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d’intention
Chambre des représentants de Belgique
Séance du jeudi 7
décembre 1843
Sommaire
1)
Pièces adressées à la chambre, notamment pétition relative au libre transit des
bestiaux par le chemin de fer (Delehaye, Malou, Mercier, Rodenbach,
de Brouckere, Mercier, Rodenbach)
2)
Projet de loi relatif à l’impôt sur le sel (Zoude, Mercier)
3)
Projet de loi portant le budget des voies et moyens
pour l’exercice 1844. (A : comptabilité de l’Etat et/ou cour des
comptes ; B : équilibre général des recettes et des dépenses et/ou
impôts permettant d’accroître l’équilibre budgétaire ; C : caisses
d’épargne ; D : banque de Belgique et gestion de la dette
publique ; E : question politique ; F : chemins de
fer ; G : aliénation de la forêt de Chiny ; H : utilisation
du palais du prince d’Orange à des fins caritatives)
a)
Discussion générale (A, H, F, B (bois domaniaux, droits de successions,
contribution personnelle), C, D) (Lys), D (Smits,
Mercier, Zoude, de Garcia), (B, D, G, E) (Delfosse),
(D, G) (Smits, Delfosse), D (Desmaisières), (A, B (bois domaniaux), E) (Mercier), (politique commerciale du gouvernement, impôt
sur le sel, D) (Eloy de Burdinne), (droit sur le canal
d’Ostende à Gand, droits de navigation et droit de pilotage du port d’Ostende)
(Donny), (partage de la dette belgo-hollandaise et traité
du 5 novembre 1842, gestion de la dette publique, A, budget de la guerre, B
(succession, sucres)) (Osy, Mercier))
(Moniteur
belge n°342, du 8 décembre 1843)
(Présidence de M. Liedts)
M. Huveners procède à l’appel nominal à midi et quart.
M. Scheyven donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en
est adoptée.
M. Huveners communique les pièces de la correspondance :
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Le sieur François Verbruggen, journalier à Caggevinne-Assent, né à Utrecht (Pays-Bas), demande la
naturalisation. »
- Renvoi au ministre de la justice.
______________________
« Les sieurs Van Humbeek
et d’Abremont, entrepreneurs d’omnibus, à Bruxelles,
présentent des observations contre le projet de loi relatif aux moyens publics
de transport et la poste aux chevaux.»
- Dépôt sur le bureau pendant la
discussion du projet de loi.
______________________
« Le sieur Marchal, avocat à
Bruxelles, demande une indemnité pour le préjudice que lui a causé la
suppression du tribunal de St-Hubert, prés duquel il exerçait en qualité
d’avoué. »
- Renvoi à la section centrale
chargée de l’examen du budget de la justice.
______________________
« Le sieur Van Boie,
saunier à Bornhem, présente des observations contre
le projet de loi sur le sel. »
- Renvoi à la section centrale qui a
examiné le projet.
______________________
« Le sieur Delem,
entrepreneur des lits militaires de la ville de Liége, réclame l’intervention
de la chambre pour qu’il soit donné suite à ses observations concernant le
contrat passé entre le gouvernement et
- Renvoi à la section centrale qui
sera chargée d’examiner le budget de la guerre.
______________________
« La dame Smets,
veuve Legrand, demande que son fils aîné, soldat au 3ème régiment de chasseurs
à pied, soit libéré du service militaire. »
Renvoi à la commission des pétitions.
______________________
« La dame Lebeau, veuve Detilloux, demande que son second fils, qui seul pourvoit à
ses besoins et à ceux de ses autres enfants, soit exempté du service
militaire. »
- Même renvoi.
______________________
« Le sieur Severin demande que le ministre
de la justice soit invité à faire son rapport sur une pétition adressée en
1836, à son département, et qui tendait à faire réduire au taux légal l’intérêt
de l’argent prêté par les monts-de-piété. »
- Même renvoi.
« Les cultivateurs de la commune
de Neuve-Eglise demandent l’annulation de l’arrêté royal qui autorise le libre
transit des bestiaux par Anvers et par le chemin de fer vers
M. Delehaye. - Messieurs, lors de la discussion de l’adresse, j’ai appelé
l’attention de M. le ministre des finances sur l’arrêté relatif au transit du
bétail. Les pétitionnaires, qui sont nombreux et appartiennent à
M. Malou. - Je
voulais faire la même demande.
Je rappellerai que, lorsque cette
question a été discutée, M. le ministre des finances nous a promis de prendre
des renseignements sur la question et de les communiquer à la chambre.
Je me réunis à l’honorable M.
Delehaye pour demander un prompt rapport.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Je n’ai aucunement perdu cet objet de vue ; tous les huit jours des
rapports parviennent au ministère des finances sur le transit du bétail qui
s’effectue par le port d’Anvers. Jusqu’à présent, il est peu considérable.
Néanmoins, j’ai demandé également des renseignements en France, pour savoir
quelles ont été, l’année dernière, par le port de Dunkerque, les importations
de bétail venant des Pays-Bas.
Si ces importations sont à peu près
les mêmes, ou sont les mêmes que celles qui se font aujourd’hui par Anvers, je
pense que la mesure n’aura nui en rien à
Du reste, jusqu’à présent, ces
renseignements ne sont pas complets, mais je dois répéter que le transit est
peu considérable.
M. Rodenbach. -
Messieurs, j’ai eu aussi des renseignements, et je pense que bientôt M. le
ministre des finances viendra nous déclarer que l’année dernière on importait
plus de bétail par Dunkerque que cette année.
Un fait avéré, c’est que nous n’avons
plus le marché de Lille, et que les Hollandais nous font une vive concurrence.
Ainsi, pour donner quelques produits de plus au chemin de fer, on nous fait
perdre un marché très important pour nos éleveurs de la Flandre orientale, et
qu’ils conservaient depuis des siècles.
M. de Brouckere. - Il me paraît que cette question est tout à fait prématurée. Je
demande qu’elle soit renvoyée à celle du rapport de la commission des
pétitions, sur la requête dont il vient d’être fait l’analyse.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Je demande à ajouter quelques mots.
Dans une précédente séance, il a
aussi été question de la fraude qui se serait pratiquée à l’occasion de ce
transit du bétail. L’honorable M. Rodenbach m’avait même remis une note à cet
égard. J’ai pris des informations, et il en résulte que cette fraude est
réellement impossible. Tout le bétail de
M. Rodenbach. - Je reconnais que j’ai été induit en erreur. Mais depuis, on m’a dit
que nous avions perdu le marché de Lille pour le bétail, et ce marché était, je
le répète, fort important pour nous.
- La pétition est renvoyée à la
commission des pétitions avec demande d’un prompt rapport.
_________________________
La section centrale de statistique
transmet à la chambre 97 exemplaires du 1er volume de son bulletin.
- Distributions à MM. les membres de
la chambre et dépôt à la bibliothèque.
M. Zoude. - J’ai l’honneur de présenter à la chambre le rapport sur les
amendements présentés par M. le ministre des finances au projet de loi sur le
sel.
M. le président. - Ce rapport sera imprimé et distribué.
A quel jour la chambre veut-elle
fixer la discussion ?
M. Zoude. - Je demanderai qu’on veuille bien la fixer après celle du budget des
voies et moyens. Ce projet de loi est destiné à apporter au trésor une
augmentation de ressources.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - J’appuie la motion de l’honorable M. Zoude, parce qu’une fois le
projet de loi sur le sel voté, il y aura parfait équilibre entre les recettes
et les dépenses de l’Etat.
M. Malou. - Mais, messieurs, si le rapport sur le budget de la dette publique et
des dotations était présente lorsque le budget des voies et moyens sera voté,
ne faudrait-il pas lui accorder la priorité sur le projet de loi sur le sel ?
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Je crois que le projet de loi sur le sel, tel qu’il est maintenant
présenté, ne donnera pas lieu à de longues discussions. Il serait désirable,
puisqu’on a tant insisté sur la nécessité d’avoir un équilibre entre les
recettes et les dépenses, alors que la différence n’était que de quelques
centaines de mille francs, que l’on discutât ce projet qui satisferait les
honorables membres qui ont émis ce vœu, je demande donc que l’on donne la
priorité au projet de loi sur le sel.
- La chambre fixe la discussion du
projet de loi sur le sel après celle du budget des voies et moyens.
Discussion
générale
M. le président. - L’ordre du jour appelle la discussion du budget des voies et moyens.
La discussion générale est ouverte.
M. Lys. - Le pays entier éprouve depuis longtemps le besoin d’un bien-être
matériel, qui corresponde aux progrès que la civilisation a pu faire à l’ombre
de nos institutions libérales : jusqu’à présent la législature n’a rien fait
pour satisfaire un besoin qui devient tous les jours et plus pressant et plus sérieux
; il est donc temps que l’on s’occupe de rechercher des moyens, qui puissent
assurer et développer la prospérité des individus, et, par une suite
nécessaire, celle de l’Etat.
Les mots d’économie, de réductions
dans les dépenses publiques sont dans toutes les bouches ; ils sont
inscrits sur tous les drapeaux. Mais avant de parler sérieusement d’économies à
effectuer, avant de parler sérieusement de réduire les dépenses publiques, il
faut commencer par mettre de l’ordre et de la régularité dans les finances de
l’Etat. Sans ordre, sans régularité dans le maniement des deniers publics, sans
principes régulateurs pour opérer les dépenses que nécessite le service public,
les projets d’économie, les réductions dans les dépenses ne sont que des mots
vides de sens : Le vote du budget par la législature est un mensonge ; en
effet, messieurs, tant et si longtemps qu’il y a possibilité à défaut
d’allocation sur le budget, d’assigner des mandats à l’insu de la cour des
comptes, sur des caisses particulières, dans le but de solder des dépenses, que
le budget n’a point autorisées, il n’y a plus de contrôle réel possible, et il
n’y a plus, ni confiance, ni sécurité, dans la manière dont les finances de
l’Etat sont administrées. Il y a alors violation de l’article 116 de la
constitution, qui a voulu asseoir notre crédit public sur des bases stables et
à l’abri des fluctuations politiques, suites inséparables de notre forme de
gouvernement.
La constitution a voulu qu’aucun
article des dépenses du budget ne fût dépassé et qu’aucun transfert n’eût lieu.
Or, n’avons-nous pas la preuve, ainsi que la cour des comptes le fait
judicieusement observer, n’avons-nous pas la preuve que, dans l’état actuel de
la comptabilité, les chefs des départements ministériels peuvent délivrer des
mandats soit sur des caisses particulières, soit sur la caisse même de l’Etat,
à l’insu de la cour des comptes, et consommer ainsi des dépenses non autorisées
? N’est-ce pas ainsi qu’a été effectué l’achat de
La cour des comptes ne peut donc
rester plus longtemps étrangère à la comptabilité et au mouvement annuel des
caisses des comptables ; car aussi longtemps que cette lacune existera dans
l’organisation de la comptabilité générale de l’Etat, la volonté de l’art. 116
de la constitution ne sera respectée qu’autant que le voudront bien ceux à qui
est confiée la disposition des deniers publics.
Il est indispensable, messieurs,
qu’une loi fixe donc manière définitive l’organisation de la cour des comptes
et régie la comptabilité de l’Etat. M. le ministre des finances a promis cette
loi, j’ai foi dans ses promesses, et j’espère que, dans cette session, nous
pourrons doter le pays d’un système complet de législation sur la partie la
plus importante du service public.
Cette loi est d’autant plus urgente,
que les finances de l’Etat sont toujours destinées à payer les libéralités et
les fautes que peuvent commettre les agents du pouvoir, qui, étant sujets à
être fréquemment déplacés, ne peuvent pas toujours mûrir tous leurs actes, avec
tout l’esprit de suite si désirable dans les affaires. Pour parer à cet
inconvénient inséparable de notre organisation politique, il faut que les
règles sur la comptabilité soient fortement tracées et que la cour des comptes
puisse ainsi prémunir la nation contre les dangers résultant de la présence aux
affaires d’une administration passagère.
Aussi, messieurs, voyez combien sont
graves les abus que vous signale la cour des comptes ; les transferts ont
formellement interdits par la loi constitutionnelle, et cependant, malgré cette
défense, on a osé imputer les traitements des fonctionnaires faisant partie de
l’administration centrale, sur des allocations votées pour d’autres services
spéciaux, alors cependant qu’il existe au budget de chaque département
ministériel un article particulier pour ces traitements. Ainsi, messieurs, les
traitements des conducteurs des ponts et chaussées, les traitements des
ingénieurs employés à des services spéciaux, sont imputés sur les crédits votés
pour les divers travaux auxquels ces employés sont attachés, et rien n’est plus
irrégulier que ce mode d’imputation, car, avec cette manière d’agir, le vote de
la législature devient un vote incomplet et impossible à apprécier, car le
chiffre voté pour les traitements des fonctionnaires ne représente plus la
dépense réelle qui a lieu de ce chef, puisque, par l’imputation de ces
traitements sur des fonds votés pour des travaux spéciaux, le ministre réussit
à éluder la volonté de la législature et à enfler le chiffre accordé par les
représentants du pays, comme étant l’expression des besoins du service.
En présence de ces résultats que la
cour des comptes, gardienne de l’ordre et de la régularité dans les finances de
l’Etat, signale à votre attention, il est impossible de ne pas concevoir des
craintes sérieuses pour l’avenir et pour notre crédit public !
Dans ce moment encore, nous venons de
voir un ministre prendre possession de l’un des palais cédés à l’Etat par le
traité avec
D’un autre côté, le palais du prince
d’Orange est pour le moment transformé en un bazar destiné à procurer du
soulagement aux pauvres de Bruxelles. Je demanderai, messieurs, si le
gouvernement est en droit de disposer d’un édifice national pour une
destination d’intérêt local !
Ne croyez pas, messieurs, que je sois
hostile à une œuvre philanthropique ; j’applaudirai toujours à tous les projets
destinés à secourir l’infortune ; mais si, comme individu, je suis le partisan
de tout ce qui peut alléger les misères de la classe souffrante, je ne puis, comrne député, permettre que l’on fasse ainsi de la
philanthropie locale, car le résultat de la destination provisoire de ce
palais, c’est que l’on viendra plus tard nous demander des fonds pour réparer
les dégradations qui auront été commises.
Si le cas particulier, dont je vous
entretiens, devait rester unique dans les fastes de l’administration, je
n’élèverais pas la voix dans cette enceinte ; mais, messieurs, ce qu’il importe
le plus d’éviter, c’est l’autorité d’un précédent, car ordinairement tous les
abus ont leur source dans des actes antérieurs, que l’on a eu la faiblesse de
ne pas réprimer.
C’est ainsi que le gouvernement a
encore disposé du bâtiment dit les
écuries du Roi et du terrain ou plaine contiguë au jardin du Palais.
Il y a dans ces procédés, que je me
vois forcé de critiquer, un tel manque d’égard envers les chambres, que je n’ai
pu me dispenser d’appeler votre attention sur cette conduite du gouvernement,
qui, s’il voulait respecter les convenances, devait nous apporter un projet de
loi tendant à réunir à la liste civile les propriétés dont s’agit.
Je vous ai parlé, messieurs, des
travaux entrepris sans votre intervention préalable, mais ce n’est là que pure
bagatelle en présence de ce qui s’est passé pour le chemin de fer. C’est encore
la cour des comptes qui vous dénonce des méfaits si extraordinaires et si
graves.
Des travaux importants ont été
exécutés sans adjudication publique, des fournitures considérables ont été
effectuées, au moyen de contrats de la main à la main et même sur simple
autorisation ministérielle, sans l’intervention d’aucune convention. On a fait
plus encore, il n’a été tenu, dans maintes circonstances, aucun compte de la
teneur des conventions, et l’interprétation qui y est souvent donnée, tend, de
l’aveu de la cour des comptes, à rendre illusoires les charges imposées aux entrepreneurs,
et de là, messieurs, des travaux imprévus de tout genres et de toute nature.
Comment exécute-t-on ces travaux
extraordinaires ou supplémentaires, de force majeure ou de parachèvement ?
A-t-on recours à la voie des enchères publiques au rabais ? Non, messieurs,
ordinairement il n’y a pas d’adjudication, et des travaux imprévus ont souvent
été exécutés sans devis préalable et même sans autorisation ministérielle. Et
savez-vous comment on procède ? La cour des comptes vous l’apprend dans son
cahier d’observations. Les travaux dits imprévus se font d’après les ordres de
l’ingénieur dirigeant les travaux et dans les proportions qu’il juge
convenables ; après l’exécution des travaux un devis estimatif est rédigé, et
l’entrepreneur, de concert avec l’ingénieur, fait sa soumission, qui est
présentée au chef de l’administration générale. Alors seulement, et ce n’est
souvent que deux ou trois mois après l’achèvement des travaux, un arrêté est
porté, approuvant tout à la fois le devis estimatif ; la soumission, ainsi que
l’état de réception. Inutile, messieurs, de s’appesantir sur les conséquences
désastreuses d’une marche qui a pour résultat inévitable de causer des pertes
énormes au trésor public.
Vous voyez, messieurs, quelle est
l’urgence d’avoir une loi sur la comptabilité générale de l’Etat, combien il
est indispensable que cette loi soumette au contrôle de la cour des comptes
toutes les caisses et toutes les institutions qui sont, comme la caisse des
retraites, subventionnées par l’Etat. Cette loi devra encore consacrer
l’institution d’une commission qui serait chargée de surveiller l’emploi de
tous fonds de dépôt et les fonds d’amortissement de la dette publique. Tel est
le vœu unanime de votre section centrale.
Aujourd’hui, messieurs, ces caisses
ne présentent ni sûreté, ni garantie ; en effet, les versements qui se font
chez le caissier-général de l’Etat et chez ses agents, se font sans aucune
espèce d’imputation. Le caissier ne tient qu’une comptabilité de caisse et non
la comptabilité de chaque catégorie de produit. Ainsi, lorsque le caissier
reçoit, il ignore à quel titre et pourquoi le versement s’opère, il ignore si
le versement est fait pour le compte de l’Etat, pour le compte des provinces,
ou pour le fond des dépôts. La trésorerie ne peut pas non plus donner à ses
versements la destination qu’ils doivent avoir, à moins que ceux qui ont fait
les versements ne lui fassent connaître directement l’imputation qu’ils veulent
donner aux versements effectués par eux. Dans cet état des choses, les dépôts faits
à la caisse des consignations sont livrés à des hasards qu’il importe de faire
disparaître dans l’intérêt de la sécurité publique : il faut que les fonds
déposés soient toujours distincts des autres deniers ; il faut que
l’administration des fonds déposés soit distincte de celle à qui est confiée la
gestion des deniers dont l’Etat est propriétaire ; rien n’est plus dangereux
que de confondre, dans une même caisse, les fonds dont l’Etat n’est que
dépositaire avec ceux qui lui appartiennent. Insister plus longtemps sur la
nécessité d’apporter un prompt remède à l’état actuel des choses, ce serait
faire injure au bon sens de la chambre.
Maintenant j’ai démontré que le
premier principe pour réussir à faire des économies sérieuses, est d’établir de
l’ordre et de la régularité dans le ménage financier de l’Etat ; qu’il me soit
permis de dire un mot sur les ressources dont le pays peut disposer pour faire
face à ses dépenses.
Nous possédons encore des forêts
considérables. Vous savez comme moi, messieurs, quel est leur produit net ; il
est tout au plus de un p.c., et, en effet, nous en avons pour 46 millions qui
produisent à peine 400,000 francs. Les finances de l’Etat seraient
scrupuleusement améliorées si chaque année on procédait à des aliénations, les
défrichements s’opéreraient, ces terrains seraient soumis aux divers droits de
mutation, ce qui augmenterait progressivement les revenus de l’Etat, qui, en
fît-il même un abandon gratuit, serait encore une excellente affaire, tellement
l’aliénation serait avantageuse.
Le droit sur les successions mérite
aussi une attention sérieuse. Le produit de cet impôt n’est pas ce qu’il
devrait être, et la suppression du serment, qui était prescrit par la loi
primitive, me parait avoir nui essentiellement à la
production de cet impôt, et, en effet, bien des personnes se laissent aller à
des réticences et auraient reculé devant la religion du serment. Aussi la
section centrale a-t-elle engagé le gouvernement à proposer promptement des
mesures propres à assurer la perception des droits de succession.
Le gouvernement paraît peu disposé,
messieurs, à frapper des impôts sur les objets de luxe. Depuis longtemps nous
avons indiqué les équipages, les armoiries, les livrées, comme choses très
imposables. Il y aurait aussi lieu d’imposer un droit sur la collation des
titres de noblesse, un droit d’enregistrement pour les actes de naturalisation,
pour les décorations étrangères, pour les nominations d’avoué, notaire,
courtier, agent de change ; une privation de traitement pour le premier mois
lors de l’entrée en exercice de tout fonctionnaire de l’Etat.
Enfin, pourquoi ne pas rétablir par
une loi le droit de 4 p. c. par an sur le revenu de tous les biens qui passent
en mainmorte ; par un pareil droit, même de 5 p. c.,
ils ne paieraient pas encore un impôt équivalent à ceux auxquels sont soumis
les autres biens.
Ce serait, messieurs, des impôts tout
à fait volontaires, ils ne frapperaient que l’homme fortuné ou obtenant une
faveur, et pareils impôts sont nécessairement d’une facile rentrée, et à l’abri
de toute critique fondée.
J’appellerai encore l’attention du
gouvernement sur les compagnies d’assurances ayant leur siège à l’étranger et
qui pullulent en Belgique. Les compagnies d’assurances nationales doivent
produire leurs comptes au fisc et verser, dans la caisse de l’Etat, telle
quotité de leur bénéfice, à titre de droit de patente. Il est hors de doute et
de contestation que les compagnies étrangères ne peuvent pas être traitées plus
favorablement que les compagnies belges ; elles devront dès lors être
astreintes à produire leurs livres pour constater leurs bénéfices et payer par
suite une quotité d’impôt au moins égale à celle qui est payée par les
compagnies belges. Nul ne pourrait se plaindre d’une mesure qui aurait dû être adoptée
depuis longtemps, et si on trouvait qu’il y aurait trop de difficulté de
constater leurs bénéfices, on pourrait frapper sur chacune d’elles une taxe
calculée sur la moyenne de ce que payent au trésor public les compagnies
belges. La troisième section a aussi appelé l’attention de M. le ministre des
finances sur ce point.
Nous regrettons, messieurs, que M. le
ministre des finances ne se soit pas occupé de la question soulevée l’année
dernière par l’honorable M. Rogier, relative aux caisses d’épargne. Ce dernier,
ainsi que M. le ministre, ont fait observer que toute innovation ne pourrait
être introduite qu’avec une extrême circonspection. Mais tout en partageant
cette manière de voir, il n’en est pas moins vrai qu’il est de l’intérêt
général de ne pas la laisser trop longtemps indécise, car la responsabilité est
grave, elle est immense, et, s’il est vrai, comme l’a dit l’honorable M.
Rogier, que le gouvernement, aux yeux du public, soit responsable de la caisse
d’épargne, et que, le cas échéant, il doive en répondre, le gouvernement ne
peut plus tarder de couvrir une pareille responsabilité, en prenant une mesure
qui le mettrait à même de faire en peu de temps et avec beaucoup de facilité le
rachat de ces emprunts.
Je suis forcé de vous parler encore
de la comptabilité de l’Etat, quoiqu’on pourrait me dire que cela devient
inutile, puisque M. le ministre des finances a promis de nous présenter les
lois y relatives. J’ai foi en ses promesses, mais j’avais aussi confiance dans
les promesses de son prédécesseur, qui nous disait de même, il y a un an, que
la loi de comptabilité et la loi sur la cour des comptes étaient rédigées,
qu’elles étaient soumises à l’examen de ses collègues, et que, sous très peu de
temps, elles vous seraient soumises.
Il est d’ailleurs de mon devoir de
vous soumettre quelques observations qui vous prouveront que la chambre a été
induite en erreur par le ministère, lors de la discussion du budget des voies
et moyens pour l’année courante.
Dans cette discussion, vous avez
appris pour la première fois que le gouvernement, sans autorisation préalable
des chambres, avait prêté un cinquième million à la banque de Belgique sans
intérêt. Ce million a été pris sur les fonds généraux qui sont ainsi au pouvoir
des départements ministériels sans aucun contrôle de la cour des comptes. Le
ministre des finances y puise à volonté.
On vous a aussi annoncé dans cette
discussion qu’il ne s’agissait plus, ainsi que je le prétendais avec mon
honorable ami M. Delehaye, de reporter à 5 p. c. l’intérêt dû par la banque de
Belgique sur le capital de 4 millions, parce qu’il y avait eu remboursement de
ces 4 millions, que dés lors vous ne pouviez plus fixer le taux des intérêts ;
nous avons cru, disait M. le ministre des finances, devoir laisser les fonds au
taux auquel la banque en prend en compte courant. Nous pouvons en disposer
quand nous voulons.
M. Zoude. - Je demande la parole pour une motion d’ordre.
M. le président. - Continuez, M. Lys ; une motion d’ordre n’interrompt pas un discours.
M. Lys. - Mes honorables collègues, MM. Cogels et de Garcia, mus par la considération qu’il était libre à la banque de
Belgique de rembourser à volonté les 4 millions empruntés, soutinrent que
l’opération de M. le ministre des finances était tout à fait dans l’intérêt de
l’Etat, c’était un encaisse, disait l’un, l’erreur de M. Lys provient de ce
qu’il considère comme un prêt ce qui n’est qu’un encaisse ; le gouvernement
peut reprendre à volonté et chaque jour son capital, disait l’autre ; et M. le
ministre des finances, attestant cet état de choses, la chambre sanctionna
l’opération.
Cette discussion avait lieu au
commencement de décembre 1842 et c’était au 15 janvier précédent que remontait
la convention du ministre avec la banque de Belgique, réduisant l’intérêt de 5
à 2 p. c. dans un moment où il empruntait à 5 p. c., et tandis qu’au budget
qu’il avait présenté lui-même quelques jours auparavant, ce capital figurait
aux voies et moyens au taux de 5 p. c.
M. le ministre des finances a donc
fait cette conversion, ou, comme il l’a soutenu, il a reçu le 15 janvier 1842
le remboursement du capital de 4 millions qui portait intérêt à 5 p. c.
Vous ne doutez point, messieurs, j’en
suis convaincu, que, si la banque de Belgique privait l’Etat de l’intérêt du
capital de 4 millions, en le lui remboursant, M. le ministre des finances avait
soin de faire rembourser en même temps le capital d’un million prêté sans
intérêt et sans autorisation du 31 décembre 1839 au 15 janvier 1840.
Il aura fait, me direz-vous, la même
conversion pour le capital d’un million que pour celui de 4 millions, il l’aura
aussi versé à la caisse de la banque de Belgique, en compte courant, à intérêt
de 2 p. c., pour servir d’encaisse et pour en disposer chaque jour à sa
volonté.
Détrompez-vous, messieurs, le prêt
d’un million n’a pas subi de transformation, il est resté non productif
d’intérêt, et ce n’est qu’au 27 septembre 1842 qu’il est rentré dans les
caisses de l’Etat.
J’ajouterai, messieurs, que l’erreur
dans laquelle me supposaient l’année dernière mes honorables collègues, MM.
Cogels et de Garcia, erreur qui a empêché la chambre de reporter l’intérêt du
capital de 4 millions à 5 p. c., n’en était pas une ; ce sont, au contraire,
ces deux collègues qui ont versé dans une erreur préjudiciable pour le trésor,
en supposant que le capital dû par la banque n’était plus un prêt, mais un
encaisse, qu’on pouvait réaliser du jour au lendemain.
Nous avons eu communication de ce
contrat de reprise en compte courant, et voici ce qui en est :
Le gouvernement ne peut en disposer
que par somme de 10 mille francs, à la fin de chaque mois, avec préavis de 15
jours.
L’intérêt cesse de courir sur toute
somme redemandée, à dater du jour du préavis.
La banque s’engagerait à un
remboursement total dans les quinze jours qui suivraient la demande, moyennant
une indemnité de 2 p. c., depuis la date du
remboursement effectif jusqu’aux époques où il aurait dû se faire, en disposant
à raison de 300 mille francs par mois.
Vous voyez, messieurs, que la
conversion en compte courant, d’un capital alors exigible, de l’aveu du
ministère, est une opération faite dans l’intérêt d’un établissement au
détriment de 1’Etat. M. le ministre des finances ne pouvait pas dire qu’il
pouvait disposer de ce capital quand il voulait, car il était lié par un
engagement de près de deux années.
La chambre a été induite en erreur,
et chacun de nous doit le reconnaître. Concluons donc que nous ne sommes jamais
rassurés sur la réalité de l’encaisse, car nous ignorons s’il n’existe point
dans les caisses des comptables des mandats ayant servi à acquitter des
dépenses encore inconnues, et la preuve en est que nous n’avons appris qu’à la
fin de 1842 le prêt opéré de 1839 à 1840, sans l’intervention des chambres, et
au moment où elles étaient réunies.
Mais là ne doivent pas se borner les
faveurs projetées en faveur de la banque de Belgique. Le gouvernement a
autorisé l’enregistrement en débet des contrats constitutifs d’hypothèque que
cet établissement a fait consentir par ses débiteurs, et cette perception
suspendue jusqu’à ce jour, et qu’on vous a laissé ignorer, s’élève à une somme
de 129,406 fr.
Le ministre a ainsi suspendu
l’exécution de la loi, en faveur d’une société anonyme, qui mérite sans doute toute
la protection du gouvernement, dans l’intention de favoriser les débiteurs de
cette banque et de faciliter les traites, afin de lui faire obtenir des
garanties de ces derniers. Mais remarquez, messieurs, que c’est là un privilège
concédé à un établissement, et qu’il y aurait par suite iniquité d’exiger les
droits d’enregistrement, de toutes les sociétés, de tous les particuliers, qui
se trouvaient alors ou qui se trouveraient à l’avenir dans une semblable
position, car, remarquez-le bien, messieurs, il est impossible, dans quelques
cas que ce soit, d’avantager par le trésor public un industriel sans en
accabler un autre. L’un se soutient au moyen de votre protection, et l’autre
croule par le défaut de cette protection dont il se trouve privé.
Il y a eu abus de pouvoir en
suspendant l’exécution de la loi ; cet abus doit cesser ; la perception des
droits dus à l’Etat doit être effectuée immédiatement ; il suffira,
pensons-nous, d’avoir attiré sur ce point l’attention de M. le ministre des
finances actuel. Nous regretterions de voir la chambre saisie d’une question,
qui, sérieusement ne peut pas en être une.
Il me suffit, messieurs,
d’avoir démontré qu’il existe des griefs réels ; il me suffit d’avoir démontré
que le gouvernement est sorti de la légalité. J’attends donc avec impatience la
présentation des lois sur la comptabilité ; comme les abus pourraient continuer
à exister à défaut de ces lois, le défaut de présentation pourrait m’engager à
refuser mon vote approbatif ; lorsqu’il s’agira des dépenses de l’Etat.
Quant au budget actuel, je lui
donnerai ce vote, parce que j’ai reconnu que M. le ministre des finances
persistait dans la marche suivie par lui en 1841 ; et parce que je trouve ses
prévisions modérées. J’ai dit.
M. Smits. - J’ai demandé la parole pour repousser le reproche qui vient de
m’être fait d’avoir induit la chambre en erreur. J’ai dit l’année dernière et
je soutiens encore aujourd’hui, que les 4 millions prêtés en vertu d’une loi à
la banque de Belgique sont disponibles ; et la preuve, la meilleure que je
puisse en apporter, c’est que, aussitôt que M. le ministre des finances a
prévenu la banque de Belgique qu’il disposerait mensuellement de 150,000
francs, elle a pris spontanément la résolution de rembourser immédiatement le
capital en entier.
Si je suis bien informé, M. le
ministre des finances doit avoir reçu communication de cette résolution.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Je répondrai à l’interpellation de l’honorable M. Smits, que j’ai été
informé par un honorable membre qu’une telle lettre était déjà écrite pour
m’être adressée. Je ne l’ai pas encore reçue, mais je suis convaincu que la
chose existe.
M. Zoude. - J’avais demandé la parole pour une motion d’ordre, et j’aurais voulu
qu’il me fût permis d’interrompre l’orateur, pour annoncer que la banque de
Belgique m’a autorise à déclarer à la chambre que le prêt que lui avait fait le
gouvernement était dès aujourd’hui mis en entier à sa disposition. J’aurais
désiré, par cette déclaration, prévenir des discussions inutiles et toujours
pénibles.
Si la chambre voulait me continuer la
parole, je désirerais dire quelques mots sur l’origine du prêt, les motifs pour
lesquels, dans l’intérêt de l’industrie, le gouvernement avait cru ne pas
devoir en réclamer le remboursement.
Un avenir très prochain fera
apprécier, par les établissements industriels, les conséquences du
remboursement.
M. le président. - Je ferai observer à l’honorable membre que ceci n’aurait plus aucun
rapport avec la motion d’ordre, il aura son tour de parole dans l’ordre
d’inscription.
M. de Garcia. - Je demande la parole pour un fait personnel.
Les explications qui viennent d’être
données par l’honorable M. Smits me justifient déjà de l’erreur dans laquelle
l’honorable M. Lys prétendait que j’étais tombé l’an dernier. Selon moi,
d’après l’engagement pris par le gouvernement avec la banque de Belgique,
celle-ci était obligée au remboursement des millions qu’elle devait au
gouvernement, dans les cas prévus par la convention. Cette convention n’était
peut-être pas conforme aux règles d’une vigoureuse comptabilité ; mais a-t-elle
été un acte de bonne administration ? Messieurs, j’ai déjà reconnu...
M. le président. - Je vous ferai remarquer que c’est pour un fait personnel que vous
avez la parole.
M. de Garcia. - J’ai été attaqué, M. le président on a dit que j’avais annonce des
erreurs ; je désire rectifier cette assertion.
M. le président. - Vous pourrez avoir votre tour de parole.
M. de Garcia. — Messieurs, mon habitude n’est pas de faire perdre du temps à la
chambre. Je renonce volontiers à la parole, à raison d’un fait qui n’a qu’une
portée personnelle, dans l’état actuel de la discussion.
M. Delfosse. - Messieurs, M. le ministre des finances, dans le discours qui
contient l’expose des motifs du budget des recettes et des dépenses pour
l’exercice 1844, assure que, si nous savons faire quelques légers sacrifices,
Je ne demanderai pas mieux,
messieurs, que de pouvoir partager sur ce point les espérances du gouvernement.
Malheureusement j’ai l’habitude de croire aux faits plutôt qu’aux paroles, et
il me paraît démontré par les faits que notre situation financière bien loin
d’être rassurante, est au contraire de nature à inspirer de sérieuses
inquiétudes et que notre avenir sera gravement compromis si la chambre et le
gouvernement ne prennent la ferme résolution, je ne dirai pas de persévérer, (je ne veux pas, comme M. le
ministre des finances, les flatter à ce point), mais d’entrer une bonne fois,
sans hésitation, avec courage, dans la voie des économies, la seule voie de
salut pour le pays.
Depuis que j’ai l’honneur de siéger
dans cette enceinte, j’ai vu le produit des impôts s’augmenter chaque jour,
soit par l’effet de lois nouvelles, soit par suite du développement des
relations sociales.
L’augmentation a été, dans l’espace
de quatre ans seulement, de 7,256,938 ; elle se
répartit comme suit :
Impôt foncier, 516,985
Personnel, 373,358
Douanes, 2,037,000
Boissons distillées, 65,009
Accises, 1,883,000
Recettes diverses, 131,000
Enregistrement, 2,645,000
J’ai pris ces chiffres dans la
comparaison que j’ai faite entre le budget de 1840 et le projet de budget pour
1844. Il y a quelques diminutions sur d’autres articles ; mais j’en ai tenu
compte dans les résultats que je viens d’indiquer, le résultat net est une
augmentation d’impôt de 7,256,958 fr. dans l’espace de
quatre années seulement.
Dans le même espace de temps nous
avons dépensé une somme de 8,692,000 fr. provenant de
l’aliénation d’une partie de nos domaines, et, si je ne me trompe, une somme de
1,020,000 fr. provenant des capitaux du fonds de l’industrie.
Si nous avions eu un gouvernement
sage, économe, bien décidé à mettre un terme aux dilapidations financières, il
eût, certes, été facile, à l’aide d’une augmentation d’impôt aussi forte,
jointe aux ressources extraordinaires dont je viens de parler, (erratum Moniteur belge n°343, du 9 décembre
1844) d’éteindre peu à peu le déficit, et de nous préparer cet avenir
brillant dont M. le ministre des finances nous annonce la réalisation
prochaine.
Mais hélas ! le
déficit, au lieu de s’éteindre, a été croissant.
Au 1er octobre 1840, il était de 18,455,806 fr. 72
Au 1er septembre 1841, de 18,587,639 fr. 67
Au 1er septembre 1842, de 21,492,685 fr. 47
Au 1er septembre 1843, de 37,364,914 fr. 17
Et encore ce chiffre énorme n’est-il
que le chiffre avoué par le gouvernement ; il y a tout lieu de craindre que le
déficit ne soit en définitive plus élevé.
Nous n’avons que trop appris par
l’expérience que MM. les ministres des finances sont fort habiles à grouper les
chiffres, quelquefois même à les dissimuler, semblables en cela à ces médecins
qui, dans la crainte de trop effrayer le malade, prennent toutes sortes de
précautions pour lui cacher la gravité du mal.
C’est ainsi que l’honorable M. Smits,
n’évaluait, l’année dernière le déficit qu’à 21,492,685
fr.47 c.
M. Smits. - Où cela ?
M. Delfosse. - J’ai pris ce chiffre dans l’exposé de la situation du trésor au 1er
septembre 1842, c’était votre évaluation à cette époque.
L’honorable membre, alors ministre
des finances ne tenait aucun compte, ne disait mot, d’une foule de créances
arriérées pour lesquelles on vient aujourd’hui nous demander un crédit de 5,644,914 fr. 17 c.
M. Smits. - Je ne les connaissais pas.
M. Delfosse. - Vous auriez dû les connaître, au moins en grande partie.
M. Smits. - Ces crédits concernent d’autres départements que celui des finances.
M. Delfosse. - Qui nous répond que M. le ministre des finances, imitant la réserve
de son prédécesseur, ne juge pas à propos de taire aussi une partie de la
vérité ? Qui nous répond que le déficit ne se grossira pas l’an prochain de
quelques millions dont on ne parle pas pour le moment ? C’est surtout de M. les
ministres des finances que l’on peut dire : Ab uno disce omnes (on rit). Le désir de maintenir le crédit public, la crainte de
jeter trop de mécontentement dans le pays, d’autres causes encore et surtout
l’idée que les chambres ont un grand fonds d’indulgence pour les peccadilles du
passé, les engagent tous invariablement à ne présenter, de la situation
financière, que ce qui convient à leurs vues.
Mais je veux bien admettre que M. le
ministre des finances soit plus sincère ou mieux informé que son prédécesseur,
je veux bien admettre qu’il présente la situation telle qu’elle est réellement. Ce n’est pas une raison pour croire qu’il n’y
aura rien à ajouter plus tard au chiffre de 37 millions 364 mille 914 fr. 17 c., auquel il évalue le déficit. En effet, dans ce chiffre
sont compris les résultats des exercices 1841, 1842 et 1843 qui ne sont pas
encore clos. L’expérience est là pour démontrer que les résultats d’un exercice
varient jusqu’au moment de la clôture, et que ces variations sont rarement à
l’avantage du trésor public. Je prouverai tantôt, quand je me livrerai à
l’examen des prévisions de M. le ministre des finances pour l’exercice 1844,
que les recettes restent presque toujours en-dessous des prévisions, et que des
demandes considérables de crédits supplémentaires viennent constamment accroitre l’excédant des dépenses.
On peut, sans exagération, porter le
déficit à 40 millions, toujours dans la supposition que M. le ministre des
finances nous dise toute la vérité sur le passé ; car s’il nous cachait quelque
chose, commue l’honorable M. Smits l’a fait, le déficit pourrait être bien plus
considérable.
Ainsi voilà, en résumé, quelle est la
situation. Une augmentation d’impôt se levant annuellement à 7,256,938 fr., jointe à fr. 9,712,000 de ressources
extraordinaires qui ont été absorbées, ont amené, en 4 années seulement, un
accroissement de déficit que M. le ministre des finances évalue à environ 19
millions, mais qu’on peut porter à 22 millions.
C’est un système qui a produit des
résultats aussi désastreux que M. le ministre des finances qualifie de système
fondé sur les principes d’une sage économie. C’est dans un tel système qu’il
engage les chambres et le gouvernement à persévérer. Je dis, moi, messieurs,
qu’un tel système est fatal, je dis qu’il faut se hâter d’entrer dans une autre
voie, sous peine de ruine et de banqueroute.
Nous pouvons aujourd’hui échapper à
une partie de nos embarras financiers, grâce aux valeurs que les arrangements
conclus avec
Et encore cette réduction du déficit
ne sera-t-elle obtenue qu’après un grand nombre d’années ; car toutes les
valeurs dont je viens de parler n’étant pas actuellement disponibles, il nous
faudra provisoirement subir une dette flottante de 21 à 24 millions ; il n’est
pas même certain que l’on pourra employer à la réduction du déficit toutes les
valeurs énumérées par M. le ministre des finances. Parmi ces valeurs, n’en
est-il pas qui devront recevoir une autre destination ? N’en est-il pas dont la
rentrée est douteuse ?
Je citerai, entre autres, la somme de
285,000 florins des Pays-Bas que l’on prétend due par les provinces de Limbourg
et de Liége. Ces provinces ont réclamé et réclameront encore énergiquement
contre la résolution qu’on semble avoir prise d’exiger d’elles le remboursement
de cette somme. Il y a de fortes considérations que nous ferons valoir en temps
utile et qui militent pour que ce remboursement n’ait pas lieu. M. le ministre
des finances lui-même ne paraît pas avoir des idées bien arrêtées sur le
montant des valeurs qui sont ou pourront être disponibles pour la réduction du
déficit, puisque le montant de ces valeurs, qui est porté dans l’exposé des
motifs du budget à 28,093,877 fr. 3 c., n’est, d’après l’exposé de la situation
du trésor, que de 26,959,485 fr. 54 c.
Je vous le demande, messieurs,
l’existence d’un découvert de 21 à 24 millions qui ne pourra être réduit à 10
ou 13 millions que dans un grand nombre d’années, qui ne sera peut-être pas
réduit autant que M. le ministre des finances l’espère, l’existence d’un tel
déficit n’est-elle pas un obstacle à ce que nous partagions la sécurité du
gouvernement ? N’est-elle pas de nature à faire naître de vives appréhensions ?
C’est surtout M. le ministre des
finances qui devrait se préoccuper de cet état de choses, lui qui déclarait, en
1840, qu’un pays ne peut, dans les temps ordinaires, avoir, sans le plus grand
danger, une dette flottante de 8 à 10 millions.
Si M. le ministre des finances a
encore aujourd’hui l’opinion qu’il émettait en 1840, son devoir serait, je le
dis hautement, de présenter de suite des mesures efficaces pour nous tirer
d’une situation qu’il doit trouver si périlleuse.
Mais ce n’est pas là ce que M. le
ministre des finances se propose de faire ; il se borne à nous annoncer des
mesures destinées, non à réduire actuellement le découvert, mais à l’empêcher
de s’étendre, et vous allez voir messieurs, que ces mesures seront loin
d’atteindre le but.
Le budget proposé pour 1844 présente
un déficit de 500,000 fr. environ, qui pourra être plus tard porté à 3
millions, par suite de diverses causes que M. le ministre des finances énumère.
Pour combler ce déficit, M. le
ministre des finances aura recours, non aux économies, mais à de nouveaux
impôts. Les impôts qui ont déjà été augmentés, depuis quatre ans, de 7,256,938 fr. subiront une nouvelle augmentation de 3
millions ; l’augmentation aura été de plus de 10 millions en cinq ans.
Mais, messieurs, cette augmentation
sera loin d’être suffisante, je l’ai dit tantôt, l’expérience est là pour
démontrer que les recettes d’un exercice restent presque toujours en-dessous
des évaluations, et que de nombreuses demandes de crédits supplémentaires
viennent constamment accroître les excédants des dépenses : C’est ce qu’il sera
facile de prouver par quelques exemples.
Au 1er octobre 1839, on présumait
qu’il y aurait pour l’exercice 1839 un excédant de dépense de 5,976,696 fr. 23 c. ; l’excédant de dépense a été, en
définitive, de 8,359,079 fr.54 c., soit 2,382,383 fr. 31 c. de plus qu’on ne
l’avait présumé.
Au 1er septembre 1842, on présumait
que l’exercice 1840 (c’était l’année de l’emprunt) offrirait, lors de sa
clôture, un excédant de ressources de 5,416,993 fr. 71
c., l’excédant de ressources n’a été, en définitive, que de 3,461,557 fr. 47
c., soit 1,955,456 fr. 24 c.de moins qu’on ne l’avait espéré.
Le budget des recettes et des dépenses
de l’exercice de
Il y a eu, d’une part, comme pour
l’exercice 1841, un grand nombre de crédits supplémentaires, et d’autre part,
les recouvrements sont présumés devoir rester en-dessous des évaluations d’une
somme de 1,628,403 fr. 76.
Ce résultat, pour le dire en passant,
n’est guère conforme aux promesses que l’honorable M. Smits nous avait faites.
Cet honorable membre, alors ministre des finances, se croyait tellement sûr que
ses prévisions de recette, se réaliseraient, qu’il ne parlait de rien moins que
de les garantir sur sa fortune personnelle. Si nous l’avions pris au mot, cela
lui aurait coûte la légère somme de 1,628,403 fr. 26
c. (Hilarité).
Le même ministre a été encore plus
malheureux dans ses prévisions pour 1843. L’exercice 1843, ouvert avec un
excédant de recettes de 3,594,680 fr. 99 c., présente déjà aujourd’hui une
insuffisance de ressources de 2,945,796 fr. 75 c., soit 6,510,177 fr. 74 c. de
moins pour le trésor, insuffisance provenant, d’une part, de nombreux crédits
supplémentaires ; et, de l’autre, de ce que les recettes resteront en-dessous
des évaluations d’une somme de 4,178,618 fr.
On peut affirmer, messieurs, sans
craindre d’être dans l’erreur, que les résultats des exercices 1842 et 1843
s’aggraveront par suite des demandes de crédits supplémentaires qui nous seront
encore faites pour les deux exercices. Sur 14 crédits supplémentaires accordés
pour l’exercice 1841, il y en a eu 9 votés en 1842 et 1843 ; il est donc permis
de croire qu’on demandera encore, en 1844, des crédits supplémentaires pour
l’exercice 1842, et en 1844 et 1845 des crédits supplémentaires pour l’exercice
1843.
Si nous ne tenons aucun compte de
cette aggravation, qui est cependant fort probable, la différence entre les
prévisions des exercices 1841, 1842 et 1843 et les résultats réels, sera au
préjudice du trésor de 21,844,277 fr. 36 c., soit une
moyenne par année de 7,281,425 fr. 78 c.
En appliquant cette moyenne à
l’exercice 1844, on est conduit à penser que cet exercice présentera un déficit
de plus de sept millions, nonobstant les nouveaux impôts annoncés par M. le
ministre des finances.
M. le ministre des finances me dira
que ses prévisions sont mieux établies que celles de son prédécesseur. C’est là
un langage auquel nous sommes accoutumés et que l’événement vient presque
toujours démentir.
Je reconnais que, sur beaucoup de
points, les prévisions pour l’exercice 1844 ne s’écartent guère des probabilités.
Il est cependant des chiffres qui sont et peuvent être contestés.
On porte pour le produit des droits
d’entrée 10,500,000 francs, 1 million de plus qu’au
budget de 1843. Il est vrai que ce chiffre est, à peu de chose près égal au
produit perçu dans les trois derniers mois de 1842 et les 9 premiers mois de
1843. Mais l’augmentation qui a eu lieu alors et qui est due à des
circonstances extraordinaires se maintiendra-t-elle ? C’est ce dont il est
permis de douter : la moindre stagnation dans les affaires ferait, au
contraire, fléchir considérablement ce chiffre.
Le produit de l’accise sur le sucre
est évalué à 3,200,000 fr. Cette évaluation est basée
sur la supposition d’un rendement de 5 p. c. pour le sucre de betterave. Il y a
des personnes qui soutiennent que le rendement est de 7 p. c.
; ne fût-il que de 6 p. c., il y aurait encore à rabattre de
l’évaluation faite par M. le ministre des finances.
Le produit des droits de succession
est porté à 4,400,000 fr,, bien qu’on n’ait perçu,
dans les trois derniers mois de 1842 et les9 premiers
de 1843, que 4,103,000 fr. (environ 300,000 fr. de moins).
Jusqu’à présent, les recettes du
chemin de fer ont été de beaucoup inférieures aux évaluations. Serons-nous plus
heureux en 1844 ? Le chiffre de 10,600,000 fr. sera-t-il
atteint ? Je le désire aussi vivement que M. le ministre des finances, mais je
crois que cela est tout au moins fort problématique.
Messieurs, je ne veux pas insister
sur ce point, mais je vous prie de remarquer que les différences entre les
prévisions d’un exercice, et les résultats réels, sont bien plus souvent dues à
de nombreuses demandes de crédits supplémentaires qu’à toute autre
circonstance. Comment M. le ministre des finances pourrait-il nous garantir que
l’exercice 1844 sera moins chargé de crédits supplémentaires que les exercices
antérieurs ? En appliquant à cet exercice la moyenne des résultats connus pour
les aunées précédentes, on s’expose moins à s’écarter de la vérité qu’en se
flattant d’améliorations chimériques que rien ne fait pressentir.
Vous voyez, messieurs, que l’avenir
n’est pas plus rassurant que le passé. (erratum Moniteur belge
n°343, du 9 décembre 1844) Nous aurons été frappés d’une augmentation
annuelle d’impôt de plus de 10 millions de francs ; et néanmoins le déficit,
d’après toutes les probabilités, s’accroîtra encore, chaque année, de 7
millions de francs.
Je me trompe, messieurs,
l’accroissement sera beaucoup plus considérable. Nous n’avons pas encore achevé
tous les travaux du chemin de fer. Nous avons des canaux et des rivières à
améliorer. Je ne pense pas être dans l’exagération en portant cette dépense à
50 millions ; elle sera peut-être de plus de 100 millions.
Quelles sont, messieurs, les causes
de la situation déplorable dans laquelle nous nous trouvons ? il n’est pas bien difficile de les connaître. Je les indiquerai,
telles que je les entrevois, avec ma franchise habituelle.
Une première cause, c’est que nous
avons la prétention, comme l’a dit M. le ministre des finances, d’occuper un
rang distingué parmi les nations européennes. Nous voulons briller, non seulement
par notre industrie, ce qui est bien, ce qui est digne ; mais aussi par notre
luxe, par notre diplomatie, par notre armée, ce qui est une folie.
MM. les ministres, fort petits en
général, sont logés dans des palais fastueusement meublés. Si l’on récapitulait
toutes les sommes qui ont été dépensées pour cet objet, vous seriez, messieurs,
effrayés du chiffre.
Nous avons des diplomates qui
reçoivent 40, 60 et même 80,000 fr. par an, non compris les frais de voyages.
Quels services quelques-uns d’entre eux rendent-ils ? On serait très embarrassé
de nous le dire.
Jusqu’à présent, nous avons dépensé
annuellement pour l’armée plus de 30 millions de francs. On persiste à nous
demander 28 millions pour l’avenir. De quelle utilité peut être une armée aussi
forte, aussi coûteuse dans un pays petit comme le nôtre, à une époque surtout
où la guerre n’est plus dans les mœurs, et où les gouvernements la redoutent,
an moins autant que les peuples.
Il nous faut une marine et des
colonies créées à grands frais, que nous n’avons pas les moyens de protéger,
qu’on nous enlèverait le lendemain du jour où elles deviendraient productives.
Nous avions besoin d’un navire pour
établir des relations avec les Etats-Unis, nous avons été faire choix du navire
le plus colossal qui ait pu se trouver, croyant bonnement, sur la foi de notre
envoyé à Londres, que cela nous donnerait une grande supériorité sur
l’Angleterre. Le colosse est aujourd’hui dans le bassin d’Anvers, et Dieu sait s’il en sortira jamais.
Sachons, messieurs, être plus sages ;
jouons un peu moins le rôle de la grenouille qui veut se faire bœuf ; nous nous
en trouverons mieux.
Une autre cause de la situation,
c’est que nous avons eu des ministres qui ont fait les affaires d’un parti, au
lieu de faire celles du pays ; qui ont cherché à obtenir des lois de réaction,
plutôt qu’à mettre l’ordre dans les finances : Quand des ministres se décident
à braver ouvertement le vœu du pays, ils doivent se créer une majorité factice
par toutes sortes d’expédients ruineux ; les abus se multiplient, les faits les
plus scandaleux se passent ; les lois mêmes ne sont plus respectées ;
l’honorable M. Lys vous a entretenu tout à l’heure d’un fait grave. Un ministre
des finances, actionnaire d’une banque, a prêté à cet établissement environ 4 millions
appartenant à l’Etat, et n’a exigé qu’un intérêt de 2 p.c., alors qu’il
émettait des bons du trésor à 4 p. c.
Jusqu’à présent, les conditions de
cet arrangement étaient restées ignorées, elles ont été communiquées à votre
section centrale sur sa demande. M. Lys vient de vous les faire connaître ; je
n’hésite pas à le dire ; elles sont scandaleuses.
D’autres faits non moins graves, dont
l’un vous a aussi été signalé par M. Lys, se sont passés. Une loi (la loi du 22
frimaire an 7, art. 9), porte : « qu’aucune autorité publique, ni la
régie, ni ses préposé ne peuvent accorder de remise ou modération des droits
établis et des peines encourues, ni en suspendre ou en faire suspendre le
recouvrement, sans en devenir personnellement responsables. » Il est un
article de la constitution qui déclare qu’il ne peut être établi de privilège
en matière d’impôt. Eh bien, au mépris de cette loi, au mépris de la
constitution, on a autorisé l’enregistrement en débet de plusieurs actes passés
entre la banque de Belgique et ses débiteurs, et les droits qui auraient dû
être payés du chef de ces actes, et qui s’élèvent à 129 mille francs, sont
encore dus.
Si les renseignements qu’on m’a
donnés sont exacts, et j’ai tout lieu de les croire tels, on a également
autorisé l’enregistrement en débet de l’acte de vente de la forêt de Chiny,
acte passé, m’a-t-on dit, sous le précédent ministère.
Cette forêt s’étant vendue environ
deux millions, c’est 140,000 fr. que le trésor public aurait dû toucher, il y a
longtemps, et qu’il n’a pas encore perçus à l’heure qu’il est ; cette fois
encore, la loi du 22 frimaire an VII et la constitution ont été indignement
violées.
Voilà, messieurs, comment les
ministres de l’année dernière faisaient les affaires du pays. Voila comment ils avaient à cœur les intérêts du trésor.
Ils se sont évanouis à l’approche des
élections. Celui qui passait pour le chef du cabinet a senti le besoin
d’abriter son impopularité derrière de nouveaux collègues. Comme je l’ai dit en
très peu de mots dans la discussion de l’adresse, cette impopularité a rejailli
en partie sur eux ; on ne s’associe pas à un homme, ou ne devient pas son
collègue sans accepter quelque chose de son passé.
« Le
temps avait marché, nous a dit M. le ministre des affaires étrangères, il
avait emporté bien des questions. » Oui, messieurs, le temps a marché, il
a été porté bien des questions, mais ce qu’il n’a pas emporté, ce qu’il
n’emportera pas, c’est le juste ressentiment de l’opinion libérale pour les
injures qu’elle a souffertes pour les libertés qu’on lui a enlevées.
Si vous veniez pour lui donner une
satisfaction, pour lui rendre quelques-unes des libertés qu’on lui a ravies,
oh, alors vous seriez les bienvenus ! Mais, je le sais, ce n’est pas là votre
mission, tout que vous pouvez nous promettre, c’est une halte dans la voie des
réactions. Ne soyez donc pas surpris de la froideur de notre accueil, des
défiances que nous laissons apparaître !
Vos paroles sont belles ; mais M.
Nothomb, en 1841, avait aussi de belles paroles ; vos promesses sont les mêmes
que celles de la fameuse circulaire aux gouverneurs. Que sont devenues ces
dernières promesses ? Vous le savez, et cependant M. Nothomb est encore
ministre, M. Nothomb est votre collègue.
Je vois en outre parmi vous un homme
qui a voté toutes les lois de réaction, qui s’est hautement prononcé en faveur
d’une proposition qu’il a fallu retirer, tant elle était impopulaire ! Cet
homme parle aujourd’hui de conciliation, mais il tenait un tout autre langage
avant que son ambition fût satisfaite. Un autre a été pris dans nos rangs ;
j’aime à croire, pour son honneur, qu’il est resté des nôtres, que ses
convictions n’ont pas changé ; mais pourquoi n’a-t-il pas encore répondu aux
interpellations qui lui ont été adressées ?
Je crois volontiers que M, le ministre
des affaires étrangères est animé d’un esprit de conciliation sincère, mais que
nous fera, je vous prie, l’esprit de conciliation de M. le ministre des
affaires étrangères ? ce n’est pas dans les relations
au dehors, c’est dans les relations intérieures, qui sont encore sous la main
de M. Nothomb, que le gouvernement est accusé de manquer d’esprit de
conciliation.
Je crois aussi aux bonnes
intentions de MM. les ministres de la guerre et de la justice, mais ils n’ont
pas, ils ne peuvent avoir dans les conseils de la couronne l’influence qu’une
position parlementaire peut seule donner !
Pourquoi n’a-t-on pu compléter le
ministère au sein des chambres ? car c’est d’abord là
qu’on a dû chercher ; pourquoi pas un membre du sénat n’en fait-il partie ?
Pourquoi, messieurs ? La réponse est facile : c’est que personne ne voulait
s’associer à l’impopularité de M. Nothomb, c’est que chacun voyait en lui un
obstacle permanent à la conciliation ! si M. Nothomb
s’était retiré, la position pouvait être nette ; elle est et restera fausse
aussi longtemps qu’il sera au pouvoir.
M. Smits (pour un fait personnel). - L’honorable M. Delfosse vient de
m’attribuer trois actes auxquels je suis complètement étranger. L’honorable
membre a dit que j’avais prêté à la banque de Belgique 4 millions de francs,
tandis que ce prêt a été fait en vertu de la loi du 1er janvier 1839.
Le deuxième fait que l’honorable
membre m’impute, c’est d’avoir fait enregistrer en débet les cédules
hypothécaires prises sur les immeubles des sociétés créées sous le patronage de
la banque de Belgique. Cet enregistrement en débet a eu lieu sous
l’administration de mon prédécesseur.
Le troisième fait qui m’est imputé
par l’honorable M. Delfosse c’est d’avoir fait enregistrer en débet l’acte de
vente de la forêt de Chiny. Je n’ai pas eu connaissance de ce fait ; mais, ce
qui est certain, c’est qu’il n’a pas eu lieu sous mon administration.
Quant à la mesure que j’ai prise
relativement au prêt fait la banque de Belgique, je le considère encore
aujourd’hui comme un acte de bonne administration ; c’est à la suite de cette
mesure que nous rentrons en possession des fonds que nous avions avancés, et la
résolution que la banque vient de prendre à cet égard est, dans cette
circonstance, ma plus belle justification.
M.
Delfosse. - Je n’ai pas cité M. Smits comme
l’auteur de la mesure par laquelle on a autorisé l’enregistrement en débet des
actes passés entre la banque de Belgique et ses débiteurs, je me suis borné. à dire que cette mesure a été prise par un membre de
l’ancien ministère, et j’ai été dans le vrai, ce membre doit être M.
Desmaisières.
Je reconnais que M. Smits n’est pas
responsable de ce fait, mais la responsabilité qui pèse sur lui pour le prêt
fait à la banque de Belgique est assez grande. L’honorable membre nous dit que
ce prêt a eu lieu en vertu d’une loi. Oui, le prêt primitif a été fait en vertu
d’une loi ; mais vous n’étiez plus dans les termes de cette loi, vous ne
pouviez plus l’invoquer lorsque vous avez réduit le taux de l’intérêt à 2 p. c., lorsque vous avez admis des conditions qui, je le
répète, sont scandaleuses.
M. Smits se défend aussi d’avoir pris
part à la mesure relative à la forêt de Chiny ; je ne puis rien affirmer à cet
égard, j’ai reçu des renseignements d’une personne que je dois croire bien
informée, je les ai communiqués tels que je les ai reçus, c’est à M. le
ministre des finances à nous faire connaître ce qui s’est passé ; je demande
qu’il nous donne des éclaircissements dans une autre séance, s’il ne peut les
donner aujourd’hui.
M. Desmaisières. - Messieurs, quoique des imputations plus ou moins vagues aient
souvent été dirigées contre moi par certains orateurs, dans cette chambre, j’ai
toujours cru qu’il était de mon devoir de ne pas prendre la parole pour y
répondre, parce que toutes ces discussions ne peuvent jamais faire que le plus
grand tort au crédit public, auquel je crois qu’il est avant tout de mon
devoir, surtout comme ancien ministre des finances, de ne pas porter la moindre
atteinte.
Oui, messieurs, c’est sous mon
administration qu’un million a été, non pas prête à la banque de Belgique, mais
déposé dans les caisses de cette banque, au lieu de rester dans celles de
Ce fait a eu lieu, comme on l’a
rappelé, à la fin de décembre 1839. Personne de nous n’ignore quelle crise
épouvantable a été amenée par la suspension des payements de la banque de
Belgique, à la fin de l’année 1838. Personne de vous n’ignore qu’il s’en est
suivi une crise financière, industrielle et commerciale, qui a pesé longtemps
et qui pèse encore sur le pays. A la fin de décembre 1839, je fus prévenu par
les commissaires du gouvernement (je pense pouvoir le dire maintenant), je fus
prévenu, dis-je, par les commissaires du gouvernement qu’une nouvelle crise
pouvait éclater. Nous avions alors en émission une dette flottante, qu’en
raison des travaux du chemin de fer, il avait fallu porter à un chiffre en
quelque sorte effrayant ; notre crédit public était tout à fait mal assis ;
notre 3 p. c. était coté, je crois, à quelque peu au-delà de 60, et cependant
nous devions faire un emprunt et un emprunt considérable ; le temps pressait
même pour le faire. Fallait-il, dans cet état de choses, permettre à une
recrudescence de crise de se faire sentir et d’amoindrir encore le crédit
public ? Je pris donc le parti de soumettre la question au conseil des
ministres, et le conseil des ministres fut unanime pour décider qu’il y avait
nécessité, pour le bien du pays, de déposer momentanément ce million dans les
caisses de la banque de Belgique.
Maintenant ce dépôt eut-il lieu sans
garanties ? Loin de là, messieurs, nous reçûmes des garanties infiniment plus
considérables que celles que donne le caissier de l’Etat lui-même, car chez le
caissier de [‘Etat vous avez une garantie sans doute très bonne, sans doute
tout à fait rassurante, qui consiste dans la solvabilité de l’établissement,
mais vous n’avez que celle-là, vu que vous n’avez pas même le droit d’aller
vérifier sa caisse. Eh bien, messieurs, pour obtenir ce million dans ses
caisses, la banque de Belgique fut obligée de déposer dans les caisses du
ministère des finances des valeurs presque immédiatement réalisables pour plus
du double.
En outre le million fut déposé dans
une caisse à deux clefs dont une fut remise entre les
mains d’un des commissaires du gouvernement. La banque ne pouvait disposer de
tout ou partie de ce million sans le concours des commissaires du gouvernement.
Vous voyez d’ailleurs par l’état où le crédit est parvenu ensuite, que les
faits ont donné raison au ministère d’alors qui, à l’unanimité, a cru devoir
poser cet acte dans l’intérêt du crédit public ; car le 3 p. c. qui était, en décembre
1839 à un peu au-delà de 60, s’est élevé, malgré l’emprunt de 95 millions
proposé par M. Mercier, en mai et juin 1840, au taux de 79, taux qu’il n’avait
jamais atteint auparavant et qui, sans l’événement fatal du traité du 15
juillet, eût permis de contracter l’emprunt au taux de 75 au moins en 3 p. c.
Vous voyez donc que le ministère a eu
raison de prendre cette résolution sous sa responsabilité. Il ne pouvait pas
vous la faire connaître, parce qu’alors elle n’aurait pas produit l’effet qu’on
voulait obtenir.
Quant à l’enregistrement en débet,
lorsque le prêt de quatre millions a eu lieu, il a été entendu par la chambre
et d’une manière tout à fait formelle et positive par la commission de la
chambre, que l’on imposerait à la banque de Belgique l’obligation d’user de
ménagement envers les sociétés industrielles. Eh bien, la banque de Belgique a
accepté cette obligation ; et, il faut le dire, les premiers fonds qu’elle a
obtenus, elle les a employés à tirer d’embarras quelques sociétés
industrielles. Maintenant le ministère qui a fait le prêt, ayant exigé que la
banque de Belgique accorde à ces sociétés un atermoiement pour le paiement de
leurs dettes envers elle, il a bien fallu que la banque se fît délivrer par ces
sociétés des cédules hypothécaires.
Les commissaires du
gouvernement qui furent nommés immédiatement après le prêt effectué, et l’un
d’eux qui remplissait en même temps les fonctions de secrétaire général au
département des finances, ont fait connaître qu’il avait été convenu que
provisoirement on enregistrerait seulement en débet ces cédules hypothécaires
qui, je le répète, avaient été imposées, en quelque sorte à la banque en faveur
des sociétés industrielles et principalement, des sociétés de deux provinces,
de la province de Liége et de la province du Hainaut, que cette obligation
imposée à la banque de Belgique dans l’intérêt des sociétés industrielles, on
ne pouvait pas cependant soumettre ces sociétés à une nouvelle charge ; mais,
comme il n’était pas possible d’entretenir de nouveau les chambres de cet
objet, dans les circonstances où se trouvait alors le pays, il fut décidé
conformément à ce qui avait été convenu précédemment, que provisoirement ces
cédules hypothécaires seraient enregistrés en débet. Elles le furent
successivement au fur et à mesure qu’elles furent créées. Mais l’intention
positive de tous les ministres qui se sont occupés de cette affaire était de
demander aux chambres, aussitôt que les circonstances le permettraient, une loi
pour exempter ces sociétés industrielles ; car, encore une fois, veuillez bien
le remarquer, messieurs, ce n’est pas la banque, mais les sociétés
industrielles qui auraient dû payer, pour exempter, dis-je, ces sociétés du
payement de tout ou partie de ces droits. Mais les droits de l’Etat étaient toujours
entièrement conservés. Voilà, messieurs, les seules explications que je crois
devoir donner.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Messieurs, un honorable membre, celui qui a parlé le premier dans
cette discussion, est revenu sur quelques faits qui avaient déjà occupé la
chambre plusieurs fois. Je ne le suivrai pas sur ce terrain. Il me suffira de
déclarer de nouveau que la loi de comptabilité générale sera présentée
incessamment. Je remercie l’honorable orateur d’avoir déclaré que, quant à lui,
il croyait à la sincérité de mes paroles.
Cet honorable membre a parlé
également des fonds d’amortissement et de cautionnement. Je lui dirai qu’un
travail a été commencé sur cet objet en 1840, et que déjà j’ai insisté auprès de
plusieurs membres de la commission qui s’en était occupée, pour qu’elle se
réunît de nouveau. L’absence de quelques-uns d’entre eux a empêché jusqu’à
présent cette réunion ; mais la convocation du sénat pour une époque très
prochaine devant amener ces honorables membres à Bruxelles, le travail pourra
être repris, et l’objet être prochainement régularisé.
L’honorable orateur a parlé aussi de
l’aliénation de nos domaines. Pour commencer l’exécution de la loi que la
chambre a votée sur cette matière, je soumettrai à la législature un projet de
loi tendant à autoriser l’aliénation des biens domaniaux de la valeur d’un
dixième de la somme à laquelle il a été décidé que cette mesure serait
appliquée dans l’espace de 10 ans.
Je vais répondre maintenant au second
orateur que vous avez entendu. Cet honorable membre voit notre avenir financier
sons des couleurs bien sombre. Jugeant, dit-il, l’avenir par le passé, il
suppose que le découvert que nous annonçons n’est point réel, que bientôt le
déficit s’accroîtra de plus en plus.
Cet honorable orateur s’est livré,
sans doute, à beaucoup de recherches, et il a prouvé, je le reconnais, qu’il a
examiné notre passé financier et nos budgets actuels avec attention. Mais, s’il
s’était livré à d’autres investigations, il en aurait quelque foi, j’aime à le
croire, dans l’exposé que j’ai présenté, et dans l’exactitude des chiffres que
j’ai posés. Si l’idée lui était venue de revoir et de vérifier ce que j’ai dit
en 1840, et qu’il se fût rappelé que j’avais évalué alors notre découvert à
24,500,000 francs, il aurait reconnu que ce calcul était exact, et il se serait
convaincu que j’avais justement apprécié la véritable situation du trésor ; il
aurait, sans doute, été amené à reconnaître que je suis aujourd’hui la même
règle de conduite, et en parlant du chiffre de 37 millions, il n’aurait pas dit
que c’était là le chiffré avoué ; mais il l’aurait accepté comme présentant le
découvert réel, et tel que j’ai l’intime conviction qu’il existe. Je n’affirmerai
pas toutefois que ce chiffre ne pourra souffrir aucune modification : l’avenir
n’est pas en notre pouvoir. L’honorable orateur a cité lui-même un chiffre de
recette qui peut encore présenter quelque doute, celui de 285,000 fr. à
recouvrer à charge des provinces de Liége et de Limbourg. Sans doute une
transaction sur ce point litigieux peut intervenir ; mais je ne pouvais faire
figurer ce chiffre autrement que je ne l’ai fait dans le compte de la situation
générale du trésor.
Puisqu’il est reconnu que, dans
l’appréciation de notre situation financière en 1840, j’ai mis la plus
scrupuleuse exactitude, l’honorable membre doit bien admettre que mes
évaluations de 1843 ont été faites avec la même bonne foi, et la même
ponctualité, franche et consciencieuse.
Avant de fixer le découvert à 37
millions, j’ai eu soin de consulter tous mes collègues pour savoir s’ils ne
prévoyaient pas de nouvelles dépenses à faire dans leurs départements
respectifs. C’est après avoir reçu tous les matériaux nécessaires que j’ai fixé
le découvert.
Dans l’énumération des chiffres dont
l’honorable membre vous a parlé, il y a beaucoup d’avances et de payements
faits ou à faire. C’est ainsi que 4,116,000 fr. à
payer pour le canal de Charleroy figuraient dans le découvert, tandis que l’on
ne peut considérer cette somme comme un des éléments du déficit.
J’affirme, du reste, comme je l’ai
déjà fait, qu’après un examen approfondi, après les recherches les plus
minutieuses, je n’ai trouvé que 37,384,000 fr. de
découvert, et je ne prévois pas qu’aucune dépense de quelque importance vienne
augmenter ce chiffe.
Après avoir parlé de la situation
actuelle, l’honorable orateur est arrivé au budget des voies et moyens. Il
conserve aussi quelques doutes sur les prévisions de 1844, tout en avouant qu’il
n’y a pas trouvé une grande exagération ; et il cite toutefois les droits
d’entrée comme pouvant rester au-dessous de mes évaluations qu’il suppose
basées sur des circonstances extraordinaires. Il a sans doute voulu faire
allusion aux déclarations considérables faites sur le café en raison des
augmentations de droits dans les derniers mois de 1842. En prenant, dit-il,, pour base des prévisions le dernier trimestre de 1842, et
les neuf premiers mois de 1843, il doit y avoir erreur, parce que ce dernier
trimestre de
J’aurais pu encore compter sur
d’autres augmentations de recettes à résulter de certaines majorations de
droits. Je citerai, entre autres, celle concernant les tissus de laine dont les
droits d’entrée présenteront un chiffre plus élevé de 300,000 à 400,000 francs
dans l’hypothèse probable et désirable d’une diminution dans les quantités importées,
et cependant je n’ai pas eu égard à cette présomption d’augmentation ; je n’ai
fait entrer dans mes évaluations que l’influence de la majoration des droits
pendant deux mois, tandis qu’en la prenant en considération, j’aurais pu porter
mes prévisions à un chiffre plus élevé. Je pourrais citer encore le projet de
loi sur les céréales, dont la mise à exécution serait de fournir aussi un
revenu au trésor.
L’honorable membre a aussi parlé de
l’accise sur le sucre. Comme il s’agit ici d’une nouvelle loi, on reconnaîtra
que je ne puis parler avec la même confiance qu’à l’égard des autres prévisions
que j’ai établies. Je dirai cependant que les premières évaluations faites par
des hommes très compétents, portaient cette accise à 3,800,000 fr. et que, sur
mes observations, ils l’ont réduite à 3,500,000 fr., et qu’enfin, préoccupé que
j’étais de la crainte d’aller au-delà du produit réel, je ne l’ai évalué qu’à
3,200,000 fr.
Quant au droit de succession, je
ferai une remarque essentielle : C’est que l’honorable orateur a pris pour base
le produit de la dernière année, tandis que j’ai admis une moyenne, et c’est
ainsi qu’il faut procéder. S’il ne faut pas prendre pour point de départ une
année d’un produit extraordinaire, on verserait dans une erreur contraire en établissant
ses prévisions d’après une année à un produit au-dessous de la moyenne. J’ai
évité ce double écueil et j’ai même admis une moyenne inférieure au chiffre qui
m’était proposé.
Mais, a prétendu l’honorable orateur,
c’est par des économies plutôt que par des augmentations de recettes qu’il
fallait chercher à équilibrer nos recettes et nos dépenses. Si de nouvelles
économies étaient possibles, je n’hésiterais pas un instant à me rallier à
cette opinion ; mais j’ai l’intime conviction que cette possibilité n’existe
pas, du moins au point d’exercer une notable influence sur notre situation ;
et, pour parler de notre armée, que l’honorable membre a eu en vue, je dirai
que, dans mon opinion,
Je suis également convaincu,
je le répète, que, pour les autres départements, il ne sera pas possible d’en
réaliser non plus de quelque importance.
En partant des augmentations
successives de l’impôt, l’honorable orateur ne s’est sans doute pas rappelé que
déjà, en 1840, j’ai présagé de nouveaux besoins que j’évaluais à environ 10
millions. Il vient donc confirmer l’exactitude de mes prévisions d’alors, et
rendre justice à la rigoureuse exactitude que j’ai toujours apportée à
apprécier les besoins du trésor.
Abandonnant le champ des calculs,
l’honorable orateur a demandé pourquoi je n’ai pas répondu à des interpellations
qui m’ont été adressées sous le point de vue politique. Si je n’ai pas répondu
à ces interpellations, c’est que cette réponse a été donnée, comme il avait été
convenu, par M. le ministre des affaires étrangères, au nom du cabinet ; ce
sont de belles paroles, s’est écrié l’honorable orateur, mais les promesses
qu’elles renferment seront-elles tenues ? Ma réponse sera courte et précise :
Aussi longtemps que j’aurai l’honneur de siéger sur ce banc, les promesses
faites par M. le ministre des affaires étrangères seront fidèlement observées.
M. Eloy de Burdinne. - Messieurs, avant d’aborder la discussion des articles du budget des
voies et moyens, j’ai un devoir à remplir ; je viens vous signaler de nouveau
tout ce qu’il y a de défectueux dans notre système financier.
Les faits parlent plus haut que ma
faible voix, je pourrais les invoquer, et vous montrer l’élasticité progressive
de nos budgets, insuffisante à combler un déficit qui grossit sans cesse malgré
l’émission constante d’emprunts qui dévorent l’avenir sans fournir complètement
aux besoins du présent, malgré l’augmentation périodique des impôts qui
écrasent le pays.
Mais à quoi bon sonder la profondeur
de nos plaies ? il s’agit de les guérir !
Pour cela que faut-il ?
Réviser notre système financier, et
surtout nos lois de douanes.
En matière de douane, nous subissons,
messieurs, les conséquences d’une combinaison bâtarde, à moitié dictées par des
traditions qui nous sont étrangères, et sans rapport avec nos intérêts, nos
ressources, nos mœurs, nos besoins actuels.
D’un côté, sur l’entrée de certains
produits étrangers, nous percevons des droits tellement modiques, qu’ils se
rapprochent de la liberté commerciale tant vantée et si peu pratiquée par les
économistes anglais et français.
D’un autre côté, nous frappons des
droits protecteurs l’entrée de divers produits étrangers. Cette anomalie
m’autorise à qualifier de combinaison bâtarde la législation douanière qui
régit
En ce qui touche à la liberté
commerciale par la modicité de nos droits de douane, nous nous ressentons
encore de nos 15 ans de mariage forcé avec
Le congrès de Vienne ne nous avait
nullement consultés pour ce mariage, et à son tour le gouvernement hollandais
ne consultait nullement les intérêts de notre agriculture, de notre industrie
manufacturière, de notre travail intérieur. Le royaume des Pays-Bas se
préoccupait exclusivement des souvenirs des anciennes provinces unies, de la
résurrection de leur passé, de la prospérité de leurs vastes possessions
coloniales, du réveil de leur marine et des sympathies séculaires d’un peuple
de navigateurs et de marchands accoutumés a se
considérer comme les courtiers des deux mondes.
De 1815 à 1830 toutes les faveurs des
hommes d’Etat qui dirigeaient les destinées de
Aujourd’hui que
Un traité de commerce n’est au fond
qu’une convention également avantageuse aux deux parties contractantes,
arrivant par de mutuelles concessions à l’écoulement le plus favorable,
j’allais presque dire d’échange de leurs produits respectifs.
Mais de ces concessions se trouvent
naturellement exceptés tous les produits similaires, qui, importés par
l’étranger, viendraient faire sur le marché national une concurrence funeste à
l’industrie indigène,
Comme on le voit, tout dépend de la
faculté réciproque de concessions à faire.
Je le demande : quelle
concession pourrons-nous accorder, nous dont le tarif de douane est si modéré qu’il
n’existe presque pas, comparé à celui des autres nations ?
Aussi, toutes nos négociations pour
conclure des traités de commerce aboutissent à des déceptions. Les étrangers ne
prennent chez nous que les objets dont ils ne peuvent se passer.
Si nous voulons obtenir des
conditions avantageuses, révisons notre tarif de douanes ; le trésor y trouvera
de précieuses ressources ; frappons les produits étrangers de droits bien supérieurs à ceux qui existent, alors nous
aurons à donner pour recevoir.
Que la détresse financière d’un
royaume voisin nous serve de leçon.
Imitons aussi la France et
l’Angleterre, dont les tarifs de douanes sont hérissés de chiffres et de
prohibitions.
L’Angleterre perçoit annuellement 550
millions de francs de droit de douanes, le sucre seul produit un revenu annuel
de 120 millions de francs pour les populations de l’Angleterre et de l’Ecosse
sans presque y comprendre les Irlandais qui luttent contre la faim. Cent vingt
millions de francs perçus pour la consommation de sucre de 17 millions
d’habitants ! Comparez avec ce qui se passe en Belgique,
On m’objectera peut-être qu’en
frappant de droits plus élevés l’entrée des produits étrangers, on en diminuera
la consommation.
Ce serait un résultat désirable, un
résultat qui tournerait au profit de
Avant tout, messieurs, sécurité et
protection au travail national. Je comprends fort bien la religion de
l’humanité, mais professons d’abord le culte de la patrie et si, dans tous les
hommes, je chéris des frères, mes premières sympathies appartiennent de droit à
ceux qui sont nés sur le même sol, qui obéissent aux mêmes lois, qui vivent de
la même existence.
Tous les gouvernements s’efforcent
d’établir l’équilibre entre les exportations et les importations ; c’est le
meilleur moyen de mettre en harmonie les recettes et les dépenses, car le
revenu d’un pays se compose de la valeur des produits indigènes qu’il expédie à
l’étranger ; et sa dépense, du montant des produits exotiques qu’il consomme.
Interrogeons notre statistique
commerciale pour voir, comment
En 1841, il a été importé en Belgique
des produits étrangers pour une somme supérieure de 65 millions de francs au
montant de nos exportations.
En 1842, la différence à notre
préjudice est encore plus considérable ; les importations dépassent de 86
millions nos exportations. Voilà pour 1841 et 1842 une moyenne de 76 millions,
c’est-à-dire une augmentation annuelle de 26 millions, comparativement aux
années antérieures de la période de 1835 à 1840, dont la moyenne était de 50
millions.
Une différence aussi énorme pour un
pays qui ne compte guère plus de quatre millions d’habitants, conduit forcément
à une ruine certaine.
Impossible de persister dans cette
voie déplorable. Tout s’en ressent à la fois.
Comment caractériser, par exemple,
cette mesure qui nous fait sacrifier chaque année 800,000 francs, en
remboursement de péages sur 1’Escaut, dans le but de favoriser l’arrivée de
produits étrangers qui, pour la plupart, seraient fort bien remplacés par nos
produits indigènes.
Je concevrais encore que l’on
remboursât les péages aux navires qui retournent avec chargement ; il y aurait
là un encouragement donné à la production nationale ; mais il n’en est pas
ainsi. Que le navire parte sur lest ou avec chargement, le péage est remboursé,
En vérité, je le répète, quel
économiste essaiera de justifier une faveur faite aux commissionnaires d’une
seule cité, et cela au détriment de toutes nos industries, au préjudice du
trésor.
Sans m’arrêter plus longtemps sur la
nécessité, sur l’urgence des modifications à apporter à notre système de
douanes, j’arrive à nos droits de consommation qui doivent aussi être révisés.
J’obéis toujours aux mêmes principes.
Avant tout, la protection la plus large, la plus éclairée à nos intérêts
nationaux, une protection qui assure à nos producteurs la jouissance du marché
belge.
Quand j’examine ces intérêts
essentiellement solidaires du producteur et du consommateur belges, que vois-je
d’abord ?
Les droits sur la bière rendent
annuellement 6,300,000 fr
La consommation du vin produit au
trésor 1,950,000 fr.
La bière faite sur notre sol avec des
produits de ce même sol, dont la fabrication est doublement utile à
l’agriculture par les matières qu’elle lui emprunte, par les résidus qu’elle
lui rend, la bière, après avoir occupé des milliers de bras à sa fabrication,
est la boisson des classes moyennes, et surtout des classes laborieuses. Eh
bien, elle paie un triple impôt.
Le vin, au contraire, nous est
expédié de l’étranger ; et il n’est consommé que par les classes riches ou
aisées.
Je vous laisse, messieurs, le soin
d’achever la parallèle.
Et que dire de l’impôt qui frappe le
sel, de cet impôt qui pèse si lourdement sur le cultivateur, sur l’ouvrier et
qui rend chaque année en Belgique 4 millions de francs, tandis que le sucre,
objet de luxe et de fantaisie, ne produit que 3,200,000
fr. ? Encore n’est-ce que depuis hier, depuis que nous avons modifié la loi sur
les sucres, auparavant cet impôt ne s’élevait pas à un million par année.
Encore a-t-il fallu que
Quant au sel, il constitue l’unique
assaisonnement de la nourriture du pauvre qui en consomme deux fois plus que
l’homme opulent. Le sel est indispensable dans nos fermes, dans nos métairies
pour la sante et la prospérité du bétail : « Faute de sel, disait Buffon,
les hommes et les animaux ne vivent et ne multiplient qu’à demi. »
Et cette substance, on l’accable de
droits ; on la rend presque inabordable au malheureux ouvrier qui s’en sert
pour aiguiser son appétit et faciliter sa digestion.
Ce n’est pas tout, messieurs,
remarquez l’étrange partialité de notre législation :
Dans nos ports de mer, le pêcheur qui
sale du poisson est affranchi de tout droit sur le sel.
Dans nos campagnes le cultivateur
paie un droit énorme sur le sel avec lequel il sale de la viande, du beurre,
des fromages.
Que devient cette égalité de droits,
de devoirs et de charges inscrite dans notre constitution, que devient cette
égalité en présence des rigueurs spéciales de cette loi que Buffon appelait une
loi de malheur, une sentence de mort contre les générations à venir ?
Si les souffrances et les misères de
tant de Belges exigent la révision de nos lois de finances, l’article 139 de la
constitution nous en fait un devoir.
Les lois, adoptées à une époque où
les intérêts du haut commerce étaient la seule pensée du gouvernement néerlandais,
ces lois, le congrès national l’a reconnu, ne pouvaient plus convenir à
Sous l’influence de cette conviction
a été voté l’article 139 de la constitution ; et certes, après douze ans
écoulés depuis ce vote, on ne nous accusera pas de précipitation,
d’irréflexions, si nous le réalisons enfin !
J’appellerai donc l’attention
spéciale du gouvernement et de la chambre :
1° sur l’accise relativement aux
bières ;
2° sur le sel ;
3° sur le sucre ;
4° sur l’ensemble et les détails de
notre système de douanes ;
5° sur les ressources nouvelles que
pourraient nous assurer l’augmentation des droits d’entrée sur les vins, et la
création d’un droit sur les tabacs étrangers.
En traçant ce tableau rapide de notre
situation, et en formulant quelques vœux qui se rapportent au bien-être de nos
populations, j’ai voulu provoquer des mesures qui puissent prévenir de grands
malheurs.
L’horizon est déjà assez sombre,
assez menaçant. Les questions d’argent touchent à tous les ressorts de notre
existence, collective et individuelle, il leur faut une solution.
Si les prévisions de M. le ministre
des finances se réalisent, les recettes couvriront les dépenses nécessaires aux
services de nos divers départements ministériels.
En d’autres termes, nos dépenses ne
dépasseront pas nos recettes : telles sont les espérances dont M. le ministre
des finances a accompagné la présentation du budget général pour l’exercice de
1844.
Mais, pour cela, il faut que les
impôts répondent par leur rentrée aux prévisions ministérielles ; il faut que
les douanes rapportent plus de 11 millions ; que les accises atteignent 21
millions ; que l’enregistrement, les domaines et les forêts produisent aussi 21
millions, et que le chemin de fer rende 10,600,000
francs.
En sera-t-il ainsi ?
Malgré la sincérité de mes désirs, je
ne puis le croire.
Depuis 1830, messieurs, les impôts
ont augmenté d’année en année ; les prévisions ont été presque toujours
dépassées. Pourtant les recettes se sont trouvées en progression constante ;
mais nous touchons au moment où ces recettes vont diminuer. Ce fait ne peut
manquer de s’accomplir durant l’exercice de 1844.
Ne vous y trompez pas, messieurs,
avec le tarif actuel, il y aura un déficit sur le chiffre des droits de
douanes.
Attendons-nous également à une forte
réduction sur les recettes des accises et de l’enregistrement.
L’augmentation de recettes qui a eu
lieu sur ces deux grandes branches du revenu public, cette augmentation
provenait de causes qui n’existent plus.
En supprimant les causes, l’effet se
trouve détruit.
Dans un laps de quelques années, des
centaines de millions ont été dépensés pour la création et l’exécution de nos
chemins de fer.
Aujourd’hui ces chemins de fer sont
terminés.
La surexcitation fébrile, imprimée à
nos diverses industries par l’esprit d’agiotage et d’entreprise, a fait place à
une atonie générale, dont souffrent nos établissements manufacturiers et qui
réagit sur les capitalistes.
Nos illusions relatives à des relations
transatlantiques que l’on fondait sut
Après quelques voyages onéreux, la paquebot
Nos espérances d’avenir douanier avec
la France, avec l’Allemagne nous échappent tour à tour malgré les sacrifices
que nous avons prodigués sur la foi de ces espérances.
En attendant, nos ateliers chôment,
nos hauts-fourneaux s’éteignent l’un après l’autre, les propriétaires de
houillères réduisent leurs travaux d’extraction ; le commerce languit, et la
crise de l’industrie linière condamne à tendre la main une partie de notre
population.
Au milieu de tant de désastres,
l’agriculture seule est encore prospère.
Mais cette prospérité
résistera-t-elle aux charges qui pèsent sur le sol et sur ses produits ? Toutes
les fois que le gouvernement a besoin d’argent, c’est au sol qu’il s’adresse ; n’avons-nous
pas vu, dans la session de l’année dernière, un projet de loi, heureusement
retiré aujourd’hui, qui frappait le cultivateur d’un surcroit
d’impôt en grevant son bétail ?
Qu’arriverait-il si, au lieu de
diminuer, les impôts qui accablent l’agriculture subissaient encore de
nouvelles augmentations ?
Vous le devinez, messieurs, la valeur
du sol diminuerait ; les transactions se ralentiraient ; les recettes de
l’enregistrement baisseraient, et l’Etat ne pourrait plus venir au secours des
classes laborieuses dont la misère deviendrait plus cruelle, l’agriculture
cessant d’être dans un état de prospérité.
Voilà plusieurs années que
j’entrevois cette sombre perspective ; voilà plusieurs années que je signale
l’écueil, et que j’indique les moyens de l’éviter ; mais ma voix se perd au
bruit des illusions de l’optimisme. Laisserons-nous, messieurs, aux événements,
aux catastrophes, le soin d’apporter à mes paroles leur terrible commentaire ?
Il en est temps encore. La
prévoyance, que Dieu a donnée aux peuples comme aux individus isolés, la
prévoyance qui sauve les empires et les familles, en s’appuyant sur les
austères leçons du passé peut faire servir les difficultés du moment actuel au
bonheur des jours futurs.
Préparons-nous d’avance à des
recettes inférieures aux prévisions du budget. Si nos craintes de se réalisent
pas, nous serons heureux de trouver un excédent qui nous permettra de réduire
les bons du trésor, cette calamité publique.
N’y a-t-il pas d’ailleurs à employer
cet excédent pour l’extinction du paupérisme ? L’Etat ne doit-il pas à
tous ceux qui souffrent, du travail et du pain ?
Vivre au jour le jour, est-ce un rôle
digne du gouvernement, ce tuteur de la nation ?
Je ne parle pas des prodigalités, des
dissipations, épuisant les ressources du présent et anticipant même sur
l’avenir.
Je vous rappellerai seulement,
messieurs, que la prudence, la modération, la persistance, l’ordre et
l’économie constituent le caractère belge ; ces vertus de nos pères, les
avons-nous abdiquées, depuis que nous avons conquis notre indépendance et fondé
notre nationalité ?
Le premier résultat des institutions
libres, c’est de rendre les peuples meilleurs et plus heureux.
Ce but sacré, je le poursuivrai, tant
qu’il me restera un souffle de vie.
Une longue carrière utilement
employée, quarante années passées dans l’exercice de fonctions administratives,
et les mandats successifs dont m’ont honoré mes concitoyens en m’envoyant à la
chambre depuis 1833, me donnent le droit de faire entendre les conseils de
l’expérience.
A mon âge, messieurs, on renonce pour
tout ce qui nous est personnel, au long espoir, aux vastes pensées ; mais d’une
affection plus vive que jamais on s’attache à sa patrie, à ses concitoyens ; et
je n’aurai plus rien à demander à Dieu si, lorsqu’il me rappellera dans son
sein, je laissais la Belgique le plus heureux pays de l’Europe comme elle en
est le plus libre.
Messieurs, j’ai un extrait de la
statistique financière qui appuient les chiffres que renferme mon discours, je
pourrais vous en donner communication, mais je crois que la chambre les
appréciera mieux par la lecture, je le ferai insérer au Moniteur, à la suite de mon discours si la chambre m’y autorise. (Adhésion.)
(Note
du webmaster : Le Moniteur contient effectivement
à la suite du discours d’Eloy de Burdinne cet extrait statistique, qui n’est
pas repris dans la présente version numérisée. Le discours se poursuit comme suit : )
J’ai un mot à ajouter : je
vous avoue que si vous n’entrez pas dans une voie qui assure un parfait
équilibre entre les recettes et les dépenses, si nous restons dans l’ornière où
nous sommes depuis nombre d’années, je ne pourrai, en acquit de ma conscience,
donner mon assentiment à toutes les dépenses proposées pour les divers départements.
Nous devons absolument faire cadrer les recettes et les dépenses, il nous faut
même, pour parer aux éventualités, un excédent des recettes sur les dépenses.
Oserions-nous donc continuer de marcher de déficit en déficit ? Mais qu’il
survienne une guerre, que des dépenses extraordinaires que nous ne prévoyons
pas viennent à notre charge, où puiserons-nous les fonds nécessaires pour y
faire face ? Les emprunts, dira-t-on ? Mais on ne peut toujours emprunter. A la
fin on sera tellement compromis qu’on ne saura de quel bois faire flèche.
Remarquez que, si jusqu’à présent
nous avons un état assez satisfaisant, nous le devons à la prospérité de
l’agriculture ; mais je crois qu’elle est à son terme, et avec cette
prospérité, celle du commerce et de l’industrie cesseront également. Cherchons
donc à modérer nos dépenses ; il en est temps encore ; cherchons à améliorer
nos recettes. Que ces améliorations portent, comme je l’ai proposé, sur les
douanes, les objets de luxe, les tabacs, le sucre. Le sucre seul, rapporte en
Angleterre, 120 millions pour 17 millions d’habitants ; car je ne parle pas de
la population de l’Irlande, qui ne mange pas de sucre, ayant à peine du pain et
des pommes de terre.
M. Donny. - La discussion des budgets est une occasion consacrée par les
habitudes parlementaires à la présentation de tous les griefs.
Représentant unique d’une localité
dont les plaintes sont aussi nombreuses que bien fondées, il est de mon devoir
de profiter de cette occasion pour appeler sur ces plaintes l’attention du
gouvernement et de la chambre.
Nous n’avons, messieurs, que deux
ports maritimes ouverts au commerce dans toutes les saisons, dans toutes les
circonstances, le cas de blocus maritime seul excepté. A ce titre, le sort du
principal de ces ports ne saurait être indifférent à la chambre et au pays.
Le port d’Ostende, messieurs, est non
seulement un des meilleurs ports de seconde classe que possède le continent,
maïs il présente au commerce maritime des avantages précieux qu’on trouve bien
rarement réunis.
D’une part, à une seule marée, les
navires que l’on n’aperçoit pas encore à l’horizon, arrivent en rade, entrent
dans le port et se rendent eu sûreté dans les bassins.
D’une autre part, le port d’Ostende
communique avec l’intérieur du pays par trois voies différentes : par de bonnes
chaussées, par un canal dont le pareil se rencontre rarement, et enfin par un
chemin de fer.
Tous ces avantages devraient faire
croire que le port d’Ostende est appelé à prendre une large part dans le
mouvement de navigation du pays ; on devait croire que, quand ce mouvement
s’accroît, le port d’Ostende participe au progrès. Malheureusement, messieurs,
il n’en est pas ainsi, et tandis que dans tous les autres ports de
Le gouvernement nous a fait
distribuer des tableaux statistiques qui indiquent quel a été en 1842, le
tonnage des navires déclarés tant à l’entrée qu’à la sortie, dans les ports
d’Anvers, d’Ostende, de Gand et de Nieuport. Ces tableaux nous indiquent de
plus la moyenne de ce tonnage pour une période de cinq années, de 1837 à 1841
inclusivement. Lorsqu’on étudie ces diverses données, on arrive aux résultats
suivants : pour les ports d’Anvers, de Gand et de Nieuport, le tonnage de
Si l’accroissement qui s’est fait
remarquer dans les autres ports s’était aussi manifesté d’une manière
proportionnelle dans le port d’Ostende, celui-ci aurait eu, en 1842, 8,686
tonneaux de plus qu’il n’a eu.
Ainsi le port d’Ostende se trouve,
comparativement aux autres ports de
Mais quelles peuvent être les causes
de cet état de choses ? Je vais, messieurs, vous indiquer celles qui me sont
connues. Elles sont au nombre de deux : la première résulte de ce que l’on a
favorisé la navigation dans une autre direction que celle d’Ostende tandis
qu’en même temps l’on a augmenté tel charges de la navigation intérieure entre
Ostende et Gand ; la seconde provient du taux trop élevé des charges maritimes
qui pèsent sur le port d’Ostende.
La ville de Gand communique à la mer
par deux lignes navigables : l’une est formée par le port d’Ostende, le canal
d’Ostende à Bruges et le canal de Bruges à Gand. Cette ligne se trouve d’un
bout à l’autre sur le territoire belge, et toutes les dépenses que la
navigation occasionne sur cette ligne, tournent au profit de
L’autre ligne est formée par l’Escaut
et le canal de Terneuzen ; elle traverse le territoire étranger, sur la plus
grande partie de son parcours et la navigation ne peut en faire usage sans
occasionner aucune recette au profil du trésor néerlandais. Je crois donc
pouvoir appeler cette ligne, ligne néerlandaise.
Avant la révolution, le commerce
devait acquitter des péages, soit qu’il fît usage de la ligne néerlandaise,
soit qu’il suivît la ligne belge. Depuis lors, on a supprimé, d’abord en
partie, et ensuite en totalité, les charges qui pesaient sur le commerce
lorsqu’il choisissait la ligne néerlandaise (les péages sur le canal de
Terneuzen ont été complètement supprimés), et, dans le même temps, ainsi que je
vous l’ai dit, il y s un instant, on a trouvé convenable d’augmenter les péages
sur le canal d’Ostende à Gand. L’équilibre a été rompu
entre les deux lignes ; la ligne néerlandaise a été suivie de préférence à la
ligne belge, et les navires qui autrefois entraient au port d’Ostende avec un
chargement destiné pour Gand, ont abandonné ce port et se rendent aujourd’hui à
leur destination par le canal de Terneuzen.
Je ne fais, messieurs, que citer les
faits ; je me réserve de revenir sur cet objet, lorsque j’aurai fixé mon
opinion sur les remèdes possibles à cet état de choses. Le problème que j’ai à
résoudre n’est pas des plus faciles, il s’agit de conserver au commerce de Gand
tonte la liberté dont il jouit à présent, de ne lui imposer aucune charge
nouvelle, de lui procurer, si c’est possible, un avantage, et eu même temps de
rétablir l’équilibre entre les deux ligues dont je viens de parler. J’espère y
parvenir, et lorsque mon opinion sera fixée, j’aurai l’honneur de vous la
communiquer.
La deuxième cause du déclin du port
d’Ostende résulte du taux trop élevé des charges maritimes de ce port ; charges
qui consistent dans un droit de fanal, dans un droit de pilotage et dans un
droit de tonnage.
Je parlerai d’abord du droit de
fanal.
Dans le courant du siècle dernier, la
ville d’Ostende a fait construire le phare qui se trouve à l’embouchure de son
port, et qui a été élevé aux dépens de la caisse communale. Lorsque la
construction de ce phare fut achevée, il fallait faire face aux dépenses
d’éclairage ; il fallait assurer à la caisse communale l’intérêt du capital
qu’elle avait avancé, il fallait se créer un revenu nouveau susceptible d’être
donné en hypothèque pour les emprunts qu’on faisait alors et qui étaient
destines à des ouvrages d’utilité publique. Pour satisfaire à cette triple
exigence, la ville a établi un droit de fanal de trois sous par last ; et ce
droit, impôt originellement et essentiellement communal, est celui que les
navires qui fréquentent le port d’Ostende, paient encore aujourd’hui, mais ils
le paient au gouvernement ; et comme cet impôt comprenait dès l’origine autre
chose que les dépenses d’éclairage, il s’en suit que les navires qui
fréquentent le port d’Ostende paient beaucoup plus qu’ils ne le devraient
réellement. Le gouvernement emploie cet excédant à l’éclairage du port de
Nieuport, au fanal de Blankenberghe, en un mot, à
l’éclairage du littoral tout entier.
Ainsi, par la seule raison que la
ville d’Ostende a fait le sacrifice d’élever un phare, le commerce de cette
ville est obligé de payer un impôt qu’on ne perçoit dans aucune autre localité
belge, et par la seule raison que la ville a dû comprendre dans cet impôt autre
chose que ce qui était nécessaire pour faire face aux dépenses d’éclairage, le
commerce qui fréquente ce port est obligé de payer les frais de l’éclairage du
littoral tout entier.
C’est là quelque chose d’injuste,
quelque chose de révoltant, quelque chose qui a duré beaucoup trop longtemps et
que le gouvernement aurait dû faire cesser plus tôt. J’espère y mettre un terme
aujourd’hui au moyen d’un amendement que j’aurai l’honneur de vous présenter,
lorsqu’on en viendra à la discussion des articles.
La seconde charge maritime qu’on
perçoit au port d’Ostende, c’est un droit de pilotage.
Je commencerai, messieurs, par vous
faire remarquer que le droit de pilotage n’est pas un impôt, mais une véritable
rémunération pour prestation de services.
La preuve que ce droit n’est pas un
impôt, je la trouve dans cette circonstance que jamais, ni en Angleterre, ni en
France, ni en Hollande, ni en Belgique sous le régime précédent, les recettes
du pilotage n’ont fait partie du revenu public. Toujours le pilotage y a été
administré, non pour le compte de l’Etat, mais pour le compte des sociétés
particulières ou d’institutions entièrement séparées de l’Etat.
S’il en est ainsi, si le pilotage
n’est autre chose que la rémunération d’une prestation de service, tout tarif
qui fait payer au commerce maritime des sommes plus élevées que celles que
nécessite ce service, est un tarif exorbitant, un tarif vexatoire pour le
commerce. Or, tel est le cas pour le tarif qui est aujourd’hui en vigueur au
port d’Ostende.
Ce tarif, messieurs, a été introduit
par l’administration hollandaise, et il est malheureusement conçu dans un
esprit peu bienveillant pour l’industrie belge.
D’abord l’assiette de l’impôt est
basée sur le tirant d’eau. Or, les navires construits en Belgique ont
généralement un tirant d’eau beaucoup plus fort que les navires construits en
Hollande, par la raison très simple que tous les bâtiments de cabotage qu’on
construit en Hollande, étant destinés à entrer dans des endroits où il y a peu
d’eau, sont, par cette raison, construits avec des fonds bien plus plats que
ceux qu’on construit en Belgique.
Ensuite, le taux du tarif a été, sans
qu’on en voie la raison, porté à un chiffre bien plus élevé que n’était à cette
époque le tarif de Flessingue.
Il résulte de cette double
circonstance que le droit de pilotage a produit à
Ostende bien au-delà de ce qu’il devait rapporter pour faire face aux dépenses
nécessaires. Cela est si vrai, messieurs, que malgré la construction de
corvettes nouvelles, malgré l’érection d’un local destiné au service du
pilotage, malgré l’ensablement du chenal d’Ostende et l’abandon de ce port qui
en a été la suite, le pilotage a produit annuellement au-delà de 10,000 francs
d’excédants, excédants qui ont été inscrits au grand-livre de la dette publique
à Amsterdam où il existait à l’époque de la révolution une inscription de
204,000 florins au profit du pilotage d’Ostende. Cette inscription a été
transférée et figure aujourd’hui sur le grand-livre belge.
Je sais que la chambre de commerce
d’Ostende s’occupe en ce moment d’un travail sur le pilotage. Lorsque ce
travail me sera parvenu, je me réserve de prendre une détermination convenable
pour faire cesser, s’il est possible, l’état de choses dont je me plains.
Une troisième charge maritime qu’on
perçoit au port d’Ostende, c’est le tonnage. En principe le droit de tonnage
est uniforme dans tous les ports de
Je n’ai pas été même de vérifier
personnellement ces calculs. Les éléments de la question ne m’ont pas été mis
sous les yeux ; mais j’ai tout lieu de croire que l’on a calculé cette
différence avec exactitude. Et s’il en est ainsi, vous conviendrez qu’il y a
encore là une injustice révoltante, une injustice que M. le ministre des
finances ne peut pas laisser subsister un seul instant de plus,
Je viens de terminer l’énumération
des causes auxquelles j’attribue, en partie du moins, le déclin du port
d’Ostende ; mais je n’ai pas encore terminé l’énumération de nos griefs ; il en
reste encore deux.
Lorsque l’on a discuté la loi
d’établissement du chemin de fer, on a eu principalement en vue le transit on a
voulu attirer en Belgique une partie du transit qui se faisait par
Pour atteindre ce double but, pour
rendre possible le transit par Anvers, il fallait rembourser le péage de
l’Escaut, et pour le rendre possible par le port d’Ostende, il fallait égaliser
les distances entre le port d’Anvers et celui d’Ostende ; il fallait faire
abstraction dans le tarif, d’une différence de
Aujourd’hui que la voie ferrée est
achevée, aujourd’hui que le transit est possible ; qu’il s’établit en effet et
qu’il prend déjà des développements, on rembourse le péage de l’Escaut pour que
le transit puisse prendre la voie d’Anvers ; on fait dans cette vue un
sacrifice annuel de 800,000 fr. Et l’on ne fait rien pour que le transit puisse
aussi prendre la voie d’Ostende ; on ne veut pas même égaliser la petite
différence de
Il est, messieurs, un dernier grief
dont je dois vous entretenir. Dans un état de déclin, quant à la navigation,
dans un état d’exclusion quant au transit, le port d’Ostende ne conserve plus
que l’industrie de la pêche. A cette industrie, le chemin de fer devait
procurer la destinée la plus brillante ; le chemin de fer devait transporter
comme par enchantement, sur un marché nouveau, sur un marché immense, les
produits du littoral des Flandres, produits qui, transportés au loin, n’ont
d’autre valeur que celle que leur donne la rapidité du transport.
Qu’a-t-on fait pour réaliser
ces brillantes espérances ? On a arrangé les heures de départ de telle manière,
que le poisson du littoral des Flandres, n’est transporté en Allemagne, qu’au
bout de deux jours, tandis que celui du port d’Anvers y arrive en un seul jour
; on a de plus arrangé le tarif de telle façon, que le poisson transporté du
port d’Anvers, paie 40 p. c. de moins que celui qui est transporté d Ostende.
Aussi, quand au port d’Ostende, les résultats obtenus jusqu’ici du chemin, de
fer pour le transport du poisson, ont été bien peu considérables.
Je m’arrête, quant à ce dernier
grief, parce que je sais que M. le ministre des travaux publics, est saisi
d’une pétition des armateurs d’Ostende ; aussi longtemps que ce haut
fonctionnaire n’a pas disposé sur cette pétition, il serait inconvenant de ma
part de lui adresser des récriminations ou même des observations. Je dois me
borner à le prier de bien vouloir fixer son attention sérieuse sur la demande
des pétitionnaires et de prendre une résolution aussi bienveillante que
possible à l’égard de leur demande.
M. Osy. - Messieurs, je dois rendre justice à la franchise que met M. le
ministre des finances, dans l’exposé de notre situation financière, mais je ne
puis approuver la marche qu’il paraît vouloir suivre pour régulariser notre
comptabilité.
M. le ministre nous donne le chiffre
exact de nos déficits antérieurs à 1844 et qui se montent à la somme de 37,300,000 fr., et pour le combler, son intention serait
d’appliquer tous les fonds provenant de nos arrangements avec les Pays-Bas et
Je partage son opinion que la plus
grande partie des capitaux reçus doivent servir à combler nos déficits
antérieurs, mais il faut que cela se fasse par une loi et en attendant, on
aurait dû porter en recette tous les capitaux reçus, et les intérêts que nous
produisent les fonds inscrits devraient également figurer au budget des voies
et moyens, et on aurait dû porter en recette les sommes déjà payées par
Si on ne trouvait convenable de
présenter un budget supplémentaire, il faudrait au moins un projet de loi pour
ratifier les décomptes faits avec
C’est aussi par une loi et par une
proposition à nous faire, que nous devons régler ce qu’il aura à faire avec les
13,458 obligations 4 p. c. représentant l’encaisse de 12,172,285 fr. ainsi que
de 207,300 francs 3 1/2 reçus de
Je ne puis donc pas approuver le
transfert fait sans loi, de 2,264 obligations 4 p. c. à la caisse d’amortissement,
d’autant plus qu’il faudra décider d’avance ce qu’on fera de l’encaisse et
ensuite lors de la discussion du budget de la dette publique, il faudra prendre
un parti pour les fonds de la caisse d’amortissement restés oisifs depuis la
conclusion des emprunts de 1840 et 1842 et si votre décision sera conforme à
mon opinion, que ce fonds doit porter intérêt au profit de l’amortissement, je
pense que nous pourrons vous démontrer qu’il faudra employer ces fonds en
valeurs réalisables, comme bons du trésor et non en obligations 4 p. c.qui
éprouveraient naturellement une grande baisse si l’amortissement devait opérer,
car vous savez que l’amortissement n’est suspendu pendant 6 ans, aussi
longtemps que vos fonds sont au-dessus du pair ; si donc le 5 p.c., par l’un ou
l’autre événement, devait venir tomber au-dessous du pair et que vous deviez
faire agir l’amortissement, la baisse des 5 p. c. entraînerait les 4 p. c. et
vous auriez en caisse des valeurs non réalisables. Je ne puis donc que
désapprouver le transfert fait des 2,264 obligations et jusqu’à ce que nous
ayons tout réglé par une loi, il faut que l’encaisse reste intacte et il faut
porter aux voies et moyens les intérêts de l’encaisse ; je ne pourrai donc pas
approuver la recette que vous propose la section centrale, de 90,560 fr. pour
produit des 2,264 obligations ; mais il faudra majorer la somme de 446,960 fr.
proposée pour l’intérêt de 11,174 obligations, de cette somme de 90,560 fr.,de
manière que nous dirons : « Intérêts de 13,438 obligations de l’emprunt de
30 millions 4 p. c. provenant de l’encaisse, 537,520 fr. » Je me réserve
de proposer cet amendement lors de la discussion des articles.
Vous voyez, messieurs, que le
résultat pour le budget est de même, mais tout restera intact jusqu’à ce que
vous décidiez par une loi, ce que l’on compte faire de l’encaisse, ainsi que de
la manière qu’il faudra régler, et employer les fonds de l’amortissement,
impossible que cela puisse se décider à la volonté du ministère, et par suite
du discours qu’a prononcé M. le ministre des finances, lors de la présentation
des budgets.
M. le ministre propose aussi de
réaliser, dans un temps donné et à l’extinction de nos arriérés, le produit du
capital de un million 2 1/2 provenant du fonds d’agriculture. Il me paraît,
qu’avant de prendre cette résolution, il faudra examiner si on ne trouverait
pas convenable de rétablir la caisse pour l’agriculture et de la doter de ce
que nous avons reçu en restitution de
Je dois encore déplorer que notre
session ait été ouverte si tard, il est a craindre que
pour plusieurs départements nous aurons des crédits provisoires à ouvrir, et je
voudrais que finalement, on non présentât dans la même session les budgets de
deux exercices, de manière, qu’au lieu de commencer nos travaux par les lois
financières, nous ferions comme en France, nous terminerions par là, et ainsi
nous aurions toujours travaillé un an d’avance. C’est un vœu souvent exprimé,
et j’espère que, finalement, le gouvernement se décidera à adopter cette
marche. Ce sera d’autant plus facile que nos différends avec la Hollande sont
terminés, et que, lorsque nous aurons voté une organisation pour l’armée, nous
pourrons avoir un budget de la guerre normal.
Voilà pendant deux ans qu’on nous a
promis une loi de comptabilité, j’espère que les promesses de M. le ministre
actuel, seront sous peu des réalités, et qu’il ne négligera pas de proposer par
la même loi une commission de surveillance pour les fonds d’amortissement, de
consignations, de dépôt et de pensions, et que, finalement, toute notre
administration financière puisse être contrôlée par la cour des comptes, car en
lisant avec attention son cahier d’observations, ses attributions, qui
devraient être étendues, et être une sauvegarde des deniers publics, on dirait
vraiment que cette institution, si éminemment utile, n’a aucun pouvoir, et
lorsque nous serons au budget des travaux publics, nous aurons un compte sévère
à demander pour les nombreux abus de ce département. J’espère aussi que dans
cette session on nous remettra le compte de dépenses détaillé du coût de nos
chemins de fer, pour que la cour des comptes puisse arrêter la gestion de tous
les comptables.
Je recommande aussi particulièrement
à M. le ministre de nous proposer des moyens de ne pouvoir toucher aucune
somme, sous quelque prétexte que ce soit, sans le visa préalable de cour de
comptes, nous serons au moins certains alors, qu’on ne pourra pas dépasser les
sommes votées au budget. Ce qui s’est passé il y a deux ans, pour une
acquisition bien malheureuse et que je regarde presque à fond perdu, doit vous
engager messieurs, à prendre les plus grandes précautions.
Il est vrai que si nous allons
arrêter nos budgets tels qu’ils sont présentés, avec un nouveau déficit d’un
demi-million, auquel il faudra ajouter les dépenses pour réparer les derniers
malheurs de la révolution (pour l’indignement de Lillo) et ce qu’il faudra pour
le canal de Zelzaete, et si vous y ajoutez des recettes comme vente de domaines
et rentes qui ne se reproduiront plus, notre déficit pour 1844 sera de nouveau
de près de 3 millions. Mais j’espère que par une bonne organisation de l’armée
pour les besoins de la tranquillité du pays, et en ayant le plus grand égard
aux positions acquises et en faisant un sort juste aux officiers que nous avons
de trop, nous trouverons facilement 3 à 4 millions à économiser sur ce
département, mais il nous faut de la fermeté et savoir imiter ce qui se fait
autour de nous. Sans entrer dans aucun détail, que je me réserve pour la
discussion de la loi d’organisation, je vous dirai messieurs, que j’ai devant
moi, le budget du royaume de Bavière. Ce pays a 4,300,000 habitants, il est
beaucoup plus étendu que le nôtre et a des provinces limitrophes de la France,
bien éloignées de sa capitale ; il touche ainsi à trois grandes puissances,
l’Autriche,
Je répète donc ; abordons sans
hésitation la discussion pour l’organisation de l’armée, et celui de l’enquête
commerciale, et nous trouverons moyen de combler le déficit de 1844 et celui
qui nous restera des années antérieures, après y avoir appliqué plusieurs des,
capitaux reçus de
Je remarque dans le rapport de la
section centrale, que presque toutes les lois financières de l’ancien ministère
seront retirées, sauf pour les patentes Je crois effectivement que cette loi
doit être révisée, et dans ce cas je recommanderai M le ministre de trouver un
moyen de faire payer, comme en Prusse et en Hollande, les agents des maisons de
commerce de l’étranger, qui sont un véritable fléau pour le commerce du pays.
Il faudrait aussi atteindre les
compagnies d’assurance de l’étranger, qui ont ici leur agents et qui ne paient
pas, comme les compagnies nationales, une forte patente sur leurs bénéfices, et
qui seront, par là, obligées de remettre leurs comptes au gouvernement.
C’est dans la section dont je faisais
partie qu’il a été proposé de rétablir le serment pour les successions ; on me
dira que c’est mettre l’homme entre son intérêt et sa conscience, mais
aujourd’hui on doit se borner à signer comme véritables les déclarations, et on
fait plus facilement une fausse déclaration, qu’un faux serment. Aujourd’hui
qu’une partie des fortunes sont composées de fonds publics au porteur, ceux-ci
ne figurent presque jamais dans les inventaires et ne payent pas de droits de
succession, il faut cependant trouver un moyen de les atteindre et je n’en
connais pas d autre que de rétablir le serment, qu’on a, d’après moi, aboli
beaucoup trop légèrement au commencement de la révolution
Il me reste, à vous parler de
la loi des sucres. Ici je pense que les prévisions de M. le ministre seraient
en défaut, et que les recettes iront tout au plus à 2 millions et demi au lieu
de 3,200,000 fr.
Je suis bien persuadé que le sucre
indigène ne payera pas 665,000 fr. parce que le rendement dépasse de beaucoup
les 5 p. c. et approche d’avantage de 7 p. c. ; de ce chef, il aura un déficit
d’au moins 150,000 fr., et ensuite les raffineries de sucre exotique sont dans
un tel état de souffrance, à cause de la mévente dans l’intérieur , et par la
concurrence des deux sucres, que nos raffineurs devront cesser de travailler ou
ralentir considérablement leurs travaux. Je suis persuadé qu’avant un an, M. le
ministre sera obligé de faire réviser la loi et prendre un parti final entre la
canne et le betterave ; il faudra sacrifier l’une ou l’autre et peser ce qui
peut donner le plus d’avantage au pays ; soit la culture de
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Je commencerai par adresser des remerciements à l’honorable orateur
qui a bien voulu reconnaître que la franchise a présidé à la rédaction de
l’exposé que j’ai fait de la situation financière du pays ; ses connaissances
spéciales sur cette matière me font attacher beaucoup de prix à son témoignage.
Cet honorable membre pense que les
sommes rentrées en la possession de
Au surplus, il n’est jamais entré
dans mes intentions de ne pas soumettre ces recettes au contrôle la cour des
comptes.. L’ancien encaisse lui sera également
présenté, j en ai déjà indiqué le chiffre. Bien qu’il ne puisse pas encore être
rigoureusement fixé, j’ai la persuasion qu’il différera très peu, si toutefois
il y a différence, de celui que j’a consigné dans
l’exposé de la situation du trésor ; sous peu de jours, je le répète, il pourra
être soumis au contrôle de la cour de comptes avec les pièces qui doivent le
constater.
Conformément au vœu, que l’honorable
orateur vient d’exprimer et qui l’avait déjà été par la section centrale, mon
intention est de présenter un rapport général sur l’exécution du traité du 5
novembre 1842 en ce qui concerne la partie financière. C’est alors que la
chambre pourra se prononcer sur la destination à donner à quelques-unes des
sommes déjà rentrées dans les caisses de l’Etat, et je pense que cette
destination sera celle que je leur ai provisoirement donnée.
L’honorable membre a aussi parle du
fonds d’agriculture ; si je l’ai fait figurer comme une recette devant réduire
le découvert du trésor, c’est que des avances très considérables avaient été
faites pendant plusieurs années pour l’agriculture, et qu’elles ne l’ont été
qu’avec la pensée qu’elles seraient remboursées sur ce fonds. Quant à la loi de
comptabilité générale, je répète qu’il sera satisfait sur ce rapport au désir
de l’honorable membre. Je dirai, toutefois, que le projet qui sera soumis aux
chambres ne contiendra point la disposition dont l’honorable orateur a parlé.
En ce qui concerne le fonds
d’amortissement et des cautionnements, cela fait partie d’un travail spécial.
Au surplus, je prendrai en sérieuse considération plusieurs des observations
faites par l’honorable orateur pour la création de nouvelles ressources. Il
n’est, en effet, que trop vrai, messieurs, qu’une longue expérience est venue
démontrer l’impuissance de l’administration à déjouer les fraudes que beaucoup
de personnes, encouragées par l’impunité, commettent en signant de fausses
déclarations en matière de succession ; elles détournent à leur profit des
droits qui appartiennent à l’Etat et augmentent ainsi le fardeau des charges
que doivent supporter leurs concitoyens plus scrupuleux et plus loyaux.
C’est pour empêcher ces fraudes, que
j’ai préparé le projet de loi sur les successions, que j’aurai prochainement
l’honneur de soumettre à la chambre. Il renferme en outre quelques autres
dispositions également destinées à augmenter nos ressources jusqu’à concurrence
d’environ 1,400,000 francs.
Si je ne me suis pas expliqué sur
plusieurs autres projets de loi que je compte aussi présenter prochainement à
la législature, la raison en est simple : d’abord je n’ai pas voulu en faire
l’objet d’une discussion immédiate, et faire perdre un temps précieux à la
chambre ; c’est ensuite parce que chaque fois que des projets de loi tendant à
établir de nouveaux droits ou à majorer ceux qui existent, sont connus trop
longtemps d’avance, les intéressés trouvent toujours, comme vous savez,
messieurs, le moyen de soustraire à leur profit une partie des ressources que
ces projets sont destinés à procurer au trésor public.
J’espère donc que la chambre
comprendra pourquoi je ne lui ai pas soumis ni même indiqué ces projets dans un
moment où je savais qu’elle ne pourrait pas s’en occuper immédiatement ; j’aime
à croire qu’elle approuvera ma réserve et qu’elle me saura gré de la
circonspection avec laquelle j’ai cru devoir agir.
- La séance est levée à 4 heures.