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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 26 avril 1853

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1852-1853)

(Présidence de M. Delfosse.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1147) M. Dumon fait l'appel nominal à 2 heures et un quart.

La séance est ouverte.

M. Ansiau lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Dumon présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« Des habitants de Mont-Sainte-Geneviève demande que les élections aux chambres seflassent au chef-lieu du canton et que le cens électoral différentiel soit rétabli. »

- Renvoi à la commission des pétitions du mois de mars.


« Le bourgmestre et d'autres habitants de Maerke-Kerkhem demandent que les élections aux chambres se fassent au chef-lieu du canton et que le cens électoral pour les villes soit augmenté. »

- Même renvoi.


« Plusieurs habitants de Liège prient la chambre de rejeter le projet de loi sur le recrutement de l'armée. »

« Même demande d'autres habitants de Liège. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi.


« Des propriétaires riverains de l'Ourthe à Esneux, Tilff, Sprimont, Comblain-la-Tour, Hamoir présentent des observations contre l'établissement d'un canal latéral mixte projeté pour les ayant droits de l'ancienne société du canal du Luxembourg.

M. Deliége. - Je demande le renvoi de cette requête à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.


« Le sieur Roulot, ancien militaire, présente des observations contre (pager 1148) le projet de loi sur le recrutement de l’armée et propose la suppression des sections de la cavalerie et de l’infanterie à l’école militaire. »

- Renvoi à îa section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi.


« Le sieur Anciaux demande que les artistes vétérinaires soient obligés à subir un examen pour être autorisés à tenir une pharmacie. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

« Par dépêche du 25 avril, M. le ministre de la justice transmet à la chambre le tableau statistique des travaux des trois cours d'appel pendant la période des 12 années 1841 à 1852, ainsi que l'état des travaux du tribunal de première instaure de Bruxelles pendant la même période.

M. le président. - Je propose de faire imprimer el distribuer les deux tableaux et d'ordonner le dépôt des autres pièces sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à l'augmentation du personnel des tribunaux de Bruxelles.

- Cette proposition est adoptée.


- MM. Allard. Delehaye et Le Hon, demandent un congé : les deux premiers pour cause d'indisposition et le troisième parce qu'il est force de s'absenter.

- Ces congés sont accordés.

Projet de loi sur les distilleries

Second vote des articles

Articles 1 à 7

Les sept premiers articles ont été adoptés sans amendements.

Article 8

« Art. 8. Le maximum des taxes communales sur la fabrication des eaux-de-vie est fixé au tiers du montant de l'accise.

« La décharge accordée à la sortie ne peut excéder le montant des mêmes taxes.

« Le droit à l'entrée dans les villes et communes ne peut dépasser ces taxes de plus de un franc par hectolitre d'eau-de-vie à 50 degrés G.-L. à la température de 15 degrés centigrades.

« Le rapport entre les contenances soumises à l'impôt et les quantités produites est établi à raison d'un rendement de 7 litres d’eau-de-vie, à 50 degrés G. L. à la température de 15 degrés centigrades par hectolitre de ces contenances. »

M. T’Kint de Naeyer. - Messieurs, je ne fatiguerai pas la chambre de longs développements ; les opinions aujourd’hui sont faites. Je me bornerai à demander que le chiffre de 1 fr. 50 qui avait été proposé par le gouvernement comme maximum de la taxe à l’entrée dans les villes, soit rétabli.

Je présenterai à l'appui de ma proposiiion, une considération qui, même en raisonnant d'après le système de la majorité, n'est pas sans force. En effet, messieurs, au milieu des intérêts contraires et divers qui se sont trouvés en présence, chaque fois que la question des distilleries a été soulevée dans cette enceinte, on a paru d'accord sur un point, c'est qu'il ne fallait plus de faveur pour personne.

Or, messieurs, que voyons nous aujourd'hui ? Les distilleries agricoles, qui avaient déjà trouvé une amélioration dans la loi de 1851, en ce sens que la réduction de 15 p. c. porte aujourd'hui sur le chiffre de 1 fr. 50 au lieu de 1 fr., ces distilleries, dis-je, restent en possession de leurs privilèges. Les distilleries des villes, au contraire, que le nouveau droit frappait plus gravement et qui se trouvent encore atteintes aujourd'hui par l'élévation du rendement, sont privées brusquement de toutes les garanties à l'abri desquelles elles s'étaient établies.

Messieurs, la concurrence est inégale, et on le démontre de part et d'autre. Mais il est impossible que l'on fasse valoir un argument contre les octrois, qui ne soit applicable à la protection que la loi accorde aux distilleries agricoles.

En effet, que disent les partisans des distillerics agricoles ? Ils prétendent qu'elles se trouvent dans des conditions de production inférieures, qu'elles n'ont pas autant de consommateurs.

Que disent les partisans de l'octroi ? Ils font ressortir les charges qui pèsent sur les matières employées, la cherté des loyers, l'élévation des salaires, etc.

Les arguments abondent. La lutte existe, personne ne le conteste. Veut-on y mettre un terme en anéantissant les distilleries urbaines ? Leur ruine complète est inévitable si la chambre admet l'amendement de la section centrale.

Dans une séance précédente, M. le ministre des finances l'a démontré de la manière la plus évidente. (Interruption.)

On oublie que dans l'intérieur des villes la plupart des distilleries ne se trouvent pas dans de meilleures conditions de production que celles dites agricoles. A Gand, sur 21 distilleries, 4 ou 5 seulement travaillent au-delà de 30 hectolitres.

En acquittant un droit d'octroi, qui varie de 5 à 10 francs, les distilleries extra muros obtiennent aujourd'hui une part très considérable dans l'approvisionnement des villes. Il est facile de prévoir ce que l'avenir leur réserve.

En admettant les propositions de la section centrale, la chambre irait au-delà des intentions du législateur de 1851 qui a décidé la révision de l'octroi.

La section centrale s'en est nettement exprimée à cette époque. La révision sera établie, disait-elle, de manière qu'il n'y ait pas de prime au profit des distilleries des villes et réciproquement. Il n'y a plus de réciprocité si d'une part vous maintenez la déduction de 15 p. c. en faveur des distilleries agricoles, et que de l'autre vous refusiez aux distilleries urbaines, je ne dirai pas une protection, mais une faible compensation pour les charges exceptionnelles qui pèsent sur elles.

En résumé, je demande que le chiffre de 1 fr. 50 qui avait été proposé par le gouvernement soit rétabli. En l'adoptant, la chambre posera un acte de justice, elle introduira une légère amélioration dans une loi qui sera funeste à la plupart des distilleries urbaines.

M. de Naeyer, rapporteur. - J'ai demandé la parole lorsque j'ai entendu l'honorabil préopinant vouloir établir encore une connexité entre le droit protecteur qu'on voudrait maintenir dans les octrois des villes au profit des distilleries urbaines et cette malheureuse réduction de 15 p. c. qu'on a accordée aux distilleries agricoles. J'avais cru que cette idée ne serait plus reproduite, puisque l'honorable rapporteur de la section centrale en avait fait bonne justice, dans le discours qu'il a prononcé dans la séance du 20 de ce mois. Il a établi alors à la dernière évidence que cet avantage accordé aux distilleries agricoles n'avait aucun rapport quelconque avec les avantages qui ont été accordés jusqu'ici aux distilleries urbaines, par suite du régime des octrois municipaux. En effet, si nous remontons à l'origine de cette déduction de 15 p. c. nous savons qu'alors on ne voulait pas reconnaître que le régime des octrois accordait des avantages aux distilleries urbaines.

On prétendait que le rendement n'étant que de 5 3/4, il n'y avait dans ce qui est aujourd'hui reconnu comme une surtaxe au profit des distilleries intra-muros, qu'une égalité de droit.

Ce qui prouve à l'évidence qu'il n'y a aucune connexité entre cette réduction de 15 p. c. et l'avantage qu'on veut maintenir pour les distilleries urbaines, c'est que cette réduction a été accordée par deux motifs qui ne s'appliquent pas aux distilleries urbaines, d'abord parce que le gouvernement, après s'être entouré de tous les renseignements nécessaires, a reconnu formellement dans l’exposé des motifs que le rendement des distilleries agricoles, en raison des conditions où elles sont placées, est inférieur au rendement des distilleries urbaines ; que, quand les autres distilleries obtiennent un rendement de 7, les distilleries agricoles n'obtiennent peut-être que 6 ; or, ce serait une souveraine injustice que de frapper du même impôt celui qui obtient 6 et celui qui obtient 7, puisque c'est, après tout, le produit de la distillation qui forme la base réelle de l'impôt.

Comme l'a très bien démontré l'honorable M. Mercier, la déduction de 15 p. c. n'a d'autre objet que d'empêcher les distilleries agricoles d'être écrasées par une véritable surtaxe.

Cette déduction de 15 p. c. repose sur un second motif : c'est qu'on a imposé aux distilleries agricoles des obligations spéciales. Ainsi elles ne peuvent jamais travailler plus de 20 hectolitres de matière par jour, elles doivent culiiver une certaine étendue de terre et nourrir un certain nombre de têtes de bétail. Et bien, messieurs, lorsque la loi impose des obligations spéciales, elle doit, aussi, en bonne justice, accorder une protection spéciale, et cependant on pourrait dire qu'il n'y a pas ici de protection spéciale puisque la déduction de 15 p. c. ne constitue qu'une égalité de droits.

Eh bien, messieurs, voilà des motifs qui ne sont pas applicables aux distilleries urbaines.

Je reconnais qu'il existe de petites distilleries dans les villes, mais elles sont petites parce qu'il leur convient de l'être ; la loi ne les empêche en aucune manière de travailler en grand. La loi ne leur impose aucune condition spéciale. Elle ne leur doit, par conséquent, d'autre protection que celle qui est de droit commun.

D'un autre côté, messieurs, aucune considération d'intérêt public ne s'oppose à ce que ces distilleries étendent leur fabrication. Je suppose que le genièvre fabriqué à Gand, par exemple, par un grand nombre de petites distilleries, soit fabriqué par 3 ou 4 grands établissements, quel changement en résultera-t-il au point de vue de l'intérêt général ? Aucun. Il y aura toujours ube certaine quantité de résidu dont la ville de Gand ne saura que faire, qu'elle devra vendre au-dehors, que les cultivateurs viendront chercher, absolument comme ils le font actuellement, c'est-à-dire en restant soumis aux mêmes frais de transport.

Il est donc indifférent à l'agriculture que le genièvre fabriqué dans les viiles le soit par de grandes ou par de petites distilleries. Mais il y a eu un motif pour limiter la production des distilleries agricoles ; le législateur a pensé qu'il était d'intérêt public que ces distilleries fussent très nombreuses et qu'elles fussent éparpillées partout dans les campagnes, afin que les résidus fussent mis partout en contact immédiat avec les besoins de l'agriculture, et qu'étant affranchis de tous frais de transport ils pussent recevoir un emploi plus économique et par conséquent plus efficace dans la production agricole.

Mais, messieurs, les distilleries agricoles n'ont réellement rien à voir dans ce débat, car on sait bien que ce ne sont pas elles qui viendront faire une concurrence sérieuse sur les marchés des villes. Il y a des distilleries extra-muros qui ne sont pas des distilleries agricoles et celles-là il faut absolument qu'on leur accorde le droit de lutter à armes égales avec les distilleries qui se trouvent dans les villes. Il n'y a aucun motif pour établir une surtaxe à leur égard, car elles sont placées, aux yeux de la loi, dans les mêmes conditions de fabrication, et il faut dès lors qu'elles soient traitées de la même manière sous le rapport de l'impôt et des charges publiques, communales ou autres.

Messieurs, puisque j'ai la parole, je dirai un mot des considérations tirées des charges des villes ou des charges des octrois, pour justifier une espèce de surtaxe contre les distilleries extra muros.

Je crois qu'en accordant un droit différentiel qui est une compensation des charges imposées directement par les octrois sur les matières premières de la fabrication des distilleries, on leur fait encore une concession très large, et voici pourquoi : c'est que ces charges locales ne créent pas (page 1149) pour les distilleries des villes une position exceptionnelle spéciale ; ces charges locales forment le droit commun en Belgique ; partout les citoyens, outre les impôts versés dans les caisses de l'Etat, ont encore à supporter des charges locales ; cela est vrai, non seulement pour les villes à octroi, mais aussi pour les communes rurales où les octrois par abonnement ou répartitions personnelles remplacent les octrois proprement dits ; mais ces charges, sous une forme ou sous une autre, se résument toujours en sommes d'argent à payer par les habitants.

Vous avez encore des rôles spéciaux pour l'entretien des chemins vicinaux, et c'est là une charge locale qui est en général étrangère aux villes. J'ajouterai que dans les Flandres nous avons souvent un autre impôt très dur, c'est celui que les mendiants viennent percevoir aux portes des habitants ; mais ces charges locales ne doivent pas être prises en considération, parce qu'elles forment le droit commun et parce qu'elles sont d'ailleurs compensées par des avantages inhérents au séjour dans les localités où elles sont établies, avantages surtout très considérabes pour les industries qui s'exercent dans les villes, à cause des nombreuses facilités dont elles jouissent pour se procurer les matières premières et pour vendre leurs produits.

Je crois donc qu'il n'y a pas de motif qui puisse déterminer la chambre à revenir de son premier vote et quant à moi, je suis décidé à voter, comme au premier vote, pour la restitution d'un franc.

M. Veydt. - Messieurs, les chances qui existent encore de rendre le projet de loi un peu moins défavorable, dtas mon opinion, je dirai un peu moins désastreux, aux distilleries, qui sont établies dans les villes, sont faibles ; je ne me le dissimule pas.

Je regarde cependant comme un devoir de joindre ma voix à celle de l'honorable M. T'Kint pour appuyer son amendement parfaitement fondé sur des considérations d'équité, de ménagement pour les finances communales, de compensation, eu égard aux charges qui pèsent forcément sur les distilleries urbaines, et surtout de corrélation intime avec la faveur de 15 p. c. accordée aux distilleries dites agricoles.

Il y a quelques années, messieurs, que se passait-il ? Les rôles étaient tout à fait différents. C'était sur le banc des ministres que siégeaient les défenseurs d'une loi sur les distilleries, qui devait avoir, en même temps, une portée commerciale. Le gouvernement voulait que l'on pût distiller aussi pour l'exportation. Successivement la marge, qu'on avait, de propos délibéré, accordée, a disparu et après le vote définitif de la loi actuelle, il n'en restera qu'un souvenir. Les distillateurs belges n'exporteront plus leurs genièvres ; la réduction de la décharge à 24 fr. l'interdira, à cause surtout de l'inégalité de position qui leur est faite par les distilleries des Pays-Bas.

Désormais la loi sur les distilleries, en Belgique, devient avant tout une loi d'impôt, une loi conçue dans la vue d'accroître et de ménager les ressources financières. Si, contre l'attente, elle n'avait pas encore suffisamment ce caractère et ces effets, on ne tarderait pas à la remanier. Que les distillateurs se regardent donc, pour une bonne fois, comme prévenus.

Par l'amendement, qui vous est soumis, messieurs, je voudrais que l'impression fâcheuse, les mauvais résultats de plusieurs dispositions de la loi, au point de vue des distilleries établies dans les villes, fussent amoindris. La chambre, en revenant sur un premier vote, qui n'a eu en sa faveur qu'une majorité de six voix, atteindrait en partie ce but.

Cet amendement intéresse aussi un grand nombre de petites distilleries ; il en est beaucoup dans les villes qui ont besoin d'une certains marge parce qu'elles sont inférieures en production aux grandes distilleries extra muros ; si vous ne l'accordez pas, vous les anéantirez, soyez-en sûrs.

D'ici à quelque temps, elles n'existeront plus. Ce sera la conséquence d'un système exclusif, d'un système favorable seulement aux distilleries appelées agricoles.

Vous devez aussi, messieurs, prendre en considération la position que l'honorable ministre des finances a prise dans toute cette discussion. Nous l'avons vu se rallier aux amendements introduits par la section centrale, toutes les fois qu'il a cru pouvoir le faire, même aux dépens de l'exportation, à laquelle il avait cru cependant devoir accorder une décharge de 26 fr. C'est le chiffre que portait le projet du gouvernement.

Mais il y a un seul chiffre auquel M. le ministre des finances n'a pas voulu se rallier, c’est celui de 1 fr. 50 c. qui est reproduit par l'amendement de mon honorable collègue et ami M. T'Kint. N'y a-t il pas la, pour tous les hommes impartiaux de la chambre, pour tous ceux d'entre vous qui sont dans une position de parfaite neutralité, des motifs de suivre le gouvernement sur le terrain où il s'est placé, pour que les distilleries des campagnes n'aient pas, à elles seules, tous les avantages de cette discussion ?

J'invite la chambre à réfléchir aux conséquences qui pourraient résulter de la non-adoption de l'amendement. La chambre ne saurait vouloir d'une loi qui aurait un caractère d'hostilité contre une industrie, parce qu'elle s'exerce dans les villes d'où elle ne tarderait pas à être bannie par la force des choses.

M. Pierre. - Messieurs, frappé de l'état d'infériorité des distilleries agricoles vis-à-vis des grandes distilleries, j'avais eu l'honneur de soumettre à la chambre, en sa séance du 26 décembre 1849, un projet de loi tendant à remédier à cette regrettable situation. La chambre en avait autorisé la lecture, l'avait pris en considération et renvoyé en sections. Celles-ci s'en étaient occupées et avaient nommé leurs rapporteurs à la section centrale. Mon projet en était là, quand, par l'article 8 de la loi du 20 décembre 1851, nous avons imposé au gouvernement l'obligation de présenter à la législature un projet de loi révisant les dispositions relatives aux distilleries agricoles et aux octrois communaux. Nous voulions enfin faire disparaître les abus résultant du système actuel. Le gouvernement s'est acquitté de son devoir ; il nous a saisis de la loi soumise en ce moment à notre second vote. Je n'examinerai pas si elle consacre un régime nouveau, suffisamment avantageux pour les petites distilleries. L'expérience pourra seule nous démontrer si le résultat répond convenablement à notre attente, sous ce rapport. Je dois cependant reconnaître que certaines dispositions constituent des améliorations au profit des distilleries agricoles. Le but que je me proposais se trouve atteint, quoique par des moyens différents. Mon projet devient dès lors sans objet, je déclare le retirer.

M. Dumortier. - Messieurs, si j'avais eu à m'exprimer sur le projet en discussion, j'aurais soutenu une thèse diamétralement opposée à celle que vient de vous présenter l'honorable préopinant. J'aurais démontré que les distilleries agricoles jouissent d'un privilège qua plus rien ne justifie en ce moment.

Quand nous avons accordé une déduction de 15 p. c. aux distilleries agricoles, nous étions alors profondément convaincus que les appareils dont ces établissements se servent ne pouvaient produire une quantité d'alcool comparable à celle que donnent les autres distilleries. Cela a été dit dans la discussion, et moi-même, en appuyant la demande des distilleries agricoles, j'ai invoqué cet argument en leur faveur. Mais erreur n'est pas compte ; et il est de ma loyauté de reconnaître l'erreur dans laquelle je suis tombé. Quant à moi, je dois le dire, d'après les expériences faites par le gouvernement et desquelles il résulte que l'on peut extraire avec les instruments des distilleries agricoles autant de produits qu'avec ceux des grandes distilleries, la faveur dont vient de parler l'honorable préopinant est un véritable privilège, c'est une prime que vous accordez à une classe d'individus.

Du moment qu'il est établi, et je crois qu'on l'a prouvé jusqu'à la dernière évidence par les expériences qui ont été faites, que les distilleries agricoles peuvent produire autant d'alcool que les autres, en d'autres termes que la cornue dans les distilleries agricoles donne autant de produits que la colonne distillatoire dans les grandes distilleries, du moment que ce fait est constant et pour mon compte, à la suite des expériences qui ont été faites par le gouvernement, je n'ai aucun motif de le révoquer en doute, il est évident que ce que nous accordons est une véritable prime, est un privilège en matière d'impôt.

Maintenant voyez comment la prime s'est augmentée. Quand le droit équivalait à un peu plus de deux francs, il en résultait une prime d'environ 50 centimes ; mais maintenant que le droit s'est trouvé élevé à raison de 3 fr. la prime est augmentée de 50 p. c. On élève le droit de 50 p. c. ; la déduction étant proportionnelle se trouve également élevée de 50 p. c. Voilà la position actuelle, la prime accordée aux distilleries agricoles ; de sorte que ces distilleries sont extrêmement favorisées vis-à-vis des autres. Voilà la vérité toute nue.

Maintenant faut-il sacrifier les distilleries qui sont dans les villes ? Vous ne le devez pas.

J'accepterai l'amendement qui autorise les villes à porter le droit d'entrée à 1 fr. 50 ; mais je voudrais qu'il fût combiné avec le rendement de 4 centimes. Je trouve que le chiffre d'un franc pour le droit d'entrée est essentiellement dérisoire.

J'ai déjà eu l'honneur de le dire, je dois le répéter : la loi de 1833 a été une grande calamité pour la Belgique. Cette loi a amené les résultats que j'ai déjà indiqués.

D'abord elle a réduit des trois quarts la somme que le trésor recevait ; en second lieu, elle a forcé les villes à imposer une foule d'objets fabriqués à l'intérieur, elle a ainsi engendré ce système, si fâcheux, contre lequel on s'élève, elle a donné naissance à ces rayons de douane établis à l'entrée des villes, de sorte qu'aujourd'hui nous avons autant de lignes de douane qu'il y a de villes en Belgique. Vous devez cela à la loi de 1833.

En troisième lieu, elle a créé un privilège en faveur des distilleries agricoles sur les distilleries des villes.

Il en est résulté une série non interrompue de privilèges. Maintenant elle fait naître une foule de réclamations au point de vue de l'exportation, l'événement prouvera que ces réclamations sont très fondées. D'où cela provient-il ? De ce qu'on est entré dans une fausse voie au fond de laquelle on ne voit pas clair ; parce qu'on a mis l'impôt sur la macération et qu'il est difficile de mettre l'impôt ainsi établi en rapport avec le produit et que la restitution de l'impôt à la sortie, comme le droit à l'entrée des villes, est perçue sur le produit.

On s'est placé dans un système tellement plein de confusion qu'il a fallu que le gouvernement fût autorisé à faire des expériences comparatives pour pouvoir, au bout de 20 ans, connaître un peu la vérité, si tant est qu'on sache la vérité.

Le système de 1822 ne prêtait à aucun de ces inconvénients, il donnait satisfaction à tout le monde, et il n'était pas plus vexatoire que la loi sur les sucreries indigènes.

Car dans les sucreries indigènes, il y a trois employés de l'accise pendant tout le temps du travail ; je n'ai jamais entendu un seul fabricant de sucre indigène se plaindre de la présence des employés. Ceux qui s'en plaignent sont des fraudeurs.

Il en était précisément de même de la loi sur les distilleries. Mais alors vous n'aviez pas ces réclamations de toutes parts ; vous entriez dans un système clair, dont chacun pouvait saisir le résultat. L'exportation était facile.

(page 1150) Il n'y avait pas de primes possibles pour les distilleries agricoles. Le système des primes n'existait pas alors.

Eh bien, je suis convaincu qu'il faudra en revenir à la loi de 1822. Cette mesure aura pour conséquence de faire produire au trésor 10 à 12 millions ; au moyen de ces 10 à 12 millions, nous pourrons supprimer l'impôt sur les successions et l'impôt sur le débit des boissons distillées.

Je suis convaincu que la force des choses amènera en résultat. D'abord les distillateurs qui exportent, ceux qui se trouvent dans certaines villes demanderont eux-mêmes le retour à la loi de 1822, en cherchant à adoucir les dispositions vexatoires que le gouvernement y avait introduites, qu'on a changées en Hollande et qu'on avait déjà commencé à changer chez nous après 1830.

Quant à ce qui serait d'accorder encore un privilège aux distilleries agricoles contre les distilleries qui fabriquent par des moyens perfectionnés, je dois m'y opposer de tous mes moyens. On parle toujours de distilleries agricoles. Mais comme on l'a dit bien souvent, et comme l'a encore établi dernièrement l'honorable M. Rodenbach, toutes les distilleries sont agricoles.

J'ajouterai que les distilleries agricoles, ce sont celles dont les propriétaires ne cultivent pas de terres. Les distillateurs agricoles qui cultivent des terres travaillent pour eux-mêmes ; c'est leur propriété qu'ils améliorent. Au contraire, le distillateur qui n'a pas de culture, vend ses engrais ; donc les distilleries les plus favorables à l'agriculture, ce sont précisément celles où il n'y a pas de terres attachées à l'exploitation.

Ce ne sont donc là que des mots, et rien que des mots, auxquels il ne faut pas se laisser prendre. Aussi longtemps que nous avons pensé par erreur que les appareils dont se servaient les distilleries pgricoles étaient insuffisants, nous avons dû leur donner certains avantages. Mais, je le répète, erreur ne fait pas compte ; nous nous sommes trompés, et il importe que nous revenions sur cette erreur.

M. Mercier. - Messieurs, l'honorable préopinant a pensé que la loi elle-même avait créé des abus, tantôt pour les distilleries agricoles, tantôt pour les distilleries des villes. Il n'en est rien : la loi, ni sous le gouvernement des Pays-Bas, ni sous le gouvernement actuel, n'a jamais établi de privilèges ni de faveurs. Sous le gouvernement des Pays-Bas, une déduction de 20 p. c. était accordée par la loi aux distilleries agricoles. Ce n'était pas une faveur. Mais ce que le législateur savait alors, comme il le sait aujourd'hui, c'est que les distilleries agricoles ne produisaient pas autant d'alcool par hectolitre de matière que les autres distilleries.

J'ai dit dans une autre circonstance quels étaient les motifs pour lesquels les distillateurs agricoles ne produisent pas et ne peuvent pas produire autant que les autres distillateurs.

Ce qui justifie l'opinion que je viens d'exprimer c'est que lorsque la quantité produite était constatée en vertu de la loi de 1822, la déduction accordée à la prise en charge sur la contenance des cuves de macération n'avait plus aucun effet ; toute la production était frappée du droit d'accise ; c'est là une preuve évidente que le législateur avait égard à ce que la base de la loi avait de défectueux dans certaines applications.

C'est pour y obvier, qu'il avait accordé la déduction ; c'est dans ces mêmes vues qu'a agi le législateur belge : il n'a pas entendu accorder une faveur aux distilleries agricoles, il a établi la déduction sur la base du droit et non pas sur le droit lui-même ; il a accordé cette déduction parce que celui qui produit moins doit nécessairement payer moins.

J'ai dit, messieurs, et je répète que les distillateurs agricoles sont moins distillateurs qu'agriculteurs ; leurs principaux soins sont pour l’agriculture ; ils travaillent moins bien, leurs ustensiles sont moins perfectionnés.

C'est pour ces motifs et d'autre que j'ai énumérés, qu'ils ne retirent pas de la matière mise en macération le même produit que les autres distillateurs.

Je ne dis pas qu'il ne se rencontre pas exceptionnellement un distillateur agricole qui travaille aussi bien que les autres, l'honorable M. Delehaye en a cité un dans la discussion, mais il n'en est pas moins constant que la plupart sont loin de retirer de la matière mise en macération le même produit que les autres ; c'est parce que c'est là un fait bien reconnu que, depuis 30 ans et plus, le législateur leur a accordé une déduction qui rétablit l'égalité proportionnelle quant au droit, mais, en fait, il ne leur a fait aucune faveur.

Que l'on ne confonde donc pas : une protection évidente serait accordée aux distillateurs des villes à octroi, au détriment, non pas des distillateurs agricoles seulement, mais de tous les distillateurs, les distillateurs qui n'ont pas leurs établissements dans les villes à octroi. Eh bien, messieurs, cela est contraire aux principes constitutionnels qui régissent la Belgique depuis plus de cinquante ans. La loi fondamentale des Pays-Bas portait à son article 157 :

« Les états veilleront à ce que l'impôt n'établisse pas sur l'importation des produits du sol ou de l'industrie d'autres provinces, villes ou communes rurales, des droits plus élevés que ceux perçus sur le produit du lieu même où l'impôt est établi. »

C'est pour atteindre le même but que l'article 108 de notre Constitution fait intervenir le Roi et le pouvoir législatif dans les mesures qui concernent les taxes communales pour empêcher que les conseils communaux ne blessent l'intérêt général. C'est encore dans ce même esprit que l'article 112 porte qu'il ne peut être établi de privilège en matière d'impôt.

Je crois, messieurs, avoir démontré que la déduction accordée aux distilleries agricoles ne constitue pas un privilège, que c'est tout simplement un acte de justice, puisque les distillateurs agricoles, je le répète, n'obtiennent pas le même produit que les autres distillateurs. En est-il de même du droit d'importation dans les villes en ce qu'ils excèdent les droits d'octroi ? Nullement.

Jamais le législateur n'a autorisé les surtaxes ; elles se sont glissées dans les octrois ; l'abus a été toléré, il n'a jamais été défendu au point de vue la légalité ; on a toujours reconnu, au contraire, qu'il fallait rechercher les moyens de le faire cesser.

Enfin, en 1851, la chambre après des débats approfondis a résolu de le supprimer et elle a chargé le gouvernement de faire une enquête pour constater la quantité d'alcool qu'on obtient de la matière macérée.

Maintenant, messieurs, si le maximum d'un franc a été adopté, dans ma pensée c'est bien véritablement comme maximum et en ce sens que le gouvernement n'accordera aux villes à octroi que l'équivalent de ce qui pèse directement sur l'industrie par l'impôt sur le combustible et sur les autres matières employées dans la distillation.

Il est démontré que le maximum d'un franc cinquante centimes renferme, selon les auteurs même de cet amendement, une véritable protection.

M. T’Kint de Naeyer. - Une compensation.

M. Mercier. - Eh bien, si vous consacrez le principe de la compensation, vous arriverez à l’établissement d'une protection pour tous les produits fabriqués dans les villes, car on peut alléguer pour toutes les industries que la main-d'œuvre, les loyers sont plus élevés dans les villes que dans les communes rurales Nous aurons ainsi une douane dans chaque ville. Ce qui n'est aujourd'hui que toléré sera consacré par la loi.

J'espère que la chambre ne consacrera pas un semblable principe et cela précisément au moment où tout le monde reconnaît la nécessité de réformer les octrois. Ce serait le plus deplorable précédent qu'elle pût poser.

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Je comptais, messieurs, ne plus prendre la parole dans cette discussion ; mais un honorable orateur a semblé faire appel au ministre des finances, et je ne refuse pas de joindre ma voix à la sienne pour faire rétablir, si c'est possible, la proposition primitive du gouvernement.

Il est vrai, messieurs, comme vient de le dire l'honorable préopinant, que le gouvernement a été chargé de faire disparaître par une loi les abus qui résultaient des octrois communaux en ce qui concerne les distilleries, mais il ne se bornait pas la mission du gouvernement, il avait reçu de la législature, en 1851, un double mandat, et, tout aussi bien dans la déduction de 15 p. c. accordée aux distilleries agricoles que dans les octrois communaux, il pouvait y avoir des abus à corriger.

Maintenant, messieurs, après m'être éclairé par des expériences très impartiales, très complètes, très attentivement suivies, je me suis posé cette double question : d'abord les 15 p c. constituent-ils un avantage trop considérable pour les distilleries agricoles ? En second lieu, la décharge qui a été et qui est encore accordée par les octrois communaux, est-elle exagérée ?

Il a fallu en quelque sorte mettre ces deux questions en harmonie, en corrélation. D'une part, je considérais comme très avantageuse pour les distilleries agricoles la déduction de 15 p. c. et, en effet, cette déduction qui, avant 1851, n'était que de 2 fr. 14 c. par hectolitre de genièvre, a été portée, en 1851, par l'augmentation de l'impôt à 3 fr. 21 c.

Je trouvais donc cet avantage assez considérable, mais j'en ai tenu compte, et j'espérais que, par équité, ceux qui en étaient en possession n'auraient pas fait difficulté d'admettre le chiffre de 1 franc 50 centimes que proposait le gouvernement comme droit différentiel en faveur des distilleries uibaines. Mais après avoir obtenu le maintien des 15 p. c, on a réduit le 1 franc 50 centimes à 1 franc. Or, je déclare franchement que si j'avais pu prévoir cette réduction, il est plus que probable que la déduction de 15 p. c. eût été réduite à son tour dans le projet de loi.

Celte déduction de 15 p. c. n'était pas, d'ailleurs, la seule faveur dont les distilleries agricoles fussent en possession ; elles avaient obtenu de la loi de 1851, comparativement aux conditions qui leur étaient imposées précédemment, d'autres bénéfices qui leur sont tous conservés ; au contraire, tous les avantages, accordés aux distilleries urbaines, leur sont enlevés.

Les distilleries urbaines jouissent généralement d'un drawback à la sortie qui, en moyenne, s'élève pour tout le pays à 5 fr. 41 c. Cette prime vient à cesser.

Quant à la surtaxe dont était frappé l'alcool, venant du dehors dans les villes, la moyenne par hectolitre était de 7 fr. 12 c, c'est-à-dire qu'elle dépassait de 3 fr. et quelques centimes le droit de fabrication. Cet avantage considérable dont jouissaient les distilleries urbaines, je ne l'ai pas, il est vrai, fait disparaître complètement, comme la prime à l'exportation, mais je l'ai réduit à 1 fr. 50 c. J'ai dit, dans la première discussion, qu'il me semblait que cette transition était déjà assez forte.

Ainsi, par la force des choses, le gouvernement est ramené à une espèce de juste milieu dans cette question. En effet, je n'accepte pas plus l’argumentation de ceux qui disent que les 15 p. c. pour les distillateurs agricoles n'ont plus de raison d'être, que je n'accepte les motifs de ceux (page 1151) qui pensent qu'un droit différentiel de 1 fr. 50 dépasse une juste compensation en faveur des distilleries urbaines.

Tout comme d'honorables membres, je repousse pour celles-ci toute protection ; mais 1 fr. 50 c. ne constitue pas une protection ; c'est une simple compensation, et cette compensation se justifie par des motifs analogues à ceux qui légitiment la compensation de 15 p. c. accordée aux distilleries agricoles.

A l'occasion de l'article en discussion, un honorable membre a fait le procès au système qui nous régit. Je dois déclarer que l'honorable membre est très conséquent avec lui-même, et que déjà, en 1851, l'honorable M. Dumortier soutenait la législation de 1822.

Seulement l'honorable membre disait à cette époque qu'il fallait la loi de 1822, moins l'odieux ; or c'est là la pierre philosophalc à trouver, car vouloir la loi de 1822, moins les vexations, c'est exclure de cette loi toutes les formalités qui servent de principale garantie au système.

Du reste, c'est un point qui mérite toute l'attention de l'administration. Le problème est celui-ci : Est-il possible de revenir à la loi de 1822 et de percevoir le droit sur le produit obtenu, au lieu de le percevoir sur la contenance des cuves ? Je suis convaincu que si on parvenait à rétablir la loi de 1822, on pourrait tirer de cette branche d'impôt 9 à 10 millions.

M. de Theux. - Messieurs, pour vous engager à rétracter le vote que vous avez émis dans une de vos dernières séances, après une discussion approfondie, l'on est obligé de déplacer le terrain de la question. On vous dit aujourd'hui : « La lutte existe entre les distilleries urbaines et les distilleries agricoles. »

Non, messieurs, là n'est pas la lutte ; la lutte est principalement entre les distillateurs des villes de premier ordre et les distillateurs des villes de second et de troisième ordre. Aussi c'est surtout de Hasselt et de toutes les autres villes de cette catégorie que sont venues les plaintes, de même que des grands distillateurs établis à la campagne qui ne jouissent pas de la remise de 15 p. c.

Et, en effet, il est facile de comprendre que la lutte n'existe pas entre les distillateurs des grandes villes et les distillateurs agricoles proprement dits : les distilleries agricoles, par leur faible production, par les conditions qui leur sont imposées par la loi, par la difficulté des transports vers les grandes villes, ne peuvent pas entrer en lutte avec les distilleries des grandes villes ; la concurrence véiitable existe entre les distillateurs des villes.

Or, si vous établissez au profit des distilleries des grandes villes cette faveur de 1 fr. 50 et si en même temps vous prétendez que c'est une compensation d'une faveur réelle accordée aux distilleries agricoles vous mettez les distillateurs des villes de deuxième et troisième ordre en position de devoir lutter contre deux privilèges : celui accordé aux distilleries des grandes villes et celui accordé aux distilleries agricoles. C'est là une position qui n'est pas tenable. Si la législature doit venir au secours d'une catégorie d'industriels, ce doit être plutôt des faibles que des grands, qui, placés au milieu de grands centres de population, réunissent toutes les conditions de prospérité que peut désirer une industrie.

Il a été démontré que si on avait réduit à 30 centimes le droit à l'entrée des villes, on aurait dédommagé les distillateurs urbains du droit qui frappe le charbon. L'impôt sur le charbon existe d'ailleurs dans toutes les villes. Je ne vois pas ce qu'il y a d'alarmant dans l'adoption du chiffre d'un franc. Ce chiffre constitue encore un avantage pour les distillateurs des grandes villes.

Je suis convaincu que la chambre est trop équitable pour ne pas maintenir le vote émis à la première séance qui n'est que la conséquence de la loi de 1851 qui a promis le retour à l'égalité. On a dit que la loi de 1851 exigeait aussi qu'on fît cesser les abus que pouvait présenter le régime des distilleries agricoles. M. le ministre des finances a proposé une disposition qui interdit l'espèce de fraude qui pouvait se pratiquer ; ainsi un même distillateur établissait plusieurs distilleries agricoles dans un rayon rapproché.

C'était un moyen de fraude que l'ancienne législation n'avait pas prévu et que la nouvelle fail disparaître. On n'en signale pas d'autre ; s'il y en a, qu'on les indique. Il s’agit ici de ne pas sacrifier les intérêts des distillateurs des villes de deuxième et troisième ordre.

- La clôture est mise aux voix et prononcée.

Le chiffre de 1 fr. 50 est mis aux voix.

L'appel nominal étant demandé, il est procédé à cette opération. En voici le résultat :

83 membres répondent à l'appel.

49 membresrépondent non.

32 membres répondent oui.

2 membres (MM. Desmaisières et Devaux) s'abstiennent.

En conséquence, le chiffre de 1 fr. 50 c. n'est pas adopté.

Ont répondu oui : MM. Lesoinne, Loos, Maertens. Manilius, Moreau, Orts, Osy, Rogier, Rousselle (Ch.), Sinave, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Vandenpeerebcom (E.), Van Grootven, Van Iseghem, Van Renynghe, Verhaegen, Veydt, Anspach, Cans, Closset, Coomans, de Baillet (H.), de Bronckaert, de Decker, de Haerne, Deliége, de Royer, d'Hoffschmidt, Dumon, Lange et Delfosse.

Ont répondu non : MM. Lejeune, Magherman, Malou, Mascart, Mercier, Moncheur, Orban, Peers, Pierre, Pirmez, Rodenbach, Roussel (A.), Thienpont, Tremouroux, Vanden Branden de Reeth, Vander Donck, Van Overloop, Vermeirc, Vilain XIIII, Ansiau, Boulez, Brixhe, Dautrebande, David, de Baillet-Latour, de Brouwer de Hogendorp, de Chimay, de La Coste, de Man d'Attenrode, de Muelenaere, de Naeyer, de Perceval, de Pitteurs, de Portemont, Dequesne, de Renesse, de Ruddere, de Sécus, de Steenhault, de Theux, de T'Serclaes, de Wouters, Dumortier, Faignart, Jacques, Jouret, Julliot, Landeloos et Lebeau.

M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont invités à énoncer les motifs de leur abstention.

M. Desmaisières. - Au premier vote j'ai voyé en faveur du chiffre de fr. 1 50 par voie de transaction, parce qu'à mon avis ce chiffre n'avait rien d'hostile pour les distilleries agricoles ; mais aujourd'hui que divers orateurs et M. le ministre des finances présentent ce chiffre comme une compensation de la position faite aux distilleries agricoles, comme hostile aux intérêts des distilleries agricoles, je n'ai plus pu le voter.

M. Devaux. - Je me suis abstenu, parce que je n'ai pu assister à la première discussion.

M. le président. - Par suite de la transposition de paragraphes, opérée au premier vote, il y a deux légers changements de rédaction à faire à cet article. Au deuxième paragraphe, au lieu de : « des mêmes taxes, » il faut dire : « de ces taxes ; » au troisième paragraphe, au lieu de : « ces taxes, » il faut dire : « ces mêmes taxes. » (Adhésion.)

En conséquence, l'article 8 est adopté en ces termes :

« Art. 8. Le maximum des taxes communales sur la fabrication des eaux-de-vie est fixé au tiers du montant de l'accise.

« La décharge accordée à la sortie ne peut excéder le montant de ces taxes.

« Le droit à l'entrée dans les villes et communes ne peut dépasser ces mêmes taxes de plus de un franc par hectolitre d'eau-de-vie à 50 degrés G. L. à la température de 15 degrés centigrades.

« Le rapport entre les contenances soumises à l'impôt et les quantités produites est établi à raison d'un rendement de 7 litres d'eau-de-vie à 50 degrés G. L. à la température de 15 degrés centigrades par hectolitre de ces contenances.

Article 9

« Art. 9. Toute contravention au premier alinéa de l'article 4 entraîne une amende de 800 fr., plus 200 fr. par jour de retard, indépendamment des pénalités qui pourraient être encourues pour emploi de vaisseaux clandestins.

« Toute contravention à l'aricle 6 est punie de l'amende comminée par le deuxième alinéa de l'article 4 de la loi du 20 décembre 1851. Cette amende est calculée d'après la contenance des cuves qui ne sont pas régulièrement mises en macération.

« L'article 36 de la loi du 27 juin 1842 est applicable au refus du distillateur d'obtempérer à l'invitation faite par les employés, conformément aux articles 4 et 7.

« Si la contre-vérification prévue par le deuxième alinéa de l'article 7 fait reconnaître, pour un ou plusieurs vaisseaux, une capacité supérieure de 2 p. c. ou plus à celle qui est renseignée dans le procès-verbal de jaugeage, le distillateur est tenu de payer la différence des droits à partir de la date du dernier épalement, outre l'amende comminée par le paragraphe 14 de l'article 32 de la loi du 27 juin 1842.

« L'emploi d'un vaisseau ne portant pas la marque prescrite par le paragraphe 2 de l'article 8 de la loi du 27 juin 1842 est puni d'une amenda d'un franc par hectolitre de capacité. »

- Cet article est définitivement adopté.

Article 10

« Art. 10. Le gouvernement, après avoir fait constater le rendement, est autorisé à porter au maximum à 2 fr. 15 c. l'impôt dû par les distillateurs qui emploient la mélasse ou d'autres substances saccharines.

« Les taxes communales sur la fabrication des eaux-de-vie et le rapport fixé au quatrième alinéa de l'article 8 seront augmentés, pour les distillateurs désignés ci-dessus, dans la même proportion que le droit d'accise.

« Les contraventions aux mesures que le gouvernement prendra en exécution de l'alinéa précédent, seront punies d'une amende de 800 fr.

« Quand un droit différentiel aura été établi conformément aux dispositions du paragraphe premier, l'emploi, sans déclaration préalable, de l'une ou l'autre des matières donnant ouverture à ce droit, sera puni d'une amende égale au quintuple de l'accise due pour un travail supposé de dix jours, dans tous les vaisseaux imposables de l'usine.

« Les mesures prises en vertu du présent article seront soumises aux chambres, dans le cours de la session ordinaire de 1853-1854 ; elles cesseront, de plein droit, d'avoir effet à la fin de la même session. »

M. de La Coste. - Cet article est toute une loi nouvelle, qui autorise M. le ministre des finances non seulement, comme cela s'est fait quant à l'accise sur le sucre indigène, à régler la perceptien des droits, mais aussi, ce qui, dans cette occasion-là avait été réservé, à déterminer le taux même de ces droits. C'est une disposition tout à fait nouvelle et pour ainsi dire sans exemple ; car celui des glucoses qi/a cité M. le ministre des finances ne concerne qu'un cas exceptionnel, qu'une industrie de très peu d'importance, tandis que cet article s'applique à quelques-unes des premières distilleries du pays.

Je me flatte donc que vous voudrez bien m'accorder un moment d'attention et que vous me permettiez de vous soumettre quelques observations.

En prenant cette mesure, vous avez été mus par deux considérations. Du moins c'est ainsi que je crois pouvoir l'expliquer.

(page 1152) Vous avez voulu maintenir, entre les distillateurs qui emploient des grains et ceux qui emploient des matières saccharines, les conditions d'une loyale concurrence ; vous vous êtes également préoccupés de sauvegarder l'intérêt du trésor.

Je pourrais faire remarquer (mais je n'insisterai pas sur cette observation, je n'en fais mention qu'en passant), je pourrais faire remarquer que la concurrence était égale, parce qu'elle était libre. Il était loisible à tous les distillateurs d'employer les mêmes substances, et, si les autres ne le faisaient pas, c'est qu'ils trouvaient plus profitable de distiller des grains ; aussi est-il probable qu'on a beaucoup exagéré l'avantage de l'emploi de la mélasse ou de la betterave.

Une seconde observation sur laquelle je ne fais également que glisser, est relative à l'intérêt du trésor : c'est que, tandis qu'on distille principalement du seigle étranger, la betterave est un produit indigène qui accroît considérablement la valeur des terres. Quant à moi, je ne possède pas un pouce de terre où il croisse de la betterave, excepté pour l'usage rural. Mais je sais que sa culture, pour la fabrication du sucre, porte presque au double la valeur de la terre ; or, par suite des droits nombreux qui pèsent sur le sol dans notre pays, et dont les industries étrangères à l'agriculture sont exemptes, tels que droits de mutation, de succession et autres de toute nature, l'Etat tire un grand avantage de cette augmentation de la valeur des terres.

Je ne m'opposais néanmoins, nullement, si l'emploi des matières saccharines augmente sensiblement le produit de la distillation, à ce qu'il en fût tenu compte. Ce que je demandais, c'était qu'il fût prononcé en cette matière par la loi.

De cette façon, le même but aurait été atteint ; mais nous laissions à cette industrie le bénéfice d'une discussion publique, pendant laquelle les intéressés pauvant faire valoir leurs droits.

Nous leur laissions le bénéfice de pouvoir réclamer dans cette discussion, par l'organe de ceux qui se seraient chargés de défendre leur cause, une latitude équivalente à celle que la loi accorde aux distillateurs de grains ; cas si vous voulez établir les conditions d'une égale concurrence, il faut que des deux côlés on ait même poids et même mesure. Or, que faites-vous en réalité ? Aux distillateurs agricoles, vous accordez une réduction de 15 p. c.

Aux distillateurs non agricoles vous en accordez une implicitement en fixant le rendement à sept litres ; car d'après les expériences faites dans des distilleries de grains, le rendement est non pas de sept litres, mais de sept et une fraction, et il résulte même des explications qu'a données M. le ministre des finances, que le vrai rendement pourrait s'élever à 7 litres el demi.

Il y a donc là un demi-litre environ sur sept dont le droit n'est pas demandé aux distillateurs de grains.

Ils ont de plus l'emploi des vinasses dont j'ai déjà parlé, qui augmente de 15 p. c. les quantités d'alcool.

Il y a encore l'emploi des résidus de bière et celui du levain ; l'honorable M. Delehaye ne regarde pas cette substance comme ayant une qualité productive ; et en effet, c'est la partie sucrée des grains dont la décomposition produit l'alcool. Mais si l'on emploie le levain, c'est qu'en accélérant la distillation, elle lui fait produire davantage.

Maintenant, si de tout cela on ne tient aucun compte dans l'assiette du droit sur les eaux-de-vie de grains, il faut que l'on agisse avec autant d'indulgence lorsque l'on s'occupe du produit de la distillation des matières saccharines. Sans cela, au lieu de rétablir l'égalité, vous arriveriez à une inégalité, en sens inverse, mais non moins choquante.

Un autre bénéfice que nous voulions encore laisser aux industriels, c'est celui de la sécurité dans le débit de leurs produits. Voyez ce qui va arriver : pour un fabricant de sucre indigène qui a des mélasses à placer, la valeur principale de ce produit consiste à pouvoir le vendre pour les distilleries. Les mélasses de sucre de canne offrent un autre avantage : on peut les exporter avec une restilulion qui constitue une prime, et quelquefois on les exporte principalement pour gagner cette prime.

C'est ce qu'on ne peut pas faire pour les mélasses de betterave ; il faut les vendre pour les distilleries ou les employer pour ainsi dire en pure perte. Or, comment le producteur de semblable mélasse traitera-t-il aujourd'hui avec le distillateur ? Celui-ci lui dira : Mais je ne puis connaître la valeur de vos mélasses ; je ne puis me risquer à vous les acheter, puisque peut-être quand j'en serai nanti, M. le ministre des finances va me charger d'un droit dont j'ignore le montant et qui peut aller à 2 fr. 15 c. Voilà donc une matière qui, pour le moment, est invendable.

Messieurs, tels sont les inconvénients d'un système extra-légal ; quand on reste dans les voies légales, il y a discussion ; on peut pressentir d'avance les phases de l'affaire et l'industrie n'est pas gênée.

Messieurs, je ne sais si la chambre serait disposée à modifier cette disposition, à revenir à la proposition primitive de l'honorable ministre des finances. Il faudrait, pour que j'en fisse la proposition, que M. le ministre lui-même se joignit à moi. Sans cela, je ne m'aventurerais pas à proposer le rejet de l'article.

Mais dans tous les cas, messieurs, je le prie de bien vouloir peser sérieusement les observations que je vous ai soumises, je suis persuadé qu'il appréciera leur force, qu'il appréciera la position fâcheuse qui est faite, non seulement aux distillateurs, mais aux fabricants de sucre de betterave, et les complications qui peuvent en résulter, puisque l'on soutiendra, non sans motif, que l'équilibre qui a été établi par la loi et avec tant de peine entre la fabrication indigène et la raffinerie est désormais détruit. Je compte que, dans sa sagesse et dans son équité, M. le ministre des finances aura un juste égard aux observations que j'ai eu l'honneur de lui soumettre ainsi qu'à la chambre.

M. le président. - M. le ministre des finances propose de modifier le troisième alinéa et de le rédiger comme suit :

« Les contraventions aux mesures d'exécution que le gouvernement prendra en vertu de ces dispositions, etc. »

Au quatrième paragraphe, au lieu de « premier paragraphe », M. le ministre des fiuances propose de dire : le « premier alinéa ».

- L'article, ainsi modifié, esl m's aux voix et adopté.

Article 11

« Art. 11. Le taux de la décharge, tel qu'il est établi par l'article premier, s'applique aux droits résultant des ampliations à délivrer à partir du jour où la présente loi devient obligatoire.

« Il en est de même de l'exemption mentionnée à l'article 2.

« Il est accordé aux distillateurs un délai de trois mois, à compter de la mise en vigueur de la présente loi, pour se conformer aux dispositions de l'article 4, premier alinéa, et de l'article 5.

« Le premier et le troisième paragraphes de l'article 8 ne seront obligatoires que deux mois après la publication de la présente loi, pour les villes et communes à octroi dans lesquelles il existe des distilleries en activité. Il recevra son exécution dans les autres localités au plus tard trois mois après la mise en activité d'une distillerie.

« Toutefois, le gouvernement est autorisé à proroger, pour un terme qui ne peut aller au delà du 1er janvier 1853, l'application du premier paragraphe de l'article 8, en faveur des villes dont les taxes communales sur la fabrication des eaux-de-vie indigènes dépassaient, au 1er janvier 1853, le maximum établi par le premier paragraphe de l'article précité, et qui justifieraient de besoins urgents et de ressources insuffisantes , sans que cette perception transitoire puisse excéder le maximum légal de plus de 50 centimes sur la fabrication intérieure.»

M. le ministre des finances propose de remplacer le mot « paragraphe » par le « mot » alinéa.

- L'article, ainsi modifié, est adopté.

Article 12

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Au sujet de l'article final qui porte : « La loi du 27 juin 1842 (Bulletin officiel, n°464), sur les eaux-de-vie indigènes, sera réimprimée et publiée de nouveau avec les modifications résultant des lois du 5 mars 1850 (Moniteur, n°67) et du 20 décembre 1851 (Moniteur, n°356), ainsi que de la présente loi, il est bien entendu que ces mots : « sera publiée » ne donne pas aux diverses lois dont il est ici question une date nouvelle, de telle sorte qu'elles ne puissent devenir exécutoires que dix jours après la publication. Le mot « publié » n'est pas ici employé dans le sens légal. (Adhésion.) Du reste, ceci ressort du rapport de la section centrale.

Vote sur l’ensemble du projet

Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet.

85 membres sont présents.

68 votent pour le projet.

11 votent contre.

6 s'abstiennent.

En conséquence, le projet de loi est adopté ; il sera transmis au sénat.

Ont voté l'adoption : MM. Lejeune, Lesoinne, Magherman, Malou, Mascart, Mercier, Moncheur, Moreau, Orban, Orts, Peers, Pierre, Pirmez, Prévinaire, Roussel (Ad), Rousselle (Ch.), Thiéfry, Thienpont, Tremouroux, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom (Ernest), Vander Donckt, Van Iseghem, Van Overloop, Van Renynghe, Verhaegen, Vilain XIIIIn Visart, Ansiau, Anspach, Boulez, Brixhe, Cans, Coomans, Dautrebande, David, de Baillet-Latour, de Brouwer de Hogendorp , de Chimay, de Decker, de Haerne, Deliége, de Man d'Attenrode, de Muelenaere, de Naeyer, de Perceval, de Pitteurs, de Portemont, Dequesne, de Renesse, de Royer, de Ruddere, de Sécus, Desmaisières, de Theux, de T'Serclaes, de Wouters, d'Hoffschmidt, Dumon, Dumortier, Faignart, Jacques, Jouret, Julliot, Landeloos, Lange, Lebeau et Delfossc.

Ont voté le rejet : MM. Loos, Maertens, Manilius, Osy, Rogier, T'Kint de Naeyer, Van Grootven, Veydt, de Baillet (H.), de Bronckaert et de Steenhault.

Se sont abstenus : MM. Rodenbach, Sinave, Vermeire, Closset, de La Coste et Devaux.

M. Rodenbach. - Je n'ai pas voté pour la loi, parce qu'elle contient une disposition que je considère comme une grande injustice, c'est la faveur accordée aux distilleries urbaines, au détriment des distilleries extra muros. Je n'ai pas voté pour la loi, parce que je suis convaincu que les armateurs belges devront faire venir du genièvre de Hollande, dans nos entrepôts, pour pouvoir faire leurs exportations dans les cinq parties du monde. Ce sera un grand préjudice pour notre industrie, ce sera une honte pour le pays.

D'un autre côté, je n'ai pas voté contre la loi, parce qu'elle renferme certaines dispositions que je crois utiles.

M. Sinave. - J'approuve certaines dispositions de la loi, mais il en est d'autres que je n’approuve pas, notamment la réduction à 24 fr. qui, selon moi, est l'anéantissement de nos exportations.

M. Vermeire. - Je n'ai pas voté contre la loi, parce que je reconnais qu'elle introduit certaines améliorations, surtout au point de vue du trésor.

Je n'ai pas voté pour la loi, parce qu'elle renferme encore certaines (page 1153) inégalités, et parce qu'elle met obstacle aux perfectionnements en limitant le travail.

M. Closset.. - Je n'ai pas voté contre la loi, parce qu'elle renferme des dispositions importantes que j'approuve ; d'un autre côté , l'économie de l'article 8 qui est, à mes yeux, l'article principal, m'a mis dans l'impossibilité de voter pour la loi.

M. de La Coste. - Les inconvénients que j'ai signalés m'ont empêché de voter pour la loi dont j'approuve, du reste, la plupart des dispositions.

M. Devaux. - Je me suis abstenu, parce que je n'ai pas pu assister à la discussion.

Motion d'ordre

M. Magherman. - La motion que je me propose de faire concerne spécialement le département des travaux publics. Lorsque je me suis fait inscrire pour prendre la parole, M. le ministre des travaux publics était présent ; il vient de quitter la salle, mais un autre membre du cabinet pourra répondre pour lui ; sinon il pourra le faire lui-même dans une autre séance.

M. le président. - M. Magherman, est-ce que votre motion d'ordre est tellement urgente que vous ne puissiez pas attendre la présence de M. le ministre des travaux publics ?

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Je me ferai un devoir de prévenir mon honorable collègue des intentions de l'honorable M. Magherman, de manière que demain il se trouvera à son poste pour repondre à l'interpellation.

M. Magherman. - Ma motion, quoique présentant un caractère d'urgence, ne souffrira pas de ce court délai ; je la présenterai à l'ouverture de la séance de demain.

Proposition de loi relative à la garde civique

Discussion générale

M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du dernier rapport de la section centrale sur les propositions relatives à la garde civique. La section centrale propose l'adoption de certains amendements ; elle en rejette d'autres. Je demanderai aux membres dont les amendements ont été repoussés, s'ils les maintiennent.

- MM. de Perceval, Lesoinne , Vaudenbranden de Reeth, de Man d'Attenrode, Dumortier et de Mérode déclarent successivement qu'ils maintiennent leurs amendements.

M. de La Coste. - Nous avons retiré notre proposition, parce que nous avons trouvé des équivalents dans divers amendements adoptés.

M. le président. - La discussion s'ouvre sur le rapport de la section centrale et sur les amendements non retirés.

M. Osy. - Je désire attirer l'attention de l'honorable rapporteur de la section centrale sur une lacune que présente le projet de loi. Je veux parler de l'article 73...

M. Coomans, rapporteur. - C'est une simple omission. La décision de la section centrale a été actée dans le rapport, mais elle n'a pas été formulée dans le projet de loi. Il suffit de dire : « L'article 73 est supprimé. »

M. Vander Donckt. - Messieurs, j'étais loin de songer à prendre la parole dans cette discussion ; je croyais l'abandonner aux honorables membres qui représentent les grandes localités où la garde civique est en activité. Quant aux localités que j'habite, là où la population paisible et pacifique ne s'occupe d'aucune politique ni d'autres affaires que de celles qui concernent l'industrie agricole, aucune pétition n'est émanée de ces localités.

Mais je ne pouvais pas plus longtemps garder le silence, quand j'ai lu l'argumentation du rapport de la section centrale, rapport dans lequel se trouvent les lignes suivantes :

« Il a été reconnu, à la chambre comme au sein de la section centrale, que l'organisation de la garde civique, dans les communes de 3,000 à 6,000 âmes, offre des difficultés réelles et y paraît moins nécessaire que dans les communes plus populeuses. D'autre part, l'inexécution d'une loi étant un fait regrettable, nous avons cru devoir modifier la législation de 1848, dans l'une de ses dispositions les plus rigoureuses. Nous avons donc porté à 6,000 le chiffre de 3,000 âmes mentionné à l'article 5. »

Il résulte évidemment de cette argumentation que le gouvernement devrait mettre la garde civique en activité dans toutes les localités dont la population dépasserait 6,000 âmes. Et ici vous me permettrez d'adresser, au nom des localités que je représente, des remerciements à l'ancien ministère comme au nouveau ministère, pour la modération avec laquelle ils ont exécuté la loi.

S'il y a dans nos communes des reproches à faire, c'est aux chefs de la garde civique et à quelques autorités locales qui, par un excès de zèle, ont provoqué les réclamations et les pétitions dont nous sommes saisis.

Il résulte, dis-je, de l'argumentation de la section centrale que nos communes du plat pays devraient aujourd'hui être organisées en garde civique active. Eh bien, je crois qu'il n'est pas entré dans les intentions de la section centrale, et je me plais à lui rendre cette justice, d'organiser la garde civique dans les localités où elle est aujourd'hui en inactivité, ni de la supprimer dans les localités où ia population est nombreuse et agglomérée, où elle est organisée et active. C'est un juste milieu qu'il faudrait tenir.

Il faudrait donc adopter une autre base que celle de la population, car il y a des communes dont le territoire est fort étendu qui sont peuplées d'un grand nombre de pauvres, lesquels, en augmentant la population, augmentent plutôt les charges communales qu'ils ne viennent les soulager et sont peu disposés à maintenir l'ordre et le repos dans la commune. Toutes ces populations ne sont donc pas propres à faire partie de la garde civique.

Il me semble qu'il faudrait adopter pour base l'aggloméré des populations ; alors on restera dans les bases de la justice et on organisera une garde civique qui pourra être utile dans ces localités où la population est assez forte.

C'est dans ce sens que j'ai l'honneur de proposer l'amendement suivant au paragraphe 2 de l'article 3 des propositions de la section centrale.

« Elle est active dans les communes dont la population agglomérée excède le nombre de 5,000 âmes. »

Si la chambre trouve bon d'augmenter encore ce chiffre, je suis tout disposé à m'y rallier.

Je désire encore dire quelques mots sur une autre disposition de la section centrale, par laquelle elle entend déclarer charge communale les frais généraux de la garde civique.

M. le président. - M. Vander Donckt, nous sommes dans la discussion générale, ne pourriez-vous pas réserver les observations que vous avez encore à faire, quand nous en viendrons à l'article qu'elles concernent ?

M. Vander Donckt. - Je défère volontiers au désir exprimé par M. le président ; il y aura seulement cet inconvénient, que je prendrai deux fois la parole.

M. le président. - Le second amendement a été présenté par MM. de Theux, de Renesse, Rodenbach et de Pitteurs ; il est ainsi conçu :

« Nous avons l'honneur de proposer une nouvelle rédaction du paragraphe 2 de l'article 3, amendé par la section centrale :

« Elle (la garde civique) est active dans les communes ayant au moins une population agglomérée de 10,000 âmes, et dans les villes fortifiées ou dominées par une forteresse. »

Deux nouveaux amendements ont été déposés sur le bureau.

M. Osy propose de retrancher, dans l'article 35 de la section centrale, les mots :

« Cette réunion est considérée comme service obligatoire. »

Si cet amendement est adopté, retrancher le dernier paragraphe de l'article 48 de la loi.

« La liste des électeurs défaillants doit être jointe au procès-verbal de l'élection. »

M. Coomans (pour une motion d'ordre). - Je prendrai la liberté de faire remarquer à la chambre qu'il me semble inutile d'ouvrir une discussion générale ; nous avons eu une discussion générale, elle a été assez longue ; nous simplifierions beaucoup notre besogne, qui est déjà assez compliquée, si nous abordions la discussion des articles. Dans cette discussion, nous pourrons présenter les observations que nous jugerons bon de faire.

M. le président. - M. Coomans demande qu'on passe immédiatement à la discussion des articles.

M. Rogier. - Je demande à parler dans la discussion générale.

M. le président. - Vous avez la parole pour présenter des observations générales.

M. Rogier. - Messieurs, la section centrale commence son second rapporl en disant qu'elle maintient les considérations générales de son premier travail. Or, je dois opposer à une partie de ces considérations générales les considérations particulières que j'ai produites dans la première discussion.

La section centrale a reproché au gouvernement l'exécution trop rigoureuse de la loi ; elle lui a reproché d'avoir donné à la loi de vastes et rigoureuses proportions. Or, j'ai démontré que, loin d'avoir donné à la loi de vastes et rigoureuses propositions, le gouvernement l'avait singulièrement restreinte dans l'application. J'ai établi qu'au lieu de décréter la mise en activité de la garde civique, aux termes de l'article 3, dans les communes de 3,000 âmes et au delà, ce qui comportait un nombre de 260 communes, le gouvernement avait borné l'application de la loi à 40 communes.

Il était donc complètement inexact de reprocher au cabinet d'avoir donné à la loi de vastes et rigoureuses proportions ; il fallait, au contraire, pour être juste, reconnaître, ainsi que vient de le dire un honorable député des Flandres, qu'il avait exécuté la loi avec une grande modération. Voilà la vérité.

La section centrale a dit aussi, dans ces considérations générales, que la loi avait été votée sous l'empire de circonstances exceptionnelles, à la suite des événements de 1848, qu'elle était exagérée, vexatoire dans ses dispositions, qu'on avait donné à l'institution un caractère trop guerrier.

J'ai rappelé que cette loi avait été proposée en 1845, qu'elle ne s'était ressentie en aucune manière de l'époque où elle avait été discutée et votée, attendu qu'elle avait été votée dans les limites où elle avait été proposée en 1845. Je dois donc relever ae nouveau ce qu'il y a d'inexact dans cette considération générale du premier rapport qu'on déclare maintenir dans le second.

(page 1154) La section centrale a invoqué le grand nombre de pétitions contre la loi.

J'ai dit que si un grand nombre de pétitions vous avaient été adressées pour demander des modifications à la loi, il vous en était arrivé aussi un grand nombre qui demandaient qu'elle ne fût pas changée, de sorte que vous en aviez presque autant en faveur du maintien qu'en faveur de la réforme, et les premières vous venaient des principales communes du pays, en définitive on aurait dû dire, pour être juste, qu'il y a compensation entre les pétitions pour et les pétitions contre.

Maintenant, messieurs, je dirai que les proportions qui ont été données à l'exécution de la loi par le ministre chargé de son exécution, que ces proportions vont se trouver singulièrement dépassées, si les propositions nouvelles de la section centrale sont adoptées.

Dans la discussion précédente tandis que je parlais, étant interrompu par M. Coomans, je lui demandai si dans le cas où la loi ne serait pas modifiée en ce point, il y aurait lieu de la rendre applicable à toutes les communes de 3 mille âmes, si l'article 3 qui porte que la garde civique sera organisée dans toutes les communes de 3 mille âmes, non exécuté jusqu'ici, devrait l'être à l'avenir; il m'a répondu : Oui I !

Dans l'opinion du rapporteur il y avait donc nécessité d'appliquer cet article 3.

La garde civique n'a été mise en activité que dans 40 communes et il y a 260 communes de 3 mille âmes. Je serais le premier à détourner le gouvernement de l'idée d'appliquer ainsi la loi ; ce serait une mesure inutilement vexatoire qui aurait pour but de ruiner l'institution. Ce n'est pas moi qui conseillerai une pareille application de la loi.

Que veut la section centrale ? que la garde civique soit mise en activité dans toutes les communes de 6,000 âmes. Aussi longtemps qu'on n'a pas touché à la loi, on a pu comprendre la tolérance apportée dans son exécution. Le gouvernement ne l'a appliquée que là où il y avait nécessité, îà où l'institution pouvait rendre des services réels ; il est telle commune de 12,000 âmes où la garde civique n'a pas été organisée, il n'en est pas résulté pour cela de réclamations de la part des communes moins populeuses où elle l'a été.

Aujourd'hui, vous modifiez la loi ; le rapporteur a déclaré qu'à son avis il fallait que la loi fût exécutée; et comme on trouve que ce serait aller trop loin d'exécuter la loi dans 260 communes, on propose cet adoucissement digne de remarque, qu'à l'avenir elle ne sera appliquée qu'aux communes de 6,000 âmes. Voulez-vous connaître la portée de cet adoucissement ?

Vous allez forcer le gouvernement à organiser la garde civique dans 40 nouvelles communes, à moins que votre proposition ne soit illusoire. Vous reprochez au gouvernement de ne pas avoir exécuté la loi dans les communes de 3 mille âmes, et vous dites qu'à l'avenir dans les communes de six mille âmes, il faudra que le gouvernement l'exécute. (Interruption.) Désormais, vous seriez en droit de reprocher au gouvernement de n'avoir pas exécuté la loi. Voilà donc à quoi aboutirait la réforme : au lieu de 40 communes où la garde civique est organisée vous allez à l'avenir en avoir 80. Voilà pour le premier adoucissement ; je n'en fais pas mon compliment à la section centrale.

M. Rodenbach. - Vous avez raison.

M. Rogier. - Ainsi M. Rodenbach, qui m'interrompt, suivant coutume, me donne raison cette fois ! La commune de Roulers a plus de 3,000 habitants, on a laissé la commune de Roulers tranquille. M. Rodenbach est bien venu signaler les vexations insupportables qui pesaient sur les habitants par suite de l'exécution de la loi sur la garde civique, mais la commune de Roulers et la commune de Rumbeke, dont M. Rodenbach est bourgmestre, n'ont pas de garde civique active. A l'avenir Roulers qui a dix mille habitants et Rumbeke qui en a six mille et un, sont destinées à recevoir l'organisation de la garde civique, grâce à l'adoucissement apporte par la section centrale. Je demande si le régime qui existe aujourd'hui de fait ne vaut pas beaucoup mieux que le régime dont la section centrale gratifie les communes de Roulers et de Rumbeke.

Il y a un deuxième allégement dans la proposition de la section centrale, c'est celui qui consiste, par l'abrogation de l'article 73, à mettre à la charge de la commune les frais de la garde civique. Aujourd'hui un certain nombre de bourgeois se plaignent d'être astreints au service de la garde civique...

M. le président. - Je prie M. Rogier de réserver les observations de détail pour la discussion des articles.

M. Rogier. - Je ne sais pas pourquoi M. le président m'interrompt.

M. le président. - Je vous fais cette observation parce que je l'ai faite à M. Vander Donckt quand il a voulu aborder l'examen de l'article 73.

M. Rogier. - Je reste dans la thèse générale. Pourquoi veut-on modifier la loi sur la garde civique, quelle est la raison que font valoir ceux qui demandent la modification de cette loi? C'est, disent-ils, que la loi est trop rigoureuse. Je reste donc dans la question de principe, dans la question générale, en démontrant que, sous prétexte d'adoucissements à la loi, ce sont des aggravations qu'on y introduit.

Je crois être dans la discussion générale. Dans tous les cas je n'accepte pas ce que M. Vander Donckt a accepté.

M. le président. - Il est convenu qu'on restera dans la discussion générale, qu'on n'entrera pas en ce moment dans la discussion des articles.

M. Rogier. - Je n'y entre pas; je suis dans la discussion générale et je discute le principe du projet; car l'origine des modifications proposées c'est le reproche de l'exécution trop rigoureuse et des dispositions de la loi.

M. le président. - Mon observation n'avait rien de désobligeant ; c'était une observation préventive. J'ai dû vous la faire, parce que je l'avais faite à M. Vander Donckt. La parole vous est continuée.

M. Rogier. - Je tâcherai d'éviter les observations préventives et répressives.

J'ai signalé déjà le danger qu'il y a à prendre l'initiative de modifications à des lois organiques, ayant un grand nombre d'articles. On aurait mieux fait de renvoyer toutes les pétitions à M. le ministre de l'intérieur, en l'invitant à rciVr la loi sur la garde civique pour la chambre.

Voilà comment on se trompe : on veut modifier la loi, parce qu'on la trouve trop rigoureuse, et l'on substitue aux dispositions qui étaient exécutées avec modération des dispositions plus rigoureuses. J'ai cité la disposition nouvelle qui va rendre le service obligatoire dans les villes de six mille habitants, je citerai maintenant celle qui appelle à contribuer aux frais de la garde civique ceux qui sont astreints à ce service, tandis qu'aujourd'hui celui qui fait le service personnellement n'a rien à payer. Les frais de la garde civique sont supportés par les familles aisées, par les veuves...

- Un membre. - Et par les orphelins.

M. Rogier. - Oui, par les veuves riches et par les orphelins riches.

Je crois que les bourgeois, qui font le service de la garde civique, ne seront pas grandement satisfaits, lorsqu'ils devront concourir aux dépenses de la garde avec ceux qui ne sont pas astreints au service.

Je suis étonné de voir ce système mis en avant par l'honorable M. Coomans qui trouve injuste notre système de milice, point sur lequel je suis d'accord avec lui.

M. Coomans, rapporteur. - Les miliciens servent et payent.

M. Rogier. - Oui ; mais vous trouvez cela injuste. Vous voudriez que la dépense fût supportée par ceux qui n'ont pas la charge du service personnel. Ce principe est déposé dans la loi de la garde civique. Vous devriez être heureux de le trouver dans une loi dont vous puissiez invoquer l'autorité à l'appui de votre système en matière de milice.

Il me suffit de ces deux exemples pour prouver qu'il y a danger à toucher à une loi aussi importante que la loi sur la garde civique, pour prouver qu'il était préférable que le gouvernement fût chargé de présenter à la législature un projet de révision.

Dans tous les cas, j'ai démontré, je pense, que les reproches de trop de rigueur dans l'exécution de la loi de la garde civique par l'ancien cabinet sont sans fondement, et qu'ils s'appliqueraient mieux au projet de la section centrale.

M. Rodenbach (pour un fait personnel). - L'honorable préopinart m'a cité personnellement, en ma qualité de bourgmestre. Il a dit vrai, lorsqu'il a parlé de Rumbeke. Mais ce qu'il a dit de la ville de Roulers ; manque d'exactitude. Dans cette ville, la garde civique a été organisée ; mais on n'a pu maintenir cette organisation, parce qu'elle était trop coûteuse, et que les gardes refusaient de s'habiller...

M. le président. - Ceci n'a plus trait au fait personnel. La parole est à M. le rapporteur.

(page 1161) M. Coomans, rapporteur. - Je prierai d'abord M. Rogier de me citer fidèlement quand il voudra bien me citer et de lire les documents qu'il critique. J'ai dit dans mou rapport : « Rien d'étonnant donc que la garde civique, organisée dans les vastes et rigoureuses proportions que lui donne la loi du ler mai 1848, apparaisse à bien des personnes comme exagérée, vexatoire et superflue, » et M. Rogier me fait dire que le gouvernement a exagéré rigoureusement l'application de la loi du 8 mai.

C'est tout le contraire. L'honorable M. Rogier à cite à faux le rapport de la section centrale. Loin qu'il soit entré dans ma pensée de reprocher au gouvernement d'avoir exécuté toujours rigoureusement la loi du 8 mai. j'ai dit dans le rapport approuvé par la section centrale, et je répète aujourd'hui que cette loi n'a été qu'à moitié appliquée, qu'elle a été violée dans un grand nombre de ses dispositions, et que ce n'est que parce qu'elle a été si souvent violée, qu'elle a pu exister jusqu'aujourd'hui. L'honorable M. Rogier a reconnu lui-même que la loi du 8 mai 184S eût été très mauvaise, qu'elle eût donné des résultats déplorables, si elle avait été appliquée dans toutes ses dispositions.

M. Rogier. - Veuillez me citer exactement.

M. Coomans, rapporteur. - C'est le conseil que je vous donnais tout à l'heure.

J'ai pris acte de cette déclaration que les effets de la loi eussent été déplorables, si elle avait été exécutée. Si l'honorable M. Rogier se fait un mérite de ne pas avoir exécuté la loi....

M. Rogier. - Rigoureusement.

M. Coomans, rapporteur. - ... de ne pas l'avoir exécutée du tout, dans plus de 200 communes, il est fort étrange qu'il soutienne que la loi est bonne, et qu'on ne doit pas y toucher ! Je pourrais, me trouvant dans la situation où a été M. Rogier, me vanter jusqu'à un certain point de ne pas exécuter cette loi, puisque je la trouve mauvaise. Mais je me croirais plus qu'inconséquent si, tout en vantant une loi, tout en la déclarant excellente, je venais me faire un mérite, me féliciter publiquement de l'avoir constamment violée.

Messieurs, la loi du 8 mai a été violée dans une foule de ses dispositions. Elle l'a été quant aux exercices qui sont fixés au minimum de 12, chiffre que l'honorable M. Rogier se vante d'avoir rarement laissé atteindre. La loi a été méconnue quant à la force numérique des compagnies, qui doit être de 60 hommes au moins et qui, dans beaucoup de localités, ne s'élève pas au chiffre de 20 et même de 15.

La loi a été méconnue dans cette autre disposition qui porte que la garde civique doit être organisée dans toutes les localités comptant une population de 3,000 âmes. Or, l'honorable M. Rogier vient de reconnaître que plus de 200 communes qui se trouvent dans ce cas n'ont pas de garde civique et l'honorable membre assure qu'il a bien fait de violer 200 fois la loi.

Messieurs, je suis surpris d'entendre un ancien ministre, un législateur professer ici l'utilité, la nécessité des violations de lois et demander qu'on maintienne cet état de choses.

L'honorable M. Rogier nous reproche d'avoir élevé à 6,000 âmes le chiffre de 3,000 qui figure aujourd'hui à l'article 5 de la loi.

La section centrale, dit l'honorable M. Rogier, empire la loi ; car on va l'exécuter, si le chiffre de 6,000 âmes passe.

Je demanderai à l'honorable M. Rogier pourquoi on sera plus forcé d'executer la loi quand nous aurons changé le chiffre, qu'on n'y était obligé auparavant ? L'honorable M. Rogier a-t-il seul le singulier privilège de violer la loi ? S'arroge-t-il cette dictature que la Constitution n'accorde à personne ? L'honorable M. Piercot ne pourra-t-il pas dire : Puisque mon prédécesseur a violé la loi du 8 mai et puisque cette violation est, d'après lui, une très bonne chose, je continuerai ? Je ne vois pas pourquoi l'honorable M. Rogier réclame cet énorme, cet étrange privilège d’être le seul violateur des lois.

Quant à moi, je répousse énergiquement cette théorie ; je pense que toutes les lois doivent être exécutées. Elles sont faites pour cela. On doit réformer celles qui ne sont pas applicables.

Messieurs, en élevant le chiffre de 3,000 à 6,000, nous nous sommes dit en section centrale que nous diminuerions le scandale d'une loi inexécutée.

- Un membre. - Vous maintiendrez donc ce scandale ?

M. Coomans. - Je voudrais l'empêcher dans la mesure du possible, car, je le répète, les lois sont faites pour être observées, et non pour être appliquées partiellement selon les caprices d'un ministre. En tous cas, si le scandale doit persister, notre proposition le diminuera. (Interruption.) La loi sera peut être encore méconnue 30 ou 40 fois ; ce sera 170 fois de moins que sous le règne de l'honorable M. Rogier, c'est déjà quelque chose,

Maintenant si ce chiffre de 6,000 âmes ne vous suffit pas, élevez-le à 10,000 ; je ne m'y oppose point.

Je pense, du reste, qu'il y a lieu de considérer l'article 3 comme laissant beaucoup de latitude au ministre ; il est rédigé tout entier dans ce sens. Si nous l'interprétions ainsi, toutes les craintes exprimées par M. Rogier viennent à disparaître.

L'honorable M. Rogier veut me mettre en contradiction avec certaines opinions que j'ai émises quant à la milice. Messieurs, je me suis élevé contre les lois sur la milice, non pas seulement parce que les pauvres miliciens sont obligés de contribuer aux frais de l'armée, mais surtout parce qu'on les dépouille de leur liberté. En mettant à la charge du budget communal les frais de la garde civique, l'inconvénient sera bien moindre, attendu que la garde civique se compose tout entière de citoyens aisés, qui peuvent payer à la fois de leur personne et de leur bourse. Nous avons transformé la taxe personnelle en une taxe générale parce que la perception de cette dernière sera plus facile ; voilà le seul but que nous avons eu en vue, et la critique de M. Rogier tombe à faux.

(page 1154) M. Rogier. - Je remercie l'honorable préopinant du pardon qu'il vient de m'octroyer. Jusqu'à présent je me figurais avoir été à ses yeux un ministre impitoyable.

M. Coomans. - Je n'ai pas dit cela.

M. Rogier. - C'est le langage de l'opposition. A l'entendre, on croirait que j'avais apporté dans l'exécution de cette loi sur la garde civique une rigueur tyrannique, despotique, une opiniâtreté méritant les plus grands reproches, Voilà ce que j'ai entendu dire. Le ministre de l'intérieur n'a pas su exécuter la loi avec modération, il a voulu, par amour-propre, lui imprimer un cachet tyrannique.

M. Coomans. - Je n'ai pas dit cela.

M. Rogier. - Je ne dis pas que vous avez dit cela ni que vous l'ayez écrit, je dis que c'est en présence de ces reproches que j'ai dù prendre la parole dans la première discussion. On m'avait représenté comme ayant exécuté la loi avec trop de rigueur, je m'en défendais et je disais que je l'avais exécutée avec si peu de rigueur qu'au lieu de l'appliquer à 260 communes je n'avais pas cru devoir l'appliquer à plus de 40 communes, preuve que je n'y avais pas mis un rigorisme outré. Maintenant voici un autre reproche : je n'ai pas été un exécuteur impitoyable de la loi, j'ai été un violateur de la loi et je m'en vante.

Comment ! On me reproche d'avoir exécuté la loi trop rigoureusement ; je réponds que je l'ai exécutée avec modération, que j'y ai apporté des tempéraments ; alors, changeant de ihème, on me reproche d'avoir violé la loi pour la rendre plus douce ! Je regarde ce reproche comme aussi injuste que l'autre: dans tous les cas, l'un et l'autre se contredisent complétement.

(page 1155) Messieurs, le gouvernement a exécuté la loi sur la garde civique, non pas suivant son caprice, mais suivant les besoins dés localités, suivant les nécessités des circonstances. Mais il y aurait eu plus que de l'absurdité à vouloir que le gouvernement appliquât sans distinction la loi à toutes les communes de 3,000 âmes ; il n'y aurait pas eu assez de sarcasme, assez de reproches, s'il avait tenté cette exécution absolue et aveugle de la loi.

On n'a donc pas violé la loi et encore moins est-on venu s'en vanter.

L'honorable M. Coomans manie la plaisanterie avec assez de grâce ; il obtient fréquemment des succès de rire ; mais ici la matière est sérieuse. On vient de dire que moi, ministre et législateur, je prêche la violation de la loi. Je n'ai pas prêché la violation de la loi ; je le nie ; mais vous, législateur, que faites-vous en ce moment ? Vous réformez une loi qui, dites-vous, a donné lieu à beaucoup de plaintes; vous venez, après mûre délibération, je suppose, faire des propositions nouvelles, et vous dites à la chambre et au pays : Ne nous croyez pas ; c'est un jeu !

La plaisanterie des discours, on veut la faire passer dans la loi ; on propose des mesures qui, dit-on, ne doivent pas être exécutées ! Est-ce là le langage d'un législateu r? N'est-ce pas une des plus mauvaises plaisanteries dont on puisse donner l'exemple devant un parlement sérieux ? Faites des plaisanteries tant que vous voulez, dans vos discours, mais ne les mettez pas dans la loi.

Il est évident que si vous substituez les communes de 6,000 âmes à celles de 3,000 âmes c'est une direction donnée au ministre qui exécute la loi, dans ce sens qu'il doit l'appliquer à toutes les communes de 6,000 âmes, sinon la disposition est complètement inutile.

Si c'est pour laisser subsister l'état de choses actuel, et je crois que vous devez le faire, ne faites pas une vaine parade de modération, ne changez rien à l'article 3. Vous avez parlé de scandale ; ne donnez pas le scandale d'une disposition que vous déclarez non exécutoire, laissez l'état de choses tel qu'il est. Voilà ce qu'il faut faire pour agir en législateur sérieux et non pas en mauvais plaisant.

M. Coomans. - J'entends le mot de « mauvais plaisant », est-ce à moi que cela s'applique ?

M. Rogier. - Je dis qu'il faut faire une loi en législateur sérieux et non pas en mauvais plaisant ; si vous vous reconnaissez mauvais plaisant, vous pouvez demander la parole. J'avais commencé par rendre hommage à vos bonnes plaisanteries.

M. Coomans. - Alors, cela vous regarde aussi.

M. Rogier. - C'est comme vous voulez.

Pour tout esprit sérieux, impartial, des paroles que je viens de prononcer et de celles que j'ai déjà prononcées dans une séance précédente, il ressortira à l'évidence que le gouvernement chargé de l'exécution de la loi y a apporté tous les tempéraments désirables ; que, loin d'en faire une application rigoureuse il a, au contraire, adouci la plupart de ses dispositions ; que si la loi n'a pas été exécutée avec rigueur ce n'est pas à dire qu'elle ait été violée volontairement, de gaieté de cœur par le ministre et dans tous les cas, que le ministre n'est pas venu se vanter ici de l'avoir violée.

M. le président. - Si personne ne demande plus la parole dans la discussion générale, je la déclare close.

- La séance est levée à 4 heures trois quarts.