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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 10 mars 1852

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1851-1852)

(Présidence de M. Delfosse, vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. T'Kint de Naeyer procède à l'appel nominal à 2 heures et demie : il donne lecture du procès-verbal de la dernière séance, dont la rédaction est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. A. Vandenpeereboom présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le sieur de Coster demande à être relevé de la déchéance prononcée par la loi du 24 mai 1850, contre ceux qui ont laissé expirer le délai fixé pour l'échange des bordereaux de récépissés de l'emprunt de 1848. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Ener-Pellering prie la chambre de statuer sur sa demande tendant à obtenir la liquidation de deux créances à charge du gouvernement français. »

- Même renvoi.


M. Allard demande un congé pour affaires urgentes.

- Accordé.

Rapport sur une pétition

M.Jacques. - Vous avez renvoyé le 19 février dernier à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport, une pétition de sept distillateurs, datée de Bruxelles le 18 du même mois. Ces distillateurs s'adressent à la chambre pour qu'il soit procédé sans retard aux expériences qui doivent précéder la révision des dispositions relatives aux distilleries agricoles et aux octrois communaux, en ce qui touche les eaux-de-vie indigènes.

Aux termes de l'article 8 de la loi du 20 décembre 1851 sur les distilleries, le gonvernement doit présenter au plus tard le 31 décembre 1852, le projet de loi contenant cette révision.

Dans les discussions qui ont précédé la loi du 20 décembre sur les distilleries, M. le ministre des finances a signalé à la chambre, séance du 21 août 1851, la nécessité de faire des expériences à diverses époques de l’année pour déterminer le véritable rendement ; c’est ce qui a fait reculer jusqu’au 31 décembre 1852 le terme fixé pour la présentation du projet de loi de révision.

Quoique rien ne doive faire supposer que M. le ministre des finances ait perdu de vue les mesures à prendre pour éclairer cette révision, la commission des pétitions pense qu'il ne peut y avoir aucun inconvénient à lui renvoyer la pétition des distillateurs, et c'est là ce que la commission vient vous proposer par mon organe.

M. Mercier. - Messieurs, lors de la discussion de la dernière loi qui a été votée au sujet de l'accise sur le genièvre, des propositions avaient été faites pour faire droit aux réclamations des pétitionnaires. Le gouvernement les a repoussées, par la raison principale qu'une expérience suffisante n'avait pas été faite sur les produits obtenus par les distillateurs.

Je demanderai à M. le ministre des finances si les expériences sont commencées, et, en cas d'affirmative, s'il est dans l'intention de les continuer, afin qu'à l'époque déterminée par la loi, un projet de loi puisse être présenté pour la révision des octrois sur le genièvre, et afin qu'on mette un terme à la position trop défavorable des distillateurs ruraux.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, les expériences qui doivent être entreprises doivent être précédées de certaines mesures que le gouvernement a préparées ; je compte faire commencer les expériences dans un court espace de temps ; elles seront achevées, je pense, assez promptement pour qu’à la prochaine sesison, comme la loi m’en fait une obligation, un projet de loi sur la matière puisse être soumis à la chambre.

M. Mercier. - Je prie M. le ministre des finances de faire en sorte que ces expériences commencent le plus tôt possible, par la raison même qu'il a donnée ; il est convenable de faire des expériences à différentes époques de l'année, et il est nécessaire de présenter un projet de loi dans le délai prescrit par la loi.

- Le renvoi de la pétition à M. le ministre des finances est mis aux voix et prononcé.

Compte-rendu de l’emploi des crédits accordés par les lois du 18 avril 1848 et 21 juin 1849

Discussion générale

M. le président. - La parole est continuée à M. le ministre de l'intérieur.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, quelques orateurs sont inscrits ; pour ne pas avoir encore peut-être à revenir sur la discussion, je demanderai qu'on les entende d'abord, et notamment l'honorable M. Osy qui aura sans doute aussi des observations à présenter.

MM. Delehaye. - Quand le calme est revenu, que les craintes sont dissipées, on est généralement disposé à trouver souvent inutiles et pres-que toujour trop coûteuses les mesures prises pour échapper à la tempête ; c'est ce qui se passe aujourd'hui.

Le même fait s’est présenté en 1839 ; le ministere avait demandé à la chambre des crédits considérables. Ces crédits, vous les lui avez accordés pour atteindre le but qu'il s'était proposé. Le but à peine atteint, on a trouvé généralement aussi que ces mesures avaient été trop dispendieuses ou inutiles.

Quoique alors le ministère ne fût pas composé de mes amis politiques, je n'ai pas hésité un seul instant à approuver les actes que ce ministère avait posés ; j'ai soutenu le cabinet.

En 1847, nous nous trouvons de nouveau dans une position aussi dangereuse. Les ouvriers étaient sans travail, le gouvernement s'adresse aux chambres, il leur demande des subsides, il les obtient sans aucune difficulté, presque avec acclamation. Mais la tempête se passe ; nouvelles réclamations de la part de la chambre ; on trouve de nouveau que les mesures prises ont été ou inutiles ou dispendieuses.

Encore une fois,j'e me suis déclaré partisan du cabinet ; j'ai soutenu contre ceux qui prétendaient que les mesures avaient été prises pour donner satisfaction à des intérêts personnels, ou dans des vues électorales ; j'ai soutenu que le ministère avait bien agi ; qu'il avait porté secours à l'industrie, qu'il avait maintenu le travail.

Aujourd'hui encore nous avons oublié ce qui s'est passé en 1848 ; le gouvernement nous a demandé des crédits ; ces crédits, on les lui a accordés très généreusement.

Eh bien, je suppose un seul instant que le gouvernement fût venu nous dire : « Il me faut trois millions ; avec ces trois millions, j'ai la conviction intime que je maintiendrai le travail et l'ordre, que je dissiperai le désordre ; mais j'ai aussi la conviction certaine qu'il ne me restera pas un denier des trois millions qui seront mis à ma disposition. »

Je connais trop bien les dispositions de la chambre pour ne pas être convaincu qu'elle aurait adopté la proposition du gouvernement sans aucune hésitation.

On nous dit : le gouvernement n'a pas été heureux. Il a fait un mauvais choix, il a placé mal sa confiance ; mais faut-il que ce soit le gouvernement qui fasse ici ces opérations pour être heureux dans ses actes ! Supposons qu'un particulier eût été chargé de distribuer ses fonds, qu'il le fasse avec une grande expérience, avec une prudence à toute épreuve, croit-on que ce particulier ne se tromperait point, que tous les placements seront avantageux ou heureux ? Si dans cette position on peut se tromper, que ne sera-ce point du gouvernement ?

On se plaint de ce que le gouvernement se soit adressé à des personnes peu solvables, mais faisons un retour sur nous-mêmes, examinons ce qui se passe pour nous-mêmes dans des circonstances pareilles avec des personnes solvables.

Croyez-vous, messieurs, que des maisons ayant des relations bien établies, croyez-vous que ces maisons vont s'adresser au gouvernement ponr avoir des secours ? Croyez-vous qu'en cas de crise une personne ayant de la fortune s'adresse au gouvernement ? Quoique le rapport, je l'admets, émane d'une conviction intime, ce rapport n'est-il pas de nature à paralyser le crédit ? Si aujourd'hui ces personnes avaient besoin de secours, ne s'adresseraient-elles pas inutilement aux banquiers ?

Le rapport, les débats qui ont eu lieu dans cette enceinte, ne sont-ils pas de nature à détruire tout crédit, à entraîner la ruine de ceux qui ont prêté leur concours au gouvernement ?

On vous a parlé d'une maison à qui le gouvernement a prêté son concours. Je m'occuperai de cette maison, je ferai voir la légèreté des accusations qu'on a lancées contre le gouvernement à ce sujet.

On vous a parlé de l'industrie des bronzes. Mais cette industrie ne mérite-t-elle pas des égards de la part du gouvernement. Celui-ci a-t-il manqué à son devoir ? N'aurait-il pas manqué à son devoir s'il avait repoussé cette industrie ?

Qu'ont fait les créanciers ? Et ici l'action des créanciers prouve la bonne foi du gouvernement, l'utilité de la mesure qu'il a prise. S'ils ont confiance, pourquoi le gouvernement n'en aurait-il pas ? Il s'agit encore d'une industrie qui a de l'avenir, qui prospère, qui a prouvé à l'exposition des Flandres qu'il suffit de ne pas l'entraver pour qu'elle jette un nouvel éclat sur le pays.

Je le dis à regret, la manière dont on a apprécié cette affaire pourra porter atteinte au crédit des négociants.

Je ne dis pas que par suite des accusations dont cette maison a été l'objet, elle ne subisse une perte très considérable dans son crédit. Si l'on n'était pas venu ici exposer sa position, j'ai la persuasion que la créance du gouvernement aurait été payée. Elle le sera encore si ses créanciers maintiennent leur confiance comme le mérite le débiteur. Une autre maison de Gand a reçu un subside de deux cent mille fraucs. Je ne crois pas que pour cette maison spéciale j'aie fait les moindres démarches près du gouvernement. J'étais persuadé qu'il suffisait de connaître la position de cette maison, pour qu'on fût convaincu que toute intervention était inutile. Cette personne, d'ailleurs, n'a pas besoin de nos éloges. La confiance dont elle est investie, l'offre patriotique qu'elle a faite au gouvernement, dans des moments de crise, parlent assez haut en sa faveur.

Savez-vous ce que ce négociant a fait alors que tous les grands fabricants de Gand avaient leurs magasins encombrés de marchandises, que plusieurs devaient limiter le travail bien, certains cependant qu'un (page 798) moment viendrait les débarrasser de leur trop plein, alors que personne ne voulait se charger de faire des exportations, même avec primes, tant il y avait des pertes ; un individu à vues larges, à vues patriotiques, se présente au gouvernement et il offre de faire des exportations aux côtes d'Afrique où il avait établi des relations avantageuses, jusqu'alors inconnues, moyennant certaines avances qu'il stipule avec le ministre.

Croyez-vous que le gouvernement lui ait fait ces avances sans garantie ? Non certes, le gouvernement a des inscriptions très bonnes, très valables, et il est certain de rentrer dans ses avances. Mais je demande qu'on n'expose pas cet homme à des soupçons malveillants qui compromettent le crédit dont il a besoin. Savez-vous bien ce que c'est que cet homme ? Dans la ville de Gand où la valeur personnelle est prise en grande considération, cet homme pendant plusieurs années a été investi de la confiance de ses concitoyens.

Qu'il me soit permis de le dire, toutes nos grandes maisons de Gand n'ont pas hésité un instant à lui confier des marchandises ; quelle que soit la position où il se trouve par suite des atteintes portées à son crédit, je suis convaincu que le gouvernement rentrera dans les avances qu'il lui a faites.

J'abandonne cette partie du rapport pour en aborder une autre, pour examiner celle qui se rapporte à une industrie moins élevée, je veux parler de l'industrie agricole et horticole.

Je sus péniblement affecté, alors que l'étranger, que le monde entier est plein de la réputation de la ville de Gand pour son horticulture, je suis péniblement affecté de voir qu'on vienne ici ravaler cette réputation si justement méritée.

Comment ! vous avez porté chaque année à votre budget 24 mille fr. pour conserver à la Belgique la belle collection de palmiers que possède cet établissement, et vous faites un reproche au gouvernement d'avoir consacré 80 mille fr. à titre de prêt et sur bonnes garanties pour soutenir un établissement qui fait notre réputation, notre gloire à l'étranger.

L'industrie horticole est une industrie de luxe. Savez-vous que, sauf l'industrie dentellière, il n'y a pas dans le pays d'industrie de luxe plus importante par ses capitaux et par le nombre d'ouvriers qu'elle emploie ?

Un de vos amis, que je suis heureux de voir à son banc, a assisté à la fête donnée par l'horticulture. Je m'adresse de préférence à lui ; j'aime mieux son témoignage que celui des personnes qui n'ont pas pris la peine de voir par elles-mêmes. Savez vous ce qui est arrivé à cette fête horticole ? Nous avons acquis une telle supériorité dans cette industrie, que des personnes ont fait quatre et cinq cents lieues pour faire partie du jury, et s'estimaient heureuses et fieres d'avoir été désignées pour faire partie du jury.

Ces hommes que l'on attaque aujourd'hui sont les artisans les plus puissants de notre gloire à l'étranger, et vous prétendez que cette industrie n'a pas d'importance !

Savez-vous bien qu'elle produit pour des millions par an ? Ne savez-vous pas que des établissements horticoles emploient 50 et 60 ouvriers ? Ignorez-vous que parmi les jardiniers de Gand il en est qui ont établi des relations avec la France, avec le nord de l'Europe et avec l'Amérique, avec le monde entier ?

Quelques-unes de ces relations étaient menacées par les événements de France en 1848, d'autres n'en subirent aucune atteinte.

Eh bien, qu'a fait le gouvernement ? Nos relations avec l'Amérique n'ont point été menacées ; mais nos relations avec la France l'ont été. Le gouvernement a voulu soutenir l'horticulture, cette industrie qui avait fait les plus grands sacrifices pour maintenir nos relations avec la France ; le gouvernement est venu au secours de l'industriel qui avait réalisé un résultat si avantageux pour le pays. Mais je suppose que le gouvernement, au lieu d'agir ainsi, ait accordé à d'autres industries tous les fonds qui ont été mis à sa disposition ; vous seriez venus dire bien certainement qu'il avait manqué à son devoir en laissant tomber une de nos plus belles industries, une industrie qui a si dignement établi et maintenu notre réputation à l'étranger.

Mais, dit-on, cette industrie n'a aucune importance ; elle n'a pour objet que la culture de fleurs en serres.

Il y a dix à douze ans, messieurs, de quoi se plaignait-on ? On se plaignait de ce que, en Belgique, pays éminemment agricole, il était impossible de se procurer un seul bon jardinier. Et, en effet, ceux qui ont besoin de jardiniers bien exercés savent les difficultés qu'il y avait d'en trouver. Eh bien, messieurs, savez-vous ce qu'a fait l'établissement horticole dont je m'occupe ? C'est la seule école, non seulement de la Belgique, mais j'ose dire de l'Europe entière, qui fournisse des jardiniers, et croyez-vous qu'elle n'ait pas fait ses preuves ?

En Russie, en Amérique, plusieurs jeunes gens sortis de cette école, y ont établi et y maintiennent notre réputation ; à Vienne dans les jardins de l'empereur, ce sont également des jeunes gens formés par cet horticulteur intelligent qui sont employés comme jardiniers, et ils y soutiennent leur réputation justement acquise.

L'industrie maraîchère est encore l'objet des soins constants de cet horticulteur, qui a soin de doter la Belgique de toutes les plantes nouvellement introduites parmi nous.

Mais, dit-on, l'exposition qui a eu lieu dans les deux Flandres a entraîné des dépenses considérables. Eh quoi ! sommes-nous bien fondés à adresser des reproches au gouvernement parce qu'il a consacré à cet objet une partie des fonds qui ont été mis à sa disposition ? Quelle était la situation de ces provinces ? Elles étaient abattues, exténuées ; on leur avait fait entrevoir un secours efficace dans la nouvelle industrie linière ; on a voulu relever le moral de ces provinces découragées, appauvries : on a ouvert ces belles expositions agricoles, et savez-vous ce que ces expositions ont produit ? Depuis lors une rivalité salutaire s'est établie ; l'agriculture a fait de nouveaux progrès ; elle a pris un tel essor qu'elle n'a plus de rivale aujourd'hui en Europe.

Il en a été de même des expositions horticoles ; et croyez-vous, messieurs, que nous serions parvenus à ce haut degré de perfection en horticulture sans les expositions horticoles qui ont périodiquement eu lieu, à Gand ? Interrogez les jardiniers et surtout tous ces personnages qui ont réellement illustré l'art horticole, et tous vous diront que rien n'est plus propre que les expositions à exciter l'émulation et à faire réaliser des progrès rapides.

Je sais bien que toutes les opérations ne se font pas avec un égal succès ; je sais bien que l'organisation des expositions est encore susceptible de réformes, je sais qu'il ne faut pas trop les propager ; qu'il est préférable, au contraire, de les restreindre. Mais est-ce à dire que ce reproche soit applicable aux deux expositions des Flandres, et que le gouvernement n'ait pas compris sa mission en fondant ces expositions, qui ont eu cet heureux résultat immédiat de relever le moral abattu de ces deux provinces ?

Je regrette, messieurs, les discussions qui ont lieu depuis deux jours, je les regrette parce qu'elles doivent avoir cet effet déplorable de jeter du discrédit sur des noms honorables. Qui sait si, dans certaines circonstances qu'il n'est donné à personne de prévoir, le danger auquel nous avons échappé ne nous menacera pas de nouveau ! Eh bien, qui nous dit que les maisons les plus honorables ne craindront pas alors de recourir à l'intervention du gouvernement, dans la crainte que leurs noms ne soient livrés à la publicité et à la malveillance ? Qu’arrivera-t-il alors ? C'est que le gouvernement sera naturellement amené à distribuer les fonds mis à sa disposition entre des personnes, des industriels infiniment moins respectables. Cette conséquence est inévitable ; le gouvernement ne pourra pas y échapper.

Je crois, messieurs, avoir suffisamment justifié ce qu'a fait le gouvernement pour la ville de Gand.

Le gouvernement a donné des fonds pour l'introduction de nouvelles industries dans le pays. Mais la chambre a-t-elle été surprise ? N'a-t-elle pas elle-même signalé des industries nouvelles dont elle croyait l'introduction avantageuse pour le pays ?

Messieurs, je n'ai pas, quant à moi, grande espérance dans l'avenir de quelques-unes de ces industries nouvelles. Mais en somme la chambre auait indiqué plusieurs de ces industries, et le gouvernement en les soutenant n'a fait qu'obéir au vœu de la chambre. Si quelques-unes n'ont pas réussi, à qui la faute ? Parmi les particuliers qui qui établissement une industrie, n'en voyez-vous, pas qui ont une grande espérance, qui ont beaucoup de fonds, qui ont une grande fortune, et qui, malgré tous ces avantages considérables, ne réussissent pas ? Dès lors devez-vous vous étonner si parmi les personnes en qui le gouvernement a placé sa confiance, obligatoire quelquefois, il en est qui n'ont pas vu leurs entreprises couronnées de succès, parce qu'on avait peut-être attiré l'attention publique d'une manière peu bienveillante sur elles ?

Je le déclare donc en finissant ; j'approuve ce qui a été fait par le gouvernement, non pas dans toutes ses parties, mais dans son ensemble.

Nous avons maintenu l'ordre ; nous avons échappé à un grand danger, et je répète ce que j'ai dit en commençant : de même que j'ai soutenu ce qui avait été fait en 1847, je soutiens encore ce qui s'est fait aujourd'hui. et ne laissons pas, messieurs, au gouvernement seul le droit de revendiquer ce qui a été fait.

Si l'ordre a été maintenu, si le travail a continué, ce n'est pas seulement au gouvernement, c'est aussi à la chambre qu'il faut attribuer cet heureux résultat.

Pour ces motifs je m'associe à ce qui a été fait par le gouvernement, bien convaincu que lorsque le calme sera revenu, lorsque les préventions seront dissipées, le pays applaudira aux mesures qui ont été prises.

M. Osy. - Approuvant presque toutes les observations qui ont été présentées dans le rapport de l'honorable M. de Man, ayant moi-même fait des observations lors de l'examen du crédit de 2 millions sur lequel l’honorable M. Vandenpeereboom a fait rapport, je me crois, en présence de la tournure qu'a prise la discussion, obligé de dire quelques mots.

M. le ministre de l'intérieur, en commençant son discours avant-hier, a dit que le rapport présenté par l'honorable M., de Man avait été fait dans un esprit de dénigrement, en dénaturant les faits, en travestissant ses intentions.

Messieurs, depuis que j'ai l'honneur de siéger dans cette chambre, sous tous les ministères, même sous les ministères dans lesquels je comptais mes plus grands amis, je n'ai jamais manqué à mon devoir ; j'ai dit franchement mon opinion sur toutes les propositions du gouvernement ; sur les crédits qu'on nous demandait ou sur ceux qu'on avait dépensé, et qui me paraissaient exiger des observations. Nous n'avons jamais, mon honorable ami, M. de Man et moi, manqué, sous aucun ministère, de dire notre opinion.

Aujourd'hui le gouvernement paraît nous faire un grief de parler aussi franchement que nous le faisons depuis bien des années. Mais, messieurs, ne vous rappelez-vous pas que sur le rapport fait par l'honorable M. Rousselle sur la convention cotonnière, la première chose que (page 799) M. le ministre de l’intérieur a dite, c’est que cette contention n'avait été faite que dans un esprit électoral, que M. le ministre a répète à plusieurs reprises la même accusation ? Et cependant vous avez entendu l'honorable M. Delehaye et l'honorable M. Rolin défendre la convention faite en 1847 dans l'intérêt de la ville de Gand.

Et alors que le ministère a continuellement répété que cette mesure n'avait été prise que dans un but électoral, il ne nous serait pas permis de venir critiquer l’emploi qui a été fait des fonds mis à sa disposiiton.

Je suis le premier à dire que parmi les mesures qui ont été prises relativement à l'emploi des crédits de un et de deux millions, il en est que l'on a bien fait de prendre et qui méritent d'être approuvées.

Je suis en principe contraire au système des primes. Mais quand vous vouliez soulager les populations industrielles et faire tout ce qui dépendait de vous en faveur des classes ouvrières, je conviens que, dans ce moment, c'était peut-être le meilleur système à adopter, parce qu'ainsi tout le monde était sur la même ligne, que tous les industriels qui voulaient exporter pouvaient avoir les mêmes secours du gouvernement.

Aussi M. le ministre de l'intérieur, lors de la présentation de ces projets de loi, vous disait :

« Je m'en suis expliqué déjà, le gouvernement n'a pas l'intention de se mettre en rapport avec tel ou tel industriel, mais avec l'intérêt public, représenté par la commune ou la province. »

Certainement dans les circonstances où nous nous trouvions en 1848 et en 1849, et en présence des déclarations que faisait M. le ministre de l'intérieur, je me suis associé à mes honorables collègues pour voter les crédits ; mais j'avoue franchement que je n'ai jamais cru qu'on aurait, en si peu de temps, dévié des promesses qu'on nous avait faites. On avait promis de s'entendre seulement avec les provinces et les communes.

Je vous ai dit, messieurs, que j'approuvais ce qu'on avait fait pour les primes ; quant aux secours donnés aux provinces et aux communes, pour la voirie vicinale, personne de nous ne les a critiqués ; c'était le meilleur travail à donner, et d'après les renseignements que j'ai reçus, je crois que ces fonds ont été employés d'une manière avantageuse. Cependant j'ai quelques réserves à faire à cet égard et je crois que là aussi il y a eu certains abus.

On nous accuse aujourd'hui, messieurs, d'être sévères dans l'examen de l'emploi qui a été fait des crédits votés en 1848 et en 1849 ; mais à toutes les époques nous en avons agi de même, et c'est ce que nous devons toujours faire ; pour ma part, aussi longtemps que je siégerai ici, je ne manquerai jamais, sous tous les ministères, de dire franchement mon opinion.

On nous a accusés aussi d'avoir, pour ainsi dire, ressucité l'ancien million Merlin.

Effectivement, messieurs, je me suis servi de cette expression ; mais M. le ministre de l'intérieur ne doit pas s'offenser de ce que nous appelons million Merlin une grande partie des fonds employés. Vous savez, messieurs, qu'il y a dans une de nos grandes villes un journal qui, pendant bien des années, a attaqué l'honorable M. Rogier d'une manière que je n'oserais pas faire connaître ici, mais de la manière la plus inconvenante, et quelques années auparavant, il avait peu ménagé le chef de l'Etat ; eh bien, que voyons-nous ? En 1850 ce journal devient tout à coup ministériel et ministériel des plus avancés. Recherchez les numéros de ce journal du mois de juillet 1850 et vous verrez qu'il s'exprime ainsi :

« Oui, nous devenons ministériels aujourd'hui parce que ce n'est pas nous qui allons au ministère mais parce que c'est le ministère qui vient à nous. Pour ce qui est de l'instruction, le gouvernement suit ce qu'on faisait sous le royaume des PaysBbas. Par la loi du mois de juin le gouvernement est venu à nous ; il suit les principes que nous avons soutenus non seulement avant 1850 mais aussi depuis 1850. »

Maintenant, messieurs, pour en revenir aux crédits, que disait ce journal ? Il disait : « Le gouvernement vient de rétablir le million Merlin » et il ajoutait :

« Le million Merlin était consacré à intervenir dans l'industrie et à l'assister, à lui imprimer un grand développement. »

Voilà, messieurs, comment le journal le plus ministériel qualifiait le crédit, au moment où il venait d'être voté : il l'appelait le million Merlin...

Ainsi, le gouvernement ne doit pas s'offenser de ce que nous nous servions d'une expression qui est répétée à chaque instant dans les journaux les plus ministériels.

Je ne me ferai pas l'écho ici des bruits qui ont circulé à Gand sur la manière dont on a pu obtenir l'appui de ce journal, bruits dont on m'a souvent parlé.

M. Lesoinne. - Parlez ! parlez !

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Pas d'insinuations !

M. Osy. - Je dirai que je n'ai pas voulu croire à ces bruits ; je ne crois qu'avec des preuves en mains ; mais ce qui est certain, c'est que le journal en question annonce lui-même que le gouvernement suit le système que avons toujours combattu. Eh bien, pour ma part, je ne veux pas renouveler le million Merlin, et sous ce rapport, plusieurs dépenses qui ont été imputées sur les crédits, ont été mal employées.

Quand le gouvernement traite avec des particuliers, ce n'est presque toujours qu'avec des personnes d'un rang peu élevé, Des maisons considérables ne viendront pas demander des subsides au gouvernement pour telle ou telle affaire ; ce sdemandes sont toujours faites par des personnes qui veulent bien se hasarder, dans l’espoir de faire une bonne affaire et si l’affaire ne réussit pas, la conséquence en retombe sur le gouvernement qui a accordé le subside. Voilà justement où est le danger ; quand le gouvernement accorde des subsides à des particuliers sans grande consistance, le gouvernement ne connaissant pas toujours suffisamment les particuliers, est disposé à leur accorder un crédit qui se justifie par l’appui que leur donne le gouvenement.

Ainsi le gouvernement a encore accordé un subside à une maison de Hambourg pour y avoir un dépôt d'échantillons pour les exportations belges ; voilà donc le gouvernement qui se mêle d'une affaire pareille dans une ville étrangère. Et par cette recommandation du gouvernement, ces maisons établissent et obtiennent du crédit et souvent elles finissent par amener de grandes pertes pour les industriels.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'est un membre de la commission des finances qui m'a recommandé ce particulier.

M. Osy. - Presque toujours quand le gouvernement se mêle des affaires particulières, elles tournent mal ; le mal serait déjà grand, si le trésor public seul était en jeu ; mais il est plus grand encore, puisqu'il atteint les particuliers.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je répète qu'un membre de la commission des finances m'a recommandé le particulier dont il s'agit.

M. Osy. - Je parle d'une manière générale ; tous les membres de la commission des finances étaient d'opinion que, dans les circonstances difficiles, ce n'est pas toujours à des notabilités que s'adresse le gouvernement ; que son appel se fait toujours à des personnes d'une classe inférieure qui désirent avoir un subside pour tâcher de faire une affaire, et, s'il est possible, de sa relever.

Je crois que le gouvernement doit se mêler des affaires industrielles et commerciales le moins possible.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'est vrai, c'est aussi mm opinion. Nous sommes d'accord.

M. Osy. - Et sous ce rapport, le gouvernement a eu tort de faire trop d'affaires de ce genre.

Je suis obligé de revenir à une avance qui a été faite à un fabricant d'une de nos grandes villes industrielles, qui avait déjà reçu la totalité de la somme qu'on avait voulu donner à l'industrie gantoise en 1847. Je demanderai à M. le ministre de l'intérieur si c'est sur l'avis de M. le gouverneur de la Flandre orientale que celle nouvelle avance a été faite ; d'après ce qu'on m'assure, ce fonctionnaire n'a voulu donner un avis favorable qu'autant qu'on assurât au gouvernement des garanties formelles et certaines : le particulier est venu à Bruxelles et il a obtenu tout de suite une avance considérable.

Messieurs, lors de la discussion de la loi de 1848, l'honorable M. Cumont aurait beaucoup désiré que le gouvernement établît des comptoirs. Il a été alors beaucoup question d'un comptoir à Singapore ; on n'est pas tombé d'accord, et rien n'a été fait. Cependant le gouvernement a donné de l'argent à deux établissements pour faire des comptoirs ; l'un des traités a été conclu avec un particulier, l'autre avec des maisons respectables, je le reconnais. Certainement, quand, en 1849, nous avons voté un crédit, c'était pour maintenir le travail ; mais en 1850 nous étions sortis de la crise ; il ne faut pour s'en convaincre que voir le chiffre des exportaitions ; il ne fallait plus que le gouvernement vînt au secours de l'industrie ; et cependant en 1850 on a encore donné de l'argent pour établir des comptoirs. Je crois que le gouvernement ne pouvait pas établir de comptoirs sans une loi spéciale. Si on voulait entrer définitivement dans ce système, il ne fallait pas le faire avec les crédits votés en 1848 et en 1849 et avec les fonds rentrés sur d'autres créances. Eh bien, je ne désapprouve pas la convention faite avec ces maisons qui sont des plus respectables. Mais, dans mon opinion, les subsides n'étaient pas nécessaires, parce qu'il paraît que Santo-Tomas ne donne pas le résultat qu'on en attendait.

Sous ce rapport, effectivement, on a fait choix de maisons respectables et solvables. Mais, en règle générale, le gouvernement ne devait pas prélever sur les crédits accordés pour le travail en 1848 et en 1849, il devait présenter un système général pour savoir si la chambre voulait entrer dans un système de société de commerce pour l'exportation.

Sous ce rapport, je dois critiquer le gouvernement, car il est entré dans un système sans le consentement des chambres.

Pour ce qui est des industries qu'il aurait voulu établir dans les Flandres, le gouvernement a été trompé, notamment pour les fabriques de soie à Alost et à Deynze.

Je suis persuadé que si le gouvernement s'était adressé aux chambres de commerce, aux députations permanentes, tout cela n'aurait pas eu lieu. Le gouvernement nous avait promis de donner des subsides en s'entendanl avec les communes, avec les provinces, et il a traité avec les particuliers. Vous voyez de quelle manière il a encore été trompé et a eu à supporter de grandes pertes. Si le gouvernement voulait faire quelque chose pour l'industrie nouvelle, on devait s'entendre avec les communes, avec les provinces et avec les chambres de commerce, et non pas avec les personnes qui venaient solliciter des subsides près du gouvernement.

(page 800) L’honorable M. Delehaye vient d enous faire un beau tableau de l’exposition horticole de Gand. Effectivement, je regrette de ne pas avoir été à Gand pour voir l’exposition qui a été superbe. Je ne vois pas ce que cette exposition doit avoir avec les crédits que nous critiquons et qui ont été accordés à deux horticulteurs de Gand.

MM. Delehaye. - Et les ouvriers ?

M. Osy. - Dans le budget se trouve une somme de 24 ou de 25 mille francs que nous donnons au jardin botanique de la capitale.

Eh bien, je me rappelle que lorsque pour la première fois nous avons voté ce crédit, beaucoup de membres disaient qu'il était fâcheux de donner un pareil crédit à nn établissement pareil, parce qu'on faisait beaucoup de tort et concurrence à tous les horticulteurs des environs de Bruxelles, et je me rappelle qu'il y a eu pendant plusieurs années de graves observations sur ce crédit de 24 mille francs.

Le gouvernement a donné ce subside à cet établissement parce que s'il le lui avait ôté, Bruxelles aurait perdu un grand embellissement.

Poui ce qui est des horticulteurs de Gand, il y a beaucoup de jardiniers dans cette ville qui n'ont pas besoin de ces subsides ; mais si vous faites des largesses pour ceux-là, ils peuvent vendre à bien meilleur compte que leurs voisins, et sous ce rapport vous faites un mal infini à ces derniers au secours desquels vous ne venez pas.

Je critique fortement cette avance de 87 mille francs que vous avez faite à ces établissements, et je ne puis me rallier à l'opinion de l'honorable M. Delehaye.

L'honorable M. Rogier était président honoraire du congrès agricole en 1849.

Eh bien, on a formellement dit que pour l'agriculture il fallait la laisser se développer en dehors de l'action du gouvernement ; nonobstant cette prescription, le gouvernament a donné (je dis donné, parce qu'on ne sait pas quand l'argent rentrera) de l'argent à des horticulteurs.

Il me reste à répondre à l'honorable depu té de Bruxellesau sujet des avances faites à la capitale pour la construction d'une caserne. Je sais qu'il y a quelques années, toutes les villes voulaient avoir des garnisons ; beaucoup de villes secondaires ont demandé des subsides au gouvernement pour construire des casernes.

Ces subsides ont été donnés et, les casernes construites, on a envoyé de la cavalerie. Je conçois que si la ville de Bruxelles, voulant construire une caserne, avait demandé au gouvernement de faire un arrangement semblable à celui conclu avec des villes secondaires, on aurait pu suivre le même système. Mais la position n'était pas la même, la ville de Bruxelles avait décrété la construction de la caserne du Petit-Château de même qu'Anvers avait construit deux casernes, l'une d'artillerie, l'autre d'infanterie qui lui ont coûté 2 millions et pour lesquelles elle n'a demandé aucun subside.

Mais arrive la crise de 1848, la ville de Bruxelles vient demander au gouvernement un secours pour continuer les travaux. Le gouvernement a bien fait de tâcher de faire en sorte que les travaux commencés fussent continués et de faire à cet effet une avance de 200 mille fr., mais comme la ville de Bruxelles n'avait pas comme les autres villes fait d'arrangement préliminaire avec le gouvernement avant de décréter la construction de cette caserne, on aurait dû lui faire les mêmes conditions qu'aux villes de Bruges, (erratum, page 812) d'Ypres et d'Audenarde, à toutes les villes qui ont reçu de l'argent pour continuer des travaux commencés. On a imposé à ces villes des termes très courts pour les remboursement ; la ville de Bruges devait rembourser une somme considérable eu trois années.

Je ne me plains donc pas qu'on ait prêté 200 mille francs à la ville de Bruxelles, mais je trouve qu'on aurait dû à son égard suivre la même marche qu'à l'égard de la ville de Bruges pour faire rentrer les fonds avancés quand la ville serait à même de se libérer, soit au moyen d'impôts, soit au moyen d'emprunts. Mais la ville de Bruxelles est favorisée, depuis quelque temps on ne peut rien lui refuser ; on lui fait non seulement l'avance sans intérêt, mais on lui dit : Vous rembourserez ces deux cent mille francs au moyen de l'indemnité de casernement.

Or, pour Bruxelles, cette indemnité est de 12,000 francs, ce qui fait que Bruxelles a environ vingt ans pour se libérer ; de sorte qu'elle se libère sans payer les intérêts ou elle paye les intérêts sans rembourser le capital.

Vous voyez que c'est un don gratuit fait à la ville de Bruxelles.

Il n'est donc pas exact de dire qu'on a fait, pour Bruxelles ce qu'on a fait pour les autres villes qui avaient entrepris la construction de casernes.

En effet, ces villes avant de décréter les constructions, ont fait des arrangements avec le gouvernement, tandis que Bruxelles avait décrété et commencé la construction d'une caserne sans arrangement pris avec le gouvernement.

Ce n'est que quand les événements de 1848 sont survenus que la ville de Bruxelles s'est trouvée dans le cas de renvoyer les ouvriers, et qu'elle s'est adressée au gouvernement. Le gouvernement aurait dû lui faire les mêmes conditions qu'aux villes secondaires qui n'ont pas les mêmes ressources que la ville de Bruxelles, car il n'y a pas de ville qui compte plus de mendiants que la ville de Bruges à qui on prête 80 mille francs avec obligation de remboursement en trois ans.

Le rapport a critiqué le subside accordé aux hospices pour construction de route. J'approuve cette critique. En effet je concevrais ce subside à la route qu'on faisait à travers la propreté des hospices devait être dans l'intérêt général ; si elle avait eu pour but d'établir une communication d’une commune à l’autre, le gouvernement povait donner aux hospices aussi bien qu’à une commune un subside d’un tiers. Mais c’était une spéculation pour que els hospices pussent vendre avantgaeusement leurs terrains quand les circonstances seraient favorables.

Le gouvernement aurait pu se borner à faire un prêt et stipuler le remboursement quand les hospices en auraient trouvé le moyen dans leurs ressources ordinaires ou dans la vente de leurs terrains.

Ce subside n'a pas été accordé pour la voire vicinale, car la route projetée n'était ni dans l'intérêt général, ni dans l'intérêt d'une province, ni dans l'intérêt d'une commune ; par conséquent le gouvernement aurait dû se faire rembourser, et a bien fait d'assurer la continuation du travail, mais il pouvait le faire en stipulant les conditions de la rentrée des fonds.

Dans les circonstances où l'on se trouvais en 1848 et en 1849, j'ai voté les crédits demandés, je croyais que le gouvernement les aurait employés par l'intermédiaire des administrations communales et provinciales ; au lieu de cela on les a distribués à des particuliers et à la plupart par faveur.

Je ne regrette pas cette discussion, il est important que le gouvernement soit éclairé, il est heureux même que dans les chambres il y ait des hommes qui, sous tous les ministères, restent les mêmes et élèvent, en toute circonstance, la voix pour éclairer les ministres et leur signaler librement, franchement, consciencieusement les fautes qu'ils commettent dans l'espoir qu'elles ne se reproduiront plus à l'avenir.

M. E. Vandenpeereboom. - J'ai dit hier quelle avait été l'opinion émise par moi au sein do votre commission des finances. Mais l'heure était trop avancée pour en faire connaître les motifs.

J'ai tâché, dans mon rapport, de reproduire toutes les observations qui avaient été faites, soit en faveur, soit contre l'emploi du crédit de 2 millions de francs, et l'on a bien voulu reconnaître que j'y avais mis quelque impartialité. Je crois même y avoir mis de l'abnégation. Car pendant deux jours, je me suis laissé attribuer des conclusions qui n'étaient pas les miennes.

Je n'ai pas l'habitude de porter de déguisement ; la saison, du reste, est déjà trop avancée pour cela. Je ne puis donc me dispenser de répondre à l'honorable M. de Man, qui m'a endossé ses propres conclusions comme si elles m'appartenaient. Je ne lui en veux nullement, parce qu'il m'a procuré ainsi l'occasion de m'expliquer. Maintenant je redeviens membre de la chambre, et je dirai en peu de mots les motifs de mon vote.

Je n'entrerai pas dans les détails. Au point où en est arrivée la discussion, il me semble inutile de la prolonger davantage.

Je ne reproduirai pas non plus certaines anecdotes aussi décolletées que celles qu'a citées l'honorable M. de Man. J'en connais de plus décolletées encore, qui ne concernent pas l'administration, mais je crois que la chambre me saura gré de les passer sous silence.

Maintenant, je vous dirai, messieurs, que je ne poursuis pas avec beaucoup d'acharnement des mesures déjà prises et des sommes déjà dépensées. J'aime mieux réserver mon indignation pour des mesures encore à prendre, pour des sommes encore à dépenser. Cela me paraît beaucoup plus pratique. C'est ce que j'ai déjà fait : c'est ce que je ferai encore.

Les deux observations générales qui m'ont guidé sont les suivantes. En 1848, deux crédits furent votés, en vue des circonstances. L'un, de 2 millions de francs, pour maintenir le travail ; l'autre, de 9 millions de francs, pour augmenter les moyens de défense.

Sur le crédit de 2 millions de francs, les allocations pour primes,, pour chemins vicinaux, pour secours à des communes pauvres, c'est-à-dire l'emploi de 1,500,000 fr. rencontrent une approbation unanime. Des sommes notables doivent faire retour au trésor. Et cependant l'on se montre d'une grande rigueur dans l'examen de l'usage général qui a été fait de ces fonds.

Sur le crédit de 9 millions de francs, il a été disposé d'une somme de 7,000,000 de francs. Cet emploi a-t-il été fait avec intelligence ? A-t-il été appliqué à des mesures qui eussent pu être efficaces, dans le moment même et qui pouvaient être utiles pour l'avenir ? Personne, jusqu'à présent, ne s'en inquiète dans cette enceinte.

Pourquoi, d'un côté, cette sévérité pour le budget de l'ordre par le travail ? Pourquoi, de l'autre côté, cette indulgence à l'égard du budget de la sécurité par la force et par la compression ?

Je passe à une autre réflexion générale.

Après une affreuse crise alimentaire, viennent les événements de 1848. Nous nous sommes quelque peu aguerris contre ces sortes de tempêtes ; mais, à cette époque, l'impression fut terrible. Par patriotisme et aussi par prudence, la chambre fut unanime pour ouvrir au ministère un crédit de 2 millions de francs, avec un libellé général, que l'on pourrait traduire par ces mots : « Faites pour le mieux. »

La stagnation des affaires était complète et universelle : chaque administration demandait l'appui et le concours de l'Etat. Le gouvernement se met à l'œuvre. Toutes les autorités, les particuliers même lui prêtent un loyal concours. D'aussi minimes ressources que celles consistant en deux millions de francs, ne pouvaient suffire à tant de besoins. Le ministre fait des avances là où il pouvait donner des subsides : il double ainsi l'action de la somme mise à sa disposition. Des travaux d'une utilité permanente sont exécutés : l'ordre est maintenu partout ; beaucoup de souffrances sont soulagées.

(page 801) Fait-il oublier ces grands résultats, pour ne voir et ne mettre en relief que des erreurs partielles ?

Cette sévérité, quelque peu tardive, pourrait suggérer une comparaison, pemettez-moi de la faire.

Un violent incendie menace toute une ville ; il se manifeste au nord et au midi ; tout un quartier va être envahi. Un propriétaire, habitant ce quartier, très effrayé, ou du moins très prudenl, appelle son homme d'affaires et lui dit : « Je suis menacé de toute part, voilà deux mille francs, sauvez ma maison. » L'homme d'affaires se dévoue tout entier à cette difficile mission. Les bonnes gens de l'endroit aidant, et par dessus tout la Providence aidant, la maison est sauvée. Quatre ans après, à l'occasion d'une redditiun de comptes, le propriétaire, tranquillement assis dans sa maison, n'ose pas redemander à son gérant les deux mille francs dépensés, mais il lui adresse de vifs reproches parce que, lors du sauvetage, l'on a déchiré ses rideaux et ébréché sa porcelaine.

Je n'étais pas du nombre des propriétaires prudents qui ont donné l'argent, sans conditions, au commencement de 1848 ( je suis entré à la chambre quelques mois après). Mais je ne veux pas m'associer aux propriétaires rassurés qui, en 1852, oubliant de grands résultats obtenus, se plaignent de quelques légers dommages.

Maintenant, messieurs, j'aurai l'honneur de vous proposer un ordre du jour motivé, qui ne fait que reproduire les conclusions que je ne suis point parvenu à introduire dans mon rapport. Il me semble que la loyauté et la franchise m'obligent à reproduire en séance publique de la chambre ce que j'ai trouvé juste et convenable au sein de votre commission des finances.

Je dépose donc l'ordre du jour suivant :

« La chambre, considérant que l'emploi des crédits mis à la disposition du gouvernement a eu, dans son ensemble, pour résultat de contribuer au maintien de l'ordre par le travail et d'atténuer, dans une certaine mesurc, la crise industrielle, passe à l'ordre du jour. »

M. le président. - La proposition est-elle appuyée ?

- Plusieurs membres appuient la proposition.

M. Manilius. - Je viens, messieurs, de me lever pour appuyer la proposition de l'honorable M. Vandenpeereboom. Je crois que la discussion a été assez longue ; je ne la prolongerai pas davantage. Je n'ai demandé la parole que pour exprimer l'opinion que cet ordre du jour ne doit pas s'appliquer exclusivement au crédit sur lequel l'honorable M. Vandenpeereboom a fait un rapport ; il doit, je pense, s'appliquer également au crédit qui a fait l'objet du rapport de l'honorable M. de Man.

M. le président. - C'est ainsi que l'ordre du jour est entendu ; il s'applique aux deux crédits.

M. Cools. - C'est comme membre de la commission que je demande la parole. M'étant associé au rapport de l'honorable M. de Man, comme tous mes autres collègues de la commission sans aucune exception, puisque le rapport a été approuvé, je ne dirai pas sans réticence, il ne m'est pas donne de pouvoir scruter la conscience d'autrui, mais du moins sans opposition, il importe que le ministère et l'honorable M. Vandenpeereboom me donnent quelques explications sur le sens qu'ils attachent à l'ordre du jour qui nous est proposé, pour que je sache si je puis ou non m'y associer.

Je féliciterai, d'abord, l'honorable M. Vandenpeereboom d'avoir modifié assez sensiblement la proposition qu'il avait faite en commission. S'il n'en était pas ainsi, je devrais naturellement me prononcer contre sa proposition, puisque telle qu'elle a été formulée au sein de la commission, elle a été rejetée à l'unanimité, moins son honorable auteur.

Heureusement que la thèse n'est plus la même. Je crois donc pouvoir appuyer la proposition nouvelle, sans m'exposer à me mettre en contradiction avec moi-même, après, bien entendu, que les explications que je désire obtenir m'auront été données ; et pour ne pas devoir prendre de nouveau la parole, je dirai que j'interprète cette proposition tout à fait dans le sens de celle formulée à la fin du rapport de l'honorable M. Vandenpeereboom qui maintenant s'étendra également au rapport de M. de Man, c'esl-à-dire que, eu égard aux circonstances, tenant compte des difficultés qui entouraient le pouvoir et sans approuver tous les actes qui ont été posés, on approuve, en général, à raison du résultat obtenu, la conduite du gouvernement ; je crois que c'est bien là le sens de la proposition qui nous est soumise. Toutefois, je demanderai au gouvernement s'il est bien entendu que les votes qui seront émis en faveur de la proposition n'auront pas d'autre portée que celle que je viens d'indiquer.

Ce n'est que sous cette réserve que je pourrai émettre un vote affirmatif sur l'ordre du jour proposé. Personne de nous n'entend, par exemple, approuver plus spécialement l'un ou l'autre des actes signalés dans le rapport de l'honorable M. de Man ; rapport dont je dois prendre ma part de responsabilité comme tous les autres membres de la commission, car il a été approuvé par l'unanimité des membres présents à la séance.

La rédaction du rapport est l'œuvre du rapporteur ; je n'ai pas à m'en expliquer ; mais le rapport, quant au fond, est l'œuvre de la commission et je ne saurais le répudier sans me déjuger. Si donc la proposition doit être entendue en ce sens qu'on approuve l'emploi fait des crédits dans leur ensemble, sans y attacher l'idée d'une approbation de tous les actes, je suis prêt à y donner un vote favorable.

M. le président. - M. Vandenpeereboom vient de proposer une légère modification à la rédaction de l'ordre du jour : il propose de dire :

« La chambre, considérant que l’emploi des crédits mis à la disposition du gouvernement, a eu, dans son ensemble, pour résultat de contribuer à maintenir l’ordre, etc. »

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Un membre de la commission des finances demande le sens que j'attache à la proposition de l'honorable M. Vandenpeereboom, son collègue. Cette proposition est parfaitement claire ; elle me satisfait, quant à moi ; elle ne fait que reproduire en résumé ce que j'ai dit dans la discussion. Je n'ai demandé' à personne, je ne demande pas à la chambre d'approuver aucun des actes très nombreux qui ont été posés par le ministère à partir de 1848 ; je n'ai pas demandé cela ; c’eût été une prétention absurde de ma part ; il est plusieurs de ce sactes que je puis regretter moi-même comme n'ayant pas atteint complètement le but proposé, maîs ce que je demande, c'est que la chambre donne son approbation à l'ensemble des actes posés et des résultats obtenus.

Ce que je demande, c'est que, à l'exemple d'un des rapporteurs de la commission des finances, la chambre ne trouve pas que chacun de ces actes a été malheureux, désavantageux, marqué au coin des intérêts privés au lieu d'être marqué au coin de l'intérêt général. Sous ce rapport, la proposition de l'honorable M. Vandenpeereboom est le contre-pied du rapport de l'honorable M. de Man, et c'est avec ce caractère-là que j'y donne mon adhésion ; c'est avec ce caractère-là que je la comprends et que je l'accepte.

Evidemment, messieurs, il y a eu deux esprits différents dans la commission. Ils viennent de se manifester très clairement : l'un qui a cherché querelle au gouvernement sur tous les actes, depuis les plus élevés jusqu'aux plus humbles, depuis les plus étendus jusqu'aux plus restreints ; l'autre qui a pensé que, dans les circonstances difficiles que le gouvernement avait à traverser, certains actes n'ont pas atteint le but qu'on poursuivait, mais qui a reconnu aussi, comme il convient à des hommes politiques impartiaux, que l'ensemble des actes a répondu au but que poursuivait la législature, que le gouvernement a fait ce qu'il a dû pour traverser la crise d'une manière favorable, pour tirer plusieurs industries d'une situation mauvaise, pour répandre partout, autant que possible, l'activité, pour faire régner l'ordre.

Or, messieurs, ces résultais sont-ils niables ? Je ne veux pas dire que le gouvernement a tout fait ; loin de moi cette prétention, bien qu'on me l'attribue souvent, je le sais. Mais je dis que dans la mesure de nos forces, de nos moyens, nous avons apporté notre pierre à cet édifice qui est l'ouvrage de tous. Est-il vrai,oui ou non, que depuis 1848, le pays est resté calme, que le pays s'est livré au travail, que le pays a vu successivement se développer et fleurir ses intérêts matériels, en même temps que toutes ses institutions, que toutes ses libertés politiques ?

Voilà les grands résultats obtenus, et je le dis, il serait peu digne de la chambre, peu digne du mandat législatif, de s'associer à toutes ces critiques si minutieuses, à ces commérages de bas étage, à ces mauvais propos de carrefour que nous avons été condamnés à entendre ic idepuis deux jours.

Messieurs, je ne sais si dans la situation où se trouve la chambre, elle aura encore l'obligeance de m'écouter. J'ai à parler de nouveau assez longtemps. Je tiens à détruire l'effet fâcheux que, depuis deux ans, on a cherché à répandre dans le pays à l'occasion des dépenses faites par le ministère.

Il n'est pas, messieurs, d'outrages, de calomnies qui n'aient été propagées contre le gouvernement à l'occasion de ces dépenses ; et ce qui'm'afflige, ce qui m'a justement irrité, je le dis, c'est de retrouver dans le rapport de l'honorable M. de Man le reflet de tous ces outrages, de toutes ces calomnies...

M. de Man d'Attenrode. - Je n'ai cité qui des faits.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - .. dans son rapport imprimé et particulièrement dans son discours d'hier, ou plutôt dans son réquisitoire d'hier.

M. Dumortier. - M. le président, faites respecter le règlement. Il n'y a plus de liberté de discussion. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. le président. - La parole est à M. Dumortier pour un rappel au règlement.

M. Dumortier. - M. le président, l'article 19 du règlement porte ; « Toute imputation de mauvaise intention, toute autre personnalité, tout signe d'approbation ou d'improbation sont interdits. »

Je viens d'entendre M. le ministre de l'intérieur se servir, au sujet du rapport d'une commission nommée par vous, se servir d'expressions qur emportent nécessairement les plus mauvaises dispositions, les plus mauvaises intentions et l'accusation la plus grave de personnalité. M. le ministre a été jusqu'à dire que c’était une calomnie, que le rapport de la commission, que le discours de l'honorable M. de Man était une calomnie.

- Plusieurs membres. - Non ! non !

M. le président. - M. Dumortier, vous êtes dans l'erreur.

M. Landeloos. - Il a dit c'était un reflet de calomnies.

M. Dumortier. - M. le ministre a dit qu'il avait été calomnié par des journaux et qu'il avait été surpris de voir refléter ces calomnies dans le discours de l'honorable M. de Man et dans le rapport de la commission. .

Eh bien, il n'y a plus de discussion possible, il n y a plus de rapport (page 802) possible, il n’y a plus d'opposition possible, et l’honorable M. Rogier a certainement bien occupé sa place dans la tribune de l’opposition…

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Pas de cette façon.

M. Dumortier. - ... et je ne lui en fais pas un crime ; il n'y a plus d'opposition possible arec cette manière de discuter.

Je demande donc que le règlement soit exécuté et qu'on ne lance pas des accusations de mauvaises intentions, surtout vis-à-vis de membres qui font connaître les actes du ministère et les apprécient.

Si la Constitution a donné aux chambres le droit de mettre les ministres en accusation, à plus forte raison elle a donné le droit aux députés de signaler leurs actes. Ce serait violer la Constitution que de leur dénier ce droit.

M. le président. - Je ne pense pas que M. le ministre de l'intérieur ait imputé de mauvaises intentions à l'honorable M. de Man. Si j'ai bien entendu M. le ministre, il a parlé de calomnies répandues au-dehors, et il a exprimé le regret d'avoir trouvé un reflet de ces calomnies dans le rapport et dans le discours de l'honorable M. de Man ; mais il n'a pas imputé à l'honorable M. de Man l'intention de calomnier. Je n'ai donc pas cru qu'il y avait lieu de rappeler M. le ministre au règlement et je ne le crois pas encore.

Je demande à M. le ministre de l'intérieur si j'ai bien compris sa pensée ; je ne suppose pas qu'il ait voulu imputer de mauvaises intentions à l'honorable M. de Man.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - M. le président, je ne crois pas avoir à expirmer ma pensée. Il convient à l’honorable M. Dumortier de se poser ici comme le juge, comme l’appréciateur des convenances parlementaires. Je demande si un pareil rôle revient à l'honorable M. Dumortier ?

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Et pourquoi pas ? (Interruption.)

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - L'honorable M. Dumortier a été connu de tous temps pour être l'origine, la cause des débats parlementaires les plus animés. Donc ce rôle ne lui convient pas.

L'honorable M. de Man ne s'est pas offensé de ce que je lui ai dit.

M. de Man d'Attenrode. - J'ai réclamé.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous ne m'avez pas rappelé au règlement ; vous m'avez bien compris. J'ai dit que je m'affligeais, j'ai ajouté que je m'irritais de trouver dans le rapport un reflet de ces outrages que l'on fait circuler au dehors contre le ministère.

M. de Man d'Attenrode. - Il n'y a pas de reflet d'outrages ; il n'y a que des faits que j'ai établis d'une manière consciencieuse et que je maintiens. C'était mon droit.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'ai trouvé un reflet de ces outrages dans votre rapport et notamment dans votre discours d'hier ; je demande donc à répondre à ce discours, ou plutôt, comme je le disais tout à l'heure, à ce nouveau réquisitoire.

M. le président. - La parole est continuée à M. le ministre de l'intérieur.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - L'honorable M. de Man a passé sous silence le discours, le discours beaucoup trop long que j'avais été condamné à prononcer la veille pour répondre à son rapport. Il avait tenu en réserve une seconde bordée contre le ministre. Il l'a lâchée hier. Mais il ne s'est pas occupé de ma défense. Son siège était fait ; il a fallu que j'en subisse toutes les conséquences. Il me faut donc encore recommencer ma défense restée comme non advenue pour l'honorable rapporteur de la commission des finances qui n'en a tenu aucun compte.

L'honorable rapporteur a commencé par me donner une leçon de comptabilité. J'avais dit, en réponse à une critique du rapport, que si le crédit avait été voté globalement, ce n'était point par le fait du ministère : c'était par le fait de la section centrale qui, aux divisions proposées par le gouvernement, avait substitué une disposition générale et globale. Cela est un fait incontestable : nous avions proposé un crédit divisé ; la section centrale a supprimé la division et a proposé un crédit général, global, élastique, comme on l'a dit. L'honorable M. de Man s'écrie : « Vous confondez deux chtoses: vous n'aviez pas proposé un crédit divisé, vous aviez proposé des litteras. » L'honorable M. de Man m'a bien voulu apprendre qu'un crédit divisé en articles n'est pas la même chose qu'un crédit divisé en litteras.

Je remercierai toujours l'honorable M. de Man des leçons de comptabilité qu'il voudra bien me donner, mais il me permettra de lui dire que c'est nous ramener ici à l'ABC de la comptabilité, et que les moins érudits en cette matière n'ont jamais confondu un littera avec un article.

Je suis, messieurs, dit-on, en débats perpétuels avec la cour des comptes. L'honorable rapporteur visite souvent, à ce qu'il paraît, la cour des comptes et il a découvert que j'avais de nombreux démêlés avec elle. Messieurs, je suis étonné d'apprendre que je me trouve en guerre avec la cour des comptes ; j'ai, de temps en temps, comme tous les ministres, quelques contestations avec la cour des comptes, mais je vis avec elle dans les meilleurs termes.

M. de Man d'Attenrode. - Les cahiers d'observations le constatent.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous avez dit que je soutenais une lutte journalière avec la cour des comptes et vous avez cité des contestations sur les imputations relatives à la voirie vicinale et aux mesures d'assainissement. Qu'est-ce que cela prouve ? Je soutiens que je puis imputer sur le crédit de la voirie vicinale les dépenses relatives à l’assainissement des communes, lorsqu'il s'agit de la réparation des chaussées traversant ces communes ; la cour des comptes a pensé que cesimputations ne sont pas régulières.

J'ai prouvé à la cour des comptes, par mes déclarations faites à la chambre, qu'il était entendu que le gouvernement pourrait imputer certains travaux d'assainissement sur le crédit de la voirie vicinale ; la cour des comptes a passé outre, non parce qu'elle est tolérante, mais parce qu'elle est composée d'hommes conciliants qui n'opposent pas une résistance aveugle aux observations justes qu'on leur présente ; d'hommes qui acceptent la discussion et qui ne trouvent pas qu'un ministre a toujours tort.

Nous avons un autre démêlé avec la cour des comptes : la cour des comptes combat la prétention du ministre d'imputer sur les fonds de la voirie vicinale les sommes destinées au personnel employé à la voirie vicinale, à l'administration centrale.

Messieurs, depuis la création du fonds de la voirie vicinale, surtout depuis 1845, certains agents, notamment des dessinateurs employés aux travaux de la voirie vicinale, ont été payés sur le fonds de ce service ; les choses continuent à se passer ainsi ; seulement ces agents reçoivent moins qu'ils ne recevaient dans les premières années.

La cour des comptes croit qu'il serait utile de faire deux articles : un pour la voirie proprement dite, un autre pour le personnel ; je suis tombé d'accord avec la cour des comptes ; j'ai trouvé qu'elle avait raison et je lui ai promis qu'à dater du budget de 1853 cette difficulté viendrait à cesser.

En effet, comme l'honorable rapporteur aura pu s'en convaincre, le crédit de la voirie vicinale pour 1853 portera un article spécial pour le personnel ; et dès lors, messieurs, ce grand démêlé avec la cour des comptes viendra à cesser. Or, je ne pense pas que sur d'autres questions nous nous trouvions fréquemment en désaccord avec la cour des comptes.

M. de Man d'Attenrode. - Il est encore un point que vous omettez.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Lequel ?

M. de Man d'Attenrode. - La cour des comptes s'est plainte que vous imputiez sur le crédit de la voirie vicinale des dépenses pour le matériel de l'administration centrale.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il s'agit de savoir de quel matériel vous entendez parler.

M. de Man d'Attenrode. - Du matériel de l'administration centrale.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Cela n'est pas exact. Les dépenses du matériel gcnéralsont imputées sur l'article 3 du budget ; mais toutes les divisions font certaines dépenses qui leur sont propres ; elles imputent sur leurs crédits une certaine somme, notamment pour l'acquisition de livres. Cela se fait à la division de la voirie vicinale comme dans toutes les divisions. Si le crédit du matériel de l'administration centrale devait pourvoir à ces dépenses spéciales pour chaque division, il faudrait augmenter ce crédit.

C'est donc à tort que l'honorable M. de Man s'en est pris hier à la cour des comptes et l'a accusée d'une trop grande tolérance envers le ministère. L'honorable M. de Man, avec la plus grande facilité, distribue les leçons à tout le monde, à la cour des comptes, à la commission des finances, à la chambre : tout le monde témoigne au ministère une tolérance qui n'est pas du goût de l'honorable M. de Man. Je ne veux pas mettre en doute le grand talent, les vertus rigides de l'honorable M. de Man ; mais, précisément, c'est aux hommes de talent, aux hommes de vertu rigide, aux hommes austères qu'il convient de montrer quelque indulgence pour les autres.

Au milieu, messieurs, de ces graves et sérieux débats, l'honorable rapporteur, je lui rends cette justice, est venu jeter quelques fleurs ; il est parvenu à exciter l'hilarité, il a eu un succès de gaieté franche autour de lui. Mais à quel propos, messieurs ? A propos d'une catastrophe industrielle. Le ministre a appliqué une partie des fonds mis à sa disposition à créer dans les Flandres des industries nouvelles, à relever, à améliorer les industries anciennes. 75 à 80 établissements ont été créés ; ils se trouvent dans un état satisfaisant. Sur ces 75 à 80 établissements, en y joignant ceux des provinces limitrophes des Flandres, il en est trois qui n'ont pas entièrement réussi. C'est à ceux-là que l'honorable M. de Man s'attache exclusivement ; il ne parle pas des autres, il aurait pu en dire du bien ; il se tait...

M. de Man d'Attenrode. - Je ne les connais pas.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il s'attaque exclusivement, à trois établissements dont les directeurs n'ont pas réussi.

Eh bien, les directeurs de ces établissements font aujourd'hui défaut, cela est vrai ; mais les établissements eux-mêmes restent ; l'honorable M. de Man peut en être convaincu, les entreprises qui ont été fondées à Deynze et à Alost pour les soieries, ainsi que l'atelier qui a été créée à Bevere pour la batiste ; ces trois entreprises subsistent, et notre but demeure atteint.

On se moque très agréablement, dans des anecdotes plus ou moins grivoises, débitées d'un ton plus ou moins régence, on se moque de l'industrie des soieries.

L'on semble ignorer que l'industrie des soieries, si elle pouvait fournir à notre consommation les tissus qui nous viennent de l'étranger, représenterait la valeur de huit à dix millions, sans compter les exportations. J'ai eu la présomption de croire que peut-être nous parviendrions (page 803) à implanter dans les Flandres l'industrie des soieries ; voila ce que j'ai tenté} je l'ai fait à Alost avec un négociant établi depuis longtemps dans la localité ; il m'était recommandé par tout le monde, car le gouvernement n'a pas été seul trompé ; les banquiers qui faisaient des affaires avec cet industriel ont été les premiers trompés ; enfin il a fait défaut, mais son établissement a été repris par une personne parfaitement solvable ; il avait fait venir des maîtres-ouvriers de Lyon ; ces ouvriers sont aujourd'hui établis à Alost ; ils ont continué cette industrie, et avec leurs faibles moyens, ils prospèrent. Voilà le résultat qui a été obtenu à Alost.

A Deynze, nous avons aussi été malheureux ; le directeur de l'entreprise a été trop loin ; il n'a pas pu faire face à ses obligations ; il a quitté, mais l'établissement a été repris par une personne très solvable de la localité ; de manière que notre but se trouve atteint à Deynze comme à Alost.

J'en dirai autant du troisième établissement destiné au perfectionnement de la batiste ; là encore le directeur n'a pas fait ses affaires convenablement, mais l'établissement a été repris ; les sacrifices que le gouvernement a faits n'ont pas été perdus ; l'industrie que nous avions en vue d'encourager existe encore et continuera d'exister.

On s'est aussi diverti hier, car on était en veine, au sujet d'une certaine opération qui a été faite sur la côte d'Afrique. Selon l'habitude de l'honorable rapporteur, il a encore passé ici à côté de la vérité ; il est venu entretenir la chambre d'une colonie que nous aurions eu l'ambition d'établir sur la côte d'Afrique et d'un traité qui aurait été conclu avec un prince qui s'appelle Lamina ; l'on aurait pu ajouter que ce prince a la figure toute noire, qu'il signe d'une manière peu lisible, et qu'il a fait au gouvernement la proposition d'envoyer un de ses fils dans un de nos établissements.

Je conçois qu'une affaire traitée avec un personnage africain nommé Lamina présente un côté très comique ; il y a là de quoi rire : aussi les honorables amis de M. le rapporteur ont beaucoup ri ; mais si l'affaire a un côté plaisant pour eux, elle a pour nous des résultats sérieux, un fond solide ; la côte d'Afrique n'est pas, à beaucoup près, aussi ridicule que le pense l'honorable M. de Man. La côte d'Afrique devient pour notre industrie un point fort important ; d'année en année, nos exportations augmentent vers ces parages ; dès lors, il n'y avait pas lieu d'en plaisanter.

Qu'a-t-on fait à la côte d'Afrique ? Une chose fort simple : on n'a pas créé de colonie, nous n'avons pas cette ambition-là, nous laissons de pareilles entreprises au génie inventif de nos prédécesseurs ou de nos successeurs ; nous nous sommes bornés à faire sur la côte d'Afrique l'acquisition d'un terrain destiné à donner de la sécurité à notre commerce.

On oublie ou l'on n'a pas lu les renseignements que nous avons fournis dans le compte rendu. L'Angleterre et la France possèdent des établissements de ce genre sur le Rio-Nunez ; nous n'avons pas créé, je le répète, de colonie, nous avons envoyé dans ces parages des jeunes gens courageux à qui nous avons alloué des bourses de voyage, et l'un d'eux est malheureusement venu à succomber.

Messieurs, je cherchais en vain d'où venaient les attaques excessives contre les subsides accordés à l'un des établissements horticoles de la ville de Gand ; l'un de ces établissements est dirigé par un respectable père de famille ayant dix enfants ; c'est sans doute par humanité que l'honorable rapporteur n'a pas dirigé ses critiques contre cet honorable père de famille ; mais pour l'autre, il faut qu'il soit traité sans pitié ni miséricorde ; il y a quelque chose de mystérieux dans le subside accordé au directeur de cet établissement horticole. On va nous découvrir le mystère et le scandale.

Il a été créé dans cet établissement une école destinée à former de bons jardiniers, école très fréquentée, et qui a déjà une réputation à l'étranger, mais cela ne signifie rien. Il y a une cause à cet intérêt qu'on lui porte ; l'honorable M. de Man l'a découverte, il l'a indiquée hier : le directeur de cet établissement a baptisé, du nom latinisé du ministre de l'intérieur, une de ses plantes, et là est l'origine des subsides !

Le ministre prêterait les fonds de l'Etat à tous ses flatteurs horticoles comme à ses flatteurs écrivains.

Eh bien, messieurs, l'honorable M. de Man peut être appelé un jour ou l'autre au gouvernement de son pays, il est laborieux, il a sans doute les qualités qui font l'homme d'Etat, lorsqu'il sera devenu un peu plus impartial. Je lui déclare d'avance qu'on pourra lui dédier tous les livres, toutes les fleurs du monde, que l'on pourra baptiser une plante mâle du nom de « Demanius formosus, superbus, superbissimus, terribilis, terribilissimus », que je ne lui en ferais pas un grief.

L'honorable M. de Man, quand il passera aux affaires, recevra à chaque instants des dédicaces, et je lui crois trop d'élévation de caractère pour jamais supposer qu'il puisse consacrer les fonds qui lui seraient remis, à payer de pareilles politesses.

On a été plus loin, on a été jusqu'à dire, et c'est là que je vois le reflet de l'outrage, on a dit que j'ai subsidié des écrivains afin d'obtenir d'eux la glorification de ma personne et de mes actes. Je dois qualifier d'un mot cette accusation, c'est une calomnie.

Si je subsidiais des écrivains, si je prenais sous mon patronage les écrivains, je ne m'intéresserais point en tous cas à ceux qui journellement sèment la division, la défiance dans le pays, ceux qui cherchent à décourager, à déconsidérer l'armée, à ceux qui livrent une guerre ouverte ou sourde à nos institutions ; ceux qui se mettent à la tête d'une réaction qui n'existe, je l'espère, que dans des imaginations folles ou ambitieuses, mais qui ne viendra jamais à se réaliser sous notre libre régime. Ces écrivains, ce n'est pas nous qui les subsidions, ce n’est pas nous qui les patronons. Ce ne sont pas des individus de cette espèce que nous subsides iraient chercher.

On est venu proclamer ici que la Belgique était livrée à une espèce de corruption générale par suite des subsides distribués par l'Etat.

Mais quelle idée vous faites-vous donc de la Belgique ?

M. de Man d'Attenrode. - Je dis que cela se dit et M. Pirmez l'a dit dans cette chambre.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il ne l'a pas dit dans le même esprit. Mais voici la réponse que je fais à ceux qui disent cela et à ceux qui le rapportent :

En 1845 et 1846. 4 millions de crédits ont été, ainsi que j'ai eu l'honneur de le dire plusieurs fois, mis à la disposition de nos prédécesseurs, qu'en est-il rentré au trésor ? Quel bien en est-il sorti ? On l'ignore, et tout ce que l'on sait, c'est qu'ils ont été distribués sommairement, globalement à 1,100 communes du royaume qui en ont fait don à des particuliers si elles l'ont trouvé bon, car je ne pense pas que le contrôle sur ces dépenses ait été sévèrement effectué.

Si les subsides poussont à la corruption comme on le prétend, voici la corruption exercée sur une bien large échelle.

Cette corruption pourrait se présumer davantage pour des subsides plus considérables, et j'en viens ici à l'observation de l'honorable député d'Anvers, si par exemple à une époque rapprochée des élections, une ville importante du pays avait reçu du gouvernement la promesse d'un million, et l'avance de 200 mille francs. On a dit, ce n'est pas moi qui ai dit cela, on a dit qu'il pouvait bien y avoir eu là quelque but intéressé, et j'ai trouvé qu'il était fâcheux qu'un pareil subside vînt coïncider avec l'époque rapprochée des élections.

Si, au moment des élections, nous avions fait la promesse d'un million, et l'avance de 200 mille fr....

M. de Man d'Attenrode. - On a fait des promesses de garnison !

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'était là le vieux système ; les garnisons sont restées où elles étaient.

Dans le cas qui précède, on aurait pu accuser le gouvernement de vouloir corrompre, par ses subsides, une localité ; mais j'aurais désiré que l'honorable membre nous citât une commune, lui qui sait tout, qui voit tout, cherche tout (interruption), trouve tout, va partout (interruption), entend tout, rapporte tout, je le prie de dire, s'il y a une localité à l'égard de laquelle nous aurions agi de cette manière ; il a cité des particuliers, il aurait pu citer des villes et des communes s'il y en a. Je ne pense pas qu'il ait entendu parler de la ville de Louvain. Si nous avions employé ce moyen, il ne nous aurait pas plus réussi qu'à nos prédécesseurs vis-à-vis de la ville de Gand, qui se montra fort peu reconnaissante des efforts qui furent faits à cette époque en sa faveur ; et eut le mauvais goût d'envoyer aux chambres six députés d'opposition.

J'abrège, pour ne pas abuser de l'attention de la chambre et je dirai cependant encore quelques mois sur un dernier point. L'on se trompe gravement quand on nous représente comme partisans absolus de distributions de subsides, comme partisans de l'intervention du gouvernement, en tout temps et pour toute chose.

Je ne suis pas partisan de cette intervention de l'Etat et sans limite, ce n'est que dans les circonstances exceptionnelles, anormales que je l'admets ; je reconnais avec les hommes pratiques, avec les hommes sensés, que l'action du gouvernement doit cesser avec les circonstances qui l'ont rendue nécessaire. Aussi avez-vous remarqué que depuis que les circonstances difficiles où nous nous sommes trouvés ont cessé, il n'y a plus eu de sa part aucune de ces interventions dans lesquelles il avait été entraîné par ces circonstances ; c'est donc à tort qu'on vient faire la guerre à ce système qui conduirait le gouvernement à intervenir dans toutes les affaires particulières.

Je repousse ce système aussi bien que vous ; aussi je ne comprends pas la sortie contre le million Merlin ; il n'y a pas la moindre analogie entre le million Merlin et les crédits mis à notre disposition ; le million Merlin était une allocation permanente, annuelle, distribuée sans le contrôle des chambres d'alors ; les millions mis à notre disposition ont été votés dans des circonstances exceptionnelles, non susceptibles de se reproduire chaque année et il vous en est rendu compte.

Ce qu'il faut examiner, laissant à part les récriminations, c'est si nous avons, dans la mesure de nos forces, dans la mesure des ressources mises à notre disposition, accompli convenablement notre tâche. Nous nous sommes attachés à chercher des résultats pratiques, nous avons appliqué les fonds mis à notre disposition à une multitude de besoins divers ; il eût été plus facile de distribuer 3 ou 4 millions à 1,100 communes sans nous inquiéter de ce qu'ils deviendraient ; il ne fallait pas pour cela grands frais d'imagination et cela n'a valu aux auteurs de ce système aucun reproche. J'ai cru devoir agir autrement. J'ai engagé davantage ma responsabilité, je ne le regrette pas, en égard aux résultats obtenus par les efforts du gouvernement. Or, niez-vous que ces résultats ont été favorables si l'on fait la part des circonstances et de la somme des subsides alloués ? Indépendamment du travail maintenu, de l'ordre et de la (page 804) tranquillité conservés, les sacrifices que le pays a faits ont été largement compenses par l’essor donné au crédit public, aux travaux publics et particuliers.

Nous ne demandons pas, ainsi qu'en l'a dit hier, à être encensé par qui que ce soit, nous demandons seulement à être jugés avec impartialité, et nous demandons à la chambre de tenir compte, dans le jugement qu'elle doit porter, des circonstances que nous avons eu à traverser.

Voilà tout ce que nous demandons à la chambre ; mais ce que je repousse de toutes mes forces, c'est le système de M. le rapporteur de la commission des finances, système qui consiste à dire que le gouvernement a méconnu ses devoirs, qu'il a enfreint les prescriptions de la loi, qu'il a manqué à tous ses engagements. Voilà le système que je repousse ; et c'est parce que je trouve dans la proposition de l'honorable M. Vandenpeereboom la condamnation de ce système, que je l'appuierai.

- Plusieurs membres. - Aux voix ! aux voix !

M. Malou. - Après les explications qui avaient été données par l'auteur de la proposition, je croyais, messieurs, qu'il me serait possible de garder le silence. En effet, cette proposition implique la pensée que la chambre n'entend pas approuver tous les actes du gouvernement.

Mon honorable ami M. de Man, dans le rapport fait au nom de la commission, n'a eu à s'occuper que de la critique ; il n'a pas eu à décerner d'éloges, par la raison très simple que, d'après tous les précédents, M. le ministre de l'intérieur s'est chargé compendieusement de ce soin ; il ne s'en est pas occupé parce que, d'après tous les précédents, lorsque M. le ministre de l'intérieur état dans l'opposition, il ne nous avait pas habitués à faire la part de l'éloge en même temps que la part de la critique.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Jamais nous n'avons fait de l'opposition dans votre genre.

M. Malou. - Jamais vous n'avez fait de l'opposition dans notre genre ! Votre mémoire vous fait donc défaut ? Eh bien, je vais venir à son secours. Quoi ! vous n'avez jamais fait d'opposition dans notre genre ; non sans doute, car depuis le début de cette session, par exemple, quelle est l'opposition qui vous a été faite ? Nous vous avons combattu une seule fois, à propos d'une mesure que nous considérions comme contraire aux intérêts du pays ; mais jamais nous n'avons entravé la marche des affaires, en discutant pendant huit jours sur des questions qui méritaient à peine un examen de quelques heures ! Nous n'avons pas fait un crime d'Etat à M. le ministre de la justice qui avait trop facilement, je veux le croire, cédé à des considérations d'humanité pour mettre en liberté provisoire un condamné qui était coupable, mais qui était malheureux. Nous n'avons pas discuté pendant huit jours pour savoir si un certificat de médecin était sincère, pour savoir si M. le ministre de la justice avait commis un crime capital en y ajoutant foi.

Pour juger de la grandeur de vues, de l'esprit de justice de cette opposition, je n'ajoute qu'un fait ; il a été prouvé que ces certificats n'étaient que trop fondés : ce malheureux est mort, quelque temps après, de la maladie pour laquelle on avait demandé sa mise en liberté.

Il s'est trouvé un jour qu'on avait nommé à une justice de paix un homme aux antécédents honorables, qui avait eu le malheur, dans sa première jeunesse, de commettre un fait à peu près aussi grave que celui qu consisterait à dénicher un nid d'oiseaux, et vous avez discuté pendant huit jours sur le point de savoir si le gouvernement n'était pas coupable d'un crime de lèse-nation pour cette nomination d'un greffier de justice de paix. Voilà quelle était parfois votre opposition ; je vous citerai un autre jour bien d'autres souvenirs qui prouveront les différences entre votre opposition et celle que nous sommes quelquefois obligés de vous faire.

.Messieurs, depuis le début de cette discussion...

M. Verhaegen. - Je demande la parole.

M. Malou. - Depuis le début de cette discussion, M. le ministre de l'intérieur a adressé de nombreuses insinuations, dirigé des accusations contre ses prédécesseurs, au sujet de l'emploi du crédit de 4 millions voté pour la crise alimentaire.

Il a notamment reproché à l'honorable M. de Man de m'avoir pas critiqué l'emploi qui a été fait de ces 4 millions, sur lesquels un rapport avait été fait précédemment par l'honorable M. Cools et adopté par la chambre. Aujourd'hui, M. le ministre de l'intérieur revient, d'une manière plus précise sur cette accusation : il nous demande ce que sont devenus ces 4 ndllions et ce qui en est résulté. Nous avons, messieurs, adressé à la chambre, le 11 novembre 1846, le premier rapport sur l'emploi du crédit de 2 millions ; nous avons inséré au Moniteur, lors de la retraite du cabinet, un rapport sur l'emploi des crédits qui nous avaient été accordés pour la deuxième année, et, chose étrange, la partie du crédit dépensée par M. le minisire de l'intérieur et qui ne soulève pas la moindre critique, est précisément et exclusivement celle qui a été dépensée dans les conditions que nous avons appliquées à toutes les sommes qui nous ont été confiées.

Ainsi, pour bien mettre en regard les deux systèmes, le gouvernement pendant la crise alimentaire s'est borné à se mettre en rapport avec les députations permanentes et avec les communes.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Et avec des particuliers.

M. Malou. - Je vous demande pardon : si je me trompe, vous me répondrez ; mais je vous prie de ne plus m'interrompre. Je vous lirai, si vous le voulez, tout le rapport.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Eh bien, lisez.

Voici ce que contient le projet de loi :

« Le gouvernement s'est entendu avec un négociant honorable pour faire venir des quantités déterminées de céréales. »

M. Malou. - Encore une fois, je vous priede ne pas m'interrompre, J'expliquerai tantôt ce fait.

M. le président. - Je demande que l'on n'interrompe pas.

M. Malou. - Je répète que la partie du crédit employée par M. le ministre de l'intérieur comme l'ont été en totalité les nôtres, est aussi la seule qui n'a soulevé aucune critique. Ainsi, nous nous sommes entendus avec les autorités publiques ; nous avons distribué les fonds par voie de subsides par l'intermédiaire des députations permanentes et des communes et nous n'avons pas fait de prêts individuels.

Permettez-moi de reproduire ici un passage de la circulaire-principe qui a été signée par M. Vandeweyer ; l'honorable M. d'Hoffschmidt était en ce temps-là notre collègue.

Des industriels s'étaient aussi adressés au gouvernement pour obtenir des subsides, mais le gouvernement leur a fait connaître qu'il ne pouvait pas entrer dans cette voie ; en voici les motifs :

« On ne peut se dissimuler, monsieur le gouverneur, que l'Etat ne pourrait s'engager dans une pareille voie sans ouvrir la porte à des inconvénients très graves.

« L'expérience des faits qui se sont passés sous le gouvernement des Pays-Bas est bien faite pour inspirer à cet égard de sérieuses appréhensions. Certes, l'Etat doit protection aux industries existantes ; mais, à mon avis, le gouvernement comprendrait mal cette protection, s'il la faisait consister en secours d'argent. »

Voilà, messieurs, les principes qui ont servi de point de départ à la distribution des 4 millions, et si M. le ministre de l'intérieur avait pratiqué, maintenu le même système, il ne se serait pas attiré de graves reproches de la part de la commission des finances.

M. le ministre rappelait tout à l'heure un fait ; eh bien, je vais le faire connaître dans son entier. Le gouvernement voyait, au commencement de 1847, se reproduire, par certaines manœuvres, une hausse factice dans le prix des grains : c'était le moment où le prix était le plus élevé et où les craintes étaient le plus vives.

La moyenne la plus élevée était 42 fr. et quelques centimes, correspondant au mois de mai ; elle correspondait aussi à la convention cotonnière dont je parlerai tout à l'heure.

Messieurs, quelle était la recette que le gouvernemet pouvait prendre ? On nous conseillait d'acheter pour le compte de l'Etat tous les grains qui se trouvaient en entrepôt, et d'intervenir nous-mêmes dans les mercuriales, par des ventes de denrées alimentaires.

Nous ne voulûmes pas adopter ce système ; mais afin d'empêcher que des manœuvres frauduleuses fissent augmenter les prix, le gouverneur de la province d'Anvers fut chargé de s'entendre avec un négociant honorable, pour porter sur les marchés, à ses risques et périls, mais en lui garantissant la perte qu'il pourrait faire en s'attachant à réduire les prix, une certaine quantité de céréales. Je n'ai pas besoin de le dire, d'après sa nature, cette opération devait être secrète pendant la durée même des circonstances auxquelles elle s'appliquait.

Ainsi, à condition de porter, selon les indications que le gouvernement donnerait, des quantités considérables sur les marchés où l'on faisait une hausse factice, on garantissait une simple différence. On ne faisait pas un prêt, on ne donnait pas un subside, on remboursait une perte constatée et encourue à la demande même du gouvernement.

Voilà le seul acte qui, par la force des choses, a été fait avec un particulier pendant la crise alimentaire qui a duré deux années.

M. Osy. - Il a fait un très grand bien.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Preuve qu'un acte avec un particulier peut être posé utilement.

M. le président. - Pas de conversation particulière.

M. Malou. - Il est évident, messieurs, qu'il n'y a aucune analogie entre ce fait qui est une exception au principe, exception inévitable, et une foule de faits (ce ne sont pas des calomnies, ce sont des faits) qui ont été posés par M. le ministre de l'intérieur, lesquels consistent en partie, lorsque la crise était depuis longtemps passée, à donner à des individus sous toutes sortes de prétextes et sous toutes les formes, à subsidier quelques industriels au préjudice des autres, car je vous défie de répartir, d'une manière égale pour toutes les industries, la rosée du budget. Vous faites du bien à un industriel ; mais vous changez les conditions de la concurrence, vous commettez l'injustice la plus grande, puisqu'elle résulte de la force de tous, de la force du trésor public.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Et Gand ?

M. Malou. - J'y arrive ; soyez tranquille.

M. le ministre de l'intérieur revient avec une prédilection particulière sur la convention cotonnière qui a été conclue peu de temps avant les élections de 1847.

La coïncidence est fâcheuse, dit-on.

En effet, elle est très fâcheuse ; mais ce n'est pas notre faute, si c'est précisément l'époque où la crise a été la plus vive à Gand ; si c'est précisément alors que le conseil communal de Garni, appréciant les circonstances autrement qu'on ne les apprécie aujourd'hui, a consenti à s'associer, jusqu'à concurrence de moitié, à l'acte que le gouvernement a posé.

Et en vérité, messieurs, pour revenir sans cesse sur cette accusation, pour (page 805) en tirer un prétexte d'accusation électorale contre le gouvernement, il faut supposer que nous avions pour complice électoral tout le consul communal de Gand, et que ce complice électoral allait jusqu'à engager à concurrence de 100,000 fr. la caisse communale dans cette affaire.

Eh bien ! quand vous aurez fait admettre ces deux choses, je dirai : Oui, nous avons fait une tentative de corruption électorale à Gand. Mais ce système est tellement absurde, tellement contraire à tous les faits, que je vous engage, dans votre intérêt, à ne plus reproduire cet argument.

Messieurs, si nous avions eu en vue une manœuvre électorale, qu'y avait-il à faire pour nous ? Il n'y avait qu'à invoquer la clause résolutoire, la clause que nous avions stipulée ; il n'y avait qu'à dire que les circonstances étaient tellement changées par la retraite du cabinet, que nons ne voulions plus rien faire.

Eh bien ! nous avions en vue autre chose ; nous savions bien quelles inductions, quelles accusations on pourrait tirer de cette coïncidence fâcheuse que nous n'avions pas créée ; mais nous n'en avons pas moins exécuté loyalement, autant qu'elle pouvait l'être par nous, la convention, alors que nous pouvions la résilier. Nous avions été plus loin ; nous vous avons fait remettre toutes les pièces relatives à cette affaire ; vous avez pu les apprécier vous-mêmes, avant d'accepter le pouvoir. Vous les avez acceptées, vous les avez faites vôtres. Vous avez été au-delà de nos engagements ; vous n'avez pas maintenu les conditions protectrices qui avaient élé stipulées par nous, pour garantir les intérêts du trésor. Il y avait un crédit ouvert ; vous l'avez dépensé dans des conditions telles qu'aujourd'hui vous êtes, peut-être, non recevables à demander à la ville de Gand de supporter la partie de la dépense pour laquelle nous avions stipulé qu'elle contribuerait.

Ainsi de deux choses l'une, ou vous avez exécuté la convention cotonnière, et la ville de Gand doit rembourser la moitié de la dépense ; ou vous ne l'avez pas exécutée, et alors que nous reprochez-vous ? Si vous avez fait autre chose, ce n'est pas notre acte.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Nous avons fait ce que vous avez stipulé.

M. Malou. - Vous n'avez pas fait ce que nous avions stipulé. Par la convention, le gouvernement s'était engagé à ouvrir un crédit, et le crédit n'a pas été engagé immédiatement ; la chose résulte de toutes les pièces.

Mais encore est-ce là votre accusation ? Est-ce parce que nous avons engagé le crédit, que vous nous accusez ? Mais à quoi est-ce que je réponds en ce moment ? Je réponds à l'accusation que vous avez adressée au gouvernement d'avoir voulu peser sur les élections par la convention qui était le résultat d'une inévitable nécessité, nécessité reconnue à l'unanimité par le conseil communal de Gand. Tout le reste est absolument accessoire et sans valeur.

Messieurs, il faut une conclusion plus nette à ce débat. Nous pensons qu'une foule de dépenses imputées sur ces crédits de 2 et de 1 millions, ont été faites dans de bonnes conditions, ont pu produire, à part quelques erreurs, de bons résultais.

Mais il en est d'autres que, pour ma part, je ne puis approuver parce qu'elles procèdent d'un mauvais principe ; ce principe, il y a lieu, selon moi, de le condamner par un vote.

Eh bien, pour qu'il n'y ait pas d'équivoque sur ce point, je propose d'intercaler dans l'ordre du jour présenté par l'honorable M. Vandenpeereboom, ces mois : « La chambre, sans approuver toutes les dépenses 'effectuées, considérant, etc. » (comme au projet).

L'honorable ministre de l'intérieur a lui-même déclaré qu'il y avait de ces dépenses qui ne pouvaient pas être approuvées ; mais j'y ajoute cette signification (je suis très franc, je tâcherai toujours de l'être) que la chambre désire voir le gouvernement ne plus subsidier ainsi l'industrie privée, renoncer, en d'autres termes, aux subsides individuels ; car la grande transformation qui s'est faite depuis quatre années dans les subsides, c'est que le subside s'est individualisé, et c'est là ce qui est mauvais, non seulement pour le gouvernement qui, par sa position, ne peut pas toujours distinguer si ceux qui s'adressent à lui méritent réellement ses encouragements ; mais ce qui est mauvais sous un autre rapport, dans un pays libre, quand le gouvernement a des subsides individualisés, la vérité des intentions est ou peut être faussée. C'est là une chose évidente. Lorsque le budget est un instrument politique ou peut être un instrument politique, je dis que nos institutions sont faussées.

Tel est, messieurs, le sens que j'attache à ma proposition. Je n'ajouterai qu'un mot, sur les accusations par Iesquelles l'honorable ministre de l'intérieur a, en quelque sorte, transformé ce débat. Quels sont ceux qui sèment la division ? Belle queslion pour qui a vu tous les faits politiques se dérouler depuis une dizaine d'années ? Qui sème la division ? Mais sans doute ceux qui ont proclamé la politique des conseils de guerre, qui ont soutenu la nécessité des partis, qui ont voulu la lutte ardente, perpétuelle des partis ? Ce sont bien ceux-là qui sèment la division. On parle de ceux qui veulent d'écourrager l'armée, et quels sont ceux qui découragent l'armée ? Ne sont-ce pas ceux qui, pour maintenir une homogénéité impossible, qui pour gagner une ou deux années, quelques mois, quelques semaines, ont mis en question ce que nous avions voté comme la charte de l'armée. Ce sont ceux-là qui découragent l'armée. Ce sont ceux qui, tandis qu'ils prennent des mesures de circonstance, tandis qu'ils font des dépenses extraordinaires, laissent en suspens une grande institution nationale, laissent indécise la question de savoir quelle sera la constitution définitive de l'armée. Ce sont ceux-là qui, dans les circonstances actuelles, découragent l'armée et ceux-là ne sont pas sur nos bancs.

M. Verhaegen. - Messieurs, je n'entends pas prendre une part bien grande à ce débat ; l'état de ma santé ne me le permet pas ; je n'ai demandé la parole que pour ne pas laisser sans réponse certaines attaques inconvenantes dirigées contre l'ancienne opposition, dont je me glorifie d'avoir fait partie, car l'ancienne opposition, quoi qu'on dise, a rendu d'immenses services au pays ; ces services on mes reconnaissait sur, tous les bancs en 1848, on semble les avoir oubliés aujourd'hui !

L'honorable M. Malou, en reprochant à l'ancienne opposition plusieurs discussions, n'a pas été heureux dans ses citations ; il a cité entre autres celle qui se rattache à une autre affaire que tous vous connaissez et dans laquelle je me félicite encore aujourd'hui d'avoir pris l'initiative.

M. de Mérode. - L'affaire de la plume d'or.

M. Verhaegen. - C'est l'affaire de Retsin qui renfermait en elle tout un système ; affaire, je ne crains pas de le dire, qui a soulevé dans le pays une indignation générale ; aussi, c'est sous cette indignation générale qu'est tombé le cabinet dont faisait partie M. d'Anethan, comme ministre de la justice.

Je ne vous répéterai pas, messieurs, tous les détails de cette affaire, je me bornerai à vous renvoyer aux différents discours que j'ai prononcés et dont je n'ai pas un mot à retrancher.

Vous voudrez bien lire aussi celui de mon honorable ami M. Dolez, dont vous n'avez jamais suspecté la modération.

En terminant ces courtes observations, messieurs, je n'ai qu'un regret à exprimer, c'est que l'honorable M. Malou ait pris à tâche de vouloir, en 1852, réhabiliter Retsin aux yeux de la chambre et du pays.

M. Malou (pour un fait personnel). - Messieurs, je n'ai pas du tout entendu réhabiliter Retsin ni contester les torts de Retsin ; mais quand on nous reprochait la manière dont nous agissons à l'égard du gouvernement, j'ai cru devoir rappeler qu'à une autre époque, sur un fait où, après tout, le gouvernement ne pouvait avoir péché que par excès d'humanité, l'opposition d'alors avait bâti une très longue discussion politique. C'est un fait ; il suffit de consulter le Moniteur pour s'en assurer. Un autre fait, c'est que ce malheureux, ce coupable, si vous voulez, car il était l'un et l'autre, est mort peu de temps après qu'il eut été réintégré en prison à la demande de l'opposition, et mort de la maladie pour laquelle il avait été transféré dans une maison de sanlé.

M. de Mérode. - Messieurs, je ne conçois pas que l'honorable président de cette chambre descende du fauteuil pour venir célébrer de nouveau un acte précédent infiniment regrettable assurément, un acte d'accusation passionnée et injuste lancée contre un ministre, parce qu'il avait eu trop d'humanité envers un malheureux et cela à cause de recommandations très respectables. Ce que vient de dire l'honorable M. Malou est parfaitement vrai, cet homme est mort en prison, de l'affection grave pour laquelle on avait consenti à le laisser aller dans une maison de santé. Je l'ai dit à cette époque, on a vu des cœurs libéraux s'indigner de ce qu'on tenait en prison des innocents, mais on n'en a jamais vu reprocher à un gouvernement de s'être montré un peu trop facile à accorder certain adoucissement à un détenu malade.

Mais en même temps, messieurs, qu'on criait si fort contre la tolérance dont il avait été l'objet pour rétablir sa sanlé, que faisait-on ? On portait pompeusement une médaille d'or à Eugène Sue, au promoteur du socialisme ; on exaltait, comme écrivain du plus haut mérite, un auteur dépravé. Je dis que lorsqu'on s'est permis de pareils faits, on n'a pas le droit d'être d'une sévérité outrée pour un ministre qui use de quelque faveur envers un prisonnier atteint d'une maladie dont il est mort.

M. Verhaegen. - On comprendra parfaitement que je ne veuille pas suivre l'honorable comte de Mérode sur le terrain où il vient de se placer. Cela ne me convient pas. Je n'ai qu'un mot à dire pour prouver à M. de Mérode qu'il se trompe grossièrement lorsqu'il prétend que j'ai quitté le bureau de la présidence pour venir prendre part à une discussion irritante. La vérité est, messieurs, que je n'ai pas assisté au commencement de la séance et que l'honorable M. Delfosse m'a remplacé au fauteuil, parce que j'étais indisposé, souffrant d'un gros rhume. Aussi ne suis-je arrivé au milieu de la séance que pour prendre part au vote.

D'ailleurs, je ne veux pas m'en cacher, me fussé-je trouvé au bureau au moment des attaques de l'honorable M. Malou, je l'eusse bien certainement quitté pour prendre part à la discussion.

Messieurs, vous connaissez assez mes opinions, assez souvent je vous les ai exprimées sans détour et sans phrases, pour que vous soyez bien convaincus qne ma qualité de président ne sera jamais un obstacle à la libre manifestation de mes opinions, c'est un droit dont je ne consentirai jamais à me dépouiller.

Je saisis l'occasion qui m'est offerte pour dire encore un mot au sujet de l'affaire Retsin, qui m'a valu d'amers reproches de la part de l'honorable comte de Mérode : en attaquant Retsin, je n'attaquais pis l'individu dont je m'inquiétais fort peu, j'attaquais tout un système, système odieux et qui était alors à l'ordre du jour, et je le faisais d'accord avec mon honorable ami, M. Dolez, qui reprochait au ministère, en termes énergiques, d'être resté sourd à toutes les instances qu'il avait faites en faveur d'un malheurcux père de famille, malade sous les verrous, et qui n'avait été condamné que pour un fait insignifiant, alors qu'on venait (page 806) d’accorder la grâce de Retsin, condamné pour un fait très grave, mais privilégié par cela seul qu’il vendait des reliques.

Quant à Eugène Sue qui n'a rien à faire dans ce débat. qu'il me suffise de faire remarquer à M. de Mérede que la glorification, que plus d'une fois il m'a jetée à la tête, ne s'adressait qu'à l'écrivain qui savait si bien démasquer les turpitudes et les hypocrisies de certain parti et nullement au socialiste que certes je ne me serais pas attendu à rencontrer à cette époque.

M. de Theux. - Messieurs, l'honorable M. Verhaegen vient de dire que la mesure, qui avait été prise à l'égard de Retsin, l'avait été parce que Retsin vendait des reliques. Je serai plus vrai et je dirai que l'opposition qui s'est manifestée à l'acte posé par l'honorable M. d'Anethan, était fondée sur ce que Retsin vendait des reliques.

Peut-on penser qu'un homme qui a la moindre notion de la religion catholique, ait patroné la vente de fausses reliques ? Ne sait-on pas que cet abus est foudroyé par toutes les décisions de l'Eglise, par tous les ministres du culte, et à ce titre, comme catholique, l'honorable M. d'Anelhan aurait dû se montrer particulièrement sévère à l'égard de Retsin ; mais la loi civile ne s'occupe pas de ces faits ; c'est un abus en matière de religion, abus extrêmement grave qui, au point de vue ecclésiastique, exigeait une punition sévère pour son auteur ; mais au point de vue civil et politique, comme il y a liberté absolue de cultes et de croyance, M. le ministre de la justice n'avait rien à y voir.

Si j'ai parlé de cette affaire, ce n'est pas que je vienne ici défendre un acte dans lequel je n'étais pas le moins du monde intéressé ; l'acte dont il s'agit avait été posé avant mon entrée dans le cabinet ; je n'en ai eu connaissance que par la discussion qui a eu lieu dans cette enceinte ; mais je dois dire que, quant à moi, envisageant les choses de sang-froid et avec impartialité, j'ai éprouvé une vive indignation en voyant la lutte qui s'est engagée à ce sujet et qui s'est prolongée au-delà de toutes les bornes possibles.

Je répète, en terminant, que ce serait une chose incroyable de soutenir qu'un homme qui se respecte, qui pratique la religion catholique, aurait voulu être indulgent à l'égard d'un vendeur de fausses reliques. C'est abominable.

- On demande la clôture.

M. Malou (contre la clôture). - Messieurs, un grand nombre de membres de la chambre se sont déjà retirés ; le ministère veut un vote de confiance ; il l'aura, qu'il se rassure ; qu'il attende donc pendant vingt-quatre heures, et son triomphe sera encore plus complet ; il n'y a pas d'honneur à triompher, quand un bon nombre de ses adversaires ne sont pas là.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'est à tort que l'honorable M. Malou a fait une sortie contre le ministère.

M. Malou. - Je n'ai pas fait de sortie contre le ministère ; je dis seulement qu'il est cinq heures et un quart.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Nous étions paisible sur nos bancs ; nous ne demandions pas même de vote pour aujourd'hui ; on nous a attaqués, nous répondons. On dit que l'opposition est sortie. Je demande pourquoi elle est sortie...

M. Mérode-Westerloo. - Elle est allée dîner.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - La majorité dîne aussi. Si l'opposition se retire, c'est qu'elle ne veut pas voter...

M. de Liedekerke. - L'opposition n'a pas peur de ses votes.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'est ce qui est arrivé dans plusieurs circonstances : au moment du vote, l'opposition s'en allait ; nous constatons de nouveau qu'au moment d'un vote de confiance, l'opposition est partie. Mais que ce vote ait lieu aujourd'hui, demain ou après-demain, peu nous importe : nous attendons avec confiance la décision de la chambre.

M. Dumortier. - Je demande que le débat ne soit pas clos : j'ai des observations à présenter.

M. Malou. - Qu'on me permette encore un mot ; pourquoi ne pas remettre la discussion à demain ? Pourquoi la clore aujourd'hui ? L'honorable M. Dumortier désire encore faire quelques observations qui peuvent être utiles ; pourquoi tant de hâte ? Notre ordre du jour est-il donc si chargé ? Il y a quatre pétitions et six naturalisations. Laissz donc continuer le débat. J'aurais encore beaucoup à dire, si vous vouliez me le permettre.

- La discussion est close.

M. le président. - Nous sommes en présence de l'ordre du jour motivé, proposé par M. E. Vandenpeereboom, et de l'amendement présenté à cet ordre du jour par M. Malou.

Je mets d'abord l'amendement de M. Malou aux voix.

- Plusieurs membres. - L'appel nominal !

- Il est procédé à l'appel nominal.

73 membres y répondent.

50 répondent non.

23 répondent oui.

En conséquence, l'amendement de M. Malou n'est pas adopté.

Ont répondu non : MM. d'Hoffschmidt, G. Dumont, Frère-Orban, Jouret, Lange, Lebeau, Lesoinne, Loos, Manilius, Mascart, Moreau, Moxhon, Orts, Pierre, Rogier, Ad. Roussel, Ch. Rousselle, Tesch, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, M. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Verhaegen, Veydt, Anspach, Bruneau, Cans, Cools, Cumont, Dautrebande, David, H. de Baillet, de Baillet-Latour, de Breyne, Delescluse, Deliége, de Perceval, de Pitteurs, De Pouhon, Dequesne, de Renesse, de Royer, Desoer, de Steenhault, Devaux et Delfosse.

Ont répondu oui : MM. Dumortier, Jacques, Landeloos, Malou, Mercier, Osy, Pirmez, Rodenbach, Van Renynghe, Vermeire, Vilain XIIII, Visart, Boulez, Coomans, de Chimay, de Haerne, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Meester, F. de Mérode, de Mérode-Westerloo, de Theux, de T'SercIaes.

Il est procédé au vote sur l'ordre du jour motivé proposé par M. E. Vandenpeereboom ;

En voici le résultat :

70 membres ont répondu à l'appel.

55 ont répondu oui ;

12 ont répondu non.

3 se sont abstenus.

En conséquence la chambre adopte.

Ont répondu non : MM. Landeloos, Malou, Mercier, Vilain XIIII, Boulez, de Chimay, de Haerne, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Meester, de Theux et de T'Serclaes.

Ont répondu oui : MM. d'Hoffschmidt, Dumont (Guillaume), Dumortier, Frère-Orban, Jouret, Lange, Lebeau, Lesoinne, Loos, Manilius, Mascart, Moreau, Moxhon, Orts, Pierre, Pirmez, Rogier, Roussel (Adolphe), Rousselle (Charles), Tesch, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, Vandenpeereboom (Alphonse), Vandenpeereboom (Ernest), Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Renynghe, Verhaegen, Vermeire, Veydt, Visart, Anspach, Bruneau, Cans, Cools, Cumont, Dautrebande, David, de Baillet (Hyacinthe), de Baillet-Latour, de Breyne, Delescluse, Deliége, de Perceval, de Pitteurs, De Pouhon, Dequesne, de Renesse, de Royer, Desoer, de Steenhault, Devaux et Delfosse.

M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont invités à énoncer les motifs de leur abstention.

M.Jacques. - Je n'appartenais pas à la chambre lorsqu'elle a voté le crédit de deux millions en 1848. J'ai refusé de voter le crédit d'un million en 1849 ; je crois avoir le droit de ne pas émettre un jugement sur l'emploi qui a été fait de ces deux crédits.

M. Rodenbach. - Je n'ai pas dit non, parce que j'approuve plusieurs des mesures qui ont été prises ; je n'ai pas voté oui, parce qu'il m'était impossible d'approuver ce qui s'est fait à Deynze, à Alost, à Audenaerde et autres villes.

M. de Mérode. - Je n'ai pas voté contre la proposition, parce que personne n'a prétendu que les millions mis à la disposition du gouvernement eussent été jetés dans l'eau ; je n'ai pas voté pour, parce que je n'ai pas trouvé que ces fonds eussent été employés comme ils devaient l'être, sinon en totalité, du moins en très grande partie.

- La séance est levée à 5 heures et demie.