pourquoi l'obscurantisme a fait son temps. Or, le temps des masques de l'hypocrisie et du mensonge était celui de l'obscurantisme.

Le temps de celui-ci étant passé, il est évident que le temps des masques de l'hypocrisie et du mensonge est aussi passé, puisque le temps de l'un était le temps des autres et que, conséquemment, les deux temps ne formaient ensemble qu'un seul et même temps.

Je dirai donc : A bas les masques, arrière l'hypocrisie et le mensonge, car leur temps est passé. Partisans du projet que nous combattons, ayez le courage d'avouer franchement et non point seulement implicitement, ce que vous voulez ou cessez de vouloir ce que vous n'osez avouer, ouvertement et avec franchise, à la face du pays.

Le projet de loi que vous nous présentez, je dois en convenir, est assez habilement agencé, combiné, formulé, si l'on a en vue d'en faire un moyen d'excuses pour quelques-uns. Il permettra, en effet, à certains adhérents de se retrancher derrière quelques excuses, quoique ces excuses seront, à toute évidence, de la dernière futilité, le jour s'est fait au point qu'il sera impossible à aucun homme de notre opinion d'être dupe du stratagème mis en usage, à moins qu'il ne veuille donner tête baissée dans cette sorte de pièges, recouvert d'amendements, qui est là devant nous.

Quoi que l'on dise et que l'on fasse, si la pensée générale du projet est maintenue, le vote sera moralement la solution de la question suivante : « Voulez-vous le rétablissement indirect et déguisé de la mainmorte ? » Telle sera la signification claire, nette, précise du vote à émettre, sans que l'on puisse se méprendre sur la valeur, le sens, la portée de ce vote, car il n'y a point à cet égard la moindre ambiguïté possible et je détermine ici le vote, consciencieusement, en toute vérité.

Les membres de cette assemblée, qui diront oui, voteront donc le rétablissement indirect et déguisé de la mainmorte.

Mais, là n'est point limitée la portée du vote tout entière, car, implicitement, le vote aura encore une autre signification, non moins importante et non moins digne de la plus sérieuse considération. Cette signification, la voici : voulez-vous que les fonds destinés à secourir les pauvres soient détournés indirectement et par un moyen déguisé de cette destination et soient appliqués en notable partie à l'entretien et à l'extension des couvents et des corporations religieuses ? Voilà la double signification du vote à émettre, les véritables termes de la question à résoudre au fond ; les autres termes qui seront employés le seront pour la forme exclusivement et nullement pour le fond.

A chacun la responsabilité de son vote ; pour ce qui me concerne personnellement, je déclare ouvertement que ma conscience ne me permet point de voter le rétablissement indirect et déguisé de la mainmorte, non plus que le détournement, quoique indirect et déguisé également, d'une partie notable des fonds destinés à secourir les pauvres et l'application du produit de ce détournement indirect et déguisé à l'entretien et à l'extension des couvents et des corporations religieuses. La probité défend impérieusement à quiconque d'en agir ainsi.

Pour que cette vérité, claire, nette, précise, à la dernière évidence, ne soit point comprise partout, il faudrait que les préjugés de l'esprit de parti, chez les uns et l'égarement de l'apostasie politique, chez les autres, élevât entre eux et la saine raison une barrière pour ainsi dire infranchissable et que l'on serait tenté de prendre pour un obstacle de granit ou de bronze. Non seulement, j'eusse désiré de ne point aborder la sphère religieuse, j'eusse même voulu ne point l'effleurer, mais puisque l'on nous a introduits, malgré nous, dans cette sphère qu'il eût (page 1615) été infiniment préférable de laisser en dehors de nos débats, force nous est bien de nous mouvoir dans cette même sphère, après y être entrés, quoique contre notre gré.

Puisque donc, nonobstant, nos répugnances fondées, nous nous trouvons placé sur le terrain religieux, tout en gardant la plus scrupuleuse réserve, nous profiterons de cette situation qui nous est faite, pour démontrer quelque peu à nos adversaires que souvent leurs actes ne s'accordent pas avec le véritable esprit du christianisme.

Conséquemment, outre la probité, dont le principe est naturel à l'homme puisqu'il est inné chez lui, et dont je viens d'invoquer les rigoureuses exigences, en les appliquant à l'objet spécial qui nous occupe, je m'appuierai sur le saint Evangile, sur le livre des livres, sur le livre par excellence. Je n'y ferai point de longues recherches, il me suffira de l'ouvrir, pour ainsi dire au hasard, et je me contenterai de vous citer des paroles connues de tout le monde. Ces paroles sont aussi grandes qu'elles sont simples, car le Très-Haut joint ordinairement, dans ses manifestations au genre humain, la plus modeste simplicité à la plus sublime élévation. Déjà, dans une séance précédente, notre honorable et digne ancien président.M. Verhaegen vous a cité les mêmes paroles, mais en faisant de leur sens une application différente de celle que je vais en faire, car mon application sera beaucoup plus générale que la sienne ; or, ces paroles, les voici : « Rendez à César ce qui appartient à César. » Eh bien, vous qui les premiers nous montrez ouvert le saint Evangile, le livre des livres, le livre par excellence, lisez avec nous ces paroles sur l'une des pages du livre saint. N'est-ce point là une prescription de l'ordre le plus positif, devant laquelle vous devriez vous incliner, même avant nous, pour nous donner le bon exemple ? Ce moyen de persuasion et de prosélytisme est d'un effet plus salutaire, plus puissant que les plus belles démonstrations oratoires et théoriques.

Puisque vous vous posez en défenseurs de l'Evangile, que l'Evangile soit au moins votre code en la circonstance actuelle, et quand on adopte un code, vous savez qu'il faut s'y conformer. Des législateurs ne peuvent ignorer cette première règle du rudiment de la législation. Que dès lors vos actes soient conformes à ce code des codes, car vous nous dites le considérer comme tel. Rendez donc à César ce qui appartient à César, en d'autres termes, n'enlevez pas indirectement et par un moyen déguisé aux pauvres une partie notable des fonds qui leur sont destinés pour la donner aux couvents et aux corporations religieuses, comme il vous a été prouvé et démontré, d'une manière aussi claire que le jour, que vous le feriez en consacrant en loi votre projet.

Que vos actes, en un mot, coïncident et concordent avec vos paroles si vous voulez que nous croyions à votre sincérité. N'imitez point ceux qui, ayant mission divine de prêcher le saint Evangile, s'écartent chaque jour, à chaque instant, de son esprit et de ses prescriptions les plus fondamentales. Ils prêchent l'abandon et le mépris des richesses et des biens de la terre et ils se distinguent entre les plus rapaces et les plus âpres à la curée. Ils prêchent la paix, l'union, la concorde et partout ils allument la guerre, fomentent la désunion, suscitent la discorde. Les élections, à tous les degrés, qui ont eu lieu dans notre puys ne fournissent-elles pas malheureusement la preuve visible, palpable, tangible de ce que j'avance ? Le pays n'a-t-il pas tant de fois et tout récemment encore assisté au triste et affligeant spectacle de l'intervention la plus active, la plus acharnée, la plus scandaleuse du clergé dans les luttes électorales auxquelles son ministère saint lui commande de rester entièrement, complètement, absolument étranger ?

Voilà cependant ce que font incessamment ceux qui ont reçu la mission divine et sainte de prêcher le livre de paix, d'union, de concorde. Nouveaux Machiavels, ils divisent pour régner.

Ils prêchent la fraternité, issue du sang divin répandu pour nous sur la montagne du Calvaire, et non seulement ils divisent les hommes entre eux, en général, mais il ne craignent pas même, souvent, de faire de deux frères, procréés du même sang, nés du même sein, deux ennemis irréconciliables. Loin de chercher à éteindre, plus tard, cette inimitié, allant chaque jour s'invétérant, qu'ils ont fait naître, le plus fréquemment dans le but de contribuer à assurer à leur parti la domination, tandis qu'ils ne devraient appartenir à aucun parti et que, pour eux, les hommes devraient être tous des frères, comme ils le sont réellement selon l'Evangile, loin, dis-je, de chercher à éteindre, plus tard, cette inimitié qu'ils ont fait naître, ils prennent plutôt soin de l'entretenir, de l'attirer, de l'envenimer de plus en plus, afin de l'exploiter, le plus longtemps possible, au profit du même parti qui s'intitule catholique, je ne sais trop pourquoi, car il est anticatholique.

Je voudrais vraiment bien savoir pour quel motif le parti de nos adversaires s'est attribué le titre de catholique, car, je le déclare, pour ma part, souverainement anticatholique ; j'ai la conviction intime et fondée, comme, je l'ai dit et comme je le dis itérativement, que ce parti cause, à lui seul, plus de préjudice aux véritables intérêts de la religion catholique que tous les moines de cette religion, coalisés, ligués, réunis dans un déchaînement commun, et d'autant plus formidable, contre elles.

Les manœuvres du parti catholique affaiblissent plus l'esprit religieux dans nos populations que ne pourraient le faire les hérésiarques les plus intrépides, les plus infatigables, les plus dangereux. Cessons donc, enfin tous de laisser à ce parti un nom qui ne lui appartient pas. Que la presse, cette puissance de notre époque, raye de ses colonnes un titre usurpé, puisque, au lieu d'appartenir au parti qui se l'approprie, c'est évidemment la qualification formant l'antithèse de ce titre, qui lui convient et lui est propre. Il serait donc rationnel de nommer le parti anticatholique, mais il est un autre titre plus général, qui me paraît lui être beaucoup plus propre encore et lui convenir mieux.

Quel est le principe ou le but général de la politique de nos adversaires ? Le principe ou le but général de la politique de nos adversaires me paraît être incontestablement la réédification du passé. Quel était le principe et le but général de l'édification du fameux mur de la Chine ? Le principe ou le but général de l'édification du fameux mur de la Chine consistait à isoler la Chine de toutes les autres nations du globe, afin de l'empêcher de marcher dans la voie du progrès de la civilisation. N'y a-t-il pas, dès lors, entre le principe et le but général de la politique de nos adversaires et le principe ou le but général des Chinois édifiant le fameux mur, la plus parfaite analogie ? En effet, que l'on empêche l'humanité de marcher, en la faisant toujours reculer et rétrograder vers le passé ou bien qu'on empêche l'humanité de marcher, au moyen d'un mur de circonvallation ou d'enceinte continue, peu m'importe, puisque le résultat est le même.

Il est donc de la plus irréprochable exactitude de dire que le principe ou le but général de la politique de nos adversaires est éminemment chinois, puisqu'il est le frère puîné du principe ou du but général des Chinois, construisant le fameux mur que nous savons. Le titre ou le nom qui convient le mieux à un parti, c'est le titre ou le nom qui exprime le mieux le principe ou le but général qui lui est propre. Or, le parti soi-disant catholique ne pouvait, j'imagine, contester la primogéniture au principe chinois, qui est réellement son aîné et pourrait même être considéré comme son père, puisque l'un n'est que la reproduction de l'autre, sous une autre forme. Or, n'est-il pas naturel, logique, rationnel que le fils prenne le nom de son père. D'où je conclus qu'appeler parti chinois le parti soi-disant catholique, c'est lui restituer le nom qui lui est propre.

Nos adversaires préconisent et exaltent la charité, mais ils ne veulent de la charité que pour eux et pour les leurs, en un mot, dans l'intérêt de leur parti, comme l'a si ingénument avoué M. le ministre de l'intérieur, dans la séance de lundi dernier. Ils oublient ou ne savent donc pas que tous les hommes sont frères, puisque leur auteur est le même et leur est commun à tous, indistinctement ; ils oublient ou ne savent donc pas que tous les hommes forment ensemble une seule et même grande famille, qui est le genre humain.

Tels sont les vrais principes de la fraternité évangélique universelle et ils ne sont point autres, je le dis la main sur l'Evangile. Qui que ce soit, je pense, n'oserait révoquer en doute cette vérité.

Y a-t-il lieu de nous étonner que nos adversaires veulent indirectement et par un moyen détourné, ressusciter la mainmorte ? Non sans doute. Je dois même leur rendre cette justice qu'en cela ils sont conséquents avec toute leur politique. Cette politique n'a effectivement, d'autre but que la rénovation d'un passé déjà loin de nous attendu que dans le dernier temps les événements se sont succédé, avec une rapidité prodigieuse.

Je dirai toutefois à nos adversaires : Si vous êtes conséquents avec le principe général de votre politique, en voulant ressusciter la mainmorte, vous n'êtes point conséquents avec les paroles de l'un des pères les plus illustres de l'Eglise que, pour ne point encourir le reproche d'être en dehors de l'orthodoxie, j'appellerai sainte, une et indivisible, catholique apostolique et romaine et dont, je ne sais trop de quel droit, vous vous attribuez le rôle exclusif d'interprètes et de défenseurs. C'est au point que, sans hésiter et avec un aplomb imperturbable, digne d'une meilleure cause, vous déclarez, en toute occurrence et sur toute espèce de sujets, vos adversaires les adversaires de l'Eglise, et vous le faites encore aujourd'hui dans la circonstance actuelle. Cependant en agissant ainsi,, vous assumez la plus grave responsabilité morale, puisque vous mettez tous vos actes sur le compte des doctrines de l'Eglise. Vos actes vous trouvent néanmoins, fort souvent, en flagrante opposition avec ces doctrines, et je me hâte d'en dire autant d'un grand nombre d'actes du clergé qui, du reste, avec vous ne fait qu'un, en politique.

Louis XIV disait : L'Etat c'est moi, et, vous vous agissez comme s'il vous appartenait de dire : L'Eglise c'est nous. Je vous dénie formellement et expressément, pour ma part, le droit d'élever et de revendiquer, en votre faveur, une semblable prétention que je trouve inqualifiable.

Quoique je n'aie l'avantage de connaître que très peu l'Ecriture sainte, quoique je ne me sois point, à l'instar de l'un de vous, livré à la recherche d'une foule de textes religieux, ayant un rapport plus ou moins direct avec le projet de loi en discussion, je vous citerai cependant les paroles de saint Augustin, que j'ai lues dans le journal l'Observateur belge, du dimanche 22 février dernier, dans un article apologétique de l'ouvrage de M. Laurent, professeur de l'université de Gand, dont on a tant parlé dans cette enceinte depuis l'ouverture de la présente session.. Ces paroles ont un mérite d'opportunité que l'on ne peut méconnaître, c'est pourquoi je vais les citer, or, ces paroles les voici : « Rien n'est immobile dans le monde ; tout change.

« L'été remplace l'hiver, le jour la nuit. Combien l'homme ne se modifie-t-il pas, en passant de l'enfance à la jeunesse, de l'adolescence à l'âge mûr et à la vieillesse ? et les règles, les lois ne changent-elles pas avec l'âge ?..

« Il en est ainsi des révélations que Dieu donne à l'humanité. Il sait ce qui convient à chaque temps, à chaque âge ; il change, il ajoute, il ôte, toutes ces modifications, dont la raison nous échappe, forment dans les desseins de Dieu une belle harmonie, c'est comme le chant magnifique d'un grand artiste. »

Telles sont les remarquables paroles de saint Augustin !

Puisqu'il vous convient de nous combattre avec des armes que vous (page 1616) tirez de l'arsenal inexpugnable des libres saints, permettez-moi de vous faire remarquer que le principe général de votre politique, tendant à la résurrection du passé, n'est point d'accord avec les paroles que je viens de reproduire littéralement.

Je ne pense cependant pas qu'aucun de vous s'imagine de contester que saint Augustin ne soit l'un des principaux pères de l'Eglise.

Vous le voyez, celui-là ne pensait assurément pas comme vous que le monde soit une borne. Et ne prouvez-vous pas que c'est là votre pensée, quand vous outragez la marche de l'humanité qui se débat, se meut et s'agite péniblement, en secouant les entraves dont la lâcheuse étreinte, la gêne encore, dans ses efforts pour aller en avant, dans ses aspirations de revêtir au plus tôt les langes épurés d'un meilleur et nouvel avenir, et ne prouvez-vous pas que c'est là votre pensée quand vous voulez même plus que cela, quand vous voulez faire reculer et rétrograder l'humanité vers la nuit d'un passé couvert de ténèbres, en la privant du bénéfice légitime des sacrifices héroïques qu'elle a dû s'imposer pour parvenir à la lumière, puisqu'elle marchait de tâtonnement en tâtonnement, comme fait un aveugle, jusqu'au moment où le temps de la naissance à la lumière est enfin venu pour elle, providentiellement ? Et c'est de cet immense bienfait providentiel que vous voudriez frustrer l'humanité, s'estimant trop heureuse de les avoir obtenus ! Vains mots, vaincs tentatives, vains efforts !

Vous oubliez ou vous ne savez donc pas que l'humanité ne s'arrête jamais, quoiqu'il paraisse, d'intervalle à intervalle, y avoir des moments d'arrêt dans sa marche en avant, parce que le progrès ne s'obtient que gradationnellement et non point tout à coup, s'il est destiné à être durable et à ne point revenir sur ses pas qui n'avaient pas été mesurés. Vous oubliez ou vous ne savez donc pas que, comme je viens de le dire, l'humanité ne s'arrête jamais et marche incessamment conduite par la main invisible de la divine Providence vers le progrès que lui indique et lui montre la boussole de la raison. C'est pourquoi la divine Providence a préposé cette puissante boussole à la conduite, à la direction, à la gouverne de l'humanité faisant son chemin ! Et c'est cette main invisible, c'est la main de la divine Providence conduisant l'humanité pas à pas, vers le progrès, au moyen de la boussole puissante de la raison, que vous voudriez arrêter !

Il y aurait folie de penser un seul instant qu'il vous soit possible de le faire. Sachez que nous ne sommes plus en ces temps-là, dont parle le saint Evangile, temps d'ignorance et de ténèbres, et que nous sommes en ce temps-ci, temps de lumière, de science et d'immenses développements sociaux et humanitaires. Tel était l'ancien temps, tel est le nouveau, c'est-à-dire le temps actuel. Je fixe très particulièrement l'attention de tous sur ce point, car la distinction est essentielle et nos adversaires semblent ne pas s'en préoccuper le moins du monde, de tous les corps constitués d'un Etat, le corps judiciaire est assurément l'un de ceux qui doivent être entourés de plus de respect ; il faut que les décisions de la justice aient une force morale supérieure à celle qui, matériellement, est chargée par les lois de l'organisation sociale de mettre à exécution les ordonnances, jugements et arrêts. Il faut donc que la justice agisse de telle sorte que tous soient moralement tenus de croire à son impartialité la plus sévère, la plus invariable, la plus absolue. Quand la justice agit autrement, elle affaiblit l'autorité morale qui est l'élément principal de son existence, elle forfait à sa mission sociale ; en un mot, elle se déconsidère.

Sans doute, la justice humaine est faillible, comme tout ce qui est humain est radicalement faillible, aussi n'a-t-on pas lieu de s'étonner s'il arrive à des corps judiciaires de se prononcer erronément dans telle ou telle question sujette à la controverse de l'interprétation et de la jurisprudence. Ce n'est donc point l'infaillibilité que l'on est en droit d'exiger du corps judiciaire, mais bien l'impartialité et l'impartialité la plus sévère, la plus invariable, la plus absolue, en un mot la plus irréprochable à tous égards.

Il faut que jamais un corps judiciaire ne puisse être suspecté, avec de sérieuses raisons, de faillir à l'intégrité et à l'indépendance de toute influence, de quelque part qu'elle puisse émaner. Il n'est donc pas pardonnable au corps judiciaire de faire de ses ordonnances, de ses jugements, de ses arrêts, des actes de parti et infiniment moins encore de les abaisser au niveau dégradant de services de parti. Personne n'oserait contester la vérité évidente et l'exactitude rigoureuse de ces principes.

Ces prémisses étant déduites, je m'empresse d'exprimer mes sincères regrets de rencontrer, dans notre débat actuel, un arrêt récent de la cour de cassation, dont nos adversaires font grand bruit et dont ils se prévalent, comme d'une sorte de retranchement, derrière lequel ils trouvent commode d'abriter la faiblesse de leurs arguments. Cet arrêt est cependant déclaré et constaté être mal fondé, en droit, par d'honorables collègues, jurisconsultes éminents, dans la lumière desquels j'ai pleine confiance.

Mû par le sentiment ; de la dignité de mon pays, que je porte très haut, je me refuse à croire qu'en Belgique il y ait un seul corps de cet être moral judiciaire, sans excepter, bien entendu, le corps de cet être moral, le plus élevé dans l'ordre hiérarchique, accessible à la faiblesse inqualifiable de faillir à l'intégrité et à l'indépendance qui doivent être, pour ainsi dire, innées dans la magistrature, pas plus qu'à la faiblesse non moins inqualifiable de faire de ses ordonnances, de ses jugements, de ses arrêts des actes de partis, pas plus surtout qu'à la faiblesse souverainement indigne et avilissante de les abaisser au niveau dégradant de services de partis. Je fais sur moi-même tous les efforts dont mon énergie naturelle me rend capable, pour ne voir dans l'arrêt prémentionné autre chose qu'une erreur judiciaire dont les annales des tribunaux et des cours suprêmes fournissent de fréquents exemples dans tous les pays.

Vous dirai-je, messieurs, quel est le résultat de tous les efforts que je fais sur moi- même pour ne point sortir de cette appréciation la moins défavorable possible ? Il me peine de le dire, mais je le dois ; je vous le dirai donc, en toute sincérité et la main sur la conscience, tous ces efforts sont impuissants et viennent échouer contre la lumière de ma raison, qui les neutralise, les détruit, les anéantit, au point qu'il n'en reste pas le moindre vestige.

La franchise me paraît être l'un des devoirs les plus impérieux de mon mandat de représentant de la nation. Ce devoir, je le remplirai, en n'écoutant que la voie de ma conscience, et je me tiendrai pour suffisamment récompensé par la satisfaction d'être utile à mon pays, comme par celle d'avoir accompli mon devoir, entrant dans les desseins providentiels, puisque en ce monde, nous avons tous chacun notre mission.

Avec mon honorable collègue, M. Delfosse, que je regrette de ne plus voir au fauteuil présidentiel, car il l'occupait aussi dignement qu'il y était monté dignement, je dirai à nos adversaires, une fois de plus, ce qu'on leur a déjà dit et répété tant de fois, c'est-à-dire qu'ils n'ont rien oublié ni rien appris.

Je forme les vœux les plus vifs et les plus ardents pour que le cri d'alarme jeté par notre digne et regretté ancien président, dont je viens de rappeler le nom, justement respecté de tous, soit entendu par le pays qui sait toujours respecter celui qui est respectable. Et à ce propos, que l'on ne me reproche point de procéder par voie d'insinuation ou d'allusion plus ou moins directe, plus ou moins saisissable, plus ou moins diaphane : ce reproche serait immérité et je le repousserais loin de moi.

J’ai l'habitude dire franchement, ouvertement, sans détour, ce que je pense. Mais comme je vous l'ai dit en commençant et comme je le répète, afin que personne ne puisse le perdre de vue, j'ai pour limites les convenances parlementaires, et force m'est bien de ne point les franchir et de les respecter.

Je ferai donc connaître, autant qu'il m'est possible, en présence d'une telle barrière qui m'arrête, toute ma pensée, afin que l'on ne se méprenne point sur le véritable sens de mes paroles.

Je m'abstiens de toute application personnelle, car le règlement de notre assemblée le défend, mais la considération que tel ou tel parallèle serait aisément possible et vient même assez naturellement à l'esprit des moins clairvoyants, ne pouvait m'empêcher de payer à l'honorabilité de notre digne et regretté ancien président le tribut d'hommages qui lui est légitimement dû. S'il est des hommes dont il ne serait point possible de faire de tels éloges, ce n'est pas ma faute, mais bien la leur. A chacun la responsabilité de ses actes.

Je forme les vœux les plus vifs et les plus ardents comme je l'ai dit tout à l'heure, pour que très prochainement nos comices électoraux se lèvent à une voix qui doit avoir pour eux une puissante autorité et prouvent par le résultat qu'ils ont compris un aussi patriotique appel, dont le retentissement vibrera dans tous les cœurs sincèrement unis du progrès.

Puisque l'on a fait intervenir tant de choses dans cette discussion, je ne vois point pourquoi je n'y ferais point intervenir un aperçu philosophique très succinct qui n'est point hors de propos, attendu que nous en sommes encore à la discussion générale, et cet aperçu le voici : Il arrive quelquefois qu'un fait d'improbité ou sociale ou politique soit posé par l'homme à l'état individuel, mais encore par l'homme à l'état collectif. Quand le fait d'improbité ou sociale ou politique est posé par l'homme à l'état individuel, il est évident que celui qui a posé le fait seul, en est aussi seul responsable ; mais quand le fait a été posé en même temps et avec connexité par l'homme à l'état collectif, il n'est pas moins évident que tous ceux qui ont concouru à l'accomplissement du fait d'improbité ou sociale ou politique sont solidairement responsables, suivant le degré du concours de chacun. Ces principes sont au surplus tellement incontestables, qu'ils forment la base fondamentale de notre législation criminelle.

Ces principes servent donc de règle pour la répression et la punition de tous les crimes et délits prévus par le code pénal qui nous régit. Or, de ce que des actes d'improbité sociale ou politique ne tombent point sous l'application de la répression et de la punition générale comminées par le code contre d'autres actes d'improbité quelconque, il ne s'ensuit pas que les principes de la solidarité morale ne soient pas applicables aux uns comme aux autres. La seule différence qui existe entre ces deux sortes d'actes d'improbité, c'est que les uns tombent sous le coup de la loi pénale et que les autres y échappent ; car ceux-ci, humainement parlant, ne reçoivent, dans l'état actuel de notre législation, d'autre punition nue l'indignation des honnêtes gens et le mépris public.

Vous voyez, messieurs, que j'avais raison de vous dire, en commençant l'aperçu philosophique dont vous avez maintenant connaissance, qu'il n'était point inopportun, puisqu'il est applicable aussi bien à l'homme à l'état collectif, qu'à l'homme à l'état individuel.

Il en résulte qu'il y a lieu de le considérer comme étant applicable aux assemblées délibérantes de tous les pays. N'y eût-il aucune application à faire de ces vérités à aucune des nombreuses assemblées délibérantes de notre pays, vous reconnaîtrez, néanmoins, avec moi, messieurs, que de grands principes comme ceux-là sont toujours bons à mettre en lumière vivace, afin que tous s'en pénètrent, soit à nouveau, (page 1617) soit de plus en plus, puisque nous devons être unanimes pour désirer que toutes les assemblées délibérantes de notre pays, quelle que soit leur importance dans l'échelle sociale, se conforment, en toute occurrence et en tous temps, aux règles immuables de la probité tant sociale que politique.

Ceci m'amène assez naturellement à la question des administrateurs spéciaux, qui se lie trop sérieusement à la pensée générale du projet de loi pour que je m'en occupe point. En effet, par le système des administrateurs spéciaux, vous avez le plus souvent l'administration de l'homme, l'état individuel, tandis que l'administration de l'homme à l'état collectif, offre au corps social des garanties beaucoup plus sérieuses, car alors il y a dans l'administration elle-même examen contradictoire des actes de gestion à poser, et il est incontestable que du choc des opinions jaillit la lumière de la raison.

Ce principe est la règle que confirment de nombreuses exceptions. Mais notre régime constitutionnel lui-même n'est-il pas l'expression la plus vraie de ce principe ? Je vous trouve donc encore une fois, ici, en flagrant délit de contradiction. Vous vivez sous un régime constitutionnel auquel je vous crois tout aussi sincèrement dévoués que nous le sommes. Or la base fondamentale de ce régime est évidemment l'administration de l'homme à l'état collectif : ce principe est donc, selon vous, le meilleur élément d'administration.

Pourquoi, dès lors, voudriez-vous priver l'administration de la bienfaisance publique du bénéfice d'un principe dont elle jouit aujourd'hui, principe dont il ne vous est point possible de contester la supériorité sur tout autre, en matière d'administration, puisque vous l'admettez comme la pierre angulaire de notre édifice social et politique.

Ainsi donc contrairement au principe fondamental de notre régime constitutionnel, puisqu'il est la base de celui-ci, vous voulez substituer l'administration de l'homme à l'état individuel, c'est-à-dire l'administration du bon plaisir, à l'administration de l'homme à l'état collectif, c'est-à-dire à l'administration d'un corps délibérant ! Le terme de bon plaisir, que je viens d'appliquer à votre système me suggère, avant de finir, de vous présenter une considération importante. Dans votre système se reflètent incontestablement les idées de réaction qu'un souffle empoisonné excite, en toute l'Europe.

Je dirai plus, et c'est en vain qu'on chercherait à le dissimuler, les idées de réaction font votre point d'appuis, en ce moment, comme elles l'ont fait dans des élections précédentes, dans lesquelles vous avez recueilli les fruits de la pression de l'étranger.

Défiez-vous de votre appui, car il est bien fragile. Un appui qui est la personnification du plus audacieux de toutes les parjures et des crimes les plus nombreux et les plus révoltants, conséquences de celui-ci, peut-il être autre chose qu'un appui d'une fragilité incomparable à toutes les autres fragilités possibles ? Non, mille fois non, et Dieu veuille vous le prouver bientôt !

Quelques-uns pourraient me dire que, blâmant autrui du défaut de fraternité évangélique universelle, je n'ai point moi-même fait preuve de ce sentiment sublime, puisque j'ai témoigné une assez grande sévérité envers plusieurs. Le National (belge) du samedi 28 février dernier, m'a fourni, à l'avance, une réponse, en un compte rendu d'un ouvrage de M. de Potter, signalant des désordres incroyables dans certains couvents. Cette réponse émane du souverain pontife le pape saint Grégoire le Grand, dont nos adversaires ne contesteront point l'autorité, et la voici : « Lorsqu'il s'agit de rendre témoignage à la vérité, il faut compter pour rien le scandale qui peut en naître. Le blâme qu'emportent des actes coupables retombe de tout son poids sur ceux qui les ont commis, et ne saurait atteindre celui qui signale le mal, afin qu'on ne le commette plus à l'avenir. »

Je ne terminerai point, messieurs, sans vous exprimer mes espérances dans un avenir que je crois très prochain.

Voici la dix-huitième année que j'ai l'honneur de siéger dans les grandes assemblées délibérantes du pays et constamment, en toutes circonstances et à toutes les époques, j'ai eu, comme je l'ai encore en ce moment même, la foi la plus ferme, la plus profonde, la plus inébranlable, dans les hautes destinées du libéralisme. Amis politiques, serrons nos rangs et soyons mieux unis que nous ne l'avons été jusqu'à présent. Ne perdons pas de vue notre mission providentielle et gardons-nous de faillir jamais à la tâche. Ce n'est point sans un motif parfaitement fondé que l'on a nommé notre siècle le siècle des lumières, car, la lumière lui était réservée.

C'est pourquoi, quoi que fassent mes adversaires et tous les agents d'opposition quelconque, indistinctement et sans en excepter aucun, quel qu'il soit, des flancs régénérateurs du dix-neuvième siècle, le libéralisme sortira grand, fort, triomphant. Dans nos luttes les plus pénibles, les plus difficiles, les plus ardues, qu'une pensée nous anime incessamment et corrobore notre courage en doublant nos forces, c'est que le libéralisme sera d'autant plus grand, d'autant plus fort, d'autant plus triomphant, qu'il aura subi et traversé des épreuves plus rudes, plus laborieuses,plus décisives, car la palme de la victoire est en raison des combats auxquels il a fallu se livrer pour l'obtenir, et telle sera la palme du libéralisme victorieux !

M. Malou, rapporteur. - La Chambre comprendra que mon intention n'est pas de rentrer dans la discussion générales mais j'ai entendu dans le discours de l'honorable M. Pierre une chose contre laquelle je dois protester.

Je crois que les nations étrangères sont et doivent rester complétement en dehors du débat actuel et que nous devons ici pratiquer la neutralité qui est la condition de notre existence nationale.

- La discussion générale est close.

Développement des propositions soumises à la chambre

M. le président. - M. de Theux a proposé la résolution de principe ci-après :

« Le Roi pourra autoriser des fondations charitables avec des administrateurs spéciaux, dans le sens du projet de loi. »

M. Frère-Orban a déposé la proposition ci-après :

« J'ai l'honneur de proposer à la Chambre d'ordonner une enquête à l'effet de rechercher :

« 1° Quelle est la condition des classes pauvres dans le pays ;

« 2° Si les moyens employés pour prévenir ou soulager la misère atteignent le but que l'on s'est proposé ;

« 3° Quelles sont les réformes à introduire dans les institutions publiques destinées à secourir les pauvres ;

« 4° Quelles seraient éventuellement les modifications à introduire dans la législation relative aux indigents. »

- La parole est à M. Frère pour développer sa proposition.

M. Frère-Orban. - Messieurs, l'idée d'une enquête s'est trouvée sur les lèvres de la plupart de mes honorables amis ; une enquête nous paraît indispensable. En effet, le gouvernement est venu poser devant nous l'un des plus graves problèmes qui existent, l'une des questions dont la solution est la plus difficile, une des questions les plus compliquées de l’économie sociale ; et en proposant à la Chambre de détruire le principe de l'unité d'administration et de distribution des secours publics, le gouvernement n’a fourni aucun document, aucune pièce, aucun renseignement qui permît à la Chambre de statuer en connaissance de cause. Nous en avions fait un grief au gouvernement, nous disions qu’une pareille attitude en face d’une telle question dénotait manifestement que, dans sa pensée, la charité ou les pauvres n'étaient ici que le prétexte ; que la loi était une œuvre de parti rien de plus ; qu'il s'agissait non des pauvres, non de la charité, mais des associations religieuses, des couvents à doter.

Nous pensions que cette accusation aurait été repoussée autrement que par de vaines protestations, autrement que par des paroles que les faits démentent. Quelques-uns même ont pensé qu'en demandant une enquête, nous allions offrir au ministère, qui invoque sans cesse les principes de modération et de conciliation, une occasion de prouver qu'il sait les pratiquer.

J'avoue pour ma part que je ne me faisais pas trop d'illusions à cet égard. Je sais ce que cachent toutes ces paroles ; j'ai appris à connaître, par une étude attentive des faits parlementaires, par l'histoire si instructive du système mixte, ce que signifient ces cabinets qui ont l'appui de la droite et qui inscrivent sur leur drapeau la devise menteuse : Modération, conciliation. Ces cabinets sont à la remorque de l'extrême droite ; l'extrême droite est maîtresse de leur destinée. Dans ce débat, c'est encore l'extrême droite qui entraine le cabinet, qui lui impose son joug, qui s'oppose à ce qu'il se rallie à une motion d'enquête.

Et cependant, quelle mesure plus convenable et plus prudente que celle-là à ne considérer que le côté politique de cette affaire et en tenant compte de la situation des esprits dans cette Chambre et dans le pays ? Ne serait-ce pas d'ailleurs une entreprise des plus méritoires que de rechercher quel est l'état du paupérisme en Belgique ? Je le demande au gouvernement ; sait-il quelque chose de certain à cet égard ?

Le gouvernement ne sait rien ; le gouvernement ignore complètement les causes et l'étendue d'un mal auquel il faudrait porter remède. Le gouvernement répondra qu'il y a beaucoup de pauvres, que la misère est grande.

Nous savons tous par expérience qu'en effet il y a un grand nombre de pauvres dans le pays ; mais quelle est leur condition, quelle est leur situation quel est leur nombre ? Qu'a-t-on fait pour eux ? Qu'a-t-on fait pour prévenir la misère ? Qu'a-t-on fait pour la soulager ? Le gouvernement se croit dispensé de nous l'apprendre. Il accepte les yeux fermés, comme réponse à toutes les questions, à toutes les difficultés, à tous les vices, à tous les abus que l'on signale, l'expédient, exigé par l'épiscopat, de la personnification civile aux couvents, les aumônes distribuées par les mains du clergé. Cela fait, tout est dit : la solution est là.

On suppose qu'en provoquant de larges libéralités, sans s'occuper surtout du bon emploi de secours, la misère sera restreinte et plus efficacement soulagée. Mais sur ce point, le gouvernement possède quelques renseignements, quelques indications qui, seuls, semblent appeler déjà une enquête et mériteraient un examen préalable et approfondi. Que nous apprennent-ils ? C'est que dans un grand nombre de localités, ce sont les secours eux-mêmes qui fomentent la misère.

Ainsi, l'exposé décennal de la situation du royaume, après avoir fait la remarque que la statistique présentée jusqu'alors sur l'état de l’indigence dans le pays était manifestement erronée en ce qu’elle comprenait un plus grand nombre d'individus indigents que ceux qui devaient figurer sur les listes ; après avoir fait remarquer que diverses dispositions de notre législation tendent à accroître le nombre des indigents, à l'accroître en apparence, à faire porter un plus grand nombre de pauvres sur les listes en raison des faveurs qu'on accorde à ceux qui y sont inscrits, l'exposé décennal ajoute :

« En étudiant les rapports qui existent dans certaines localités entre (page 1618) le nombre des indigents et l'importance des dotations destinées à leur venir en aide, on observe aussi que ce nombre s'accroît souvent en raison des moyens d'assistance ; plus il y a de secours, plus il y a de demandes ; de telle sorte que si la quotité des aumônes pouvait encore augmenter, il y aurait toujours des mains nouvelles disposées à les recevoir. »

N'y eût-il que ce fait si grave dénoncé par le gouvernement lui-même, ne serait-il pas juste et nécessaire en réalité de l’examiner ?

Ne faut-il pas s'enquérir ; ne faut-il pas rechercher si on ne fait pas fausse voie, si des institutions établies dans des intentions charitables, dans les intentions les plus pures, n'ont pas pour effet d'accroître la misère ?

Ces institutions ont été formées ; depuis 1830, on en a créé, dit-on, en assez grand nombre. Il s'agit de les consacrer. Mais que font-elles ? Quels services rendent-elles à la société ? Les capitaux qui ont été remis dans les mains de ces administrateurs dont vous nous parlez, sont-ils bien employés ? Servent-ils à leur destination ? Le gouvernement est muet. Le gouvernement n'en sait rien. Le gouvernement n'a pas un seul document à soumettre à la Chambre. Et pour vous engager à voter la loi, le gouvernement vient vous dire qu'ultérieurement il vous rendra compte. Il promet de faire connaître aux Chambres, quand elles auront aveuglément voté la loi : « la situation de tous les établissements de bienfaisance, les fondations comprises ; leurs ressources, leurs dépenses, leur personnel, le nombre des personnes secourues dans les établissements, l'importance des secours distribués en dehors des établissements, les frais d'administration, les budgets et les comptes. » Tel est l'engagement que renferme l'un des amendements présentés par M. le ministre de la justice.

Voilà ce que promet le gouvernement après le vote de la loi. Je le demande avant le vote. Je demande, mes amis et moi nous demandons si la bonne foi préside à cette offre, si en effet on veut sincèrement nous donner dans l'avenir les renseignements que l'on indique, nous demandons qu'on nous les donne aujourd'hui.

C'est là le but de l'enquête. Il n'est pas raisonnable de refuser de s'éclairer avant de s'engager. L'enquête nous permettra d'aller examiner la situation des établissements, la situation des fondations, le personnel qui s'y trouve et que nous vous déclarons exubérant dans un grand nombre de cas, tellement exubérant, qu'on est obligé de se taire sur la plupart des faits relatifs à des établissements que l'on veut faire consacrer désormais à perpétuité par la loi comme établissements d'utilité publique.

Remarquez, messieurs, quelle position vous allez prendre, quelle différence vous allez établir entre vous et nous devant le pays. Nous, que voulons-nous ? La vérité. Nous voulons que la lumière se fasse. Vous, vous voulez que la lumière soit mise sous le boisseau ; vous ne voulez pas que l'on examine. (Interruption.) Oui, M. de Mérode, et vous êtes en tête de ceux qui doivent désirer qu'on ne scrute pas trop en pareille matière. Vous avez pour cela d'excellentes raisons.

Messieurs, vous avez attaqué plusieurs fois les administrations officielles, ces administrations qui font mal la charité, qui font une charité pernicieuse. Vous dites tout bas sur vos bancs bien autre chose encore que ce que vous avez dit tout haut. Nous ne sommes pas les protecteurs des abus ; nous ne les défendons nulle part, ni dans les établissements officiels, ni dans les établissements privés. Nous les condamnons partout et nous voulons qu'on aille voir dans les établissements publics comme dans les autres établissements.

Souvent il arrive que par une sorte de fanfaronnade, sans doute, on dit, en parlant des établissements publics : si l'on pouvait pénétrer dans ces établissements, que d'abus on y découvrirait ! Récemment encore votre principal organe, inscrivant en grands caractères, en tête de l'un de ses articles : « Une enquête sur les hospices, » s'exprimait ainsi : « Que M. Thiéfry provoque une enquête sur les faits nombreux articules publiquement depuis plusieurs années et tout récemment encore. Ils n'ont été accueillis que par le silence, et les journaux de la gauche, si habiles à inventer ou à dénaturer les faits à charge de leurs adversaires, ont obéi évidemment à un mot d'ordre en se taisant sur ces points.

« On pourrait en conclure qu'il est plus facile d’injurier M. Malou que de justifier l'administration légale, telle qu'elle se pratique dans les hospices-modèles. C'est aussi n0tire opinion. Cependant si M. Thiéfry est convaincu que les hospices de Bruxelles réalisent le beau idéal au point de vue de l'économie et de la bonne gestion, cette enquête serait d'un grand poids dans le débat législatif. Elle pourrait faire pencher la balance en faveur du système de la minorité. M. Thiéfry a double qualité pour la provoquer : il est membre des hospices, il est membre de la Chambre des représentants L'autorité administrative n'aurait aucun motif de s'y refuser. »

Nous vous l'offrons. Nous demandons, en même temps, à pénétrer dans vos établissements modèles. Et vous allez reculer devant cette enquête, vous allez reculer devant la manifestation de la vérité ! Vous allez nous autoriser à dire, vous allez autoriser le pays à dire que les choses sont si mauvaises, si détestables dans les établissements que vous vantez, que vous refusez de les laisser inspecter !

Messieurs, ce que vous faites aujourd'hui nous indique ce que seront demain, votre loi votée, les discussions relatives aux établissements que vous voulez ériger en établissements d'utilité publique. Vous voulez nous persuader que ces établissements seront soumis à une sorte d'enquête permanente ; qu'ils seront l'objet de rapports fréquents soumis, aux Chambres ; qu'ils seront placés sous un contrôle efficace et sérieux vous proclamez bien haut que vous voulez pour eux le régime de la publicité, et lorsque l'on dénonce les abus les plus déplorables dans un grand nombre d'institutions que vous vantez, vous vous opposez à toute enquête, à tout examen, à toute publicité, a tout moyen de faire connaître la vérité !

Vous essayez de nous faire accroire que vous voulez sérieusement que de pareils établissements soient soumis au contrôle public, et dès qu'un fait est signalé dans cette enceinte, s'il touche de près ou de loin, à un religieux ou à une religieuse, non seulement vous le justifiez, malgré l'évidence même, mais lorsque vous avez nié ce que l'on affirme, vous refusez toute vérification ultérieure.

Quel est le fait que vous n'avez pas contesté ? J'ai parlé de l'établissement de Hooghlede ; je produis des pièces officielles, un document authentique ; je ne me suis servi que de pièces de ce genre pour les faits, que j'ai invoqués un document authentique qui constate que l'on. transformé cet établissement en un couvent, qu'on a renvoyé six sœurs laïques de charité pour y mettre dix-huit religieuses, et que l'on a méconnu ainsi l'intérêt des pauvres et les intentions des bienfaiteurs. Les. faits sont attestés par un rapport officiel adressé à l'honorable M. de Muelenaere, gouverneur de la Flandre occidentale, approuvé par la députation permanente, envoyé sans observation au ministre, qui, se fondant sur les abus constatés par ce rapport, a refusé à la communauté de Hooghlede le subside qu'elle réclamait du gouvernement.

Que faites-vous pour détruire des preuves aussi formelles ?

M. Dumortier vient nous lire une petite lettre anonyme.

M. Dumortier. - Pas du tout. Elle n'est pas anonyme.

M. Frère-Orban. - Elle est au Moniteur, anonyme, (Interruption.) Elle est anonyme pour le public et pour moi, quand vous ne mettez pas la signature au bas de celle lettre.

M. Dumortier. - Vous n'avez pas donné les signatures non plus.

M. Frère-Orban. - J'ai indiqué les signatures qui se trouvent

au bas de toutes les pièces que j'ai invoquées. Elles sont signées du commissaire d'arrondissement, de la députation permanente, du gouverneur, du ministre.

C'est donc une petite lettre anonyme qui sert de réponse à tout. Et puis l'on s'écrie que nous sommes vaincus, que l'on a répondu à toutes nos objections. Aucun fait ne subsiste, voilà, répétez-vous, les histoires de l'autre monde qu'on vient vous raconter ! Et l'on se persuade que l'on détruit ainsi des faits authentiquement constatés ! Nous parlons de Roulers. Je lis un document officiel qui prouve les faits que j'avance. On y oppose triomphalement les explications, les dénégations d'un professeur du séminaire de Roulers. un professeur de théologie et peut-être pas de morale, je n'en sais rien.

M. Dumortier. - Est-ce une insinuation ?

M. Frère-Orban. - Je dis que c'est un professeur de théologie et pas de morale, et vous allez voir ce qui me le fait penser.

On a allégué dans cette enceinte que le clergé avait refusé son concours à l’établissement, qu'il avait refusé de dire la messe dans la chapelle de l’hospice depuis que les religieuses avaient été retirées par celui qui les dirigeait ; que ces religieuses occupaient le premier étage de l'établissement, que les vieillards étaient au grenier, que les religieuses étaient en grand nombre, qu'elles entraînaient des dépenses excessives, qu'il a fallu l'intervention de l'autorité communale et d'une autorité communale qui ne sera pas suspecte de libéralisme (il s'y trouve deux ou trois libéraux), d'une administration composée à peu près exclusivement de vos amis politiques, qu'il a fallu cette intervention pour arrêter les dépenses trop considérables dans lesquelles on était engagé.

Eh bien, malgré les explications et les protestations, on feint de croire, et voilà ce qu'un professeur, non de théologie, mais de morale, ne se permettrait point, on feint de croire qu'il avait été dit qu'on avait refusé les derniers sacrements aux vieillards reçus dans l'hospice. Et là-dessus protestations, réclamations...

- Une voix. - Vous l'avez dit.

- Plusieurs membres. - Ce n'est pas vrai.

M. Rodenbach. - Vous l'avez dit. C'est un fait.

M. Frère-Orban. - L'honorable M. Malou avait, je pense, parfaitement expliqué ce qui s'est passé. Lorsqu'un orateur parle, sa pensée peut être mal comprise, l'expression peut trahir sa pensée, je l'admets ; mais ce que je n'admets pas, ce que je considère comme déloyal,, c'est que cette pensée expliquée.....

M. Malou. - Je réclame la même chose à l'égard de M. Verhaegen, pour l’évêque de Gand.

M. Frère-Orban. - Vous donnerez vos explications, je donne les miennes.

Je vous rends hommage en rappelant ce que vous avez dit : Vous avez reconnu. que l'on avait pu mal comprendre ce que j'énonçais ; vous avez reconnu que mes paroles n'avaient pas été interprétées autour de moi comme quelques membres l'avaient fait auprès de vous ; vous avez reconnu que les explications données sur-le-champ ne permettaient pas d'insister sur une supposition fausse, instantanément démentie et que faisait disparaître incontinent la lecture que j'ai donnée d'un extrait du (page 1619) rapport de la commission des hospices de Roulers, adressé au conseil communal de cette ville.

Or, il y a, à côté de nous des hommes qui ont le malheur d'insister.

Eh bien, donc ce fait est le seul que l'on ait essayé de contredire en le travestissant.

On arrive, non pas le lendemain, lorsque l'erreur eût été possible, mais on arrive plusieurs jours après, avec une lettre adressée à l'honorable M. Dumortier pour faire accroire au public que j'ai avancé un fait matériellement faux. Je dis que, en bonne morale, cela n'est pas bien.

Voilà mon opinion.

Nous avons signalé à Hautrage dans le Hainaut, un établissement de charité absolument et littéralement transformé en couvent, en pensionnat de demoiselles, dans lequel on refuse de recevoir des malades. Nous avons dit que cela résultait de documents authentiques. Nous avons dit que les faits avaient été dénoncés depuis longtemps, depuis très longtemps à l'évêque et qu'ils continuent à subsister, que ces faits ont été dénoncés à M. le ministre de la justice, qu'ils l'ont été l'an passé, qu'ils l'ont été cette année. On se tait. (Interruption.)

C'est dans le Hainaut, à Hautrage, que de pareils scandales sont maintenus.

M. Dumortier. - Je répondrai.

M. Frère-Orban. - Eh bien, j'attends ou que l'on justifie de pareils faits ou qu'on les nie. Je demande qu'il y ait une enquête, que tout cela soit vérifié ; je demande lorsque vous voulez donner la personnification civile à de pareils établissements, lorsque vous posez dans la loi un principe qui entraînera cette conséquence, je demande que vous examiniez.

Du reste, il est bon que le public sache quels sont, sur toutes choses, les procédés de nos adversaires, soit qu'il leur convienne d'absoudre ou de condamner. J'en citerai une preuve, puisque l'occasion s'en présente et que probablement elle ne me serait plus offerte dans cette discussion. Je croyais avoir fait une éclatante justice du mauvais grief qui avait été dirigé contre nous, à propos des religieuses de Ruddervoorde. J'avais démontré qu'en présence d'une jurisprudence invincible, il n'avait pas été possible qu'un bien légué aux pauvres fût remis à une corporation qui n'était pas légalement autorisée, qui n'avait pas la personnification civile ; qu'en agissant autrement, le patrimoine des pauvres eût été compromit.

Le gouvernement n'avait pas le pouvoir de reconnaître une congrégation principalement vouée à l'enseignement.

Eh bien, malgré ce principe évident, l'honorable M. Malou n'en a pas moins persisté dans ses accusations. Or, nous étions conviés par les autorités les plus respectables à remettre ce dépôt aux mains d'une administration civile. Nous suivions en statuant, comme nous l'avons fait, des opinions non suspectes qui avaient devancé la décision du pouvoir judiciaire.

« Sous l'empire, disait-on dans un écrit que nous avons sous les yeux, et même sous le gouvernement des Pays-Bas, l'on admettait que la personnification civile peut être accordée par le chef de l'Etat. Aujourd'hui, il n'en est plus ainsi ; il faut une loi spéciale dans tous les cas où le pouvoir exécutif ne tient pas d'un acte ayant caractère de loi, le droit de constituer des associations, personnes civiles.

« Ce droit résulte pour les hospitalières du décret du 18 février 1809 ; il résulterait pour les sœurs du refuge du décret du 26 décembre 1810, mais l'on ne peut produire aucun acte législatif qui établisse le même droit à l'égard des associations vouées principalement à l'enseignement.

« La circulaire ministérielle du 26 septembre 1811 ne peut évidemment tenir lieu d'une loi. Elle fait connaître quelles sont les associations reconnues par le gouvernement impérial et déclare qu'aucune autre ne doit être tolérée ; mais elle ne peut servir aujourd'hui de base à un acte du gouvernement qui aurait pour objet de reconnaître une association enseignante.

« Je pense que la demande des sœurs bernardines de l'ordre de Cîteaux ne peut être accueillie par le gouvernement. »

Et qui émettait cette opinion conforme à celle que nous avons admise ? C'était l'honorable M. Malou lui-même. Il a soutenu, comme nous, que le gouvernement ne pouvait pas reconnaître ces congrégations principalement vouées à l’enseignement, et il critique aujourd'hui ce qu'il a conseillé lui-même ! Et c'est ainsi que sans souci on a changé d'opinion, de principes, de système, si la nécessité de la situation l'exige, pour défendre les prétentions les moins légitimes, les griefs les moins justifiés de son parti ! A plus forte raison, on nie ou on excuse les abus les plus manifestes, on ne tient aucun compte des faits les plus constants, les plus généraux, les mieux établis, et qui sont de telle nature cependant qu'ils devraient rendre moralement impossible le but de la loi.

Ainsi, messieurs, nous avons indiqué un grand nombre d'établissements dans lesquels le personnel religieux est excessif. On s'aventure à faire des dénégations pour quelques-uns, mais on refuse résolument l'enquête.

Eh bien, nous avons pour certains faits graves les aveux de nos adversaires. L'honorable M. de Haerne lui-même n'a-t-il pas fait connaître, dans une publication récente, que toutes les écoles qu'il qualifie d'écoles privées renferment un personnel presque double de celui qui est reconnu suffisant pour les établissements publics ?

En d'autres termes, la question se pose de cette manière devant vous...

M. de Haerne. - Ce sont des établissements qui ne sont pas reconnus.

M. Frère-Orban. - Ce sont des établissements qu'il s'agit de reconnaître, en faveur desquels on veut permettre des fondations. Vous avez donné la liste de ces établissements pour montrer les merveilles de ce que vous nommez la charité privée et pour justifier les mesures que propose le gouvernement.

Je le répète, dans tous ces établissements le personnel est presque double de ce qu'il est dans les établissements publics (interruption) ; il y a 38 élèves par instituteur, me dit l'honorable M. de Haerne ; eh bien, il y en a 69 par instituteur dans nos établissements. (Nouvelle interruption.)

Vous trouvez que c'est trop ; or, si nous venions proposer ici, en discutant le budget de l'intérieur, de doubler le nombre des instituteurs et des institutrices, que diriez-vous ? Vous diriez que c'est le gaspillage des deniers publics, que c'est une dilapidation. (Interruption.)

Oui, dit l'honorable M. Coomans ; eh bien, il y a un fonds des pauvres qui est dans les mains de ceux qui donnent ces enseignements, et il faut bien que ce fonds des pauvres serve en partie au personnel, et par conséquent le gaspillage et la dilapidation devant lesquels vous reculeriez, s'il s'agissait des établissements publics, vous l'admettez pour les fondations. Un pareil état de choses pour les écoles vous indique déjà suffisamment, à part les faits qui vous ont été communiqués, comment s'épuisent dans d'autres établissements de charité les dotations destinées aux malheureux.

Une enquête sur tous ces faits, sur la vaste question qui nous est soumise, aurait-elle de quoi effrayer la Chambre ?

C'est, dit M. le ministre de l'intérieur, l'ajournement de la loi ; c'est l'ajournement pour s'éclairer, pour connaître la vérité. Les écoles dentellières, dont j'ai également parlé, n'est-ce pas un objet qui méritait d'être scrupuleusement, attentivement examiné ?

Quant aux écoles dentellières j'ai eu une réponse ; elle est de l'honorable ministre des affaires étrangères. Il a cité une école sous sa direction ; il en a rendu un compte assurément très intéressant et très satisfaisant ; mais je ne pense pas que lui-même ait voulu conclure de son école en 200 ou 300 écoles qui existent dans le pays ; il nous a dit que dans son école il y a deux heures réservées pour l'instruction ; c'est peu ; mais en est-il de même ailleurs ?

« Quand les filles ont quatre ou cinq ans, on les envoie à l'école dentellière, on leur met dans les mains un carreau ; elles font de la dentelle et sont clouées à ce travail ; elles y consacrent toute leur vie. Mais l'enseignement intellectuel est nul dans ces établissements. On n'apprend à ces jeunes filles qu'à faire de la dentelle. On ne leur enseigne pas même les travaux manuels dont elles auront un jour besoin dans leur ménage. Non ! la dentelle, exclusivement la dentelle. » Voilà ce qu'est venu déclarer, ici même, il y a deux mois à peine, notre collègue M. de Breyne.

Qu'a répondu M. le ministre de l'intérieur ? C'est un fait sur lequel on a cru pouvoir me contredire.

« Le gouvernement, a-t-il dit, accorde depuis de longues années de légers subsides à un grand nombre de ces institutions. Mais du moment où l'on parle d'organiser dans ces institutions l'enseignement primaire à donner sous le patronage du gouvernement, en général elles seraient disposées à abandonner le suicide plutôt que de se prêter à cette immixtion du gouvernement. Il y a là des susceptibilités à respecter. Cependant il y a aussi à sauvegarder le grand intérêt social de l'enseignement primaire, et à introduire des classes dans ces écoles. »

Et il s'agit d'autoriser ces établissements à recevoir des dotations, des fondations ! (Interruption.) Inutile de le nier ; le droit en leur faveur est prescrit dans le projet de loi. Et je veux contester les faits, malgré les aveux catégoriques de M. le ministre de l'intérieur, vous refuserez, d'examiner si ces établissements sont dans des conditions qui permettent de les déclarer des institutions d'utilité publique ! vous refuserez d'examiner s'ils ne couvrent pas de véritables spéculations.

Ce mot a indigné l'honorable M. Dumortier, qui, du reste, s'indigne facilement. Voici ce qui se passe : les fabricants traitent directement avec les personnes qui dirigent l'école ; ils font un prix pour les dentelles qui doivent leur être fournies.

De ce prix, quelle est la somme qui va à l'élève ? On l'appelle élève, c'est ouvrier qu'on devrait dire, Voilà la question. Je demande que cette question soit éclaircie. Je demande que ce qu'on appelle la charité sous cette forme nous explique ses secrets. Si vous dites que ce sont des établissements publics, vous me permettrez de scruter, d'examiner ce qui s'y passe ; nous verrons s'il n'y a pas une différence notable entre le salaire qui reste aux mains de ceux qui dirigent l'établissement et le salaire qui passe aux enfants, aux ouvriers.

L'admission dans ces établissements paraît gratuite. On présente les écoles sous cette apparence charitable, c'est une apparence, la gratuité n'existe pas en réalité : un élève est admis, il commence son apprentissage ; dès qu'il parvient à gagner quelque chose, fût-ce 2 fr. par mois, on prélève sur ce salaire une somme de 50 à 75 centimes, représentant (page 1620) l'écolage. Si cela est comme me l'ont affirmé des personnes qui connaissent bien ces institutions, n'aurions-nous pas quelque chose à reprendre dans cette charité-là ? Voilà pourquoi aussi il ne faut pas arracher les enfants au travail pour leur donner de l'instruction. Si le temps nécessaire était donné à l'enseignement, que deviendrait le bénéfice ? Et il faut qu'il soit assez élevé, car pour beaucoup d'écoles, le personnel des religieuses est trop considérable. Avant de doter de pareils établissements, avant de les placer, comme œuvres de charité, sous le patronage du gouvernement, ne convient-il pas de s'éclairer ? Ne sont-ce pas là des raisons concluantes en faveur d'une enquête ?

Dans d'autres pays, quand on a statué sur cette redoutable question du paupérisme, on s'est livré à de longues et minutieuses enquêtes ; en Angleterre, la réforme de la loi sur les pauvres en 1834 a été précédée d'une immense information. Tous les faits ont été scrutés ; les hommes spéciaux, ont été entendus. On a examiné la situation d'une manière approfondie ; et l'on est arrivé ainsi à une réforme qui a eu pour résultat une réduction de taxe, une diminution considérable du nombre des individus secourus par la charité publique.

Qui peut affirmer que l'examen de notre situation ne conduirait pas à des résultats analogues ; qui peut affirmer que cette plaie du paupérisme qui s'accroît, selon vous, ne peut pas être circonscrite dans de plus étroites limites ?

En Angleterre on a fait des enquêtes sur les fondations charitables ; on a examiné comment elles étaient administrées, ce que les biens produisaient, quels résultats on pouvait attendre, quels remèdes on pouvait apporter aux maux signalés.

Eu Belgique, par tous les points, ou ne veut pas vous éclairer. Il existe depuis 1830 et même depuis une époque plus éloignée, des fondations plus ou moins considérables, nous ne savons pas comment elles sont administrées, nous n'avons pas un compte, pas le moindre élément d'appréciation !

En Angleterre, quand on a examiné toutes ces fondations, on a trouvé de prétendues écoles dont les revenus tournaient au profit des gérants ; des hospices où il y avait des directeurs et des administrateurs sans enfants ni malades, des écoles fermées ou bien des maîtres ignares ou ivrognes. Comment pouvez-vous affirmer qu'il n'existe rien à réformer ? Vous affirmez sans le savoir, en aveugles, car le gouvernement lui-même n'a pas un seul dominent à nous soumettre à cet égard.

Qu'avez-vous, en définitive, à nous proposer ou plutôt à nous imposer ? Allons au fond de vos consciences. Vous avez cette pensée que vous, croyez bonne, que vous croyez salutaire pour la société, c'est que les couvents doivent soulager la misère des populations, vous le croyez de bonne foi. Hélas ! cette panacée, que vous croyez si utile, a déshonoré et ruiné l'Espagne et l’Italie.

Cependant, si ces institutions, qui ont de si puissants moyens de se maintenir, avaient été réellement bonnes, croyez-vous qu'elles n'auraient pas opéré quelque bien sur un coin quelconque du globe et que l'histoire n'en aurait pas gardé le souvenir ? Mais, non rien, rien dans le passé qui les justifie connue moyen de soulager la misère, rien qui les justifie dans le présent. N'existent-elles pas dans d'autres pays ? la misère est-elle moins intense dans les Etats romains qu'en ce pays ?

Les institutions que vous voulez rétablies comme établissements privilégiés ont existé chez nous sous le règne de Marie Thérèse, ce règne que vous voulez et qui représente à vos yeux le temps le plus heureux pour les Belges.

Il y avait alors incomparablement plus de pauvres dans les Flandres qu'aujourd’hui. Et vous voulez que nous acceptions, que le pays reçoive avec reconnaissance cet antique et déplorable système qui a échoué partout !

Une chose universelle est une vérité. Et qu'y a-t-il de plus universellement reconnu, après plus de mille ans d'indépendance, que l'impuissance des couvents à soulager la misère des populations ? Ils n'ont jamais réussi au contraire qu'à l'aggraver ? Et vous voulez que l'on vous suive dans la voie où vous voulez entraîner le pays ? Mais votre loi porte en germe un véritable danger social. Que dites-vous quand vous encouragez les fondations ? Vous dites : Si les riches donnaient plus, il y aurait moins de pauvres ; les riches ne donnent pas assez.

C'est une déplorable idée lancée dans les masses ignorantes et souffrantes ; c'est une idée fausse et dangereuse, car vous faites désirer et vous faites espérer ce que vos institutions ne peuvent pas donner. Votre système a pour base une grande erreur économique. Non, il n'est pas vrai que si les riches donnaient tout ce qu'ils possèdent, on opérerait un bien appréciable dans la société.

Supposez, en effet, que le sol entier de la Belgique fût mis en fondations, qu'auriez-vous par tête d'habitant en supposant qu'il fût aussi bien exploité, qu'il connut un produit aussi considérable aujourd'hui ?

Vous auriez 80 francs par tête d'habitant de revenu réel, produit par la rente de la terre. Que pouvez-vous donc espérer des fondations ? Elles peuvent en certaines limites faire quelque chose, mais précisément le bien qu'elles peuvent faire est tellement circonscrit qu'il ne faut pas en laisser distraire la moindre parcelle.

On suppose, lorsqu'on raisonne comme vous le faites, que les richesses sont beaucoup plus considérables qu'elles ne le sont en réalité. Ce qui est grand dans le monde, ce qui est immense, c'est le travail.

Mais la richesse acquise depuis six mille ans est insignifiante eu égard aux besoins des masses. On mettrait tout le soi en fondations ; on y joindrait toutes. Les richesses mobilières acquises que l'on peut évaluer à une somme égale au capital immobilier, que vous n'auriez encore qu'un revenu insignifiant à donner aux populations : Voilà pourquoi l'œuvre des couvents n'a jamais réussi et ne réussira jamais. Les couvents exigent un énorme capital dans des mains qui ne travaillent pas. Un tel état de choses fait bientôt naître les plaintes légitimes des. masses. Elles se plaignent de voir leur misère grandir à mesure que la concentration devient plus forte au profit des corporations.

Mais la plus grande partie de ce que ceux-ci possèdent est absorbée par leurs propres besoins. Alors pour paraître faire un bon emploi du revenu des fondations sur lesquelles on avait compté pour diminuer la misère, on répartit l'excédant en misérables aumônes, jetées au hasard sans discernement et sans intelligence, ce qui, de toutes les charités, est la plus pernicieuse qui puisse se faire dans le pays.

Veuillez y réfléchir sérieusement, c'est sur une erreur économique, sur une fausse idée quant à la valeur des richesses que toutes les institutions dont vous nous parlez sont établies. Elles échouent par là, elles échouent du grand dommage de la fortune publique, parce que vous détournez une grande partie de votre capital pour l'affecter à des institutions que vous appelez des institutions d'utilité publique, et qui ne peuvent guère servir qu'à l'entretien de ceux qui les desservent. Vous ne pouvez faire autre chose que d'aggraver la misère par des secours qui détournent du travail, un grand nombre d'hommes absorbent une forte partie du capital national.

Et voici, comme conséquence, une considération que je vous soumets, et qui se lie étroitement à la motion d'enquête. Le personnel, lorsqu'il s'agit de fondation, est une des questions les plus importantes qui puissent se présenter. Je vais vous en faire juger.

Nous avons accumulé depuis cinq ou six siècles une masse de fondations au profit des hospices et des hôpitaux. Je parle exclusivement de ces institutions. Que représente le revenu de ces fondations de cinq ou six siècles ? Cinq millions de francs de revenu.

Vous nous parlez d'un grand nombre de gens destinés à porter des secours, à veiller sur les malades, à soigner les indigents. Combien faut-il pour nourrir dix mille religieux ou religieuses ? Cinq millions de francs.

Cette somme se prélève sur le revenu des fondations. Eh bien, cette somme est précisément le revenu des fondations accumulées depuis cinq siècles.

M. Coomans. - Pour dix mille rentiers, il faut dix fois plus.

M. Frère-Orban. - Sans doute ! Mais voici la grande différence : le rentier consomme ce qu'il a amassé ou ce que ses parents ont amassé pour lui. Il est, à ce titre, un véritable créancier de la société.

M. Coomans. - Et les moines aussi. (Interruption.)

M. Pierre. - Vous faites des rentiers aux dépens des pauvres.

M. Frère-Orban. - Les moines aussi, dit-on, c'est une erreur. Vous ne pouvez pas prétendre que les moines sont des rentiers. S'il y a des rentiers parmi eux, c'est assurément une très rare exception. C'est surtout l'exception, j'imagine, parmi ceux qui font vœu de pauvreté. (Interruption.)

Il faut bien qu'ils prélèvent quelque part ce qui est indispensablement nécessaire à leur subsistance, à leur entretien. Or si l'on établit à 500 fr. la dépense de chacun d'eux...

M. de Mérode-Westerloo. - La dépense est de 400 fr.

M. Frère-Orban. - Nous mettrons quatre millions de francs. Je ne tiens pas à discuter ce chiffre ; mon argument subsiste dans toute sa force. Il faut prendre ces quatre millions quelque art. Si vous avez des fondations, ils se prélèveront sur les fondations. Par conséquent il faut que vous preniez quatre millions de francs annuellement, seules ressources disponibles avant de pouvoir rien donner aux malheureux. Or, s'il est vrai, comme nous le prétendons, et comme des faits nombreux et manifestes autorisent à le croire, s'il est vrai que dans une foule d'établissements il y a exubérance de personnel, il y aurait folie à espérer de soulager ainsi la misère, et un pareil emploi des fonds de charité n'aura d'autre résultat que d'aggraver les charges des communes sur lesquelles vous continuez à faire peser l'obligation de secourir les pauvres.

Il faut donc que la Chambre examine avec le plus grand scrupule, avec une pieuse sollicitude, tous les faits qui sont relatifs à la loi qui nous est proposée. Il n'y a point de prétexte ou de raison, si l'on veut, il n'y a point d'excuse qui puisse motiver une décision défavorable à l'enquête.

M. Wasseige (pour un fait personnel). - Je suis de ceux qui, avec mes honorables amis MM. Rodenbach et Dumortier, avaient pensé que l'honorable M. Frère, dans le premier discours qu'il avait prononcé, en parlant de l'hospice de Roulers, avait dit que le concours du clergé était refusé à cet établissement, que les malades qui y étaient admis étaient privés des secours de la religion.

J'avais pensé qu'on ne pouvait comprendre par là que la privation des sacrements, la seule chose que l'on entende en effet par secours de religion dans le langage usuel. (Interruption.)

Cependant démenti sur ce fait par la presque unanimité de la gauche, je résolus de m'assurer de la vérité pour rendre moi-même loyalement (page 1621) hommage à l'honorable M. Frère, si je m'étais trompé ! Je me suis donc rendu dans les bureaux du Moniteur et j'ai demandé la copie de la sténographie du discours de l'honorable membre ; mais elle ne s’y trouvait pas, elle avait été portée directement dans les bureaux de l’Indépendante.

Je vis donc le compte rendu de l'Indépendance et j'y acquis une première preuve que je ne m'étais pas trompé, attendu qu'il portait que les malades qui se trouvaient à l’hospice de Roulers étaient privés des secours de la religion.

Le lendemain, je me rendis de nouveau au Moniteur, et voici l'extrait officiel qui m'a été remis par le directeur du Moniteur.

« Extrait des épreuves du discours de M. Frère-Orban dans la séance du 12 mai 1857 d'après le compte rendu sténographié.

« Eh bien, que se passait-il en présence de cette situation ? Malgré des démarches actives et verbales, le concours du clergé a été retiré à cet établissement. Les malheureux qui y sont secourus n'ont pas les secours ecclésiastiques. »

J'ai eu le droit de conclure de là que mes honorables amis et moi nous ne nous étions pas trompés.

J'en ai d'ailleurs pour preuve la irrécusable phrase suivante qui dans le compte rendu des Annales parlementaires remplace celle dont je viens d'avoir l'honneur de vous donner lecture d'après l'extrait certifié conforme de la sténographie.

« Eh bien, que se passe-t-il en présence de cette situation ?

« Malgré des démarches actives et réitérées, verbales et écrites, le concours du clergé a été retiré à cet établissement. Les malheureux qui y sont secourus n'ont plus d'ecclésiastique pour desservir la chapelle de l'établissement. »

J'admets parfaitement l'interprétation de la pensée de l'orateur. par l'orateur lui-même. Mais ici je suis fondé à dire que l'honorable M. Frère a reconnu lui-même qu'il s'était trompé en fait, ou que ses expressions pouvaient au moins nous induire en erreur, puisqu'il les avait changées complètement et remplacées par d'autres, s'appliquant à une autre idée dont il n'avait pas été dit mot. Jusqu'alors je suis heureux de ce résultat et j'en félicite hautement M. Frère, mais je maintiens que ses premières expressions devaient nous induire en erreur.

M. Frère-Orban. - La Chambre se souvient parfaitement qu'au moment où j'ai prononcé les paroles dont parle l'honorable M. Wasseige, ma pensée a été expliquée sur l'interruption de l'honorable M. Rodenbach.

M. Rodenbach. - Après coup.

M. Prévinaire. - On ne pouvait l'expliquer avant.

M. Frère-Orban. - J'ai donné lecture incontinent dans la même séance, immédiatement après, une seconde après l'interruption de l'honorable M. Rodenbach, j'ai donné lecture de l'extrait du rapport officiel qui expliquait parfaitement ces faits. Il n'y avait donc plus d'équivoque possible et j'ai modifié l'expression d'où l'on avait voulu la faire naître. Je n'admets pas après cela qu'on puisse encore prétendre, comme l'a fait tantôt M. Wasseige, que j'avais dit que le clergé refusait aux malades les sacrements, paroles que je n'ai point prononcées. Je vous ai contesté que vous ayez pu mal interpréter ou mal comprendre. Mais je n'admets pas que plusieurs jours après, lorsque des explications ont été données instantanément, vous puissiez encore persister, et vos explications d'aujourd'hui ne font qu'attester votre contusion.

M. Dumortier. - Il y a quelque chose d'étrange dans ce qui se passe relativement à rétablissement de Roulers. C'est un fait positif et aujourd'hui bien établi, que l'honorable membre qui vient de se rasseoir, a déclaré et a indiqué comme un grief que l'on refusait les secours religieux à l'établissement des hospices de Roulers depuis que les sœurs en étaient parties.

Mais l'honorable membre prétend que sa rectification étant venue ensuite, nous ne devions plus nous occuper de ses paroles, telle rectification, je ne l'ai pas entendue, mais je demanderais alors volontiers à l'honorable membre, quel est le grief dont il se plaint vis-à-vis du clergé de Roulers.

De quoi vous plaignez vous ? Comment ! à chaque séance, et tout à l'heure encore, vous êtes revenu sur cette question comme sur un grief scandaleux. Je vous ai donné lecture hier de la lettre d'un des hommes les plus honorables, les plus éminents, les plus respectables et les plus dignes de foi, que possède la ville de Roulers, l'honorable M. Van Hove, professeur de rhétorique an collège de Roulers, et l'on vient nous dite que c'est un professeur de théologie, mais que ce n'est pas un professeur de morale, semblant ainsi jeter du louche sur la moralité de sa déclaration. Et cela pourquoi ? Parce que cet honorable professeur a fait connaître ce que l'honorable M. Frère a avoué aujourd'hui qu'après que les sœurs avaient dû quitter rétablissement, l'aumônier avait aussi dû quitter, et que la chapelle avait été transformée en un dortoir ; que dès lors il n'y avait plus moyen d'y dire la messe, mais que les secours à donner aux malades n'ont jamais manqué. Voilà les faits dans toute leur exactitude.

Quel est donc votre grief ? Pourquoi accusez-vous en quelque sorte cet honorable professeur d'immoralité ? Pourquoi ? Parce que vous ne voulez pas reconnaître que vous avez eu tort ; parce que vous vous êtes trompé, ou que vous avez été trompé en disant que le clergé refusait de rendre les devoirs de son office et que vous ne voulez pas l'avouer.

M. Frère-Orban. - Je maintiens tout ce que j'ai dit.

M. Dumortier. - Qu'est-ce que vous maintenez ? Dites-le. Maintenez-vous qu'on refuse à Roulers les secours religieux aux malades Oui ou non ?... Vous ne répondez pas. Vous ne le maintenez pas, puisque vous avez modifié votre discours, et que vous ne me répondez pas. Ce que vous maintenez, c'est qu'on ne dit plus la messe à l'hospice de Roulers. Mais pourquoi ne faites-vous pas le même reproche à l'honorable M. Thiéfry et aux membres des hospices de Bruxelles qui ne laissent pas dire la messe à l'hôpital de Bruxelles ? Et pourquoi ne dit-on plus la messe à l'hospice de Roulers ? Parce que l'on a laissé partir l'aumônier, parce que l'on a transformé la chapelle en dortoir.

Vous n'avez donc rien dit qui vaille. Ce qui le prouve, c'est que vous n'osez pas dire maintenant ce que vous maintenez, et que vous avez été obligé de rétracter ce que vous avez dit. On ne dit plus la messe à l'hospice de Roulers, je vous en dis le motif ; mais quant aux secours religieux à donner aux malades et qui ont été l'objet de vos déclamations, ils ont été continués comme par le passé et jamais, jamais ! aucun malade n'est mort sans les secours religieux.

L'honorable membre est venu nous dire que pour l'affaire d'Hautrages, on ne lui avait pas répondu. Pourquoi ne lui a-t-on pas répondu ? Parce que personne ne s'attendait à voir traduire à la barre de cette Chambre des personnes qui ne sont pas fonctionnaires publics, et qui n'ont rien à démêler dans nos débats. Mais puisque l'honorable membre insiste, je combattrai l'honorable M. Frère par son ancien collègue l'honorable M. de Haussy ; je tiens en main la lettre écrite par l'honorable M. de Haussy au sujet de cette affaire. L'honorable membre vient de dire qu'un établissement de charité avait été transformé en couvent et qu'on refusait d'y recevoir des malades.

Mais pourquoi ne faites-vous pas le même reproche à l'honorable M. Thiéfry et aux membres des hospices de Bruxelles, qui ne laissent pas dire la messe à l'hôpital de Bruxelles ? Et pourquoi ne dit-on plus la messe à l'hospice de Roulers ? Parce que l'on a laissé partir l'aumônier, parce que l'on a transformé la chapelle en dortoir.

Vous n'avez donc rien dit qui vaille. Ce qui le prouve, c'est que vous n'osez pas dire maintenant ce que vous maintenez, et que vous avez été obligé de rétracter ce que vous avez dit. On ne dit plus la messe à l'hospice de Roulers, je vous en dis le motif ; mais quand aux secours religieux à donner aux malades et qui ont été l'objet de vos réclamations, ils ont été continués comme par le passé et jamais, jamais, aucun malade n'est mort sans les secours religieux.

L'honorable membre est venu nous dire que pour l'affaire d'Hautrages, on ne lui avait pas répondu. Pourquoi ne lui a-t-on pas répondu ? Parce que personne ne s'attendait à voir traduire à la barre de la Chambre, des personnes qui ne sont pas fonctionnaires publics, et qui n'ont rien à démêler dans nos débats.

Mais puisque l'honorable membre insiste, je combattrai l'honorable M. Frère, -par son ancien collègue M. de Haussy. Je tiens en main la lettre écrite par l'honorable membre M. de Haussy au sujet de cette affaire. L'honorable membre vient de dire qu'un établissement de charité avait été transformé en couvent et qu'on refusait d'y recevoir des malades.

Eh bien, je tiens en mains une lettre de M. de Haussy datée du 27 avril 1848, lorsque M. Frère était au ministère à côté de lui. Voyons ce que va dire M. de Haussy de cette affaire, et certes, vous ne récuserez pas son témoignage. Je ne lirai pas toute cette lettre qui est très longue, mais je ferai connaître la finale. Voici comment l'ancien ministre de la justice, M. de Haussy, très peu favorable aux associations religieuses, répond au gouverneur du Hainaut :

« D'après les considérations qui précèdent, il me paraît, M. le gouverneur, que les revenus de l'établissement reçoivent la destination voulue par le fondateur dans les limites des lois nouvelles, et je ne pense pas qu'il y ait lieu d'y rien changer à cet égard. »

Ainsi voilà l'aveu de M. de Haussy, après enquête : reconnaissance que les fonds reçoivent leur destination.

Il continue :

« En effet, il ne serait pas possible, ce me semble, d'ouvrir un hôpital au moyen de la faible dotation actuelle des établissements, lors même qu'elle serait entièrement affectée à cet objet ; un revenu annuel de 3,150 francs ne paraît pas suffisant pour une institution de cette nature.

« Mais l'acte de fondation s'oppose à ce que l'on fasse un semblable emploi de tout ce revenu, car il a été établi des services religieux qui doivent être exonérés conformément au décret impérial du 19 juin 1806. Si l'on défalque ces charges obligatoires, le revenu de 3,150 fr. se réduit à peu de chose, et il y aurait dès lors moins de disponibilité encore à ouvrir et à entretenir un hôpital. »

Et l'honorable ministre ajoute :

« Il résulte de ce qui précède que l'établissement d'Hautrages n'est pas en fait un hospice dans le sens du mot, mais plutôt une maison de sœurs hospitalières qui soignent les malades de la commune à domicile, et qui, pour subvenir à leurs besoins, tiennent des pensionnaires malades, ou infirmes et donnent l'éducation aux enfants des deux sexes. »

Voilà donc le démenti le plus formel de la parole que vous venez d'entendre, et ce démenti est donné par M. de Haussy lui-même, le collègue de M. Frère au ministère de 1847.

Et après cela on vient dire : « L'établissement de charité a été transforma en couvent et on refuse d'y recevoir des malades, » tandis que l'acte d'institution, reconnu par M. de Haussy, déclare en termes les plus exprès que l'établissement n'est destiné qu'à servir les malades à domicile. Cet (page 1622) acte déclare que l’établissement n'a qu'un revenu de 3,150 fr. et que si l'on défalque de ce revenu les charges qui le grèvent il se réduit à très peu de chose.

Votre assertion est donc condamnée par M. de Haussy lui-même, votre ancien collègue de la justice, celui qui était si complaisant pour poser des actes selon votre cœur. Je m'arrêterai là.

Quant à la proposition faite par l'honorable M. Frère, la proposition d'enquête, je ferai seulement une observation. Quand l'honorable membre était ministre, il a fait connaître à la Chambre qu'un projet de loi serait présenté sur la question que nous discutons depuis un mois et l'honorable membre n'a pas pensé alors qu'il y eût lieu de faire une enquête.

Quand les honorables MM. de Brouckere et Faider sont venus présenter, il y a quatre ans, un projet de loi sur la charité, l'honorable membre n'a pas soupçonné qu'il y eût lieu de faire une enquête.

Quand l'honorable M. Nothomb est venu, il y a environ deux ans, présenter le projet que nous discutons en ce moment, l'honorable M. Frère n'a pas soupçonné qu'il y eût lieu de faire une enquête. Ce projet de loi ainsi que le précédent ont été examinés dans les sections, et il n'a pas été question d'enquête ; ils ont été examinés par la section centrale, et il n'a pas été question d'enquête.

Nous discutons depuis plus de quatre semaines, et c'est seulement aujourd'hui qu'on imagine la nécessité d'une enquête.

Je dis, messieurs, que c'est là un moyen dilatoire dont la Chambre aura faire justice.

M. Frère-Orban (pour un fait personnel). - L'honorable M. Dumortier me demande ce que je maintiens des faits relatifs à l'hospice de Roulers. Je maintiens que les malheureux vieillards étaient relégués au grenier, où ils souffraient du froid en hiver, de la chaleur en été, et que 17 religieuses, d'abord, ensuite 13, occupaient le premier étage de l'établissement, je le maintiens.

Je maintiens que l'autorité civile ayant constaté ces faits, en ayant été justement émue pour ne pas dire indignée, a jugé qu'il y avait des mesures à prendre ; je maintiens que les dépenses qu'entraînaient les religieuses qui avaient le premier pour couvent, étaient excessives, et que le conseil communal a confié à la commission des hospices le soin d'administrer directement cet établissement. Je maintiens que les religieuses n'ont pas été expulsées de cet établissement, qu'elles l'ont quitté volontairement, après quelques conflits, pressentant peut-être que leur nombre allait être nécessairement restreint.

Je maintiens que la dépense, qui avait été de 17,000 fr. l'année précédente, a été réduite à 11,000 fr.

Je maintiens que le service qui avait exigé dix-sept religieuses et treize en dernier lieu, est aujourd'hui admirablement fait par cinq sœurs laïques de charité.

Je maintiens que les vieillards sont descendus du grenier au premier étage depuis que le couvent est supprimé. Voilà ce que je maintiens.

Ce sont des faits que j'ai indiqués, que vous n'avez pas contredits et que vous n'oseriez pas contredire ; ce sont des faits pour lesquels, au besoin, je demande encore l'enquête.

J'ai ajouté qu'en présence des prédits faits et parce qu'on avait ramené les vieillards du grenier au premier étage, parce que l'autorité civile avait pris des mesures de bonne administration, l'autorité religieuse, c'est un scandale ! a refusé de dire la messe dans l'établissement.

Voilà ce que j'ai dit, voilà ce que je maintiens.

Ces faits que j'ai énoncés dans cette Chambre, je les ai énoncés comme j'ai l'habitude de le faire, c'est-à-dire après examen, de bonne foi, loyalement, ayant les preuves sous les yeux.

Et lorsque, suivant votre conscience, cherchant à relever ou une expression, ou une date, ou le titre d'un chapitre, comme on vous l'a vu faire par l'organe de l’honorable M. de Haerne, vous vous êtes attachés à m'attribuer, malgré mes protestations, une énonciation que je n'ai pas cessé de repousser ; lorsque vous avez voulu induire de cette contre-vérité flagrante que j'avais rapporté des faits inexacts, la commission des hospices de Roulers a solennellement démenti vos assertions.

La commission des hospices de Roulers, tout entière, a déclaré à cette Chambre que tous les faits que j'avais rapportés étaient scrupuleusement exacts, étaient en tout conformes à la vérité. Voilà ce que signifie cette lettre. (Interruption.) On me convie à la relire.

(L'orateur donne lecture.)

M. Rodenbach. - Je les connais bien.

M. Frère-Orban. - Vous les connaissez ! Eh bien, ces gens sont incapables de mentir, ils disent la vérité.

M. Rodenbach. - Ils exagèrent.

M. Frère-Orban. - Ah ! l'autre jour c'était inexact, aujourd'hui c'est de l'exagération.

Eh bien, je dis que quand de pareils faits sont signalés et qu'il se trouve quelqu'un sur vos bancs pour les excuser, ou les couvrir de sa protection, c'est une chose déplorable.

Je dis qu'en présence de pareils faits il ne faut pas refuser l'enquête ; il faut examiner ce qui se passe dans vos établissements de charité ; il faut constater comment est appliqué le patrimoine des pauvres, et vous ne serez pas absous par le pays d'avoir refusé l'enquête. (Applaudissement dans la tribune publique.)

M. le président. - Huissiers, faites évacuer la tribune publique. (Les huissiers exécutent l'ordre de M. le président.)

M. Frère-Orban. - Le deuxième fait est celui qui est relatif à l'hospice d'Hautrages. A cet égard on vient, en désespoir de cause, lire une lettre que je ne connais pas, et qui, sans doute, a été faite d'après un exposé inexact, comme il y en a eu plus d'un dans cette affaire. Or, cette fois, nous pouvons aisément nous éclairer. Je demande le dépôt des pièces sur le bureau.

M. Dumortier. - Les voilà !

M. Frère-Orban. - Non pas ! non pas ! Je demande que M. le ministre de la justice dépose le dossier relatif à l'affaire d'Hautrages, y compris les derniers rapports de la députation permanente du Hainaut ; car il y a eu une instruction nouvelle qui a fait, enfin, connaître la vérité.

Je me contente de la lecture de ces rapports, je serai parfaitement satisfait quand la Chambre en aura connaissance. Et si vous ne voulez pas encore de ce moyen d'enquête, je vous offre d'aller voir, je vous offre d'aller visiter cet hospice transformé en couvent.

M. Thiéfry. -Lorsque j'ai entendu hier l'honorable M. Dumortier affirmer que l'administration des hospices de Bruxelles empêchait de dire la messe à l'hôpital St Jean, je n'ai pas voulu lui répondre ; j'ai pensé que personne ne croirait à l'exactitude de ce fait ; mais aujourd'hui l'honorable membre va plus loin, ce n'est plus l'administration qui met obstacle à la célébration du service divin, c'est M. Thiéfry, c'est moi qui ne permets plus qu'on dise la messe à St-Jean ! C'est là, en vérité, plus qu'une erreur, et je me bornerai à demander à l'honorable membre pourquoi les hospices payeraient un aumônier, si ce n'était pour dire la messe.

M. Dumortier a lu hier une lettre en réponse à certains faits qui se sont passés à Roulers. Elle était, à mon avis, la justification la plus complète de ce qu'avait avancé M. Frère ; mon honorable ami avait assuré qu'on ne célébrait plus l'office divin dans l'hospice de Roulers, et M. Dumortier, pour excuser la conduite du clergé, s'est écrié que les religieuses étant parties, il n'y avait plus lieu d'y dire la messe. C'est encore là une grande erreur, les hospices payent un aumônier pour dire la messe pour les pauvres de l'établissement. C'est ainsi qu'il y a à Bruxelles un hospice pour les orphelins, où il ne se trouve pas une seule religieuse et pourtant un prêtre y dit la messe tous les dimanches, et il y donne aussi l'instruction religieuse.

Quoique je n'aie la parole que pour un fait personnel, j'en profiterai cependant pour appuyer la proposition d'une enquête. Le principal organe de la droite disait, il y a peu de jours, vous l'avez entendu tout à l'heure, que M. Thiéfry devrait demander une enquête sur les actes de l'administration des hospices de Bruxelles. Eh bien, oui, je la demande cette enquête, et si elle a lieu, elle prouvera combien sont injustes ces attaques de ce méchant journal, qui, en relatant certains actes de l'administration des hospices, savait bien qu'il écrivait une calomnie !

M. Malou, rapporteur. - Messieurs, je me propose de soumettre à la Chambre, tous les faits personnels étant finis, quelques observations sur la motion de l'honorable M. Frère. (Bruit dans la tribune publique qui continue à s'évacuer.)

M. Delfosse. - M. Malou devrait attendre quelques instants, avant de continuer ; nous désirons l'entendre.

M. Malou, rapporteur. - J'aurais compris à la rigueur la proposition, mais je l'aurais combattue ; je l'aurais comprise, si elle avait été faite au début de la discussion. Aujourd'hui, lorsque nous avons consacré quatre semaines à examiner le principe du projet de loi, lorsque de toutes parts nous avons vu attaquer ce principe comme intrinsèquement mauvais, lorsque nos honorables adversaires se refusaient même à discuter les amendements qui pourraient l'améliorer, la proposition d'enquête n'est plus que le rejet, moins la franchise.

Messieurs, je comprends, j'accepte toutes les conséquences, les nécessités d'une discussion politique. Dans cette Chambre, nos honorables adversaires et nous, nous savons parfaitement ce que nous voulons. Les uns veulent le principe de cette loi, ce principe qui a pour lui tout notre passé, moins dix ans ; d'autres membres veulent le système de 1847 ; eh bien, votons sur le projet, mais votons.

Messieurs, j'invoque une règle élémentaire ; un principe de procédure, parce que c'est un principe de raison ; les exceptions dilatoires ou les fins de non-recevoir doivent être présentées au commencement, in limine litis, comme disent MM. les avocats ; mais aujourd'hui que le jugement va être rendu au fond, vous arrivez avec un moyen dilatoire. Pourquoi ? Que pouvez-vous espérer ? Quel peut être votre but sérieux ?

L'honorable M. Frère reproche au cabinet de ne pas accepter sa proposition ; si le ministère l'acceptait, je crois que l'honorable M. Frère serait le premier à dire que le cabinet abdique, qu'il n'est plus digne d'occuper le banc ministériel.

S'il y eût été assis, je suis convaincu que l'honorable membre aurait combattu la proposition d'enquête, tout comme, étant ministre, il combattait les motions qui impliquaient la moindre défiance envers le cabinet ; il est donc non recevable à reprocher au cabinet actuel un fait très simple, très naturel, le refus de consentir à proclamer bénévolement sa propre déchéance. J'indique ce fait pour qu'on ne puisse pas, prétendre que l'extrême droite entraîne le cabinet.

(page 1623) Messieurs, certaines questions politiques sont artificielles ; il en est d'autres qui sont toutes faites, et celle-ci est du nombre de ces dernières.

Nous manquons, dit-on, de toute espèce de documents sur une question, et de notre côté on veut mettre la lumière sous le boisseau.

Messieurs, y a-t-il une question qui ait été plus élucidée que celle-là ? Par quelles phases n'a-t-elle pas passé ?

Une enquête générale est ouverte et se poursuit depuis dix ans, depuis que vous avez soulevé ces difficultés ; est-il une seule question en Belgique qui eût donné lieu à une polémique plus vive, plus continue, plus brillante, dirai-je, que celle-ci ? Eu est-il une seule où des deux côtés on se soit attaché à corroborer les principes par les faits avec plus de persistance et de succès ?

« Il n'y a aucune espèce de documents,» dit-on. Mais le gouvernement ne s'est-il pas empressé de donner tous les renseignements qu'il a plu à cette Chambre de lui demander, depuis la présentation du projet de loi ? On a fait un travail excessivement difficile, extrêmement précipité, pour qu'on pût discuter sur les associations religieuses, telles que le premier recensement en a constaté l'existence. S'il s'est glissé des erreurs dans ce travail, on les rectifiera ; mais il ne faut évidemment pas une enquête pour constater ces erreurs.

Nous avons des documents sur la jurisprudence, des documents sur les faits. des renseignements statistiques sur la situation financière des hospices et des bureaux de bienfaisance, des renseignements sur le paupérisme, des mémoires sur des questions mises au concours par des Académies. Or, quand dans un pareil état de choses, j'entends soutenir qu'il n'y a pas de documents, je suis tenté de dire qu'il en existe trop pour que vous vous soyez donné la peine de les lire.

Je suppose un instant qu'une enquête ait eu lieu, le principe cessera-t-il d'être mauvais à vos yeux ? Pourriez-vous, après l'enquête, accepter le principe des administrations spéciales ? Expliquons-nous : Sommes-nous divisés entre nous par un dissentiment sur les faits ? Non, nous sommes divisés sur une question de principe... (Interruption.)

Ainsi, nous sommes divisés sur une question de principe et non sur des faits. En effet, que s'est-il passé ? D'une part on a prétendu qu'il y avait quelques abus ; de l'autre on a combattu cette assertion ; on nous a cité, s'appuyant sur des renseignements dont les uns peuvent être exacts et d'autres peuvent ne pas l'être, un certain nombre de faits que l'on considère comme des abus. Je suppose que l'enquête établisse qu'il y a eu deux ou trois abus en cinquante ans ; je le suppose, car si l'enquête était faite, elle prouverait qu'il n'y en a pas eu.

M. Frère-Orban. - Il y en a eu partout et je vous le prouverai.

M. Malou. - Parvinssiez-vous à établir qu'il y a eu deux ou trois abus, vous n'auriez pas déplacé une seule voix. (Interruption.)

Voulez-vous que j'accepte huit ou dix abus au lieu de trois en un demi-siècle ? Nous dirions encore que ce n'est pas une raison pour enlever aux donateurs la liberté, dont ils jouissent depuis des siècles, de pouvoir faire distribuer leurs aumônes par une autre main que celle des administrations officielles. Toutes les enquêtes du monde ne nous feront pas dévier de ce principe.

Je dirai toujours qu'il est bon, qu'il est national, qu'il est salutaire, conforme à nos traditions historiques et à l'intérêt du pauvre que cette liberté-là soit maintenue ; et en soutenant cela, je ne ferai que demander l'application à la Belgique du droit commun de toutes les nations chrétiennes de l'univers.

Messieurs, à ce point de vue je repousse l'enquête, comme ne pouvant être qu'un moyen dilatoire, un rejet déguisé.

Permettez-moi d'ajouter un mot encore.

Nous avons eu une longue et solennelle discussion ; toutes les opinions se sont fait jour ; croyez-vous qu'après une enquête de dix ans, un examen deux fois répété par les Chambres, une discussion d'un mois, nous puissions ajourner aujourd'hui la question sans porter au prestige du gouvernement représentatif une profonde, une irrémédiable atteinte ?

Je crois qu'après un pareil vole, si quelqu'un nous prenait encore au sérieux dans le pays, ce serait peut-être nous.

Je ne suivrai pas l'honorable M. Fière dans la nouvelle discussion à laquelle il s'est livré de quelques faits particuliers. Mais il en est un qui pour moi est excessivement clair, je le comprends de cette manière : les hospices de Roulers ne sont pas parvenus à s'entendre avec les hospitalières, celles-ci se sont retirées ; on a exprimé un regret, je le veux bien, de leur voir prendre cette résolution, mais on ne s'est pas entendu et on s'est séparé ; la séparation faite, on n'a plus dit la messe, l'office divin dans la chapelle de l'hôpital, mais on a constamment donné les secours de la religion aux malades qui s'y trouvaient.

Je ne vois pas, quand nous sommes d'accord sur le fait, moins l'appréciation, le moindre motif pour faire une enquête.

Il est un argument que l'honorable membre a présenté et que j'avais lu dans un livre plusieurs fois cité, signé Jean Vandamme. Le voici : Vous avez dix mille religieuses qui doivent prélever quatre à cinq millions de francs sur le patrimoine du pauvre, suivant qu'elles coûtent 400 ou 500 fr. l'an. J'avoue que quand j'ai rencontré pour la première fois ce calcul, je n'en pouvais pas croire mes yeux ; je me demandais si les services que rend une sœur de charité ne valent pas ce que cette sœur coûte. J'ai peine à comprendre que les services des sœurs dans les écoles et dans les écoles dentellières plus que dans les autres, ne valent pas 400 à 500 fr. par an. A part le travail social et moral que la charité religieuse peut rendre, s'il est un fait notoire, c'est que quand le dévouement entre dans la charité, elle est plus économique que la charité exclusivement abandonnée à des mains mercenaires. Cela est tellement évident, qu'il est inutile d'insister ; toute démonstration serait superflue. Vous avez des sœurs dans un hospice, on ne leur donne pas 400 ou 500 francs ; il y a beaucoup de localités dans les Flandres où l'on ne leur donne que 150 fr. Si vous croyez qu'elles ne valent pas dans les Flandres ce qu'elles coûtent, allez y voir ; partout les autorités communales comme toutes les personnes qui s'occupent de bienfaisance considèrent cette question comme résolue par l'expérience.

Il est reconnu que quand les sœurs se retirent d'un hôpital, la dépense augmente ; comment voulez-vous que des personnes qui n'ont pas pour mobile le dévouement religieux, je ne dis pas rendent le même service, c'est impossible, mais des services analogues au même prix ? Le personnel, dites-vous, coûte 4 à 5 millions. Mais si les religieuses na rendaient pas ces soins aux pauvres, ce ne serait pas 5 millions que vous dépenseriez, mais le double, pour que les mêmes soins, moins le dévouement leur fussent donnés. C'est ce qui fait la supériorité de la charité chrétienne.

Un autre argument que je dois rencontrer, qu'on a produit pour appuyer l'enquête et que je ne sais comment rattacher à l'enquête : Si vous immobilisiez le sol de la Belgique, et que vous en partagiez le produit entre les habitants, nous serions tous pauvres, nous n'aurions que 80 fr. par tête. Nous ne sommes pas occupés, que je sache, à discuter une loi agraire, le partage des terres. Nous discutons la question de savoir s'il est utile, salutaire, de permettre à un testateur, dans une certaine mesure, sous le contrôle du gouvernement, de donner une somme à un bureau de bienfaisance, à la condition, par exemple, que les revenus seront distribués par le curé.

C'est là ce que nous voulons ; il ne faut pas, pour résoudre cette question, d'enquête sur la valeur territoriale du pays. Nous savons que si tout le monde était pauvre il n'y aurait pas de riches. C'est une vérité vieille comme le monde.

Je comprendrais l'enquête à l'égard des établissements officiels ; les autres peuvent n'en pas vouloir, ils ont le droit de ne pas en vouloir. Ainsi les écoles dentellières, dont on a tant parlé, refusent, préférant ne pas recevoir de subside, pour rester libres.

L'honorable ministre de l'intérieur n'a pas dit qu'on n'y donnait aucune espèce d'instruction. La citation qu'a faite l'honorable M. Frère le démontre. Mais ces établissements préfèrent conserver leur liberté, plutôt que de se soumettre d'une manière absolue au régime de la loi de 1842 sur l'instruction primaire.

Je sais bien ce qui se passe dans les Flandres ; partout, dans les écoles dentellières, on donne l'instruction...

M. Frère-Orban. - L'instruction religieuse !

M. Malou. - L'instruction religieuse et primaire. N'équivoquons pas. Je tâche d'exposer les faits aussi franchement que possible.

Les institutions libres sont en dehors de l'enquête, aussi longtemps qu'elles restent libres. Si elles veulent cesser d'être libres, si elfes veulent rentrer dans les conditions de la loi, il y aura pour chacune d'elles un examen à faire. Il y aura une enquête individuelle. De sorte que l'enquête générale, quant aux établissements que vous voulez contrôler, est impossible. Quant à ceux qui réclament le régime de la loi, elle est inutile.

M. Orts. - Je ne vous occuperai pas longtemps ; mais après que vient de dire l'honorable M. Malou, je désire préciser en quelques mots la situation.

La discussion, a dit l'honorable rapporteur, a porté non sur des questions de principe, mais sur une quantité de petits faits d'où sortent les questions de principe.

Nous disons qu'il y a un grand nombre de faits qui doivent être éclaircis avant le vote de la loi. Vous répondez que c'est inutile, que quels que soient les faits, vous êtes résolus à voter la loi.

L'honorable M. Frère dit : Si les faits, après une enquête solennelle, viennent démentir nos craintes, nos appréhensions, nous reconnaîtrons que les grands principes que nous croyions méconnus, et que vous disiez ne pas l'avoir été, ne l'ont pas été en effet. Vous répondez : Nous refusons l'enquête. Quels que soient les abus qui soient reconnus, nous voulons voler la loi.

Voilà ce que je voulais constater.

M. le président donne l'ordre de rouvrir la tribune publique» (Cet ordre est immédiatement exécuté ; la tribune publique est remplie en quelques minutes.)

M. Frère-Orban. - Cette question est connue depuis longtemps, nous dit-on. Vous avez là présenté un projet de loi, et vous n'avez pas parlé d'enquête.

Nous discutons depuis un mois, et vous venez seulement aujourd'hui parler d'enquête.

Les projets annoncés ou présentés ne consacraient point, comme celui-ci, un système nouveau. Ils auraient réprimé et non légalisé les abus que nous dénonçons. D'autre part, c'est la discussion même qui a démontré la nécessite de l'enquête. Si nous l'avions demandée à l'ouverture de la discussion, vous auriez dit, très raisonnablement, qu'une motion de cette nature ne pouvait être mise en délibération qu'avant de passer au vote des articles.

(page 1624) L'enquête ne pouvait donc être réclamée qu'au moment où elle a été proposée.

L'honorable M. Malou nous dit : Nous ne demandons que ce qui existe partout, dans tous les pays, ce qui a existé dans tous les siècles. Je ne conçois vraiment pas qu'on ait lu l'histoire et qu'on affirme de pareilles choses ; car cela n'est pas exact. Dites-moi, je vous prie, dans quel pays il n'a pas été pris de mesures pour empêcher les doubles distributions de secours ?

Dites-moi s'il n'a pas été pris des mesures dans ce but en Hollande et en Angleterre ? Il en a été pris partout, même dans les Etats romains, au moins pendant quelque temps.

Je vous renvoie aux statuts du pape Léon XII. Je vous convie à présenter le système qu'il avait adopté pour l'administration des hôpitaux et des secours publics à Rome, et qui reposait sur le principe de l'unité dans l'administration et la distribution des secours.

L'honorable M. Malou nous parle de la France, et l'autre jour, comme je l'avais interpellé, il a répondu, en faisant appel aux législations étrangères, que si je pouvais en invoquer une seule, contraire à son opinion, il renonçait à son projet, et se déclarerait vaincu.

Il a dit qu'il avait pris connaissance de l'enquête sur les législations étrangères faites par M. le ministre de la justice. Il paraît que M. le ministre a senti la nécessité de faire des enquêtes ; mais il ne les communique pas. Je voudrais bien en prendre aussi connaissance.

M. Malou rapporteur. - On peut vous donner cela.

M. Frère-Orban. - Je vais, en attendant, vous donner aussi quelque chose. Je vais vous dire ce qui existe en France quant à l'adtministration des biens des pauvres. Je pourrais m'étayer d'abord de tous les écrivains, de tous les jurisconsultes qui se sont occupés de cette question.

Je défie l'honorable M. Malou d'en citer un seul en faveur de son opinion. Aussi ne l'a-t-il pas fait. Mais il invoque la pratique du gouvernement français.

Voilà ce qu'il s'agit de bien connaître. Ne nous attachons pas à de petits faits, à des actes isolés, à des exceptions, s'il en existe, ce que j'ignore. Recherchons quel est le principe fondamental suivi par l'administration française qui applique même ceux qui sont encore en vigueur chez nous.

Le principe que l'honorable M. Malou veut faire consacrer, c'est celui de la séparation de l'administration de la propriété. De là découlent toutes les conséquences que vous connaissez.

Eh bien, j'ai la preuve officielle que jamais, en France, on n'a séparé l'administration de la propriété.

On a admis en France des tiers à désigner ceux qui devaient occuper les lits dans les hospices ; on a admis consistoires, fabriques d'église et curés à faire des distributions ; on a encore admis, en vertu des ordonnances de 1827et de 1828, sous la restauration, des tiers à distribuer des secours sons le contrôle des bureaux de bienfaisance, et de plus sous la restauration, en vertu des mêmes ordonnances, on les a dispensés en certains cas de rendre compte ; mais jamais l'administration dus biens n'a été enlevée à l'administration publique.

Voici en effet ce que, sur ma demande, désirant m'éclairer, le gouvernement français a fait connaître au gouvernement belge :

« Il est de principe que la nomination aux lits fondés dans les hospices ainsi que la distribution des sommes léguées aux pauvres ne constituent point des actes d'administration proprement dits, qui ne puissent être régulièrement accomplis que par les personnes ou les corps institués par la loi pour représenter civilement les pauvres et les établissements charitables et pour gérer leurs intérêts.

« D'après la Jurisprudence, ces actes, quand des tiers en sont chargés par les testateurs ou donateurs. sont considérés comme des mandats particuliers de confiance, qui n'ont rien d'incompatible avec les lois et qui doivent être dès lors respectés.

« Seulement quand il s'agit de répartition des sommes d'argent ou autres objets mobiliers, les tiers distributeurs sont tenus de rendre compte aux administrations charitables légalement instituées à moins qu'ils n'en aient été formellement dispensés par les actes de donation ou de dernière volonté. (Voir les circulaires ministérielles des 19 février 1817 et 23 juin 1828.)

« En ce qui concerne particulièrement la nomination aux lits fondés dans les hospices ou hôpitaux, point auquel paraît s'attacher surtout le gouvernement belge, les principes posés par les arrêtés des 28 fructidor an X et 16 fructidor an XI, qui ont fait revivre, à cet égard, les droits des anciens fondateurs et de leurs représentants ont été maintenus depuis cette époque.

« D'après la jurisprudence, ce droit de désignation peut appartenir, soit temporairement, soit à perpétuité, non seulement aux fondateurs ou à leurs héritiers successifs, mais à des personnes étrangères à leur famille, à des curés et même à des corps constitués, ayant des attributions légales distinctes de celles des administrations de bienfaisance, tels que les fabriques d'église et les consistoires, ainsi que cela résulte d'un avis du Conseil d'Etat en date du 15 février 1837.

« Il est bien entendu que l'intervention de ces corps ou personnes est strictement limitée aux actes qui viennent d'être définis et que leur immixtion dans les actes d'acceptation ou d'administration de biens légués serait illégale. Aussi toutes dispositions entre-vifs ou testamentaires, qui tendent à déplacer ainsi les attributions conférées aux commissions administratives des hospices et des bureaux de bienfaisance sont réputées non écrites comme contraires aux lois, en vertu de l'article 900 du Code civil. Mais dans ce cas la nullité de la condition, imposée n'emporte pas la caducité du legs on de la donation à laquelle elle se rattachait, et cette libéralité, après avoir été autorisée par le gouvernement, se trouve ensuite soumise aux formes régulières d'administration.

« Tels sont, en France, M. le ministre, les principes et les règles sur la matière.

« J'espère que les renseignements qui précèdent répondront complètement au désir du gouvernement belge ; s'il en était autrement, vous voudriez bien m'en donner avis et je m'empresserai de compléter ces renseignements à l'égard des points qui me seraient signalés. »

Cette pièce est signée, au nom du ministre de l'intérieur, par le secrétaire d'Etat Darey, sous la date du 18 janvier 1850.

M. Malou. - C'est très clair.

M. Frère-Orban. - C'est très clair ; eh bien, c'est la condamnation de votre système.

M. Malou. - Pas le moins du monde.

M. Frère-Orban. - Ainsi l'honorable M. Malou a posé ce principe, je répète ses termes, la séparation de la propriété de l'administration. On propose dans le système du projet de loi de donner la propriété nominalement au bureau de bienfaisance, et l'administration tout entière des biens à des tiers. L'honorable M. Malou ajoute que ce système est pratiqué ailleurs et notamment en France. Je produis un document authentique d'où il résulte que jamais en France l'administration n'a été séparée de la propriété ; que tout ce qu'on admet, ce sont des tiers, soit à désigner ceux qui doivent occuper les lits dans les hospices, soit à faire des distributions sous le contrôle des bureaux de bienfaisance, à moins de dispense donnée sous ce rapport par l'acte d'institution et autorisée par le gouvernement.

M. Tesch. - Et depuis la restauration.

M. Frère-Orban. - Depuis la restauration et en vertu des instructions de 1817 et de 1828.

Et l'honorable M. Malou maintient ses assertions ! L'honorable M. Malou a signalé avec autant de vérité le Piémont. L'honorable comte de Cavour aura sans doute été charmé de recevoir des éloges d'une bouche aussi pure que celle de l'honorable M. Malou ; M. le comte de Cavour qui a été excommunié, le comte Siccardi qui n'a pas obtenu à ses derniers moments l'assistance d'un prêtre pour avoir fait les lois que nous avons faites ici, les honorables ministres sont-ils les auteurs de quelque proposition qui justifie la thèse de l'honorable M. Malou ? J'en demande pardon à l'honorable membre, mais il n'y a pas un seul mot dans les lois piémontaises qui justifie ses assertions. Une législation ne consiste pas en un mot pris dans un texte ; il faut voir l'ensemble.

Des réformes ont été introduites en Piémont relativement aux fondations charitables, par une ordonnance de 1836, qui avait constaté les plus graves abus résultant du système qui était pratiqué antérieurement et qui est celui que vous voulez introduire. On a soumis toutes ces fondations à une série de prescriptions qui ne ressemblent guère à celles que vous proposez. Elles sont soumises à toutes les règles de comptabilité et de gestion applicables à la comptabilité et à la gestion des deniers publics. Il n'y a peut-être, nulle part, des mesures plus sévères pour surveiller le patrimoine des pauvres.

L'honorable M. Malou, et c'est par là que je termine, a essayé de répondre à une grave considération qui vous avait été soumise, quant au personnel, en disant qu'il n'avait rien compris aux calculs que j'ai présentés et que j'avais déjà produits ailleurs. C'est vraiment incroyable, s'écrie-t-il ! Comment ! votre argument consiste à dire que le service des sœurs de charité ne vaut pas ce qu'il coûte : il est vrai qu'il faut bien quatre ou cinq millions pour les sœurs de charité, mais si elles rendent des services équivalents, de quoi vous plaignez-vous ? De quoi je me plains ?

Je me plains d'abord de la dextérité remarquable de l'honorable M. Malou, de ce qu'il ne comprend pas que s'il met dix sœurs de charité ou cinq suffisent, il y aura ruine pour l'établissement. Mon argument consiste à dire que si les sœurs de charité rendent des services qu'il faut reconnaître, il faut qu'elles soient en nombre nécessaire pour le service qu'on réclame d'elles, et que, s'il y a excès, c'est au détriment des malheureux.

C'est pourquoi je vous le répète encore, et retenez-le bien : Parmi nos établissements nous en signalons un nombre considérable où l'excès de personnel existe.

Nous demandons que cet état de choses soit vérifié, afin que le patrimoine des pauvres ne soit livré à la dilapidation, au gaspillage, afin qu'il serve à sa véritable destination.

M. Malou, rapporteur. - Dites-moi, me demande l'honorable membre, dans quel pays on n'a pas pris des mesures pour garantir le bien des pauvres. Je lui demande, à mon tour : Dites-moi dans quel pays on a supprimé la charité libre.

En ce qui concerne la France, je ne veux pas prolonger le débat. Il y a un moyen excessivement simple et je déclare que je vais l'employer. Je remplirai deux colonnes du Moniteur d'actes du gouvernement français, pris à diverses époques et qui tous sont contraires au système de 1817 et conformes à celui que nous préconisons.

Quant aux lois d'autres pays, j'ai cité le texte formel de la loi (page 1624) piémontaise. Il est très commode de venir dire ensuite : Cela n'est pas. J'affirme que la loi piémontaise admet des établissements ayant des corps particuliers d'administration.

M. Frère-Orban. - Sans doute.

M. Malou. - Eh bien, c'est tout ce que nous demandons. Nous ne voulons pas autre chose.

L'honorable membre se plaint de ce que dans certains établissements il y a exubérance de personnel.

Messieurs, si les établissements libres sont soumis à la juridiction de l'honorable membre, j'admets le débat ; mais s'il s'agit d'établissements qui veulent entrer dans le cadre de cette loi, l'honorable ministre a donné la garantie de la députation et, au besoin, du gouvernement pour limiter le personnel.

On ne tient pas compte des moyens loyaux et efficaces qui sont donnés pour assurer la bonne exécution de la loi.

- La clôture est demandée et prononcée sur la proposition d'enquête faite par M. Frère-Orban.

Cette proposition est mise aux voix par appel nominal.

105 membres sont présents.

44 adoptent.

60 rejettent.

Un (M Rousselle) s'abstient.

En conséquence la proposition n'est pas adoptée.

Ont voté l'adoption : MM. Verhaegen, Vervoort, Veydt, Allard, Ansiau, Anspach, Coppieters 't Wallant, Crombez, Dautrebande, David, de Baillet-Latour, de Breyne, de Bronckart, de Brouckere, De Lexhy, Delfosse, Deliége, de Moor, de Paul, de Perceval, de Steenhault, Devaux, Dubus, Frère-Orban, Goblet, Grosfils. Jouret, Lange, Laubry, Lebeau, Lelièvre, Lesoinne, Loos, Mascart, Moreau, Orts, Pierre, Prévinaire, Rogier, Tesch, Thiéfry, Tremouroux, Vandenpeereboom et Van Iseghem.

Ont voté le rejet : MM. Van Renynghe, Van Tieghem, Vermeire, Vilain XIIII, Wasseige, Wautelet, Boulez, Brixhe, Calmeyn, Coomans, de Brouwer de Hogendorp. Dechamps, Dedecker, de Haerne, de Kerchove, de La Coste, de Liedekerke, Della Faille, de Man d'Attenrode, de Mérode-Westerloo, de Muelenaere, de Naeyer, de Pitteurs-Hiegaerts, de Portemont, de Rasse, de Renesse, de Ruddere de Te Lokeren, Desmaisières, Desmet, de Theux, de T'Serclaes, de Wouters, Dumon, Dumortier, Faignart, Jacques, Janssens, Julliot, Lambin, Landeloos, le Bailly de Tilleghem, Licot de Nismes, Maertens, Magherman, Malou, Matthieu, Mercier, Moncheur, Osy, Rodenbach, Snoy, Tack, Thibaut, T’Kint de Naeyer, Van Cromphaut, Vanden Branden de Reeth, Vander Donckt, Van Goethem, Van Overloop et Delehaye.

M. Rousselle. - Je ne m'attendais pas à voir le ministère poser la question de cabinet sur une proposition d'enquête qui, selon moi, ne préjugeait aucun principe, et je dois exprimer le regret qu'elle ait été soulevée.

Je suis partisan de l'enquête, parce que je considère qu'elle aurait pour résultat de ramener dans les opinions ce calme et cette modération nécessaires pour discuter et voter une loi d'intérêt social, aussi importante que celle qui nous occupe. Il me paraissait désirable d'obtenir pour une loi de cette nature l'adhésion réfléchie du pays, plutôt que de l'imposer à son obéissance par un coup de majorité. Je le déclare donc, mon voie était acquis à l’enquête ; mais ne voulant pas m'associer à la responsabilité d'une crise ministérielle, dont il est impossible de prévoir l'issue, je me suis trouvé forcé de m'abstenir.

M. le président. - A quelle heure la Chambre veut-elle se réunir demain ?

M. de Theux. - Messieurs, il me semble que toutes les opinions sont parfaitement faites. (Interruption.) La Chambre tout entière est présente. (Interruption.) Je demande que ma proposition soit mise aux voix.

M. Frère-Orban. - Si je comprends bien l’honorable M. de Theux, il demande que l'on vote aujourd'hui sur sa motion.

M. de Theux. - Oui.

M. Frère-Orban. - C'est impossible. Il faut la discuter cette motion : elle est énorme. On propose de voter la loi en un seul article et en supprimant la discussion ; c'est contraire au règlement et à la Constitution.

M. Osy. - Je demande que la Chambre se réunisse demain à midi.

- Plusieurs membres. - Non ! non ! A une heure.

- D'autres membres . - A midi ! à midi ! L'appel nominal ! l'appel nominal.

M. Verhaegen. - On veut étouffer la discussion. (Interruption.) On veut étouffer la discussion.

Comment ! l'honorable M.de Theux nous propose, ainsi que vient de la faire remarquer M. Frère, de nous prononcer par un seul vote sur tous les articles de la loi, et on osait demander tout à l'heure d'émettre ce vote séance tenante ! Ce serait un scandale !

Maintenant on demande que la Chambre se réunisse à midi. Mais on sait bien qu'il faut le temps d'examiner les questions avant de venir à la séance. On sait bien que la Chambre n'est jamais en nombre suffisant à midi. On veut emporter le vote d'assaut et le pays saura à quoi s'en tenir !

M. Osy. - Voilà plus de quatre semaines que nous nous occupons de cette loi et il y encore beaucoup d'autres objets à l'ordre du jour. Il me semble qu'il est temps de rentrer dans le règlement qui fixe les séances à midi.

Je maintiens ma proposition.

M. le président. - Je dois faire observer que chaque fois que la Chambre a fixé sa séance à midi, elle ne s'est pas trouvée en nombre.

M. de Perceval. - Il est bien entendu que si le règlement est exécuté, le réappel aura lieu à midi et un quart. (Adhésion.)

- Il est procédé au vote par appel nominal sur la proposition de M. Osy.

99 membres sont présents.

45 répondent oui.

54 répondent non.

En conséquence, la proposition n'est pas adoptée,

La séance de demain est fixée à 1 heure.

Ont répondu oui : MM. Van Renynghe, Van Tieghem, Vermeire, Vilain XIIII, Wasseige, Wautelet, Boulez, Brixhe, Coomans, de Brouwer de Hogendorp, Dechamps, Dedecker, de Kerchove, de La Coste, de Liedekerke, Della Faille, de Man d'Attenrode, de Mérode-Westerloo, de Muelenaere, de Pilleurs-Hiegaerts, de Portemont, de Ruddere de Te Lokeren, Desmaisières, de Theux, de T Serclaes, Dumon, Dumortier, Jacques, Janssens, Lambin, le Bailly de Tilleghem, Licot de Nismes, Magherman, Malou.. Matthieu, Mercier, Moncheur, Osy, Rodenbach, Snoy, Thibaut, Yan Cromphaut, Vanden Branden de Reeth, Vander Donckt et Van Goethem.

Ont répondu non : MM. Verhaegen, Vervoort, Allard, Ansiau, Anspach, Calmeyn, Coppieters 't Wallant, Crombez, Dautrebande, David, de Baillet-Latour, de Breyne, de Brouckart, de Brouckere, de Haerne, De Lexhy, Delfosse, Deliége, de Moor, de Naeyer, de Paul, de Perceval, de Basse, de Renesse, de Steenhault, Devaux, de Wouters, Dubus, Frère-Orban, Goblet, Grosfils, Jouret, Julliot, Landeloos, Lange, Laubry, Lebeau, Lelièvre, Lesoinne, Maertens, Mascart, Moreau, Orts, Pierre, Prévinaire, Rogier, Tack, Tesch, Thiéfry, Tremouroux, Vandenpeereboom, Van Iseghem, Van Overloop et Delehaye.

- La séance est levée à 5 heures et un quart.