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Chambre des représentants de Belgique
Séance du mardi 10 juillet
1832
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre
2) Proposition
de loi relative aux restitutions de droits sur le sel (Duvivier,
Zoude, Osy)
3) Motion d’ordre relative à la présence d’officiers hollandais en
Belgique (+orangisme) (A. Rodenbach, Raikem)
4) Projet de loi relatif aux concessions de péages, notamment recours à
l’initiative publique versus l’initiative privée (H. de
Brouckere, Mary, de Theux, Desmet, Osy, Gendebien,
Dellafaille, H. de
Brouckere, d’Elhoungne, Barthélemy,
Rogier, Pirmez)
(Moniteur belge n°194, du 12 juillet 1832)
(Présidence de M. Destouvelles.)
La séance est
ouverte à une heure.
M. Dellafaille fait l’appel nominal, il donne ensuite lecture du procès-verbal qui est
adopté sans réclamation.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
M. Liedts
présente l’analyse sommaire de quelques pétitions, entre lesquelles nous
distinguons celle du sieur Félix Bastin, sergent au 2ème régiment de chasseurs
à pied, qui demande à la chambre de lui faire obtenir la croix de Léopold. (Hilarité.)
- Cette pétition,
ainsi que les autres, est renvoyée au comité des pétitions.
PROPOSITION DE LOI RELATIVE AUX RESTITUTIONS DE
DROITS SUR LE SEL
L’ordre du jour
appelle le rapport de la commission sur le projet de loi relative au sel.
M. Duvivier. - Messieurs, la fraude considérable qui se fait
relativement au sel et qui résulte de la facilité qu’ont les marchands de faire
réimporter par filtration les quantités de sel raffiné qu’ils exportent par le
grand nombre de bureaux ouverts à cette opération, sous décharge du droit
d’accise, ayant excité des plaintes de la part du commerce loyal auquel cette
fraude portait préjudice, a fixé l’attention de plusieurs honorables membres de
votre assemblée, et l’un d’eux ayant présenté un projet de loi qui a pour but
de remédier immédiatement à cet état de choses, également funeste aux produits
du trésor, vous avez, messieurs, chargé une commission spéciale de l’examen de
ce projet.
Votre commission a
pensé que le but dans lequel il était conçu devait obtenir votre assentiment.
Mais, quant à la
forme constitutionnelle que présentait le projet, en faisant dépendre la
faculté d’exportation avec restitution de l’accise d’une espèce de réciprocité
de la part du pays vers lequel les sels seraient expédiés, votre commission a
cru qu’il était préférable de fixer d’une manière plus directe et plus
explicite les lieux de la Belgique pour lesquels l’exportation en décharge
serait admise.
Et en considérant,
à cet égard, qu’il n’y avait pas de motifs de l’accorder pour les exportations
vers la France, où le sel se trouve frappé d’un droit éminemment plus élevé
qu’en Belgique, non plus que vers la Hollande, où cette prétendue exportation
n’est en général que fictive et frauduleuse, elle a jugé que l’intérêt des
raffineries pouvait exiger que l’on maintînt ces exportations vers la Prusse,
et qu’elle devait continuer à être permise par mer.
C’est dans ce sens
que votre commission a l’honneur, messieurs, de vous proposer une nouvelle
rédaction du projet, dans lequel, outre les ports d’Ostende et d’Anvers, les
bureaux par terre d’Henri-Chapelle et Francorchamps, vers la Prusse, seraient
seuls désignés pour ce genre d’expédition. Je crois devoir vous faire observer,
messieurs, que l’auteur de la proposition a adopté cette nouvelle rédaction.
L’exportation sans
décharge de l’accise resterait admise, d’ailleurs, par tous les bureaux de
sortie actuellement existants.
« Projet de
loi.
« Léopold,
Roi des Belges,
« A tous
présents et à venir, salut,
« Par
dérogation aux articles 15 et 16 de la loi du 21 mai 1822 sur le sel,
l’exportations du sel raffiné avec décharge du droit d’accise n’est admise que
par les seuls bureaux suivants,
« Par terre :
à Henri-Chapelle et à Francorchamps ;
« Par mer : à
Anvers et à Ostende.
« La décharge
de l’accise cessera d’être accordée par tous les autres bureaux du royaume.
« Mandons et
ordonnons, etc. »
M. Zoude. - Je demande que la chambre s’occupe de la
discussion de ce projet immédiatement après celle de la loi sur les péages.
Cette loi est très importante, elle pourra rapporter au trésor de quoi faire
face à l’augmentation des traitements des membres de l’ordre judiciaire que
vous avez votée hier. Cette considération est assez puissante, je crois, pour
qu’on s’en occupe sans délai.
M. Osy. - La discussion pourrait avoir lieu demain.
M. le président. - Le projet et le rapport vont être immédiatement envoyés à
l’impression, et la discussion pourra s’ouvrir après le vote sur le projet
fixant le traitement des membres de l’ordre judiciaire.
MOTION D’ORDRE RELATIVE A LA PRESENCE
D’OFFICIERS HOLLANDAIS EN BELGIQUE
M. A. Rodenbach. - Je demande la parole pour une motion d’ordre. Je
demanderai à M. le ministre de la justice s’il n’a pas connaissance que les
officiers appartenant à l’armée ennemie se promènent librement dans l’intérieur
du pays, et si même il n’est pas vrai que des généraux portés sur les contrôles
de l’armée hollandaise se promènent en ce moment dans la ville de Bruxelles.
M. le ministre de la justice (M. Raikem).- Je ne sais absolument rien de ce que vient de dire
le préopinant ; mais, puisqu’il vient de m’avertir, je prendrai sans délai des
informations, et je ferai tout ce qu’on peut faire légalement à ce sujet.
PROJET DE LOI RELATIF AUX CONCESSIONS DE PEAGES
Discussion générale
L’ordre du jour
appelle la discussion du projet de loi relatif aux concessions moyennant péage.
M. H. de Brouckere. - Messieurs, si nous devions juger de l’importance
d’un projet de loi par le nombre d’articles qu’il contient, assurément celui que nous discutons ne serait
pas de nature à nous arrêter longtemps. Cependant je ne crains pas d’avouer
qu’il en est peu qui méritent plus de fixer votre attention, parce qu’il en est
peut qui doivent exercer une influence plus grande et plus directe sur la
prospérité de notre commerce et de notre industrie.
D’où vient en
effet que la Belgique, aussi riche qu’aucun pays du monde en produits de toute
espèce, ne puisse pas lutter avantageusement contre d’autres pays pour ce qui
concerne plusieurs branches d’industrie, mais surtout pour celle qui tient aux
fers et aux charbons ? Serait-ce que nos ouvriers seraient moins instruits et
moins intelligents ? Non sans doute, et personne ne le soutiendra. Serait-ce
que l’extraction de nos minerais est plus coûteuse et plus difficile ? Dans
quelques localités cela peut être, mais en général il n’en est point ainsi, et
nous avons même l’avantage d’une main-d’œuvre moins élevée qu’en Angleterre. A
quoi cela tient-il donc ? Cela tient à la différence de l’état des
communications en Angleterre et chez nous.
Si j’avais pu
avoir quelques doutes sur la vérité de ce que j’avance, et sur l’importance du
projet qui nous occupe, ils auraient été dissipés à la lecture d’une brochure
qui vient de paraître et dont vous avez tous connaissance ; brochure écrite
avec une profondeur de vues, une lucidité et une logique bien remarquables, et
à la suite de laquelle se trouve un contre-projet. C’est dans cette brochure
que je prendrai les principaux arguments au moyen desquels je prétends
combattre le projet.
Lorsque l’on voit
un pays voisin enrichi par suite de ses institutions, n’est-il pas bien naturel
de chercher à introduire chez nous des institutions analogues, lorsque les
mêmes raisons existent pour qu’elles exercent la même influence et produisent
les mêmes résultats ?
Le système des
concessions, la législation sur les routes et les canaux en Angleterre, est la
principale cause de la prospérité de son commerce et de son industrie. C’est là
une chose que personne ne conteste ; mais aussi le nombre des moyens de
transport de toute espèce, qu’elle possède, est vraiment inconcevable si nous
le comparons à ce que nous voyons chez nous.
Chez nous,
« une étendue de pays de plus de 500 lieues carrées, où se trouvent réunis
des mines, des carrières, des forêts, et les établissements industriels les
plus intéressants de la Belgique, n’a pour tout développement de voies de
transport que 20 lieues de canal, 40 lieues environ de navigation fluviale, et
120 lieues de routes.
« En Angleterre,
au contraire, pour une étendue de terrain de même surface, et dans une position
analogue sous le rapport de produits minéraux, on trouve plus de 400 lieues de
longueur de canaux et rivières canalisées, 1,500 lieues de longueur de routes à
péages, sans compter celles à l’entretien des paroisses ; et pour les
transports, des établissements d’exploitation et de forgerie, il y a jusqu’à 15
lieues de longueur de chemin de fer par lieue carrée. » (page 19 de la
brochure de M. R. D.)
La Belgique, sous
le rapport des communications, est vis-à-vis de l’Angleterre en arrière de 40
ans. Que manque-t-il donc à la Belgique ? Ce ne sont pas des ressources, elle
en possède abondamment ; ce sont des institutions libérales, des institutions
qui encouragent, qui favorisent les entreprises.
Cela établi,
pourquoi donc n’imiterions-nous pas ce qui se fait en Angleterre ? Pourquoi ne
ferions-nous pas chez nous ce dont elle recueille tant d’avantages ? Pourquoi
négligerions-nous les leçons de l’expérience ?
En Angleterre, on
accorde aux particuliers, aux sociétés, la plus grande latitude, les plus
grandes facilités, pour la construction des canaux, des routes et pour la
création des moyens de transport de toute espèce. L’Etat a abandonné à
l’intérêt particulier le soin de faire des constructions.
Cependant le
projet s’éloigne tout à fait de ce qui se passe en Angleterre. D’après ce
projet, « aucune concession ne peut avoir lieu que par voie d’adjudication
avec concurrence et publicité. » Mais si l’on admet une telle disposition, il
est évident que le gouvernement n’aura à exécuter que les projets qu’il aura
faits lui-même ou les projets de ses agents ; car un particulier, une société
qui aura conçu un projet, qui, pour en proposer l’exécution, aura dû employer
un temps très long et faire des études difficiles et pénibles, qui aura fait
des frais considérables, ne voudra pas livrer son travail au hasard d’une
adjudication, pour la voir devenir la proie du premier surenchérisseur. Vous
allez donc étouffer toute émulation, vous allez faire en sorte d’empêcher tout
particulier de s’occuper des moyens d’améliorer nos communications, vous allez
enfin placer le monopole des entreprises de ce genre dans les mains des
ingénieurs des ponts et chaussées.
Mais, dira-t-on,
on mettra dans le cahier des charges que ces frais doivent être remboursés à
l’inventeur si celui-ci ne se rend pas adjudicataire. D’abord une promesse à
cet égard ne peut nous satisfaire, et il faudrait en faire l’objet d’une
disposition de la loi. Mais cette disposition dans son exécution rencontrerait
mille obstacles. Comment, par exemple, ferait-on pour tarifer les frais ? Ils
sont quelquefois extrêmement considérables, et si vous en voulez une preuve,
veuillez-vous rappeler ce que coûtent les plans de la route d’Anvers : mais
d’ailleurs, en supposant que tous ces frais soient remboursés à l’inventeur,
qui le dédommagera de son temps perdu, qui lui paiera les longues études qu’il
aura dû lire pour parvenir à l’exécution des plans qui auront tourné au profit
d’un tiers ? Personne. Je crois donc que pas un particulier ne voudra s’exposer
à une semblable perte.
Messieurs,
entendre la publicité et la concurrence dans le sens du projet de loi, c’est
l’entendre d’une manière très étroite, très resserrée, et qui tendrait à arrêter
l’essor du génie et à empêcher l’amélioration de l’état de notre industrie.
J’entends la concurrence tout autrement ; c’est en l’ouvrant à tous et à chacun
pour la construction des moyens de transport, c’est en reconnaissant en
principe général que l’exécution des travaux publics est un droit appartenant à
celui qui en propose le plus et veut se charger de son exécution.
Maintenant je vais
examiner le projet dans toutes ses dispositions et vous en démontrer
l’inadmissibilité. Voyons d’abord l’article premier. Il porte : « Les
péages à concéder aux personnes ou sociétés qui se chargent de l’exécution des
travaux publics, sont fixés pour toute la durée de la concession. »
Je demanderai
d’abord à M. le ministre de l’intérieur s’il est vrai, comme je le crois, qu’il
se soit rallié au projet de la section centrale.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je me suis rallié au projet de la section centrale,
quant à la durée des concessions ; quant à la concurrence et à la publicité,
j’attendrai pour me décider les lumières qui surgiront de la discussion.
M. H. de Brouckere. - M. le ministre se rallie donc à l’article premier ;
mais cet article est complétement inutile. Je pense qu’on a voulu prévenir par
là ce qui est arrivé à l’égard de concessions antérieures dont les péages ont
été d’autorité modifiés par le gouvernement. Mais à quoi bon faire une
semblable disposition ? Une concession est un contrat comme tout autre, et nos
lois en garantissent les stipulations. La disposition dont je m’occupe n’ajoute
donc rien aux droits des concessionnaires, et si le gouvernement veut abuser de
son pouvoir, ce n’est pas l’article premier qui pourra l’en empêcher.
L’article 2 porte
: « La perception des péages est autorisée par le Roi lorsque la durée de
la concession n’excède pas 90 ans.
« Aucune
concession ne peut avoir lieu que par voie d’adjudication avec concurrence et
publicité. »
Ceci est plus
important. Je ne suis pas tranquillisé sur la constitutionnalité de cette
disposition. Elle tombe, dit-on, sous la disposition de l’article 113 de la
constitution. Un péage n’est pas un impôt au profit de l’Etat, et en tout cas
les premiers mots de l’article (c’est ici la section centrale qui parle), hors
les cas formellement acceptés par la loi, laissent à cet égard toute la
latitude désirable.
Messieurs, en
combinant les articles 110 et 113 de la constitution, voici tout ce que j’y
trouve : c’est qu’en règle générale aucune rétribution ne peut être exigée des
citoyens qu’à titre d’impôt au profit de l’Etat, de la province ou de la
commune ; que cependant il pourrait en être autrement en vertu d’une exception
formelle qui se trouverait dans la loi, c’est-à-dire qu’une loi exceptionnelle
peut établir une rétribution en faveur d’un particulier. Voilà le sens de
l’article 113, et ceci mérite toute votre attention, parce qu’on ne manquera
pas de l’interpréter tout autrement, et on ne saurait faire autrement si l’on
veut justifier le projet de loi en règle générale ; donc, on ne peut établir de
contribution qu’à titre d’impôt au profit de l’Etat, de la province ou de la
commune ; mais une loi peut établir une exception à cette règle au profit d’un
particulier. Mais s’ensuit-il que la loi puisse déléguer au pouvoir exécutif le
droit d’établir pareille rétribution ? Assurément non, et je défie que l’on me
cite un texte quelconque pour justifier une semblable délégation. Oui, le
législateur a le pouvoir de faite une exception à l’article 113 au bénéfice
d’un particulier, mais il n’a pas le droit de déléguer ce pouvoir au
gouvernement. Quand la constitution ne serait pas là pour nous le défendre, la
nature des choses elle-même suffirait pour nous l’interdire.
Voyez, d’ailleurs,
l’énormité du pouvoir que vous accorderiez au gouvernement. Il est des cas où
la concession de l’exploitation d’un péage emporte avec elle l’exploitation
d’une contrée entière. Cela arrive lorsque, par la nature du terrain, il
n’existe qu’une rivière, qu’un défilé par où les produits de cette contrée
puissent être transportés, et que l’on ne pourrait en créer d’autres sans des
frais excessifs. Celui qui obtient la concession devient alors pour ainsi dire
maître des mines, bois, récoltes, produits par cette contrée. Un ministre
pourra accorder à ses créatures, à lui-même (la chose n’est pas sans exemple),
des concessions de cette nature. Je dis plus il concédera la Meuse, l’Escaut
pendant 90 ans, sous prétexte de travaux d’amélioration ; et le péage, qui le
fixera ? Ce sera lui-même, et il pourra le faire à son gré.
Je sais que,
d’après le système de la section centrale, il n’y aura d’adjudication de
concessions qu’avec concurrence et publicité. Mais le ministre ne s’est pas
encore prononcé pour ce système, et j’ai démontré tout à l’heure qu’il était
sujet à bien des inconvénients. Mais on va m’objecter que le gouvernement ne
fera de concessions que pour un certain temps ; je déclare que je ne suis point
partisan des concessions à temps, je n’en vois pas l’utilité et j’y trouve de
graves inconvénients. Accordez-vous une concession pour un temps très court ?
Qu’arrivera-t-il ? C’est que le péage en sera d’autant plus élevé. On sent
bien, en effet, que si le concessionnaire doit retirer de son entreprise le
capital qu’il y a mis, les intérêts, et de plus le bénéfice légitime de toute
opération de ce genre, plus le temps de sa concession sera court, plus le péage
sera élevé, plus le commerce s’en trouvera grevé. Si le péage est concédé pour
un long terme, pour 90 ans, cette concession équivaut à une concession à
perpétuité, et on pourrait par des calculs prouver qu’il y aurait peu de
différence. J’aimerais donc mieux une concession perpétuelle. Dans ce cas, en
effet, le concessionnaire a intérêt à améliorer la route, le canal dont il est
propriétaire. Il ne craint pas d’y mettre des capitaux, parce qu’il en tirera
l’intérêt, tandis que le concessionnaire temporaire ne fera point de frais dont
il aurait peine à se rembourser pendant la durée de son bail ; et peu lui
importe l’état où se trouverait la route, le canal ou le pont, lorsqu’il n’en
aura plus le péage.
Ce que j’ai dit
vous prouve que l’article 3 ne pourra jamais recevoir son application, parce
que, une concession de 90 ans étant aussi avantageuse qu’une concession
perpétuelle, tous ceux qui auront l’envie d’en obtenir une, et qui espéreront
être favorisés par le gouvernement, ne manqueront pas de ne demander des
concessions que pour un temps limité, et jamais on n’aura recours à la législature.
Il résulte de ces
considérations qu’il est plus que douteux si le système qui fait la base du
projet n’est pas radicalement vicieux et extrêmement nuisible aux progrès de
l’industrie. Mais en tout cas il est évident que la loi telle qu’on nous la
propose est incomplète, remplie de lacunes, et que ce n’est pas dans une
discussion comme celle à laquelle il nous est permis de nous livrer en ce
moment que nous pouvons espérer de les remplir. Gardons-nous de la voter
d’urgence, pour ainsi dire de guerre lasse. Quand on présente une loi sur les
distilleries, sur le sel, on appelle sur cette loi l’avis, la critique de tous
ceux qu’elle peut intéresser ; et aujourd’hui qu’il s’agit d’une loi qui
intéresse toutes les branches du commerce, nous la voterions sans que personne
ait pour ainsi dire pu en prendre connaissance.
Je propose donc
l’ajournement de la loi, et si quelques concessions sont sollicitées dès
aujourd’hui, il dépend du ministre de l’intérieur de nous présenter des projets
de loi particuliers qui rencontreront certainement peu d’opposition dans la
chambre.
Messieurs,
le gouvernement déchu avait mieux su apprécier l’importance d’une loi de la
nature de celle qui nous occupe ; il avait en 1827 nommé, pour rédiger un
projet d’organisation des ponts et chaussées et des mines, ainsi que d’un
système de concessions, une commission composée de 2 gouverneurs, 2 ingénieurs
du waterstaat, l’ingénieur des mines et 2 industriels. Le travail de cette
commission, fruit de trois mois de discussion, fut remis au roi ; mais il resta
sans suite. Le gouvernement ferait bien d’imiter cet exemple et de ne pas s’en
rapporter à un seul corps, qui n’a que trop d’intérêt à empêcher l’adoption
d’un système contraire à celui qu’on nous propose. Qu’il nomme une commission
comme le fit le gouvernement déchu, et qu’il vienne nous présenter ensuite un
projet mieux mûri ; mais qu’il ne nous jette pas un travail aussi incomplet que
celui-ci, comme s’il ne s’agissait que d’un objet insignifiant, tandis qu’il
est de la plus haute importance. Je déposerai sur le bureau la proposition
formelle d’ajourner le projet.
M. Mary. - Messieurs, naguère une discussion chaleureuse
s’est élevée dans cette enceinte à l’occasion d’un projet de chemin de fer destiné
à ouvrir un nouveau débouché entre Anvers et l’Allemagne. La constitution et
les lois qui en sont dérivées n’indiquaient pas l’autorité qui pouvait concéder
l’exécution de semblables travaux, en leur attribuant un péage. Le projet qui
vous est soumis est destiné à combler cette lacune administrative et soulève
des questions d’un haut intérêt.
On peut concevoir,
que dans les contrées où la plus grande partie des biens est fidéi-commissée
dans quelques familles, inaliénables entre les mains de riches corporations, on
verra quelquefois celles-ci appliquer leurs revenus à l’érection de travaux
publics. Ainsi l’on a l’exemple de particuliers qui, avec leurs ressources
privées, ont créé des canaux ou des routes, à qui l’on doit les principaux
quartiers d’une capitale telle que Londres. Mais nos lois ont depuis 40 ans
passé leur niveau sur les fortunes ; elles ont divisé les biens entre toutes
les parties du corps social, offrant ainsi un aiguillon au travail et une
récompense à l’économie, répartissant avec plus d’égalité les bienfaits de
l’aisance, et fournissant à l’Etat une branche plus productive de revenu
général. A leur tour, des gouvernements se chargeaient souvent de l’exécution
de travaux publics ; mais il fallait dès lors grever ceux-là même qui n’y
avaient aucun intérêt d’impôts suffisants pour couvrir ces dépenses
extraordinaires ; au fardeau des charges ordinaires déjà si pesant pour la
majorité des contribuables, il en fallait joindre de nouvelles dont l’utilité
était moins bien appréciée. Un meilleur système est celui des associations
particulières qui, semblable au fleuve qui se grossit dans sa course du tribut
de milliers de ruisseaux qui viennent se confondre dans un même lit, admet tous
les hommes à participer par faibles portions aux chances des bénéfices comme
aux dangers des entreprises. L’Etat est souvent forcé de demander l’argent de
l’impôt là où il n’est pas, là où il ne se trouve qu’en quantité insuffisante ;
l’esprit d’association n’appelle que des capitaux disponibles. Levier puissant,
voyez-le en Angleterre sillonner le sol de canaux et de routes, voyez-le chez
nous pénétrer dans les entrailles de la terre pour en extraire à grands frais
les richesses métalliques. Heureux le pays où le pouvoir, trop souvent jaloux
de vaines prérogatives ou aveuglé, n’impose pas ses entraves à l’essor des
associations industrielles et ne dessèche pas de sa main de fer des sources
toujours renaissantes de prospérité nationale ! Il doit au contraire les
favoriser, les soutenir en leur offrant des avantages équivalant aux sacrifices
qu’ils imposent. Ces avantages sont tantôt temporaires, tantôt perpétuels, et
l’on sait que plus les premiers sont de longue durée et plus ils approchent de
la perpétuité. C’est ainsi que la seule différence qu’un concessionnaire
trouverait dans l’obligation d’abandonner à l’Etat, au bout de 90 ans, des
travaux dont la dépense actuelle est évaluée à un million, se bornerait à une
faible perte de 12,400 fr., qu’il essuierait au moment de sa concession : si
même celle-ci était d’un siècle, la perte n’équivaudrait qu’à 7,600 fr. ou 3/4
pour cent de capital, et plus la concession serait longue, plus faible serait
la différence. Nous supposons ici que l’argent puisse être placé à l’intérêt
composé de 5 pour cent par an, ce qui permettrait de reconstituer le capital
dépensé avec les sommes ci-dessus au bout de la durée de la concession. L’Etat
formant un corps qui ne s’éteint pas, il sera donc toujours mieux d’accorder
des concessions temporaires qui lui feront trouver plus tard de nouvelles
richesses sans que l’intérêt individuel en souffre ; et nous, qui laissons à
notre postérité le poids des dettes faites de nos continuels emprunts, ne
dédaignons pas de lui ouvrir quelques sources de richesses. Cependant je
n’hésiterai pas à admettre même les concessions perpétuelles, si, plus que les
autres, elles appelaient la confiance publique et amenaient une plus active
concurrence.
Mais par qui et
comment s’octroieront les concessions pour l’exécution de travaux publics ?
Comme sous le gouvernement précédent, le pouvoir exécutif sera-t-il maître de
les accorder et de les refuser, ou faudra-t-il chaque fois une disposition
législative ? Ayant partagé dans la section centrale cette dernière opinion, je
crois devoir la développer ici. Il est évident qu’aucun article de la
constitution, qu’aucune loi qui en soit la conséquence, ne déférant à un
pouvoir quelconque le droit d’accorder des concessions, il faut qu’une loi
nouvelle intervienne pour indiquer l’autorité qui en sera chargée, alors
qu’aucune n’en a déjà la prérogative, alors d’ailleurs que l’intérêt du
souverain vient se confondre chez nous avec celui du peuple Eh bien ! l’un des
avantages du gouvernement représentatif, c’est l’intervention des citoyens dans
tous leurs intérêts, intervention la plus propre à les garantir du despotisme
ou du caprice d’employés parfois incapables ou accessibles à l’intrigue, à les
éclairer sur l’utilité et les résultats de toutes les grandes entreprises.
C’est à ce mode gouvernemental surtout que l’Angleterre, que les Etats-Unis
doivent le développement de ces travaux publics, qui ouvrent à leur industrie
d’immenses facilités et de continuelles ressources. Il y existe dans leurs deux
chambres un comité semblable à notre commission de pétitions, mais occupé exclusivement
de tout ce qui concerne les demandes en concessions de travaux publics. Toute
demande de ce genre, après avoir reçu la publicité des journaux, et le dépôt
pendant trois à quatre mois à l’hôtel-de-ville de la commune ou au chef-lieu du
comté que ce projet concerne, est présentée à l’assentiment de la chambre par
un de ses membres. Si elle est prise en considération, elle est renvoyée à son
comité spécial avec un exposé de l’affaire et un devis des dépenses et des
recettes présumées, puis soumise, avec les changements ou modifications qu’il y
a introduites, à l’assentiment de l’assemblée sons la forme d’un bill. S’il
passe dans une chambre, il est renvoyé dans l’autre, où il subit les mêmes
formalités ; et enfin il est soumis à la sanction royale. Combien ce mode
n’est-il pas préférable, par la publicité et l’éveil qu’il donne à la presse
périodique, à celui qui a été jusqu’aujourd’hui employé chez nous, et dans
lequel tout est caché, tout est le secret des seuls employés des ponts et
chaussées : que l’on vienne avec un projet élaboré par des personnes étrangères
à ce corps, l’on peut difficilement espérer d’être accueilli : ainsi point ou
peu de liberté de talent. En outre, dans la crainte de voir, avec notre système
actuel, l’intrigue s’emparer de l’exécution de travaux publics avec des
avantages trop considérables, on doit réclamer la mise en adjudication avec
concurrence et publicité ; ainsi l’on ne peut espérer de voir des associations
se former pour proposer des plans dont l’exécution ne leur sera peut-être pas
confiée. C’est donc les seuls employés de l’Etat qui sont appelés à le faire,
tandis que souvent ils ne sont pas à même d’en apprécier l’utilité.
Que
ce qui se passe dans les communes et dans les provinces est différent ! Les
conseils communaux ou provinciaux sont consultés sur tous les projets de
travaux ; ils doivent les autoriser, et lorsqu’il s’agit des travaux les plus
importants, de ceux de l’Etat, on ne consulterait pas les représentants de la
nation ; anomalie choquante et que rien ne peut motiver. Je sais qu’il y a des
travaux urgents dont l’on ne peut retarder l’exécution ; je donnerai donc mon
assentiment au projet qui vous est présenté, pour autant qu’il soit temporaire
et n’ait d’exécution que jusqu’au 1er juillet 1833, afin de pouvoir mûrir dans
l’intervalle des dispositions plus conformes à l’esprit, aux usages d’un
gouvernement représentatif ; pour autant surtout que, protégeant l’inventeur,
le créateur d’un projet, il puisse en obtenir la concession par une disposition
législative et sans devoir craindre de se le voir enlever par une adjudication
publique. Je me réserve en conséquence de proposer deux amendements dans ce
sens.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, la section centrale a cru devoir faire
deux amendements au projet que j’avais présenté. Le premier a pour but de
déterminer le temps de la durée des concessions. Ce temps était suffisamment
déterminé dans le projet, parce que par concession temporaire on a toujours
compris une concession dont la durée n’excéderait pas 99 ans. Du reste, la
section centrale a cru devoir le limiter au terme de 90 ans : vos sections
avaient trouvé trop long un terme plus considérable. Je me suis rallié à cet
amendement.
La section centrale,
par son second amendement, a voulu que les concessions se fissent avec
concurrence et publicité. Cet article a semblé soulever de graves difficultés
dans l’opinion de plusieurs membres : les uns ont cru qu’il exclurait les
travaux provinciaux et communaux ; les autres ont pensé qu’il étoufferait tout
esprit d’entreprise. Si je comprends bien la portée de cet article, il n’a pas
cet effet, et lorsque le moment de le discuter sera venu, j’expliquerai qu’il
n’est pas exclusif des travaux que pourraient entreprendre les provinces et les
communes, et qu’il n’exclut pas davantage l’esprit d’entreprise ; car il
offrira toujours le moyen d’indemniser l’auteur du projet.
On a dit que le
projet était incomplet, ne renfermait que peu d’articles, et présentait une
foule de lacunes. Cela est vrai ; mais en ce moment il ne s’agissait que d’une
seule chose, d’autoriser le gouvernement à faire les concessions demandées ou
qui pourraient l’être prochainement. Que l’on révise ensuite la législation,
que l’on propose l’adoption d’un système nouveau en fait de concessions, je le
veux bien ; mais au moins conviendra- t-on que le moment n’est pas opportun
pour cela.
Ce n’est pas quand
vous aurez à vous occuper des lois financières les plus importantes, les plus
urgentes, et qui exigeront de longues délibérations ; ce n’est pas quand le
budget vous sera soumis, quand vous aurez à réviser la loi sur la garde
civique, dont l’effet cesse à la fin de décembre ; quand vous aurez à régler
les institutions provinciales et communales et à discuter la loi sur
l’instruction publique ; ce n’est pas, dis-je, en ce moment qu’il faudrait
jeter dans l’assemblée un projet long et difficile : je dis difficile, et vous
pouvez en juger par les objections que soulève le projet actuel qui n’est, pour
ainsi dire, que transitoire. Si on n’a pas fixé le terme de sa durée, c’est
parce qu’il n’est pas facile de prévoir le moment ou la législature pourra
réviser les lois existantes ; et jusqu’à présent, d’ailleurs, il n’est pas
prouvé que ces lois, en donnant une bonne direction à l’administration, soient
insuffisantes.
Du reste, quand le
moment sera venu, rien n’empêchera chaque membre de la chambre, usant de son
initiative, de présenter un projet à cet égard, et le gouvernement ne manquera
pas de vous présenter lui-même un système complet.
On s’est
longuement étendu sur les avantages du système suivi en Angleterre pour la
concession des routes et des canaux, et on a critiqué séparément le projet et
les amendements de la section centrale. Relativement au système suivi en
Angleterre, il est une observation importante qu’il ne faut pas perdre de vue,
c’est que le parlement anglais administre dans beaucoup de cas. Sous le titre
de lois privées, il fait de vrais actes d’administration, et ces lois ont été
l’objet de réclamations multipliées et de vives critiques, tant de la part des
parties intéressées que de la part des publicistes et de ceux qui s’occupent de
la législation anglaise.
Le moindre
inconvénient qui résulte d’un pareil système est une perte de temps
considérable, pour attendre la décision du parlement. Un second inconvénient,
ce sont les frais énormes à exposer pour se mettre à même d’obtenir une
décision. Un autre inconvénient encore, c’est le défaut d’examen de ces sortes
de demandes, et il est facile de concevoir que le parlement, occupé d’objets si
nombreux, si divers, et d’une si haute importance, ne puisse donner à des
demandes pour ainsi dire privées toute l’attention qu’elles méritent.
Que sur des objets
de législation générale le parlement puisse éviter de tomber dans quelque
surprise, cela se conçoit ; mais il est aisé de concevoir aussi que les
surprises et les erreurs sont faciles quand il s’agit d’objets de pure
administration ou de législation privée. Sous ce rapport, notre système, qui prend
son origine dans la commune, arrive à la province et vient s’arrêter au pouvoir
central, me paraît infiniment préférable.
Pour les
concessions perpétuelles, j’ai cru devoir proposer que le législateur les sanctionnât.
En France, une loi est requise pour les concessions à perpétuité, pour celles
qui entraînent l’expropriation de biens du domaine public, et pour celles
faites à des compagnies sans concurrence ni publicité. Toutes les autres
concessions sont faites par ordonnance ; une loi spéciale n’est pas nécessaire.
On a cru que la
grande quantité de routes et canaux en Angleterre dépendait uniquement du
système des concessions. C’est une erreur ; d’autres circonstances y ont
contribué. C’est l’abondance du numéraire, le développement extraordinaire du
commerce, et d’autres circonstances locales. J’admets en outre que l’influence
du parlement anglais a eu l’avantage de briser les obstacles locaux qui
s’élevaient contre les entreprises ; mais ici le pouvoir central aura aussi le
moyen de les renverser.
En Belgique,
divers obstacles se sont opposés à la perfection du système de communication.
D’abord, nul autre pays au monde n’a été le théâtre d’autant de guerres
désastreuses, ni d’autant d’occupations militaires. En outre, les autorités
locales avaient une grande force de résistance sous l’ancien régime, et il
n’était pas facile de vaincre leur opposition.
Sous le régime
impérial, on ne voulait pas de système de concessions ; le gouvernement voulait
lui-même diriger les travaux publics. Ce n’est que depuis le système de
concessions des barrières que de nouvelles routes se sont ouvertes. J’en
appelle aux souvenirs de vous tous : n’est-ce pas depuis 1815 que l’esprit
d’entreprise a fait des progrès chez nous ? A dater de cette époque, cet esprit
s’est fortifié de plus en plus, et plus vous aurez de routes, plus il se
fortifiera.
On a cru que par
la concurrence et la publicité, les projets seuls du corps des ingénieurs des
ponts et chaussées seront exécutés parce que les particuliers se dégoûteront de
former des projets et des plans dont l’exécution pourrait tomber en partage à
un autre adjudicataire.
Des mesures
peuvent être prises contre cet inconvénient, c’est de consigner dans le cahier
des charges que les frais seront remboursés à l’inventeur. Une deuxième
condition serait de lui accorder un certain avantage dans l’adjudication,
pourvu qu’il déclarât se rendre adjudicataire pour la mise à prix ; condition
essentielle et qui concilierait tous les intérêts, parce que d’une part le
gouvernement serait assuré d’avoir un concessionnaire, et celui-ci serait
certain de ne pas être privé du fruit de ses travaux.
Quant aux communes
et aux provinces, il importe qu’elles puissent obtenir la préférence pour
l’exécution des travaux qu’elles projetteront ; cependant, dans la crainte
que le péage qu’elles établiraient ne fût trop élevé et ne devînt un impôt
onéreux pour les passants, il importe que le montant du péage soit
exclusivement consacré à rembourser les avances faites ; et, en adjugeant
publiquement les travaux à faire et la perception du péage, les abus de ce chef
deviennent impossibles.
On a dit que
l’article premier était inutile. De prime abord il peut le paraître ; mais, en
y réfléchissant, on y trouve cette utilité qu’il décide cette question, que le
péage n’est pas un impôt public, et, s’il était un impôt public, on sait qu’il
devrait être voté annuellement comme la taxe des barrières.
On a cru que
l’article premier était contraire à la constitution. L’article 113 ne me semble
nullement autoriser cette opinion. Que dit cet article ? « Hors les cas
formellement exceptés par la loi, aucune rétribution ne peut être exigée des
citoyens qu’à titre d’impôt au profit de l’Etat, de la province ou de la
commune. »
Ainsi, c’est hors
les cas formellement exceptés par la loi qu’aucune rétribution ne peut être
exigée. Mais l’article 113 ne suppose pas qu’une loi soit nécessaire pour
chaque cas particulier. J’étais rapporteur au congrès du titre de la
constitution intitulé « Des finances. » J’ai soigneusement consulté
tous les procès-verbaux, je n’y ai pas trouvé un seul mot d’où l’on pût induire
une telle prétention. Nous devons donc rester dans les termes de l’article 113
; il suffit que cet article autorise dans certains cas le prélèvement d’une
rétribution : c’est au pouvoir exécutif à voir quand il convient de
l’effectuer. Aussi la généralité de vos sections n’a vu dans cet article rien
d’inconstitutionnel.
On a craint
l’énormité des profits des concessionnaires ; mais la concession étant soumise
à la concurrence, l’excessif bénéfice n’est pas à craindre : la concurrence est
la plus sûre garantie à cet égard.
Si vous adjugez la
concession pour un temps court, dit-on, le péage sera d’autant plus élevé. Mais
on sait que, quand une route est adjugée, le péage est fixé sur le taux
ordinaire des barrières, et on fixe le temps suivant les dépenses qu’exige
l’entreprise de la route, et suivant qu’elle doit être fréquentée.
On a dit encore
que l’article 3 était illusoire, parce que rarement on s’adresserait au pouvoir
législatif pour obtenir des concessions, aimant mieux ne les avoir que
temporaires et les obtenir du gouvernement. Cet argument milite singulièrement
en faveur du projet. Déjà on vous a fait apercevoir que tout demandeur de concession
craindra l’enquête législative, la double épreuve à laquelle il serait soumis
et les longs délais qu’il aurait à subir. Et qu’on ne croie pas que de telles
demandes fussent accueillies ici sans difficulté et surtout sans de longues
discussions.
Les députés des
districts intéressés directement à empêcher la concession ne manqueraient pas
de défendre avec chaleur les intérêts de leurs commettants, et ils pourraient
souvent l’emporter au détriment du bien général. D’ailleurs les
concessionnaires ne trouveront pas une plus grande sécurité dans la décision
obligée du pouvoir législatif, car ils auront dû s’adresser d’abord au pouvoir
exécutif, et ils ne gagneront à cela qu’un double examen.
En
résumé, je crois avoir démontré que le projet de loi est tout ce qu’on peut
désirer de mieux pour le moment, parce que d’ici à longtemps il ne sera pas
possible de réviser les lois existantes, et qu’il faut cependant prendre une
décision pour les projets formés et qui seraient sur le point d’être exécutés.
J’ajoute que les compagnies qui ont trouvé des capitaux pour l’exécution de ces
entreprises les destineraient bientôt à d’autres s’ils ne pouvaient obtenir une
concession prochaine. D’un autre côté, voici le moment où la classe ouvrière va
avoir besoin d’occupation ; c’est, vous le savez, aux approches de l’hiver et à
sa fin que les travaux des routes se font : il est donc urgent de fournir à la
classe ouvrière ce moyen de subsister ; en outre, les travaux nouveaux sont
pour le gouvernement le moyen le plus efficace d’encourager l’agriculture,
l’industrie et le commerce ; il ne faut
pas l’en priver.
J’espère,
messieurs, que, pénétrés de l’urgence du projet et de l’importance de la
matière, vous n’hésiterez pas à lui donner un vote favorable.
M. Desmet. - Messieurs, nous nous sommes révoltés contre les
Nassau ; certainement c’était pour secouer leur joug et pour nous délivrer de
ce système d’arbitraire et de monopole qu’ils faisaient peser sur nous avec
tant d’impudence. A peine notre révolution est-elle faite qu’il semble que déjà
on est las des libertés qu’on espérait d’obtenir par elle, et qu’on veuille
travailler pour nous refouler dans un même esclavage. C’est ainsi qu’entre
autres, pour l’objet intéressant de l’exécution des travaux d’utilité publique,
on a grande envie de nous tenir sous le despotisme des ponts et chaussées de
Bonaparte et du waterstaat de Guillaume ; on veut plus encore que ces deux
despotes n’ont jamais osé prétendre ; on veut que vous vous y mettiez de votre
propre volonté, et qu’une loi consacre votre servitude, tandis que jusqu’à
présent cet arbitraire ne s’exécutait que par le simple bon plaisir des
souverains.
D’après notre
constitution qui a, je l’espère, détruit le pouvoir absolu, le gouvernement
conserverait-il toujours la faculté d’empêcher que des travaux utiles au pays,
à son commerce et à son industrie, soient entrepris ? Et à lui seul aurait-il
encore l’omnipotence d’accorder ou de refuser des concessions de péage ? Une
telle autorité discrétionnaire serait incompatible avec les principes de
liberté et les chances die prospérité. En laissant au ministère une telle
dictature, chaque ministre pourrait enrichir sa province et ruiner les
provinces rivales ; en s’opposant aux améliorations dans celles-ci et en protégeant
la sienne, il pourrait même soigner ses propres intérêts ou ceux d’une
association privilégiée au détriment de la généralité. Des exemples ne manquent
point à l’appui de cette assertion : je ne citerai pour le moment que le projet
de la prolongation du canal de Roubaix jusque dans le haut Escaut, dont
l’utilité générale avait été reconnue et qui est resté sans effet par une
intrigue qui avait pris sa source dans un intérêt particulier.
Dans les Etats
libres comme la Belgique, en Angleterre, aux Etats-Unis, les projets de
concessions sont présentés et autorisés par le parlement ; le ministère n’a
jamais osé prendre sur lui d’empêcher la présentation au parlement d’une
demande faite par une association, ni même de l’ajourner, parce qu’il serait
responsable de toutes les pertes causées par un retard, et il devrait alors
payer à l’association soumissionnaire des indemnités en raison d’un tel
ajournement arbitraire.
Les principes
consacrés par notre constitution conduisent de nécessité à une législation parfaitement
identique ; si elle ne se trouve pas encore fixée, il n’est pas moins certain
que, par cette règle sacrée que toute taxe, tout impôt doit être voté par les
chambres, elle ne peut être douteuse et établit évidemment celle suivie en
Angleterre.
Le paragraphe 2 de
l’article 108 de la constitution donne aussi l’attribution aux conseils
provinciaux et communaux de tout ce qui est d’intérêt provincial et communal,
sans préjudice, à la vérité, de l’approbation de leurs actes et suivant le mode
que la loi détermine. Il est évident que, d’après le sens de cette disposition,
toute commune, toute province a le droit d’ouvrir à ses frais, ou d’autoriser
l’ouverture, par une association, d’une route ou d’un canal, sauf l’approbation
du gouvernement, et, dans le cas de divergence, la question doit être renvoyée
aux chambres, notre grand jury national.
Si un ministre
avait le pouvoir de s’opposer à l’exécution d’une communication ou d’un travail
quelconque d’utilité publique, il existerait une autorité absolue ; le
gouvernement représentatif ne serait plus qu’une fiction.
Il est
incontestable, d’après les principes de notre constitution, que le gouvernement
ne peut avoir la faculté unique de concéder des travaux publics ou d’en refuser
l’entreprise, que ce pouvoir réside dans les attributions de la législature, et
que, sans l’observation religieuse de ce principe fondamental d’un pays libre,
il n’y aurait plus de liberté égale pour tout et en tout, et l’avenir du pays
serait fortement compromis. En réfléchissant donc à cet objet de si grand
intérêt, on est conduit à reconnaître qu’il est de toute nécessité d’admettre
la législation anglaise, de soumettre aux chambres toute demande d’entreprise,
et d’imposer au ministère, sous sa responsabilité, l’obligation de ne pas
ajourner au-delà de deux mois la présentation de toute proposition ayant pour
but l’exécution d’un travail d’intérêt public. J’aurai l’honneur, messieurs, de
vous présenter dans ce sens un amendement au projet du ministre.
Chaque loi de
concession d’un ouvrage sera alors un code complet, qui règle les intérêts des
tiers, aplanit les obstacles et assure aux associations les garanties
nécessaires ; les discussions solennelles des chambres éclaireront le public,
encourageront les propriétaires et les capitalistes à s’associer dans un
intérêt général ; le pays marchera à une prospérité rapide : alors
disparaîtront les rivalités de provinces et de districts ; on ne sera plus
exposé à voir comme autrefois la population de Gand guerroyer avec celle de
Bruges pour l’ouverture de leur canal, et les ouvriers toujours armés pour
défendre leur travail.
Chaque canal,
chaque route sera la propriété de tous ceux qui voudront souscrire ; et une
association qui se présentera, réclamera comme un droit la faculté de faire une
amélioration, sauf l’approbation de la demande par les chambres.
Les travaux de la
représentation nationale deviendront du moins utiles au pays, et les sessions
ne se passeront plus à s’occuper de questions oiseuses et sans résultat
avantageux pour le public.
J’espère donc,
messieurs, que vous ne vous laisserez pas prendre à un piège, qui ne nous est
tendu que pour nous rejeter pour jamais dans ce même système d’arbitraire qui a
comprimé jusqu’à présent toute l’étendue de notre liberté et tenu en esclavage
l’esprit d’association que la Belgique réclame avec tant d’instances pour
améliorer son sort sous le rapport du commerce et de l’industrie, et que vous
ne la tiendrez pas stationnaire et sous la férule d’un ministère, mais que vous
repousserez le projet que le ministre vous présente, s’il n’est pas
convenablement amendé…
Je
ne dirai qu’un mot sur la distinction astucieuse que le projet fait entre les
concessions temporaires et celles à perpétuité : le ministre, en laissant
les concessions à perpétuité à la sanction de la législature, croit
certainement avoir fait un acte très libéral et agi dans toute l’étendue de la
constitution ; mais qu’on veuille y prendre attention, ce n’est point dans le
péage a temps ou à perpétuité que consiste le danger du système du ministre,
mais c’est principalement dans cette insupportable omnipotence qu’il veut
s’arroger pour tout ce qui concerne l’exécution des travaux publics, qu’il veut
que dans lui seul existe la faculté de traiter des objets de si haut intérêt,
d’accorder ou refuser des concessions. Si vous faites cette cession en faveur
du gouvernement, vous ne saurez concevoir le large pouvoir que vous lui
concédez pour mal faire, ni apprécier le tort que vous allez faire à l’industrie
et au commerce de votre pays, tout en foulant à vos pieds les libertés que le
peuple belge a conquises au prix de son sang.
M. Osy. - Messieurs, je n’ai rien à ajouter aux
développements présentés par M. de Brouckere touchant la constitutionnalité ;
je crois que l’article 113 ne nous permet pas de voter sur le projet. Au
reproche adressé à la loi sur ce qu’elle est incomplète, le ministre répond que
nous n’avons pas le temps de délibérer sur un projet complet : mais les
pouvoirs étendus qu’il nous demande me paraissent extrêmement dangereux pour
l’industrie ; j’en tire la preuve de ce qui s’est passé pour la route de
l’Allemagne ; nous lui avons démontré qu’il pouvait adopter un système meilleur
que celui qu’il avait admis. Si la route avait été mise en adjudication, nous
paierions des péages beaucoup plus considérables que ceux que nous pourrons
payer. Il y a de grands inconvénients à laisser au gouvernement le droit de
faire seul des concessions. Comme la session est très avancée, il serait
peut-être avantageux de faire une loi transitoire comme
le propose M. Mary : dans ce moment il ne peut y avoir de pressé que quelques
routes secondaires dont le gouvernement peut faire la concession ; mais quant à
la route en fer d’Anvers à Cologne, nous n’avons pas le temps de l’examiner ;
il faut en effet beaucoup de temps pour rechercher le commodo et l’incommodo.
Il en est de même de la route en fer d’Anvers à Bruxelles. Nous pouvons bien
accorder au pouvoir le droit de faire des concessions de 30 ans pour des
chaussées ou des ponts ; il en est autrement de la route de Cologne : pour
cette route il faut s’arranger avec la Prusse, ce qui n’est pas très facile, et
ce qui est d’autant moins facile que nous n’avons pas d’ambassadeur à Berlin.
La route d’Anvers à Bruxelles n’est pas chose facile non plus ; Bruxelles a
fait les frais d’un canal, et cette ville ne verra pas sans déplaisir la perte
des avances qu’elle a faites.
Le ministre
devrait se borner à nous demander une loi pour des concessions de chaussées et
de ponts d’une durée limitée à 30 ans.
M. Gendebien. - Le projet est-il bien constitutionnel ? Je pense
qu’il ne l’est pas. Aux termes de l’article 113, aucune rétribution ne peut
être exigée des citoyens qu’au profit de l’Etat ; il n’y a d’exception que pour
les cas formellement énoncés par la constitution. Vous propose-t-on un cas
exceptionnel à l’article 113 ? On vous demande la faculté indéfinie de faire
des concessions ; ce qui est évidemment substituer l’exception à la règle, et
donner à l’exception la généralité que doit avoir la règle. Ainsi, au lieu de
lire l’article 113 comme il est écrit, il faudra lire : « Le Roi a le droit
d’imposer toute rétribution quelconque aux citoyens, pour travaux
publics. ». Cet article, disséquez-en les termes. Il commence par les mots
: « Hors les cas formellement exceptés par la loi. » Les cas ... que
vent dire ce mot ? Ouvrez les dictionnaires ; ce sont des faits passés ou des
faits qui peuvent se présenter : eh bien, est-ce pour un fait passé ou futur
que la loi est présentée ? Non, messieurs ; c’est une délégation tout entière
que l’on demande, Il faudrait au moins tracer un principe, une règle pour ces
concessions ; la loi ne présente rien : vous ne faites ici qu’une simple
déclaration qui substitue le gouvernement à la législature. Croyez-vous qu’il
soit prudent d’en agir ainsi ? Je ne veux pas avoir à rendre compte à mes
concitoyens d’une délégation semblable, et conçue dans des termes tout à fait
inconstitutionnels.
Messieurs, je ne
suis pas de l’avis de ceux qui pensent que la rétribution exigée par le
concessionnaire soit un impôt, ou puisse être assimilée à l’impôt ; car, après
tout, c’est un particulier qui prend volontairement dans sa poche pour payer au
bureau de la barrière.
Et le gouvernement
ne pourrait continuer à percevoir après 90 ans que pour faire valoir dans le
budget des recettes. Cette objection faite contre le projet ne me gêne
nullement ; mais celle tirée de l’article 113 de la constitution me paraît un
obstacle invincible, et je ne la franchirai pas.
Messieurs, on n’a
rien prévu dans la loi qui tend à déléguer d’un seul trait de plume ce qui est
dans les attributions de la législature ; cependant, il y a des cas différents
sur lesquels vous ne pouvez appliquer la même disposition. Le gouvernement
demande la faculté de concéder d’une manière indéfinie. Je suppose qu’un
particulier demande la permission de faire un chemin de fer d’ici à Mons sans
couper le canal ni la chaussée, je pense qu’il peut faire la concession ; mais
si le particulier demande que le chemin de fer passe sur la chaussée de
Bruxelles, le gouvernement pourra-t-il faire cette concession ? Je ne le crois
pas. Les particuliers qui ont le droit de passer sur un chemin de terre,
comment pourrez-vous les priver de ce droit ? Il n’y a pas un mot de tout cela
dans la loi.
Messieurs, je ne
puis pas non plus partager l’opinion de ceux qui croient que les concessions
peuvent être temporaires ; je vois dans la loi, à cet égard, un arbitraire
effrayant et qui pourrait fort bien nous rejeter dans le système du roi
Guillaume, celui des perceptions à termes courts, afin de faire rapidement un
revenu sans bourse délier.
Il est dit que les
concessions temporaires ne pourront excéder 90 ans ; mais il n’est pas dit dans
la loi que le gouvernement ne pourra pas en faire de 25 ou 30 ans, et écraser
la génération actuelle au profit du trésor.
Nous ne sommes
plus dans le régime du roi Guillaume, nous dit-on. Nous connaissons le langage
qu’on a employé pour perdre ce roi ; si l’opposition avait fait bonne
contenance, il pouvait être utile aux intérêts matériels du pays. Il s’est entêté,
et il a été culbuté. Confiance dans la loi, et rien dans les hommes qui peuvent
changer. Dans un gouvernement représentatif, les hommes ne sont que des
abstractions ; des garanties, des lois sont tout.
Quel est l’article
dans la loi qui a prévu que nous ne ferions pas des concessions de 30 ou 40
ans, qui écraseraient l’industrie par des perceptions trop fortes ?
L’auteur de la
brochure que l’on a citée, a dit que la véritable manière de protéger
l’industrie est de protéger l’industrie indigène. Je sais qu’on fait de vains
efforts pour encourager une industrie étrangère ; on veut nous faire fabricants
de soie, et l’on n’a rien fait jusqu’ici pour l’amélioration des
communications.
Le gouvernement
provisoire avait admis un principe fort simple pour les communications ; il
voulait ne faire peser sur les routes, canaux, chaussées de toute espèce,
qu’une indemnité représentant un intérêt de 5 p. c. d’intérêt du capital
dépensé, et une indemnité suffisante pour la réparation de la route ou du
canal. Si l’on proposait un principe semblable pour la canalisation de la
Sambre, je conçois que l’opération serait très utile ; mais, rien n’étant dit
dans la loi, le gouvernement pourra faire des concessions représentant 20, 40
pour cent du capital, parce qu’il suffira pour cela de réduire le nombre des
années.
On mettra en
adjudication publique, dit-on ; mais on ne nous dit pas si le rabais aura lieu
sur le nombre des années ou sur la perception ; et l’on ne sait pas si les
ministres pourront faire comme le roi Guillaume. Encore le roi Guillaume avait
le droit d’agir comme il a fait, d’après sa constitution, tandis que les
ministres ne l’ont pas.
Remarquez que vous
êtes en possession de faire rentrer les ministres dans les règles du droit
public. Nous avons aboli la constitution ancienne : les lois qui en découlaient
sont annulées ; n’abandonnez donc pas le ministre à lui-même ; avec les
meilleures intentions du monde il sera obsédé par toutes les intrigues, et il
pourra faire des faux pas contraires aux intérêts de l’industrie.
Je disais que je
ne pouvais pas admettre de concessions temporaires. En effet, si vous donnez
des concessions temporaires, le concessionnaire ne fera tout juste que les
dépenses nécessaires pour arriver à la fin de sa concession ; et lorsque vous
aurez grevé la génération actuelle, vous serez obligé de dépenser un nouveau
capital pour entretenir le canal ou le refaire en partie.
On nous a dit que
ce n’était pas le moment de discuter un projet de loi complet sur lequel tant
de systèmes pouvaient se croiser ; puis on nous a dit que c’était une loi
d’urgence ; je crois moi qu’elle est, comme tant d’autres, une loi de
négligence. Il y a longtemps qu’on a dû s’apercevoir qu’en Belgique il y avait
une industrie, et qu’on devait songer à une législation sur les travaux
publics. Il y a quatre mois qu’une discussion très animée eut lieu, et par laquelle
le ministère fut averti de présenter un projet de loi.
On ne l’a pas
fait, on a mieux aimé attendre à vous présenter un projet d’urgence. Avec ce
projet il serait tiré d’embarras, et serait dans une douce quiétude ; il
n’aurait plus d’autre occupations que celle de recevoir les entrepreneurs, les
intrigants. Il y a moyen de parer à l’urgence : qu’on nous présente une loi
transitoire, ou plutôt qu’on nous présente les concessions demandées ; la
législature pourra les accorder s’il y a lieu ; si elle se trompe, elle ne
trompera que sur des cas particuliers ; si elle se trompait par la loi, elle se
tromperait généralement et pour longtemps.
Messieurs, on vous
a cité l’Angleterre et les abus qui s’y commettent par les demandes en
concession, afin de réfuter ceux qui croient que la législature seule doit être
appelée à accorder des concessions ; je ne sais si on peut comparer la Belgique
à l’Angleterre sous le rapport de la perte du temps qu’éprouverait la
législature chez nous ; il faudrait que nous eussions beaucoup de demandes en
concessions pour qu’il fût nécessaire de perdre beaucoup de temps dans nos
assemblées ; malheureusement, d’ici à quelques siècles nous n’aurons pas cet
embarras. Il y a perte de temps en Angleterre ; jusqu’à quel point est-ce désavantageux
? On n’en sait rien. Tout ce que je sais, c’est que la législation vermoulue de
l’Angleterre tombe de toutes parts ; il y a des dépenses énormes dans le pays,
dépenses qui la menacent d’une prochaine révolution. Nous, nous travaillons sur
table rase ; évitons les abus. Si vous accordez au gouvernement seul le droit
de faire des concessions, il pourra tracasser, susciter des difficultés autant
qu’il voudra, et les propriétaires n’obtiendront justice qu’autant qu’il lui
plaira.
Si la législature
fait des concessions, il suffira que le particulier fasse une pétition à la
chambre, ou qu’il fasse une demande. Le pouvoir législatif examinera, en vertu
du pouvoir d’initiative, nous pourrons vaincre la mauvaise humeur du ministre.
C’est le seul système propre à donner sécurité à la nation. Les chambres sont
composées de représentants des provinces dont ils connaissent les intérêts et
les personnes ; ils savent si les demandes sont le résultat d’une intrigue, ou
si elles sont sérieuses et faites dans un intérêt général.
J’omettrai
quelques erreurs énoncées par le ministre.
On vous a dit que
le système de publicité et de concurrence pouvait parer à toutes les
difficultés qui pouvaient résulter des intrigues des bureaux ; je conçois que
cela puisse se faire ; je conçois qu’elles écarteront beaucoup d’intrigues.
Cependant il y a une autre difficulté qu’elles ne résoudront pas.
Comment
indemniserez-vous celui qui aura été l’inventeur de tel ou tel moyen de
communication pour traverser un ravin, une rivière ? La loi n’en dit rien. Aux
termes de l’article 114 de la constitution, le ministre ne pourra lui rien
accorder. Il faut une loi pour indemniser par une gratification, et le projet
est muet sur ce point. La loi est à peine un squelette de loi, et sous prétexte
d’urgence, sous le prétexte des intérêts les plus chers à l’industrie, on
voudrait nous faire adopter une mesure incomplète et inconstitutionnelle.
En
résumé, je crois qu’aux termes de l’article 113 de la constitution, la
législature a été saisie de la connaissance de toute disposition qui règle une rétribution des citoyens ; je
dis que vous ne pouvez pas déléguer au gouvernement le droit de concéder sans
limites, sans règle, sans restrictions ; et si le projet n’est pas
inconstitutionnel, il est tellement incomplet que vous abandonnez au hasard le
sort de l’industrie.
Je vote contre le
projet de loi.
M. Dellafaille.-
Quoique je n’approuve pas sans restriction le projet de loi, je viens réfuter
quelques objections faites par ses adversaires et qui me paraissent mal
fondées.
La question des
concessions me paraît assez grave, elle ne peut être discutée à la légère. Les
concessions à court terme doivent être autorisées ; on ne doit pas en priver
l’Etat, quand la chose est possible. On prétend que des concessions à court
terme rendront les péages plus élevés ; M. le ministre de l’intérieur vous a
dit que les péages étaient établis sur les frais d’établissement et sur la
durée de la concession : ce principe répond à tout.
Le concessionnaire
à court terme négligera l’entretien du chemin ou du canal ; mais cet
inconvénient peut être paré par l’acte même de la concession, en obligeant le
preneur à créer un capital pour la réparation. Au reste les tribunaux sont là
qui lui feront remplir ses engagements.
On a demandé si le
Roi pouvait faire des concessions ; je sais que l’article 113 est formel et que
le Roi ne peut donner la concession en vertu de ses prérogatives ; mais la loi
dit que la concession sera établie par le moyen d’une rétribution ; ainsi le
Roi ne fait pas usage d’une prérogative, il n’est saisi que du pouvoir
exécutif. Il en est de même pour les concessions de mines.
Quant à l’utilité
de la faculté qui serait donnée au gouvernement de faire des concessions, je
crois que cette manière serait et plus prompte et plus économique que les
concessions faites par les chambres, à moins qu’on ne suive la manière de
procéder des chambres françaises qui se contentent des enquêtes faites par le
gouvernement. En Angleterre, il faut que les chambres fassent une enquête dans
leur propre sein ; mais ce mode est très coûteux, parce qu’il exige des retards
qui retombent sur le commerce. Pour une entreprise d’un million ou pour une
entreprise de cent mille florins, il faudra peut-être une enquête également
longue et pénible…
On a objecté que
l’article premier était inutile ; je le crois, parce qu’il établit un principe
clair et fondé ; c’est pour éviter les abus de l’ancien gouvernement qu’on a
voulu insérer cet article.
Le ministre n’a
pas voulu présenter un projet complet, il n’a voulu que combler une lacune.
Cette raison ne me paraît pas suffisante ; la matière était assez importante
pour que nous n’ayons pas refusé de délibérer quelques jours de plus.
Rapporteur
de votre section centrale, j’ai cru, messieurs, devoir donner quelques
explications ultérieures sur les motifs qui l’ont guidée. Député, je ne me fais
pas illusion sur les imperfections du projet. Ce n’est pas une loi en trois
articles, mais une législation complète sur la matière qu’il nous faudrait si
nous voulons donner à notre agriculture, à notre commerce, à notre industrie,
tous les développements dont ces sources de la prospérité publique sont encore
susceptibles.
Aussi, en ce qui
me concerne particulièrement, si le ministre consent à ne demander qu’une loi
transitoire dans le sens de M. Osy, je l’accorderai pour ne pas entraver des
travaux utiles ; mais je refuserai mon assentiment au projet s’il entend la
considérer comme définitive. J’attendrai, à cet égard, des explications
ultérieures, et je me réserve mon vote.
M. H. de Brouckere. - M. le ministre de l'intérieur a avoué que la loi
qui nous était présenté était loin d’être parfaite ; il avoue encore qu’elle
présentait des lacunes ; et il vous a fait sentir combien il serait difficile
de soumettre à votre discussion une loi qui fût réellement complète, parce
qu’elle serait très étendue. Je suis d’accord avec le ministre sur ce point ;
mais je ne suis pas d’accord avec lui sur les moyens qu’il a employés pour
réparer le mal.
Le ministre nous
propose une loi en un article qui lui donne le pouvoir le plus étendu ; c’est
une loi commode pour lui. Mais c’est parce que la loi est incomplète que j’ai
demandé l’ajournement de la discussion et que je persiste dans cette demande.
Le ministre de
l’intérieur a voulu vous rassurer en vous disant que, si la loi est mauvaise,
vous avez tous le droit d’initiative et vous pourrez en faire usage pour
présenter une loi meilleure ; sans doute que nous avons le droit d’initiative,
mais le gouvernement a le droit de veto, et la loi incomplète que vous aurez
votée sera toujours en vigueur, et il aura toujours le droit illimité
d’accorder des concessions.
On a parlé du
droit qu’avaient les chambres en Angleterre de faire des concessions ; mais, en
Angleterre, les chambres administrent ; et vous, chambre des représentants,
vous n’avez pas ce droit. Nous voulons que, conformément à la constitution qui
nous régit, aucune rétribution ne soit prélevée sur les citoyens qu’en vertu
d’une loi, qu’en vertu de l’autorisation que les trois branches du pouvoir
législatif en auront donnée.
Le système admis
en Angleterre a de grands inconvénients, et, entre autres, celui d’occasionner
de très grands frais. Cependant, dans un demi-siècle, huit cents associations
pour canaux, routes, docks, ponts, etc., ont été formées en Angleterre pour un
capital de plusieurs milliards. Ainsi les frais ne sont pas tels qu’ils
arrêtent les démarches des demandeurs en concessions.
S’il existe
quelques abus en Angleterre, il nous sera facile de les prévenir et nous ne
verrons pas chez nous les enquêtes parlementaires faites pour des choses d’une
minime importance. Dans ce cas, les chambres s’en rapporteront aux enquêtes
ministérielles.
Vous ne pourrez
pas examiner toutes les concessions, nous dit-on ; mais les demandes en
concessions auront d’abord été examinées par le gouvernement, elles seront de
plus soumises au contrôle des chambres.
On a voulu dire
encore que l’état de propriété où se trouvait l’Angleterre devait être attribué
à d’autres causes qu’aux institutions qui régissent ce pays : aux paroles du
ministre j’opposerai l’autorité de M. Cordier : « Ce n’est ni par
les impôts, ni par les prohibitions, ni par les colonies, ni par des guerres
ambitieuses, ni par les désastres de notre commerce que l’Angleterre a
prospéré, c’est malgré notre système de prohibition et malgré les dépenses
excessives de guerres impolitiques, c’est uniquement par un travail productif
favorisé par de bonnes institutions qu’elle est devenue riche et
puissante. »
Mais ce système,
bon en Angleterre, peut ne l’être pas chez nous, dit le ministre ; cependant il
faudrait prendre la peine de nous donner la preuve qu’il en est ainsi ; et
jusqu’à ce que cette preuve ait été produite ; il est probable pour nous que
les mêmes causes produiront les mêmes effets.
S’il est vrai que
depuis longues années on a construit peu de moyens de communications en
Belgique, il faut convenir que depuis 1815 beaucoup de chaussées et de routes
ont été étabies ; pourquoi en est-il ainsi ? C’est parce qu’on a introduit le
système des péages.
Si le gouvernement
avait introduit le système des concessions particulières, vous en auriez vu
quatre fois autant qu’avec le système de 1815.
Le ministre n’a
pas été plus heureux en prenant la défense des articles du projet. J’avais dit
que l’article premier était inutile ; on a prétendu que son utilité était de
prouver que le droit de péage n’était pas un impôt ; mais il suffit que par
l’article 2 on donne au pouvoir le droit d’accorder une concession de 90 ans,
pour que le législateur ne s’occupe pas du droit de péage chaque année, à moins
de violer la sainteté du contrat.
Quant à la
question de constitutionnalité, on n’a rien répondu. On ne prouvera pas que
nous puissions par une loi générale établir autant de rétributions que l’on
voudra, et aussi élevées qu’on voudra.
L’honorable membre
de la chambre qui a fait les fonctions de rapporteur vous a cité un exemple ;
il a dit que vous aviez bien accordé au Roi le droit de concéder des mines ;
d’abord nous n’avons pas accordé au Roi le droit de concéder des mines ; mais
l’eût-on accordé, des mines aux péages il n’y a pas analogie ; la concession
des mines ne frappe pas les citoyens d’une rétribution.
J’avais
dit que les concessions à temps, lorsque le terme est court, exigent des droits
plus élevés ; M. le ministre et M. le rapporteur ont dit qu’on ne pourrait pas
aller au-delà du taux des barrières et des concessions qui existent maintenant
; mais ce principe est-il énoncé dans la loi ? Je ne le vois nulle part.
J’avais dit aussi
que du moment où vous donniez au pouvoir le droit d’accorder des concessions de
90 ans, les favoris du pouvoir auraient bien fait de s’adresser à lui et point
au chambres ; M. le ministre a trouvé que l’article était en sa faveur ; c’est
ce que nous n’avons pas bien compris.
Je persiste à
croire que le système du ministère est contraire aux intérêts généraux ; mais
fût-il bon dans ce qu’il nous présente, il est incomplet puisqu’on n’y a rien
stipulé pour les inventeurs, pour les travaux des communes et des provinces.
M. d’Elhoungne. - Messieurs, en prenant la parole dans cette
discussion, je crois devoir remercier le gouvernement de sa sollicitude pour
les intérêts bien entendus du pays, c’est-à-dire de ce qu’il a présenté un
projet de loi sur la matière que nous discutons : ce n’est pas que je voterai
en faveur du projet, il n’est pas dans sa
maturité ; mais ce projet tel qu’il est a en cet effet de produire une
brochure qui doit attirer l’attention des hommes amis de leur pays, et en outre
il tend à créer une nouvelle espèce de propriété, une nouvelle source de
richesse.
Le projet, selon
moi, repose sur une base fausse en principe et funeste dans ses conséquences.
Si je jette les yeux sur l’exposé des motifs, j’y trouve que les travaux
d’utilité publique et qui ouvrent des communications rentrent dans les
attributions du gouvernement : si par ces mots les ministres ont voulu dire que
le gouvernement, comme tout autre mandataire, exécute les travaux qu’il a
conçus dans l’intérêt de ses commettants, c’est une de ces vérités qui n’ont
pas besoin d’être répétées, qui sont triviales, à force d’être connues.
Si au contraire on
prétend faire découler le principe de concessions de l’utilité d’ouvrir au
commerce de nouvelles communications, je dis que le principe est faux et
funeste dans ses conséquences.
Le droit de
propriété donne à celui qui en jouit le droit d’exploiter le sol de la manière qui
lui paraît convenable. Les uns mettent le sol en culture, les autres le
couvrent de bâtiments, d’usines ; d’autres peuvent sillonner le sol pour
établir des communications nouvelles, et ils peuvent faire jouir tout le monde
de ces communications, moyennant une rétribution qu’ils réclament.
Je conteste au
gouvernement le droit de s’immiscer dans les communications qu’un propriétaire
ouvre à l’industrie ; le gouvernement ne peut s’occuper de la rétribution que
demande ce propriétaire ; il ne peut pas s’immiscer dans les affaires du
propriétaire d’une maison avec son locataire ; il ne peut pas dire : Vous
louerez la propriété à tel prix.
Selon moi, il n’y
a pas de différence dans la location d’un chemin construit aux frais d’un
propriétaire sur le sol qui lui appartient, à la location du bâtiment que le
propriétaire aurait construit sur le sol. Ainsi, sous ce rapport, vous voyez
que le principe est faux. Je crois qu’il faut admettre le principe contraire,
et qu’il faut dire que tout le monde a droit d’ouvrir des communications au
commerce aux conditions qu’il imposera.
Aussi longtemps
que le propriétaire travaille chez lui, l’intervention du gouvernement est
inutile ; mais l’intervention du gouvernement doit avoir lieu quand les
inventions doivent s’exécuter sur le sol d’autrui, et elle ne peut avoir lieu
que là. Alors, dans l’intérêt général, le gouvernement doit s’interposer ; il
doit stipuler dans l’intérêt de la société et dans l’intérêt privé des
propriétaires.
Dans un pays
constitutionnel, les gouvernements n’ont pas des droits à exercer, ils n’ont
que des devoirs à remplir ; le gouvernement n’est qu’un mandataire, et le
commettant, c’est la nation.
Les conséquences
du projet de loi seraient funestes, et le seraient sous plus d’un rapport.
D’abord, l’expérience
nous doit avoir appris que le gouvernement n’a ni les moyens, ni la volonté
d’exécuter les communications publiques avec toute la célérité, avec toute
l’économie que réclame l’intérêt général ; dès lors, il ne doit pas avoir plus
qu’un autre le monopole de ce genre d’exploitation. Le gouvernement devrait
s’interdire d’exécuter aucuns travaux de cette nature, aussi longtemps que des
spéculateurs privés négligeront d’ouvrir des communications au commerce ; et si
je rappelle à ma mémoire ce qui s’est passé chez nous, le gouvernement peut
s’en rapporter aux intérêts privés du soin d’entreprendre ce qui est bon et
utile.
La Belgique est
citée comme le pays le plus riche pour les communications. Il n’y a que deux
bouts de chaussées qui ont été construites par le gouvernement déchu ; toutes
les autres chaussées ont été construites soit par des particuliers, soit par
des associations, soit par des communes ou des provinces. L’intervention du
gouvernement n’est pas nécessaire ; elle serait nuisible : sous le prétexte
d’exploiter, il créerait un monopole, il mettrait obstacle à ce que le pays
obtienne des communications nouvelles. Il n’y a pas de plus mauvais producteur
que le gouvernement, parce que, devant toujours passer par l’intermédiaire
d’agents salariés, lesquels n’ont de zèle que celui qu’on connaît aux agents
publics à traitement fixe, il est toujours mal servi ; il exécute à plus haut
prix et plus mal que les particuliers tous les travaux dans lesquels il
s’immisce.
A cette question
se rattachent plusieurs autres questions incidentes, lesquelles sont toutes
d’une grande portée et d’un haut intérêt.
Quand il s’agit de
concéder à un particulier une ou plusieurs propriétés du sol, le gouvernement
doit intervenir ; mais sous ce rapport-là la première condition à exiger, c’est
que toute demande de concession soit rendue publique afin que toutes les
parties intéressées puissent faire valoir leurs droits, soit pour s’opposer à
une mauvaise direction donnée aux travaux et qui aurait pour effet de nuire,
sans utilité pour le public, à des particuliers, soit pour les indemnités.
En faisant le
tracé d’une nouvelle communication, il se pourrait que l’auteur du projet, par
des vues de spéculation qui sont dans les termes des choses possibles, fit
passer par un coin de propriété sa route, sans nécessité, et de façon à nuire
beaucoup au propriétaire. Pourquoi donnerait-il cette direction ? C’est pour
avoir la faculté de forcer le propriétaire de le racheter, de faire des
sacrifices pécuniaires pour éviter une vexation plus onéreuse encore. Vous
voyez que tout cela rend nécessaire la publicité de la demande pendant un
certain laps de temps, afin de fournir à tous les intérêts légitimes le moyen
de défendre leurs droits.
Hors de ces
cas-là, je ne sais pas à quoi l’intervention du gouvernement peut encore servir
; car je ne pense pas que le projet présenté par la section centrale, de mettre
la demande de concession au rabais, en adjudication, puisse être admise.
Dès que celui qui
aura conçu une heureuse idée pour les communications du commerce n’aura pas la
certitude d’en retirer profit, vous ne verrez plus personne se livrer à cette
branche d’industrie, c’est-à-dire à des recherches utiles au commerce, dans la
crainte que l’intrigue ou l’intérêt privé ne s’empare de ses conceptions pour
les exploiter à son exclusion.
On stipulerait des
indemnités inutiles ; il n’y a pas d’indemnités pour une telle propriété. C’est
un droit d’invention que le législateur n’a pas le droit d’enlever pour en
gratifier un spéculateur qui s’emparerait d’idées-mères qui appartiendraient à
d’autres. Vous devez vouloir que celui qui a conçu une heureuse idée pour le
commerce en recueille tout le profit ; sans cela la carrière sera désertée dès
l’ouverture.
Une autre question
fort grave, messieurs, est celle de savoir s’il faut accorder des concessions à
perpétuité ou temporairement ; plus on
réfléchira sur cette question et plus on sentira le vice des concessions
temporaires.
Quand la
concession est à temps, on construira de manière que les travaux durent à peu
près le temps de la concession ; l’Etat ne retirera rien des travaux qui auront
été faits. De plus, l’Etat est un mauvais administrateur ; il est souvent
embarrassé par les calamités publiques, par les guerres, et il lui est
impossible de faire des réparations. Cependant, ces établissements demandent
des réparations faites à temps, faites avec soin, comme un père de famille peut
les faire ; mais le gouvernement ne peut rien exécuter sans avoir recours à des
entrepreneurs, à des intermédiaires qui le trompent de toute les manières.
C’est une source de pertes pour l’Etat.
Quand la
concession est à perpétuité, la propriété peut entrer dans le commerce ; elle
est susceptible d’hypothèque, et par les mutations le gouvernement en retirera
des avantages aussi grands que s’il était propriétaire lui-même.
Plus on examinera
les questions qui se rattachent au projet de loi et plus on doit se convaincre
que le projet n’est pas complet ; mais puisque le gouvernement a eu l’heureuse
idée de s’occuper de cet objet, il est probable que le gouvernement pourra
l’amener à un état tel qu’il obtiendra l’assentiment des chambres et qu’il
ouvrira de nouvelles sources de prospérité au pays.
Mais,
a-t-on dit, il y a des demandes de concessions de faites : le gouvernement a
voulu faire des confessions de mines de fer, et vous savez combien ces
concessions ont été exploitées par l’intrigue. Si l’on fait des concessions de
péages, les spéculateurs avides vont prendre en masse les communications les
plus importantes ; une fois concédées, le contrat doit fixer le temps où chaque
communication doit être livrée au commerce ; cependant ceux qui accapareront
les nombreuses communications ne feront aucun déboursé pour céder plus tard
avec profit à ceux qui feront de véritables travaux.
Je pense qu’il n’y
a pas lieu de passer par une loi transitoire et qu’il faudra renvoyer à
d’autres temps, au temps le plus prochain cependant, la délibération d’un
projet de loi complet sur la matière des concessions de péages.
M. Barthélemy. - Je ne sais pas voir dans la constitution ce qui ne
s’y trouve pas. Le droit de péage n’est pas un abus, n’a jamais été un abus. Ce
droit a existé dans un temps où la constitution de ce pays ne permettait pas
qu’un impôt fût levé sans le consentement des états.
L’impôt est une
chose que l’on doit payer, soit qu’on le veuille ou qu’on ne le veuille pas ;
mais quand j’ai un travail et que je veux en profiter, si je demande une
rétribution, je ne crée pas un impôt ; pas plus que celui qui établit une
diligence, quand il demande une rétribution aux voyageurs, ne crée un impôt :
si vous ne voulez pas aller en diligence, allez à pied. (On rit).
Plusieurs membres. - Il a raison ! il a raison !
M. Barthélemy. - Je ne vois là qu’un propriétaire qui exige un
loyer. Il ne faut pas confondre légèrement les impôts et les rétributions, dont
parle la constitution, avec les péages, et surtout quand ce n’est pas l’Etat
qui les a établis à son profit ; et qu’on ne les exige que pour indemniser le
constructeur des dépenses qu’il a faites pour établir la route.
Maintenant que je
ne vois rien d’inconstitutionnel dans les péages, je ne sais pas pourquoi on
nous demande une loi pour faire ce qui s’est fait dans tous les temps, sans
l’intervention du pouvoir législatif. Je crois que le ministère de l’intérieur
a tout ce qui lui est convenable dans la loi de 1810 sur les expropriations
forcées pour cause d’utilité publique. A force de ne voir que des fripons au
pouvoir, vous entravez la marche du gouvernement, vous nuisez à l’industrie ;
témoin les concessions de mines de charbon qui ne peuvent avoir lieu et qui
attendent une loi. De la manière dont vous allez, vous n’aurez pas une loi sur
les mines dans deux ans. Voulez-vous faire de même pour les communications ?
Vous tuerez l’industrie avec vos systèmes d’idéologie que vous voulez établir.
Depuis quand existez-vous ? Depuis quand existent les routes ? Elles ont été
faites dans le siècle dernier ; elles ont été faites par les provinces, par les
communes, auxquelles on a accordé des droits pour payer les frais et les
dépenses de construction et d’entretien.
Vous ne devez
examiner que ce qui est dû à l’égard des routes rentrées dans le domaine de
l’Etat, pour contribuer au budget des recettes.
De quoi
s’agira.t-il ? S’agira-t-il de faire des routes. Il y en a bien assez pour
parcourir le royaume ; mais si on veut en faire pour abréger le chemin, ceux
qui voudront en profiter seront obligés de payer. On veut faire un canal à
Charleroy ; le transport y coûtera 2 florins de moins par kilo. Eh bien ! ceux
qui ne voudront pas en profiter transporteront par chariot.
La
concession pour un temps ou à perpétuité, cela regarde l’entrepreneur. S’il
veut construire pour un petit nombre d’années, il prendra un droit trop élevé,
et il craindra qu’on ne passe pas sur son chemin ; l’intérêt doit guider
l’entrepreneur ; s’il ne prend pas un droit trop élevé, on passera sur son
chemin ; un propriétaire qui veut louer sa maison trop cher, on la lui laisse sur
les bras. (On rit.)
On doit faire
actuellement ce que l’on a fait dans tous les temps ; on doit voir seulement si
les propriétaires ne sont pas lésés dans l’expropriation ; on a pris toutes les
précautions dans la loi de 1810, qui est la cause de la prospérité de ce
pays-ci et de la France. Que l’on fasse quelque chose encore en faveur de
l’industrie, je le veux bien ; mais ne tuez pas l’action du gouvernement comme
vous venez de faire pour les mines.
M. Rogier. - Le projet n’est pas long, il est très incomplet ;
mais il est très utile. Il peut doter le pays de nouvelles routes qui sont
projetées. Je n’hésiterai pas à lui donner ma voix, d’autant plus qu’on paraît
être d’accord sur la durée temporaire de cette loi.
Dans les meilleurs
projets qui vous seront soumis, si vous recherchiez les abus, les tendances à
violation de la constitution, vous en trouverez dans les lois les mieux
préparées. Si on voulait s’attacher seulement aux inconvénients, je demanderai
comment, en raisonnant dans le système constitutionnel, on prétendra régler les
péages établis sur les routes provinciales et communales, si on veut les régler
légalement ? Ainsi un conseil provincial ou communal qui aura décrété une
route, faudra-t-il que le décret vienne solliciter l’assentiment du législateur
? Si le législateur doit intervenir dans les projets de routes provinciales, il
y a lésion des droits provinciaux. Si au contraire le législateur n’intervient
pas dans les péages des routes provinciales, on vous dira que vous violez la
constitution en permettant d’établir un impôt sur ces routes. Voilà une
difficulté que je vous soumets.
Le droit de péage
n’est pas un impôt d’espèce ordinaire. Nous avons des analogues qui n’excitent
pas les mêmes doutes. Je suppose que des commerçants soient autorisés à
construire un entrepôt ; eh bien, pensez-vous que le législateur pourrait
intervenir entre le constructeur de l’entrepôt et ceux qui voudront le prendre
à loyer ?
Celui-là qui
construit une route, et celui-là qui construit un entrepôt, passe un contrat
entre lui et ceux qui se servent de la route et de l’entrepôt.
On veut donner
l’essor à l’industrie, on veut lui donner des garanties ; je crains bien qu’on
ne l’étouffe au lieu de lui donner l’essor, et qu’on ne l’entrave au lieu de la
garantir.
Quelles garanties
aura celui qui a inventé une route, si sa demande doit passer par les longues
épreuves des chambres pour avoir la sanction du gouvernement ? Si donc tel
projet de route ne plaisait pas au gouvernement, le projet aurait beau passer
par les chambres, il pourrait être rejeté ; car le gouvernement sera partial,
il sera entouré d’intrigants. Les chambres elles-mêmes échapperont-elles aux
obsessions de l’intrigue ? Nous avons déjà eu l’occasion de voir de quelle
manière la chambre procéderait lorsqu’elle interviendrait dans les objets de
pure administration.
Par exemple, nous
avons la route d’Anvers ; elle a été lancée dans la discussion ; chacun est
venu y jeter son projet, la discussion a duré longtemps ; vous savez quel en a
été le résultat : le projet qui faisait honneur à la sollicitude du
gouvernement pour les intérêts du pays, ce projet a été repoussé en attendant
une nouvelle législation sur la matière. C’est encore en attendant une
législation sur la matière que vous repoussez les projets de route qui sont
demandés. Non, messieurs, vous ne le ferez pas, parce que vous voulez favoriser
les intérêts du commerce et de l’agriculture et que les scrupules de légalité,
de constitutionnalité n’arrêteront pas la construction de routes dont les
projets sont arrêtés.
Le projet
sera-t-il encore un de ces projets qui, après avoir été déclarés urgents, ont
été ajournés pour attendre une législation complète ? Et le nombre en est déjà
grand.
On a parlé d’une
brochure très remarquable sur la matière ; elle ne m’est pas parvenue. Cette
brochure offre un système tout nouveau qui fait honneur à son auteur ; eh bien,
l’intention de la chambre serait-elle d’adopter, sans examen, le projet de la
brochure ?
Certainement la
chambre voudra s’entourer de lumières, recueillir des renseignements. Ce projet
est, dit-on, très bon…
M. H. de Brouckere. - On dit que la brochure est bonne ; mais l’auteur ne
présente pas de projet.
M. Rogier. - Messieurs, je dois dire que ce qui s’est passé dans
la chambre à l’occasion de la route d’Anvers ne m’a pas donné un goût très vif
pour les interventions du pouvoir législatif dans ces établissements. Cette
route aurait pu déterminer la Prusse à nous suivre ; mais, pour la déterminer à
nous suivre, il fallait d’abord que nous marchions.
Y aura-t-il des
abus jusqu’à ce que nous suivions un nouveau système ? Oui, je le crois ; mais
s’ensuit-il que nous ne devions avoir aucun système ? D’après ces scrupules on réduit
le gouvernement à l’inaction. Le but d’un gouvernement représentatif ne doit
pas être l’inaction. En définitive, s’il y a des abus, la chambre reste ouverte
aux réclamations des concessionnaires.
Si
le concessionnaire a des motifs de croire qu’il a été repoussé par l’intrigue,
qu’alors les députés demandent des explications aux ministres, qu’ils les
forcent à accorder la concession ; c’est alors que je pourrai regarder
l’intervention du gouvernement comme utile.
Comme il y a
plusieurs projets de routes et que ces routes en amèneront de nouvelles ; comme
il faudrait deux années afin d’obtenir un système propre à concilier toutes les
opinions ; comme le commerce attend et que la loi ne sera que temporaire, j’en
vote l’adoption.
M. Pirmez. - L’orateur vient de demander si la législature doit
intervenir quand les provinces et les communes veulent établir des routes ; je
crois que c’est précisément dans ce cas que la loi doit intervenir. Les
communes, sans cela, pourraient établir des péages sur toutes les routes, sur
tous les chemins vicinaux. C’est là un véritable impôt.
- La discussion
générale est close.
La séance est
levée à 4 heures et demie.