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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 19 novembre 1850

Séance du 19 novembre 1850

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1850-1851)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 62) M. Ansiau procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

La séance est ouverte.

M. de Perceval donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Ansiau fait connaître l'analyse des pièces suivantes.

« Les membres d'une société de littérature flamande à Hoven prient la chambre de voter au budget de l'intérieur une pension ou tout au moins un secours annuel en faveur de la veuve du poète flamand Van Ryswyck. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget de l'intérieur.


« Les bourgmestres des communes de l'arrondissement d'Audenarde demandent des modifications aux dispositions en vigueur concernant les dépôts de mendicité et les écoles de réforme. »

M. d'Hondt. - Cette pétition est de la plus haute importance. Elle se recommande d'ailleurs par la source imposante dont elle émane, savoir la généralité des bourgmestres de l'arrondissement administratif d'Audenarde, au nombre de 49.

Ces respectables fonctionnaires réclament à bon droit des modifications aux dispositions en vigueur sur les dépôts de mendicité et les écoles de réforme. Je dis à bon droit, parce qu'il est incontestable que la loi du 3 avril 1848 et l'arrêté royal du 15 juillet 1849 consacrent un système vraiment ruineux pour les communes. C'est ainsi, par exemple, qu'un reclus condamné du chef de mendicité ou de vagabondage, et mis à la disposition du gouvernement, ne peut être mis en liberté si, entre autres conditions, il n'a séjourné, au moins pendant six mois, au dépôt de mendicité.

Eh bien, cette disposition et celles sur l'admission volontaire des indigents entraînent dans des charges tellement lourdes que les communes pauvres et populeuses de nos Flandres, et notamment du district d'Audenarde, où le nombre des indigents est extraordinaircment considérable, se voient réduites à l'impossibilité la plus absolue d'y faire face. L'urgence de faire droit aux justes réclamations des pétitionnaires me semble donc évidente. Au reste, messieurs, de toutes parts, et bien souvent déjà la chambre a été saisie de requêtes analogues. Je demande donc le renvoi à la commission des pétitions avec prière d'un prompt rapport, tout en recommandant dès à présent cet objet à la plus scrupuleuse sollicitude de M. le ministre de la justice.

- La proposition de M. d'Hont est mise aux voix et adoptée.


« Plusieurs habitants de Soignies demandent des modifications à la loi concernant la location des maisons de peu de valeur. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


M. Vandevelde, lieutenant au régiment des grenadiers, fait hommage à la chambre de deux exemplaires d'un travail sur la question politique militaire belge.

- Dépôt à la bibliothèque.


M. le président. - Messieurs, une pétition renfermant des expressions inconvenantes, a été adressée à la chambre : elle porte des signatures qui ont paru très suspectes au bureau ; elle est datée de Wenduyne et des villages du littoral,

Le bureau a pensé ne pas pouvoir analyser jusqu'ores, cette pétition. Des mesures seront prises pour qu'avant tout les auteurs se fassent connaître. Il en sera ultérieurement référé à la chambre.

C'est uniquement par respect pour le droit de pétition que nous avons jugé nécessaire de faire cette observation à la chambre, bien que le bureau soit autorisé à ne pas analyser des pétitions conçues en termes inconvenants.

- M. Sinave, proclamé membre de la chambre dans une séance précédente ; prête serment.

Vérification des pouvoirs

Arrondissement de Dixmude

M. Jullien (pour une motion d’ordre). - Messieurs, votre quatrième commission de vérification des pouvoirs vous a proposé l'annulation des opérations du collège électoral de Dixmude. Les honorables MM. Lelièvre et Dumortier ont combattu ces conclusions, qui ont été défendues par les honorables MM. Roussel, Rogier et Frère. L'honorable M. Dedecker, se plaçant sur un terrain en apparence neutre, est venu vous demander hier que la chambre, avant toute décision sur le fond, fît procéder à une enquête contradictoire pour contrôler l'enquête gouvernementale.

Il a ajouté que, dans son opinion, le pouvoir judiciaire devait recevoir la délégation de l'enquête.

A mon tour, je viens vous demander par motion d'ordre qu'avant de continuer la discussion sur le fond des élections de Dixmude, la chambre décide s'il y a lieu ou non à une enquête. Inutile, en effet, de poursuivre un débat sur ce fond, si la chambre doit ordonner une mesure d'instruction préalable. Cette mesure d'instruction, je dois le dire, pour ma part, je la combats. Je la combats comme complètement inutile et frustratoire. On demande une enquête et pourquoi ? Est-ce pour vérifier le nombre d’électeurs qui ont pris part aux élections de Dixmude ? Mais il est authentiquement constaté que 710 électeurs ont pris part au vote, et que sur ces 710 électeurs, trois ont déposé des bulletins blancs.

Est-ce pour vérifier le nombre des suffrages recueillis par les deux candidats ? Mais, messieurs, toute constatation sur ce point devient désormais impossible. La chambre ne perdra point de vue que les bulletins ont été brûlés. Dès lors, il est impossible d'enquérir sur le point de savoir quel était en réalité le nombre des suffrages respectivement accordés à M. Desmaisières et à M. de Breyne.

Veut-on une enquête pour contrôler de prétendues manœuvres électorales qui auraient eu lieu dans l'arrondissement de Dixmude ? J'admets, pour un instant, que ces manoeuvres électorales qui vous ont été dénoncées, et dont le ministère n'a accepté, ni la solidarité, ni la complicité, aient existé. J'admets, pour un instant, qu'il soit vrai que le commissaire de l'arrondissement de Dixmude soit allé mendier de porte en porte les suffrages en faveur de M. de Breyne pour combattre la candidature de M. Desmaisières.

Eh bien, en résulterait-il que vous pourriez accroître le nombre de suffrages obtenus par M. Desmaisières, du nombre de voix qui auraient été surprises aux électeurs en faveur de M. de Breyne ? Mais, en aucune manière ; vous ne pouvez pas substituer une présomption de suffrages à des suffrages qui n'ont pas été donnés.

Demande-t-on une enquête pour contrôler les actes des fonctionnaires administratifs qui se sont occupés de l'élection de Dixmude ? Veut-on savoir quel est le plus coupable, ou du gouverneur de la Flandre occidentale qui, dans ce cas, a négligé de faire notifier aux intéressés et au commissaire d'arrondissement la décision de la députation permanente, ou du commissaire d'arrondissement, qui n'a fait aucune rectification sur les listes, ou encore du bourgmestre de Clercken, qui a convoqué des électeurs frappés d'une incapacité qui ne lui avait pas été officiellement signalée ?

A quoi conduirait une semblable enquête ? Evidemment à contrôler les actes de fonctionnaires qui ne relèvent que du pouvoir exécutif. Or il ne vous appartient pas d'infliger un blâme à ces fonctionnaires. Vous avez bien le droit de blâmer le gouvernement, mais vous n'avez pas celui de blâmer individuellement les agents du gouvernement.

Une enquête serait donc à tous égards une mesure illusoire. Je la condamne, non seulement sous ce rapport, mais encore sous le rapport de la forme dont on voudrait la revêtir. En effet, on propose de la confier à l'autorité judiciaire.

Depuis quand donc l'autorité judiciaire a-t-elle reçu investiture pour délivrer à la chambre un acte de notoriété sur les faits d'une élection qui ne présente aucun indice de délit ou de crime ? N'y aurait-il pas là une délégation donnée à un pouvoir qui pourrait ne pas l'accepter ? N'y aurait-il pas, en d'autres termes, un acte de confusion de pouvoirs, un acte d'abdication de pouvoirs posé par la chambre elle-même ? La chambre se rappellera qu'une commission d'enquête fut instituée en 1831 pour rechercher les causes des désastres du mois d'août. Cette commission soumit à la chambre un projet de loi tendant à réglementer l'exercice du droit d'enquête et à décider de quelle manière fonctionnerait la commission d'enquête.

Ce projet portait entre autres dispositions que la commission pourrait faire toute délégation aux fonctionnaires de l'ordre administratif et de l'ordre judiciaire et même aux fonctionnaires militaires ; mais après une discussion approfondie, la chambre a reconnu que ce projet renfermait une véritable confusion de pouvoirs, et en face de ce reproche, on a rejeté le projet.

Je crois donc que la proposition, formulée par M. Dedecker, ne peut être accueillie en aucune manière, ni quant au fond ni quant à la forme.

La chambre fera un acte de bonne justice en déclarant, dès maintenant, qu'il n'y a pas lieu à enquête.

M. Dedecker. - Messieurs, c'est moi qui, dans la séance d'hier, ai eu l'honneur de proposer à la chambre d'ordonner une enquête contradictoire pour examiner, non seulement les faits qui ont été cités dans l'enquête faite au nom du gouvernement, mais surtout pour examiner la moralité des faits posés. Je m'étonne que M. Jullien fasse ici une complète confusion.

Il y a dans cette affaire de Dixmude, d'une part, une série de faits matériels, faits que je ne cherche pas à contester et qui sont prouvés par d'autres pièces que l'enquête, il est vrai ; mais il y a d'autre part surtout la pensée morale, qui ressort de l'examen de l'ensemble de ces faits. C'est cette pensée que j'ai voulu rechercher au moyen d'une enquête contradictoire, parce que j'ai remarqué de la part de ceux qui ont dirigé l'enquête du gouvernement tout un système d'insinuations contre certains agents inférieurs de l'administration.

Ces insinuations doivent, d'après moi, pouvoir être détruites, tant dans l'intérêt de l'honneur de ces hommes accusés, que dans l'intérêt de la vérité. C'est dans ce but qu'il importe de contrôler la moralité politique des faits relatifs à l'élection de Dixmude.

Messieurs, je le demande franchement à ceux qui ont lu l'enquête, quel a été sur leur esprit le résultat de cette lecture ? C'est que ces faits sont agencés de telle façon qu'on veut faire ressortir de leur ensemble la présomption qu'une intention frauduleuse a présidé à l'inscription des cinq électeurs et à leur convocation tardive.

Voilà, si vous voulez être francs, ce qui résulte de l'enquête et de toutes les pièces communiquées, ainsi que du discours qui a été prononcé hier par M. le ministre de l'intérieur.

(page 63) Eh bien, moi qui ai la conviction intime que cette intention n'existe pas, j'ai demandé que, tout en admettant la réalité de tous les faits allégués, la chambre ordonne une enquête pour savoir comment ces faits se sont passés, par qui ils ont été posés, quelle est la connexité des uns avec les autres, connexité dans laquelle on essaye de découvrir aujourd'hui une pensée coupable.

Puisque l'honorable M. Jullien conteste la nécessité d'une enquête contradictoire, permettez-moi, messieurs, de revenir en deux mots sur l'argumentation que j'ai présentée hier. Remarquez d'abord, relativement à l'inscription des cinq électeurs, car c'est un des premiers faits dont il faut examiner la moralité, qu'à l'époque où elle a eu lieu, personne ne songeait à opposer à M. de Breyne un candidat quelconque ; ainsi, aucune pensée politique n'y a présidé.

On a inscrit ces électeurs, parce qu'on a cru devoir les inscrire, en vertu de la loi du 1er décembre 1849, aux termes de laquelle on doit compter, pour faire le cens électoral, l'abonnement pour le débit des boissons.

On croyait que cette disposition pouvait rétroagir sur les années 1848 et 1849, où ces électeurs avaient déjà payé le même abonnement.

Cette opinion peut très bien se soutenir ; elle va être soutenue tout à l'heure par quelques-uns de mes honorables amis. Je sais très bien que ce n'est pas l'avis de M. le ministre des finances. Mais ce que j'ai voulu prouver, c'est qu'une parfaite loyauté a présidé à l'inscription.

Ensuite, on veut tirer un argument très défavorable pour l'administration communale de Clercken, de ce que l'état de convocation des cinq électeurs a été signé par le bourgmestre seul. Mais si l'enquête contradictoire prouve que le bourgmestre n'a pas demandé au secrétaire de signer, ce fait perd toute sa signification.

Il en est ainsi des autres faits.

Je suis persuadé que si une enquête impartiale se faisait, tous les faits perdraient cette apparence de caractère frauduleux qu'ils doivent à la manière dont ils sont agencés, et que l'on reconnaîtrait qu'il n'y a pas le moindre reproche à faire à l'honorable bourgmestre de Clercken contre lequel on a accumulé tant d'accusations. En dehors des faits, en admettant même qu'ils soient tous constatés, il y a donc une question de moralité.

C'est pour résoudre cette question importante que, avant de me prononcer au fond sur la validité de l'élection, point sur lequel je ne me suis pas encore expliqué et sur lequel je n'ai pas encore d'opinion arrêtée, je voudrais une enquête contradictoire pour apprécier la moralité de cette élection.

La dignité de la chambre me paraît l'exiger, ainsi que la dignité du gouvernement. Le gouvernement, qui a posé un fait anomal dans l'enquête, doit être le premier à désirer que l'action de son agent supérieur soit contrôlée par une autre enquête.

L'honorable M. Jullien, s'atlachant à la forme, dit que nous ne pouvons faire faire l'enquête par le pouvoir judiciaire. Je ne tiens pas à la forme de cette enquête. j'ai proposé le pouvoir judiciaire, parce que c'est un pouvoir indépendant, éclairé, à la décision duquel je déférerais volontiers. Mais si l'on trouve que la chambre peut faire l'enquête elle-même, qu'elle la fasse, en vertu de son omnipotence.

Ce que je demande, c'est que cette question de moralité, qui est au fond du débat et de toutes les pièces qui nous ont été communiquées, soit vidée à la face du pays.

M. Delfosse. - Messieurs, il est possible que je voterai avec l'honorable M. Jullien contre la demande d'enquête qui a été faite par l'honorable M. Dedecker. L'enquête doit être réservée pour des cas extrêmement graves. Mais je ne puis adhérer à la motion de l'honorable M. Jullien. Je pense que la discussion doit avoir son libre cours. Nous ne pourrons savoir s'il y a lieu ou s'il n'y a pas lieu à enquête que lorsque la discussion aura fait connaître toutes les raisons qui peuvent être données soit par les partisans, soit par les adversaires de l'élection de Dixmude.

Ce n'est que lorsque la discussion aura eu son libre cours, ce n'est que lorsqu'elle aura été épuisée que nous saurons si une enquête est utile ou nécessaire.

S'il résulte de la discussion qu'il n'y a pas de faits assez graves pour motiver l'enquête, s'il résulte de la discussion que l'élection est évidemment valable ou évidemment nulle, l'enquête serait tout à fait inutile, et la chambre ne devrait pas l'ordonner.

Je demande donc que la chambre, sans égard à la motion de l'honorable M. Jullien et sans préjuger la question du fond, c'est-à-dire la demande d'enquête, laisse à la discussion son libre cours et accorde la parole aux orateurs inscrits.

M. Jullien. - L'honorable M. Dedecker s'est chargé de justifier ma motion d'ordre ; il a lui-même en effet déclaré qu'il n'avait pas d'opinion formée sur le point de savoir si l'élection de Dixmudc était irrégulière ou valable.

Il a entièrement séparé sa proposition d'enquête de la discussion du fond ; il veut, dit-il, une enquête pour examiner la moralité politique de l'élection ; c'est sur le côté moral de l'élection que l'honorable M. Dedecker provoque des investigations. Eh bien, messieurs, je concède à l'honorable M. Dedecker que M. Desmaisières n'a absolument posé aucun acte de fraude tendant à amener son élection ; je le lui concède volontiers et je crois même que tout a été loyal dans le parti de M. Dcsmaisières.

En partant de cette supposition, la plus favorable que puisse dévoiler l'enquête, en résulterait-il que la majorité restât acquise à M. Desmasières, et que son élection ne fût pas entachée d'irrégularités qui la vicient ? Pourquoi donc une enquête ? En vérité, je n'en comprends pas l'utilité.

Messieurs, l'honorable M. Delfosse combat ma motion, parce que, selon lui, il faut entendre ultérieurement la discussion sur le fond pour se prononcer sur la proposition d'enquête. L'honorable M. Delfosse perd de vue que la proposition d'enquête, dans la pensée même de son auteur, est un préalable qui domine l'examen du fond. C'est aussi pour cela que, tout à l'heure, je vous disais, et avec quelque raison, je pense, qu'il était fort inutile de poursuivre une discussion sur le fond, si la chambre devait avoir recours à la mesure d'une instruction préparatoire.

Commençons, messieurs, par déblayer le terrain, par discuter s'il y a lieu, oui ou non, à enquête, et alors la chambre statuera sur le fond.

J'entendais, il y a quelques instants, l'honorable M. Malou dire que ma motion est contraire au règlement. Je ne sache pas que dans le règlement il y ait une disposition qui interdise à la chambre de se prononcer tout d'abord sur une question de priorité. Il y a, au contraire, à l'article 24, une disposition qui décide que les questions de priorité seront en premier ordre vidées par la chambre. Eh bien ! je dis que la question posée par l'honorable M. Dedecker est une question de priorité.

Du reste, je vous déclare que s'il peut y avoir la moindre opposition à ma motion, comme je suis certain que vous rejetterez à une majorité immense la proposition de l'honorable M. Dedecker, je n'insisterai pas.

M. le président. - L'auteur de la motion n'insistant pas, nous reprenons la discussion au fond.

M. de Muelenaere. - Il paraît, messieurs, que nous n'avons plus que deux moyens sérieux de nullité ; les autres semblent avoir complètement disparu. Nous ne nous occuperons, en ce moment, que de ces deux moyens. Le premier, c'est qu'un électeur de la commune de Polinchove n'aurait pas reçu un bulletin de convocation.

Ce moyen, messieurs, me semble avoir fait une impression assez vive sur l'esprit d'un honorable membre de cette chambre, qui a paru en faire dépendre le vote qu'il émettra dans cette question. Mais le savant jurisconsulte à qui je réponds en ce moment voudra bien me concéder, je pense, que dans une élection, pour qu'on puisse arguer de nullité du chef de l'omission d'une formalité, il faut que cette formalité soit substantielle et qu'elle se rattache, en quelque sorte, à l'exercice même de la faculté électorale.

Or, dans l'espèce, messieurs, en est-il ainsi du défaut de remise d'un bulletin de convocation ? Est ce dans ce bulletin de convocation que l'électeur puise son droit ? Evidemment non. L'électeur puise son droit dans son inscription sur les listes électorales, qui sont affichées dans la salle et dont un double est remis au président. Il puise son droit dans la loi elle-même et dans l'arrêté royal qui convoque les électeurs à jour et heure fixes.

Dira-t-on que la loi prescrit la remise d'un bulletin de convocation à chaque électeur individuellement ? Cette formalité est, en effet, prescrite par la loi et je crois que c'est une prescription très sage.

Mais la remise de ce bulletin ne confère, dans aucun cas, un droit à l'électeur, et cette formalité n'est prescrite par la loi que pour faciliter à l'électeur l'exercice de son droit.

Dès lors, messieurs, je ne veux pas que l'omission d'une semblable formalité, c'est-à-dire d'une formalité purement accessoire, d'une formalité nullement substantielle, puisse dans aucun cas vicier une élection.

Au fond, messieurs, il ne me semble pas même exact de dire que l'électeur de Polinchove n'a pas été convoqué.

Voyons, messieurs, comment les faits se sont passés, et ici, quoi qu'on en dise, on est toujours obligé de s'en rapporter au seul document que nous puissions consulter dans cette affaire, c'est-à dire l'enquête administrative, le rapport du gouverneur de la province.

Eh bien, d'après ce rapport, l'électeur dont il s'agit habitait encore la commune de Pollinchove au mois de mai dernier. Les élections ont eu lieu le 11 juin ; et ce n'est que dans le cours du mois de mai que l'électeur semble avoir manifesté l'intention de quitter cette dernière commune. Rien ne constate, au surplus, que l'électeur a fait la déclaration de ses intentions auprès de l'administration communale. Mais l'électeur n'a-t-ilpas été convoqué ? Oui. Où l'a-t-on convoqué ? Dans sa dernière habitation, c'est-à-dire dans la maison où il avait encore son domicile peut-être trois ou quatre jours auparavant ; car le billet de convocation doit avoir été remis le 1er ou le 2 du mois de juin, et d'après le rapport du gouverneur, l'électeur habitait encore la commune de Pollinchove dans le courant du mois de mai.

Un billet de convocation a donc été remis à cet électeur, où ? Je le répète, dans son dernier domicile, dans la commune de Pollinchove ; et à qui le billet de convocation a-t-il été remis ? Au propre fils de l'électeur, qui occupait la maison de son père.

Peut-être même l'électeur dont il s'agit n'avait-il pas encore définitivement quitté son domicile dans la commune de Pollinchove ; son fils,, d'après le rapport de M. le gouverneur, habitait encore la même maison, et c'est le fils qui a reçu le billet de convocation.

Je vous le demandé de très bonne foi, la plupart des billets de convocation sont-ils remis aux électeurs d'une manière aussi régulière ? Dès (page 64) lors, ni en fait, ni en droit, il me semble que l'argument dont on s'est servi ne peut avoir aucune espèce d'influence sur le résultat de l'élection.

Le second moyen, le mojen principal invoqué par nos adversaires, c'est que cinq électeurs auraient été indûment inscrits sur la liste de la commune de Clercken et que ces 5 électeurs auraient pris part au vote. Le mécanisme de notre système électoral repose tout entier sur la permanence des listes. Tout individu régulièrement inscrit sur la liste électorale, puise dans cette inscription le droit incontestable de voter. La loi, en posant ce principe, a entouré la formation des listes électorales d'une foule de formalités qui toutes ont pour but de garantir la vérité et la sincérité des listes. (Interruption.) C'était parce que le législateur a voulu que ce principe de la permanence des listes fût respecté dans toute sa rigueur, qu'il a entouré, je le répète, la formation de ces listes d'une masse de formalités de toute nature ; que tout individu, ayant la qualité de citoyen, est autorisé par la loi à réclamer contre la formation des listes ; que les agents du gouvernement ont été investis par la loi du droit de se pourvoir d'office contre l'inscription indue d'un citoyen quelconque sur la liste électorale. Aussi longtemps que les listes électorales n'ont pas été réformées par les voies régulières, dans la forme légale, ces listes électorales constituent un titre en faveur de celui qui s'y trouve inscrit, et jusque-là ce titre doit être à l'abri de toute critique.

Messieurs, il existe une foule de décisions dans ce sens ; je ne veux pas les rappeler toutes ; mais j'en ai ici plusieurs sous les yeux, notamment des décisions émanées de députations permanentes ; je ne citerai pas les précédents de la chambre, parce que je sais qu'il existe des précédents dans les deux sens.

Mais voici une décision émanant d'une autorité provinciale ; elle est mentionnée dans le commentaire des lois électorales par M. Delebecque ; voici ce que je trouve au numéro 323 :

« L'électeur, quoique indûment porté sur la liste, vote valablement. (Députation permanente du Hainaut du 7 mars 1838.)

« Le 12 août 1836 cette députation permanente reconnaît comme valable le vote d'un électeur porté sans réclamation sur la liste, que bien la députation déclare elle-même en fait qu'il ne payait pas le cens dans l'année antérieure.

« La députation permanente ne peut accueillir la réclamation contre une élection fondée sur ce que les électeurs n'auraient pas payé le cens. » (Députation permanente du Hainaut du 6 mars 1836.)

« Toutes les décisions du conseil d'Etat de France sont en parfaite harmonie avec ce que nous venons de rappeler. »

Ainsi lorsque la députation reconnaît elle-même en fait que l'électeur n'avait pas payé le cens dans l'année antérieure, elle déclare néanmoins que son vote était valable, parce qu'il n'y avait pas eu de réclamation contre son inscription sur la liste électorale.

Je crois entendre dire autour de moi qu'il y a eu réclamation dans le cas actuel. Je reviendrai tout à l'heure sur ce point.

On a soulevé hier la question de savoir si l'appel étail suspensif. Je crois pouvoir renvoyer la chambre à la discussion qui a eu lieu sur ce point en 1843 ; la question a été traitée alors sous toutes ses faces, et je crois qu'en définitive on s'est trouvé unanime dans cette assemblée pour reconnaître que l'appel en matière électorale n'était pas suspensif.

J'arrive maintenant à l'objection qu'on vient de me faire ; on me dit : Il y avait une réclamation ; il y avait une décision de la députation, qui était du 23 mai, c'est-à-dire d'une époque antérieure à l'élection.

D'après les pièces qui nous ont été distribuées, cette décision porte, en effet, la date du 23 mai, mais elle était restée à l'état de lettre morte ; la décision de la députation n'avait pas été notifiée aux parties intéressées ; on ne la connaissait pas, et dès lors évidemment cette décision devait être sans effet sur le résultat des opérations.

Ce qu'il y a de surprenant, c'est que d'après ce que nous a dit hier l'honorable M. Dumortier, le 29 mai, le commissaire de l'arrondissement de Furnes écrit au président du bureau électoral pour lui demander s'il avait reçu directement une expédition de la décision de la députation permanente ; le président s'empresse de lui répondre négativement. Le commissaire d'arrondissement ayant été instruit que le président n'avail aucune connaissance d'une décision rendue ou à rendre par la députation, le commissaire, dis-je, s'est probablement adressé à l'autorité provinciale, et tout le monde sait que de Furnes à Bruges il ne faut que 48 heures pour obtenir une réponse à une demande faite par le commissaire ; cependant le commissaire n'arrête définitivement les listes que le 3 du mois de juin suivant et ce n'est que le 3 du mois de juin, c'est-à-dire 4 ou 5 jours après, qu'il envoie la liste au président du bureau électoral. Je crois que c'est ainsi !... (Interruption.) J'entends dire que non.

M. Dumortier. - C'est le 5 juin que la liste a été envoyée.

M. de Muelenaere. - De sorte qu'il s'est passé six jours entre la lettre du président du bureau électoral et le jour où la liste est définitivement arrêtée par le commissaire d'arrondissement. Dès lors tout le monde ne pouvait-il pas croire qu'on ne donnait aucune suite au pourvoi formé par le commissaire d'arrondissement, puisque le 5 du mois de juin on n'avait aucune connaissance des résultats de ce pourvoi ?

Mais, messieurs, jusqu'à présent, je dois le dire, on me paraît être parti d'une pétition de principe ; jusqu'à présent on a posé en fait que ces électeurs avaient été indûment, abusivement, frauduleusement inscrits sur les listes électorales de la commune de Clercken. Eh bien, examinons avec les documents à la main la position de ces électeurs, et voyons s'il y a même rigoureusement une inscription indue.

D'après un acte émané du gouvernement lui-même, d'après le rapport du gouverneur de la Flandre occidentale, ces cinq électeurs payent en 1850 le cens voulu pour être électeurs, cela n'est contesté par personne.

Ces mêmes électeurs qui payent en 1850 le cens voulu pour être électeurs, ont versé la même somme dans le trésor de l'Etat, pendant les années 1848 et 1849.

Ainsi, une somme égale à celle qui forme le cens électoral a été payée par ces personnes à titre de contribution publique en 1848 et 1849.

Eh bien, messieurs, les conditions de la loi ne sont-elles pas remplies ? Je dis que c'est au moins une question très grave. (Interruption.)

Oh ! vous répondrez comme vous le voudrez, mais c'est une question très importante et que l'on pourrait avec succès peut-être soumettre à la cour de cassation ; car, qu'exige la loi ?

Elle exige que pendant l'année des opérations électorales on paye le cens voulu ; elle exige, en outre, que les électeurs aient payé les deux années précédentes une somme égale au cens. Quel est le motif de cette disposition de la loi ? Sous l'empire de quelle préoccupation a-t-on arrêté cette disposition ?

Tout le monde se rappellera, et je fais ici appel à l'honorable M. Delfosse lui-même, tout le monde se rappellera que l'on avait en vue alors d'extirper un abus qu'on avait signalé à tort ou à raison.

On disait que, pour être électeurs, certaines personnes déclaraient pendant l'année durant laquelle les opérations électorales devaient avoir lieu, des bases d'impôt qu'elles ne possédaient pas. Telle personne, disait-on, déclarait posséder un cheval qu'elle n'avait pas, telle autre déclarait des domestiques qui n'étaient pas à son service pour avoir le droit d'être électeur. On a exigé qu'une somme égale au montant du cens fût payée par les électeurs durant les deux années antérieures à celle pendant laquelle ils veulent exercer leur droit électoral. Eh bien, ces cinq individus payent, dans l'espèce, le cens électoral pour 1850, ils ont versé au trésor de l'Etat une somme égale au montant du cens en 1848 et en 1849.

Je sais fort bien qu'aux termes de la loi du 18 mars 1838, une partie de ces sommes ne pouvait être comptée en 1848-1849, pour parfaire le cens, parce qu'une partie de ces sommes était payée à titre d'abonnement pour débit de boissons alcooliques ; mais la loi de 1838 a été abrogée par la loi du 1er décembre 1849. Vous avez établi de nouvelles bases pour la perception de ce droit, et par l'article final vous avez abrogé la loi du 18 mars 1838. Voici comment cet article est conçu : « La loi du 18 mars 1838 est abrogée. » Dès lors elle a été abrogée dans tous ses effets, et l'impôt sur les boissons est rangé désormais parmi les impôts directs.

Je crois donc qu'on pourrait soutenir avec fondement que ces individus ont été valablement inscrits sur la liste des électeurs. Quoi qu'il en soit, l'administration communale de Clercken est sans reproche. Quand une question peut être présentée sous ce point de vue, il n'est pas étonnant que l'administration communale ait porté ces individus sur la liste des électeurs de la meilleure foi du monde.

Voilà les deux moyens de nullité qui restaient debout.

Le premier, je ne le crois pas digne de fixer votre attention. Quant au deuxième, les électeurs de Clercken ont valablement voté, ils ont usé d'un droit que leur conférait la loi. L'acte qu'ils ont posé en votant est un acte légal, et un acte légal ne peut pas invalider une élection. Indépendamment de ces considérations, je dis que l'administration communale a agi avec une entière loyauté ; si elle n'a pas convoqué ces électeurs avec les autres, c'est que le bourgmestre de Clercken avait entendu dire que le commissaire d'arrondissement avait formé un pourvoi contre cette inscription, qu'il était resté dans la pensée que s'il y avait eu pourvoi, il devait y avoir eu décision, que s'il y avait eu décision, elle serait notifiée en temps utile ; il a attendu jusqu'au dernier jour ; mais lorsqu'au terme fatal, au terme fixé par la loi, il a vu qu'aucune décision n'était notifiée, il les a compris sur une liste supplémentaire et les a fait convoquer.

Tout s'est passé, je le répète, de la manière la plus régulière, et sous ce rapport l'administration communale de Clercken ne mérite aucune espèce de reproche.

Je n'ai pas envisagé ces opérations électorales sous le côté moral ; j'ai des raisons pour m'abstenir dans cette discussion. Je dois cependant faire observer qu'il est étrange qu'on vienne opposer à un membre de la minorité des moyens de négligence exclusivement imputables à des agents de l'administration elle-même.

M. Delehaye, rapporteur. - Je n'ai besoin de suspecter la bonne foi de qui que ce soit pour soutenir l'annulation de l'élection de Dixmude ; je crois que tout ce qui a été fait l'a été avec bonne foi ; mais je suis loin de croire que toutes les règles ont été observées. La chambre, appelée à valider les pouvoirs d'un de ses membres, revêt le caractère d'un jury qui ne doit puiser que dans sa conscience, dans son impartialité et le soin de sa dignité les raisons de sa décision.

Je dis que le principe de la permanence des listes ne saurait en rien lier la chambre dans la décision qu'elle a à prendre.

La permanence des listes se comprend pour les collèges électoraux ; quand un individu figure sur la liste des électeurs, il n'appartient pas au bureau de ne pas l'admettre à déposer son suffrage quand il n'y a pas de décision de l'autorité compétente qui ordonne sa radiation. La permanence des listes ne lie pas la chambre ; cela n'est pas seulement conforme à l'opinion de M. Delebecque, mais à celle de tous ceux de nos collègues qui se sont prononcés sur cette question.

Si nous constatons que l'opinion de M. Delebecque est conforme à celle (page 65) que je soutiens et à celle de MM. de Theux, Dubus, et des membres les plus considérables qui siégeaient au sénat, quand il s'est agi de l'élection de M. Savart, je crois qu'il sera inutile de faire une nouvelle démonstration. Que disent M. Delebecque et les membres dont j'ai invoqué l'autorité ?

« n°978. C'est ici que se présente la controverse agitée en Belgique, surtout en 1841, à l'occasion des élections de cette année. Quelle est la véritable portée de la règle de la permanence de la liste ?

« D'une part, on met souvent en avant ce principe : La liste est permanente ; d'autre part, on oppose : Qu'en matière de vérification de pouvoirs, la chambre est omnipotente. Ces deux principes sont vrais. Sont-ils contradictoires ? Pas le moins du monde.

« La liste est permanente, en ce sens qu'elle maintient le droit de celui qui a été porté l'année précédente, sans qu'il doive former, à chaque révision annuelle, une demande à fin d'inscription. Elle est permanente en ce sens, qu'une fois arrêtée, on n'y fait plus de modification dans le cours de l'année ; c'est pourquoi le domicile perdu, le cens perdu par la perte de la base sur laquelle il repose, et cela depuis la confection et la clôture de la liste, ne prive pas du droit de voter ; la liste est permanente enfin, en ce sens que les bureaux des collèges n'ont pas le droit de refuser le vote de ceux qui y ont été portés.

« Sous ce rapport, M. de Theux présentait le véritable système de la loi, lorsqu'il disait :

« La liste est permanente, aux termes de la loi, en ce sens que tous les électeurs inscrits sur la liste ont droit de voter ; que le président est tenu de les appeler individuellement au vote, et qu'il ne peut, en aucune circonstance quelconque, empêcher l'électeur inscrit d'apporter son bulletin. Voilà en quel sens la liste est permanente.

« La liste est encore permanente, en ce sens que la liste étant arrêtée, les personnes qui même auraient droit d'être portées sur la liste, et qui cependant ne s'y trouvent pas, ne peuvent plus faire des démarches pour s'y faire inscrire. C'est dans ce double sens que la liste est permanente. »

« N° 979. Mais de ce que la liste est permanente pour le bureau du collège électoral, s'ensuit-il qu'elle l'est également pour la chambre ? Là est la question, et c'est en limitant ainsi le cercle de la contestation qu'on peut la dégager de bon nombre de difficultés apparentes.

« Quel est le principe qui domine toute la loi ? C'est que ceux-là seuls qui sont de vrais électeurs, de légitimes électeurs, ont le droit de vote ; que toutes les fois qu'il y a eu violation de ce principe, il n'y a plus d'élection pure et sincère. Empêcher par la violence de vrais électeurs de voter, ou procurer une majorité factice par des électeurs frauduleux, c'est produire le même résultat : une fraude à la loi. Si la chambre la réprime dans un cas, pourquoi n'aurait-elle pas le même droit, le même devoir dans l'autre ? Eh quoi ! elle annulerait l'élection dominée par la crainte, la violence, les menaces du gouvernement, et consacrerait la validité de l'élection qu'auraient procurée la duplicité et l'usurpation du droit électoral ! Mais cela ne se conçoit pas Nous aimons mieux la possibilité de l'injustice dans l'appréciation des circonstances, que l'obligation immorale de respecter un résultat frauduleusement ourdi.

« La chambre a et doit avoir un pouvoir auquel aboutissent, en dernier ressort, toutes les questions relatives à la validité d'une élection, qui peut être viciée par la source impure dont elle dérive.

« Dès qu'on sort de la vérité, on se trouve bientôt dans d'inextricables difficultés, et l'on se permet des distinctions que rien ne justifie ; on sape alors l'édifice de toutes parts, et l'on n'a plus à la fin que des ruines amoncelées par les passions politiques du parti qui domine ! Triomphe éphémère, triomphe dangereux ; car le vaincu de la veille peut être victorieux le lendemain ! attendez-vous alors à de tristes représailles !

« Le droit de l'électeur est subordonné à diverses conditions mises par la loi sur la même ligne, aussi impérieusement exigées l'une que l'autre. Et cependant l'on fait des distinctions que réprouve la loi dans sa lettre comme dans son esprit !

« Il faut adopter une règle commune qui n'admette point ces mystérieux caprices dont on ne peut entacher la loi. Toutes les conditions exigées de l'électeur le sont à peine de nullité, ou bien aucune d'elles ne motivera la nullité de l'élection, si l'élection dépend de la voix illégalement donnée.

« La voix de l'étranger ne comptera-t-elle pas avec le même poids que le suffrage d'un interdit, d'un mineur, de l'homme déchu de l'exercice de ses droits civils et politiques ? La condition d'une cote d'impôts, payée pendant deux ans, n'est-elle pas tout aussi impérieusement requise ? Ferez-vous une différence entre le vote désintéressé du prolétaire qui ne tient à rien, et le vote de l'homme en état de démence ? Tous deux ne sont-ils pas frappés du même discrédit par la loi électorale ? La raison se perdrait dans des arguties scolastiqucs et de mauvaise foi, s'il fallait ici différencier ce qui ne peut l'être.

« Voici donc l'inévitable conséquence à laquelle on se trouve conduit : ou bien il faudra s'humilier devant le principe de la permanence de la liste, dans tous les cas qui pourront se présenter ; ou bien la chambre aura le droit incontestable d'entrer dans l'examen de la capacité électorale des votants, de quelque chef qu'on impugne cette capacité ! et c'est ce dernier pouvoir que nous lui reconnaissons, en considérant comme des non-sens ou des coups de majorité les distinctions proposées dans les conditions de la capacité électorale.

« Cette impossibilité légale de faire ici des distinctions purement arbitraires a été démontrée nettement par M. Lebeau dans le discours par lui prononcé à l'occasion de l'élection de M. Cogels, en 1841. Cet orateur disait en terminant :

« Il est une considération de la plus haute gravité qui exige qu'on maintienne la jurisprudence du sénat, c'est que la chambre a le droit d'évoquer à elle tous les détails d'une opération électorale. Si on ne savait pas que l'autorité souveraine de la chambre plane sur tous les détails des opérations électorales, un immense appât, une immense excitation, seraient donnés à la fraude. Ce qui peut arrêter ceux qui auraient des intentions coupables, qui voudraient frauder dans des opérations électorales, c'est la conviction qu'il y a quelque chose au-dessus d'eux, qu'il y a un pouvoir intelligent, haut placé, impartial, qui déjouerait leurs manœuvres. Qu'on réduise la chambre au rôle de bureau d'enregistrement que lui assigne le système, entendu d'une manière si absolue, du principe de la permanence des listes, on la force à recevoir dans son sein des membres qui seront le produit de l'élection de quelques interdits, de quelques faillis, de quelques forçats libérés ou d'étrangers ; on la fait descendre du haut rôle que lui assigne la Constitution. On détruit ainsi une puissante garantie de la moralité publique, exposée à recevoir de si cruelles atteintes de nos luttes électorales. »

« N° 980 3°. Lors de la vérification des pouvoirs de M. Savart-Martel, MM. le comte d'Arschot, deSchiervel et le baron de Sécus soutinrent, sans contestation, que le principe de la permanence n'allait pas jusqu'à faire valider les élections auxquelles des électeurs étrangers au pays auraient concouru. Ils firent sentir les dangers du principe de la permanence si on l'entendait dans un sens si absolu. »

« M. Dubus aîné disait aussi :

« Je viens appuyer la proposition d'ajournement, car je pense qu'il y a réellement une enquête ultérieure à faire. S'il était vrai que trois ou quatre individus n'ayant point la qualité de Belge, eussent pris part à l'élection, cela constituerait un vice radical, puisque le vote de trois ou quatre personnes suffirait pour déplacer la majorité, qui n'a été que de 3 voix, et nous serions dans le cas de rendre hommage à la Constitution en annulant l'élection. »

Voilà, je pense, des autorités qu'on ne contestera pas.

Mais indépendamment de cette opinion, pent-on concevoir que ce soient des membres de la minorité qui veuillent ainsi interpréter la loi ? J'ai longtemps fait partie de la minorité, et toutes les fois que cette question s'est présentée, j'ai fait voir les immenses dangers que présenterait le principe de la permanence des listes. Quel en serait le résultat ? C'est qu'il appartiendrait au pouvoir administratif d'introduire dans les listes électorales de faux électeurs, et la chambre ne serait pas juge. Et savez-vous quelle pourrait en être la proportion ?

La liste des électeurs de Clercken comprend vingt noms dont cinq sont indûment inscrits I !Cela fait le quart du nombre des votants. Si l'on peut supposer dans une autre commune une proportion aussi effrayante, vous voyez que le quart des personnes portées sur les listes électorales peuvent y figurer indûment !

Et l'on devrait valider des élections faites dans de telles conditions, admettre dans le parlement des hommes qui tiendraient leur mandat d'une partie du collège électoral n'ayant pas la capacité électorale !

Réfléchissez-y bien ; en soutenant cette thèse, vous décidez que le gouverneur de province, spécialement chargé de faire parvenir les résolutions de la députation permanente à ceux qu'elle concerne, aurait les pouvoir de maintenir sur la liste des électeurs des hommes que la députation permanente elle-même aurait rayés. En effet, il suffirait qu'un gouverneur de province gardât par-devers lui la décision de la députation permanente pour que le recours en cassation ne pût être exercé. Vous donneriez au pouvoir administratif la faculté de rendre nulles les décisions de la députation permanente.

En présence de toutes ces considéralims que vous ne sauriez méconnaître, vous ne sauriez admettre les principes que vous avez entendu soutenir. Que s'cst-il passé dans les élections de Dixmude ? Je prie la chambre d'être convaincue que les opinions des deux candidats qui sont ici en jeu n'exercent sur moi aucune influence, car si l'un a siégé sur les mêmes bancs que moi et partagé ma manière de voir, les sentiments que je professe pour l'autre sont tels qu'il me serait fort agréable de les voir siéger parmi nous.

Mais j'envisage la question de plus haut. La question n'est pas de savoir si M. de Breyne ou M. Desmaisières siégeront parmi nous, mais de savoir si la chambre peut connaître avec certitude la volonté du corps électoral. Or à cet égard il y a doute. En effet la deuxième section a eu 344 électeurs qui ont pris part au vote. Cependant le dépouillement du scrutin a donné 345 électeurs. On a vérifié, et qu'a-t-on trouvé ? Deux bulletins de plus.

Le désir de connaître la vérité qui devait dominer le bureau électoral, ne lui imposait-il pas le devoir de faire une troisième vérification ?

Qui vous dit que vous n'auriez pas trouvé deux ou trois bulletins de plus pour M. de Breyne ? Je n'accuse personne, mais permettez-moi d'appeler votre attention sur ce point. A chaque vérification, toujours des chiffres différents, mais au profit de qui ? Au profit de M. Desmaisières. Une seule chose ne varie point, c'est le chiffre de 114 voix au profit de M. de Breyne. Ne peut-on pas supposer d'après cela que quelques amis trop empressés auront peut-être glissé quelques bulletins portant le nom de M. Desmaisières ? Et si l'on a pu ajouter deux bulletins, n'a-t-on pas (page 66) pu en retirer ? L'opération de retirer des bulletins n'est pas si difficile que celle d’en ajouter. On est d'accord sur ce point qu'un désordre considérable régnait dans le bureau.

Nous avons tous eu l'occasion d'apprécier la bonté du président du bureau, homme très âgé, infirme même. En présence d'un tel président, l'adresse de ces faiseurs n'a-t-elle pas pu réussir à surprendre sa religion ? On a pu enlever des bulletins au nom de M. de Breyne, en ajouter au nom de M. Desmaisières. Dans une telle position, direz-vous que la volonté du corps électoral a été suffisamment connue, et pourriez-vous en bonne justice valider l'élection de l'honorable M. Desmaisières ?

Que sera-ce, si à ces faits si graves, vous ajoutez que cinq électeurs indûment inscrits ont pris part au vote ? Je veux bien admettre qu'ils avaient le droit de voter. A mes jeux, du moment qu'ils étaient sur la liste, le bureau devait recevoir leur vote ; mais la décision de la députation permanente leur enlève le caractère électoral.

Ces cinq électeurs ayant pris part au vote, et M. Desmaisières n'ayant obtenu qu'une voix de majorité, il est impossible que vous validiez son élection, car, ignorant comment ces cinq électeurs ont voté, on ne peut pas savoir s'il a eu la majorité.

On a critiqué une opinion de M. le gouverneur relativement à la non-convocation d'un électeur ; mais la commission n'y a attaché aucune importance, d'autant plus que l'électeur ne se plaignait pas. C'est une question de savoir si un tiers a qualité pour faire valoir les droits d'un électeur qui n'a pas été averti et qui ne fait aucune réclamation. Il suffit, au reste, de maintenir ce que la commission a décidé, à savoir, que cet électeur aitl été convoqué ou non, cela ne fait absolument rien à la question qui vous est soumise.

Nous sommes donc en présence, comme j'ai eu l'honneur de vous le dire, des doutes qui régnent sur les opérations du second bureau. Nous sommes en présence d'un fait que personne ne peul plus contester, le défaut de qualité de cinq personnes inscrites sur les listes électorales, et qui ont pris part au vote. Eh bien ! que demandons-nous ? Nous demandons que vous ne déclariez habile à siéger parmi nous ni l'honorable M. de Breyne, ni l'honorable M. Dcsmaisières. Nous disons que, du moment où il y a doute, il faut s'adresser à ceux qui ont qualité pour faire disparaître ce doute. C'est aux électeurs qui sauront avec quels soins minutieux vous examinez les opérations électorales qu'il faut en appeler. Ils sauront que lorsque le législateur va jusqu'à dire qu'on ne peut compter un bulletin ne portant pas une désignation suffisante, on ne peut admettre le vote de personnes qui n'ont pas caractère à prendre part aux élections.

Messieurs, lorsque j'appartenais à la minorité, j'ai blâmé l'intervention du gouvernement dans les élections. J'ai toujours pensé que le système de l'abstention complète de la part du gouvernement dans les opérations électorales était le meilleur. Eh bien ! sans m'arrêter à la question de savoir si le gouvernement est intervenu ou non dans l'élection de Dixmude, je désire que mes amis poliliques qui sont au pouvoir s'abstiennent de toute influence sur les élections.

Lorsque les élections se feront par les électeurs seuls, elles auront un caractère d'authenticité plus considérable ; vous entourerez de plus d'estime des hommes qui ne devront leur mandat qu'à leur mérite.

C'est par l'abstention qu'on rend les élections plus vraies. Il faut qu'une Constitution qui déclare que tous les pouvoirs émanent de la nation soit une vérité dans toutes ses parties. Et si tous les pouvoirs émanent de la nation, il faut consulter la nation lorsqu'il s'agit d'apprécier si un homme a le droit de la représenter.

Je pense donc que la commission, en demandant l'annulation de l'élection de Dixmude, a répondu à tous vos antécédents, qu'elle a agi d'une manière impartiale. Elle vous a demandé que là où il y a doute, ce soient les juges de ce doute qui soient seuls appelés à le trancher.

Elle a demandé l'annulation de l'élection, afin que les électeurs de Dixmude prononcent définitivement entre l'un et l'autre candidat, décident si la place dans le parlement doit être donnée à M. de Breyne ou à M. Desmaisières.

M. de Theux. - Messieurs, l'honorable rapporteur vient de citer, d'après l'autorité de M.Dclcbecque, une opinion qui me serait attribuée contrairement à tous mes antécédents parlementaires. Cet honorable auteur aurait dit que j'ai soutenu que les listes électorales n'étaient permanentes que vis-à-vis des autorités, vis-à-vis du bureau électoral, par exemple, mais qu'elle n'était pas permanente vis-à-vis de l'omnipotence des chambres.

Messieurs, j'ai soutenu toujours et constamment le contraire, et précisément dans le discours où l'honorable M. Delebecque a puisé ce passage, j'ai combattu le système de l'omnipotence de la chambre. J'ai démontré clair comme le jour que la chambre était complètement incompétente pour statuer même a posteriori sur le droit de voter de tel ou tel individu inscrit sur la liste. D'ailleurs, l'honorable M. Orts vienl de me dire que M. Delebecque reconnaît plus loin que j'ai soutenu la permanence complète des listes, et M. Delchayc produit une citation incomplète de l'auteur.

Je pense donc que la chambre ne fera aucune attention à cette citation. Je produis deux faits incontestables : c'est que précisément dans cette occasion je soutenais la validité de l'élection de Nivelles qui dépendait d'un seul vote. Or, il était constant qu'un individu figurant sur les listes électorales et qui avait pris part au vote, n'avait pas l'âge requis ; la chambre, conformément à mon opinion, a approuvé l'élection et a admis la permanence des listes.

En ce qui concerne l'élection d'Anvers, dans la même session, j'ai défendu la même thèse, et la chambre a encore admis mon opinion.

Ainsi l'opinion qu'on m'impute n'a jamais été la mienne, mais j'a toujours soutenu système contraire, et je vais le faire encore aujourd’hui.

Messieurs. je traiterai la question à un double point de vue ; au point de vue de la légalité et au point de vue de la moralité : je prouverai que la moralité de l'élection, en ce qui concerne le candidat élu, est incontestable.

J'ai été étonné, messieurs, de voir que les adversaires de l'élection de Dixmude aient fait si peu d'attention à l'intervention de l'autorité administrative dans une enquête portant, non pas sur les fraudes qui auraient pu être commises par tel ou tel fonctionnaire administratif dans l'exercice de ses fonctions, mais sur le fait même des opérations du collège électoral, chose qui était évidemment en dehors des attributions de l'autorité administrative ; car c'est aux chambres seules que la Constitution, que la loi électorale, délèguent la vérification des pouvoirs, et conséquemment l'enquête sur les opérations des collèges électoraux.

J'ai été également étonné d'entendre dans cette enceinte blâmer quelques fonctionnaires pour avoir exécuté littéralement la loi électorale, et à côté de cela de voir le silence sur la faute la plus grave qui a été commise par l'autorité administrative supérieure, en ne notifiant pas immédiatement, comme le prescrit la loi électorale, la décision de la députation permanente aux électeurs rayés.

Messieurs, l'incompétence de l'autorité administrative pour faire une enquête sur les opérations des collèges électoraux est patente. Si nous ne reconnaissions pas cette incompétence, nous abdiquerions le premier de tous nos pouvoirs, c'est-à-dire la libre vérification des pouvoirs des membres de cette chambre.

Il n'est pas, messieurs, d'empiétement plus dangereux que celui que nous vous signalons en ce moment : un tel empiétement porte nécessairement avec soi les conséquences les plus graves et en a porté dans cette circonstance même.

Ainsi, messieurs, d'une usurpation de pouvoir, on est allé jusqu'à la partialité, et on a saisi le gouvernement et la commission chargée de la vérification des pouvoirs d'un document qui était de nature à passionner les esprits dans un sens défavorable aux résultats de l'éleclion de Dixmude.

Voilà, messieurs, les dangers d'une usurpation d'attribution.

Pourquoi l'auteur de l'enquête ne commençait-il pas par se justifier vis-à-vis du gouvernement, vis-à-vis de la chambre, de la négligence que, jusqu'à ce que d'autres informations nous soient communiquées, nous sommes en droit de lui attribuer, en ce qui concerne la non-notification de la décision de la députation permanente aux électeurs rayés ? Sur un fait aussi grave, le gouverneur garde le silence.

Mais arrivant aux faits posés par le bourgmestre de Clercken, oh ! là se trouvent des censures, mais des censures non méritées ! Dans le fait de la convocation des cinq électeurs de Clercken, il y a deux circonstances : la première, qui n'est point régulière, c'est un retard de trois jours dans la remise des lettres de convocation. Le bourgmestre a écrit à la chambre pour expliquer la cause de ce retard. Mais, messieurs, ce qui est blâmé dans l'enquête, c'est la convocation même de ces électeurs. Or. je dis, messieurs, que le bourgmesire de Clercken était obligé, de par la loi, à convoquer ces électeurs, comme le commissaire de district était obligé de les maintenir sur la liste électorale affichée dans le bureau de l'élection.

Mais, dit-on, pourquoi ces électeurs n'ont-ils pas été convoqués pour les élections provinciales ? L'explication de ce fait a encore été donnée par l'honorable M. Dedecker, de la manière la plus satisfaisante ; dans tous les cas, je maintiens que loin qu'on puisse blâmer le bourgmestre de Clercken d'avoir convoqué ces cinq électeurs, il était de son impérieux devoir de le faire.

Un autre blâme est infligé par l'autorité administrative au président du deuxième bureau électoral qui a admis les électeurs à voter. Le président s'est conformé en cela à l'article 23 de la loi électorale et s’il ne l'avait point fait, il aurait forfait à son devoir.

Messieurs, je prends le rapport de votre commission et j'y lis ces considérations :

« D'une part, on remarque dans un bureau trois vérifications donnant trois résultats différents sans que l'on se soit attaché à rechercher la cause d'un fait aussi extraordinaire. »

Je pense que le bureau doit avoir été dans l'impossibilité de constater la cause de ce fait. On a d'abord compté les bulletins, ensuite on a dépouillé les suffrages ; on a trouvé un vote de plus que le nombre des bulletins primitivement constaté.

On a donc fait un recensement ; ce recensement a donné deux suffrages de plus que le nombre trouvé en premier lieu. Mais la deuxième vérification n'a plus été contredite ; elle a été admise comme bonne. Nous devons donc partir de ce fait, qu'il y a eu trois bulletins en sus du nombre des votants, mais comment ces trois bulletins se sont-ils trouvés dans l'urne ? Evidemment il faut que quelques électeurs aient déposé plus d'un bulletin. Voilà la cause tout naturellement expliquée. Mais, messieurs, peut-on rendre le bureau responsable de ce fait ? Evidemment non. Un électeur peut, avec habileté, insinuer un deuxième bulletin dans son premier bulletin sans que le président du bureau, qui les reçoit, puisse s'en apercevoir.

Mais, messieurs, je le demande, n'est-il point une maxime de droit constamment suivie, c'est que celui-là est censé avoir commis la fraude, à qui la fraude peut profiter. Or, messieurs, j'en appelle ici à votre bonne foi, la fraude consistant dans l'introduction de ces trois bulletins pouvait-elle jamais être utile à M. Desmaisières, candidat élu ? Non, (page 67) messieurs ; et pourquoi ? Parce que, en supposant que les trois bulletins portassent son nom, l’on savait parfaitemment que les trois bulletins devaient être annulés, qu'ils ne pourraient pas lui compter et par conséquent qu'il n'était pas possible qu'il en profitât. Mais si ces bulletins ont été ajoutés postérieurement au dépouillement, alors on savait que l'élection dépendait d'une voix, et des adversaires de M. Desmaisières pouvaient ajouter ces bulletins pour tacher de rendre l'élection nulle. (Interruption.)

Oui, messieurs, riez tant que vous voudrez, je persiste dans mon argument, et je dis ceci : Si l'on parvenait à faire annuler l'élection de Dixmude, on devait procédera une nouvelle élection, et cela dans la saison rigoureuse, en hiver, lorsque les électeurs de la campagne qui seraient atteints par les infirmités de l'âge ou par une indisposilion quelconque, éprouveraient trop de difficultés à se rendre au chef-lieu électoral. Or, l'élection dépendant de quelques voix, on pouvait espérer d'arriver au résultat que l'on avait en vue. J'ai donc le droit de le dire : is fecit cui prodest.

Mais, messieurs, quant à moi, peu m'importe que les trois bulletins dont il s'agit aient été remis par les partisans ou par les adversaires de M. Desmaisières ; je dis que la loi électorale nous montre la solution et que dès que la loi électorale donne une solution, nous devons nous arrêter à cette solution, et ne pas en chercher d'autre. Or, que dit la loi électorale ? Elle dit que les bulletins dont il s'agit doivent être décomptés à tous les candidats, rien de plus, Eh bien, si vous décomptez ces trois bulletins à tous les candidats, comme le prescrit la loi, la majorité reste acquise à M. Desmaisières. Ainsi, messieurs, la conclusion qui tend à faire décider par la chambre que l'élection est incertaine, est une conclusion vicieuse, une conclusion contraire au texte de la loi.

Il ne nous reste donc, messieurs, qu'à nous occuper des questions de légalité. Les listes électorales sont-elles tellement permanentes que la chambre ne puisse avoir égard à cette circonstance que des personnes n'ayant pas le droit d'être portées sur la liste électorale y ont cependant été portées et ont pris part au vote ? Je maintiens que oui. Je maintiens que la chambre est dans cette circonstance, non pas omnipotente, mais incompétente et liée par les listes dressées par l’autorité compétente.

Le deuxième point, messieurs, est de savoir si l’appel est suspensif. Je dis : non, l’appel n'est point suspensif et la loi faisait un devoir au président du bureau d'admettre les électeurs à voter,

La troisième question est de savoir si la notification irrégulière faite à un électeur peut rendre l'élection nulle. Je maintiens encore que non et je le démontrerai.

Messieurs, je vais au-devant d'une objection. On me dira : Mais nous ne sommes point dans des circonstances normales ; il est intervenu une décision de la députation permanente qui a rayé 5 électeurs ; cette décision est antérieure à l'élection. Le fait est vrai, je ne le nie point ; mais pouvez-vous vous prévaloir d'une décision qui ne leur a pas été notifiée, qui n'a pas été communiquée au président du bureau électoral ? Non, messieurs ; les 5 électeurs avaient le droit de se prévaloir de leur inscription sur la liste électorale, et le président n'avait point le droit de ne pas les admettre à déposer leur vote.

Dira-t-on, s'il en est ainsi, qu'il suffirait de la négligence d'une autorité administrative dans la notification d'une décision d'une députation permanente, pour voir conserver dans le corps électoral des électeurs n'ayant pas qualité de voter ? C'est vrai, cela peut arriver ; mais dans le système contraire, vous aurez des inconvénients également graves. Ainsi, par exemple, ces cinq électeurs n'ayant pas reçu notification de la décision, n'ont pas pu se pourvoir en cassation. D'autre part, si ces cinq électeurs ou quelques-uns d'entre eux, étaient contraires à l'élection de M. Desmaisières, ils n'avaient, voyant le résultat de l'élection, qu'à s'abstenir de se pourvoir, et par leur silence, en consentant à admettre pour bonne une décision qui n'aurait pas même été bonne au fond, il dépendait d'eux de valider l'élection. Voilà une autre conséquence.

Quelque parti que vous preniez, messieurs, dans cette circonstance, la loi peut toujours donner lieu à des inconvénients dans un sens comme dans l'autre.

Mais il est un inconvénient qui domine tous les autres, qui a été surtout présent à l'esprit des auteurs de la loi électorale, c'est le danger de répéter incessamment les élections.

Les élections générales ont été fixées au mois de juin ; et pourquoi ? Parce qu'à cette époque la saison est favorable, les jours sont longs ; les électeurs peuvent avec plus de facilité exercer leurs droits ; mais admettez un système en vertu duquel on annule facilement une élection, vous arriverez à cette conséquence, que les chambres ne se réunissant qu'au mois de novembre, et la vérification des pouvoirs n'ayant lieu que vers le milieu du même mois, vous faites faire des élections au mois de décembre, c'est-à-dire dans la saison la plus défavorable de l'année, alors, comme je l'ai dit, que, par des motifs de santé, par l'impraticabilité des chemins, les électeurs des campagnes s'abstenant de se rendre au bureau électoral, l'élection ne peut plus donner la véritable opinion du collège électoral.

Et dans quelles circonstances la chambre, rejetant d'emblée toute la jurisprudence de ses devanciers, n'ayant aucun égard aux décisions qui ont été prises antérieurement par les chambres, viendrait-elle adopter une jurisprudence nouvelle qui aurait des conséquences si désastreuses ? C'est lorsque le droit des habitants des campagnes a déjà été en quelque sorte méconnu dans la loi électorale, d'une part par l'uniformité du cens, et d'un autre côté par l'obligalion pour ces électeurs de serendre au chef-lieu, avec l'inconvénient de négliger leurs affaires et d'être exposés à faire des dépendes.

La representalion nationale est la représentation de la population, et dès lors les collèges électoraux doivent être combinés de telle sorte que les populations, ayant des intérêts divers, puissent également y émettre leurs voles ; eh bien, il est constant que le droit électoral des campagnes, relativement au droit électoral des villes, est dans la proporlion de 2 à 3. Et l'on viendrait encore ajouter à ce qu'a déjà de dur cette différence de condition entre les habitants des campagnes et ceux des villes ; à ce qu'a d'insupportable cette charge de déplacement ; l'on viendrait encore ajouter la fréquence des élections ; l'on viendrait ajouter le principe de l'omnipotence des chambres, c'est-à-dire de l'omnipotence attribuée à une majorité d'écarter de cette enceinte, en annulant leur élection, ceux dont les opinions politiques ne lui conviendraient pas !

Messieurs, le principe de l'omnipotence parlementaire est le principe le plus despotique et le plus arbitraire qui puisse exister. Non, la chambre n'est pas omnipotente ; la chambre, dans la vérification des pouvoirs, doit prendre pour règle la loi électorale, elle n'a pas le droit de s'en écarter ; quoique avant concouru à la confection de la loi, elle ne fait pas la loi, et surtout elle ne la fait pas pour chaque circonstance particulière, mais elle décide d'après les lois et les dispositions en vigueur.

Messieurs, si aux termes de l'article 23 de la loi électorale, les cinq électeurs dont il s'agit ont usé de leur droit, de quelle autorité viendrez-vous annuler leur vote ?

Voici ce que porte l'article 23 :

« Nul ne pourra être admis à voter, s'il n'est inscrit sur la liste affichée dans la salle et remise au président.

« Toutefois, le bureau sera tenu d'admettre la réclamation de tous ceux qui se présenteraient munis d'une décision de l'autorité compétente, constatant qu'ils font partie de ce collège ou que d'autres n'en font pas partie. »

Or, quelle était la décision de l'autorité compétente, en ce qui concerne le scinq électeurs de Clercken ? C'est la décision de l'autorité communale, jugeant en premier ressort et qui a porté ces électeurs sur la liste. El quelle est la décision de l'autorité compétente qui aurait pu annuler leur droit ? C'est la décision de la députation permanente, si le commissaire de district qui avait fait la réclamation était venu l'exhiber aux président du bureau ; en vertu de cette communication faite par le commissaire de district, le président n'aurait pas admis ces cinq électeurs ; mais jusque-là il n'avait pas le droit de les exclure, et il ne les a pas exclus.

Messieurs, il est quelques membres de cette chambre qui, tout en soutenant le principe de la permanence des listes, ont pensé que si un électeur, porté sur les listes, est frappé d'une incapacité constitutionnelle, la chambre pourrait dans ce cas annuler l'élection.

Pour nous, nous avons constamment soutenu le contraire, même dans ce cas-là, parce que les décisions, régulièrement prises, ont une force légale qu'il ne nous est pas permis d'infirmer, parce qu'il est de l'intérêt public, de l'intérêt des élections sincères, qu'on ne renouvelle pas les élections trop fréquemment et d'une manière inopportune, car c'est là une manière de les vicier bien autrement dangereuse.

Mais ici s'agit-il à l'égard des cinq électeurs de Clereken d'une incapacité constitutionnelle ? Pas le moins du monde ; il ne s'agit que d'une simple incapacité légale ; et en effet qu'exige la Constitution pour le droit de voter ? Le payement d'un cens minimum de 20 florins. Or, messieurs, ces électeurs payent le cens de 20 florins en 1850. Il suffisait de payer le cens dans l'année courante, d'après la loi de 1831, et ce n'est qu'en vertu d'une loi postérieure qu'on a exigé le payement de la patenle ou de l'impôt personnel pendant trois années consécutives. C'est donc là une simple disposition légale. Ainsi, ceux qui admettent que, dans le cas où il y aurait incapacité constitutionnelle, la chambre pourrait avoir égard à cette circonstance, doivent, en ce qui concerne l'élection de Dixmude, être complètement d'accord avec moi, parce qu'il ne s'agit ici que d'une incapacité légale.

L'on a cité mon opinion de 1851 ; je me permettrai de compléter la citation, et alors vous verrez de nouveau les motifs que j'ai fait valoir, et l'opinion que je défends aujourd'hui :

« Messieurs, je ne pense pas, disais-je, que la chambre soit omnipotente, en ce sens qu'elle puisse s'arroger des pouvoirs que ni la Constitution, ni les lois ne lui confèrent, des pouvoirs que la loi attribue à d'autres autorités. Lorsque la loi a confié à l'autorité communale le soin de donner les listes et de juger les réclamations en premier degré ; lorsqu'elle a accordé aux députations permanentes le droit de les juger au second degré, et à la cour de cassation celui de les juger définitivement, je dis que la loi a déterminé nettement les autorités appelées à connaître des listes électorales, et que, par cela seul qu'elle n'a pas attribué cette mission aux chambres, elles n'ont pas le droit de se l'arroger.

« Aux termes de l'article 20 de la loi électorale, les chambres jugent de la validité des opérations électorales. Or, l'on sent parfaitement bien que la validité des opérations de l'assemblée électorale est entièrement indépendante de la validité des inscriptions sur les listes électorales, etc.»

J'arrive à cette autre question : L'appel est-il suspensif ?

Je regrette d'avoir à combattre l'opinion d'un membre nouvellement entré dans cette chambre, et qui peut ignorer nos précédents ; il est constant qu'en matière électorale l'appel n'est point suspensif ; l'honorable M. Roussel a voulu établir une comparaison entre l'appel électoral et l'appel en matière civile. Mais le même motif qui a fait admettre que (page 68) l’appel est suspensif en matière civile doit nous faire admettre qu'en matière électorale il ne l'est point.

L'appel est suspensif en matière civile, parce que l'exécution du jugement de première instance déposséderait immédiatement la partie condamnée et pourrait lui porter un grand préjudice, alors que la loi lui accorde les garanties de l'appel.

Eh bien, messieurs, c'est précisément par ce même motif que l'appel n'est pas suspensif en matière électorale. Celui qui est porté sur la liste des électeurs par décision de l'autorité communale a un titre dans lequel il lui importe d'être maintenu, il est en possession du droit de voter, il s'agit de maintenir son droit ; il a été mis en possession de ce droit par l'inscription et doit y être maintenu tant qu'il n'est pas débouté par l'autorité compétente ; sans cela un électeur quelconque n'aurait qu'à former un appel contre un grand nombre d'électeurs pour que leur droit fût suspendu.

Celui qui est porté sur la liste des électeurs après examen par l'autorité administrative compétente, ne peut être débouté de son droit qu'en vertu d'une décision de l'autorité supérieure. Qu'on ne vienne pas dire qu'il faut distinguer entre un électeur anciennement ou nouvellement inscrit, cela ne repose sur rien. La position de tous ceux qui sont inscrits sur la même ligne est identique. Le droit de voter ne peut leur être enlevé que par une décision de l'autorité compétente dûment notifiée à eux ou du moins au président du bureau électoral.

Dans le cas dont il s'agit, la décision de la députation â été notiflée après l'élection. Peut-elle avoir un effet rétroactif ? Nous disons, non ; parce qu'au moment où ces cinq électeurs ont émis leur vote, ils l'ont émis en vertu de la loi, conformément à la loi. Leur droit n'était pas contestable. S'il s'agissait d'une nouvelle élection, la décision de la députation sortirait ses effets, à moins d'une décision contraire de la cour de cassation. Le fait accompli a donc été valablement posé ; s'il a été valablement posé, l'élection est valable.

J'arrive au dernier moyen, la non-convocation d'un électeur. Je reconnais avec plaisir que la commission n'a eu aucun égard à ce moyen, qu'elle ne l'a pas trouvé fondé ; mais dans quel article de la loi trouve-t-on que l'absence de convocation ou plutôt, comme il s'agit ici, la convocation imparfaite est un moyen de nullité ? Dans aucun. Y a-t-il eu en cette circonstance réclamation de la part de l'électeur qui n'a pas reçu de convocation ? Est-il venu protester contre l'élection ? A-t-il fait connaître qu'il ignorait que des élections eussent lieu à Dixmude tel jour, qu'il ignorait que son nom fût porté sur la liste ? Son silence doit faire supposer le contraire, et que, d'ailleurs, le fils a remis le bulletin à son père.

D'autres circonstances viennent à l'appui de cette supposition. Dans une élection disputée comme l'a été celle de Dixmude, pas un électeur n'a dû être à l'abri de sollicitation ; il est à supposer qu'il en a reçu en sens contraire. Le fait dont il s'agit ne nous occupe que parce qu'il y a eu immixtion illégale usurpée de l'autorité administrative dans les affaires électorales. Ce fait n'a été signalé à la chambre par aucune pétition, mais seulement par le rapport du gouverneur. Je dis donc que dans cette circonstance tout se réunit pour convier la chambre à valider l'élection de Dixmude ; en droit et en fait elle est valable ; je défie tout homme sincère d'articuler un seul fait qui puisse faire admettre ou même supposer la fraude de la part des partisans de l'élection de M. Desmaisières ; je dis même que, y eût-il fraude, ce serait le fait de l'administration.

Quant aux trois bulletins trouvés en plus, ils ne peuvent motiver aucune décision, attendu qu'ils sont inopérants, car, en les retranchant, la majorité reste acquise à M. Desmaisières, et c'est la seule solution qu'indique la loi électorale ; il n'y en a pas d'autre.

J'ai fait appel au droit, à l'équité ; je fais aussi appel à la dignité de la chambre. Evitons les décisions qu'on pourrait envisager comme des coups de parti ; sachons que, si des décisions de cette nature peuvent amener un suffrage de plus à la majorité, moralement elles ne lui apportent jamais aucune force.

M. Delfosse. - Je demande la parole.

M. Jacques. - Je cède mon tour de parole à M. Malou.

M. Malou. - Si M. Delfosse veut parler avant moi, je prendrai la parole après lui.

M. Delfosse. - Après le discours si lumineux de mon honorable ami M. Delehaye, il n'y a presque plus rien à ajouter. Ce discours, que la parole de M. de Theux n'a pu affaiblir, a dù porter la conviction dans vos esprits. Après l'avoir entendu, il est impossible que vous validiez l'élection de Dixmude.

Si j'ai demandé la parole, c'est surtout pour répondre à une argumentation de M. de Muelenaere qui a paru faire impression sur quelques-uns d'entre vous.

L'honorable M. de Muelenaere, parlant des cinq électeurs de Clercken qui ont été, selon nous et d'après la députation permanente, indûment portés sur la liste, a soutenu qu'ils avaient le droit d'y être portés. Ces électeurs, a dit l'honorable M. de Muelenaere, payaient, en 1850, le cens exigé par la loi ; ils le payaient aussi en 1848 et en 1849, l'article 3 de la loi électorale n'en exige pas davantage.

Oui, ces électeurs payaient en 1850 le cens exigé par la loi, mais ils ne le payaient ni en 1848 ni en 1849, parce qu'alors on était sous l'empire d'une loi qui déclarait que l'impôt des boissons distillées ne ferait pas partie du cens.

Je comprends qu'à l'aide d'une argumentation habile on puisse faire naître quelques doutes sur le sens de l'article 3 de la loi électorale. Mais je vais opposer à l'honorable M. de Muelenaere une raison à laquelle je pense qu'il n'aura rien à répondre ; c'est qu'en 1849, quand nous avons fait la nouvelle loi sur les boissons distillées, la chambre a décidé que cet impôt ne ferait partie du cens électoral qu'à partir de 1850, qu'il ne compterait ni pour 1849 ni pour 1848.

En effet, la section centrale chargée de l'examen du projet de loi, y avait introduit une disposition ainsi conçue : « Le droit de débit, dont il s'agit dans la présente loi, sera compris dans le cens électoral. Néanmoins, l'électeur ne pourra se prévaloir pour la formation du cens de ce qui aura été payé en vertu de la loi du 10 juin 1838. »

D'après cette disposition, qui était dans le projet de la section centrale, il est bien certain que les cinq électeurs de Clercken n'avaient pas le droit de figurer sur la liste. Or, cette disposition n'a été retranchée du projet que parce qu'elle était inutile.

Voici comment M. le ministre des finances s'est expliqué dans la séance du 16 mai 1849 :

« Le gouvernement a formellement déclaré que l'impôt dont sont grevés les débitants de boissons distillées entrerait dans la formation du cens électoral ; sous ce rapport, la disposition présentée par la section centrale exprime la pensée du gouvernement ; mais je la trouve inutile ; il s'agit d'une contribution directe, et aux termes de la Constitution toutes les contributions directes concourent à la formation du cens.

« La loi de 1838 ayant déclaré que les contributions payées de ce chef ne feraient pas partie du cens, il est clair qu'on ne pourra pas se prévaloir, pour la fixation du cens, des contributions payées sous l'empire de cette loi ; la seconde disposition de la section centrale est donc inutile. »

Après ces paroles de M. le ministre des finances, l'honorable M. Moreau, rapporteur de la section centrale, a dit : « En effet, elle n'est pas nécessaire. »,

Personne, dans la chambre, n'a réclamé contre l'opinion émise par M. le ministre des finances et par le rapporteur. Il a donc été entendu que l'impôt sur les boissons distillées ne ferait partie du cens qu'à partir de 1850, et nullement pour 1849 et 1848.

MM. les ministres me font remarquer qu'une circulaire a été adressée dans ce sens à tous les fonctionnaires chargés de l'exécution de la loi.

Yous voyez, messieurs, que la question ne présente pas le moindre doute.

Il est certain que c'est à tort qu'on a porté sur la liste des électeurs de Clercken les cinq individus rayés par la députation permanente. Je ne puis m'expliquer l'erreur de l'honorable comte de Muelenaere sur ce point, que par son absence momentanée de la chambre ; il est probable que l'honorable comte n'aura pas, à cette époque, suivi nos débats parlementaires.

Je n'ai pas été surpris en entendant l'honorable comte de Theux ; il est resté tel qu'il était autrefois, avec les mêmes pensées, avec les mêmes craintes. Autrefois, lorsqu'il faisait partie de la majorité, l'honorable comte de Theux regardait comme dangereuse la réunion trop fréquente, selon lui, des collèges électoraux ; l'honorable membre regardait alors comme obligatoire pour la chambre le principe de la permanence des listes ; il vient de le dire, et je veux bien le croire sur parole ; mais s'il s'est disculpé de la revue rétrospective qu'a faite mon honorable ami M. Delehaye, il n'en a pas disculpé d'autres membres importants de l'ancienne majorité.

J'admets donc bien volontiers que l'honorable comte de Theux est resté le même, qu'il n'a varié ni dans ses craintes en ce qui concerne les réunions trop fréquentes des collèges électoraux, ni sur l'application du système de permanence des listes, même aux décisions de la chambre. Mais il voudra bien reconnaître que nous n'avons pas varié non plus, que ce n'est pas d'aujourd'hui que nous nous prononçons pour les principes qui doivent amener l'annulation de l'élection de Dixmude.

Lorsque nous étions dans l'opposition, comme aujourd'hui que nous faisons partie de la majorité, nous avons soutenu que le principe de la permanence des listes ne pouvait lier la chambre d'une manière absolue. C'est ainsi que nous avons voté pour l'annulation de l'élection de Nivelles et de l'élection d'Anvers.

Nous n'avons pas non plus, lorsque nous faisions partie de l'opposition, partagé les craintes de l'honorable comte de Theux sur les réunions des collèges électoraux. Nous ne les redoutons pas encore aujourd'hui ; nous croyons qu'elles présentent plus d'avantage que d'inconvénients, qu'elles concourent puissamment à former l'esprit public.

Nous voterons donc pour une nouvelle convocation des électeurs de l'arrondissement de Dixmude ; nous ne la redoutons pas ; nous la désirons au contraire, parce qu'elle nous paraît nécessaire pour que le collège électoral de Dixmude, dont la volonté est incertaine, puisse se manifester clairement.

L'honorable M. Dedecker a dit : Il y a ici deux questions : une question de légalité, une question de moralité. Pour moi, messieurs, il n'y en a qu'une. Si la légalité est pour nous, la question de moralité sera aussi pour nous ; nous n'admettons pas qu'il puisse être moral d'admettre dans cette enceinte un représentant qui n'y entrerait qu'au moyen d'une violation de la loi. La légalité est pour nous, on vous l'a démontré : il faut, pour valider une élection, que la volonté du collège électoral soit claire comme le jour. Est-elle claire comme le jour ? Je dis que jamuis volonté ne fut plus douteuse. Que signifient, je vous le demande, ces trois opérations qui toutes amènent un résultat différent ?

(page 69) Lorsqu'on compte les bulletins au deuxième bureau, on en trouve 344, nombre égal à celui des votants. Au premier dépouillement, il y en a 345. Et au deuxième dépouillement 347.

Et chaque fois, l'honorable M. Desmaisières obtient un plus grand nombre de voix. D'où, par une singulière manière de raisonner, l'honorable M. de Theux conclut que s'il y a eu fraude, elle a été pratiquée en faveur de M. de Breyne, c'est-à-dire qu'en faveur de M. de Breyne on aurait ajouté des bulletins portant le nom de M. Desmaisières ! Je ne veux pas, messieurs, supposer la fraude. Mais si elle a eu lieu, je tiens pour certain que M. de Breyne ne témoignerait pas beaucoup de reconnaissance à ceux qui l'auraient commise.

Des trois opérations, quelle est la bonne ? Qu'on prenne l'une ou l'autre, le résultat sera le même, dit-on. M. Desmaisières a, dans tous les cas, obtenu la majorité d'une voix.

Messieurs, qui pourrait assurer que si une quatrième, une cinquième vérification avaient été faites, on n'aurait pas obtenu d'autres résultats ? Je ne puis avoir la moindre confiance dans des opérations électorales qui, renouvelées trois fois, donnent chaque fois un résultat différent.

Il résulte pour moi de ces différences successives que la volonté des électeurs du district de Dixmude ne s'est pas exprimée clairement.

Je suppose que je sois banquier, que j'aie un commis chargé de compter un certain nombre des pièces de cinq francs et qu'il me dise : J'ai compté, il y a en a tant.

Je suppose que je lui dise : Comptez une seconde fois pour être bien sûr de ne pas vous être trompé, et qu'il me réponde qu'il y en a un peu plus ; que je lui ordonne de compter de nouveau et qu'il me réponde la troisième fois qu'il y en a encore un peu plus, me fierais-je à lui, accepterais-je comme bonne une de ces trois opérations ? Non, sans doute, je ferais compter par un autre ou je compterais moi-même.

Messieurs, il y a l'autre question, celle des cinq personnes qui ont voté et qui n'auraient pas dû le faire, si l'on s'en rapporte à la décision de la députation permanente, décision fondée sur la loi comme je vous l'ai prouvé, en réponse à l'honorable comte de Muelenaere sur ce point, il n'y a presque rien à ajouter aux développements qui ont été donnés par d'honorables amis.

On vous a démontré que l'opinion de M. Delebecque, au talent duquel l'honorable M. Dumortier rendait hier hommage, est favorable à notre système. Je puis vous citer l'opinion d'un autre auteur également recommandable (je ne parle pas de ses opinions politiques), mais recommandable au point de vue de la science, l'opinion de M. de Cormenin.

Voici ce qu'il disait :

« Si des doutes résultant de l'incapacité présumée de quelques électeurs s'élevaient sur la majorité réelle, il y aurait lieu d'annuler l'élection ; la raison en est qu'il n'apparaît pas alors suffisamment que le député représentât avec une incontestable sincérité la majorité de son collège. » (Cormenin, p. 184.)

Nous pouvons en outre invoquer l'opinion d'honorables amis de M. de Theux, membres de cette chambre et du sénat.

Messieurs, on vous l'a dit avec raison, si vous décidez que la chambre est liée par la permanence des listes, elle se trouvera réduite à la triste mission d'introduire dans cette enceinte des ciloyens, honorables peut-être, mais qui ne représenteront pas loyalement, sincèrement le collège électoral. Vous mettrez les électeurs à la merci du gouvernement, car il dépend des agents du gouvernement de ne pas notifier en temps utile les décisions de la députation permanente, et de laisser ainsi voter de faux électeurs. Je comprends jusqu'à un certain point (je ne partage pas toutefois cette doctrine d’une manière absolue) qu’on nous oppose la permanence des listes lorqu’il n’y a pas eu de réclamations, lorsqu’on peut dire aux électeurs : Vous n’avez pas user de votre droit. La loi vous donnait le droit de réclamer, vous n'en avez pas usé, imputez-vous à vous-mêmes si celui qui siège à la chambre n'est pas réellement votre élu. Mais lorsque les électeurs ont fait leur devoir, lorsqu'ils ont réclamé, ou lorsqu'on a réclamé pour eux, peut-il dépendre du fait, calculé ou non, peu importe, d'un agent du pouvoir exécutif qu'une élection viciée par la participation de faux électeurs soit valable ?

Je suis surpris qu'une telle doctrine vienne des bancs de l'opposition ; c'est sur ces bancs qu'on devrait protester contre elle.

Je dirai un mot de la négligence du gouverneur de la Flandre occidentale. Je suis loin de l'excuser ; et en matière électorale surtout, on ne saurait apporter trop de soins à la prompte expédition des affaires, parce que en général elles sont soumises à la députation dans les derniers jours qui précèdent l'élection ; mais je m'élève de toutes mes forces contre les orateurs qui dans la séance d'hier ont paru insinuer que cette négligence aurait été calculée. L'honorable M. de Theux disait tantot : is fecit cui prodest. A qui donc a servi, je le demande à tous les hommes de bonne foi, l'absence de notification ? Il y a cinq électeurs portés indûment sur une liste. Dans quelle commune ? Dans une commune qui ne compte que quinze électeurs ; c'est-à-dire que dans cette commune, on a augmenté du quart le nombre des électeurs.

Quelle est cette commune ? C'est une commune qui a pour bourgmestre un ami de M. Desmaisières, bourgmestre dont je n'entends pas du reste incriminer ici les actes. Cet honorable fonctionnaire est en même temps grand propriétaire, il est sénateur ; on ne peut nier qu'il n'exerce dans sa commune une grande influence.

Pour qui les cinq électeurs portés indûment sur la liste par l'administration communale dont cet ami de M. Desmaisières est le chef, ont-ils voté ? Nous ne pouvons aller au fond de l'urne, mais si on demande à tout homme de bonne foi, dans cette enceinte ou au-dehors, pour qui ces prétendus électeurs ont voté, tout homme impartial répondra qu'ils ont très probablement voté pour M. Desmaisières, ami de M. le bourgmestre, grand propriétaire et sénateur.

M. Dumortier. - Non ! non !

M. Delfosse. - L'honorable M. Dumortier dit non.

Je soutiens que tout homme impartial, dans cette enceinte comme au-dehors, répondra, non pas qu'il est certain, mais qu'il est très probable que les cinq électeurs de Clercken ont voté pour M. Desmaisières. Si M. le gouverneur leur avait notifié en temps utile la décision de la députation permanente, ces cinq électeurs n'auraient pas voté. M. Desmaisières aurait eu cinq suffrages de moins, et M. de Breyne aurait obtenu la majorité absolue, il aurait été élu. Sa négligence, qu'on ose présenter sous des couleurs si noires, a donc servi M. Desmaisières aux dépens de M. de Breyne.

Messieurs, je terminerai par quelques mots sur l'enquête proposée par l'honorable M. Dedecker.

Pourquoi ferions-nous une enquête ? Serait-ce pour connaître si M. le bourgmestre de Clercken, ami de M. Dcmaisières, a porté sur la liste électorale de sa commune cinq personnes qui n'avaient pas le droit d'y figurer ? Mais sur ce point l'enquête ne nous apprendra rien que nous ne sachions déjà.

Serait-ce pour rechercher quelles ont pu être les intentions de M. le bourgmestre de Clercken ? Je doute fort que ce soit là l'intention de l'honorable M. Dedecker.

L'enquête aurait-elle pour but de faire apprécier la conduite de M. le gouverneur de la Flandre occidentale ? Mais nous savons à quoi nous en tenir là-dessus. (Interruption.) Je parle du fait de négligence. Voudriez-vous par hasard ordonner une enquête sur tous les actes de ce fonctionnaire ? (Interruption.) Je n'ai pas interrompu, je demande qu'on ne m'interrompe pas.

Serait-ce pour savoir si le gouverneur de la Flandre occidentale a commis une négligence ? cela n'est pas douteux, mais cela n'est contesté par personne. Serait-ce, par hasard, pour rechercher si cette négligence a été préméditée ? Je ne puis pas croire qu'il entre dans la pensée des membres de la chambre de suspecter les intentions du gouverneur de la Flandre occidentale, de supposer que c'est à dessein qu'il aurait négligé la notification. N'ai-je pas fait voir que l'absence de notification a été très probablement défavorable au candidat qui avait la préférence de ce fonctionnaire ?

Resterait donc à rechercher par l'enquête la conduite du commissaire d'arrondissement. Je n'ai pas mission de le défendre. La première circulaire, qui paraît avoir un caractère officiel, ne signifie pas grand-chose ; néanmoins je ne l'approuve pas. La circulaire qui a paru dans un journal et qui n'a été ni avouée, ni désavouée, serait très blâmable. Mais ce fonctionnaire, je répète que je n'ai pas mission de le défendre, par qui a-t-il été nommé ? Par l'honorable comte de Theux, sur la proposition de l'honorable M. de Muelenaere. Sa conduite, si l'enquête tournait contre lui, prouverait que le ministère actuel a été trop facile à garder certains agents politiques nommés par ses prédécesseurs. Il y a de ces anciens fonctionnaires acceptés par le ministère actuel, qui sont parfois très compromettanls. Est-ce là ce qu'on veut prouver par l'enquête ?

Messieurs, je me résume. Je dis que la volonté du collège électoral de Dixmude est incertaine. La majorité acquise à M. Desmaisières n'est que d'une voix. Trois opérations successives ont amené un résultat différent. Cinq électeurs qui n'auraient pas dû participer à l'élection ont voté. Je ne parle pas de l'électeur qui n'a pas été convoqué, bien que je ne partage pas entièrement l'opinion de l'honorable M. de Muelenaere. La convocation est une formalité plus essentielle qu'il ne le dit, sans cela la loi aurait-elle exigé un récépissé ? Pourquoi exige-t-on un récépissé ? Probablement pour que l'autorité qui doit contrôler l'élection puisse s'assurer si les convocations ont été faites.

Quoi qu'il en soit, j'abandonne cet électeur. Mais je ne sais pas si l'honorable M. Roussel, qui a traité cette question, sera d'aussi bonne composition que moi. Les deux autres moyens suffisent pour rendre l'élection douteuse ; la volonté du corps électoral ne s'est pas clairement manifestée.

Je demande donc que l'on convoque de nouveau les électeurs de Dixmude, et si j'étais l'honorable M. Desmaisières, je serais le premier à le demander ; je ne voudrais pas entrer dans cette enceinte avec un mandat contesté par un grand nombre de mes collègues.

- Des membres. - La clôture !

M. Malou. - Je pense qu'il serait contraire à tous les usages de la chambre de clore une discussion...

M. le président. - La clôture n'est pas demandée par dix membres.

M. Malou. - Messieurs, mes premières impressions, je n'hésite pas à le dire, lorsque l'honorable M. Delehaye eut présenté le rapport de la quatrième commission, étaient défavorables à la validité de l'élection de Dixmude. Je me suis exprimé en ce sens à celui que je crois pouvoir appeler aujourd'hui l’élu de Dixmude, comme à quelques-uns de mes honorables amis. Je désire expliquer aujourd'hui les motifs de la conviction que je me suis formée sur cette grave question.

(page 70) Je dis, messieurs, cette grave question. En effet, qu'avez-vous entendu depuis que la discussion est ouverte ? Les uns disent : Vous êtes juges, les autres disent : Vous êtes jury, vous êtes souverain. Eh bien, si vous êtes juges, si vous êtes jury, la question intéresse vos consciences à tous, elle intéresse la conscience publique.

Oui, messieurs, vous êtes juges, et je dis avec d'honorables préopinants, vous n'êtes pas seulement juges, vous êtes aussi jury. Vous êtes jury pour l'appréciation des circonstances morales de l'élection, pour dire dans votre conscience s'il y a eu violence, corruption ou irrégularité dans les opérations électorales.

Là vous êtes jury, mais vous ne l'êtes pas ailleurs. Lorsqu'il s'agit d'apprécier des questions de droit, vous êtes juges et vous devez prononcer selon le droit. Il ne vous est pas permis de vous réfugier dans l'inviolabilité de votre vote, c'est selon le droit que vous devez rendre justice. Je fais cette distinction, messieurs, parce qu'il est bon de faire ressortir, chaque fois que l'occasion s'en présente, la valeur de nos institutions. Le principe que j'invoque, est-il autre chose que l'application d'une admirable loi qui régit le monde moral ? Partout à côté d'un droit il y a un devoir, à côté d'un acte une responsabilité ; vous êtes puissants, vous êtes souverains, mais à une condition, à la condition d'être justes.

Une circonstance doit avoir frappé au premier abord tous les hommes qui ont étudié dans leurs principes nos institutions. L'on a commis à l'égard de l'élection de Dixmude un fait sans exemple, non seulement dans ce pays mais dans tous les pays civilisés. Comment ! messieurs, si demain je devais être traduit devant un tribunal de simple police, j'aurais plus de garantie que n'en trouve celui à qui l'on conteste le plus imporlant de nos droits politiques, l'honneur de représenter le pays dans cette enceinte. S'il s'agissait de me condamner à une minime amende, je serais appelé à me défendre. L'on n'accumulerait pas contre moi, à mon insu, des preuves ; on ne viendrait pas, à un jour donné, me dire : Voici les preuves que j'ai recueillies contre vous, vous n'avez pas été entendu, mais vous êtes condamné.

Les motifs de cette enquête qui a eu lieu ne sont un mystère pour personne. On disait que des fonctionnaires pouvaient avoir failli, que c'était pour cela qu'on faisait une enquête, mais qu'arrive-t-il ? Tous les fonctionnaires qui ont failli sont innocentés ; on ne s'est pas même occupé d'expliquer les faits qui leur étaient reprochés ; on s'est simplement occupé de rédiger, le mieux qu'on l'a pu, un réquisitoire contre l'élection de Dixmude. Voilà des faits que le pays saura apprécier.

On a fait, le mieux qu'on l'a pu, un réquisitoire contre l'élection de Dixmude.

L'enquête aurait dû servir à M. le ministre de l'intérieur pour faire justice de certains abus ; un blâme, un blâme sévère devait être adressé au gouverneur de la Flandre occidentale, pour avoir laissé dormir dans les cartons de l'administration pendant trois semaines une décision qui intéressait des droits privés en même temps que des droits politiques.

Un autre fait se révèle dans le rapport, et je demande à M. le ministre de l'intérieur s'il a réfuté la singulière doctrine que je vois professée dans le rapport du gouverneur de la Flandre occidentale. Si ce n'était qu'une erreur sans conséquence, je n'aurais pas le droit de m'en plaindre.

Mais les gouverneurs de nos provinces, présidents des députations permanentes, sont appelés à juger souverainement la validité des élections communales ; il importe donc au pays, aux droits des citoyens, que des erreurs aussi monstrueuses, aussi inqualifiables ne soient pas passées sous silence par le gouvernement. Je demande que M. le ministre de l'intérieur veuille bien écrire à M. le gouverneur de la Flandre occidentale que le papier blanc n'a pas de valeur dans une élection ; ou si M. le ministre ne croit pas devoir écrire, qu'il invite un de nos étudiants en droit, qui se prépare à la candidature, à vouloir bien donner quelques explications à ce sujet...

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je demande la parole.

M. Delfosse. - C'est une question qui a été très controversée.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vos amis ont décidé dans ce sens pour faire entrer dans la chambre un homme de votre opinion, dont l'élection était contestée.

M. Malou. - On a eu, je le sais, une discussion sur cette question au début de notre existence politique ; c'était, je crois, en 1832 ou en 1835 ; mais depuis lors, je pense que notre jurisprudence constitutionnelle a fait quelques progrès ; j'exprime de nouveau le regret que ces progrès n'aient pas été faits en même temps par M. le gouverneur de la Flandre occidentale.

Plusieurs griefs se sont évanouis dans le débat ; la plupart des faits ont été expliqués d'une manière satisfaisante ; un seul reste inexpliqué pour moi, c'est le retard qui a été apporté à la signification des décisions prises par la députation permanente.

Je ne m'arrête pas à des points secondaires ; d'après tout ce qui a été dit dans cette séance, le fait capital de la discussion, c'est le droit ou l'absence de droit dans le chef des cinq électeurs de Clercken. Je ne parle même plus, si ce n'est en un mot, de l'irrégularité qui aurait pu être commise, en ce qui concerne la convocation d'un électeur de Pollinchove.

Il s'agirait de nos droits civils les plus importants, et la signification faite à domicile, d'après le Code de procédure, serait valable ; et vous ne voudriez pas que pour une convocation supplémentaire que la loi a prescrite, la remise à domicile fût valide. Voyez à quelle conséquence vous vous exposez si au lieu de partir de Pollinchove pour Beveren, cet électeur s'était embarqué pour la Californie, il aurait rendu l'élection nulle parce qu'on n'aurait pu lui remettre le bulletin qui lui était destiné. Je ne m'arrête pas à ce fait qui n'a aucune valeur.

Messieurs, pour apprécier le droit des cinq électeurs de Clercken, je dois faire ressortir en premier lieu quel est le mécanisme de la loi électorale, pour démontrer non pas ce qui est dans la loi même, à savoir que la liste électorale est permanente, mais quelle est la conséquence légale, constitutionnclle du principe de la permanence des listes ; je dois faire ressortir de même, non pas que l'appel n'est pas suspensif (on est aujourd'hui d'accord sur ce point), mais quelle est la portée constitutionnelle du principe que l'appel n'est pas suspensif.

Enfin, j'ai à démontrer, et je m'attacherai à le faire aussi sommairement que possible, que le droit des cinq électeurs, dont on a tant parlé, existe constitulionnellement aujourd'hui.

Sur le principe de la permanence des listes, disais-je tout à l'heure, il ne peut pas y avoir de discussion ; on ne peut en élever que sur les conséquences du principe posé dans la loi électorale. D'après certaines doctrines qui ont été émises, notamment tout à l'heure, ce principe n'est rien, c'est une lettre morte ; les listes ne sont pas permanentes, elles ne lient personne, tout au plus lient-elles les bureaux électoraux.

D'après d'autres membres, et d'après certains antécédents qu'on a invoqués, il semblerait que les listes sont permanentes d'une manière tellement absolue que du moment où l'on serait inscrit sur les listes électorales, quelles que fussent les irrégularités commises dans la formation des listes, la chambre devrait les respecter.

Pour moi, je n'adopte ni l'une ni l'autre de ces opinions extrêmes ; je pense que le principe de la permanence des listes, principe écrit dans la loi, doit avoir un but, un résultat quelconque : mais avant de les indiquer, que la chambre me permette de lui dire quelles seraient les conséquences d'une législation qui ne consacrerait pas ce principe ou qui ne lui donnerait aucun effet.

Pourquoi a-t-on décidé que les listes électorales seraient permanentes ? Pour un motif d'intérêt public ; pour que vous puissiez vous occuper des affaires du pays, pour que vos sessions ne soient pas absorbées par la vérification des pouvoirs. Le jour où vous aurez effacé de la loi le principe de la permanence des listes, je vous défie de terminer la vérification des pouvoirs dans une élection partielle, à moins d'y consacrer deux ou trois mois.

Après que toutes les épreuves prescrites par la loi électorale auront été accomplies, que les listes auront été affichées ; que chaque citoyen aura pu se pourvoir devant trois degrés de juridiction, vous direz qu'il n'y a rien ; que, devant la chambre, le droit de dix mille électeurs inscrits dans un collège, peut être contesté ; qu'on est admis, par des réclamations, à venir contester la capacité électorale de tous les électeurs. (Interruption.) Si vous l'admettez pour l'un, vous devez l'admettre pour les dix mille. On ne coupe pas un principe en deux. Qu'en résulterait-il ? Que vous ne pourriez plus vérifier les pouvoirs d'aucun membre de la chambre.

Le principe de la permanence des listes a donc son origine, sa légitimité, si je puis m'exprimer ainsi, dans un intérêt public.

Quelle est la valeur de ce principe ? Cette valeur, ou elle est nulle, ou elle implique que lorsqu'une liste électorale a été régulièrement dressée, elle fait, d'après un principe de droit naturel et de nos lois civiles, la preuve du droit de ceux qui s'y trouvent portés ; que cette possession vaut titre ; qu'il y a pour celui qui est inscrit une prescription juris et de jure contre laquelle la preuve contraire n'est pas admise ; et s'il n'y a pas une présomption juris et de jure, que signifie tout le mécanisme de votre loi ? Il aurait fallu alors se borner à prescrire que les bourgmestres dresseraient les listes électorales, et que dans les chambres, on débattrait à loisir le point de savoir si les listes ont été bien faites, l'on y contesterait à volonté la capacité électorale de tous les inscrits.

Je le répète, ou bien les listes ne sont pas permanentes, ou bien il y a une présomption contre laquelle personne ne peut réclamer, à savoir que les listes ont été bien faites, et qu'elles couvrent ceux qui s'y trouvent et qui ont passé, permettez-moi cette expression, par toutes les tribulations de la loi électorale.

Est-ce à dire que s'il était prouvé que, malgré les précautions qui avaient été prises, la liste est viciée dans son principe ; que la liste se trouve composée en grande partie de personnes incapables qui, par exemple, n'auraient pas la qualité de Belge ; est-ce à dire, que lorsque les listes sont arguées de faux, on ne pourrait pas annuler une élection ? Non, messieurs, cela reviendrait à dire qu'il pourrait y avoir ici des députés intrus ; et tel n'est pas le point de départ de la doctrine que je défends. Mais, ou la permanence n'existe pas, ou elle prouve le droit des électeurs qui s'y trouvent portés et qui ont passé par toute la filière de la loi électorale.

Mais on nous dit :« Les cinq électeurs étaient rayés, ils n'avaient pas de droit. »

Interrompant hier M. le ministre de l'intérieur je disais : C'est pire que le tribunal secret de Venise. Je regrette de ne pouvoir retirer ce mot. A Venise la sentence était notifiée, il est vrai, au moment de l'exécution ; elle n'a été notifiée ici que longtemps après avoir ressorti ses effets, selon la doctrine de nos honorables adversaires.

Quand j'étais jeune au barreau, j'entendais invoquer parfois un ancien principe de droit : pour la validité d'un jugement, c'est la même chose de ne pas être ou de ne pas être signifié.

Y aurait-il, comme on l'a prétendu, une radiation de droit, une capacité (page 71) putative ? Je ne connais d'après la loi qu'une seule radiation, celle qui fait qu'un électeur n'est plus sur la liste. Toute distinction est arbitraire, est dangereuse.

On est rayé ou on ne l'est pas ; il ne peut y avoir une radiation mystérieuse et purement fictive.

L'article 23 de la loi électorale consacre en termes exprès ce principe que l'appel n'est pas suspensif, que l'électeur inscrit de fait a le droit de voter.

Le motif en est, encore une fois, la présomption légale, incontestable, que l'inscription est le signe du droit, la présomption juris et de jure.

L'honorable rapporteur nous disait tout à l'heure ; L'électeur inscrit peut voter d'après l'article 23, nul ne peut l'en empêcher, c'est en ce sens que l'appel n'est pas suspensif.

Messieurs, lorsque nous voulons interpréter sainement les lois, il faut commencer par leur assigner un sens sérieux. Si le droit de voter reconnu par la loi électorale ne devait pas s'entendre de l'émission d'un vote valable, la loi n'aurait pas de sens, elle aurait été faite seulement pour donner à un citoyen la faculté dérisoire de mettre, sans aucun effet utile, un morceau de papier dans une urne. Telle n'est pas l'interprétation logique de l'article 23.

L'appel n'est donc pas suspensif, et la conséquence de ce principe est que l'électeur inscrit a le droit de voter, c'est-à-dire d'émettre un vote valable.

L'on s'étonne que ces doctrines soient soutenues par des membres de la minorité ; on nous dit ; Si les listes sont permanentes, si l'appel n'est pas suspensif dans le sens que vous indiquez, les élections dépendront désormais des agents de l'administration, un gouverneur en disposera.

L'objection serait fondée sans nul doute, si les agents de l'administration avaient la faculté d'exécuter ou de ne pas exécuter la loi. Si l'on suppose au contraire (et nous ne faisons nulle difficulté de nous placer dans cette hypothèse), que la loi sera appliquée, mieux qu'elle ne l'a été cette fois, nos doctrines ne présentent aucun inconvénient, ce sont même les seules qui n'offrent pas de danger.

Ainsi le droit de l'électeur inscrit existe ; il peut être valablemen exercé, il n'y a aucun obstacle à ce qu'il en soit ainsi. Pourquoi n'a-t-on pas notifié l'arrêté qui infirme ce droit ?

On dit : Ces électeurs sont rayés en vertu d'une décision souveraine. Je ne connais de décision souveraine, que celles qui ont été rendues exécutoires conformément à la loi. Quand la notification a-t-elle eu lieu ? Après l'élection ; on a tellement mal exécuté la loi qu'on ne pouvait plus déférer la décision dont on se prévaut à la censure de la cour de cassation.

La loi veut que les décisions de cette nature soient immédiatement notifiée aux intéressés quelque temps avant le moment où d'ordinaire ils sont appelés à exercer leur droit.

Si vous me faites une notification de ce genre après l'élection, autant valait la faire au 31 décembre, c'est une notification sans objet et sans résultat, qui ne pouvait pas faire courir le délai du recours en cassation.

Cette présomption que j'indiquais tout à l'heure, contre laquelle la preuve contraire n'est pas admise, garantit à la fois l'électeur et l'élu. Ainsi après qu'un député a été admis, on n'est plus reçu à venir critiquer les listes et à dire que le mandat qui a été reconnn par la chambre n'est pas valable. Le droit des électeurs est réputé constant, la validité de l'élection n'est plus contestable, la preuve contraire n'est pas admise.

Quand j'entends invoquer, comme on le faisait hier à propos d'une vérification récente des pouvoirs d'un de nos collègues, ce principe constitutionnel, j'ai le droit de dire que le même principe qui garantit le droit du représentant proclamé, garantit celui des cinq électeurs dont l'inscription esl aujourd'hui contestée.

L'avenir des majorités se trouve ici engagé : messieurs, vous êtes forts, sachez être justes.

Mais j'abandonne un instant et le principe de la permanence des listes et les principes non moins certains qui concernent les effets de l'appel et la capacité de l'électeur ; je dis que dans les faits produits, vous n'avez pas dès à présent de raison pour annuler l'élection de Dixmude. La position est celle-ci. On admet que ces électeurs sont portés pour 1850 pour une somme dépassant le cens électoral ; ils sont portés sur la liste de 1850 en vertu de la loi récemment votée qui permet de comprendre dans le cens électoral l'impôt sur les boissons distillées.

On conclut de là qu'ils n'avaient pas droit d'être portés en 1848 et 1849. Mais où est la preuve de ce fait ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - La décision.

M. Malou. - Il n'y a pas de décision. Je tiens en main la liste des électeurs de Clercken, j'y vois indiquées les contributions de l'année courante. La loi n'ordonne pas de porter autre chose. Je ne puis dire qu'ils soient indûment inscrits ; non seulement la décision n'a pas été notifiée, mais l'eût-elle été, qu'on aurait pu exercer utilement un recours en cassation. Aucune des pièces produites ne démontre qu'ils n'auraient pas pu justifier de la capacité électorale.

Un honorable membre a invoqué tantôt la discussion sur la nouvelle loi des patentes pour le débit des boissons distillées ; mes doutes ont augmenté en entendant lire un extrait de cette discussion. Les hommes qui siégeaient dans cette enceinte en 1838 ont été divisés sur la question de savoir si, constitutionnellement, on pouvait décider que le nouvel impôt ne serait compté dans aucun cens électoral. Je crois que l'amendement était soutenu et défendu par l’honorable M. Devaux.

Quel était le principe constitutionnel sur lequel on discutait ? La question de savoir si l'impôt sur les boissons était un impôt direct ou un impôt indirect. Tout le monde disait : Si c'est un impôt direct, en présence du texte de la Constitution nous ne pouvons pas nous dispenser de le comprendre dans le cens électoral. La chambre décide que cet impôt ne sera pas compté dans le cens. Mais en 1849 une nouvelle loi est présentée dans la discussion. M. le ministre déclare qu'il s'agit d'une contribution directe.

Si vous avez reconnu, en 1849, que l'impôt sur les boissons était une contribution directe, malgré toutes les explications, toutes les circulaires ministérielles, ces contributions doivent être comprises dans le cens, non seulement pour 1850, mais pour 1849 et pour 1848. C'est la Constitution qui le veut ; il n'y a pas de circulaire ministérielle qui tienne contre la Constitution, il n'y a pas de droit contre le droit.

- Un membre. - Ainsi, malgré la loi il aurait fallu compter cet impôt dans le cens ?

M. Malou. - L'argument n'est pas là. En 1838, vous avez décidé que l'impôt des boissons ne serait pas compris dans le cens, et en 1849, vous prenez une décision contraire et vous déclarez que l'impôt des boissons est une contribution directe, d'où il suit que l'impôt doit être compris d'après vous-mêmes dans le cens électoral pour l'année 1850.

Permettez-moi de ne pas m'arrêler à des hypothèses sur lesquelles vous appuyez vos doutes. Si on argumente sur des hypothèses, on peut en créer tant qu'on veut. Je n'admets le doute que quand il naît de preuves, de procès-verbaux, et je n'en trouve pas contre l'élection dont il s'agit.

On demande sur quoi porterait l'enquête ?

La chambre se doit à elle-même, doit au respect du droit privé de faire cette enquête pour savoir, entre autres, si ces électeurs avaient la capacité électorale. On a soutenu qu'ils n'avaient pas le droit de voter, que si on prouvait qu'ils avaient la capacité, l'élection était valable. Or, y a-t-il quelqu'un qui puisse dire que si la décision qui les raye leur eût été notifiée en temps utile, ils n'auraient pas pu se pourvoir et faire reconnaître leur droit ?

Je ne veux pas user plus longtemps de la bienveillante attention de la chambre.

Ces considérations suffisent, ce me semble, pour démontrer qu'il y a lieu d'adopter la proposition que j'ai l'honneur de soumettre à la chambre, d'accord avec mon honorable ami M. Dedecker. Cette proposition est ainsi conçue :

« La chambre, sans reconnaître au ministère le droit d'intervenir par voie d'enquête administrative dans les questions que peut soulever la vérification des pouvoirs de ses membres, ordonne une enquête contradictoire sur l'élection de Dixmude. »

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - S'il ne s'agissait que de l'élection en elle-même, les ministres se seraient abstenusdans cette discussion, ils s'en seraient remis à la décision de la chambre, donnant leur vote, chacun comme représentant. Mais on a incriminé à plusieurs reprises avec autant d'animosité que d'injustice, plusieurs fonctionnaires publics et notamment l'honorable gouverneur de la Flandre occidentale. Vous avez entendu une accusation pleine d'acrimonie contre cet honorable fonctionnaire. Ah ! je me rends parfaitement compte de la rancune qu'on a contre lui.

M. Malou. - Je ne le connais pas.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je me rends compte de la rancune qu'on porte, dans certains rangs, à ce fonctionnaire ; il accomplit ses devoirs avec loyauté ; il s'est opposé à certaines prétentions ; il a montré dans plusieurs circonstances l'énergie qui le caractérise. Voilà pourquoi il excite certaines rancunes. Voilà pourquoi l'on cherche à le représenter comme un agent de corruption électorale.

M. Malou. - Je n'ai pas parlé de corruption électorale.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Ces mots n'ont pas cessé de partir de vos bancs.

Qu'a fait ce fonctionnaire ? A cinq individus que la députation avait rayés de la liste des électeurs, il n'a pas notifié cette décision. Voilà le grand crime qui lui est reproché.

Mais le simple bon sens répond à votre accusation. Les cinq électeurs contre lesquels il y a eu recours à la députation, évidemment appartenaient à l'opinion favorable à M. Desmaisières. (Interruption.)

Eh ! messieurs, à qui ferez-vous croire que ces cinq électeurs auraient donné leur vote à M. de Breyne ? L'honorable bourgmestre de Clercken, qui a soutenu si chaudement la candidature de M. Desmaisières, se serait-il empressé de les convoquer, au dernier moment, par voie extraordinaire et en se passant de son secrétaire, tout exprès, pour augmenter le nombre des voix favorables à M. de Breyne ? Cette supposition n'est pas raisonnable.

Je regrette, pour ma part, que M. le gouverneur de la Flandre occidentale n'ait pas fait cette notification ; mais l'honorable M. Malou, qui a été gouverneur de province, doit comprendre cette omission.

M. Malou. - Je demande la parole pour un fait personnel.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'est le fait des bureaux : un chef de division n'a pas donné suite à la décision de la députation. Voilà en quoi consiste cet énorme grief qu'on veut transformer en un acte d'accusation. Il y a quelque chose qui doit surprendre, lorsque, de ce côté de la chambre, on vient reprocher au gouvernement les moyens de corruption dont il aurait fait usage pour exercer de l’infuence sur les élections. Si nous voulions opposer conduite à conduite, actes à actes, (page 72) circulaires de commissaires de district à circulaires de commissaires de district, ah ! messieurs, je pense que des regrets pourraient s'élever sur d'autres bancs que sur les nôtres.

Nous défions qui que ce soit d'apporter ici la preuve que, soit directement, soit indirectement, par des promesses d'honneurs ou de place, le gouvernement ait jamais cherché à influencer les élections. Je désire que toutes les administrations qui nous ont précédés puissent faire, avec la même conscience, la même déclaration.

Le gouvernement a tenu à honneur de ne pas intervenir dans les élections par des moyens qui n'oseraient s'avouer. (Interruption.)

Ce n'est pas lui qui a fait imprimer à des milliers d'exemplaires, pour les répandre dans les campagnes, cette allocution à laquelle je faisais récemment allusion. Ce n'est pas lui qui a recours à toutes ces manœuvres, que la sage intelligence de leurs devoirs devrait faire repousser par ceux qui les mettent en usage.

Si des fonctionnaires publics, dans certaines localités, ont cherche à exercer une pression illégitime quelconque sur les élections, soit par des promesses, soit par des menaces, qu'on les signale, ils seront destitués.

Est-ce à dire que le gouvernement se montre complètement indifférent aux résultats des opérations électorales, qu'il s'interdise de manifester sa préférence pour les hommes qui le soutiennent dans cette enceinte ? Est-ce à dire qu'il doive abandonner jusqu'au soin de sa propre conservation ? Non, messieurs ; aussi n'a-t-il jamais hésité à faire connaître sa préférence en faveur de tel ou tel candidat.

Il a tracé dans des circulaires la ligne de conduite que doivent suivre les fonctionnaires. Le Moniteur les a publiées, je m'y réfère, et je défie qu'on cite aucune instruction qui ait eu pour but d'imposer un vote à qui que ce soit.

Un dernier mot : on invoque contre l'honorable gouverneur de la Flandre occidentale le travail administratif qu'il m'a soumis. On se rappelle que, dès le début de cette session, j'ai annoncé que certaines irrégularités m'avaient été signalées par 31 électeurs, j'ai chargé le gouverneur de prendre des renseignements sur les faits qui étaient signalés et notamment sur deux irrégularités administratives. M. le gouverneur, donnant suite à ma lettre, m'a adressé un rapport ; je ne l'ai pas communiqué à la chambre, mais j'ai cru qu'il était de ma loyauté de déclarer à la commission que j'avais ces renseignements par-devers moi.

La commission était libre de ne pas les demander. Mais elle m'a fait exprimer le désir d'obtenir le travail du gouverneur. Il a été communiqué à la commission.

Alors on en fait un grand bruit dans la chambre ; on veut en avoir connaissance.

Il ne suffit pas de le déposer sur le bureau, on en veut l'impression ; j'y consens, et aujourd'hui on vient relever avec amertume une partie de ce travail qui ne touche en aucune manière à la question, notamment l'opinion de M. le gouverneur sur la validité des bulletins blancs. Cette opinion, suivant moi, il l'a soutenue avec beaucoup de talent. Elle a été soutenue à une autre époque où plusieurs jurisconsultes distingués siégeaient dans cette enceinte, non par des candidats en droit, mais par des docteurs tout aussi solides, je pense, que l'honorable M. Malou lui-même. Cette opinion a élé défendue par M. le gouverneur. Mais en quoi cette thèse peut-elle exciter les récriminations de l'honorable M. Malou ?

Je n'ai pas demandé à la chambre, à la commission, de se former une opinion d'après les renseignements qui m'ont été communiqués par M. le gouverneur. Nous vous l'avons dit : ce rapport vous gêne-t-il ? supprimez-le. Prenez les faits simplement tels qu'ils se présentent en dehors du rapport.

Je devais, messieurs, d'abord défendre le gouvernement contre le reproche d'avoir excédé ses pouvoirs en entreprenant par lui-même une enquête qui était du ressort de la chambre. Je soutiens que le gouvernement était parfaitement dans son droit en prenant des renseignements sur certaines irrégularités qui lui étaient signalées.

Je devais en outre répondre aux accusations lancées contre des fonctionnaires publics, notamment contre M. le gouverneur de la Flandre occidentale. Je regrette, et il le regrette autant que moi, que la notification de la décision de la députation permanente aux électeurs éliminés, n'ait pas eu lieu. Voilà un oubli, une négligence, si l'on veut, qui est très regrettable ; mais la conduite de M. le gouverneur de la Flandre occidentale n'en a pas moins été en cette affaire, comme toujours, marquée au coin d'une parfaite loyauté. Et pour ma part, loin de le blâmer, je continuerai à l'engager à persévérer dans la voie ou il a si bien secondé jusqu'ici le gouvernement.

M. Malou (pour un fait personnel). - On m'a accusé d'avoir été mû par un sentiment de rancune et d'avoir accusé le gouvernement de corruption. J'en appelle à l'assemblée ; j'ai discuté une question de droit, je n'ai entendu incriminer les intentions de personne. Maintenant quand il conviendra à la chambre d'établir une discussion comparative entre l'intervention du gouvernement dans les élections depuis l'avénement du ministère actuel, et la conduite de ses prédécesseurs, pour ma part je suis prêt à l'accepter, je ne la repousse nullement.

M. de Theux (pour un fait personnel). - Messieurs, je ne sais quelles ont été les intentions de M. le ministre de l'intérieur quand il a parlé de corruption électorale sous les cabinets précédents. S'il a fait allusion à mon administration, je repousse ce reproche de toute l'énergie de mon âme. Jamais, je n'ai commis ni fait commettre, et jamais je n'aurais toléré de corruption électorale. Mes principes en matière d'élection ent été souvent proclamés à cette tribune. J'en ai toujours soutenu la discussion ; je suis prêt à le faire encore, et je dirai avec mon honorable ami, M. Malou, que quand la chambre sera disposée a accepter un débat sur tous les faits antérieurs à 1847, et sur les faits postérieurs, je l’accepterai avec plaisir.

- La clôture est demandée.

M. de La Coste. - Je renoncerai à l'opposition que je voulais faire à la clôture, si la chambre me permet de faire une simple observation.

- Plusieurs membres. - Non ! non !

M. le président. - La clôture est demandée.

M. de La Coste. - C'est sur la clôture que je parle. Je m'oppose à la clôture et j'en dis le motif.

M. le ministre de l'intérieur nous a, en quelque sorte, lancé le défi de signaler des faits qui indiqueraient la pression de l'administration sur les élections. J'avoue qu'un débat de cette nature me semblerait hors de place en ce moment. Mais je demande qu'on ne prenne pas notre silence pour une adhésion.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'accepte l'ajournement au budget de l'intérieur. J'écouterai avec grand plaisir l'honorable M. de La Coste et ceux de ses amis qui voudront prendre la parole, et je leur répondrai.

- La clôture est mise aux voix et prononcée.

La proposition d'enquête, faite par MM. Malou et de Decker, est mise aux voix par appel nominal.

84 membres répondent à l'appel nominal.

2 (MM. Lelièvre et Yermeire) s'abstiennent.

22 votent l'adoption.

60 votent le rejet.

En conséquence, la proposition n'est pas adoptée.

Ont voté l'adoption : MM. de Theux, de T'Serclaes, de Wouters, Dumorlter, Landeloos, Malou, Moncheur, Osy, Rodenbach, Thibaut, Vanden Branden de Reeth, Vilain XIIII, Coomans, Dechamps, Dedecker, de Haerne, de La Coste, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Meester, de Mérode-Weslerloo et de Muelenaere.

Ont voté le rejet : MM. de Pitteurs, Dequesne, de Renesse, de Royer, de Steenhault, Destriveaux, Devaux, d'Hoffschmidt, d'Hont, Dolez, Frère-Orban, Jacques, Jouret, Jullien, Lange, le Bailly de Tilleghem, Lebeau, Lesoinne, Loos, Mascart, Moreau, Orts, Pirmez, Prévinaire, Rogier, Rolin, A. Roussel, Sinave, Tesch, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, Van Cleemputte, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Veydt, Allard, Ansiau, Anspach, Bruneau, Cans, Cools, Cumont, Dautrebande, H. de Baillet, de Baillet-Lalour, de Bocarmé, Debourdeaud'hui, de Brouckere, de Brouwer de Hogendorp, Debroux, Delehaye, Delescluse, Delfosse, Deliége, de Perceval et Verhaegen.

M. le président. - Je prie les membres qui se sont abstenus de faire connaître les motifs de leur abstention,

M. Lelièvre. - Je n'ai pas pu dire oui, parce que je pense que l'élection est valable sans qu'il soit besoin d'enquête ; et je n'ai pas répondu non, parce que je ne voulais pas m'opposer à une mesure d'instruction.

M. Vermeire. - Je me suis abstenu, parce que le fait principal, celui de l'inscription indue de cinq électeurs sur les listes électorales, motif pour lequel j'ai, comme membre de la commission, voté l'annulation des élections de Dixmude, n'est pas contesté, et que dès lors l'enquête ne peut porter que sur des faits accessoires.

- Les conclusions de la commission sont ensuite mises aux voix par appel nominal et adoptées par 58 membres contre 26. En conséquence, l'élection de Dixmude est annulée.

Ont voté l'adoption : MM. de Pitteurs, Dequesne, de Renesse, de Royer, de Steenhault, Destriveaux, Devaux, d'Hoffschmidt, d'Hont, Dolez, Frère-Orban, Jouret, Jullien, Lange, le Bailly de Tilleghem, Lebeau, Lesoinne, Loos, Mascart, Moreau, Orts, Pirmez, Prévinaire, Rogier, Rolin, A. Roussel, Sinave, Tesch, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, Van Cleemputte, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Vermeire, Veydt, Allard, Ansiau, Anspach, Bruneau, Cans, Cools, Cumont, Dautrebande, de Baillet-Latour, Debourdeaud'huy, de Brouckere, de Brouwer de Hogendorp, Debroux, Delehaye, Delescluse, Delfosse, Deliége, de Perceval et Verhaegen.

Ont voté le rejet : MM. de Theux, de T'Serclaes, de Wouters, Dumorlier, Jacques, Landeloos, Lelièvre, Malou, Moncheur, Osy, Rodenbach, Thibaut, Vanden Branden de Reeth, Vilain XIIII, Coomans, H. de Baillet, de Bocarmé, Dechamps, Dedecker, de Haerne, de La Coste, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Meester, de Mérode-Westerloo et de Muelenaere.

- La chambre décide qu'elle se réunira demain à 2 heures.

La séance est levée à 5 heures.