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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 28 juin 1851

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1850-1851)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1491) M. A. Vandenpeereboom fait l'appel nominal à midi et un quart.

La séance est ouverte.

M. T'Kint de Naeyer lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. A. Vandenpeereboom présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« Les membres de la société littéraire dite « de Eikel », à Louvain, demandent l'abolition de la contrefaçon et l'exemption de tout droit pour les livres envoyés de la Hollande en Belgique et réciproquement. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Plusieurs habitants d'Anvers demandent une loi qui interdise aux administrations communales de percevoir un impôt sur les engrais nécessaires à l'agriculture. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal de Reckheim demande que le chef-lieu du canton de Mechelen soit transféré à Reckheim. »

- Même renvoi.

Projet de loi dispensant du grade d'élève universitaire certains élèves en philosophie

Dépôt

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau un projet de loi, ayant pour objet d'étendre la dispense du grade d'élève universitaire à la deuxième session de 1851 et à la première session de 1852, en faveur des élèves en philosophie qui ont commencé leurs études universitaires avant le 1er juillet 1849.

Le projet a une certaine urgence ; les jeunes gens qui doivent passer leur examen à la seconde session de 1851, peuvent être appelés à en profiter. Je désire donc que la loi, qui d'ailleurs ne présentera aucune difficulté, puisse être discutée et votée dans la session législative actuelle. Je pense que le projet, eu égard à sa nature, devrait être examiné par une commission spéciale.

M. Rodenbach. - J'appuie et l'urgence du projet et le renvoi à une commission : je le fais d'autant plus volontiers que j'ai reçu sur ce point plusieurs réclamations qui me prouvent que la mesure est nécessaire.

M. Roussel. - J'appuie également l'urgence.

M. Destriveaux. - Et moi aussi.

- Le projet de loi, ainsi que l'exposé des motifs, sera imprimé et distribué.

La chambre le renvoie à l'examen d'une commission spéciale à nommer par le bureau.

Projet de loi sur les successions

Discussion générale (article premier)

M. Delehaye remplace M. Verhaegen au fauteuil.

La discussion continue sur l'article premier. La parole est à M. Adolphe Roussel.

M. Roussel. - Je n'ai pas demandé la parole pour faire un discours ; mon intention est seulement de motiver mon vote sur la loi et sur les articles en discussion. Je n'ai pas la prétention de m'occuper des questions politiques qui se rattachent au projet de loi, et plus particulièrement aux articles 1 et 2. Mon seul désir est d'examiner succinctement le droit de succession en ligne directe et de vous communiquer mon intention de voter en faveur du principe que ces articles tendent à proclamer.

Un impôt, messieurs, doit être examiné à deux points de vue : d'abord, à l'égard de son assiette, ensuite au point de vue de sa répartition. Ce n'est que par la combinaison de ces deux éléments que l'impôt acquiert le caractère de justice indispensable pour ne point froisser les besoins réels de la société.

Dans son assiette, l'impôt sur les successions en ligne directe ne me paraît donner lieu à aucune objection fondée. Il ne constitue point la violation de la propriété, non plus que la lésion des droits de la famille ni de quelques-uns des sentiments naturels au cœur humain que le législateur devrait respecter.

Tous les impôts s'adressent à la propriété, soit mobilière, soit immobilière, quelquefois à toutes les deux. L'impôt qui frappe les successions en ligne directe n'a donc, sous ce rapport, aucun caractère particulier ; il est de la même nature qui ceux qui frappent les autres mutations.

En vain l'honorable M. de Theux nous disait-il hier que l'impôt sur les successions entame plus spécialement le capital, L'objection n'est que spécieuse.

En effet, le capital dont il s'agit n'est souvent autre chose que l'accumulation des revenus non dépensés durant la vie de celui dont la succession doit être grevée. Où trouver une meilleure source d'impôt que dans l'accumulation des revenus et dans l'augmentation de la valeur des propriétés ?

Les objections qu'on tirées des impôts de consommation sont contradictoires au but qu'on se proposait. En effet, s'il est vrai qu'on les perçoive sur les aliments nécessaires à l'ouvrier, sur les vêtements qui le couvrent, n'est-il pas plus équitable de puiser les ressources de l'Etat dans la fortune dont le fils doit se mettre en possession à la mort de son père ?

L'impôt est tellement justifié qu'aucune objection sérieuse ne peut lui être opposée.

Il n'est pas nécessaire que je m'arrête plus longtemps à l'étude de l'assiette de cet impôt.

Mais le point sur lequel je ne puis admettre complètement le projet, c'est la question de répartition.

Vous aviez, MM. les ministres, un impôt nouveau à créer.

Cet impôt doit sortir de vos mains dans la forme que vous lui imprimerez. Nul préjugé n'existe qui vous force à suivre les traditions anciennes. Dans la manière de le répartir il vous est loisible d'appliquer des principes de justice dislributive qui porteraient votre nom à la postérité. Vous pouviez employer la justice même de l'assiette de l'impôt pour imprimer à la répartition une équité désirable. Or, quand y a-t-il justice dans la répartition de l'impôt ? Quanil.il s'applique surtout au superflu, quand il ne frappe point le nécessaire, l'indispensable, quand il proportionne, aussi exactement que possible, l'impôt à la propriété imposée.

Au premier aspect, le ministère paraît être entré dans cette voie salutaire en exemptant de l'impôt les quotités de successions qui ne s'élèveraient pas au-dessus de mille francs. Mais l'honorable ministre des finances ne dévie-t-il pas de ce principe lorsqu'il repousse l'extension que l'on voudrait donner à l'exemption elle-même ? En effet, sans nulle malveillance, sans nulle mauvaise intention, car je suppose qu'on ne me taxera point d'hypocrisie, comme on l'a fait dans un journal à l’égard d'un de nos plus honorables collègues ; je demanderai sur quoi reposait l'exemption de l'impôt jusqu'à concurrence de mille francs ? Sur quel principe naturel cette exemption reposait-elle ? Car, en matière d'impôts, les exemptions comme les exigibilités ont leur cause dans la force, dans la nature des choses. Eh bien, j'ai beau chercher, je ne trouve d'autre cause à l'exemption proposée que le caractère indispensable de l'hérédité qui ne s'élève pas au-dessus de mille francs pour l'héritier auquel il faut laisser la facilité d'exercer ultérieurement une industrie qui puisse faire fructifier son travail.

C'est la seule raison possible : c'est que cette somme paraît indispensable ; car le travail, livré à lui-même, est presque stérile : sans capital, le travail ne produit point tous les résultats que l'homme peut en espérer.

Je continue mon raisonnement : S'il est vrai que ce caractère indispensable de l'exemption soit nécessairement exigé dans la répartition de l'impôt, n'est-il pas évident que ce n'est pas seulement une somme de 1,000 fr. qui porte ce caractère, mais un capital plus élevé ?

Permettez-moi de vous le demander, dans la vie ordinaire, à quels résultats le travail arrive-t-il à l'aide d'un capital de mille francs, tandis que les charges imprévues de la succession viennent absorber, ce modeste patrimoine ? Où conduira la somme de 1,000 fr., lorsque le fils appelé à recueillir la succession de son père, trouvera dans la mort de son père le signal de son premier établissement ? Comment supposer qu'avec 1,000 fr. il puisse établir un petit magasin, ou acheter les outils indispensables à l'industrie libre à laquelle il veut se livrer et de manière à faire rendre à son travail les fruits qu'il doit produire ? 1,000 fr., c'est trop ou trop peu.

Si ce n'est pas l'indispensabilité de la somme qui nécessite l'exemption de l'impôt, elle est trop élevée ; faites-la disparaître du projet ; elle est inutile.

Si ce caractère est la base de l'exemption, la somme ne pouvant servir à féconder le travail de celui qui la recueille, le capital que vous laissez intact est évidemment trop exigu. (Interruption.)

On me dit : Il s'agit de 10 francs. Eh, messieurs, il s'agit de bien autre chose, il s'agit d'inaugurer un nouveau système de justice dans l'impôt et le ministère libéral a la prétention de le faire.

Les cotes de 10 fr. multipliées, nous le savons, produisent de gros fleuves d'argent pour l'Etat. Adam Smith nous instruit de tout cela. Mais il n'en reste pas moins vrai que pour 10 comme pour 100 fr, pour 10 comme pour un franc, la première condition qui rende l'impôt acceptable pour une nation, c'est qu'il soit établi conformément aux règles de l'équité. Il ne s'agirait que de 50 centimes que je dirais : pour 50 c.

Il faut observer la justice comme pour 100,000 fr.

Il reste donc évident pour moi que l'exemption introduite dans la loi est trop faible.

Mais j'arrive à l'objection capitale, à la seule que M. le ministre des finances ait formulée contre les amendements qui ont pour but d'élever le chiffre de l'exemption.

Vous allez voir, messieurs, qu'il y a dans la nature même des choses, et de l'impôt bien combiné, un moyen de répondre à l'objection.

(page 1492) Voici ce que M. le ministre des finances nous a dit : « Vous pourriez, il est vrai, exempter les succession où la part de chaque héritier ne s’élève pas au-dessus de 5,000 fr., mais vous causeriez un grand préjudice à l’Etat. En effet, ce sont précisément les petites cotes de l’impôt qui, par leur multiplicité, constituent l’ensemble des ressources de l’Etat. Dès lors, continue M. le ministre des finances (et l’objection se présente avec un caractère grave pour la représentation nationale qui a pour premier devoir de pourvoir aux besoins de l’Etat), dès lors, ajoute M. le ministre des finances, vous êtes forcés de restreindre le chiffre de l'exemption, quelque démocratique qu'une exemption plus grande puisse paraître, parce que vous courez le danger d'anéantir le proluit de mon impôt. »

Je ne dissimule rien de l'objection, je la présente telle qu'elle est formulée par M. le ministre. Eh bien, messieurs, c'est une vieille conviction chez moi, et j'ai déjà eu l'honneur de la développer dms une autre enceinte, au conseil provincial du Brabant, c'est une vieille conviction chez moi que la juste et équitable répartition de l'impôt offre le moyen de parer à l'inconvénient signalé par M. le ministre des finances.

Ce moyen, très simple, n'exige pas même l'application du principe de la progression de l'impôt ; il suffit de proportionner l'impôt à l'importance de la fortune que l'héritier vient acquérir.

Ainsi, que M. le ministre des finances veuille bien y réfléchir, et nous dire un jour ce qu'il pense du système suivant :

Exempter les cotes qui s'élèvent jusqu'à 5,000 fr., puis répartir le déficit présumé que cette exemption engendrerait, le répartir sur les cotes d'impôt qui excéderaient la fortune dont le propriétaire a besoin, non seulement pour son existence, mais encore pour une existence complètement aisée ; le répartir sur ces cotes, messieurs, non sur une échelle progressive, mais d'après le principe de la proportionnalité ; déclarer que lorsque la part de chaque héritier s'élèverait à tel ou tel chiffre, l'impôt sera porté, non plus à 3/4 p. c., mais, par exemple, à 1/2 p. c. Décréter ce report à partir d'un chiffre de fortune tellement considérable qu'on ne puisse plus douter que l'héritier se trouve non seulement dans l'aisance, mais réellement dans la richesse la plus opulente.

Hier, pendant que j'étais sorti un moment de cette enceinte, M. le ministre des finances a dit, m'assure-t-on, que la tendance de l'impôt proposé était démocratique. (Interruption.)

Les haussements d'épaules sont passés de mode. Dans la position où se trouve le cabinet, il devrait s'abstenir de signes d'improbation, surtout vis-à-vis d'hommes qui lui témoignent une bienveillance qu'il ne devrait pas attendre d'eux.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous m'attribuez des opinions que je n'ai pas exprimées.

M. Roussel. - J'ai dit que j'avais été obligé de faire une absence et quoen m'a rapporté vos paroles telles que je les ai reproduites ; si l'on m'a induit en erreur, répondez-moi ; mais, je le répète, des haussements d'épaules ne conviennent pas dans un parlement, ils ne signifient rien, ou ils sont désagréables.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Et une réponse à des paroles qu'on n'a pas entendues ne signifie rien non plus.

M. Roussel. - J'ai commencé par dire que je ne les avais pas entendues. Du reste, cette interruption me fera exposer toute ma pensée à ce sujet. Je croyais que les circonstances auraient apporté quelque changement dans la manière d'être de certains ministres à l'égard des membres du parlement, mais il me semble que nous devons renoncer à tout amendement de leur part. En effet, ce qui peut contribuer pour beaucoup, d'après moi, au succès du cabinet dans les mesures démocratiques qu'il propose, c'est la manière dont il accueille les observations qu'on lui soumet.

Nous ne sommes pas ici pour subir une loi inflexible ; nous sommes ici pour délibérer et non pour subir les injonctions d'un cabinet quel qu'il soit. C'est qu'à la fin le caractère du mandataire de la nation se révolterait contre de tels procédés.

Je continue mon argumentation.

J'ai pris la liberté de demander au ministère s'il ne serait pas convenable d'étendre l'exemption stipulée à l'article 2, et, pour le cas où le ministère croirait que l'extension de cette exemption dût amener un déficit trop grand dans les revenus du trésor, s'il ne conviendrait pas de donner à la quotité de l'impôt, à partir d'un chiffre de fortune à fixer, un certain développement au moyen duquel l'impôt se proportionnerait à la fortune de l'héritier.

On dira peut-être que ce serait là l'impôt progressif. Je réponds qu'il n'y aurait qu'un impôt proportionnel établi à une certaine quotité. Je ne veux point établir une progression ; je veux seulement, lorsque la fortune arrive à un certain degré, qu'alors un droit uniforme vienne frapper ce qui excède une certaine somme, fixée par la loi et représentant, non plus l'aisance, mais la fortune, la grande fortune.

Et maintenant si la demande du ministère a pour but d'équilibrer l'impôt avec les besoins réels de la société, s'il a pour tendance de prévenir les catastrophes qui peuvent naître des convoitises, si vous voulez, d'une partie de la société vis-à vis de l'autre, ne vous proposé-je point le moven le plus considérable et le plus doux pour parvenir à ce résultat ? N'est-ce pas là combiner l'impôt de manière qu'il rende désormais impossibles les prétentions et les convoitises réciproques d'une partie de la société humaine à l'égard de l'autre.

Et me tournant vers la droite, je lui dirai : C'est le seul moyen d'enchaîner l’avenir ; c’est l’unique méthode à l’aide de laquelle on prévoit les difficultés que des temps orageux peuvent soulever ; c’est la magnifique réponse que vous aurez, au grand jour, devant la société, si jamais elle est imbue d’idées qui peut-être gagneront du terrain. Vous direz : « Quand nous étions maîtres du terrain, ce jour-là nous-mêmes nous avons proportionné l’impôt aux fortunes ; nous avons établi pour le grand, c’est-à-dire pour nous-mêmes, une proportion juste ; nous nous présentons devant vous avec ces antécédents de justice et d’impartialiyé, nous vous demandons la même équité pour nous. Le droit de propriété est sacré, mais la propriété ne refuse jamais de faire les sacrifices nécessaires pour le maintien de l’état social et pour son perfectionnement. »

Voilà un langage que les masses comprendraient, un langage qui préviendrait les révolutions, une manière d'agir qui serait hautement approuvée par tous les penseurs ; cette manière d'agir, je la conseille au parlement belge, nonobstant les haussements d'épaules des ministres.

Je propose de réduire à 5,000 fr. le chiffre présenté par M. Coomans.

- L'amendement est appuyé.

M. Dedecker. - Messieurs, si le débat actuel s'était circonscrit dans l'examen du projet d'impôt sur les successions en ligne directe, je me serais abstenu de prendre encore la parole. Mon opinion, à moi, vous est connue d'ancienne date ; l'opinion des autres membres de la chambre paraît également arrêtée, à en juger surtout par le silence que gardent les membres les plus éminents de la majorité.

Depuis deux jours ou plutôt depuis la reproduction de l'article premier, la question financière s'est compliquée d'une question politique. Je le regrette profondément. Je le regrette surtout pour la loi même. La loi sur les successions en ligne directe, vous le savez, a rencontré des antipathies que personne ne s'est dissimulées, la loi avait donc besoin de défenseurs nouveaux ; il fallait justifier, aux yeux de tous, le changement qui, d'après toutes les probabilités, va se manifester au sein du parlement belge relativement à cette loi.

Eh bien, jusqu'à présent, je n'ai pas vu dans l'attitude de la majorité quelque chose qui justifie, aux yeux du public, ce changement d'opinion. Quel sera donc le résultat du vote ? La loi, énergiquemeut repoussée par les uns, silencieusement subie par les autres, peut-elle avoir, aux yeux pays, l'autorité morale dont elle a tant besoin ?

Je crains bien que non, et c'est pour moi, qui ait été un des premiers à patronner cette loi, c'est pour moi un motif de regretter profondément qu'une question politique soit venue se mêler à cette question financière. C'est l'immixtion de la politique dans cette question, qui me force à prendre la parole aujourd'hui.

Cependant, avant de traiter la question politique, il me sera permis encore de dire quelques mots, pour justifier ma persévérance dans mes premières convictions par rapport à la loi en discussion.

D'abord, le principe du droit sur les successions en ligne directe semble déjà presque justifié aux yeux de tous. Autrefois ce principe avait pris des proportions effrayantes ; il était décidément pour tous un principe démocratique et social, dans toute la force du terme. Aujourd'hui, l'accusation de socialisme n'est plus formulée ; c'est un progrès. Bien plus, non seulement on ne soutient plus qu'il est démocratique, on soutient, au contraire, qu'il n'est pas démocratique ; quant à moi, je n'ai jamais défendu le principe de la loi que parce que ce principe m'a paru juste ; et c'est encore dans cette conviction que je le soutiens aujourd'hui. Que le principe soit démocratique et social, là n'est pas la question ; il est juste, je l'appuie.

Ce principe est des plus simples, le voici en peu de mots. De tout temps, à l'occasion de toute transmission d'une propriété, à chaque passage d'une propriété d'une tête sur une autre, l'Etat représentant la société a prélevé sur cette propriété le prix de la protection qu'il accorde à cette propriété. Ce principe n'est-il pas de toute justice ? Il reçoit aujourd'hui, sans opposition, son application aux mutations et aux successions en ligne collatérale. En votant l'article en discussion, on ne fera que se montrer conséquent, en appliquant le même principe aux successions en ligne directe.

Maintenant, quant à la quotité du droit proposé, personne n'a osé prétendre qu'il ait une portée bien effrayante.

Restait la crainte qu'on pouvait avoir de voir s'opérer une espèce d'inquisition dans les affaires de familles ; le nouveau projet fait disparaître en majeure partie cette appréhension. C'était là aussi le but de l'amendement que je proposais il y a deux ans, quand je proposais de ne soumettre au droit que les immeubles.

Ainsi, messieurs, jusqu'à présent, aucun motif sérieux ne s'oppose, d'après moi, à l'adoption de ce principe et à son application.

Cependant, si l'on ne fait plus d'objection positive contre le droit de succession en ligne directe, certaines objections reviennent encore sous des formes dissimulées. Dans la séance d'hier, mes honorables amis, MM. de Theux et Coomans ; dans la séance précédente, l'honorable M. de Liedekerke, ont indirectement reproduit les mêmes objections. « Il n'y a pas ici, dit-on, une véritable transmission de père en fils ; les enfants ne s'enrichient pas. »

Il ne s'agit pas de savoir si les enfants s'enrichissent ; il s'agit de savoir si la propriété passe d'une tête sur une autre ; or, il est impossible de nier ce fait : que la succession est un moyen d'acquisition. Sans doute, la perte des parents est toujours un grand malheur, et très souvent un malheur irréparable pour les familles.

(page 1493) Ce malheur, nous devons y compatir, mais il ne peut légitimer un pricilège en matière d’impôt, ni dispenser de l’application d'un principe de justice appliqué aux autres modes de transmission de la propriété ; alors surtout que la quotité du droit est si minime qu'il ne peut être considère comme une aggravation d e ce malheur.

L'impôt proposé renferme, ajoute-t-on, un danger pour la propriété. Mais c'est le contraire qui est vrai. Le droit de succession n'est-il pas une consécration nouvelle, une reconnaissance oflficielle du droit de propriété ? N'est il pas pour la propriété une incontestable sanction ? La loi ne crée pas la propriété, mais elle la garantit et la sanctionne. D'ailleurs, comme on l'a dit, en présence des attaques incessantes dont la propriété est l'objet, il est de son intérêt de désarmer ses adversaires, de montrer qu'elle est prête à faire aussi des sacrifices au maintien de l'ordre social auquel elle est si directement intéressée.

Et puis, le droit est minime ; on ne peut pas prétendre que la propriété doit souffrir de l'application de ce droit ; la propriété est tellement divisée en Belgique que, dans la plupart des cas, chacun n'aura à supporter qu'une part imperceptible de l'impôt ; chaque famille n'en supportera qu'une part peu importante et une seule fois par génération.

Il y a plus. On parle toujours au nom des propriétaires fonciers ; mais, on ne songe pas à cette catégorie, tout aussi intéressante,de propriétaires qui n'ont que leur travail pour toute propriété.

Cette propriété est aussi sacrée que la propriété foncière. Eh bien, avez-vous jamais réfléchi à ce que c'est que le droit de patente ? C'est un impôt sur le travail, et sur le travail éventuel. Avant de commencer à travailler l'ouvrier doit payer. C'est un droit au travail qu'il doit acheter, sans qu'il soit le moins du monde certain d'avoir du travail. Or, personne ne paraît remarquer, l'étrangeté de ce droit dont on frappe le travail, alors que, pour les six dixièmes peut-être de la population, le travail est la seule propriété.

M. Mercier. - C'est un impôt sur (erratum, p. 1532) le bénéfice présumé.

M. Dedecker. - Oui, présumé, c'est-à-dire éventuel, par conséquent, incertain.

Autre objection. Le droit de succession en ligne directe renferme un danger pour la famille. Je ne sais s'il faut rencontrer cette objection. Vous voudrez bien vous rappeler que déjà, il y a deux ans, j'ai prouvé que les adversaires de la loi méconnaissent le principe fondamental de la famille. La famille, disais-je, est une monarchie, et vous en faites une république. Les enfants, tant que les parents vivent, n'ont aucune personnalité distincte, quant à la question des biens, même quand ils ont contribué à les acquérir.

Quelques nouvelles objections se sont produites. L'honorable M. Lelièvre dit que le droit tel qu'il est proposé n'est pas même démocratique. Mais, je ne sache pas que quelqu'un ait prétendu que le droit en discussion soit un droit démocratique. Quant à moi, je le répète, je l'ai défendu uniquement dans la conviction qu'il est juste. Vous frappez, dit-il, les petites fortunes. Le projet primitif les exempte. Moi-même, quand j'ai proposé précédemment de ne frapper que les immeubles, j'ai aussi eu en vue d'exempter les plus petites fortunes, parce que la possession d'immeubles indique déjà un certain degré d'aisance.

Pour que l'impôt reste juste, il faut qu'il frappe dans une rigoureuse proportion toutes les fortunes, les petites comme les grandes.

Au lieu d'être en défaut, c'est la un avantage, selon moi.

Elle n'est pas bonne, continue l'honorable M. Lelièvre, la mesure qui, pour atteindre un riche, frappe cent pauvres. Mais c'est là le fait de tous les impôts ; ainsi, pour ne parler que des impôts de consommation, on frappe des milliers de pauvres, avant d'atteindre un riche.

C'est là l'effet de tous les impôts.

Le projet ministériel, ajoute le même orateur, renferme donc un vice fondamental, en ce qu'il met sur la même ligne les grandes et les petites fortunes, et les frappe dans une même proportion. Ce que M. Lelièvre trouve un vice, je le regarde comme un avantage. C'est là que réside le caractère de justice, de l'impôt proposé. Qu'aurait-on dit si le gouvernement avait proposé un projet dans le sens de l'amendement de M. Lelièvre ? C'est alors qu'on aurait jeté de hauts cris contre le gouvernement et ceux qui l'auraient soutenu ; c'est alors qu'on les aurait accusés d'intentions pernicieuses, qu'on les aurait accusés d'avoir, dans un but de popularité, cherché à frapper les classes les plus élevées, et on aurait eu raison.

L'honorable auteur de l'objection croit que la conséquence de ses prémisses est qu'il faut exempter les petites fortunes ; ce qui choque M. Lelièvre, c'est que toutes les grandes et petites fortunes sont frappées dans la même proportion. Mais, pour être conséquent, il devrait demander, non l'exemption pour les petites fortunes, mais l'élévation progressive du droit sur les autres. C'est l'impôt progressif qui est la conséquence rigoureuse des prémisses posées par M. Lelièvre. Que M. Lelièvre formule donc un impôt progressif d'après l'importance des successions ; nous verrons combien de membres le suivront sur ce terrain.

Un dernier argument qui serait de nature à faire impression sur mon esprit a été formulé hier par M. de Theux.

La chambre, dit cet honorable membre, se trouve devant tout un ensemble, tout un système d'impôts ; voter l'impôt en discussion c'est voter l'ensemble des impôts à proposer ultérieurement et des travaux publics qu'on veut présenter. Si telle devait être la conséquence du vote que nous allons émettre, je reculerais devant ce vote ; mais je suis convaincu que le vote que nous allons émettre n'a pas cette portée. Je fais, quant à moi. Mes réserves formelles et sur les autres impôts et sur les travaux publics.

Messieurs, je crois avoir passé rapidement en revue les objections qu’on a encore lancées contre le principe du projet de loi et son application.

Ce principe du droit est juste. La quotité du droit n'est pas compromettante. Il y a une exemption pour une certaine catégorie de petites fortunes ; et je ne dis pas que l'on ne pourrait pas aller au-delà de mille francs, par part successorale, comme base d'exemption ; je ne dis pas que je ne me rallierais pasàa un amendement qui admettrait une exemption pour des fortunes un peu plus élevées.

Messieurs, je viens ainsi justifier les opinions que j'ai déjà exprimées sur la question du droit de succession, en ligne directe. Quelle sera maintenant à l'égard de cette même question, à l'égard de ce même droit, la position d'un grand nombre de mes collègues dans cette enceinte ?

J'arrive ainsi à la qurstion politique.

Je crois avoir acquis le droit de dire mon mot dans cette question politique qui a été agitée depuis deux jours. La conduite que j'ai toujours tenue dans toutes les discussions, la conduite que je tiens encore dans la présente discussion, cette conduite me donne le droit de parler. J'ai soutenu le projet de loi il y a deux ans, alors qu'il ne rencontrait presque partout que des adversaires. A cette époque comme aujourd'hui, mon opinion n'a pas changé. J'ai combattu le serment, sans me préoccuper des conséquences que ce vote devait entraîner. Aujourd'hui que le projet de loi sur les successions en ligne directe se représente, encore une fois, sans me préoccuper des conséquences de mon vote, je voterai pour le projet de loi, et je le défends.

Eh bien ! cette position devrait, ce me semble, me donner le droit d'examiner la situation politique qui est faite à la majorité, à une partie de cette chambre. Je sais que les conseils d'un adversaire politique sont ordinairement reçus avec une certaine défiance. On nous a dit, d'ailleurs, dans une séance précédente qu'on se défiait de tous les conseils qui venaient de ces bancs.

Malgré cette défiance, en dépit de cette espèce d'incompétence dont on nous frappe, je me hasarde à examiner la situation politique, qui nous est faite par la reproduction de la loi sur le droit de succession.

N'exagerons pas : voyons cette situation de sang-froid et avec calme.

La main sur la conscience, y a-t-il un seul membre de cette chambre qui puisse soutenir, qu'après tout ce qui a eu lieu dans cette enceinte relativement au droit de succession, la majorité ne se déconsidérera pas, si aujourd'hui elle vote le droit de succession en ligne directe ? Y a-t-il un seul membre qui n'avoue, au fond de l'âme, si ce n'est du bout des lèvres, qu'il est obligé de se faire violence pour suivre le cabinet dans la voie où celui-ci entraîne aujourd'hui sa majorité ?

Y a-t-il un certain membre de la majorité et du cabinet même, qui puisse soutenir que le pouvoir ne s'est pas amoindri depuis le commencement de cette session, qu'on pourrait appeler à bon droit la session des palinodies ? Car, rappelez-vous que sur la plupart des grandes questions nous avons été témoins d'une longue série de versatilités, de changements d'opinion.

Dans la question de l'armée, des hommes qui avaient été jusque-là les fidèles soutiens de l'armée, n'ont pas craint de donner un démenti à tout leur passé.

Dans la question du serment, de la part des mêmes hommes, nouveau démenti ! D'autres ministres, arrivés récemment aux affaires, n'ont-ils pas été entraînés à modifier leurs opinions et leurs vues sur des questions importantes ?

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Citez-les.

M. Dedecker. - Les céréales, le droit de succession en ligne directe.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Citez ce que j'ai dit.

M. Dedecker. - Malgré les explications que pourra donner M. le ministre de la justice, qu'il me permette de le lui dire, il aura de la peine à expliquer ses changements d'opinion dont nous sommes témoins. Du reste, je n'apprécie pas ; je constate les faits.

N'avons-nous pas vu encore les ministres résigner deux fois le pouvoir le reprendre deux fois, multiplier les questions de cabinet, présenter un projet de loi sur les droits de succession, le retirer, le représenter de nouveau ? Mais croyez-vous que le spectacle de ces modifications d'opinion, de ces démentis personnels, de ces évolutions et de ces tiraillements ne doive pas avoir pour résultat infaillible une véritable déconsidération du pouvoir ? Et évidemment, messieurs, et je le dis en toute franchise, la position du pouvoir, de la majorité est essentiellement fausse ; et je n'en voudrais pour preuve que la précipitation que l'on met à terminer ces débats qui évidemment ne sont pas très agréables pour la plupart des membres. Je conçois qu'on ait hâte de sortir de cette position.

Ah ! je sais bien qu'on viendra me dire, par la bouche de M. Rogier : C'est une affaire à arranger entre nous.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je n'ai pas encore parlé.

M. Dedecker. - Vous l'avez dit dans une séance précédente. S'il ne s'agissait que de votre personne, que de vos opinions à vous et de vos combinaisons personnelles, on pourrait n'avoir qu'un certain intérêt det curiosité à s'en préoccuper ; mais, il y a ici un intérêt plus élevé que nous avons, nous aussi, mission de défendre : la dignite de la chambre, la, dignité du pouvoir, c'est notre intérêt tout autant que le vôtre.

La dignité du pouvoir, nous avons aussi mission de la conserver et la (page 1494) défendre Le pouvoir ne vous appartient pas, parce que, en ce moment vous le personnifiez.

Le pouvoir, cette autorité morale qui doit présider aux destinées du pays, le pouvoir a existé avant vous, il existera après vous. Le pouvoir n'est pas votre propriété ; vous en avez l'usufruit ; le pouvoir, c'est un dépôt sacré que vous devez transmettre à vos successeurs avec son prestige dans la plénitude de ses influences.

La dignité de la chambre, je soutiens qu'elle est compromise ; et, au fond de l'âme, ministres et membres de la majorité, vous devez l'avouer ! Et cela dans quel moment ? dans un moment où déjà le régime parlementaire ne tombe que trop en déconsidération dans tous les pays ; car, il n'y a rien de plus démoralisant, de plus compromettant que ces perpétuelles et publiques capitulations de conscience dans des questions importantes.

Et pourquoi serait-ce une affaire à traiter entre vous ? Et ici j'arrive à ces théories surannées, que je regrette d'avoir entendu se produire dans la bouche de l'honorable ministre des finances à la fin de son magnifique discours d'hier, à ces doctrines surannées, que je croyais usées avec les hommes qui en avaient été jusqu'ici la personnification, à ces doctrines sur la fatale nécessité des deux partis qui divisent la Belgique.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je n'ai pas dit cela.

M. Dedecker. - Toute votre péroraison n'a pas d'autre portée.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'ai parle de la nécessité des partis.

M. Dedecker. - Oui ; mais vous n'avez pas fait de la métaphysique, je suppose. Vous avez évidemment entendu appliquer ces théories à la politique intérieure de la Belgique, Et quand vous avez parlé du principe de l'autorité et du principe du libre examen, représentés par ces deux partis, la transparence de voire langage permettait-elle de douter un instant de la signification de ces considérations dans votre bouche ?

Ne tergiversons pas : vous avez toujours eu le courage de vos opinions : ayez-le encore.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je demande la parole.

M. Dedecker. - La nécessité des partis ! Pourquoi cette théorie sur la nécessité des partis ? Mettez ensemble 12 homme, 6 hommes, vous aurez deux partis ; vous aurez des opinions dissemblables. C'est de l'essence des gouvernements représentatifs d'engendrez des partis. Mais la question est de savoir si le gouvernement pour être digne, pour être libre, pour être national, ne doit pas se placer au-dessus des partis, si la politique du gouvernement ne doit pas être en dehors des partis ? Voilà ce que je crois, surtout quand les partis se divisent sur les questions qui les divisent en Belgique, c'est-à-dire sur les questions religieuses.

Ahl vous dites que la lutte existe entre deux principes : le principe de l'autorité et le principe du libre examen ! Oui, messieurs, mais est-ce en Belgique seul que cette lutte existe ? Cette lutte existe daus tous les pays, c'est la grande lutte des temps modernes ! Chez nous elle ne se manifeste que par de petites escarmouches, cette lutte qui a pour théâtre le monde entier ! Mais, nulle part, elle ne fait la base de la division des partis et c'est là le danger spécial pour la Belgique.

De quel droit, M. le ministre des finances a-t-il déclaré ces principes inconciliables ? Je sais bien lorsqu'on réfléchit aux différentes phases de la lutte entre ces deux principes, on se prend quelquefois à désespérer de leur conciliation, mais j'ai besoin d'espérer qu'ils ne sont pas inconciliables ; que la mission de ce siècle est, au contraire, de les concilier.

Le principe d'autorité qui a duré des siècles, le principe de libre examen, qui est né de la réforme religieuse, dont la révolution française n'a été que la manifestation politique, ces deux principes ont fait leur temps, comme principes absolus et exclusifs. La mission de notre siècle c'est de trouver la formule de leur conciliation et de leur harmonie.

L'autorité a besoin de la liberté, comme celle-ci a besoin, à son tour, de l'autorité. Là est la vérité ; là est l'avenir. A ce prix est le bonheur, la conservation même de la société !

Et dans quelles circonstances, messieurs, vient-on prêcher de nouveau cette croisade contre une fraction respectable et de la chambre et du pays ? Au moment même où l'on dit que désormais toute la politique du gouvernement belge doit être l'amélioration morale et matérielle des classes laborieuses de la société !

Et c'est au moment où vous inaugurez solennellement cette mission, que vous nous proscrivez ! C'est pour nous empêcher de coopérer à cette mission avec vous, que vous assemblez vos « conseils de guerre » ! C'est donc nous considérer comme des ennemis de l'amélioration du sort moral et matériel de la classe la plus nombreuse de la société, nous, qui représentons ici les doctrines de cette Eglise catholique, qui a fait, Elle, dans la suite des siècles, ses preuves de sollicitude en faveur du peuple, de cette Eglise qui a protégé les faibles, qui a émancipé les esclaves, qui a favorisé le mouvement ascendant des nations, qui seule a rendu possible cette civilisation dont nous sommes si fiers ! Comment, nous serions exclus de toute espèce de participation au pouvoir, vous nous traitez en ennemis, nous ne pourrons pas vous aider dans cette mission de dévouement ! Mais sont-ce les lumières qui nous manquent ? Sur quoi repose la prétention de votre part, de mieux comprendre cette mission que nous ? Est-ce le dévouement qui nous manque ? Mais notre politique s'effraie de l'élan que prend notre charité ! Quelle ingratitude à la fois, et quelle inconséquence ! Prétendre, d'une part, que nous ne pouvons pas vous aider dans cette mission que vous vous attribuez, et, d'autre part, de vouloir même nous empêcher de faire le bien que nous faisons. (Interruption.) Evidemment, vous y mettez des entraves.

Non, messieurs, cette politique de discorde, cette politique de haine, de rancune, je ne puis jamais l'entendre préconiser sans me sentir révolté au fond de l'âme, et c'est cette péroraison de M. le ministre des finances qui m'a forcé à prendre la parole.

Toujours, j'ai prêché la conciliation ; je la crois possible, nécessaire même. Je la crois praticable en Belgique, je la crois commandée par la constitution, conseillée par le bon sens, réclamée par les intérêts les plus chers du pays !

Elle était nécessaire déjà, alors qu'il ne s'agissait que de la solution de questions politiques, mais aujourd'hui qu'il s'agit d'améliorer le sort des classes les plus nombreuses de la société, nous réclamons notre part dans l'accomplissement de cette mission et nous protestons contre l'exclusion dont vous voulez nous frapper. Ce n'est pas au moment d'accomplir une mission d'humanité et d'amour qu'il faut parler de rancune et de haine. Ce n'est pas surtout dans l'attente des éventualités que vous rappelez si souvent qu'il faut prêcher la division !

On a parlé de trahison ; je vous le demande, ne sont-ce pas ceux-là qui excitent et fermentent la division, qui peuvent être accusés de préconiser la trahison des intérêts les plus chers du pays ?

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Parmi les adversaires politiques du cabinet, il en est peu auxquels on doive accorder plus d'estime, je dirai même plus de sympathie qu'à l'honorable orateur qui vient de se rasseoir. Bien que se déclarant l'adversaire des partis, il est homme de parti, il ne peut pas le nier, mais, à la grande différence de beaucoup de ses amis, il sait dans les circonstances faire abstraction des passions de parti, des rancunes de parti, il sait, au besoin, se détacher de ses amis politiques pour prêter son concours au gouvernement, dont il n'approuve pas, d'ailleurs, toites les doctrines politiques. C'est encore, messieurs, ce qu'il vient de faire dans cette circonstance, et nous l'en remercions.

Il vient de défendre avec une grande simplicité et en même temps avec une très grande force le principe de la loi en discussion. Nous renvoyons tous ses amis politiques, qui ont attaqué cette loi avec tant de violence, avec tant d'injustice, nous les renvoyons à la réponse si simple, si forte et si ferme, présentée par l'honorable M. Dedecker.

L'honorable M. Dedecker nous reproche d'avoir à cette occasion, réveillé et, en quelque sorte, préconisé l'existence des partis. Il nous reproche d'avoir introduit dans la discussion cet élément hétérogène et délétère qui ne devait pas y trouver place. Messieurs, je soumets à l'impartialité de l'honorable membre cette observation bien simple : ; lui-même a constaté que, de la part de ses honorables amis, toutes les objections ou presque toutes les objections contre le projet de loi avaient en quelque sorte disparu, qu'on n'attaquait plus le principe de la loi qu'avec beaucoup de mollesse, qu'on renonçait pour ainsi dire au combat, qu'on approuvait, en un mot, implicitement son principe ; et cependant que voyons-nous ? D'une part on ne combat plus la loi en principe, on est forcé de reconnaître que toutes les déclamations auxquelles on s'est livré contre le projet de loi sont aussi injustes que violentes ; d'autre part, on ne peut nier la nécessité de refaire la situation financière, question en dehors de tous les partis, question à laquelle tous les partis sont également intéressés ; et cependant que font les honorables amis de M. Dedecker ? Ils repoussent cette loi comme moyen financier et ils voteront contre la loi, alors même que leurs objections onl disparu, alors même qu'ils reconnaissent, au fond de leur conscience, la nécessité de refaire la situation financière. Je le lui demande, que font en ce moment ses honorables amis, si ce n'est de la politique de parti, de la politique dictée par des passion de parti ?

A une autre époque, messieurs, nous avons été ausssi dans les rangs de l'opposition ; des questions financières se sont présentées ; eh bien, je le rappellerai, jamais, dans aucune circonstance, nous n'avons refusé aux ministres que nous combattions, d'ailleurs, vivement sur les questions politiques, jamais nous ne leur avons refusé les moyens financiers, parce que, avant tout, quels que soient les hommes au pouvoir, il est certaines lois, certaines règles entre gens d'honneur qu'on se doit d'observer.

Il ne faut pas refuser à ses adversaires, arrivés au pouvoir, les moyens de gouverner. C'est ce que font en ce moment vos amis politiques, il ne dépend pas d'eux qu'en présence du déficit financier le gouvernement ne soit dépourvu de tout moyen d'y pourvoir.

Ainsi, messieurs, si quelqu'un fait de la politique dans cette circonstance, si quelqu'un appelle, à son aide les passions mauvaises de parti, c'est particulièrement sur les bancs où siègent les amis de l'honorable M. Dedecker, qu'il faut le chercher.

L'honorable M. Dedecker se plaint et s'afllige de l'espèce de croisade que nous aurions organisée contre son opinion ; il renouvelle cette accusation que nous aurions refusé le concours de nos adversaires politiques, même pour les améliorations matérielles qui figurent, non pas d'aujourd'hui, mais depuis longtemps, au programme libéral. Messieurs, dans toutes les mesures que nous proposons à la chambre, rien ne nous est plus agréable que de recevoir sur tous les bancs de l'adhésion de nos collègues. Nous n'avons pas la prétention de réunir l'unanimité des voix sur certaines lois, sur les lois politiques ; il est de leur essence d'être repoussées par l'opposition ; mais dans la plupart de nos lois, Dieu merci ! la politique ne joue qu'un rôle secondaire ou ne figure à aucun titre,et pour ces lois nous ne demandons pas mieux que d'obtenir le concours de tous les membres de la chambre.

Et si dans ces lois mêmes, si dans les lois les plus étrangères à la (page 1495) politique, nous rencontrons toujours la même opposition, ne sommes-nous pas en droit de dire à l'honorable M. Dedecker que les leçons qu'il nous a adressées manquaient leur but, que c'était encore à ses amis que sa voix sage, sa voix impartiale aurait dû s'adresser ?

Lorsque nous annoncions l'intention d'améliorer, soit par l'administration, soit par la législation, le sort des classes pauvres et laborieuses, comment cette intention est-elle interprétée ? Ce système ne nous vaut-il pas tous les jours l'injure dans vos journaux, ce système dans cette chambre même n'est-il pas l'objet de vos sarcasmes ?

A chaque instant ne sommes nous pas assimilés à tout ce que le socialisme moderne a produit de plus excentrique, a produit da plus extravagant, a produit de plus effrayant pour les timides ?

Et cependant ce sont bien là des questions d'où la la politique devrait être exclue.

Du reste, messieurs, nous ne sommes pas, je dois le dire, alarmés outre-mesure, nous sommes loin surtout d'être aussi désespérés que l'honorable préopinant de ce qu'il existe des partis en Belgique. Heureusement les querelles qui nous divisent ne ressemblent pas le moins du monde à la guerre civile. Nous sommes vifs, durs quelquefois les uns envers les autres mais, en définitive, je nous crois tous animé des mêmes intentions sur les questions essentielles à notre existence : tous nous voulons la nationalité, tous nous voulons la constitution, tous nous voulons, et c'est l'honneur de notre pays, le maintien de nos libertés ; nous voulons sincèrement l'amélioration progressive, matérielle et morale du sort des classes laborieuses et pauvres, tout le monde proclame ce principe, tout le monde est prêt à le pratiquer.

Eh bien, messieurs, quand les partis sont d'accord, complètement d'accord sur ces grandes questions, qu'importent les dissidences sur des questions politiques ? Ne les redoutez pas ; c'est de l'essence des gouvernements représentatifs, c'est la vie des peuples libres, et malheur à nous si nous allions nous endormir dans une paix trompeuse, courir après une fausse pacification des esprits qui serait la mort de tout gouvernement constitutionnel, de tout régime parlementaire.

Il y a, messieurs, si peu d'hostilité profonde, radicale entre nous, que l'honorable M. Dedecker, et je veux le croire de bonne foi, que l'honorable M. de Docker se préoccupe de la situation morale que la discussion actuelle fait à notre parti.

Il s'afflige de voir ses adversaires s'engager dans une route qui, suivant lui, les conduirait à la déconsidération ; il voit avec douleur les faits qui se sont passés depuis l'ouverture de la session qu'il vient de qualifier de session de palinodies ; il s'intéresse au pouvoir ; il veut, avec raison, que ce pouvoir, qui n'est la propriété de personne, soit transmis intact et respecté, par les ministres qui se retirent, à leurs successeurs.

Messieurs, c'est aussi notre opinion : nous ne voulons pas ici réveiller le passé ; nous ne dirons pas dans quel état nous a été remis le pouvoir que nous exerçons depuis quatre ans. L'honorable M. de Dedecker a soutenu à d'autres époques les ministères que nous combattions, avant tout, parce qu'à nos yeux ils contribuaient à déconsidérer le pouvoir et le parlement ; l'honorable M. Dedecker les a soutenus...

M. Dedecker. - Par esprit de conciliation.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) ; - Il les a soutenus par esprit de conciliation, je le veux bien ; mais enfin il a soutenu des cabinets qui, à nos yeux, déconsidéraient le pouvoir et le parlement. Le pays les a jugés ainsi ; aussi en a-t-il fait une éclatante justice dans les élections de 1843, dans les élections de 1845 et définitivement dans les élections de 1847.

Si le pouvoir se déconsidère, si la majorité qui est avec nous se déconsidère, bientôt le pays aura à porter son jugement, et sur le pouvoir et sur la majorité ; mais, j'ose le prédire, l'opinion qui vient d'être exprimée par l'opposition, ne sera pas ratifiée par le pays.

Nous assistons, dit-on, à des palinodies de toute sorte ; des ministres ont démenti leur passé sur deux questions, sur l'armée et sur le serment.

Au risque de fatiguer la chambre par des déclarations vingt fois répétées, je dirai que s'il est un système qui peut avoir pour conséquence d'établir l'armée sur des bases solides et inviolables, c'est celui que nous avons suivi ; que jamais, à aucune époque, je n'ai déserte mon opinion sur l'armée ; que toujours j'ai voulu ce que je veux encore pour le pays une armée forte, à l'abri de toute contestation, de toute incertitude ; et qua ce but que j'ai poursuivi à travers des déchirements pénibles, je ne le nie pas ; que ce but, nous espérons bientôt prouver que nous l'avons atteint.

En ce qui concerne le serment, croyez-vous, messieurs, que ma conscience ait eu le moins du monde à souffrir de m'être associe a la proposition faite par mon honorable ami, M. Veydt, et reproduite par mon honorable ami, M. Frère ? Mais ce n'est pas là une position de circonstance ; la palidonie, si palinodie y a, est de date ancienne.

J'étais dans l'opposition, lorsque constamment préoccupé de la situation financière et des moyens de la rétablir, j'indiquais au ministère, loin de les repousser, divers moyens fiianciers qui, à mon sens, pouvaient contribuer à mettre le trésor public dans une bonne situation ; c'est ainsi que, dès 1845, j'ai signalé le rétablissement du serment, comme un de ces moyens.

A cette époque, personne n'est venu m'accuser de renier les acte que j'avais signés, comme membre du gouvernement provisoire.

A cette époque, aussi, comme moyen financier, j'indiquais l'établissement d'un impôt sur les successions en ligne directe ; j'étais membre de l'opposition, et je le répète, toutes les mesures financières proposées par le gouvernement ont toujours été accueillies et votées par moi dans toutes les circonstances.

Je ne citerai qu'un seul fait. Un jour que les ministres qui alors pas plus qu'aujourd'hui, à ce qu'il semble, n'avaient le génie de l'impôt, étaient venus proposer, pour améliorer la situation financière, des centimes additionnels, eux seuls votèrent pour leur proposition, plus un membre de l'opposition, qui était le ministre actuel de l'intérieur.

S'il y avait des reproches à adresser, ce ne serait pas à nous en bonne justice, ce serait à ceux qui, hier encore, après avoir donné en maintes circonstances les plus éclatants exemples de changement d'opinion, ne craignaient pas de s'aventurer jusqu’à venir donner aux ministres des leçons de consistance politique.

Le pouvoir, dit-on, s'est déconsidéré dans ces derniers temps ; il a été abandonné et repris trop fréquemment.

Messieurs, je dois le reconnaître, les circonstances que nous venons de traverser n'ont pas été toutes favorables au pouvoir ; qu'un gouvernement s'amoindrisse jusqu'à certain point en de telles crises, alor surtout que ces crises se succéderaient à des époques rapprochées, nous ne le nions pas ; mais c'est précisément parce que le gouvernement s'est affaibli, que nous réclamons aujourd'hui du parlement les mesures propres à le rétablir dans son intégrité, à lui rendre cette force qu'il a en partie perdue, dont il a grand besoin pour mener à bonne fin les affaires du pays. Si la situation du pouvoir vous émeut, si vous vous affligez de bonne foi des blessures faites au pouvoir, appliquez-donc vos efforts à les fermer, ne vous joignez pas, du moins par la parole, à ceux qui l'ont tout pour élargir et les envenimer.

Quant à la dignité de la chambre, je cherche en vain en quoi les circonstances actuelles ou passées viendraient la compromettre. Pour une partie de la chambre, nous n'avons pas de crainte, nous sommes convaincus qu'elle restera intacte, inviolable dans ce qu'elle appellera sa dignité. A part quelques hommes qui, comme l'honorable M. Dedecker, auront la force de mettre les questions d'intérêt général, de gouvernement, au-dessus des questions de parti, nous sommes convaincus que l'opposition va se maintenir dans sa dignité en refusant tous les moyens de mettre la situation financière en bon état. Sous ce rapport nous n'avons, nous, aucune crainte de la voir porter atteinte à sa dignité, à sa considération.

C'est donc de ce côté, du côté de nos amis que la déconsidération serait à craindre. Et pourquoi ? Parce qu'à l'exemple de ce qu'ont fait d'abord les ministres, quelques-uns d'entre eux, non pas tous, viendraient dans l'intérêt même du pouvoir, à faire le sacrifice, non pas d'un système entier, non pas de toute une vie parlementaire,. mais le sacrifice d'une opinion spéciale, je ne devrais même pas dire d'une opinion, mais d'une répugnance qui de jour en jour a été s'affaiblissant, à tel point que nos adversaires eux-mêmes, par la bouche de l'honorable M. Dedecker, ont déclaré que cette loi, si vivement combattue dans le principe, ne peut plus être un texte sérieux de récriminations.

Si nos adversaires sont arrivés jusque-là, poussés par la force de la vérité, et un peu par la force de l'opinion publique, d'accepter silencieusement une loi qui leur faisait jeter les hauts cris, la dignité du parlement n'aura nullement souffert, si l'hésitation qui s'est manifestée chez nos amis politiques vient à cesser également ; si, sur cette simple question, nous parvenons à nous remettre d'accord et à retrouver compacte et forte cette majorité qui, nous en sommes reconnaissants, nous a soutenus depuis quatre années.

Où la considération du parlement aurait à souffrir, ce serait dans ce spectacle qu'on se plaisait à contempler avec une jubilation qui n'aura pas eu une longue durée ; ce serait dans ce tiraillement intérieur, ce désaccord qui éclaterait entre nous. Voilà ce qui ferait courir des risques à la considération de la majorité. Voilà ce qui devrait faire tomber de chute en chute notre parti et le mener à sa ruine. Voilà ce que tous les hommes sages de notre parti ont voulu éviter. Le but que nous poursuivons, c'est de reconstituer la majorité, les bonnes relations de ses membres ; la dignité des uns et des autres n'a pas à souffrir à ces tentatives loyales. Suivez, au contraire, les conseils qu'on vous donne, continuez ces tiraillements qui ont fait la joie de nos adversaires, vous ne tarderez pas à voir tomber votre parti dans la confusion et l'anarchie.

Voyez l'exemple déplorable donné ailleurs par la division des hommes, appartenant au même parti. Je vous demanie si notre petit parlement composé de 108 membres, divisé en deux grands partis tranchés, ne donne pas à l'Europe un exemple plus honorable, plus digne d'être suivi, que tel autre parlement où chaque jour nous voyons des divisions telles qu'on n'y trouve pas vingt hommes capables de se mettre d'accord sur une seule question !

Pour conserver la considération du parlement et du gouvernement, qui est une émanation du parlement, il faut conserver le bon accord entre eux, éviter les dissentiments, les tiraillements, savoir sacrifier une répugnance personnelle, une opinion individuelle aux grands intérêts de parti, aux grands intérêts parlementaires. Voila comme doivent raisonner les hommes sérieux qui veulent, en gardant leur dignité personnelle, maintenir aussi l'ensemble de leur parti dans toute sa force et dans toute sa dignité.

(page 1496) Loin de nous la pensée de faire violence à la conscience de personne. Il est certains scrupules que nous ne voulons pas combattre ; mais ces scrupules, nous l'espérons encore, disparaîtront devant la grande importance du résultat à atteindre. Et qu'on en soit bien assuré, lorsque le pays qui, en définitive, est notre juge à tous, lorsque le pays aura à décider si un député de l'opinion libérale a bien ou mal fait, dans la circonstance donnée, de sacrifier son opinion individuelle sur un point exceptionnel, de la sacrifier au grand intérêt libéral, qui peut douter que le pays ne donne raison, vingt fois raison à ce membre du parlement et ne le préfère à celui qui, sous prétexte, sous apparence d'opinion libérale avancée, démocratique, aura cherché à entraver le gouvernement, aura cherché à démolir en détail une loi qu'il déclare approuver en principe ?

A cet appui équivoque, je n'hésite pas à le dire, je préférerais l'opposition d'un adversaire décidé, résolu. Et quant à ceux qui, de bonne foi, auront su vaincre leurs scrupules un dissentiment passager, pour maintenir intacts le pouvoir et la majorité, en disant que ceux qui tiennent cette conduite seront de beaucoup préférés à ceux qui tiennent la conduite contraire, je ne ferais que devancer le jugement du pays électoral.

Messieurs, nous avons été ramenés à la discussion politique ; il était difficile, en effet, après les événements qui viennent de se passer, d'écarter entièrement cette discussion de nos débats. Je finirai par où j'ai commencé ; je finirai, en remerciant l'honorable M. Dedecker, d'avoir su, dans cette discussion, agir en homme gouvernemental et accorder à un ministère qui n'a pas sa confiance politique, les mesures dont il a besoin pour rétablir la situation financière et pour gouverner le pays. C'est là un bel exemple qu'il a donné ; et si j'avais un vœu à former ce serait que cet exemple fût suivi. Mais quel que soit mon désir de voir la conciliation s'établir dans cette discussion, je désespère fort, je dois le dire, de voir cet exemple rencontrer beaucoup d'imitateurs.

M. de La Coste. - Lorsqu'on fait appel à notre honneur et à notre conscience, a-t-on donc oublié que, naguère encore, cet impôt qu'on veut nous faire adopter, était repoussé par l'honneur et la conscience de la grande majorité de cette assemblée, comme il l'est encore par le profond sentiment du pays ?

Mais, nous refusons au gouvernement les moyens de faire face aux dépenses de l'Etat ! Non, messieurs, et, d'abord qui vous dit que nous aurions refusé tous les impôts ? mais nous refusons de vous suivre dans une voie périlleuse ; nous refusons de nous engager dans des dépenses qui nous sont encore inconnues, qui tromperont peut-être bien des espérances et compromettront bien gravement pout-ètre cette situation financière que vous prétendez rétablir.

M. le minisire de l'intérieur nous dit que, par les élections de 1847, une partie de cette chambre a été irrévocablement condamnée. Mais, ne devrait-il pas aussi tenir compte des élections de 1850 ? N'est-ce point pour donner successivement des avertissements au pouvoir ; n'est-ce point pour éviter ainsi des secousses ; n'est-ce point pour faire pénétrer par degrés dans cette assemblée l'esprit de la nation avec toutes les modifications qu'il subit, qu'on a multiplié les élections, que l'on a préféré des renouvellements partiels à un renouvellement intégral ?

D'ailleurs, M. le ministre de l'intérieur, en prétendant que le pays aurait ainsi condamné irrévocablement une opinion, ne fait-il pas la critique, ne démontre-t-il pas la chimère du système de son collègue des finances ? En effet, ce système de partis qu'on exagère au point de le conduire à l'absurde, et d'en faire un danger flagrant pour le pays, ce système ne peut fonctionner qu'avec une certaine élasticité des institutions, avec un certain équilibre, qui laisse à chaque grand parti quelque chance d'arriver à son tour au pouvoir.

Alors, messieurs, celui qui en est éloigné exerce sur celui qui en est revêtu un contrôle, une surveillance utile. Mais, si dans un pays, une opinion, une grande opinion, une opinion qui a des racines protondes, se trouvât définitivement exclue, je dis qu'alors ce pays ne serait point dans un état normal ; que son état appellerait un remède et que ce remède ou ce qui paraîtra tel sera peut-être un danger.

On nous accuse, messieurs, de n'avoir repoussé l'impôt proposé que par une sorte d'entêtement, pour le seul plaisir de contrarier M. le ministre de l'intérieur et ses collègues.

Nous défendons notre opinion timidement ; mais suppose-t-on à cette assemblée si peu de mémoire ? Sans parler des discours que vous avez entendus, a-t-on donc oublié ce qui s'est passé ? Pour assoupir le sentiment national, pour émousser, pour fatiguer votre répugnance, on a différé la discussion, de mois en mois, d'année en année. Quand la loi a été remise à l'ordre du jour, on ne pouvait s'entendre sur cette proposition, car elle a été retirée. Puis quand elle a été reproduite, tout était convenu, arrêté et nos observations n'étaient plus qu'une protestation qui n'a pas fait défaut.

Eh ! voilà le résultat de ce système de M. le ministre des finances qui, on allait le dire, n'est ni américain, ni anglais, ni belge ; de ce système que j'appellerai le système militaire. Nous sommes deux armées en présence. Tout est décidé en conseil de guerre ; la délibération n'est qu'une révolution et le vote une consigne. Messieurs, je dois le dire, dans cette question, je suis, nan pas indifférent, mais parfaitement désintéressé ; eh bien, vous allez, non plus plartager la délibération avec les journaux ; mais vous allez la leur laisser à eux seuls. La délibération n’ayant plus aucun influente sur le résultat, ne sera plus qu'un vain cliquetis de paroles. L'éloquence parlementaire ; nous avons une éloquence propre à notre pays ; l'éloquence parlementaire n'existera plus, car lorsqu'on n'a pas l'espoir de persuader, la parole n'a plus de ressort ni de force. La vie en un mot, se retirera du parlement.

Messieurs, puisque j’ai parlé de ce système, j'engagerai fort les honorables membres qui souvent ont invoqué à cet égard l'exemple des pays étrangers, à examiner ce qui se passe ailleurs, à l'examiner non seulement dans l'histoire, mais tout simplement dans les journaux. En Angleterre, il n’est point vrai qu’il y ait une ligne infranchissable entre les deux partis ; il y a toujours eu quelque parti intermédiaire. Il n’est pas besoin, pour le prouver, de faire de l'érudition, tout le monde a présent à la mémoire le parti Canning et le parti Peel ; il y a toujours eu en Angleterre ou un parti intermédiaire ou de brillantes individualités entraînant avec eux un grand nombre de membres.

C'est ainsi que le parlement se modifie, se transforme, répond à tous les besoins du temps, même sans subir de changement profond dans sa composition. C'est ce qui fait l'élasticité des institutions de l'Angleterre, c'est ce qui les a conservées, c'est qui l'a faite si grande.

L'amendement le plus sage viendrait de ces bancs, vous le repousseriez par cela seul ? ce n'est pas ainsi qu'on agit en Angleterre ; car l'amendement le plus important d'un des actes les plus célèbres de ces temps modernes, je ne me rappelle plus si c'est l'acte de réforme ou le bill sur les céréales, eh bien, l'une des clauses les plus importantes de l'un de ces bills est due à l'un des chefs du parri contraire, qui était, si je ne me trompe, le marquis de Chandos.

En Amérique, que s'est-il passé tout récemment ? Il s'agissait, non pas d'une question aussi favorable que celle que nous défendons, mais de la plus triste question qui divise ce pays, de la question de l'esclavage ; eh bien, on s'est rapproché, on s'est entendu, non pas en « conseil de guerre », non pas au sein d'un parti, mais au sein de la nation, au sein du congrès national.

Mais ici, savez-vous où vous arriverez ? Vous arriverez à anéantir le parlement, vous n'aurez plus qu'une représentation de parti.

Récemment encore, messieurs, n'avez-vous pas vu le premier ministre anglais abandonner deux des clauses les plus efficaces du bill sur les titres ecclésiastiques et cela en faveur de qui ?

En faveur des catholiques, qui forment en Angleterre une petite minorité, surtout dans le parlement.

Et L’income-tax, ne l’a-t-on pas borné à un petit temps fort court, n’en a-t-on pas fait une mesure purement transitoire ? Vous, au contraire, vous voulez nous imposer une mesure perpétuele, vous voulez détruire à tout jamais une exception, une franchise, qui a été concédée il y a 36 ans, qui est passée dans vos mœurs, qui forme en quelque sorte le droit de naissance du citoyen belge.

Messieurs, toutes les questions qu'on a soulevées, rien que dans la séance d'aujourd'hui, sont immenses ; elles exigeraient chacune non pas une séance, mais plusieurs séances. Cela touche au fond de tout le système financier. Je n'ai ni le talent ni la prétention de parcourir toute cette sphère ; mais, messieurs, on ne peut pas, à présent que la discussion s'est ranimée, après avoir, pendant quelques jours, semblé tout à fait assoupie, de telle sorte que nous faisions un dialogue à nous tous seuls, on ne peut pas laisser sans réponse les observations qui viennent d'être présentées.

On nous dit (et c'est l'honorable M. Dedecker qui renouvelle cet argument), que la propriété foncière doit payer quelque chose pour prix de la garantie dont elle est revêtue.

Miis, messieurs, est-ce qu'elle ne paye pas ? Y a-t-il, par exemple, une charge plus onéreuse, plus absurde, peut-on dire, que le droit de mutation ? Je n'en propose pas l'abolition, elle aurait peu de chances, mais c'est un droit qui nuit au placement le plus naturel des capitaux, placement qui est toujours le plus avantageux pour la richesse publique. Ainsi cette protection est chèrement payée, et vous voulez la faire payer de nouveau. Mais si vous entrez dans cette voie, après l'avoir payée une fois de plus, il faudra bientôt la payer encore ; car, ainsi que l'a dit M. le ministre des finances, cet impôt n'est pas rapporte par tout à la fois, et rien n'est plus commode que de faire payer les autres.

Il y a, messieurs, des impôts qui ont un heureux caractère : c'est qu'ils n'apportent aucune entrave a la liberté, qu'ils sont entièrement volontaire ; on les paie pour jouir d'un certain avantage. Ceux-là sont très insensibles. D'autres sont encore insensibles sous un autre rapport, c'est que celui qui les paye ne fait qu'une avance : l'impôt lui est rembourse par le consommateur, qui s'en aperçoit quelquefois si p e que, s'il arrive que l'impôt soit supprimé, comme cela a eu lieu pour les droits d'entrée sur le bétail, le prix des denrées ne baisse pas d'un centime.

Messieurs, nous repoussons cet impôt-ci, parce qu'il n'a aucun de ces caractères, parce qu'il frappe celui qoi doit le payer dans un moment douloureux, et ici je n'abuserai pas d'une parole prononcée hier par M. le ministre des finances, je suis persuadé que cette parole lui est échappée dans la chaleur de l'improvisation et qu'elle est démentie, non seulement par son coeur, mais aussi par son esprit ; je dirai seulement que cette parole est la plus sanglante critique que l'on puisse faire du projet de loi.

Non, messieurs, quand une famille est dans la désolation pour avoir perdu son chef, certes, personne ne viendra lui dire : « je voudrais être à votre place !... » On ne le dira dans aucun cas : mais on le dira encore (page 1497) bien moins quand celui qui vient de mourir est un artisan, un artiste, unmodeste fonctionnaire, à la mort duquel toute l'aisance de la famille vient souvent à disparaître.

Et, messieurs, ces classes d'hommes, que font-elles presque toujours de leurs premières économies, dans nos grandes villes principalement ? C'est d'acheter une maison.

Eh bien, quand ils meurent, l'aisance de la famille disparaît ; la maison est tout ce qui reste ; vous voulez la frapper ! Eh bien, c'est ce que nous ne voulons pas.

Vos sympathies pour les classes ouvrières doivent-elles donc s'arrêter lorsque l'ouvrier a été assez laborieux pour acquérir quelques petites économies ? C'est la récompense de son travail, l'aiguillon de son travail.

Messieurs, respectons le travail dans ses résultats.

Nous repoussons l'insinuation que semblaient cacher les paroles de M. le ministre des finances, je dis que nous partageons ses sympathies pour les classes ouvrières, mais nous les prouvons mieux et nous les étendons aux ouvriers des campagnes.

Nous ne voulons pas que l'ouvrier des campagnes, qui ne lit pas nos discours, qui ne lit pas les journaux, qui ne fait pas de barricades, nous ne voulons pas que lorsqu'il vient à mourir, laissant peut-être un fils orphelin, la cabane, le coin de terre, condition de son existence, payent au fisc une demi, peut-être une année de revenu.

On a parlé de socialisme ; je ne m'effraye pas d'un mot. Toutes les fois qu'il a surgi une de ces doctrines nouvelles, qu'il a paru un de ces livres qui promettent la solution des grands problèmes qui ont été posés de tout temps, mais qui de nos jours occupent si vivement l'attention, j'ai étudie ces doctrines ; j'ai lu ces livres, non pas avec terreur, non pas avec haine, mais sinon avec l'espoir, au moins avec le désir, d'y trouver quelques lumières sur ces difficiles questions Qu'ai-je vu ? Qu'on veut substituer des moyens bien moins actifs, bien moins féconds, bien moins compatibles avec la liberté, au jeu simple et naturel de ce merveilleux ressort, de l'action de cet instrument ancien, il est vrai, mais qui a produit l'immense développement de richesse qui forme la dotation de tous ; en un mot, de l'organisation de la propriété, telle qu'elle existe dans les Etats les plus civilisés ; et voilà pourquoi je vois, je le répète, non pas avec une horreur qui repousse l'examen, mais avec défiance, toutes les expériences qui risquent de porter une atteinte à ce merveilleux instrument, à cet admirable et fécond ressort ; et voilà un des motifs qui m'engagent à repousser le projet en discussion ; c'est le moment où l'on nous l'impose, c'est cette coïncidence malheureux avec l'explosion de doctrines qui ont ébranlé le monde et qui excitent encore tant d'alarmes...

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Le projet est présenté depuis 1847.

M. de La Coste. - Messieurs, comme je vous ai dit néanmoins, que je ne vois pas avec une horreur préconçue, si je puis m'exprimer ainsi, des doctrines quelconques qui cherchent le bien-être de l'humanité, pourvu qu'elles soient sincères et paisibles, je n'ai pas besoin de dire que je vois plutôt avec sympathie les propositions de quelques membres qui voudraient, en atteignant le superflu de la richesse, ajouter à la prospérité dts classes inférieures ; mais je vois dans l'application de ces propositions de grandes et peut-êlre insurmontables difficultés ; et même si ces difficultés pouvaient être surmontées, je doute fort qu'on approchât du but. Il est inutile d'énumerer ces difficultés. Qu'est-ce que le superflu ? qu'est-ce que la richesse ? qu'est-ce l'aisance ?

Où commencent, où finissent toutes ces choses ? Faudra-t-il entrer dans la situation de chacun, compter le nombre d'enfants et petits enfants, avoir égard à la santé, à la force, à l'intelligence, aux chances de l'avenir ? Toul cela offre un problème très difficile à résoudre.

Mais encore, j'ai assez vu les choses pour remarquer que sur toutes ces questions les systèmes des penseurs de cabinet différent souvent considérablement avec les impressions du peuple laissé à lui-même, avec l'opinion du peuple, quand on ne l'excite, quand on ne l'échauffé pas par des trompeuses espérances.

J'en citerai un exemple ; l'impôt personnel du gouvernement des Pays-Bas était en lui-même une très bonne mesure, parce qu'il remplaçait un impôt réparti de la manière la plus injuste ; mais c'était un impôt somptuaire. Eh bien, cet impôt a causé des mécontentements qui n'étaient pas, je crois, parfaitement justifiés ; des classes supérieures, ces mécontentements se sont étendus aux classes inférieures ; et le peuple s'est ému d'un impôt qui atteignait surtout la richesse et l'aisance.

Permettez-moi, messieurs, de quitter cette question et de revenir, en finissant, au système politique que préconisait M. le ministre des finances ; j'ai dit qu'il n'était ni anglais, ni américain, ni belge.

J'ai déjà montré que dans son esprit, comme dans son application, il différait essentiellement de ce qui se pratique ailleurs. Quant à ce qui concerne la Belgique, ce serait à M. le ministre de l'intérieur, plutôt qu'à moi à rappeler à son collègue, que c'est par un système tout contraire que la Belgique s'est fondée, que la Belgique s'est conservée, qu'elle existe encore.

Nos institutions ont été fondées par quelques-uns d'entre vous ; du moins, ils y ont eu leur part ; mais elles sont le patrimoine, le droit de tous ; tous les réclament et veulent les conserver.

Ainsi donc pourquoi nous nous diviser en partisans de l'autorité, en partisans du libre examen ; mais ce sont là des questions théologiques, des questions philosophiques, sans aucune application à notre situation. Dans notre fort intérieur, intime, à un point de vue religieux, nous pouvons admettre le principe de l'autorité ; et même nous savons bien que nous vivons à une époque d'examen et de lutte, lutte non pas matérielle, mais d'intelligence.

C'est par l'examen, c'est par le raisonnement, c'est par la parole, par la science, par l'histoire ramenée à la vérité, à la pureté ; du moins, c'est avec leur concours que nous sommes fiers de voir l'édifice de notre foi se relever majestueusement ; et en politique, ce sont les principes de notre Constitution, ce sont les libertés consacrées par elle, que nous invoquons et que nous avons peut-être plus d'intérêt que personne à maintenir.

M. Boulez. - Messieurs, je crois devoir motiver brièvement le vote que j'émettrai sur la loi qui se discute en ce moment.

Voici les raisons principales qui ont fixé mes convictions.

D'abord, je ne puis admettre qu'il soit juste, humain et libéral d'aggraver la position malheureuse des familles dont la mort a frappé le chef. Souvent il se trouve dans ces familles des enfants en bas âge, dont l'éducation est à faire ou du moins inachevée. Le fisc viendra enlever une partie des ressources destinées à cet objet important. Il prélèvera à son profit une portion plus ou moins grande de ce pain moral de l'enseignement qui fait la force et l'honneur des familles. C'est la mouture de l'ancien régime, dans un autre ordre de faits, avec aggravation de circonstances odieuses.

Souvent encore la mère de famille, devenue veuve, se trouve hors d'état de continuer les affaires du mari décédé ; de là une diminution de ressources, un notable amoindrissement de la fortune domestique, et pourtant l'homme de l'impôt se présentera alors pour avoir sa part dans le plus modeste héritage ; et, complice de la mort, il achèvera l'œuvre de ruine ou de déchéance commencée par celle-ci.

C'est pis que le droit de mainmorte des temps anciens, en prenant ce mot dans son acception primitive, et toute barbare.

Et puis, messieurs, pour asseoir le droit à payer, il faut un inventaire, une déclaration, des formalités de tout genre, les héritiers seront obligés de recourir aux notaires et aux hommes de loi ; il résultera des charges, qui élèveront l'impôt de succession à 3 ou 4 p. c. Soyez bien certains, MM. les ministres, que votre loi déplorable, si elle est votée par la législature, ajoutera au deuil de toutes les familles, et qu'elle rendra leurs larmes plus amères.

Veuillez-y penser : les malédictions d'une légitime douleur sont le plus souvent fatales aux noms les plus fiers et à la mémoire de ceux qui les portent.

Entre autres caractères d'injustice le projet porte évidemment celui de spoliation. En effet, dans beaucoup de familles, et particulièrement dans celles de l'industrie agricole une partie de la fortune commune a été acquise par le travail des enfants eux-mêmes. L'impôt les dépouillera donc des fruits de leur labeur, et par conséquent de leur propre fortune. Ce ne sera plus alors un impôt de succession, mais une capitalion odieuse, et une sorte d'amende, en expiation d'un grand crime, d'avoir fécondé à la sueur du front et à grands efforts de bras, l'héritage paternel. Est-ce là, messieurs, encourager le travail agricole ? Est-ce là respecter le droit de propriété et l'esprit de famille ? Non, mille fois non.

Mais voici un autre point de vue, qui peut-être n'a pas également frappé tous les esprits.

Il arrive assez souvent que les héritiers de petites fortunes, sont obligés de vendre leurs propriétés immobilières, afin de pouvoir partager équitablement la succession. Alors, ils payent à l'Etat des droits de mutation et de transcription assez élevés, qui diminuent la part de chacun. C'est un impôt encore lourd, mais qui est pour ainsi dire, du droit commun, et consacré par l'usage. Il n'offre pas un caractère évident d'injustice. Que va faire votre loi ? Elle ajoutera à cet impôt un autre impôt, celui de succession ; on payera deux fois, d'abord comme héritier, puis comme vendeur ou acquéreur. A mon sens, cette double charge est une flagrante injustice.

On veut, j'ai lieu de le croire, atteindre les grandes fortunes, mais ignore-t-on que ce ne sont pas ordinairement les grandes propriétés, mais les petits héritages qui se vendent après décès, pour faciliter les partages ? Votre loi attaque donc surtout et directement la petite propriété ; c'est là qu'elle fera de nombreuses victimes. La loi est d'autant plus injuste, que les héritiers qui ont leur fortune en portefeuille échappent au droit.

Enfin, messieurs, veuillez remarquer que le système de cette loi va donner au fisc le droit de contrôler toutes les fortunes, de pénétrer dans les secrets de toutes les familles, car on ne sera pas sobre d'expertises lorsque l'on l'on voudra douter de l'exactitude du chiffre donnant droit à l'exemption ; et que de vexations possibles de la part des agents du fisc ! Quelles révélations odieuses pour l'honneur et le repos des familles !

Je ne puis admettre qu'il y ait dans cette enceinte un seul père de famille que ces prévisions ne révoltent d'ailleurs. Nous avons tous l'honneur d'être Belge, et les inquisitions fiscales ne sauraient trouver grâce à nos yeux. Rejetons la loi, messieurs, telle qu'elle est présentée.

Toutefois comme l'issue du débat paraît encore incertaine, je crois devoir déposer un amendement destiné du moins à faire disparaître l'un des caractères d'injustice que j'ai signalés.

M. Delehaye. - Voici l'amendement présenté par M. Boulez :

« Lorsque les héritiers en ligne directe seront forcés de vendre leurs (page 1498) propriétés immobilières de la succession pour en faciliter le partage entre eux, ces propriétés seront exemples du droit établi.

« Néanmoins, si l'un des héritiers achète une partie de la totalité de ces propriétés, il sera obligé de payer le droit de succession pour sa part. »

- L'amendement est appuyé.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Au point où en est arrivée la discussion, en présence de l’impatience de la chambre… (interruption) Je répète qu’en présence de l’impatience de la chambre, car hier déjà la majorité demandait la clôture ; ce n’est qu’à la demande de la minorité qu'elle n'a pas été prononcée ; ce n'est que parce que vous prétendiez que la discussion n'était pas libre, qu'elle était étouffée, qu'elle continue encore en ce moment. J'ai donc la droit de dire qu'en présence de l'impatience de la chambre, je me bornerai à répondre aux attaques personnelles qui ont été dirigées contre moi par M. de Liedekerke, dans la séance d'avant-hier, et par M. Dedecker, dans la séance d'aujourd'hui.

L'honorable M. Dedecker et l'honorable comte de Liedtkerke me reprochaient d'avoir abandonné mes opinions sur deux points : sur la loi des céréales et sur la loi en ce moment en discussion.

Je demanderai à ces honorables membres s'ils savent bien ce qui s'est passé lors de la discussion de la loi sur les céréales ; et, s'ils se le rappellent, je leur demanderai comment ils peuvent m'accuser d'avoir changé d'opinion sur cette question.

Deux fois cette question a été portée devant la chambre depuis que j'ai l'honneur d'y siéger. La première fois, je demandai un droit de 1 fr. par 100 kil. et une loi définitive. Voilà ce que je demandai au sein de la première section dont je fus nommé rapporteur. A la section centrale, j'ai refusé d'être rapporteur de la loi, parce qu'on n'a pas voulu admetlre le droit d'un franc et une loi définitive. Je dirai tantôt pourquoi je voulais une loi définitive.

Je constate donc et j'appelle sur ce point l'attention de la chambre que vous avez aujourd'hui le droit d'un franc et une loi définitive, ce que j'avais demandé dans la session de 1848 à 1849. Est-il quelqu'un de vous qui veuille contester ce fait ? Où est donc cette grave déviation de mes opinions. Vous avez une loi que le premier j'ai demandée ; l'année suivante, en présence d'une baisse considérable je désirai avoir un droit d'un franc 50 centimes, le gouvernement proposait un droit de 50 c. La chambre pris un terme moyen et a voté le droit d'un franc, et après cela j'ai voté pour que la loi fût définitive.

M. Coomans. - Et le droit de 1 fr. 50 c.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Veuillez me permettre, je connais ce que j'ai fait mieux que personne.

On a commencé par mettre aux voix le droit de 1 fr. 50, il a été rejeté ; on a mis ensuite aux voix le droit de 1 fr., il a été adopté. Et puis on a demandé si la loi serait définitive ou temporaire : j'ai voté pour une loi définitive. Après cela, où commencerait de ma part la contradiction ? Elle commencerait quand, après avoir voté pour qu'une loi soit définitive, je demanderais de remettre en question ce que je voulais qui fut irrévocablement jugé.

Pourquoi ai-je voulu une loi définitive ? parce qu'il n'est pas de question qui soulève à un aussi haut degré les passions politiques les plus dangereuses à notre époque, parce que rien n'est plus funeste pour la propriété que la discussion périodique de questions qui mettent en présence les classes qui possèdent et celles qui ne possèdent pas, et je préférerais que les céréales ne fussent pas frappées d'un liard de droit à l'entrée plutôt que de voir cette question ramenée annuellement devant les chambres.

Voilà donc, messieurs, comment j'ai changé d'opinion sur la question des céréales.

J'arrive à la question du droit de succession. Si je siégeais encore sur ces bancs exclusivement comme membre de la chambre, je vous renverrais pour toute réponse à ce que je suppose avoir été une déclaration consignée dans le rapport de l'honorable comte Le Hon, et que je suppose être celle de mes honorables collègues et amis Liefmans et d'Hont. Comme eux je pourrais vous dire que dans l'intérêt de notre opinion, dans un but de conciliation, j'ai fait taire des répugnances et que je ne m'en suis pas du tout amoindri.

Je vous demandeiai à vous, mon opinion n'ayant jamais été exprimée ni dans cette chambre, ni dans des écrits émanés de moi, si vous avez bien le droit de la porter à la tribune, s'il est conforme aux convenances parlementaires de parler à la tribune une opinion qui ne se trouve consignée nulle part, que vous ne connaissez que par des conversations particulières, par des conversations de couloir ; je ne sais pas jusqu'à quel point, cela n'est pas de nature à compromettre les relations de député à député que de saisir la chambre, permettez-moi l'expression, d'une opinion exprimée dans des relations privées ; c'est ce que je laisse à l'appréciation de chacun de nos honorables collègues.

Comme ministre, je me crois tenu à plus d'explications. Mais avant de vous les donner, permettez-moi de vous demander à vous qui nous attaquez, si vous n'avez jamais trouvé la définition d'un ministère mixte. (Interruption.)

Pour vous, M. de Liedekerke, soit ; mais M. Dedecker a souvent appuyé des ministères mixtes. A vous en croire ce sont des ministères de conciliation, une réunion d'homme qui font de la conciliation sur tous ces grands principes que nous regardons comme les moins conciliables ; les ministères, vous les avez soutenus, vous les avez trouvés excellents, vous avez prétendu que le pays ne pouvait être sauvé que par eux.

Mais comment se fait-il donc que quand, dans une opinion on n'est divisé que sur un point secondaire, et que, du reste, on est d'accord sur les grands principes, qu'on n'est séparé que par des répugnances, si alors ces membres de cette même opinion transigent entre eux, ils manquent à leur dignité.

Comment se fait-il que dans ce cas la majorité est affaiblie, avilie, et que le parlement se perd dans l'opinion publique. Admirable logique que la vôtre !

Des catholiques et des libéraux peuvent faire de la conciliation entre eux ; ils peuvent se sacrifier réciproquement leurs principes, leurs idées, leurs opinions, cela fortifie le pouvoir, cela élève le parlement et devient pour le pays un ancre de salut ; mais quand les libéraux entre eux d'accord sur les grands principes se cèdent mutuellement sur des points d'une importance secondaire, le pouvoir est atteint dans sa dignité, le parlement est avili et le pays en est vivement atteint. Permettez-moi de vous dire que si quelque chose a pu nuire à la considération du pouvoir et de la majorité qui le soutenait, c'est bien plutôt la politique mixte que l'accord que les membres d'un même parti maintiennent entre eux.

Vous devriez bien me dire comment vous admettez, qu'avec dignité, trois catholiques et trois libéraux peuvent se réunir pour constituer un cabinet et faire les affaires de l'Etat, si vous prétendez d'une autre côté, que les membres d'une majorité libérale ne puissent jamais se faire entre eux la moindre concession.

M. Dedecker. - Vous avez l’air d’en avoir peur.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - De quoi ai-je peur ?

M. Dedecker. - Des ministères mixtes.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Non, je vous déclare que je n'en ai jamais eu peur.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - On n'a pas peur des morts.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, j'en arrive maintenant à l'impôt sur les successions, dont je n'ai pas été partisan dans le temps et dont, je vous le déclare, je ne suis pas devenu un amant passionné.

M. de Liedekerke. - Vous avez fait un mariage de raison alors.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - C'est très possible ; je dirai même que c'est vrai.

Je commence par constater un fait : c'est qu'une des premières fois que j’ai prisla parole dans cette chambre, à l’occasion du budget de la guerre, je demandais d’un côté que tout ce qui a rapport à notre état militaire fût examiné, que l’on y introduisît toutes les économies possibles, compatibles avec la sécurité du pays, avec la force de notre armée ; et je demandais en même temps que l'on rétablît la situation financière.

Je constate d'abord ce point ; c'était là pour moi une grande préoccupation ; je voulais que la Belgique pût attendre les événements, avec une situation financière meilleure que celle qui existait et que les cabinets précédents avaient léguée au ministère libéral.

Voilà donc quel était à cette époque mon but, c'était de refaire la situation financière.

Un des moyens présentés par le cabinet était la loi sur les successions.

Je n'étais pas partisan d'un droit sur les successions en ligne directe et j'avais pour cela deux raisons : la première, c'est que je craignais les investigations du fisc dans les familles ; c'était là ma principale raison, et si je voulais en appeler à cet égard à des conversationa particulières, ce que je pourrais d'autant mieux faire, qu'ainsi que je le disais tantôt, ce n'est que cette manière que mon opinion est connue ; il n'est pas un de mes amis qui ne serait prêt à l'attester, ma principale objection était donc que le fisc devrait intervenir dans les familles, qu'il y avait des personnes qui seraient forcées ou de faire connaître une position, ce qui pouvait être un danger pour leur crédit, ou bien de payer pour des valeurs qu'elles ne possédaient pas.

Messieurs, ce grand argument, a-t-il, oui ou non, disparu par la disposition que vous a présentée M. le ministre des finances ? Mais l'honorable M. Dedecker l'a avoué.

M. Malou. - Il a disparu en partie.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - En très grande partie, sinon en totalité. J'ai entendu hier l'honorable M. de Theux dire : Vous aurez encore à faire connaître votre actif. Sans doute ; mais à faire connaître son actif, il est très peu de personnes qui voient un grand inconvénient ; c'est au contraire à faire connaître son passif que tout le monde voit un danger.

Voilà quelle était donc ma grande objection. Il y en avait pour moi une autre : c'est que dans mon opinion, et cette opinion n'est pas modifiée, j'eusse désiré qu'avant tout on pût atteindre les capitaux ; parce que, d'après moi, la propriété en Belgique paye beaucoup ; et les grands partisans de l'homogénéité du ministère peuvent encore, s'ils le veulent, constater cette différence entre l'opinion de mon honorable collègue et ami, M. Frère. C’est que je crois que la propriété en Belgique paye autant que dans les pays voisins, tandis que dans l'opinion de l'honorable M. Frère, elle ne paye pas autant. Mais ce sont là, pour lui comme pour moi, des opinions personnelles qu'aucun de nous n'a la prétention de donner comme des vérités démontrées. Car, il n'est personne en Belgique ni en Europe, qui puisse démontrer mathématiquement dans quel pays la propriété paye le plus. Et la raison en est simple : c'est que l'impôt foncier est perçu en raison des quantités possédées et des qualités possédées et qu'il est impossible (page 1499) d'établir le rapport exact entre les différentes qualités de terrains dans les différents pays de l'Europe.

Ainsi, dans mon opinion, j'eusse préféré d'abord atteindre les capitaux ; et c'est pourquoi j'étais beaucoup plus grand partisan de la disposition de l'article 14 et qui avait été amendée de manière à faire disparaître tous les inconvénients, c'est-à-dire du serment qui précisément faisait contribuer les capitaux à l'impôt.

Eh bien qu'à-t-on fait ? On a repoussé cette mesure ; on n'en a pas voulu. Elle avait cependant le double mérite que j'entends vanter ici depuis quelques jours, et notamment par l'honorable M. de Liedckerke, celui d'atteindre les capitaux et celui de faire donner à l'impôt tout ce qu'il peut produire.

Je suis dès lors forcé de revenir à l'impôt en ligne directe. Je fais violence à mes répugnances sur le moyen pour atteindre le but que j'ai et qui est, je le répète, de rétablir l'équilibre financier. Je fais, j'ai fait, sous ce rapport, une concession, je ne le cache pas, et j'aurais encore à la faire, que je la ferais, surtout en présence d'une opinion qui a toujours, je m'en aperçois, d'excellentes raisons pour rejeter toute espèce d'impôt.

Le serment rejeté, je demande qui ici est le plus logique.

M. Malou. - Parlez à vos amis.

M. Delehaye. - Cette disposition a été rejetée. Il est inutile de revenir sur ce point.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je constate un fait, donc j'ai le droit d'argumenter ; mais si j'ai dit un mot qui puisse blesser la chambre, je le retirerai immédiatement.

Je demandais donc qui de nous a été le plus logique.

Lorsqu'il s'agissait de voter le budget de la guerre, je demandais qu'il y eut des économies et je demandais en même temps qu'on votât de nouveaux impôts pour rétablir la situation financière. Les partisans du budget de la guerre, que faisaient-ils ? Ils votaient les dépenses et protestaient quand je disais qu'ils rejeteraient les impôts destinés à payer celles-ci.

Et c'est ce qui est arrivé. Ainsi on a commencé par voter toutes les dépenses ; on se proclame les seuls défenseurs de l'armée, les défenseurs du plus grand intérêt national. Et puis, quand il s'agit d'accorder au gouvernement l'argent pour payer cette armée, de donner le moyen de ne pas avoir une de ces armées qui régulièrement se révolte parce qu'on ne la paie pas, les grands défenseurs de l'armée ont disparu et les grands défenseurs de l'armée ne votent pas d'impôts.

M. Coomans. - l n'y a pas eu de vote.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je constate donc que je suis resté très conséquent et que j'ai prédit ce qui est arrivé. Car tout en demandant des économies, je demandais de nouveaux impôts, ce qui d'ordinaire n'est pas même le rôle du député, et je les vote ; vous ne vouliez pas d'économies, vous votiez la dépense, vous repoussiez la recette.

On repousse l'impôt sur les successions en ligne directe, on n'en veut pas, parce que cet impôt va tomber sur la propriété. Le gouvernement retire l'impôt en ligne directe ; il vous dit : Voilà un impôt qui va exclusivement porter sur les capitaux. Acceptez le serment. Vous n'aurez pas un impôt nouveau. Vous retirerez de l'impôt en ligne collatérale qui existe tout ce qu'il peut produire. Vous rejetez cet impôt qui frappait exclusivement les capitaux après l'avoir demandé.

M. de Liedekerke. - On a rejeté l'immoralité.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'immoralité, c'est de frauder.

M. Delfosse. - L'immoralité est dans nos lois, car le serment y est.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je dis qu'on a rejeté un moyen de faire contribuer les capitaux aux charges de l'Etat. Libre à vous de dire que c'est un moyen immoral ; libre à d'autres de penser d'une autre façon, après ce rejet, le gouvernement vous représente l'impôt en ligne directe.

Puis l'honorable M. de Liedekerke revient faire un discours où il dit : Mais il faut des impôts qui frappent sur les capitaux ; tout son discours était dicté par cette pensée qu'il fallait des impôts qui tombant sur les capitaux. Mais il serait, en définitive, assez difficile de contenter l'honorable membre. Lorsque le gouvernement présentera un impôt qui atteint la propriété, on dira : non, il faut des impôts qui frappent sur les capitaux. Le gouvernement présentera un impôt qui atteint les capitaux ; on le repoussera, on dira que l'on ne veut pas de cet impôt. Le gouvernement reviendra avec un impôt sur la propriété : on dira de nouveau qu'il faut des impôts sur les capitaux. Voila ce qui se passe.

Eh bien ! je le réptle, en présence de ce fait, je n'ai pas hésité à accepter l'impôt proposé qui devait rétablir l'équilibre dans le trésor. Ma principale objection avait disparu, et ce qui pouvait me rester de répugnances devait disparaître devant le but que je poursuivais.

Je laisse au pays à juger qui de nous a été le plus logique, qui de nous a tenu la conduite la plus conforme à ses antécédents.

- Plusieurs membres. - La clôture !

M. Delehaye. - La parole est à M. Delfosse.

M. Delfosse. - Au point où la discussion est arrivée, je n'ai pas la prétention de captiver l'attention de la chambre, encore moins de modifier aucune opinion ; je renonce à la parole.

M. Delehaye. - La parole est à M. Le Hon.

- Plusieurs membres. - La clôture !

M. Le Hon. - J'ai lieu de m'êtonner que l'impatience de ceux qui m'entourent paraisse craindre ce que j'ai à dire à l'occasion de la demande de clôture. Je ne viens pas faire un discours, et assurément j'aurais plus de titres que personne pour vous demander quelques moments d'attention ; car je n'ai parlé dans aucune des deux discussions antérieures et vous ne connaissez mon opinion que par les quelques mots insérés dans le rapport sommaire que je vous ai présenté très rapidement ces jours derniers, au nom de la section centrale.

Je dois avouer que rien, dans ce que j'ai entendu s'élever des bancs de l'opposition contre la loi, n'a réfuté, affaibli même aucun des arguments que l'honorable M. Dedecker vient de résumer si nettement en sa faveur.

Je déclare, quant à moi, que j'aurais voulu pouvoir prendre la parole et prouver que la majorité n'a pas besoin des précautions du silence ; qu'elle peut hautement justifier son vote ; mais je tiens compte des dispositions de la chambre : je n'abuserai pas de ses moments et je renonce à la parole.

- La clôture est de nouveau demandée par plus de dix membres.

M. Malou. - Je demande la parole contre la clôture.

Le débat n'est ouvert que depuis trois jours ; et la première séance a commencé à deux heures et demie.

La question de principe est extrêmement grave, et il serait étrange qu'au moment même où deux ministres viennent nous reprocher de ne pas répondre, on nous empêchât de répondre. Ce serait, du reste, la seconde fois que le fait se produirait dans la session.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Nous nous sommes défendus, nous n'avons pas accusé.

M. Malou. - Alors n'appuyez pas la clôture. Prononcez-vous avec moi contre la clôture. Laissez à une discussion de cette importance les développements qu'elle comporte naturellement. Si personne ne veut parler pour le projet de loi, et je vois que les orateurs qui se disposaient à le faire se retirent de la lutte, qu'on me permette de parler encore un peu contre. (Interruption.)

J'ai encore différentes choses à dire qui n'ont pas été produites : je tâcherai, si l'on m'accorde mon tour de parole, de ne pas tomber dans des redites.

M. Orts (sur la clôture). - Je me permettrai de faire également une observation en réponse à celles qu'on vient de faire pour demander une prolongation de la discussion.

Sans doute nous nous occupons depuis peu de jours de cette grave question ; mais on perd de vue que c'est déjà la troisième fois qu'on la discute, de sorte que chacun a eu tout le temps de s'éclairer, de chercher les objections et les moyens d'y répondre.

Cependant, comme je tiens beaucoup à ne pas concourir à étouffer les discussions, je proposerai d'entendre encore, par exemple, l'honorable M. Malou qui n'a pas parlé, plutôt que d'entendre un membre qui a déjà pris la parole dans le même sens. De la sorte, la chambre ferait droit aux exigences de nos adversaires.

M. Delehaye. - Pour qu'il me fût permis d'accorder la parole à M. Malou, il faudrait que les membres inscrits avant lui renonçassent à la parole.

M. Orts. - Il est dans les usages de la chambre d'entendre de préférence les orateurs qui n'ont pas encore parlé.

M. Malou. - Je ne veux pas parler en vertu d'un privilège. (Interruption.)

M. Dumortier (contre la clôture). - Messieurs, je ne puis assez m'étonner de la demande de clôture qui arrive immédiatement après qu'un ministre a fini de parler. Il est contraire aux habitudes de tous les parlements de clore une discussion, et surtout une discussion relative à une demande d'impôts sur le peuple, au moment où un ministre vient de parler. Il est contraire aux habitudes de tous les parlements de demander la clôture lorsque dans une séance, sur sept orateurs entendus, un seul a obtenu la parole contre le projet en discussion. Car, dans la séance d'aujourd'hui, il n'y a qu'un seul des sept orateurs entendus, l'honorable M. de La Coste, qui ait pris la parole contre le projet.

Ainsi vous prononceriez la clôture après que deux ministres ont parlé et que sur sept orateurs un seul a été entendu contre la loi ? Cela n'est pas possible. Si vous prononciez la clôture dans un tel état de choses, le pays saurait ce qu'est dans la chambre la liberté d'examen, ce qu'est ce libre examen dont on a parlé. Vous avez défendu le libre examen ; eh bien ! laissez-nous examiner.

- La clôture est mise aux voix et prononcée.

M. Dumortier. - C'est le libre examen.

Discussion des articles

Article premier

« Art. 1er. Il sera perçu, à titre de droit de succession, un pour cent sur ce qui est recueilli ab intestat. »

M. de Liedekerke. - Je demande la parole.

- Plusieurs membres. - La discussion est close.

M. de Liedekerke. - Je demande la parole, non sur l'article premier, mais pour un fait personnel. Il m'a été impossible de lutter tout à l'heure avec l'impatience que témoignait la chambre pour clore ce débat. Il est donc, pour moi, terminé, et je n'y reviendrai pas. Cependant, M. le ministre de la justice m'ayant mis directement en jeu, je crois que la chambre ne desapprouvera pas que je dise quelques mots en réponse aux observations que M. le ministre de la justice a cru devoir m'adresser.

(page 1500) L'honorable préopinant a parlé de délicatesse, il a parlé des rapports qui pouvaient exister entre les députés ainsi que de leur portée, il a eu l'air de m'accuser d'une espèce de délit de révélation.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Pas du tout !

M. de Liedekerke. - D'une espèce de délit de révélation contraire à la délicatesse. Permettez que sur cette question j'aie quelque susceptibilité.

Messieurs, je renvoie chacun des membres de cette assemblée aux paroles que j'ai prononcées dans la séance d'avant-hier. Ai je cité une seule parole de M. le ministre de la justice ? Ai-je fait allusion à une seule de ses pensées ? Je m'en suis bien gardé. Voici ce que je disais :

« L'honorable député d'Arlon, qui à cette époque aussi improuvait et combattait. Mais je m'arrête ; je ne préjuge rien. » J'abandonnais à M. le ministre dc la justice le soin de vouloir bien, comme il l'a fait aujourd'hui, indiquer quelles avaient pu être ses tendances d'autrefois et quelle était sa pensée actuelle ; pour quels motifs le droit qui aujourd'hui a ses sympathies ne les avait pas autrefois. Je n'ai donc en rien manqué à la délicatesse ni aux rapports dc loyauté que les députés doivent avoir entre eux. J'ai interroge M. le ministre sur sa pensée, je ne l'ai pas formulée.

Quant aux céréales, je n'ai nullement dit que M. le ministre eût change d'opinion. Seulement, à l'heure qu'il est encore, il m'est permis de dire que lorsque M. le ministre de la justice témoigne du profond dissentiment qui existe entre lui et ses collègues sur l'une des questions les plus importantes qui puissent se présenter, sur une question d'impôt qui divise les hommes politiques les plus considérables, j'ai droit de m'etonner que M. le minisire de la justice se soit associé a un système politique qui blesse, qui contredit ses convictions les plus profondes. (interruption.) Cela est tellement vrai, cela est tellement constaté...

M. Delehaye. - Veuillez yous renfermer dans le fait personnel.

M. de Liedekerke. - M. le minisire de la justice s'est étendu très longuement sur des allusions personnelles ; permettez-nous, au nom du ciel, de répondre.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Défendez-vous ; mais n'accusez pas.

M. Delehaye. - Je ne puis permettre à M. de Liedekerke de sortir des limites du fait personnel.

M. de Liedekerke. - J'aurai toujours la plus grande déférence pour les observations qui tomberont du haut du fauteuil de la présidence ; je n'ai pas à me défendre, je ne suis pas en cause ; mais si je ne puis pas développer ma pensée, je me renfermerai dans le silence et je protesterai contre sa rigueur.

M. Delehaye. - Personne ne vous empêche d'user du droit que vous accorde le règlement. Vous avez demandé la parole pour un fait personnel ; je vous l'ai accordée ; mais, par respect pour le règlement et par respect pour cette assemblée, je ne puis pas vous permettre de vous écarter du fait personnel.

M. de Liedekerke. - Je m'étonnais que M. le ministre de la justice, après les explications qu'il nous a encore données aujourd'hui pût s'associer aux ministres... (lnterruption.)

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Mais c'est encore une attaque !

M. de Liedekerke. - Eh bien ! je me tais ; je me rassieds,et M. le ministre de la justice aura raison, par la puissance invincible du silence qui m'est imposé.

M. Le Hon. - Comme je me suis levé pour parler avant que l'honorable M. de Liedekerke fît son discours, je ne voudrais pas donner à croire par mon silence que je m'opposais au libre développement de la question personnelle. Mon but était de faire remarquer à M. le président qu'il était d'autant plus convenable dc renfermer ces explications dans leur cercle naturel, que d'honorables membres qui s'étaient fait inscrire dans la discussion générale avaient dû renoncer à la parole, et que M. de Liedekerke, par la discussion qu'il ouvrait sur la conduite politique de M. le ministre de la justice, prononçait réellement un discours de réplique.

M. Delehaye. - La discussion générale a été close ; c'est alors seulement que le gouvernement a retiré la disposition relative à la ligne directe. La discussion qui vient d'être close portait également sur le principe consigné dans l'article premier ; la chambre ne peut pas maintenant rouvrir cette discussion sans vio|er le règlement.

M. Dumortier. - L'article 39 du règlement porte : « La discussion qui suivra le rapport de la section centrale ou de la commission est divisée en deux débats : la discussion générale et celle des articles. » La discussion générale est close ; celle des articles commence, et je demande à pouvoir parler sur l'article premier.

Maintenant qu'est-ce qui est en discussion ? C'est l'article premier. C'est sur l'article premier que je demande a parler, et j'invoque le règlement. « La discussion, dit le règlement, s'ouvrira successivement sur chaque article. » Il faut donc que la discussion s'ouvre sur l'article premier. Si vous voulez violer le règlement, vous êtes la majorité, mais il y aura violation du règlement si l'article premier n'est pas mis en discussion.

M. Rodenbach. - Je voulais faire les observations que M. Dumortier vient de présenter. La discussion qui vient d'être close est la discussion générale ; elle a porté sur l'ensemble des dispositions de la loi qui concernent la ligne directe. On est pressé, on veut enlever d'assaut l'article premier, c'est une violation du règlement,

M. Delehaye. - M. le greffier vient de me communiquer le procès-verbal qui constate que la discussion qui vient d'avoir lieu est bien la discussion de l'article premier. Voici, en effet, ce qu'il porte :

« La discussion est ouverte sur la proposition relative au droit sur les successions en ligne directe. »

M. Lelièvre. - On a tellement discuté l'article premier, qu'on a discute mon amendement qui est un amendement à l'article premier.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, nous ne voulons empêcher personne de parler. Nous n'avons pas coutume de reculer devant les discussions. Mais voici quelle est véritablement la question. Une discussion générale a eu lieu y a fort longtemps (interruption), dans cette session, sur ce projet de loi. Après cette discussion, qui n'a pas porte sur le principe de l'impôt relatif à la ligne directe parce que le gouvernement avait annonce l'intention de retirer cette proposition, après cette discussion, qui était bien la discussion générale, la clôture a été prononcée, et la chambre a adopté une série d'articles. Maintenant, après l'incident que vous connaissez, le gouvernement est venu annoncer que, comme amendements au projet en discussion, il reproduisait les articles 1, 2 et 3, avec des modifications ; ce sont ces amendements qui viennent d'être discutés, et il est de toute évidence que s'il ne s'agissait pas d'un article aussi important que l'article premier, personne, dans cette chambre, ne viendrait prétendre que c'est une discussion générale qui vient d'avoir lieu.

J'ai proposé, je puis proposer encore probablement d'autres amendements à tel ou tel article de la loi, et personne, certes, ne soutiendra qu'il y a lieu à ouvrir successivement sur ces amendements une discussion générale, puis une discussion des articles.

Tout ce que vous pouvez dire avec raison, c'est qu'il s'agit d'un point important, d'un principe qui a été attaqué très vivement par une partie de la chambre. Eh bien, tout se réduisant là, c'est une simple question de bonne foi ; et je demande à la chambre si, de bonne foi, on peut prétendre que la discussion ayant exclusivement porté sur l'article premier, et cette discussion ayant été close, on peut, par un effort de subtilité vraiment incroyable, sous pretexle d'une discussion des articles, demander une nouvelle discussion de l'article premier.

A quel résultat d'ailleurs, arrivez-vous ? Je suppose un instant que vous ayez raison, ce qui n'est pas, je suppose que le texte du règlement soit en votre faveur, ce qui n'est pas, eh bien ! la chambre ouvrira la discussion sur l'article premier, et elle la clora immédiatement après, et la chambre aura raison, car la majorité ne peut consentir à être entravée par des subtilités de ce genre et à être mise dans l'impossibilité de voter le projet sans plus de retard.

M. Malou. - Ce n'est pas une question de bonne foi, c'est une question de règlement et le règlement est le droit de la minorité.

Que vous dit-on ? La discussion générale a eu lieu en 1849...

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je n'ai pas dit cela.

M. Malou. - Vous avez dit d'abord que la discussion générale avait eu lieu il y a fort longtemps et vous avez dit ensuite qu'elle avait encore eu lieu dans cette session même.

Eh bien, je dis que vous ne pouvez pas invoquer comme discussion générale ce qui a eu lieu en 1849 puisqu'il y a eu renouvellement de la chambre. (Interruption.) Je ne sais donc plus écrire, je viens de l'annoter à l'instant même.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous avez mal annoté.

M. Malou. - On dit ensuite que la discussion a eu lieu dans le cours de cette session. Comment les faits se sont-ils passés ? Il y a eu une discussion générale du projet de loi sur les successions, dont on avait retiré les articles 1, 2 et 3. Ensuite, comme le ministre vient de l'avouer, on a ouvert une discussion sur les articles 1, 2 et 3, c'est-à-dire sur l'ensemble et sur le principe des dispositions du projet, qui concernent la ligne directe. Quant à l'aricle premier il n'a pas été soumis à une discussion spéciale.

Maintenant ou nous reproche d’user de subtilité et en même temps on veut recourir à une véritable subtilité, c'est d'ouvrir la discussion et de la clore immédiatement après. Eh bien, la majorité en a la force, mais elle n'en a pas le droit.

M. Delfosse. - Il est si vrai que la discussion générale a été close, que c'est sur la proposition de l'honorable M. de Theux, que l'on a discuté d'abord les articles qui restaient à voter et que l'on a renvoyé à la section centrale les dispositions relatives à la ligne directe.

La discussion ouverte depuis trois jours, et à laquelle, quoi qu'ait pu dire tantôt l'honorable M. Dumortier, les opposants ont pris une très grande part, cette discussion a porté en réalité sur l'article premier, c'est-à-dire sur le principe de la ligne directe.

- Plusieurs membres. - Aux voix ! aux voix ! L'appel nominal !

M. Delehaye. - Voici l'article premier :

« Art. 1er. Il sera perçu, à titre de droit de succession, sur la valeur de tout ce qui, après déduction des dettes mentionnées en l'article 12 de la loi du 27 décembre 1817, sera recueilli ou acquis en ligne directe,, dans la succession d'un habitant du royaume :

« Un pour cent, sur ce qui est recueilli ab intestat ;

« Cinq pour cent, sur ce qui est recueilli au-delà. »

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il y a un amendement.

(page 1501) M. Delehaye. - L'amendement du gouvernement forme un article séparé.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, voici la position. L'article premier est reproduit, sauf la disposition relative au5b p. c. de préciput qui a été votée ; il se combine avec la disposition additionnelle qui viendra à la suite de l'article 3.

M. Delehaye. - Je croyais, M. le ministre, que dans votre opinion, cette disposition additionnelle formait un article nouveau.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - On peut voter cette disposition avec l'article premier, puisqu'elle peut déterminer le vote de quelques membres de la chambre. On placera ultérieurement le paragraphe.

M. Coomans. - Je demande qu'on vote d'abord sur la question de principe, et puis sur l'arliele nouveau.

M. Delfosse. - Si la division est admise, il faudra, après le vote des deux parties de la disposition, mettre l'ensemble de l'article aux voix.

M. Lebeau. - Il faut commencer par l'amendement ; il y a une seconde partie qui complète le système nouveau présenté par le gouvernement ; il faut qu'on ait la garantie qu'en aura cette seconde partie comme la première.

M. Delfosse. - La garantie que M. Lebeau demande, il l'aura par le vote sur l'ensemble de l'article.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Nous considérons l'amendement comme aussi essentiel que la disposition principale.

M. Dolez. - Il n'y a pas da division possible dans l'espèce. La proposition du gouvernement n'est plus maintenant d'imposer d'une manière absolue 1 p. c. sur les valeurs nettes ; cette proposition a pour correctif la faculté de payer 3/4 p. c. de la valeur brute. On ne peut diviser la proposition sans l'altérer.

M. Dumortier. - Messieurs, il me semble qu'on discute ici une question qui est fort simple ; il s'agit de deux articles destinés à former, s'ils sont admis, l'un, l'article premier de la loi, l'autre, l'article 4. Est-il possible de réunir l'article premier et l'article 4 en un seul ? Mais non ; c'est contraire à la Constitution ; la Conslilution dit, en termes exprès, que la loi doit être votée article par article. Ce serait une violation de la Constitution que l'on proposerait.

M. Delfosse. - Ce n'est pas moi qui ai demandé la division, c'est l'honorable M. Coomans ; je ne tiens pas à la division, j'ai seulement indiqué une garantie pour le cas où elle serait admise par la chambre

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, je désire combattre l'objection que vient de présenter l'honorable M. Dumortier. Le gouvernement a le droit de formuler sa proposition dans les termes qu'il jugeconvenables. Eh bien, je propose de rédiger la disposition ainsi qu'il suit, et sur laquelle pourra porter l'appel nominal :

«. Il sera perçu, à titre de droit de succession sur la valeur de tout ce qui, après déduction des dettes mentionnées en l'article 12 de la loi du 27 décembre 1817, sera recueilli ou acquis en ligne directe dans la succession d'un habitant du royaume, savoir :

« Un pour cent sur ce qui est recueilli ab intestat.

« Le droit de succession sera réduit d'un quart si les descendants du défunt et l'époux survivant dont le conjoint a laissé des enfants s'abstiennent de comprendre dans la déclaration les dettes composant le passif de la succession. »

- Il est procédé au vote par appel nominal sur cette disposition.

96 membres répondent à l'appel.

61 membres répondent oui.

31 membres répondent non.

4 s'abstiennent.

En conséquence, la disposition est adoptée.

Ont répondu oui : MM. Delfosse, d’Elhoungne, de Perceval, de Pitteurs, De Pouhon, Dequesne, de Royer, de Steenhault, Destriveaux, Devaux, d'Hoffschmidt, d'Hont, Dolez, Dumont (Guillaume), Frère-Orban, Jouret, Lange, Lebeau, Le Hon, Lelièvre, Lesoinne, Liefmans, Loos, Manilius, Mascart, Moreau, Orts, Pirmez, Prévinaire, Reyntjens, Rogier, Rolin, Roussel (Adolphe), Rousselle (Charles), Tesch, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Van Cleemputte, Vandenpeereboom (Alphonse), Vandenpeereboom (Ernest), Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Verhaegen, Vermeire, Veydt, Ansiau, Anspach, Bruneau, Cans, Cools, Cumont, Dautrebande, Debourdeaud'huy, de Breyne, de Brouwer de Hogendorp, Debroux, Dedecker, de Denterghem, Delescluse, et Delehaye.

Ont répondu non : MM. de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Meester, de Mérode-Westerloo, de Muelenaere, de Renesse, de Theux, de T'Serclaes, de Wouters, Dumon (Auguste), Dumortier, Jacques, Julliot, Landeloos, le Bailly de Tilleghem, Malou, Mercier, Moncheur, Osy, Rodenbach, Thibaut, Tremouroux, Vanden Branden de Reeth, Van Renynghe, Vilain XIIII, Boulez, Clep, Coomans, de Baillet (Hyacinthe), de Haerne et de La Coste.

Se sont abstenus : MM. David, de Baillet-Latour, Deliége et Moxhon.

M. Delehaye. - Les membres qui se sonl abstenus sont invités à énoncer les motifs de leur abstention.

M. Deliége. - Je n'ai pas voté pour le droit de succession en ligne directe, parce que je persiste à le trouver mauvais.

Je n'ai pas voté contre, parce que je n'ai pas voulu renverser un ministère qui a mes sympathies, qui a rendu et qui peut encore rendre de grands services au pays.

M. Moxhon. - Je me suis abstenu par les mêmes motifs que M. Deliége.

M. David. - Quelques-uns de mes honorables collègues ont démontré avec moi, l'inutilité de voter de nouveaux impôts ; de plus j'ai indiqué plusieurs économies qui n'ont pas été poussées aussi loin qu'elles pouvaient l'être. J'ai indiqué aussi quantité de ressources pour le trésor à obtenir sans recourir à l'impôt ; dans ces circonstances je n'ai pu voter pour l'article premier. Je n'ai pas voté contre parce que le projet primitif a été profondément modifié et que je n'ai pas voulu contribuer à renverser un ministère qui, sous beaucoup de rapports, a mes sympathies.

M. de Baillet-Latour. - Je me suis abstenu parce que favorable à l'amendement de M. Coomans, je n'ai pas voulu me prononcer sur le principe de l'impôt en ligne directe avant de savoir si cet amendement serait adopté.

Article 2

M. Delehaye. - Nous passons à l'article 2 ; quatre amendements sont présentés, l'un par M. Lclièvre qui propose d'exempter les parts héréditaires de 25 mille fr. et au-dessous ; un second, par M. Jacques, qui propose d'exempter les parts héréditaires de 10 mille fr. et au-dessous ; un troisième, de M. Coomans, qui exemple les parts de 7,000 fr. et enfin celui de M. A. Roussel, qui propose de les exempter jusqu'à concurrence de 5 mille fr.

- L'amendement de M. Lelièvre est mis aux voix. Il n'est pas adopté.

Celui de M. Jacques est ensuite mis aux voix,

Plus de 5 membres demandant l'appel nominal, il est procédé à cette opération.

En voici le résultat :

92 membres répondent à l'appel ;

18 membres disent oui ;

73 membres disent non ;

1 s'abstient.

En conséquence l'amendement n'est pas adopté.

Ont répondu oui : MM. de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Meester, de Mérode-Westerloo, Dumortier, Jacques, Landeloos, Lelièvre, Malou, Moncheur, Osy, Rodenbach, Vanden Branden de Reeth, Van Renynghe, Boulez, Coomans, de Baillet-Lalour et de Haerne.

Oui répondu non : MM. Delfosse, d’Elhoungne, Deliége, de Muelenaere, de Perceval, de Pitteurs, De Pouhon, Dequesne, de Renesse, de Royer, de Steenhault, Destriveaux, Devaux, d'Hoffschmidt, d'Hont, Dolez, Dumon (Auguste), Dumont (Guillaume), Frère-Orban, Jouret, Julliot, Lange, le Bailly de Tilleghem, Lebeau, Le Hon, Lesoinne, Liefmans, Loos, Manilius, Mascart, Mercier, Moreau, Moxhon, Orts, Pirmez, Prévinaire, Reyntjens, Rogier, Rolin, Rousselle (Charles), Tesch, Thibaut, Thiefry, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, Van Cleemputte, Vandenpeereboom (Alphonse), Vandenpeereboom (Ernest), Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Verhaegen, Vermeire, Veydt, Vilain XIIII, Ansiau, Anspaeh, Bruneau, Cans, Clep, Cools, Cumont, Dautrebande, David, de Baillet (Hyacinthe), Debourdeaud'huy, de Breyne, de Brouwer de Hogendorp, Debroux, Dedecker, de Denterghem, Delescluse, et Delehaye.

M. Delehaye. - M. Roussel est prié de faire connaître les motifs de son abstention.

M. Roussel. - Je me suis abstenu parce que j'ai moi-même propose un amendement, que je n'ai pas voulu, par un vote négatif contribuer à écarter le principe que j'avais admis ; et que, d'un autre côté, le chiffre de l'amendement de l'honorable M. Jacques me paraissait un peu élevé.


M. Delehaye. - Nous passons à l'amendement de M. Roussel.

M. Coomans. - Ne voulant pas multiplier les appels nominaux et sachant que les amendements venus de nos bancs ont peu de chances de succès, je me rallie à celui de l'honorable M. Roussel.

M. Delehaye. - Indépendamment de cet amendement, il y en a encore un autre de M. Cumont, qui propose le chiffre de 2,000 francs.

M. Delfosse. - Cet amendement a-t-il été déposé ?

M. Cumont. - Mon amendement a été déposé ; mais il n'en a pas été donné connaissance à la chambre.

M. Roussel. - S'il m'était permis de parler, je proposerais, comme moyen de conciliation, le chiffre intermédiaire de 3,500 francs.

- Plusieurs membres. - Non ! non ! C'est impossible.

M. Coomans. - Nous ne pouvons évidemment pas voter sur une proposition qui n'a pas été soumise à la discussion, qui n'a pas été développée. Or, l'auteur de cet amendement ne peut plus le développer maintenant ; ce serait contraire au règlement.

M. Cumont. - Est-il vrai, oui ou non, que mon amendement a été déposé avant la séance ; par conséquent en temps utile ? Dois-je pâtir d'un oubli du bureau ?

M. Delehaye. - Je dois rectifier les faits. L'amendement de M. Cumont a été, en effet, déposé avant la séance ; mus comme il n'avait pas été développé, j'ai cru qu'il était retiré ; puisqu'il ne l'est pas il sera mis aux voix.

(page 1502) M. de Haerne. - Il ne s'agit pas, me semble-t-il, de contester quoi que ce soit ni même d'accuser qui que ce soit. Il y a un fait à constater. Je crois qu'on ne peut maintenant voter sur la proposition de M. Cumont. Seulement, que M. Cumont propose de nouveau son amendement au second vote, et tout sera concilié.

M. Delehaye. - Je vais mettre aux voix l'amendement de M. Roussel.

M. Rousselle. - Mais, permettez, M. le président, on n'est pas d'accord : L'honorable M. de Haerne dit qu'au second vote l'honorable M. Cumont pourra présenter de nouveau son amendement ; d'un autre côté, j'entends d'anciens membres de cette chambre dire que, si l'article n'est pas amendé, on ne pourra plus y proposer d'amendement au second vote.

M. d'Elhoungne. - L'article 45 du règlement est positif ; il porte : « La chambre ne délibérera sur aucun amendement, si, après avoir été développé, il n'est pas appuyé au moins par cinq membres. » Or, l'amendement dc l'honorable M. Cumont n'a été ni développé ni appuyé ; il ne peut donc pas être mis aux voix.

M. Delehaye. - Nous n'avons donc à voter que sur l'amendement de M. Roussel.

- Il est procédé au vote par appel nominal.

En voici le résultat :

91 membres répondent à l'appel nominal.

22 votent l'adoption.

68 votent le rejet.

1 (M. Cumont) s'abstient.

En conséquence, l'amendement n'est pas adopté.

Ont voté l'adoption : MM. de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Meester, de Mérode-Westerloo, de Royer, Dumortier, Jacques, Landeloos, Lelièvre, Malou, Mercier, Moncheur, Osy, Rodenbach, Roussel (Adolphe), Vanden Branden de Reeth, Van Renynghe, Vilain XIIII, Boulez, Coomans, dc Baillet-Latour et de Haerne.

On voté le rejet : MM. Delfosse, d'Elhoungne, Deliége, de Muelenaere, de Perceval, de Pitteurs, De Pouhon, Dequesne, de Renesse, Destriveaux, Devaux, d'Hoffschmidt, d'Hont, Dolez, Dumon (Auguste), Dumont (Guillaume), Frère-Orban, Jouret, Julliot, Lange, le Bailly de Tilleghem, Lebeau, Le Hon, Lesoinne, Liefmans, Loos, Manilius, Mascart, Moreau, Moxhon, Orts, Pirmez, Prévinaire, Reyntjens, Rogier, Rolin, Rousselle (Charles), Tesch, Thibaut, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, Van Cleemputte, Vandenpeereboom (Alphonse), Vandenpeereboom (Ernest), Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Vermeire, Veydt, Ansiau, Anspach, Bruneau, Cans, Clep, Cools, Dautrebande, David, de Baillet (Hyacinthe), Debourdeaud'hui, de Breyne, de Brouwer de Hogendorp, Debroux, Dedecker, de Denterghem, Delehaye, Delescluse et Verhaegen.

- Le membre qui s'est abstenu est invité à faire connaître les motifs de son abstention.

M. Cumont. - Messieurs, lorsque la nécessité de voter des impôts nous est démontrée, nous avons tous le désir de ne pas frapper les personnes qui sont dans un état de fortune voisin du besoin. Il m'a paru que la disposition du gouvernement atteignait cette classe de personnes. C'est pourquoi j'aurais désiré proposer un chiffre plus élevé.

D'un autre côté le chiffre de 5,000 fr. exemptant évidemment une classe plus aisée, je n'ai pu le voter et j'ai dû m'abstenir.

- L'article 2 proposé par le gouvernement est mis aux voix et adopté.

Article 3

« Art. 3. Les exemptions du droit de succession, dans les cas prévus par les nos 2 et 3 de l'article 24 de la loi du 27 décembre 1817, en faveur de l'époux survivant, ne sont applicables qu'autant que toute la succession de l'époux prédécédé, recueillie en ligne directe, soit elle-même exemple du droit, conformément à l'article précédent. »

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Une observation a été faite dans la séance d'hier par l'honorable M. de Theux. Elle m'avait également été commniquée par mon honorable collègue et ami M. Dolez.

La disposition qui vous est actuellement soumise n'est pas claire. La pensée du gouvernement était bien évidemment de n'atteindre que du droit de un p. c. les biens arrivant à l'époux survivant qui a conservé des enfants de son mariage.

Pour plus de clarté, je demande à la chambre de bien vouloir ajouter à l'article 3 le paragraphe suivant :

« Si, dans le même cas, la succession donne ouverture à l'impôt, le droit à charge de l'époux survivant sera liquidé au taux fixé pour ce qui est recueilli ab intestat en ligne directe. »

M. Malou. - Les 30 centimes additionnels devront-ils aussi être payés ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est évident.

- L'article 3, amendé comme le propose M. le ministre des finances, est adopté.

Article 4 (nouveau)

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je prie la chambre de bien vouloir placer ici le paragraphe voté à l'article premier et relatif à la réduction d'un quart, et d'en faire l’article 4. Cette disposition doit s'appliquer également dans les cas prévus par l'articl 3.

- Cette proportion est adoptée.

M. Delehaye. - L'amendement présenté au commencement de la séance par M. Boulez trouve ici sa place ; je le mets aux voix.

- Cet amendement n'est pas adopté.

Article 11

M. Delehaye. - Nous passons à l'article 11.

M. Malou. - Je demande que la suite de la discussion sait remise à lundi.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Pourquoi ?

M. Malou. - Parce qu'il y a encore plusieurs résolutions à prendre et je ne pense pas qu'il puisse entrer dans les intentions de la majorité, qui a montrésa force et qui doit montrer sa modération, de nous faire voter à 5 heures, lorsque déjà une grande partie des membres de la chambre sont partis.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il n'est pas 4 heures et demie. La pendule est heureusement là.

- Plusieurs membres. - Continuons !

M. de Liedekerke. - Je demande que l'on mette aux voix la proposition de l'honorable M. Malou.

Nous sommes ici depuis midi. Il s'agit encore de plusieurs questions graves. On ne fait plus attention. Il serait contraire à la dignité de la chambre de voter sans examen.

M. Deliége, rapporteur. - Je ferai remarquer à l'assemblée qu'il ne reste plus à voter que quatre dispositions fort simples que ceux qui ont pris connaissance du rapport ont dû saisir à la première lecture. Continuons donc encore la discussion pendant quelques minutes. Si nous remettons le vote sur ces dispositions à une autre séance, nous ferons perdre du temps à la chambre.

M. Lelièvre. - Je crois aussi qu'on peut continuer la discussion, il ne s'agit plus que de quelques dispositions très simples sur lesquelles il ne peut s'élever aucun débat.

M. Malou. - Il doit y avoir un second vote. Sur quoi veut-on voter aujourd'hui ?

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'est parce qu'il y a un second vote, qu'on peut voter aujourd'hui les dernières dispositions de la loi.

M. de Liedekerke. - Je demande, au nom de la dignité de la chambre, qu'on mette aux voix la proposition de M. Malou.

M. Delfosse. - Sans doute, il y aura un second vote, mais pour qu'il soit possible, il faut que le premier soit terminé. Il n'y a plus que quelques articles insignifiants, il serait déraisonnable de ne pas les voter aujourd'hui.

M. Malou. - Du moment où il y a un second vote, je n'insiste pas sur ma proposition.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il est bien entendu qu'il y aura un second vote ; nous demandons même qu'il n'ait lieu que mardi, et qu'on reprenne lundi la discussion du budget des affaires étrangères.

M. Delehaye. - Il sera décidé tantôt quand aura lieu le second vote.

Nous reprenons l'article 11.

A cet article avaient été déposés deux amendements, l'un par M. Vanden Branden de Reeth et l'autre par M. le ministre des finances.

La section centrale propose de rédiger l'article en ces termes :

« La valeur des rentes perpétuelles hypothéquées, qui appartiennent à l'actif de la succession, est déterminée par un capital formé de vingt fois la rente annuelle.

« Toutefois, les parties pourront déclarer une valeur moins élevée. Dans ce cas, le préposé aura la faculté de requérir une expertise.

« Les mêmes rentes, faisant partie du passif de la succession, seront admises, pour la liquidation du droit, à raison d'un capital formé de vingt fois la rente annuelle. »

- Cet article est adopté.

Article 12

M. Delehaye. - La section centrale propose de rédiger ainsi l'article 12 :

« Le capital sur lequel est perçu le droit à raison du don et legs d'une rente viagère sera déduit du restant net de la succession, pour le règlement du droit à charge du débiteur de la rente. »

- Cet article est adopté.

Articles 14 à 17

M. Delehaye. - M. le ministre des finances a proposé de remplacer les articles 14, 15, 16 et 17 par la disposition suivante :

« Pendant six semaines, à partir du jour de la déclaration, les parties déclarantes seront admises à la rectifier en plus ou en moins, par une déclaration supplémentaire, sans qu'il puisse être exigé aucune amende.

« Les héritiers, donataires ou légataires qui auront omis ou celé des immeubles ou des créances inscrites dans les registres et comptes, énoncés à l'article 19 ou qui n'auront pas estimé à la valeur déterminée par la loi les possessions à l'étranger, acquitteront, outre le droit de succession, une somme égale à titre d'amende.

« Ceux qui auront omis d'autres biens meubles ou qui n'auront pas porté à leur véritable valeur les biens désignés sub lieeras F, G et H de l'article 11 de la la loi du 27 décembre 1817, et ceux qui auront déclaré des dettes qui ne font pas partie du passif de la succession, encourront une amende égale à trois fois le droit.

«.Néanmoins, en cas de rectification avant toute poursuite, les parties (page 1503) seront libérées de l’amende de l'amende et de celles prononcées par l'article 15 de la loi du 27 décembre 1817, si elles prouvent qu'il n'y a pas de leur faute. »

M. Lelièvre. - Je présenterai un amendement à cet article. Cet amendement a pour but d'autoriser la rectification de la déclaration avant toute poursuite sans qu'on puisse exiger l'amende.

Cela est conforme aux principes généraux qui exigent une mise en demeure pour l'application d'une pénalité.

D'autre part, cette disposition aura pour conséquence de faciliter les rectifications, et par conséquent elle est commandée par les intérêts du trésor.

Si on n'est pas certain d'être exempt de l'amende, et si l’on est astreint à une preuve quelconque, évidemment on ne sera guère disposé à prendre l'initiative, et on préférera attendre la réclamation du fisc qui peut-être ne se produira pas ; de sorte que l'innovation proposée, non seulement ne procurera aucun avantage, mais est de nature à lui porter un préjudice réel.

Il me semble aussi que celui qui rectifie avant toute poursuite ne doit pas être tenu de prouver qu'il n'y a pas de sa faute. C'est là une preuve négative qu'on ne peut équitablement imposer en ce cas à personne ; il me paraît évident qu'il y a lieu à maintenir le principe écrit dans l'article 14 de la loi de 1817.

Il y a plus, le système du projet présente d'autres inconvénients, il en résulte qu'après les poursuites l'amende du triple droit est nécessairement encourue, alors même que le déclarant prouverait qu'il n'y a pas de faute à lui imputable. Or, il est impossible de décréter semblable doctrine qui tend à frapper d'une pénalité celui-là même qui prouve qu'il est exempt de reproche.

Enfin l'intérêt du trésor commande de convier les contribuables à rectifier spontanément leurs déclarations. Pour ce, il faut les rassurer contre toute éventualité, il faut qu'ils soient certains qu'en rectifiant volontairement ils ne payeront que le droit simple sans amende, et qu'on ne pourra leur susciter, à cet égard, aucune contestation.

Il me semble donc qu'il est essentiel de maintenir à cet égard la législation existante.

En conséquence, je propose de rédiger le paragraphe 4 de l'article en discussion de la manière suivante :

« Néanmoins, les parties seront libérées de l'amende et de celles prononcées par l'article 15 de la loi du 27 décembre 1817, si elles prouvent qu’il n’y a pas de leur faure.

« En cas de rectification avant toute poursuite, il ne sera exigé aucune amende. »

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je n'ai pas très bien compris les raisons qu'a fait valoir l'honorable M. Lelièvre en faveur de son amendement ; mais comme l'article devra être soumis à un second vote, je ne m'oppose pas à ce qu'on adopte provisoirement avec cet amendement.

- L'article, amendé comme le propose M. Lelièvre, est adopté.

Article 22

M. Delehaye. - A l'article 22, deux propositions ont été faites, l'une par M. Malou, l'autre par M. Deliége.

M. Malou. - Je n'insiste pas.

M. Delehaye. - La section centrale adopte la proposition de M. Deliége ainsi conçue :

« Si l'estimation résultant du rapport des experts excède d'un huitième au moins l'évaluation totale des biens expertisés, telle qu'elle est énoncée dans la déclaration, les frais d'expertise seront supportés par la partie déclarante et, dans le cas contraire, par l'Etat. »

- Cette disposition est mise aux voix et adoptée.

Cette proposition avait été suspendue, il a été convenu qu'elle reviendrait au second vote.

A l'article 22, il y a encore une proposition de M. Lelièvre et une autre proposition faite à la section centrale par M. le ministre des finances ; la section centrale n'a accueilli ni l'une ni l'autre de ces deux propositions.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, j'ai annoncé, dans une séance précédente, que je présenterais une nouvelle rédaction pour l'amendement proposé par l'honorable M. Lelièvre.

Dans ma pensée, cttlle disposition ne fait que consacrer en faveur de l'administration le droit commun qu'elle a toujours réclamé et qui a été consacré en sa faveur par plusieurs décisions judiciaires. Toutefois il n'y a pas unanimité à cet égard. Il est utile d'introduire cette disposition dans la loi : les parties et leur conseil seront avertis que l'administration est armée de moyens suffisants pour réprimer la fraude. Je me borne à demander le droit commun pour l'administration qu'on ne veut pas, sans doute, placer hors de la loi.

La disposition que j'ai proposée doit être légèrement modifiée ; on pourrait dire :

« Art. 22. Indépendamment des moyens de preuve, spécialement prévus par les articles 18, 19 et 20, l'administration est autorisée à constater, selon les règles et par tous les moyens établis par le droit commun, l'omission ou la fausse estimation des biens de la succession, l'exagération ou la simulation de dettes qui ne font pas partie du passif. »

M. Lelièvre. - Comme il s'agit de s'expliquer franchement et d'une manière précise, je demanderai s'il est bien entendu que des moyens de preuve que pourra employer l'administration, le serment sera exclu. Il doit en être ainsi, puisque l'intention de la chambre est nécessairement que le serment ne puisse être déféré ni exigé à quelque titre que ce soit en cette matière. C'est en ce sens que je me rallie à l'amendement de M. le ministre des finances.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - On pourrait insérer dans l'article une disposition dans le sens qui est indiqué par l'honorable M. Lelièvre ; cela me paraît une conséquence assez naturelle du vote que la chambre a émis sur la question du serment. Cependant il y a une observation à faire : c'est que le serment prescrit par la loi de 1817 était d'une nature tout à fait spéciale, il était tout autre que celui dont il s'agit dans le Code civil et qui est appelé décisoire : aussi, depuis l'abolition du serment établi par la loi de 1817, le tribunal de Tournay, par exemple, a-t-il déféré le serment sur certains articles d'une déclaration de succession.

M. Lelièvre. - Pour faire cesser tout doute possible, je propose d'énoncer l'amendement en ces termes.

« Indépendamment des moyens de preuve, spécialement prévus par les articles 19, 20 et 21 du projet primitif, l'administration est autorisée à constater selon les règles et par tous les moyens établis par le droit commun, à l'exception du serment, l'omission ou l'insuffisance d'estimation des biens de la succession, etc. »

M. Coomans. - Messieurs, la section centrale à l'unanimité a cru que le serment ne pouvait plus être déféré dans aucune circonstance ; et si les tribunaux ont décidé le contraire, c'est pour fixer la jurisprudence que je me rallierai à l'amendement de l'honorable M. Lelièvre.

M. Roussel. - Messieurs, je dois faire remarquer que le serment décisoire dont parle le Code civil a fait l'objet d'une proposition spéciale relativement au droit de succession, et que la majorité l'a repoussé ; dès lors cette jurisprudence ne peut plus prévaloir en présence de ce vote.

M. Delfosse. - Bien que j'aie voté pour le serment, je sui sle premier à désirer qu'on ne cherche pas à faire revenir la chambre sur la décision prise.

M. Malou. - Messieurs, aux mots « à l'exception du serment » proposés par l'honorable M. Lelièvre, il faut ajouter ceux-ci : « et de l'interrogatoire sur faits et articles ».

Je demande un vote sur cette proposition, parce qu'il est établi dans nos lois que l'interrogatoire sur faits et articles peut se faire entre deux parlies qui plaident l'une contre l'autre, qui ont un droit contesté et contestable ; jamais dans aucune de nos lois, l'interrogatoire sur faits et articles n'a été établi pour le fisc ; et cela pour une excellente raison, c'est que quand le fisc réclame son droit, on peut dire que personne n'est tenu de témoigner contre soi-même.

M. Lelièvre. - Il est nécessaire de ne pas perdre de vue ce qui a lieu sous notre législation en matière d'interrogatoire sur faits et articles. Cet interrogatoire est établi comme moyen de preuve par le Code de procédure civile et d'après les dispositions de celui-ci, il ne doit pas être accompagné de serment.

Le serment n'a été prescrit que par un arrêté-loi de 1814. Le but de mon amendement est d'exclure d'une manière générale le serment dans la matière dont il s'agit, parce qu'il s'agit d'une matière fiscale et même répressive au point de vue civil et que d'après les principes d'un ordre supérieur, il est impossible de placer dans pareille hypothèse l'homme entre son intérêt et sa conscience. En consequence j'entends par mon amendement et par les mots « sauf le sermnent », écarter le serment d'une manière générale, ainsi même le serment en matière d'interrogatoire.

D'après mon amendement, l'interrogatoire pourra sans doute avoir lieu, mais sans prestation de serment, formalité que j'entends exclure à raison qu'il s'agit d'impôt et de matière fiscale et partiale à raison de la nature de l'objet sur lequel le serment pourrait être réclamé. C'est donc en ce sens que la chambre opinera en adoptant l'amendement que je présente et qui a cette portée.

- L'amendement de M. Lelièvre est mis aux voix et adopté.

Article 27

L'article 27 qui avait été tenu en suspens est adopté avec l'addition d'une disposition relative à la ligne directe.

- La chambre décide qu'elle procédera dans sa séance de mardi prochain au second vote du projet de loi sur les droits de succession.

La séance est levée à 5 heures.