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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 11 novembre 1851

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1851-1852)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 19) M. Vermeire procède à l'appel nominal à une heure et un quart.

M. A. Vandenpeereboom donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

M. Vermeire présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.

Pièces adressées à la chambre

« L'administration communale de Lombartzyde demande une nouvelle délimitation entre cette commune et celle de Westende. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Quelques habitants d'Anvers demandent qu'il soit pris des mesures pour que chaque électeur puisse exercer librement ses droits politiques. »

- Même renvoi.


« Par dépêche du 10 novembre, M. le ministre de la justice transmet à la chambre une demande de grande naturalisation et quatre demandes de naturalisation ordinaire, avec renseignements y relatifs. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« Il est fait hommage à la chambre, par M. Wesmael-Legros, de Namur, de 110 exemplaires d'un mémoire à l'appui des pétitions adressées au sénat, par les communes et les industriels de la basse Sambre, relativement au chemin de fer de Jemeppe à Gembloux. »

- Distribution aux membres de la chambre.

Nomination des commissions permanentes

Commission de comptabilité

La commission de comptabilité est composée comme suit : MM. Ernest Vandenpeereboom, Rodenbach, de Renesse, Moxhon, Moreau et de Man d'Attenrode.

Pièces adressées à la chambre

M. le Bailly de Tilleghem, retenu à l'étranger pour affaires, demande un congé.

- Ce congé est accordé.

Projet d’adresse

Discussion des paragraphes

Paragraphe 7

M. le président. - La discussion continue sur le septième paragraphe et sur l'amendement de M. Coomans.

La parole est à M. Coomans.

M. Coomans. - M. le président, je regrette l'absence de l'honorable ministre à qui je me propose particulièrement de répondre. Cependant pour ne pas faire perdre du temps à la chambre, je suis à sa disposition.

Messieurs, l'honorable ministre renchérissant hier sur une expression déjà inexacte de l'adresse, affirmait que la récolte de 1851 avait été abondante. C'est là une erreur, messieurs, et une erreur grave. Loin d'être abondante, la récolte du froment a été très médiocre, et l'on peut dire généralement qu'elle ne s'est élevée qu'aux trois quarts d'une récolte ordinaire.

Quant au seigle, il en est à peu près de même, et c'est à cela qu'il faut attribuer cette circonstance que les prix se sont assez bien soutenus, quelque bas qu'ils soient, malgré la grande importation des céréales étrangères.

Mais, messieurs, les céréales ne constituent que la moitié de la richesse rurale, que la moitié des ressources du campagnard ; le bétail y figure pour l'autre moitié.

C'est un vieux dicton répandu dans toutes nos provinces, en flamand comme en wallon, que le fermier doit recueillir autant de ses étables que de ses champs. Or, messieurs, le bas prix, le vil prix du bétail est et notoriété publique.

Ce fait doit être principalement attribué à la grande importation du bétail étranger et à l'inquiétude continuelle où se trouvent les éleveurs de ne pas être indemnisés de leurs avances. Ils n'en font guère, et les étables se vident sans avantage pour le consommateur, au contraire.

Le bétail, que l'on pourrait appeler l'âme de l'agriculture, n'augmente guère chez nous, surtout il n'augmente pas à proportion du besoin que l'on en a, et du développement de la population.

Aussi me semble-t-il que le système suivi par le gouvernement à l'égard de cette branche importante de l'industrie rurale laisse énormément à désirer. Je l'appelle une injustice avec l'assentiment de tous les hommes impartiaux.

Voilà la vérité, messieurs.

En présence de ces faits qui sont incontestables, il est dangereux de proclamer que les récolles ont été abondantes. C'est avancer un fait inexact dont on tire des conséquences défavorables à l'intérêt des producteurs ruraux.

Une autre cause des souffrances des campagnes, c'est l'existence de l’octroi, question dont je n'avais pas parlé, mais que l'honorable M. Rogier a soulevée hier de la manière la plus imprudente pour lui.

L'honorable M. Rogïer m'a reproché hier en termes assez amers, d'avoir proposé la suppression des octrois. J'ai répondu d'abord que je n'ai pas proposé la suppression des octrois, que je m'étais borné à demander ce que l’honorable ministre demandait lui-même avec infiniment plus d’autorité que moi, il y a trois ans et demi ; j’ai supposé que ce qui était possible il y a trois ans et demi devait l’être bien plus aujourd’hui que l’on avait eu le temps d’étudier davantage les difficultés que la question des octrois soulève.

A cet égard, l'honorable ministre a commis plusieurs erreurs matérielles tellement graves et inexplicables dans sa bouche, que je demande la permission d'en relever quelques-unes. L'honorable ministre, reconnaissant qu'il avait institué une commission chargée d'examiner les questions relatives aux octrois, dit d'abord :

« Cette commission fut réunie quelques jours après la catastrophe de 1848. »

Erreur, messieurs ; la commission a été réunie et installée par l'honorable ministre lui-même le 27 décembre 1847, c'est-à-dire avant la catastrophe de février ; premier point qui n'est pas sans importance dans la pensée de M. le ministre.

« Un chef de division, a continué hier M. le ministre, avait préparé un projet où, en effet, on proposait la suppression des octrois quant aux denrées alimentaires. »

Messieurs, je sais que les chefs de division et les chefs de bureau ont bon dos, mais cette fois M. le ministre leur fait trop d'honneur ou trop de tort en leur attribuant sa propre œuvre, qu'il semble renier. (Interruption.)

Messieurs, les octrois touchent évidemment à ce paragraphe. Ils sont en cause. Du reste, il dépend de moi de les mettre en cause ; je n'ai qu'à présenfer un amendement où l'on demanderait la suppression des octrois.

Voici, messieurs, ce que portait ce projet préparé par un chef de division :

« Art. 1er. Les impositions communales établies sur les denrées alimentaires sont abolies à dater du 1er juin 1848. »

C'est ma proposition.

J'ai proposé également de supprimer les droits d'octroi sur toutes les denrées alimentaires.

« Art. 3. Les droits d'octroi seront remplacés, dans les villes auxquelles leur perception a été concédée, par une taxe sur les revenus de toute nature excédant 300 fr. »

« Art. 4. Il sera établi dans chaque commune un jury taxateur qui répartira entre les habitants la somme reconnue nécessaire par l'autorité compétente pour tenir lieu du produit des droits d'octroi actuels. »

« Donné, etc.

« (Signé) LÉOPOLD.

« Le ministre de l'intérieur,

« (Signé) Ch. Rogier. »

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Pour être complètement de bonne foi, veuillez lire le paragraphe qui suit.

M. Coomans. - J'en lirai, si vous le voulez, plus qu'il ne vous plaira d'en entendre.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Lisez seulement celui-là.

M. Coomans. - Voici donc ce paragraphe :

« M. le ministre confirme verbalement les faits et propositions contenus dans les pièces dont l'assemblée vient d'entendre la lecture ; il ajoute que le projet qu'il présente ne peut être considéré que comme un avant-projet qu'il prie la commission d'examiner et de modifier comme elle le jugera convenable. »

Il n'en est pas moins vrai, M. le ministre, que vous avez signé le projet ; que la signature du Roi y est apposée. Du reste, il est qualifié cent fois de projet de loi par vous et vos commissaires. (Interruption.)

Si l'honorable ministre révoque en doute l'authenticité du livre que j'ai en mains, je dois lui dire que ce livre a été imprimé aux frais du département de l'intérieur et distribué aux membres de la législature par lui-même ; je ne puis invoquer une pièce plus officielle que celle-là.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je donnerai une explication tout à l'heure.

M. Coomans. - Autre chose : dans la lettre d'envoi de ce projet de loi à la commission, l'honorable ministre disait, le 3 mars 1848 :

« L'abolition des droits d'octroi me paraît être une des mesures qui pourront et devront être prises immédiatement. »

Ici, l'on voit déjà la ferme intention de l'honorable ministre de supprimer les octrois en tout état de cause. « Mais, a dit hier et dans une autre circonstance l'honorable ministre, on ne peut proposer la suppression des octrois, même de certains droits d'octroi seulement, sans indiquer les ressources par lesquelles on les remplacera. » Voilà ce qu'a dit l'honorable ministre, voilà le langage qui a été tenu également par d'autres orateurs.

Je dois faire observer ici que la même objection a été adressée à l'honorable ministre, il y a trois ans et demi. Et qu'y a répondu l'honorable ministre ? Deux choses : « Vous remplacerez les droits d'octroi que (page 20) he supprime par un impôt sur le revenu ; ou si vous ne voulez pas de cet impôt sur le revenu, je n’en supprimerai pas moins les droits d’octroi, et vous vous tirerez d’affaire comme vous pourrez. »

L'honorable ministre répond dans cette pièce officielle à MM. d'Archambaud et Loos qui lui demandent comment il remplacera les ressources de l'octroi :

« Il y aurait peut-être lieu d'examiner si, en décrétant l'abolition des octrois, il ne serait pas préférable d'abandonner aux communes le soin de pourvoir au remplacement de cette imposition. »

Il convenait donc, d'après l'honorable ministre, d'examiner, entre autres, si le gouvernement ne ferait pas bien de se borner à supprimer purement et simplement les octrois.

Telle était si bien la pensée de l'honorable ministre, qu'un chef de division qui faisait partie de la commission et qui défendait aussi l'impôt sur les revenus, a déclaré à plusieurs reprises dans le sein de la commission (qui était très hostile à l'impôt sur le revenu puisqu'elle l'a rejeté), a déclaré que le gouvernement était décidé à supprimer les octrois, quoi qu'il arrivât, et quelles que fussent les décisions prises par la commission ; que tel était le projet du gouvernement, - ces paroles sont insérées dans les procès-verbaux officiels ; - que si les villes ne voulaient pas percevoir un impôt sur le revenu, elles se tireraient d'affaire comme elles pourraient ; que telle n'était pas seulement l'opinion du ministre de l'intérieur, mais que c'était l'opinion du gouvernement tout entier. Est-ce assez clair ?

Messieurs, il serait trop long de vous lire toutes les pièces à l'appui des faits que j'avance ; cependant si quelqu'un ici pouvait en douter, je suis prêt à les lire.

De ceci résulte clairement, ce me semble, qu'on peut sans être excessivement léger ou sans manquer complètement de sincérité, proposer, pour le 1er janvier 1852, la même mesure que le gouvernement avait formulée en projet de loi pour être exécutée le 1er juin 1848.

L'honorable ministre de l'intérieur, sentant bien que ses antécédents condamnent son langage et sa conduite d'aujourd'hui, a insinué qu'il avait fait cette démonstration à la suite de la catastrophe de février ; que cette catastrophe n'ayant pas eu tous les mauvais résultats qu'on redoutait, on pouvait abandonner ce projet.

En mars 1848, on venait, a-t-il ajouté, de supprimer l'octroi à Paris. Erreur encore ; on n'a pas supprimé l'octroi à Paris, on a supprimé un seul droit d'octroi, le droit sur le bétail, et voilà tout ; ce n'est pas là supprimer l'octroi. Je dois le dire à M. le ministre, qui aime à s'appesantir sur des vétilles ; mais, messieurs, je n'admets pas cette excuse.

L'homme d'Etat digne de ce nom résiste à des prétentions injustes et dangereuses quand elles lui semblent telles, il ne vient pas préparer avec ostentation des mesures qu'il a l'intention préconçue de ne pas exécuter. Il est probable que l'honorable ministre connaissait en mars 1848 toutes les difficultés qui existent aujourd'hui relativement à la suppression des octrois, l'indépendance des communes était aussi réelle, aussi précieuse en 1848 qu'aujourd'hui. Pourquoi alors formuler des projets, déclarer que ces projets doivent être votés, exécutés immédiatement, alors qu'on n'en veut rien faire ?

Pourquoi, trois ans et demi après, reprocher à un membre qui copie exactement son œuvre, ou d'être très léger, ou de manquer complètement de sincérité ? Si de semblables reproches pouvaient jamais m'être adressés, ce ne serait pas par l'honorable ministre de l'intérieur. Du reste, il est beaucoup plus dangereux de tromper le peuple que de lui résister quand il a tort.

Pour ma part, je ne suis pas devenu partisan de la suppression des octrois depuis 1848 ; je l'étais avant, j'ai continué à l'être depuis. Il ne dépendra pas de moi si je n'arrive pas à mon but, non à la suppression absolue et immédiate des octrois, mais à certaines mesures conçues avec prudence, et qui doivent conduire à l'abolition des douanes communales.

Je n'ai demandé la suppression de l'octroi que sur les denrées alimentaires et le combustible. Cette mesure est, selon moi, urgente et d'une exécution facile, quand on y met de la bonne volonté.

Je supplierai la chambre de compléter la section centrale chargée d'examiner ma proposition et j'espère qu'elle trouvera bon accueil dans cette enceinte, malgré l'opposition virtuelle qu'y a faite hier M. le ministre de l'intérieur.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je demande pardon à la chambre de revenir sur la discussion d'hier et d'entrer avec l'honorable M. Coomans dans un débat qui prendrait mieux sa place, je le pense, avec le caractère qu'on lui donne, dans la presse, que dans cette chambre.

L'honorable préopinant avait avancé hier que j'avais présenté un projet de loi ayant pour but l'abolition des octrois. Je l'ai prié d'indiquer quand j'avais présenté ce projet de loi, il a été obligé de reculer devant cette assertion.

M. Coomans. - Du tout.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il a été chercher ce prétendu projet de loi dans une brochure renfermant les discussions qui ont eu lieu dans le sein de la commission nommée pour la révision des octrois. Eh bien, la chambre a pu juger de ce qu'était ce prétendu projet de loi attribué au ministre de l'intérieur par l'honorable M. Coomans.

C'était un avant-projet soumis à l'examen de la commission dans les termes que l'honorable M. Coomans a été forcé de lire, et que je vais répéter : « Le ministre ajoute que le projet qu'il présente ne peut être considéré que comme un avant-projet, qu'il est permis à la commission d'examiner et de modifier comme elle le jugera convenable. »

Voilà quelle était la base offerte à l'examen de la commission que je venais de réunir après l'avoir instituée, ainsi que je l'ai dit hier, avant les journées de février. Préoccupés de la grave question des octrois, nous avions institué une commission au mois de décembre 1847. Cela prouve que ce n'est pas sous la pression des événements de février que nous avons fait examiner la question des octrois. Il n'est pas juste de dire que nous cédions à un sentiment de peur ; ce n'est pas nous qui, à cette époque, cédions au sentiment de la peur. On nons en a su gré. On nous disait alors que nous pouvions prendre acte de l'adhésion que l'on donnait aux actes que nous posions, et que jamais on ne viendrait les reprocher au cabinet.

Je n'ai donc aucune excuse à apporter ici pour ce que l'on a fait alors : mais dans un moment où de toute part surgissaient toute espèce de propositions ; lorsque de toute part on nous provoquait à aller en avant, à décréter toute espèce d'innovations, lorsque, ainsi que je l'ai dit hier, l'octroi de Paris venait d'être supprimé, non entièrement, mais dans ses bases principales, si alors un ministre, cédant à un certain entraînement, avait voulu expérimenter en Belgique ce qu'on exaltait dans un pays voisin, je ne vois pas qu'il puisse y avoir là matière à reproche. Nous avons dû résister à beaucoup d'entraînements à cette époque. Je pense que le pays et les chambres nous en ont su gré, et qu'on n'a eu à se plaindre, ni d'une résistance aveugle, ni d'un entraînement irréfléchi.

Je crois que le gouvernement d'accord avec les chambres, a fait ce qu'il devait faire, qu'il n'à rien fait de trop, qu'il n'a rien fait de trop peu, qu'il est resté dans de justes et sages limites.

Il serait donc peu obligeant, me semble-t-il, il serait injuste de venir reprocher aujourd'hui ce que, le 3 mars 1848, le ministre de l'intérieur aurait pu proposer à une commission.

M. Coomans. - Je ne vous reproche pas cela ; au contraire, je vous en félicite ; je me plains seulement de ce que vous ne l'ayez pas exécuté.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Permettez.

J'ai rappelé, messieurs, comment les choses se sont passées. Est-ce à dire que depuis le 3 mars 1848 je suis devenu partisan des octrois ? Eh ! non, je le répète, je suis prêt avec vous à en signer l'abolition, mais je vous repète aussi qu'avant de signer l'abolition des octrois, il faut donner aux villes d'autres moyens d'existence, d'autres moyens d'assurer cette vie libre et indépendante que la Constitution leur donne.

Jusque-là, messieurs, il faudra bien conserver les octrois communaux comme on est obligé de conserver d'autres abus.

Nous avons eu depuis lors beaucoup de questions difficiles à résoudre. Dans l'état actuel des choses, nous en avons encore beaucoup, et je le dis à la chambre, ce n'est pas en ce moment que nous chercherons à entreprendre une grande campagne contre les octrois des villes. A mesure que les villes elles-mêmes entreront dans une voie plus libérale, qu'elles modifieront leurs octrois dans un sens populaire, le gouvernement leur donnera son approbation. Nous n'engagerons pas les villes à renforcer leurs tarifs pas plus que nous ne sommes disposés à renforcer les tarifs de l'Etat à la frontière du royaume. Chaque fois que les communes feront un pas en avant, nous les suivrons, tout en ménageant cependant leurs ressources financières. Nous n'avons pas aggravé les tarifs des octrois pas plus que nous n'avons renforcé ie tarif des douanes ; et je le répète, toutes les fois que les communes feront un pas en avant, nous les suivrons ; nous les y engagerons au besoin, en veillant au maintien de leur bonne situation financière.

Il faudra donc que l'honorable M. Coomans renonce à ce thème d'opposition ou qu'il présente un système complet.

Il a fait une motion pour supprimer en partie les octrois communaux. A lui incombe l'obligation de remplacer les ressources qu'il enlève aux communes par d'autres ressources. Quand on se donne la prétention de poser des actes de législateur, d'user de son initiative et de se mettre à la tête d'une pareille réforme, il faut apporter une réforme complète.

M. Coomans. - Tout comme vous en 1848.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous devez faire mieux. Vous trouvez très mal ce que j'ai indiqué ; il faut faire mieux.

Ainsi l'honorable M. Coomans voudra bien compléter sa proposition, et dire à la chambre par quelles ressources nouvelles il se propose de remplacer les ressources dont il priverait les communes.

Dans ces conditions, son projet pourra mériter un examen sérieux. Mais aussi longtemps que ce projet restera incomplet, il faudra considérer, suivant moi, cette proposition comme une pure tactique parlementaire, tout aussi bien celle qui a pour but d'abolir en grande partie nos tarifs aux frontières du royaume.

De pareilles propositions venant d'un représentant qui a inscrit sur.son drapeau : Protection, restriction, prohibition, de pareilles propositions n'ont pas de caractères sérieux. Pour que la chambre y croie, pour que la chambre y donne suite, il faudrait que de pareilles propositions vinssent de l'initiative de représentants convaincus et qui professent une opinion favorable à un système libéral en matière de douane comme en matière d'octroi. Mais venant de la part d'un (page 21) adversaire de ces idées, de pareilles propositions n'ont pas de caractère sérieux.

M. Moncheur. - Messieurs, je ne viens pas vous parler des octrois, dont il n'est pas question dans l'amendement de l'honorable M. Coomans. Mais je désire vous présenter quelques observations sur cet amendement lui-même que je ne puis admettre tel qu'il est formulé.

Messieurs, la pensée qui a dicté l'amendement de M. Coomans est, il est vrai, une pensée justice et d'égalité pour toutes les industries du pays.

Si vous abandonnez, dit-il, l'industrie agricole à elle-même, si vous la livrez à la libre concurrence universelle, vous devez également abandonner à elles-mêmes et livrer à la concurrence universelle toutes les autres industries nationales. Pourquoi, en effet protéger celles-ci et ne pas protéger celle-là ? Les travailleurs des champs, qui sont les plus nombreux, méritent-ils donc moins les égards du législateur que les travailleurs des manufactures ou des gîtes houillers et métallifères ? Non, sans doute. Tel est le raisonnement de M. Coomans, et il est juste ; il faut traiter tout le monde de même. En cela je suis donc d'accord avec lui ; aussi, messieurs, puisque nous avons en ce moment, et que nous devrons conserver longtemps encore une foule de droits protecteurs pour nos industries manufacturières, j'ai voté contre la loi de libre importation des céréales, loi vantée aujourd'hui dans le discours du Trône et dans le projet d'adresse.

Mais à un mal, je ne veux point en ajouter un pire. Je ne puis donc appeler de tous mes vœux ; avec l'honorable auteur de l'amendement, l'application immédiate du principe de libre importation à tous les produits étrangers similaires à ceux de nos industries nationales quelconques.

Il importe, d'ailleurs, au plus haut degré à l'industrie agricole elle-même que les autres industries, ses sœurs, ne soient point ruinées.

Savez-vous, messieurs, quand nous pourrons peut-être abaisser les barrières élevées à nos frontières contre la libre introduction des produits étrangers ?

Ce sera lorsque toutes nos industries seront placées dans des conditions telles qu'elles devront pouvoir se mesurer avantageusement avec les industries étrangères de même nature.

Messieurs, la Providence a doté la Belgique de moyens admirables de production, et notre sol est couvert de populations laborieuses, intelligentes et morales ; avec ces avantages, nous pourrons, un jour, je l'espère, descendre hardiment dans l'arène de la grande lutte universelle du travail. Mais le temps n'en est point venu. Il faut d'abord nous préparer à ce combat.

Jusqu'à présent les armes principales nous manquent en grande partie, pour le livrer. Ces armes, passez-moi l'expression, ce sont d'abord les voies les plus économiques de transport, c'est ensuite l'emploi des machines les plus perfectionnées, et c'est enfin, la puissance de l'association. Ainsi, messieurs, pour ne parler ici que des moyens de communication et de transport, nous devons nous placer le plus tôt possible, et pour autant que nos finances nous le permettent, au niveau des nations les plus avancées sous ce rapport.

Car de même qu'il est injuste de condamner l'agriculteur belge enfermé souvent chez lui par des chemins impraticables, à lutter contre l'importateur de céréales étrangères qui arrivent avec un fret léger à Anvers, de même aussi il serait injuste de forcer le manufacturier belge, le producteur belge, à concourir avec des voisins infiniment mieux partagés que lui sous le rapport des frais de transport.

Messieurs, pour l'industrie agricole, chaque fois que l'occassion s'en est présentée dans cette enceinte, j'ai dit que l'encouragment le plus utile, le plus nécessaire qu'on dût lui donner à l'intérieur, c'était l'établissement de bons chemins vicinaux. Eh bien, pour les autres industries, je dirai également que les travaux publics, ayant pour but de mettre le consommateur en rapport avec le producteur, notamment ceux que vous avez décrétés récemment sont, en général, de la plus grande nécessité.

C'est là le seul moyen d'atteindre ce but si sagement poursuivi par l'honorable M. Coomans, ce but, du bon marché des objets nécessaires aux classes nombreuses et notamment aux travailleurs des campagnes, les vêtements, le fer, la houille, etc.

Aussi je fais au ministère un véritable grief d'avoir, sans nécessité aucune, retardé l'exécution de ces travaux, en s'opiniâtrant avec une incroyable ténacité à obtenir un impôt antipathique au pays, et antipathique non seulement au sénat, mais encore à la majorité de cette chambre elle-même, car, messieurs, la majorité n'a voté cet impôt que par des raisons politiques, raisons dont elle est juge sans doute, mais qui, en tout cas, n'étaient point puisées dans le fond même de la question.

Le gouvernement aurait certainement pu éviter la difficulté et se procurer d'une autre manière et sans froisser personne, le million ou le million et demi qu'il dit lui être nécessaire pour rétablir l'équilibre des finances.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il faut deux millions et elemi.

M. Moncheur. - C’est la question ; d'ailleurs, on retirait quelque chose de la loi, sans le droit en ligne directe. La loi introduisait diverses modifications qui seules devaient produire des revenus au trésor.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Le droit sur la ligne directe doit rapporter 1,800,000 fr. ; cela a été dit cent fois.

M. Moncheur. - Mais on est loin d'être d'accord sur le chiffre du déficit ; d'après d'honorables membres, il n'est que de 7 à 800,000 fr. Le droit sur les successions en ligne directe n’est donc point nécessaire.

J'ajouterai que le résultat du produit des impôts pour cette année, produit supérieur aux prévisions, diminue de beaucoup le déficit quel qu'il soit.

J'ai dit que le gouvernement pouvait avoir recours à plusieurs moyens de revenus très fructueux, sans froisser personne.

Je citerai notamment le transport des marchandises de grande vitesse par le chemin de fer. Il est de notoriété publique que les messagistes particuliers font une guerre à outrance au chemin de fer, par le chemin de fer lui-même.

M. le président. - M. Moncheur, vous vous éloignez de l'amendement de M. Coomans.

M. Moncheur. - Je désirais profiter de cette occasion pour motiver mon vote sur l'adresse elle-même, et entrer dans quelques développements à cet égard ; mais puisque M. le président m'arrête, je me bornerai à dire, quant à l'amendement de M. Coomans, que je ne puis l'adopter, parce que je n'admets pas plus la libre importation des céréales étrangères que l'importation des autres produits industriels qui peuvent nuire au travail national.

Quant à l'adresse en réponse au discours du Trône, je dirai en deux mots que je ne puis y donner mon vote approbatif, parce que j'y trouve d'abord l'éloge de plusieurs lois excessivement importantes que j'ai combattues et ensuite l'offre pour le ministère d'un concours que, loyalement, je ne puis lui promettre.

M. Deliége. - On vient de vous dire, messieurs, qu'il est souvent plus dangereux de tromper le peuple que de lui résister ; je trouve, quant à moi, que pour ne pas tromper le peuple (et ici je n'attaque nullement les intentions) il ne faudrait pas constamment représenter le travailleur agricole comme étant dans une situation déplorable. Que l'on compare la situation actuelle du travailleur agricole avec celle où il était il y a 50 ou 60 ans, ou si l'on veut, il y a 20 ou 30 ans, et l'on trouvera une notable différence sous tous les rapports.

Aind, sous le rapport matériel, je crois que le travailleur agricole est mieux logé et beaucoup mieux nourri qu'il ne l'était il y a 60 ans. Il est surtout mieux vêtu.

Sous le rapport moral, nous avons maintenant dans nos campagnes beaucoup d'écoles et beaucoup de chemins vicinaux qui n'existaient pas alors. Cependant il est évident qu'il y a encore beaucoup à faire en faveur des campagnes, que notre tâche est loin d'être à son terme sous ce rapport.

J'en viens à l'amendement de l'honorable M. Coomans.

Le fond de cet amendement a quelque chose de vrai. Il est vrai de dire que : adopter le système du libre échange de la manière la plus large pour l'agriculture et ne l'appliquer nullement aux autres industries, serait une injustice ; mais que vous a-t-on dit hier ?

L'honorable ministre de l'inlerieur vous l'a dit, il y a dans ce moment-ci au ministère des finances une loi à laquelle on travaille, et cette loi nous fera faire un pas de plus vers le système du libre échange.

Evidemment, messieurs, il ne s'agit pas d'abattre toutes les barrières à la fois ; il ne s'agit pas d'apporter de graves perturbations dans nos industries. Ce n'est pas là ce que j'entends ; ce n'est pas là ce que l'honorable M. Coomans entend ; aucun de nous ne l'entend ainsi. Voici ce que je crois quant à cette loi.

Je crois qu'elle devrait avoir pour effet de stimuler nos industriels et les engager à marcher de plus en plus dans la ligne qu'ils ont toujours suivie, la ligne du bon et du bon marché. On donnera ainsi un certain apaisement à nos cultivateurs.

Je conçois du reste qu'un projet de loi de cette importance ne peut être improvisé ; lorsqu'il sera soumis à la chambre, elle apportera dans son examen toute la sagesse, toute la prudence dont un tel sujet est digne.

M. Lesoinne. - Messieurs, je ne puis pas adopter le paragraphe proposé par l'honorable M. Coomans, parce qu'il est rédigé en des termes que je ne saurais approuver. J'ai la conviction profonde que toutes les industries du pays profiteront de toutes les mesures qui auront pour résultat de faire entrer dans une voie plus libérale en matière de transactions commerciales. Il y a une foule de produits qui servent de matières premières à beaucoup d'industries, et il est pour elles d'une grande importance de pouvoir se les procurer au meilleur marché possible.

Vouloir élever artificiellement le prix des produits et leur trouver en même temps un écoulement facile, c'est une chimère et une chimère dangereuse, car il n'y a qu'un seul moyen d'étendre nos exportations, c'est de produire aux meilleures conditions possible. Un renchérissement artificiel ne pourrait avoir pour résultat que de paralyser nos relations commerciales, bien loin de leur donner une activité nouvelle. Sous ce rapport je regrette que M. le ministre de l’intérieur ait manifesté, selon moi, une crainte exagérée, qu'en s'avançant avec circonspection vers la liberté commerciale, on jetterait la perturbation dans les industries.

Je ne pense pas que j'avance prudemment dans le système du (page 22) libre-échange donnant aux industriels le temps de perfectionner leurs moyens de fabrication, je ne pense pas, dis-je, que ce soit jeter la perturbation dans les industries du pays, et je ne pense pas, non plus, que l'honorable M. Coomans ait voulu renverser toutes les barrières à la fois. Pour ma part, je ne redouterais pas la chose, mais je sais que beaucoup de nos industriels la redouteraient, et peut-être cette crainte paralyserait leurs efforts.

Il est un fait que l'on ne peut cependant pas nier, c'est que, dans les campagnes on représente l'industrie agricole comme victime d'un système qui favoriserait les autres industries au détriment de l'agriculture.

Cette pensée, il faut la faire cesser. Pour cela il n'y a qu'un moyen, c'est de présenter le projet dont nous a parlé M. le ministre et qui a pour objet la révision de notre tarif. Sous ce rapport, si l'honorable M. Coomans s'était borné à demander au gouvernement de hâter la présentation de ce projet de loi, je me serais volontiers associé à lui pour appuyer cette demande. Je sais que c'est un travail difficile à faire, un travail qui doit prendre du temps pour être bien fait et pour être préparé de manière à abréger la discussion dans cette chambre. Cependant, comme je le disais tout à l'heure, lorsqu'on ne cesse, dans les campagnes, de représenter l'agriculture comme victime de la protection accordée aux autres industries, je ne puis assez engager le gouvernement à hâter la présentation de ce projet de loi.

M. Rodenbach. - Messieurs, je dois appuyer ce que vient de dire l'honorable préopinant. Il n'est pas rationnel, je dirai même qu'il est inique de ne protéger l'agriculture que de 4 ou 5 p. c. tandis que l'industrie houillère est protégée peut-être de 100 p. c, et que l'industrie des fers est protégée de 100 à 150 p. c ; et ce sont ces industries qui ont une importance de 30 à 40 millions.

Je défie le ministre de pouvoir démontrer qu'il n'a pas deux poids et deux mesures, lorsque l'agriculture n'est protégée que de 4 à 5 p. c, tandis que les autres grandes industries dont les cultivateurs ont besoin pour la confection des instruments nécessaires à l'agriculture, pour se vêtir, etc., obtiennent une protection de 100 et même de 150 p. c, qui les met à même de soutenir la concurrence. Il n'y a là ni égalité, ni justice. « On ne peut pas jeter la perturbation dans les industries, » a dit M. le ministre de l'intérieur. Et pourquoi, dirai-je à mon tour, n'a-t-on pas craint de jeter la perturbation dans l'agriculture ?

Aussi l'agriculture éprouve-t-elle en ce moment de vives souffrances. Dans ma province et notamment dans mon district, je connais des villages où trois ou quatre fermiers ont dû abandonner leur exploitation, parce qu'ils étaient dans un état de gêne, parce qu'ils ne pouvaient pas payer leurs baux, par suite du bas prix des céréales.

Vous voulez, dites-vous, protéger l'agriculture ; mais vous ne prenez aucune mesure efficace en faveur de l'agriculture ; tandis que vous accordez, je le répète, une protection de 100 et même de 150 p. c. aux grandes industries ; quant à ces industries, quoiqu'on dise que l'on révisera le tarif, vous demeurez dans un statu quo complet.

L'agriculture seule est frappée ; car ce n'est pas sans doute avec des médailles et des décorations que vous pourrez protéger efficacement l'agriculture.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, mon honorable collègue de l'intérieur a eu l'honneur de dire à la chambre que le gouvernement s'occupait d'une révision des tarifs. C'est un travail immense. Tous les renseignemenis nécessaires pour qu'un projet de loi puisse être présenté, sont bien loin d'être réunis. Nous ne pourrions pas faire concevoir l'espérance de déposer un projet sur cette matière dans un temps très rapproché. Cette espérance ne se réaliserait pas. Tout le monde comprend qu'un travail de cette nature ne peut pas être improvisé.

M. Vilain XIIII. - Le projet ne pourra pas être déposé pendant cette session ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je ne m'y engage en aucune manière.

Je me lève principalement pour répondre à l'assimilation que l'on fait sans cesse, et qui est encore reproduite, dans l'amendement de l'honorable M. Coomans, entre l'industrie agricole et les autres industries. On invoque le régime qui est appliqué à l'une, par opposition au régime qui serait appliqué aux autres industries.

Cette assimilation n'a aucune espèce de fondement ; il n'existe dans aucun pays du monde un seul et même régime pour ces diverses industries... (Interruption). La législation sur les céréales dans tous les pays a été toujours différente de la législation applicable aux produits industriels. C'est une question de sens commun.

Ce que vous demandez, ce que vous aviez avant la loi qui nous régit actuellement, l'échelle mobile, était-ce la loi douanière commune ? Appliquait-on l'échelle mobile aux autres produits industriels ? Cela aurait-il soutenu un seul instant l'examen ? Et pourquoi ne le fait-on pas ? Parce que la production agricole est soumise à des règles entièrement différentes de celles des produits industriels.

La production agricole est soumise aux éléments, la production industrielle n'est pas soumise aux éléments ; la production agricole a une limite, la production industrielle est pour ainsi dire indéfinie et sans limites.

Ensuite la question de l'alimentation des populations n'est pas comme la question de savoir si l'on aura des robes de soie, des vêtements de luxe ; c'est une chose de première nécessité, cela est indispensable. Vous auriez beau faire des lois prétendument protectrices, vous les aboliriez toutes, à certains moments donnés. Or, ces conditions, vous ne les rencontrez pas, en ce qui touche les produits industriels.

L'honorable M. Rodenbach se plaint de la protection qui est accordée aux autres industries, et de ce que l'agriculture n'est pas protégée. Que demande l'honorable membre ? Veut-il qu'on abolisse les droits qui protègent les toiles et les fils du pays ? Est-ce là ce qu'il demande ? Il ne faut pas tant d'équivoque ; il faut qu'on s'explique franchement.

M. Rodenbach. - Ce droit n'est que de 20 p. c. tandis que le droit qui protège les fers est de 150 p. c.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - La question de la quotité du droit ne signifie absolument rien. Est-ce qu'on vous aura donné satisfaction, quand on aura réduit à 20 p. c. le droit protecteur sur les houilles ? Ce sera encore un droit protecteur, et vous n'aurez pas plus d'importations étrangères. Qu'importe qu'on fixe nominalement tel ou tel chiffre, si en effet le chiffre même très bas constitue une véritable prohibition, une impossibilité d'entrée ? Tout est là : le chiffre ne signifie donc absolument rien.

On parle du prix des céréales ; j'entends d'honorables membres se féliciter avec le discours du Trône que nous ayons une récolte abondante, c'est-à-dire des denrées à bon marché, et ils se plaignent de ce qu'ils nomment les souffrances de l'agriculture. Que veulent-ils donc ? Apparemment que le prix des céréales soit plus élevé ; mais alors comment peuvent-ils se féliciter de ce qu'il y a des céréales à bon marché ? Qu'ils nous expliquent cette contradiction.

Je conçois qu'on ne puisse pas exprimer le désir que le prix des denrées alimentaires soit élevé, car il faut se préoccuper de l'alimentation des populations ; mais je le répète, vous êtes en contradiction avec vous-mêmes, quand vous vous félicitez de ce que la récolte a été abondante ; et dès lors de ce que les prix sont bas ; et lorsque vous vous plaignez de ce que vous appelez les souffrances de l'agriculture, vous ne voulez pas que les denrées soient à bon marché.

Les lois que vous pourrez faire sur les céréales, à la différence des lois qui concernent les produits industriels, ne pourront exercer qu'à certains moments donnés une influence véritable sur le prix des denrées ; si la récolte est abondante, vous aurez beau avoir des droits protecteurs, vous n'aurez pas l'introduction de marchandises étrangères, et vous aurez les denrées à vil prix. En France, vous avez l'échelle mobile, objet de vos prédilections. Eh bien, l'échelle mobile a-t-elle pour résultat que les grains soient à un prix élevé en France ?

Mais les grains sont à un prix beaucoup plus bas qu'en Belgique, non seulement en France, mais dans la plupart des autres pays.

M. Coomans ne s'explique pas cela ; c'est une chose qu'il ne comprend pas, qu'il ne peut pas s'expliquer. La raison en est qu'il y a beaucoup de grains en France, ce qui fait que les prix restent bas malgré l'échelle mobile. En Belgique, au contraire, malgré les importations il nous en manque encore, le marché n'est pas assez approvisionné, les prix restent plus élevés, voilà qui est clair.

Je demande qu'on ne cherche pas à répandre une erreur consistant à établir une assimilation entre le régime applique à l'industrie et celui applique aux denrées alimentaires.

M. de Theux. - L'honorable ministre des finances croit que les adversaires de la politique commerciale et industrielle du cabinet sont en contradiction. Pour moi, j'ai remarque une contradiction flagrante dans les opinions du cabinet sur cette matière. En effet, quel langage tient le ministère quand il veut se rendre favorables les industriels ? Il leur dit : Nous voulons le bas prix des vivres pour diminuer le salaire des ouvriers, je ne dis pas pour augmenter l'aisance des ouvriers.

Il leur dit : Nous avons fait, dans votre intérêt, abolir toute loi protectrice de l'agriculture, tout impôt destiné à arrêter l'introduction des céréales étrangères ; par là nous arriverons à ce que vous désirez, le bas prix des vivres et par suite des salaires. Ce langage soulève des réclamations de la part de l'industrie agricole ; quand cette industrie se plaint, que dit le ministre ? Vous avez tort de vous plaindre ; la loi qui a aboli toute protection à l'entrée des produits agricoles a eu pour résultat de les faire renchérir ; c'est à tel point que c'est à l'aide de cette loi que les céréales se vendent plus cher en Belgique qu'en France. Si ce n'est pas là une contradiction il n'y en aura jamais. Le ministère veut flatter tout le monde tour à tour ; quand l'industrie s'émeut il rappelle qu'il a aboli les droits protecteurs de l'agriculture ; quand l'intérêt agricole s'émeut à son tour, il lui dit que l'abolition de la protection a fait élever le prix des denrées. Voilà un langage que nous ne pouvons pas approuver.

M. le ministre semble croire que nous redoutons l'abondance des récoltes et l'abaissement du prix des céréales ; j'ai dit que l'élévation du prix des grains par suite de mauvaises récoltes était une mauvaise chose au point de vue de l'alimentation et de l'intérêt du cultivateur. Voilà la seule thèse que j'ai défendue.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'honorable préopinant nous attribue une opinion que nous n'avons pas énoncée. Il soutient que le gouvernement affirme que c'est grâce à la loi sur les denrées alimentaires que les céréales sont à un prix plus élevé dans ce pays que dans les pays voisins. J'en demande pardon à l'honorable membre, nous n'avons jamais soutenu une pareille absurdité. Nous constatons ce fait que nonobstant le régime que vous appelez détestable, les céréales sont à un prix plus élevé en Belgique que dans les pays voisins ; mais nous ne disons pas que cela résulte de la loi, nous disons que cela résulte de l'état des récoltes par rapport aux besoins du pays ; nous disons que ces besoins sont tels que, malgré les importations, les prix sont encore plus élevés qu'ailleurs ; de même nous constatons qu'en France l'échelle mobile, objet de vos affections, n'a pas eu pour effet d'élever le prix des céréales ; elle ne peut avoir cet effet que quand la denrée (page 23) manque, lorsqu'il y a plus d'acheteurs qui de vendeurs ;alors empêcher l'entrée des céréales étrangères, établir des barrières pour empêcher les grains étrangers d'arriver sur les marchés de l’intérieur, quand les approvisionnements sont inférieurs aux demandes, c'est faire une chose cruelle.

Nous avons pour l'industrie agricole un système que la chambre a sanctionné.

C'est un système complet permettant l'entrée des céréales moyennant un certain droit qui ressemble à celui qui régit beaucoup d'autres industries, mais permettant aussi l'importation et l'exportation. J'ajouterai que les exportations des produits agricoles vont toujours croissant, dans une proportion extrêmement notable. (Interruption.) Les exportations non pas précisément de céréales mais de tous les autres produits de la terre vont toujours en augmentant ; cela constitue un avantage manifeste pour l'agriculture.

M. de Theux. - M. le ministre des finances a raison de dire qu ce serait une cruauté d'empêcher l'entrée des céréales étrangères quand nos récoltes ne suffisent pas au besoin du pays ; aussi cette politique n'a-t-elle jamais été la mienne ni celle de mes honorables amis. La meilleure preuve que je puisse en donner, c'est que toujours nous avons proposé la suspension des lois protectrices de l'agriculture, quanl les prix ont commencé à s'élever.

M. le ministre nous dit que c'est à tort que nous attribuons aux défenseurs de la loi existante l'idée que le système qu'elle consacre soit favorable aux intérêts agricoles.

Je me rappelle cependant avoir entendu soutenir cette thèse que le régime de la liberté appliqué aux céréales avait pour effet d'en élever les prix. C'est une matière à laquelle nous portons trop d'intérêt pour oublier les arguments produits de part et d'autre. Si ce n'est pas là ce qu'on a voulu dire, il m'est impossible de comprendre la signification de ce passage du discours du Trône, où il est dit que, malgré une récolte abondante, le prix des céréales est plus avantageux en Belgique que dans d'autres pays, et que l'agriculture reçoit une plus grande rémunération. Je ne puis comprendre cette phrase autrement que comme indiquant que c'est grâce à la liberté absolue du commerce des céréales que les prix sont plus élevés en Belgique qu'ailleurs, et que l'agriculteur y reçoit une plus grande rémunération. C'est la seule interprétation qui se présente à l'esprit.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - La phrase du discours du Trône que l'on critique se borne à constater des faits. Il est important quand le gouvernement parle, quand la chambre lui répond, d'éclairer le pays ; il est bon que nos populations rurales sachent officiellement en quelque sorte que les prix de leurs produits sont plus élevés encore en Belgique que dans beaucoup d'autres contrées, et voici pourquoi : Beaucoup de nos adversaires se font une arme contre le gouvernement et la majorité libérale qui a voté la loi des denrées alimentaires, de l'avilissement du prix des céréales. Quand il y a une baisse dans les mercuriales, que dit-on aux cultivateurs ? C'est la faute de la loi sur les denrées alimentaires ; si nous avions un autre régime, vous vendriez vos céréales à des prix beaucoup plus élevés. Il faut détruire ces assertions mensongères que l'on répand dans les campagnes. Il n'est pas exact de dire que la loi des denrées alimentaires soit la cause de l'avilissement du prix des céréales.

Nous maintenons qu'avec cette loi, nous ne disons pas à cause de cette loi, mais avec cette loi le prix de nos denrées alimentaires se maintient à un taux plus élevé que dans beaucoup d'autres pays qui vivent sous le régime protecteur. Voilà ce que nous repondons aux populations des campagnes. Nous n'attribuons pas à l'effet de la loi sur les denrées alimentaires le prix relativement satisfaisant de nos céréales. On peut soutenir toutefois qu'un régime libéral, quant aux denrées alimentaires, tend plutôt à élever les prix qu'à les avilir, et les faits parlent encore pour nous en cette circonstance.

Où voyons-nous les prix plus élevés ? Précisément dans les pays qui jouissent de la plus grande liberté commerciale pour les céréales.

Pourquoi notre système libéral en matière de denrées alimentaires peut-il tendre à maintenir nos prix à un taux relativement supérieur à celui d'autres pays ? Parce qu'il excite au commerce, et que lorsque le commerce s'empare d'uue denrée quelconque il tend à en soutenir le prix. L'exportation de nos produits agricoles a pour effet d'élever leurs prix sur les marchés du pays. Si nous n'avions pas un régime libéral d'exportation, les produits du pays pèseraient, en certains cas, sur le marché, et s'aviliraient par là même ; c'est parce que les producteurs agricoles trouvent des débouchés à l'extérieur, qu'ils peuvent maintenir leurs marchandises au-dedans à un prix plus élevé, et voilà comment la législation actuelle peut avoir eu pour résultat d'élever les prix. Il n'y aurait donc pas d'exagération à soutenir que si nos prix se maintiennent à un taux satisfaisant relativement à celui des autres pays, c'est à la loi actuelle qu'on le doit.

M. De Pouhon. - J'avais demandé la parole pour revendiquer une thèse que l'honorable comte de Theux reprochait au gouvernement et que M. le ministre des finances a traitée d'absurde. C'est celle que les prix des grains sont mieux maintenus par le régime de libre entrée que par des droits élevés à l'importation. J'ai soutenu cette thèse avec étendue dans la discussion de la loi des céréales. M. le ministre de l'intérieur vient de vous expliquer comment cet effet se produit naturellement. Je n'ai qu'à me référer à ce qu'il a dit.

M. Malou. - Je ne prolongerai pas beaucoup ce débat. Cependant il me paraît nécessaire de bien préciser la question, Nous désirons tous que les denrées alimentaires soient à un prix modéré : nous avons constamment, par nos actes dans la majorité et dans l'opposition, témoigné de notre désir de procurer à toutes les classes de la population des aliments à des prix modérés. Mais l'intérêt agricole est le premier intérêt du pays, pour la chambre et pour le gouvernement.

Il ne faut pas qu'il soit subordonné à d'autres. Or ce dont se plaignent nos amis, ce dont je me plains moi-même, ce n'est pas le bas prix des denrées ; mais c'est que l'agriculteur qui est obligé à de grands sacrifices ne trouve pas une rémunération dans les lois qui régissent l'ensemble des intérêts du pays.

Voilà la question ; il ne faut pas la déplacer. C'est une question de justice avant tout.

Dans le discours du Trône, on articule un fait, à savoir que le prix est plus élevé en Belgique que dans d'autres pays. Le fait peut être vrai ; mais il ne signifie rien.

Dans l'adresse au contraire on dit que la rémunération de l'agriculture est plus élevée que dans d'autres pays. Cela peut n'être pas exact. En effet le prix rémunérateur se compose de plusieurs éléments : il faut constater les conditions où l'on se trouve pour produire des céréales.

Ainsi en France, il se peut que les conditions où l'on se trouve pour produire des céréales soient telles qu'avec un prix moindre on ait une rémunération plus élevée. Donc vous ne pouvez dire que, parce que les prix sont plus élevés en Belgique, l'agriculture y trouve une rémunération plus élevée que dans d'autres pays.

Je le répète, le discours du Trône articule un fait qui ne prouve rien ; l'adresse donne une réponse qui est complètement inexacte.

Je remarque (et je ne m'arrête guère à cela) une flagrante contradiction entre le discours de M. le ministre de l'intérieur et celui de M. le ministre des finances.

Le régime libéral existe, selon M. le ministre de l'intérieur, pour exciter au commerce, et il contribue par conséquent à l'élévation des prix ; et selon M. le ministre des finances, il existe en vue du bon marché.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'eët-à-dire qu'il a produit ce résultat.

M. Malou. - C'est-à-dire qu'il existe de manière à produire ce résultat.

Je ne veux pas relever les reproches de légèreté, les mots « assertions mensongères », « armes de parti ». Lorsqu'une observation est faite dans un intérêt national, on tâche de la faire dévier vers la politique. Les campagnes savent parfaitement ce qu'on dit et ce qu'on fait, quelle est la situation actuelle, et c'est parce qu'elles le ressentent que tout ce qu'on dit ne détruira pas l'opinion qui existe, et que vos actes enracinent tous les jours de plus en plus.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je suis persuadé que l'honorable préopinant est sans aucune préoccupation politique, quand il prend la parole sur les questions qui sont débattues devant la chambre, il voudra bien admettre, quand je lui fais cette concession, que c'est aussi sans aucune préoccupation politique que je m'explique sur la question qui occupe en ce moment la chambre.

L'honorable préopinant a dit une chose qui est vraie : le prix rémunérateur se compose, pour le fermier, de l'ensemble des profits qu'il fait sur son exploitation, il ajoute qu'il faut tenir compte des dépenses que le fermier doit faire pour se procurer les objets qui lui sont nécessaires, et si le prix des denrées alimentaires, si le prix des céréales est plus élevé en Belgique que dans d'autres pays, cela ne prouve pas que les profits des agriculteurs soient ici, en définitive, plus élevés que dans d'autres contrées.

Eh bien, je prends la proposition de l'honorable M. Coomans, l'amendement qu'il soumet à la chambre pour vous constituer immédiatement juges du fondement de cette assertion en ce qui touche les agriculteurs belges.

L'honorable M. Coomans, précisant la pensée de l'honorable M. Malou, nous dit : Le prix des denrées alimentaires est ici peu élevé ; c'est grâce à vos lois. Mais vous avez des lois protectrices d'autres industries et l'agriculteur se trouve dans l'impossibilité de se procurer les vêtements, le fer, la houille à aussi bas prix qu'il pourrait les obtenir s'il y avait un abaissement de droits ou liberté de commerce pour ces objets.

C'est très bien, mais je demande à l'honorable M. Malou à quel prix sont les objets de vêtements en France et en Belgique ? A quel prix est le fer en France et en Belgique ? A quel prix est la houille en France et en Belgique ?

M. Malou. - C'est déplacer la question.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous serez obligé de me concéder sur-le-champ que tous ces objets sont à des prix infiniment plus élevés en France qu'en Belgique, et cependant en France le prix des céréales est à meilleur marché qu'en Belgique. D'où il faut conclure que nous disons parfaitement vrai, lorsque nous affirmons que dans ce pays l'agriculteur reçoit une rémunération bien plus élevée que dans beaucoup d'autres contrées.

Cela me semble parfaitement clair.

L'honorable M. Malou s'etonne que l'on énonce que le prix des céréales est plus élevé nonobstant la loi. Il veut combattre l'assertion émise pas mon honorable collègue, M. le ministre de l'intérieur. Mais (page 24) M. le ministre de l'intérieur a dit une chose qui est parfaitement vraie : grâce à la liberté du commerce des céréales, on empêche ces brusques fluctuations des prix qui existent, lorsque vous avez l'échelle mobile ou un autre régime pour l'introduction des denrées alimentaires. Avec l'échelle mobile vous avez de très brusques fluctuations. Vous avez tantôt des prix très élevés lorsque les denrées alimentaires manquent, lorsque la récolte est moins abondante dans le pays ; tantôt des prix très bas lorsque les denrées sont très abondantes ou lorsque tout à coup vous êtes obligés de permettre l’introduction des denrées dans le pays, en suspendant les effets de vos mauvaise slois.

La liberté du commerce des grains, qui est beaucoup plus favorable à l'agriculture que les fluctuations brusques des prix, a pour résultat d'établir une moyenne de prix généralement constante et généralement satisfaisante.

C'est grâce à cette moyenne des prix que les baux ne s'élèvent pas outre mesure, tandis que, quand vous avez des années de cherté excessive, ce qui se présente malheureusement trop souvent, la moyenne des prix des denrées alimentaires devient beaucoup plus élevée et les prix des baux sont augmentés en conséquence.

Voilà où est le mal ; voilà pourquoi nous avons détruit la loi établissant l'échelle mobile pour les denrées alimentaires et introduit un régime qui empêche de pareils inconvénients, je dirai de pareils abus.

- La clôture est demandée.

M. Rodenbach (contre la clôture). - Il me semble qu'il n'est pas très libéral que les ministres aient constamment les derniers la parole. J'aurais voulu répondre et dire pourquoi le grain est ici à un prix plus élevé dans ce moment qu'en France. Il paraît que l'on veut absolument faire figurer dans l'adresse que la récolle est très bonne. Eh bien, je conteste ce fait et je puis prouver le contraire.

Si l'on ne veut pas continuer la discussion, je serai forcé de m'asseoir. Mais je désire que l'on me permette d'énoncer mon opinion.

- La clôture est mise aux voix et prononcée.

L'amendement de M. Coomans est mis aux voix ; il n'est pas adopté.

Le paragraphe 7 est adopté.

Paragraphes 8 et 9

« Ce double résultat est aussi dû aux progrès toujours croissants de l'industrie agricole. Que les efforts du gouvernement ne cessent de tendre vers ce but éminemment utile, qu'il ne néglige rien pour que les travaux d'amélioration de la voirie vicinale continuent à prendre une grande extension. Les avantages que le bon état des communications rurales procure à l'agriculture sont immenses, ils seront chaque jour mieux appréciés et les communes comprendront de plus en plus la nécessité de seconder efficacement l'action du gouvernement et des provinces. »

- Adopté.


« Nous apprenons avec bonheur que l'état sanitaire du pays laisse peu à désirer et que, sous l'impulsion du gouvernement, les autorités locales rivalisent de zèle pour améliorer les conditions hygiéniques des classes laborieuses, si dignes de toute notre sollicitude. »

- Adopté.

Paragraphe 10

« Nous nous réjouissons, avec Votre Majesté, de ce que l'industrie et le commerce se maintiennent dans une voie prospère. Si notre commerce extérieur, qui avait atteint, en 1849, un degré de développement auquel il n'était point encore arrivé, n'a pas perdu de son essor en 1850, si tout nous promet pour l'année courante des résultats non moins favorables, c'est surtout au génie inventif et à l'intelligente activité de nos industriels qu'il faut l'attribuer. »

M. Loos. - Messieurs, ce paragraphe reconnaît que l'industrie et le commerce se maintiennent dans une voie prospère. Il se peut, messieurs, que ce soit une vérité pour le commerce et l'industrie en générai, je n'ai pas les moyens de le vérifier ; mais ce que je puis affirmer, c'est qu'une branche de notre industrie, c'est qu'une branche essentielle de notre commerce, la branche la plus importante du commerce qui s'exerce dans la métropole commerciale de notre pays, se trouve dans une situation des plus déplorables : il s'agit du commerce et de l'industrie des sucres.

Cette situation, messieurs, provient de l'état vicieux de notre législation, de la protection exagérée accordée aux sucres de betterave. La situation est telle que si le gouvernement ne nous propose pas des modifications à la loi, dans l'intérêt de l'industrie et du commerce, il sera forcé de nous la proposer dans l'intérêt même du trésor.

Je ne puis croire que le gouvernement veuille laisser arriver les choses à ce point, qu'il ne soit mû que par l'intérêt exclusif du trésor.

La situation, messieurs, est déplorable à ce point que dans le port d'Anvers il est entré au 1er novembre 1851, 40 navires de moins chargés de sucre qu'en 1850, à la même époque ; qu'il est arrivé 70,000 caisses de sucre de moins en 1851 qu'en 1850. Cet état de choses tend à s'aggraver tellement que dès l'année prochaine, je le répète, le gouvernement, dans l'intérêt du trésor public, sera obligé de proposer des modifications à la loi qui existe aujourd'hui, car cette loi, messieurs, donne, ainsi que je l'ai dit quand elle a été discutée, une protection exagérée au sucre de betteraves.

En 1846, lorsque nous avons discuté la loi des sucres, on établissait une différence de 5 fr., seulement entre le sucre de betteraves et le sucre de cannes. La loi de 1849 est venue augmenter cette protection de 5 fr. encore, de sorte qu'aujourd'hui il y a une difference de 5 fr. par 100 kilogrammes entre les deux sucres. Mais indépendamment de cette protection qui est inscrite dans la loi, le mode établi par arrêté royal pour la prise en charge du sucre de betteraves a augmenté encore la difference de plusieurs francs et je n'exagère rien en disant que la protection est aujourd'hui de 10 à 12 fr. par 100 kilog. au lieu de 5 fr. qu'on s'était proposé d'établir en 1846, alors que la production se serait élevée à 3,800,000 kilog.

En effet, l'article 5 de la loi de 1846 établissait que si la production du sucre de betteraves dépassait 3,800,000 kilog., le droit pourrait être élevé jusqu'à concurrence de 40 fr.

La loi de 1849 a fait disparaître cette disposition. En 1846, la production du sucre de betteraves n'était que de 2,500,000 kil., accusés par les recettes. En 1847, elle était de 5,000,000 de kil. ; aujourd'hui elle s'élève à 11 millions. Aussi que voyons-nous ? En même temps que les raffineries de sucre de cannes se ferment, sur tous les points du pays il s'élève des fabriques de sucre de betteraves.

Il est donc évident que l'une des industries se trouve protégée contre l’autre, de telle sorte que l'existence du commerce et de l'industrie du sucre exotique est devenue impossible en Belgique, et qu’avant un an, je le répète encore, le gouvernement sera forcé de faire, dans l’intérêt du trésor public, ce qu’il n’a pas fait jusqu’à présent dans l’intérêt du commerce et de l'industrie du sucre.

Ainsi, messieurs, l'une des branches les plus essentielles du commerce maritime se trouve dans un état de souffrance déplorable, et, pour ma part, je pourrais difficilement, sans qu'une exception soit faite, admettre dans l'adresse que le commerce et l'industrie continuent à se maintenir dans un état prospère, à moins que M. le ministre des finances ne veuille nous donner l'assurance qu'il avisera aux moyens de remédier à une situation qui est devenue intolérable.

M. Delehaye. - On ne peut pas se le dissimuler, messieurs, la loi sur les sucres a eu pour but de protéger les deux industries alors en rivalité, et de plus les revenus du trésor ; mais je n'hésite pas à dire, comme l'honorable préopinant, que cette loi, qu'on envisageait d'abord comme devant produire d'excellents résultats, n'a satisfait à aucune de ses promesses. (Interruption.)

Un honorable député de Bruxelles me rappelle ce qui s'est passé dans cette discussion ; je n'ai pas hésité, en effet, à dire que de toutes les propositions soumises à la chambre la seule rationnelle était celle de l'honorable M. de Brouckere. Soyez-en convaincus, messieurs, si la législation des sucres n'est pas modifiée, le principal élément de la navigation disparaîtra complètement, l'honorable M. Loos vient de le dire. Il est arrivé en 1851, 70,000 caisses de sucre de moins qu'en 1850 ; eh bien, si ces importations doivent encore se réduire, ce sera le coup le plus rude porté à notre métropole commerciale.

Je ne veux pas me déclarer partisan du sucre de cannes au détriment du sucre de betteraves, mais je désire que M. le ministre des finances veuille bien s'expliquer et qu'il puisse dissiper les craintes sérieuses qui ont surgi dans le chef-lieu du district dont j'ai l'honneur d'être député.

L'industrie du sucre a perdu une grande partie de son activité ; la plupart des établissements ne travaillent plus qu'à très petites journées.

Je prie donc le gouvernement de vouloir nous donner quelques renseignements et surtout de nous dire si de nouvelles dispositions vont être prises ou si la loi actuelle doit être maintenue. Dans ce dernier cas j'appuierais la proposition qui a été faite dans le temps par l'honorable M. de Brouckere, mais je pense que le gouvernement comprendra l'importance de l'objet et qu'il proposera des modifications à la loi.

Je crois, messieurs, que nous pouvons adopter le paragraphe proposé par la commission ; cependant il me semble que les termes en sont un peu trop généraux,et il serait peut-être préférable de le rédiger en ce sens ;

« Nous nous réjouissons avec Votre Majesté de ce que la plupart des branches d'industrie et de commerce se maintiennent dans une voie prospère. »

Si cependant M. le rapporteur veut nous dire que, dans son opinion, il est réellement des branches d'industrie qui sont en souffrance... (Interruption). Il y en a d'autres encore ; ainsi l'industrie métallurgique est dans un état assez grave pour mériter la sollicitude de la chambre.

Si donc M. le rapporteur est d'accord avec moi, je ne proposerai pas d'amendement ; s'il en était autrement, j'en proposerais un dans le sens de celui que j'ai indiqué.

M. Osy. - Je désire, messieurs, que l'amendement dont vient de nous entretenir l'honorable M. Delehaye, soit inséré dans l'adresse, car non seulement le raffinage est dans la plus grande souffrance, mais le commerce du sucre lui-même souffre considérablement ; sous ce rapport je trouve que l'honorable M. Delehaye ne va pas assez loin et je proposerai une modification du reste du paragraphe. Comme l'a dit l'honorable M. Loos, on peut considérer le raffinage pour l'exportation comme anéanti. Le rendement dépasse de 10 p. c. celui de la Hollande. Il y aura donc une lutte à l'intérieur entre le sucre de betteraves et le sucre de cannes jaunes et le marché n'étant que de 12 millions, le commerce souffrira considérablement. Cette année l'importation du sucre brut a diminué de 15 millions de kil.

Mais, en outre, le stock à Anvers est tellement considérable, en (page 25) proportion des arrivages, qu’il n’y a pas moyen de réaliser, parce qu’on ne peut pas raffiner pour l’exportation.

A ce point de vue donc, il n'est pas possible de maintenir le paragraphe tel qu'il est, il y faut un correctif. Je proposerai un amendement.

Je désire que le gouvernement nous dise s'il est dans l’intention de faire changer la loi des sucres ; car il faut qu'on sache le plus tôt possible s'il y a moyen encore, pour la campagne prochaine, de continuer les exportations. Si le gouvernement ne veut faire aucun changement à la loi, il est certain que l'abolition de la loi existe. Le moyen dont parlait en 1848 l'honorable M. de Brouckere, serait, en ce cas, préférable à ce qui existe maintenant.

J'adopte l'amendement de l'honorable M. Delehaye, mais j'en modifie la seconde phrase de la manière suivante :

« Notre commerce extérieur, qui avait atteint, en 1849, un degré de développement auquel il n'était point encore arrivé, n'a pas perdu de son essor en 1850 ; cependant nous craignons que le résultat de l'année courante soit moins favorable, et nous recommandons à la sollicitude du gouvernement les raffineries et le commerce maritime de la Belgique. »

M. Rodenbach. - Messieurs, j'appuierai l'amendement de l'honorable M. Delehaye, au point de vue, non pas de la question des sucres, mais de la question importante des toiles.

Il est reconnu, et si mes souvenirs ne me trompent pas, les ministres en ont souvent eux-mêmes fait l'aveu ; il est reconnu qu'en 1837 et en 1838, nous exportions pour 40 millions de toiles ; d'année en année, l'exportation des toiles est allée en diminuant, à tel point qu'aujourd'hui on n'exporte plus que pour 10 à 12 millions.

On dit que l'exportation générale est augmentée de plusieurs millions. Cela est très vrai, et je suis charmé que l'ensemble de nos exportations ait pris cet accroissement. Mais quelles sont les industries qui ont eu ce grand développement ? Ce sont précisément celles qui ont une protection de 100 et de 150 pour cent, telles que les fers, les houilles, etc. Ces industries-là sont les plus prospères ; ce sont celles-là qui sont maintenant les plus protégées dans le pays, tandis que l'exportation des toiles est tombée de 40 à 10 ou 12 millions.

Messieurs, nous sommes à la veille de l'expiration du traité avec la France ; nos toiles sont frappées dans ce pays d'un droit de 20 p. c. ; j'espère que le gouvernement fera tous ses efforts pour que le nouveau traité nous soit favorable et nous mette à même d'exporter, comme précédemment, pour 30 à 40 millions de toiles.

Je dirai encore un mot. On vient de réclamer en faveur des sucres des primes considérables. Il existait une prime de 10 p. c. pour l'exportation des toiles ; je l'ai déjà dit, je ne suis pas partisan en principe des primes ; mais je ne puis approuver cependant le ministère d'avoir brusquement, d'un trait de plume, supprimé la prime qui était accordée aux toiles. C'est depuis cette suppression que l'exportation de nos toiles à l'étranger a complètement cessé.

Autrefois, il y avait 200,000 individus employés à la fabrication des toiles, avant que le fil à la mécanique ne fût introduit en Belgique ; d'après la statistique du gouvernement, 14,000 individus seulement sont employés à la fabrication du fil à la mécanique. Eh bien, puisqu'on a réduit la main-d'œuvre de 200,000 à 14,000 individus, il faudrait revenir à la prime que vous avez si brusquement supprimée ; il le faut d'autant plus que les Flandres que vous désirez, dites-vous toujours, voir prospères, sont loin d'être sauvées. Je crains bien qu'il n'y ait de la perturbation ; on commence à renvoyer les ouvriers ; et si l'on n'a recours à quelques moyens de protection, vous verrez, durant cet hiver même, la misère décimer les Flandres qu'on nous représente comme si heureuses.

M. Delfosse, rapporteur. - Messieurs, nous ne pouvons discuter en ce moment ni la question des sucres, ni celle des toiles ; cela nous mènerait trop loin et ne nous conduirait à rien ; ces questions méritent une discussion spéciale et approfondie.

L'adoption du paragraphe ne préjugera rien. Quand on affirme que le commerce et l'industrie sont dans une voie prospère, on entend parler de l'ensemble des opérations de l'industrie et du commerce. Quelle que soit la situation et quoi que l'on fasse, il y aura toujours quelques branches en souffrance.

Je le répète, lorsque nous disons que l'industrie et le commerce se maintiennent dans une voie prospère, nous faisons allusion à l'ensemble des exportations. C'est ainsi que le gouvernement a entendu le paragraphe du discours du Trône ; c'est ainsi que la commission a entendu le sien.

J'espère que cette explication suffira pour engager l'honorable M. Delehaye à retirer son amendement ; nous sommes du même avis, nous pensons qu'il y a certaines branches d'industrie en souffrance ; le gouvernement devra faire tous ses efforts pour porter remède au mal, sans toutefois se mettre en opposition avec les intérêts généraux du pays.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Les explications qui viennent d'être données par l'honorable rapporteur sont entièrement d'accord avec la pensée du gouvernement. Il est certain que quand on a énoncé que l'industrie et le commerce étaient dans une situation satisfaisante, on a entendu parler d'une manière générale. Il y a certaines industries qui souffrent ; on peut en citer d'autres que le raffinage, et qui ont une importance plus considérable, pour lesquelles on ne demande pas une mention particulière dans l'adresse. Depuis assez longtemps déjà un certain malaise s’est manifesté dans cette industrie ; il en a été de même à diverses époques. Cet état de choses n’est pas particulier à la Belgique, il en est de même à peu près dans les autres pays.

Ce n'est pas à la législation qu'on peut imputer cette situation ; c'est à l'état même de l'industrie, aux excès de la production. En Angleterre où il y a un régime différent, on entend aussi des plaintes très vives sur la situation de l'industrie saccharine ; en Hollande où les raffineurs paraissent jouir de beaucoup plus d'avantages que chez nous, les souffrances de cette industrie sont parfois plus grandes qu'en Belgique.

On sait toutes les difficultés que la même question a soulevées en France ; dans ces differents pays il y a souffrance périodique et cependant les régimes sont différents ; en Angleterre il n'y a qu'une seule industrie, celle du raffinage du sucre exotique, car la législation proscrit la culture de la betterave ; en France les deux sucres sont en présence et l'objet d'un traitement différent de celui que nous avons adopté dans ce pays : les deux sucres supportent le même impôt ; malgré cela à certaines époques, périodiquement une certaine souffrance se manifeste.

Ici la question n'est pas moins difficile. D'une part nous avons le sucre de betterave, d'autre part nous avons le raffinage du sucre exotique ; la production du sucre de betterave prend de jour en jour plus d'extension. Peut-on songer à empêcher cette industrie de se développer ? (Interruption.)

Je pose les questions ; j'indique la situation ; Cette industrie prend de jour en jour plus d'extension. (Interruption.)

L'industrie du raffinage connaissait cette situation quand en 1849, lors de la révision de la législation, elle a reconnu qu'il y avait lieu d'accorder une protection plus considérable à l'industrie betteravière que précédemment. (Interruption.) Je parle des intéressés. C'est un fait notoire, accepté par tout le monde ; aujourd'hui, à une époque peu éloignée, on prétend que cette protection est beaucoup trop forte, qu'il faudrait la réduire. Je ne suis par le moins du monde sûr que ce serait un remède efficace et que la crise dont on se plaint, ne se reproduirait pas à une époque plus ou moins éloignée.

J'ai eu occasion de recevoir les raffineurs au mois d'avril je pense. J'ai examiné avec eux la situation ; je n'ai pas contesté le malaise, j'ai demandé le remède pratique qui pouvait être adopté par les chambres ; les intéressés eux-mêmes ont été obligés de convenir qu'ils ne connaissaient pas ce remède, j'ai dit que je ne le connaissais pas davantage. J'ai invité ces industriels à réfléchir, m'engageant à en faire autant de mon côté. Depuis lors aucune proposition ne m'est venue de leur part.

Au point de vue du trésor, je dois constater que la législation de 1849 a donné des résultats plus satisfaisants que les législations antérieures, la loi de 1843 avait été moins productive que celle de 1846, et celle de 1846 l'avait été moins que celle de 1849. C'est cette dernière qui a approché le plus des promesses qu'elle avait faites. On a usé des moyens indiqués par la loi pour assurer la recette due au trésor. Ces moyens ont été principalement l'objet de la loi de 1849 ; ils ont été efficaces dans une certaine mesure.

Je ne puis pas dissimuler que si la situation actuelle se prolongeait longtemps il se pourrait que les intérêts du trésor fussent engagés ; à ce point de vue aussi il y a lieu d'examiner s'il n'y a pas quelque chose à faire. On sait que gouvernement et les chambres se sont préoccupés de la coexistence des deux sucres, c'est sur ce terrain que nous continuerons à examiner cette grave et difficile question.

M. Loos. - J'ai prédit en 1846 quel serait le résultat du système qu'on adoptait ; j'ai dit que la protection que l'on accordait au sucre indigène était exagérée et qu'elle devait amener nécessairement la ruine du raffinage du sucre de canne. En 1849 on a exagéré plus encore la protection accordée au sucre de betterave. M. le ministre dit que cette loi a été le résultat de l'entente entre les deux sucres ; pour ma part, j e n’en sais rien ; je n’ai pas contribué à faire adopter la loi dans cette enceinte ; au contraire j’ai constamment dit que le raffinage du sucre de canne succomberait infailliblement devant la protection accordée à l’industrie rivale.

En 1846, la loi portait que quand la production dépasserait 3,800,000 kilogrammes, la protection serait réduite de huit à cinq francs et par suite de la modification apportée par la loi de 1849, nous avons une production de 11 millions de kilogrammes qui jouit d'une protection réelle de huit francs au lieu de cinq.

Indépendamment de cette protection réelle écrite dans la loi, le vice qui existe dans les moyens de constater la production, c'est-à-dire dans la prise en charge, donne encore une protection de fait de trois ou quatre francs ; il en résulte qu'au lieu de cinq francs de protection qu'on entendait donner sur une production de 3,800,000 kilogrammes, on donne aujourd'hui une protection réelle de douze francs, sur une production de onze millions de kilogrammes.

Vous voyez où nous devons arriver avec ce système de protection, c'est-à-dire à l'annihilation complète du commerce et de l'industrie du sucre exotique.

Si l'on ne s'émeut pas aujourd'hui de cette ruine, que j'envisage comme certaine, on le sera avant peu de la situation déplorable des recettes du trésor public, car la loi qui a produit 3,500,000 fr., par la disparition complète du commerce des sucres de canne, ne produira bientôt plus (page 26) que deux millions tout au plus. Alors, il faudra bien que le gouvernement et la chambre s'en occupent.

M. Delehaye. - Les explications que vient de donner M. le ministre des finances rendent mon amendement complètement inutile. M. le ministre reconnaît lui-même que la loi sur les sucres ne satisfait pas à toutes les conditions. J'espère qu'il réfléchira très sérieusement à la question et que bientôt nous serons débarrassés d'une loi qui ruine complètement d'une des branches les plus importantes de l'industrie.

M. Osy. -Après la déclaration faite par l'honorable rapporteur que la première phrase, rédigée en termes généraux, n'exclut pas l'idée qu'il peut y avoir des branches d'industrie en souffrance, et après l'engagement pris par le gouvernement d'examiner la question des raffineurs de sucre, je crois devoir retirer mon amendement.

- Le paragraphe 10 est adopté.

Paragraphe 11

« Nous espérons que le traité de commerce et de navigation conclu avec le gouvernement néerlandais ainsi que les négociations commerciales ouvertes avec différents Etats de l'Europe, auront pour résultat d'accroître encore nos débouchés, et nous nous félicitons de voir enfin tomber, par suite des négociations avec la Grande-Bretagne, la taxe onéreuse et exceptionnelle qui, depuis vingt ans environ, frappait notre pavillon dans les ports de l'Angleterre. »

M. Sinave. - Le paragraphe concernant les traités avec la Hollande et l'Angleterre me semble donner la certitude d'un meilleur avenir. On en parle comme de traités extrêmement avantageux pour le pays. Cependant nous ne les connaissons pas.

M. Delfosse, rapporteur. - Il y a : « nous espérons. »

M. Sinave. - Il y a beaucoup plus qu'une espérance. Vous dites que les résultats des traités seront heureux. Il faut donc que vous les connaissiez.

En ce qui concerne le traité avec la Hollande, je crois qu'il n'y a guère de doutes. Puisque le gouvernement connaissait les griefs qu'on avait contre le traité précédent, il n'y a pas à douter qu'il n'ait obvié aux inconvénients. La pêche nationale était sacrifiée dans l'ancien traité : j'espère qu'on y a pourvu dans celui-ci.

L'ancien traité autorisait l'introduction de 8 millions de kilog. de café, à droit réduit, en faveur de trois villes spéciales, ce qui est illégal dans un gouvernement constitutionnel. Ce café ne pouvait être introduit que par Anvers, Gand ou Liège.

M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Cette clause ne se trouve pas dans le nouveau traité.

M. Sinave. - C'est ce que j'ignorais.

Quant au traité avec l'Angleterre, j'en ignore complètement les clauses.

On dit qu'on vient de lever les obstacles.

Je désirerais savoir par quels sacrifices on y est parvenu. Si ce que j'ai appris indirectement est exact, nous aurions fait des concessions. Je l'ignore. Mais s'il est vrai que nous ayons admis le transit libre pour les navires anglais, c'est une concession énorme. S'il est vrai que le sel, arrivant par navires anglais, puisse transiter vers l'Allemagne sans aucun droit, je trouve que ce traité nuit à notre navigation.

Je n'affirme pas le fait. Mais je prie M. le ministre des affaires étrangères de donner quelques explications.

Je ne dis pas que je voterai contre le paragraphe. Mais je désirerais savoir si nous avons obtenu des avantages réels.

M. Delfosse. - Je comprendrais l'observation de l'honorable M. Sinave, si nous affirmions quelque chose, Mais nous nous bornons à énoncer une espérance, un vœu. Toute la chambre peut s'y associer. Cette espérance se réalisera-t-elle ? C'est ce que nous saurons lorsque nous aurons examiné le traité avec la Hollande, lorsque les traités qui sont ouverts seront conclus. Il est impossible que nous abordions en ce moment l'examen de traités qui ne sont pas déposés, qui ne sont pas terminés.

M. Sinave. - L'honorable rapporteur dit que c'est seulement une espérance. Mais le paragraphe porte : « Nous nous félicitons de voir enfin tomber, par suite des négociations avec la Grande-Bretagne, la taxe onéreuse et exceptionnelle qui, depuis vingt ans environ, frappait notre pavillon dans les ports de l'Angleterre. »

Cela est positif. Qu'on commence donc par nous donner quelques explications. Je prie l'honorable ministre des affaires étrangères de vouloir bien le faire. Je ne suis nullement hostile au paragraphe. Mais je désire voter en connaissance de cause.

M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Les traités auxquels il est fait allusion dans le discours du Trône et dans le paragraphe dont il s'agit, seront présentés très incessamment à la chambre. C'est alors, mais alors seulement que la chambre pourra examiner toutes les stipulations qu'ils contiennent, et porter un jugement sur ces actes internationaux. Je crois que, dans ce moment, toute discussion sur ce point serait complètement prématurée. Il en est de même des explications que me demande l'honorable préopinant, qui seraient également prématurées, et je dirai impossibles, parce qu'il faudrait entrer dans de trop grands détails Mais le paragraphe qui vous est proposé ne préjuge absolument rien. C'est une espérance que manifeste la chambre que ces traités donneront de l'extension à notre commerce. Cette espérance, chacun peut la manifester sans avoir connaissance des traités.

Ensuite, la chambre se félicite de ce seul fait, que la surtaxe qui existe en Angleterre sur notre pavillon viendra bientôt à cesser.

M. Sinave. - A quelles conditions ?

M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - On se félicite seulement de ce fait. Quant aux conditions, la chambre restera libre de les apprécier.

Donc ce paragraphe ne préjuge absolument rien et l'honorable M. Sinave, comme tous les membres de la chambre, peut l'adopter en conservant la liberté entière de son opinion en ce qui concerne l'appréciation des traités.

J'engage l'honorable M. Sinave à ne pas demander davantage. Bientôt la chambre sera saisie de ces actes internationaux, et alors l'honorable préopinanl pourra les juger dans toutes leurs dispositions. Aujourd'hui cela lui serait impossible ; quand bien même j'entrerais dans les détails qu'il me demande, il ne pourrait porter un jugement sur ces actes, il faudrait d'ailleurs entrer dans de trop longues explications.

- Le paragraphe est mis aux voix et adopté.

Paragraphe 12

« L'exposition universelle de Londres, grande œuvre de paix et de civilisation, a fourni à nos industriels l'occasion de se faire connaître au monde entier. La plupart sont sortis avec honneur de cette redoutable épreuve. Nous aimons anssi à proclamer, avec Votre Majesté, que nos artistes ont dignement soutenu la réputation de l'école belge, aussi bien à l'exposition de Londres que dans le concours général que votre gouvernement avait ouvert aux beaux-arts. Le pays, heureux et fier de leurs succès, a vivement applaudi lorsque le Roi, juste appréciateur du mérite, leur a donné récemment un témoignage public de haute satisfaction. »

- Adopté.

Paragraphe 13

« Nous nous associons sans réserve aux éloges que Votre Majesté adresse à notre garde civique, si pleine de zélé et de dévouement patriotique, et à notre brave armée, si remarquable par le bon esprit qui l'anime, non moins que par son instruction et sa discipline. Puisse l'examen impartial des questions qui concernent notre établissement militaire et qui viennent d'être soumises aux lumières d'une commission, mettre les chambres en mesure d'asseoir l'institution nationale de l'armée sur des bases fortes, stables et définitives. »

M. de Mérode. - On célèbre, messieurs, dans ce paragraphe de l'adresse l'esprit et l'instruction de l'armée, et l'on exprime des vœux pour que l'examen des questions qui la concernent et qui viennent, dit-on, d'être soumises aux lumières d'une commission, constitue l'état militaire du pays sur des bases fortes et définitives.

A propos de ces dernières expressions, l'honorable comte de Theux a fait justement remarquer dans la discussion générale qu'elles étaient tant soit peu présomptueuses.

En somme, d'abord le définitif de notre époque est tout ce qu'il y a de plus précaire.

En Belgique comme partout on fabrique des lois presque sans relâche, et comme il est difficile de trouver du nouveau malgré la fécondité des inventeurs, le progrès consiste d'ordinaire à combler pour creuser six mois ou même six semaines après.

C'est ainsi qu'à propos du fossé des successions la chambre refusait énergiquement d'y mettre la main, puis a consenti à l'ouvrir au risque que le ministère y trébuchât ou, pis encore, y enterrât l'indépendance d'un des trois pouvoirs constitutionnels et par suite le régime lui-même tout entier.

A l'égard de l'armée, pour qu'elle puisse efficacement servir au besoin, il ne suffit pas de sa discipline et de son bon esprit ; il faut derrière elle le contre-fort d'un bon matériel, l'appui de finances bien ménagées par l'ordre et la prudente réserve. Or, quand à des impôts nouveaux on ajoute de nouvelles causes de déficits plus considérables encore, de manière à dissiper à la fois et les ressources existantes du trésor public et celles qu'on enlève aux contribuables pour remplir ce tonneau des Danaïdes, de plus en plus soutiré dans une proportion bien supérieure à ce qu'on y verse, on ne peut attendre que l'impuissance dans les moments difficiles. L'Etat est épuisé financiàrèment à l'instant critique ; et le particulier qui a payé beaucoup d'impôts ne se trouve plus en position d'être itérativement surtaxé selon ce qu'exigerait la défense du pays.

D'ailleurs, que signifient les mots : « les questions qui concernent notre établissement militaire et qui viennent d'être soumises à une commission ».

Il semblerait qu'à peine cette commission est installée ; on en parle comme d'une conception nouvelle, tandis qu'elle doit être en activité depuis six mois et parfaitement à même de présenter ses conclusions ; mais autant on est pressé de jeter les millions dans la Meuse, autant on est peu soucieux de connaître et d'apprendre au public quelles sont les véritables nécessités d'ordre militaire qui pèsent sur lui. On se borne à la phrase qui ne coûte rien. Et considérant la phrase seule comme vaine je ne voterai point le paragraphe.

M. Delfosse, rapporteur. - Je n'accepte pas en ce moment la discusssion sur les travaux publics. Nous avons assez longtemps discuté sur ce point dans la dernière session et il a été prouvé alors que l'on ne jetait pas plus de millions dans la Meuse que dans la Lys, dans l'Escaut ou dans d'autres localités du pays.

Ce sont de ces discussions que je considère comme épuisées.

Je n'accepte pas non plus la discussion sur la question de l'armée. Une commission a été nommée, non pas il y a six mois, comme l'a dit à tort l'honorable M. de Mérode, mais tout récemment.

(page 27) J'attendrai pour ma part le travail de cette commission avant de le juger. C'est perdre du temps que de s'en occuper dans ce moment.

Il y a quelque chose de vrai dans une observation présentée par l'honorable M. de Theux et reproduite par l'honorable M. de Mérode ; il sera très difficile d'arriver à quelque chose de définitif, d'entièrement définitif. Rien n'est définitif dans ce monde. Tous les ans, chaque membre de la chambre a le droit de remettre en question les lois qui paraissent les plus stables et les plus définitives. Mais il est certain que si le travail de la commission est bon, s'il donne une satisfaction légitime à l'opinion publique, la loi qui sortira de ce travail sera aussi définitive que possible.

M. Orts. - Je ne veux pas plus que l'honorable rapporteur, entrer dans une discussion prématurée sur des questions de la gravité de celles que soulève l'honorable M. de Mérode. Je veux simplement rectifier un fait inexact avancé par lui et justifier par un seul mot la commission dont j'ai l'honneur de faire partie, du reproche qui lui a été adressé.

Cette commission a été nommée par arrêté royal du 19 octobre, et non pas il y a six mois. Elle est composée en grande partie de membres des chambres.

Il a fallu attendre naturellement, pour convoquer cette commission, que les membres du sénat et de la chambre fussent appelés à Bruxelles par les travaux parlementaires.

Le lendemain de l'ouverture de la session législative, la commission a eu sa première séance et a siégé quatre jours consécutifs. Elle s'est ajournée, pour obtenir des renseignements demandés tant au gouvernement qu'au ministre de la guerre spécialement, mais elle s'est ajournée à un jour très rapproché.

Je puis donc sans présomption garantir à l'honorable M. de Mérode, que la commission a rempli sa tâche jusqu'à présent avec tout le zèle qu'il lui a été possible d'y apporter, et il peut être convaincu que ce zèle ne faillira pas au reste de sa mission.

M. de Mérode. - Je rends justice au zèle de la commission. Elle a été nommée bien tard ; voilà tout ce que je puis dire.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Nous devons expliquer comment la commission dont il s'agit a été nommée bien tard, comme le dit l'honorable M. de Mérode.

L'honorable M. de Mérode ne peut point ignorer dans quelle situation le gouvernement s'est trouvé placé depuis le dernier vote du sénat. Les membres des chambres qui, si la session avait duré plus longtemps, auraient pu siéger dès le mois d'août, ont vu la session close par une espèce de force majeure et par conséquent n'ont pas pu être appelés à siéger dans la commissiou. Nous avons rapproché le jour de l'installation de la commission du jour de l'ouverture des chambres, attendu, messieurs, que nous ne voulons pas abuser du dévouement des membres des chambres qui faisaient partie de la commission.

Voilà pourquoi cette commission n'a été convoquée que dans les premiers jours de novembre. Du reste, M. le ministre de la guerre, avant de soumettre le travail à la commission, avait lui-même à examiner le travail des commissions particulières qui avaient été établies avant son entrée au ministère. Ce n'est qu'après s'être livré lui-même à l'examen des travaux de ces commissions qu'il a pu les soumettre à l'examen de la commission centrale actuellement en fonction.

- La discussion est close.

Le paragraphe est mis aux voix et adopté.

Paragraphe 14

« La chambre des représentants, émanation la plus libre et la plus large des corps électoraux, croit être l'interprète fidèle de la volonté nationale en promettant au gouvernement de Votre Majesté le loyal concours qu'il réclame pour remplir sa tâche ardue, et marcher d'un pas prudent et ferme dans une voie de liberté et de progrès, seule voie de conservation et de salut. »

M. Delfosse, rapporteur. - Messieurs, nous déclarons dans ce paragraphe, que la chambre des représentants est l'émanation la plus libre et la plus large des corps électoraux, qu'elle est l'interprète fidèle de la volonté nationale. C'est là, messieurs, une vérité que personne ne pourrait contester.

Lorsqu'il s'agit des élections à la chambre des représentants, les électeurs ont une entière liberté de choix ; ils peuvent choisir les hommes qui leur conviennent, qui représentent le mieux leur opinion.

Lorsqu'il s'agit, au contraire, des élections au sénat, les choix sont extraordinairemenl restreints.

Il y a, si je ne me trompe, tout au plus, dans le pays, 6 à 700 éligibles au sénat.

De ces 6 à 700 éligibles, la moitié au moins ne peut pas ou ne veut pas accepter ; les uns ne peuvent pas accepter à cause de l'état de leur santé ; d'autres sont frappés par la loi des incompatibilités. Reste donc à choisir entre 300 éligibles à peu près. Il y a 54 sénateurs à élire. Cela fait pour chaque sénateur à nommer 6 candidats. Supposez deux opinions en présence, chaque opinion a le choix entre trois candidats.

Il y a des districts où l'on ne trouve pas un seul candidat pour le sénat. Peut-on dire, messieurs, qu'une chambre composée à la suite de choix aussi restreints soit la représentation la plus vraie de la volonté nationale ?

La Constitution a bien marqué cette différence entre les deux chambres. La Constitution a donné à la chambre des représentants plus de prérogatives, et des prérogatives plus importantes qu'au sénat. C'est ainsi que la chambre des représentants a l'initiative en matière d'impôt. C'est ainsi qu'elle a l'initiative lorsqu'il s'agit du contingent de l'armée. C'est ainsi qu'elle nomme seule et qu’elle révoque les membres de la cour des comptes. C'est ainsi encore, et c'est là une immense prérogative, que la chambre des représentants a seule le droit d'accuser les ministres.

Il y a une raison bien plus forte encore, c'est que la Constitution nous appelle la chambre des représentants ; nous représentons donc véritablement, entièrement le pays, nous en sommes la représentation la plus fidèle.

C'est là, messieurs, une vérité tellement incontestable que nous n'aurions pas pensé à l'énoncer dans l'adresse si la commission du sénat n'avait eu la prétention de placer en quelque sorte le sénat au-dessus de la chambre en le présentant comme une émanation plus nouvelle et par conséquent comme un interprète plus fidèle de la volonté nationale.

A cette provocation il fallait répondre ; nous y avons répondu par une vérité tirée des entrailles de la Constitution même. Mais nous n'irons pas au-delà de la provocation : le sénat ayant désavoué l'oeuvre da sa commission, nous n'avons plus de motif pour laisser subsister un passage qui était une réponse à la phrase provocatrice insérée dans le projet d'adresse de la commission du sénat. Mais en retirant ce passage nous n'entendons pas retirer le principe ; le principe n'en subsistera pas moins dans toute sa force ; la chambre des représentants n'en continuera pas moins d'être l'émanation la plus libre et la plus large des corps électoraux, l'interprète le plus fidèle de la volonté nationale.

M. Lelièvre. - Les explications données à la séance d'hier démontrent que l'adresse en discussion ne contient rien de blessant pour le sénat et qu'il est entendu qu'elle laisse intacte sa prérogative parlementaire, comme elle maintient la dignité de la nôtre. La suppression à laquelle vient d'adhérer l'honorable rapporteur atteste un esprit de conciliation auquel je ne puis qu'applaudir. A ce point de vue, je puis donner mon assentiment à l'adresse. Toutefois en la votant, je dois déclarer que je maintiens mon opinion relativement au projet de loi sur les successions. Je persiste à le considérer comme vicieux, surtout parce qu'il atteint les petites fortunes et que le minimum énoncé en son article 2 n'est pas assez élevé à mon avis. C'est sur ce point que le gouvernement doit faire des concessions, s'il veut que son projet ne soit pas repoussé par la majorité du pays. C'est sur ce terrain qu'il est possible de réaliser une conciliation honorable pour tous. C'est dans cet espoir que je donnerai un vote favorable à l'adresse.

M. le président. - M. Julliot a déposé un amendement. Il propose, au lieu de :

« Et marcher d'un pas prudent et ferme dans une voie de liberté et de progrès, seule voie de conservation et de salut, » de dire :

« Et marcher d'un pas prudent et ferme dans la voie de l'ordre et de la liberté, bases indispensables au bien-être du peuple tout entier. »

La parole est à M. Julliot pour développer cet amendement.

M. Julliot. - Messieurs, je propose un amendement à la dernière phrase du paragraphe 14, parce que, à mon point de vue, cette phrase devrait contenir en toutes lettres un mot qui ne s'y trouve pas, comme aussi on devrait en effacer un autre que je trouve superflu, parce qu'il est des plus vagues. Cet amendement, du reste, n'est qu'une espèce de changement de rédaction, car je me hâte de le dire, ma pensée se trouve formulée dans le projet, mais n'y est pas assez clairement exprimée pour que je m'en contente.

Ce document étant destiné à être lu dans le pays tout entier, je désire que l'expression de ma pensée s'y présente à la portée de toutes les intelligences et je vous propose au lieu de : « et marcher d'un pas prudent et ferme dans une voie de liberté et de progrès, seule voie de conservation et de salut », de dire : « et marcher d'un pas prudent et ferme dans la voie de l'ordre et de la liberté, bases indispensables au bien-être du peuple tout entier. »

Vous voyez, messieurs, que le mot que mon amendement introduit est « ordre », et que je supprime celui de « progrès », lancé de la manière qu'il est présenté, dans le vide, dans l'espace, sans détermination, définition ni application aucune, et quiconque n'est pas néologue, doit se demander dans quelle direction on demande le progrès, si on le veut dans le bien, dans le mal ou dans tous les deux à la fois ; car il y a, dans ce mot isolé, omission du complément de la pensée. Ce n'est donc pas le progrès comme fait que je combats, car j'en suis partisan, mais je combats le mot quand il n'a pas de signification.

Messieurs, l'honorable rapporteur de l'adresse s'est toujours montré trop noble et courageux défenseur de nos institutions, pour qu'il puisse m'être venu à la pensée que le plus léger stimulant lui fût nécessaire, car avienne que pourra, le nom de Delfosse figurera toujours honorablement dans l'histoire de 1848 ; d'ailleurs, nous savons que notre honorable collègue est un incorrigible quand il est dans la vérité.

Mais, messieurs, je tiens à mon amendement pour deux motifs ; d'abord, je ne puis me décider à prôner la liberté sans en même temps rendre le premier hommage aux bienfaits de l'ordre ; j'ai l'habitude de donner la préséance au dernier de ces mots sur le premier, parce que la vraie liberté ne saurait vivre que dans l'ordre, parce que l'ordre est un besoin pour tout le monde et de tous les instants de la vie, et que tous n'usent pas au même degré de la liberté.

Je dis donc, les mots ordre et liberté ensemble dans l'adresse ou ni l'un ni l'autre, pas plus qu'ils ne figurent dans le discours auquel nous (page 28) répondons. Mais sur ce point, l'honorable rapporteur se montrera conciliant, et nous donnerons à chacun son mot de prédilection et tous nous serons des satisfaits ; d'ailleurs cette alliance de l’ordre et de la liberté se trouve dans nos cœurs, pourquoi ne figurerait-elle par en toutes lettres dans notre adresse ?

Le second motif qui me fait maintenir mon amendement, c'est le désir de voir disparaître le mot « progrès » qui, alors qu'il reste indéfini, n'a d'autre acception qu'un mouvement en avant, qu'un accroissement en mal ou en bien, à moins de vouloir donner à un ancien mot un sens nouveau, mais alors l'honorable rapporteur expose quelques-uns de nous à faire de la néologie comme une autre fit de la prose, et cette surprise, je pense, n'entre pas dans ses intentions. Car le progrès n'étant pas par lui-même une amélioration, je me demande ce que nous voulons faire progresser. Serait-ce par hasard les opinions politiques ! Mon Dieu ! je pense que par le temps qui court, elles n'ont pas besoin de ce stimulant.

L'honorable rapporteur qui veut nous faire promettre le progrès sans direction connue, fait-il peut-être allusion au progrès dans l'intervention du clergé pour les élections de l'année prochaine, ou veut-il que sur ma recommandation de progresser, l'honorable M. Van Hoorebeke, toujours bienveillant pour m'être agréable, se mette encore à exploiter pour compte de l'Etat les quatre chemins de fer qui se trouvent entre les mains des compagnies, et que pourrais-je lui reprocher après l'avoir convié au progrès en lui abandonnant l'interprétation de ma pensée ? Mais, absolument rien.

L'honorable commission de l'adresse veut-elle le progrès dans le chiffre des couvents ou dans celui des établissements paternels de l'Etat, qu'on s'explique et on pourra discuter, mais cette discussion pourrait nous mener trop loin ; supprimons donc le mot et le vague de nos désirs respectifs disparaîtra en même temps.

Laissons, messieurs, ce mot quelque peu logogriphique là où il est, c'est à-dire dans les écrits et les discours d'une autre école où il figure toujours avec son vide et son mystère au premier plan ; ne nourrissons pas les imaginations de nos populations avec des mots aventureux, mais parlons-leur un langage simple et élémentaire ; elles y trouveront plus de substance et s'en trouveront mieux. J'engage l'honorable rapporteur à renoncer à la contrefaçon littéraire de ce mot, et il donnera un exemple de plus du respect à la prospérité.

Messieurs, l'exemple est parfois contagieux. Je ne me serais certes pas permis cette timide et modeste critique, si dans une autre enceinte, je n'eusse été présent à une attaque impitoyable dirigée contre le rapport de l'adresse dans la personne d'un savant qui honore la Belgique, et que la France peut nous envier, car dans plus d'une circonstance, la France est venue emprunter le savoir de cet estimable concitoyen.

M. de Decker. - Oui, c'est une de nos gloires nationales.

- Voix nombreuses. - Oui, oui. C'est vrai.

M. Julliot. - On voudra bien m'accorder qu'en rapprochant ma critique de celle à laquelle je fais allusion, elles n'ont pas été présentées toutes les deux dans une forme parfaitement analogue, mais ce que ces critiques respectives ont de commun ensemble, c'est que toutes deux ont dû faire un mouvement ascensionnel pour parvenir à leur destination.

Aussi, messieurs, avant de me hasarder à présenter ces observations, j'ai consulté, sur la valeur du mot « progrès » sans définition, un honorable collègue, philologue distingué, et qui ne sera pas récusé par ses amis de l'honorable commission ; il m'a dit que j'étais dans le vrai ; mes doutes alors sont devenus certitude, et je maintiens mon amendement.

M. Jacques. - J'avais d'abord l'intention de ne prendre aucune part à la discussion actuelle : le projet d'adresse, quoique fortement coloré dans le sens des opinions de la majorité de la chambre, m'avait paru ne comprendre rien d'agressif, rien qui dût forcer à un vote négatif, ni les membres de l'opposition, ni les membres de la majorité qui se sont détachés dans la dernière session pour s'opposer à diverses lois d'impôts.

Mais les explications qui ont été données hier par deux membres de la commission d'adresse et par M. le ministre de l'intérieur en ce qui concerne les droits de succession en ligne directe, m'ont fait reconnaître que je m'étais trompé sur le sens dans lequel le ministère et la majorité de la chambre comprennent certains paragraphes de l'adresse, notamment le paragraphe qui vient d'être mis en discussion.

Ne pouvant pas m'associer à l'interprétation que l'on veut donner à ces paragraphes, je me vois, quoique à regret, forcé de me séparer encore une fois de la majorité et de voter contre l'adresse.

Messieurs, si l'appel à l'esprit de modération et de prudence était bien sincère, si l'on tenait compte de la situation faite au pays par la dissolution du sénat, la difficulté qui a fait suspendre les délibérations de cette assemblée au mois de septembre, se résoudrait en quelque sorte d'elle-même.

Il suffirait que chacun respectât l'esprit de nos institutions constitutionnelles. En effet, tous les pouvoirs émanent de la nation : pour établir une loi il faut le commun accord de la chambre des représentants, du sénat et du gouvernement.

Si le gouvernement n'obtient pas, pour une loi qu'il propose, l'assentiment des chambres ou de l'une d'elles, il a le droit de faire un appel aux électeurs par la dissolution ; mais après cet appel, gouvernement et chambres doivent s'incliner devant l'opinion manifestée par la majorité du corps électoral sur le point du dissentiment, et l'on ne doit plus chercher à faire passer une loi que cette majorité a repoussée.

Or, à moins de se laisser obsurcir la vue et l'intelligence par l'esprit de parti, l'on est bien forcé de reconnaître que, dans les élections générales qui ont eu lieu pour la nouvelle formation du sénat, la majorité du corps électoral s'est prononcée contre les droits de succession en ligne directe.

Comme ce point a été contesté dans la séance d'hier, j'ai fait ce matin, sur le Moniteur et sur les procès-verbaux d'élection déposés au sénat, le relevé général des dernières élections, relevé que je donnerai aux Annales parlementaires comme annexe au résumé que je viens communiquer à la chambre. Dans ce relevé, j'ai substitué l'élection de Verviers du 30 octobre à celle qui avait eu lieu le 27 septembre.

50,533 électeurs ont pris part aux opérations, 22,164 ont voté pour des candidats favorables aux droits de succession en ligne directe, soit à titre définitif, suivant le projet du gouvernement, soit à titre provisoire, suivant l'amendement Forgeur. 28,797 ont voté pour des candidats contraires à l'établissement de ce nouvel impôt.

Parmi les 36 collèges électoraux qui existent en Belgique pour la formation du sénat, ce n'est que dans 13 collèges, ayant la nomination de 24 sénateurs, que la majorité s'est prononcée pour des candidats favorables aux droits de succession en ligne directe. Dans les 23 autres collèges, ayant la nomination de 30 sénateurs, la majorité s'est prononcée pour des candidats hostiles au projet.

Ainsi soit que l'on prenne le nombre des électeurs, le nombre de collèges électoraux ou le nombre des élus, l'on trouve toujours une majorité considérable contre l'établissement du nouvel impôt. Je pense donc qu'il ne devrait plus être question des droits de succession en ligne directe, si ce n'est pour les enterrer par un vote officiel du nouveau sénat. Persister à vouloir faire adopter cet impôt après l'opinion manifestée par la majorité du corps électoral, ce n'est pas faire un appel à l'esprit de modération et de prudence, c'est vouloir imposer au sénat et au corps électoral l'esprit de soumission et de servilité.

Rien ne s'oppose d'ailleurs à ce que l'harmonie subsiste entre les grands pouvoirs de l'Etat malgré le rejet des droits de succession en ligne directe. Le sénat ne refusera pas les ressources nécessaires à la bonne direction des affaires, ni à l'exécution des travaux publics. Mais je persiste à croire, ainsi que je l'ai déjà soutenu dans la dernière session, que l'on peut très bien se passer des droits de succession en ligne directe sans qu'il y ait la moindre nécessité de les remplacer par d'autres impôts.

Je m'arrête ici, messieurs, pour ne pas sortir de l'objet qui est en discussion. Le ministère a fait connaître l'intention de demander de nouveau l'adoption des droits de succession en ligne directe ; c'est à peu près le seul point pour lequel je ne puis pas lui promettre mon concours, et je viens d'en expliquer les motifs.

M. le président. - Avant d'aller plus loin, je dois demander à M. Jacques, si le mot « servilisme » dont il s'est servi, s'applique à la majorité. Comme son discours est écrit cela n'aurait point d'excuse, et je rappellerais M. Jacques à l'ordre. Je prie M. Jacques de répéter la phrase où se trouve le mot que je viens de relever.

M. Jacques. - Vous verrez, M. le président, qu'il n'y a, dans mes paroles, d'injure pour personne. J'ai dit :

« Persister à vouloir faire adopter cet impôt, après l'opinion manifestée par la majorité du corps électoral, ce n'est pas faire un appel à l’esprit de modération et de prudence.

« C'est vouloir imposer au sénat et au corps électoral l'esprit de soumission et de servilité. »

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je crois que jamais, en aucune circonstance, des imputations de la nature de celle qui vient de sortir de la bouche de M. Jacques ne peuvent être tolérées ; mais lorsque ces imputations partent d'un homme qui, comme M. Jacques, se trouve dans une position toute particulière et vis-à-vis de la chambre (interruption) et vis-à-vis du gouvernement, on a le droit de les dédaigner. (Interruption.)

Je ne veux pas m'occuper autrement des paroles que vous venez d'entendre. Ce que je veux dire, c'est qu'on aurait dû laisser à la presse, qui juge les faits avec une certaine partialité selon le point de vue de l'écrivain se trouve placé, c'est qu'on aurait dû lui laisser les calculs qui viennent d'être reproduits. Ils ne sont pas nouveaux ; depuis un mois ils traînent dans les journaux ; ils n'en sont pas meilleurs.

Il n'y a aucune espèce de vérité dans ces calculs ; ils sont faux d'un bout à l'autre ; il est facile de le démontrer.

Sur quoi reposent-ils ? Sur la supposition d'abord que chaque collége électoral de la Belgique élit un seul sénateur, première supposition entièrement fausse.

On prend le candidat ou le sénateur élu qui a eu le plus de voix et selon l'opinion à laquelle le candidat ou le sénateur appartient, on attribue tel ou tel nombre de voix contraires ou favorables à la loi.

Eh bien, dans les calculs qui ont été produits, lorsqu'on réunit les voix obtenues par le candidat élu à Bruxelles et qui a eu le plus de voix, à celles du candidat qui a obtenu le plus de voix mais qui n'a pa été élu, que trouve-t-on ? Un nombre supérieur à celui des votants. Or s'est aperçu que cela démontrait la fausseté du calcul, et un journal du matin a essayé de le rectifier sous ce rapport, mais d'une manière plus arbitraire encore. Première preuve que ce calcul est entièrement faux. Une deuxième preuve. On suppose toujours - hypothèse fausse - qu'il n'y a qu'un sénateur élu par arrondissement. Si l'on prend le (page 29) résultat indiqué, et qu'on mette d'un côté les sénateurs élus avec une opinion favorable à la loi, d'autre part, les sénateurs élus avec une opinion défavorable à cette loi, que trouve-bon ? 11 sénateurs pour la loi et 24 opposants. Voilà le calcul qui est présenté, d'où il résulterait qu'il n'y aurait que 33 sénateurs, tandis qu'il y en a 54.

Troisième preuve. Que fait-on pour s'attribuer très facilement une majorité dans le pays ?

Il y a un assez grand nombre de collèges électoraux dans lesquels il n'y a pas eu de candidats favorables à la loi ; un petit nombre d'électeurs se sont présentés ; ils ont élu sans contestation le sénateur hostile au projet ; on en conclut que le collège électoral est opposé à la loi. Mais ce moyen-là est extrêmement commode. Il faudrait donc supposer que dans tous ces collèges électoraux il n'y aurait pas un seul partisan de la loi sur les successions ? Cela est-il ? Dira-t-on que dans l’arrondissement de Malines, par exemple, il n'y avait pas un seul électeur favorable à l'impôt sur les successions ?

Vous me concéderez sans doute que l'arrondissement de Termonde, qui a envoyé ici trois représentants qui ont voté l'impôt sur les successions, et qui, j'en suis convaincu, seront réélus aux prochaines élections ; vous me concéderez sans doute que cet arrondissement renferme des électeurs partisans de la loi des successions ?

Vos hypothèses et vos calculs sont donc complètement faux ; cela peut être un calcul de parti ; mais à coup sûr ce n'est pas un calcul que le bon sens peut avouer.

D'où peut-on présumer encore que le district de Saint-Nicolas est hostile à l'impôt sur les successions ? Vous savez le résultat des élections dans ce district.

L'honorable M. Cools qui le représente dans cette chambre, a voté la loi sur les successions ; il est convaincu qu'il y a dans ce district de nombreux partisans de l'impôt sur les successions. Qui a dit à M. Jacques que le sénateur élu au scrutin de ballottage dans cet arrondissement n'était pas favorable à l'impôt sur les successions ?

Nous n'avons qu'une chose à constater : c'est ce résultat très significatif dans une question d'impôt sur laquelle le pays a été appelé à se prononcer, à savoir que le gouvernement n'a pas succombé. Il faut que le gouvernement ait eu la confiance la plus grande dans le pays, dans le bon sens du pays, pour aller lui soumettre une question d'impôt. Et quel a été le résultat ? C’est que le nombre des partisans de la loi en principe, sans amendement, est devenu plus grand au sénat qu’il ne l’était avant la dissolution ; c’est qu’en définitive il y aura une majorité favorable à l’impôt sur les successons, s’il n’y a pas de changement d’opinion, et on ne peut admettre cette hypothèse, tant que des votes formels ne seront pas venus constater un revirement d’opinion.

M. de Mérode. - On a bien changé ici.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'ai déjà eu l'honneur de répondre dans une autre circonstance à l'interpellation de M. de Mérode ; il peut attribuer à la chambre un changement d'opinion, mais ce changement n'a pas existé ; aucun vote n'avait été émis par la chambre à aucune époque.

M. de Mérode. - Pourquoi avez-vous retiré la loi ?

- Une voix. - Ne répondez pas !

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il faut faire justice de tout cela.

En 1849, une motion d'ajournement a été présentée ; cette motion, acceptée par le ministère, a été votée à l'unanimité. Je vous ai dit quelles étaient les opinions dans la chambre ; il y avait certainement un petit nombre de personnes qui étaient opposées au principe de la loi, je le concède ; mais il y avait dans la chambre, telle qu'elle est aujourd'hui, une opinion favorable à la loi...

- Une voix. - Cela n'est pas vrai.

M. le président. - Je ne sais de qui part cette interruption inconvenante ; dans une assemblée qui se respecte, on ne se sert pas d'un mot semblable. Ce terme n'est pas parlementaire.

La parole est continuée à M. le ministre des finances.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il y avait une opposition fondée sur ce qu'on ne voulait pas voter d'impôts ; voilà ce qui est incontestable. C'est cette opposition que nous avons essayé de faire disparaître ; nous y avons réussi ; cela était indispensable dans l'intérêt du pays. Il nous eût été beaucoup plus commode d'éviter tous ces embarras et -de faire des dépenses, sans avoir des ressources pour les couvrir.

M. le président. - Avant d'aller plus loin, il faut vider l'incident que M. Jacques a soulevé. J'ai demandé à M. Jacques de relire sa phrase et je viens de me convaincre que cette phrase est toute conditionnelle ; M. Jacques s'est donc placé dans une simple hypothèse ; et maintenant quelle que soit l'inconvenance des termes dont il s'est servi, strictement il échappe à la censure ; M. le ministre des finances lui a répondu, en se mettant au point de vue de cette hypothèse ; il s'est servi d'expressions qui ont soulevé quelques murmures ; mais M. le ministre des finances était évidemment dans son droit ; le débat n'en est pas moins regrettable, et la responsabilité en est à celui qui l'a ouvert, à M. Jacques.

M. Loos. - J'avais demandé la parole pour un rappel au règlement ; car, quoique la phrase de M. Jacques, que M. le président a relevée, soit conditionnelle, il n’en est pas moins vrai que si la chambre des représentants persistait dans son vote sur la loi de successions, elle ferait, aux yeux de M. Jacques, acte de servilité ; je ne suis pas disposé, pour ma part, à recevoir de leçon d’indépendance de personne, et de M. Jacques moins que de qui que ce soir.

M. Jacques (pour un fait personnel). - M. le ministre des finances, au début de sa réponse, s’est permis de dire que je me trouve dans une position particulière vis-à-vis de la chambre et de lui-même. Je réponds que je suis ici représentant comme lui, que je me tiens dans la position d’un représentant libre qui ne recule jamais devant l’expression de ses opinions, mais qui les exprime toujours d’une manière convenable, plus convenable que M. le ministre des finances lui-même. Ce sera là ma seule réponse à l’ataque inconvenante de M. le ministre.

M. Dumortier. - Il m'est impossible de laisser passer sous silence les paroles étranges prononcées au débat de la discussion du paragraphe qui nous occupe, par le rapporteur de la commission d'adresse. Ces paroles m'ont vivement blessé dans le sentiment que j'ai toujours eu de la dignité parlementaire et du respect de nos prérogatives.

Depuis vingt ans que je siège dans cette enceinte, j'ai toujours été un des plus ardents défenseurs de la prérogative de l'assemblée ; et précisément à cause de l'ardeur que j'ai mise à la défendre, je n'entendrai jamais qu'en ma présence on porte atteinte aux prérogatives d'une assemblée égale à la nôtre, émanée comme nous de l'élection nationale, représentant comme nous le peuple belge.

Nous devons faire respecter nos prérogatives, mais nous devons de l'autre côté respecter celles du sénat ; nous ne devons pas souffrir qu'on représente ce corps qui est élu comme nous, qui représente le pays comme nous, nous ne devons pas souffrir, dis-je, qu'on prétende qu'il représente le pays à un degré inférieur par suite du système d'après lequel il est constitué, comme l'a dit le député de Liège ; ce serait une des atteintes les plus graves qu'on puisse porter à la Constitution et qui justifierait ces malheureuses récriminations produites à la suite de la dissolution du sénat dans des organes ministériels qui allaient jusqu'à dire qu'il fallait réviser la Constitution et supprimer le sénat. (Interruption.)

S'il était vrai que vous ne partagez pas ces idées, vous désavoueriez vos organes ; mais cela a été dit sans être désavoué par vous. S'il était vrai de dire, comme l'honorable député de Liège l'a soutenu, qu'une chambre composée de choix restreints, n'est pas comme nous l'émanation de l'opinion publique, ne représente pas comme nous le pays, alors elle ne serait plus nécessaire, il faudrait la supprimer, et vous auriez, ainsi provoqué la suppression d'une de nos institutions constitutionnelles les plus importantes. Comment ! vous ne remarquez pas que ces imprudentes paroles autorisent ceux qui veulent plus que vous à dire que tant que le vote universel n'est pas établi vous n'êtes pas les représentants du pays, mais seulement les représentants des privilégiés !

Voilà comment ces paroles imprudentes, comment un pareil système, peut mener à l'affaiblissement, au renversement de la Constitution, à la dissolution du corps social ; c'est aussi ce que je crois devoir flétrir, condamner de toutes mes forces.

Messieurs, j'ai toujours voulu le respect, le maintien des prérogatives de la chambre, mais pour les maintenir avec plus de force, je ne dois pas souffrir qu'on porte atteinte à celles du sénat, qui, comme nous, représente le peuple belge.

Maintenant, je répondrai quelques mots au sujet de ce que vient de dire M. le ministre des finances.

Les paroles qu'il a adressées à l'honorable M. Jacques sont très peu convenables. Soutenir à un député, comme lui mandataire du peuple, que sa position ne lui permet pas de s'exprimer comme il l'entend, est-ce là de la liberté de la tribune, est-ce là du libre examen ? Est-ce encore délibérer dans une assemblée de représentants de la nation ?

L'honorable M. Jacques a signalé des faits, des chiffres ; ces chiffres, tous les sophismes de M. Frère ne pourront pas les annuler. Vous avez consulté le pays, non sur une question complexe, mais sur une question simple ; le pays a répondu d'une manière négative à une majorité de 7 à 8 mille voix ; il a déclaré qu'il repoussait votre loi.

Maintenant il est certain que vous avez un moyen de ramener le pays à l'harmonie, dont vous parlez dans le discours du Trône : c'est d’écouter sa voix et d'abandonner la loi de succession qu'il repousse à une aussi imposante majorité. Mais si vous dites : Périsse le pays, plutôt que de souffrir une atteinte à mon amour-propre, vous nous exposez à des catastrophes, vous faites de l'absolutisme et non du gouvernement constitutionnel. Un gouvernement sage ne mettrait pas dans la balance son amour-propre pour représenter un projet de loi qui a été repoussé par une si grande majorité dans le pays.

M. le ministre des finances a dit que le cabinet maintenait le projet, il serait plus sage de mettre l'amour-propre de côté que d'exposer son pays à de nombreuses fluctuations.

Je viens au paragraphe en discussion ; par ce paragraphe la chambre s'engage à donner son concours au gouvernement pour l'aider à marcher d'un pas prudent et ferme dans une voie de liberté et de progrès.

Je dirai avec mon honorable collègue M. Julliot : Qu'est-ce que ce progrès ? Où voulez-vous aller ?

Le progrès, c'est, à mes yeux, la chose du monde la moins appréciable ; dites-moi dans quelle voie vous voulez entrer et jusqu'où vous voulez aller, je voterai avec vous ; mais tant que vous ne me direz pas jusqu'où ira votre progrès et où il s'arrêtera, je ne sais pas ce que vous entendez par progrès ; j'ignore la limite où vous voulez vous arrêter.

Pour moi, il y a un progrès dont je ne veux pas ; c'est le progrès des impôts qui pèsent sur le peuple ; c'est celui-là que le ministère poursuit, et que je suis décidé à combattre. Je proposerai un amendement pour que la chambre décide qu’elle ne veut pas de ce progrès.

(page 30) Je proposerai d'ajouter au paragraphe « de manière à éviter de faire peser de nouveaux impôts sur le peuple. »

Si vous adoptez cet amendement, le mot « progrès » n'aura plus le même danger ; mais comme par progrès on entend l’augmentation des dépenses à charge du trésor public qui se résolvent en nouveaux impôts, je n'en veux pas.

Je ne veux pas que le gouvernement intervienne dans toutes les affaires, ce qui finirait par rendre le gouvernement impossible. Aux dernières élections comme en 1848 le pays a dit : « économie, pas de nouveaux impôts ». Si le mot « progrès » reste dans le paragraphe, je demande que ce soit avec cette idée que ce ne sera pas du moins le progrès de nouveaux impôts.

M. Delfosse. - Je demande la parole pour un fait personnel.

Messieurs, pour avoir raison de ses contradicteurs, l'honorable M. Dumortier a l'habitude de dénaturer leurs paroles. Il a feint tantôt de croire que j'avais porté atteinte à la prérogative du sénat, tandis que j'avais été hier le premier à reconnaître que le sénat a le droit incontestable de voter librement pour ou contre toutes les lois que nous avons adoptées ; cette prérogative ne sera jamais mise en question par moi ni par mes amis, mais comme dans un projet d'adresse émané de la commission du sénat, on avait voulu placer le sénat au-dessus de la chambre des représentants, j'ai fait ressortir la différence que la Constitution établit entre les deux assemblées ; j'ai usé de mon droit avec modération, et les paroles que j'ai prononcées ne sont pas de celles qu'on doive flétrir. Les paroles qu'il faut flétrir sont celles qui ont amené pour l'honorable M. Dumortier deux rappels à l'ordre successifs de la part du président.

Je dirai maintenant quelques mots en réponse à l'honorable M. Julliot. Mon tour de parole n'est pas venu, mais je suis à la disposition de la chambre.

- Plusieurs voix. - A demain ! il est cinq heures.

D'autres voix. - Parlez ! parlez ! finissons !

M. Delfosse. - L'honorable M. Julliot a montré pour l'ordre un attachement que nous ressentons tous, et nous croyons en avoir donné des preuves dans l'adresse même.

Je prie l'honorable M. Julliot de se rappeler les paragraphes qui ont été votés.

M. Malou. - Je réclame l'exécution du règlement. J'ai demandé la parole pour un fait personnel.

M. Delfosse. - J'ai moi-même fait remarquer que mon tour de parole n'était pas venu, et j'ai demandé à présenter des observations sur l'amendement de M. Julliot. Il n'y a pas eu d'opposition.

M. Malou. - Je persiste à demander l'exécution du règlement.

M. Delfosse. - Je n'insiste pas ; mais si l'on voulait invoquer le règlement, on aurait dû le faire avant que la parole m'eût été maintenue.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je ne veux pas entretenir longtemps la chambre : nous aurons l'occasion de rentrer dans cette discussion, si l'on veut la conduire plus loin. Je veux seulement protester contre l'assertion complètement inexacte de l'honorable député de Roulers. Il vient de dire que des journaux ministériels avaient demandé la suppression du sénat. Je proteste contre cette assertion : je repousse toute solidarité avec les journaux qui auraient demandé la suppression du sénat.

Ce n'est pas nous qui avons fait alliance avec les adversaires de nos institutions, avec ceux qui se proclament eux-mêmes disposés à poursuivre le renversement du sénat. Ce n'est pas avec ceux-là que nous avons fait alliance. Les démolisseurs de nos institutions, vous leur avez donné la main dans plusieurs districts électoraux.

On prétend que le pays s'est prononcé contre l'impôt des successions. Où en est la preuve ? Le sénat, émanation nouvelle du pays, s'est-il prononcé ?

Nous soutenons, comme nous l'avons déclaré hier, sans qu'aucune protestation soit venue nous contredire, que la majorité actuelle du sénat est favorable à la loi des successions, si tous les sénateurs nommés sont restés les mêmes qu'ils étaient à l'époque de leur vote, et quand ils se sont présentés devant les électeurs. Nous ne supposons pas de changement dans les opinions. Nous prenons tous les sénateurs pour des hommes loyaux, conséquents avec eux-mêmes, qui n'ont pas caché leurs sentiments aux électeurs. C'est la seule supposition qui soit honorable pour le sénat.

Au reste la discussion va bientôt commencer : elle prouvera qui de vous ou de nous a raison.

Nous soutenons, nous, que la majorité renvoyée par le pays est favorable à la loi.

- La discussion est continuée à demain.

Situation du trésor public

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Dans la supposition qu'on aurait pu vouloir s'occuper de la situation du trésor, je l'ai fait distribuer. J'en fais le dépôt sur le bureau.

- La chambre donne acte de ce dépôt à M. le ministre des finances.

La séance est levée à 5 heures.