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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 23 décembre 1853

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1853-1854)

(Présidence de M. Delfosse.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 373) M. Ansiau procède à l'appel nominal à midi et un quart.

M. Maertens lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

M. le président. - Hier à la fin de la séance on a introduit dans l'article 36 du Code forestier un léger changement de rédaction, mais en faisant disparaître une incorrection, on en a fait naître une autre. Je vous propose, messieurs, de rédiger l'article comme suit : au lieu de dire : « contre leur gré » nous dirions : « contre le gré du propriétaire» ; à part ce léger changement, l'aiticle resterait tel qu'il a été adopté au premier vote.

- Le procès verbal est approuvé.

Pièces adressées à la chambre

M. Ansiau présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Des fabricants de sucre indigène et les membres du conseil communal de St-Trond demandent l'entrée libre de la fonte et du charbon, et une réduction temporaire de 50 p. c. sur le transport du charbon par les chemins de fer et par les canaux. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à l'entrée des houilles.


« Le sieur Verstappen, commis des accises pensionné, prie la chambre de lui faire obtenir une place ou un secours. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les facteurs ruraux attachés au bureau d'Ath demandent une augmentation de traitement. »

- Même renvoi.


« Les bourgmestre, échevins, membres du conseil communal et autres habitants de Wommelghem demandent une loi qui déclare non-imposables les engrais et les vidanges. »

- Même renvoi.


« Le sieur Gérard demande une loi qui oblige les concessionnaires des mines de fer à les faire exploiter sans interruption, sous peine de se trouver déchus de leur concession. »

- Même renvoi.

Ordre des travaux de la chambre

M. Osy (pour une motion d’ordre). - J'ai l'honneur de proposer à la chambre de s'ajourner jusqu'au 17 janvier à 2 heures, après le vote sur les houilles, que nous allons entamer ; je propose, en second lieu, de décider que si nous ne terminons pas ce matin il y aura une séance du soir.

M. le président. - Il y a plusieurs autres projets qui doivent être votés avant notre séparation. Nous avons d'abord le contingent de l'armée et le projet de loi concernant les correspondances télégraphiques ; ces deux projets ne donneront probablement pas lieu à discussion. Nous avons ensuite le projet de loi sur les houilles et les modifications au contingent de l'impôt foncier. Ces quatre projets doivent être discutés avant que la chambre ne se sépare. M. Osy demande qu'il y ait séance ce soir, mais il doit être bien entendu, que si les objets que je viens d'indiquer n'étaient pas terminés, il y aurait encore séance demain.

M. Orban. - Je ne conçois pas qu'au début d'une discussion qui peut prendre des proportions très grandes, et qui devrait en avoir de très grandes, on veuille dès maintenant fixer le terme de cette discussion.

M. le président. - M. Osy ne demande l'ajournement au 17 janvier que pour le cas où les quatre projets urgents seraient votés.

M. Orban. - Non seulement, messieurs, je m'oppose à ce qu'on assigne dès maintenant comme terme à la discussion, la séance d'aujourd'hui, mais je m'oppose également à ce qu'il y ait une séance du soir. Vous en comprendrez les motifs, messieurs, il est évident qu'après une séance qui commence à midi et qui se termine à 4 heures et demie une séance utile, est impossible le soir ; c'est dans l'intervalle de deux séances que nous devons nous préparer aux discussions ; tenir une séance du soir à la suite d'une séance du jour où des matières diverses ont été traitées, c'est vouloir réellement qu'on ne discute pas.

Messieurs, c'est déjà bien assez qu'à la fin de nos sessions on nous présente une foule de projets de loi qu'on ne peut pas discuter, sans qu'on renouvelle encore cet inconvénient au milieu même de la session.

- La discussion est close.

La chambre consultée décide qu'elle tiendra ce soir une séance à 8 heures.

Elle décide ensuite qu'après le vote des 4 projets qui ont été indiqués par M. le président, elle s'ajournera jusqu'au mardi 17 janvier prochain à 2 heures.

Rapports sur des pétitions

M. Roussel, rapporteur. - « Messieurs, des négociants, fabricants et industriels, à Bruxelles, demandent que les péages du canal de Charleroi et de la Sambre soient mis en harmonie avec ceux des autres voies navigables et qu'en attendant la mise à grande section du canal de Charleroi à Bruxelles et l'approfondissement de la Sambre au même tirant d'eau que le canal de Charleroi, ils soient réduits sur le canal à petite section de Charleroi à Bruxelles, à 40 centimes pour tout le parcours et ceux de la Sambre canalisée à 2 centimes par tonne-lieue pour toute destination. »

« Même demande de négociants fabricants et industriels de Malines. »

« Même demande de négociants fabricants d'industriels d'une commune non dénommée. »

Messieurs, comme ces pétitions ont quelque connexité avec la discussion qui va avoir lieu sur le règlemenl temporaire du tarif, à l'entrée des houilles, la commission des pétitions a l'honneur de vous proposer le dépôt sur le bureau des pétitions dont il s'agit pendant la discussion de ce règlement.

- Cette proposition est adoptée.

M. Vermeire. - Je demande en outre qu'après le vote du projet de loi, les pétitions soient renvoyées à M. le ministre des finances et à M. le ministre des travaux publics.

- Cette proposition est adoptée.

M. le président. - Conformément à la promesse qu'il avait faite, M. le ministre de la guerre a déposé sur le bureau les pièces que M. Orts avait réclamées hier.

Projet de loi fixant le contingent de l’armée pour l’année 1854

Vote des articles et sur l'ensemble du projet

Personne ne demandant la parole dans la discussion générale, on passe aux articles.

« Art. 1er. Par mesure transitoire résultant de la loi du 8 mai 1847, le contingent de l'armée, pour 1854, est fixé à soixante et dix mille hommes. »

- Adopté.


« Art. 2. Le contingent de la levée de 1854 est fixé au maximum de dix mille hommes, qui sont mis à la disposition du gouvernement. »

- Adopté.


« Art. 3. La présente loi sera obligatoire le 1er janvier 1854. »

- Adopté.


Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi.

En voici le résultat :

71 membres répondent à l'appel.

68 membres répondent oui.

1 membre (M. E. Vandenpeereboom) répond non.

2 membres (MM. Coomans et Jacques) s'abstiennent.

En conséquence, la Chambre adopte. Le projet de loi sera transmis au Sénat.

Ont répondu oui : MM. Boulez, Brixhe, Clep, Closset, Coppieters 'T Wallant, Dautrebande, de Baillet (H.), de Baillet-Latour, de Bronchait, de Iiaerne, Delehaye, Deliége, de Man d'Allciirode, de Mcrode (F.), de Mérode-Westerloo, de Muelenaere, de Naeyer, de Perceval, de Portemont, de Renesse, de Ruddere, Desmaisières, de Steenhault, de T'Serclaes, Devaux, de Wouters, Dumon, Faignart, Jouret, Julliot, Landeloos, Lange, le Bailly de Tilleghem, Le Hon, Lejeune, Lelièvre, Lesoinne, Maertens, Malou, Manilius, Mascart, Matthieu, Mercier, Moucheur, Moreau, Moxhon, Orban, Osv, Pirmez, Prévinaire, Rodenbach, Rogier, Roussel (A.), Rousselle (Ch.), Thiéfry, Thienpont, T Kint de Naeyer, Tremouroux, Van Cromphaut, Vandenpeereboom (A.), Vander Donckt, Van Grootven, Van Iseghem, Vermeire, Vilain XIIII, Allard, Ansiau et Delfosse.

M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont invités à faire connaître les motifs de leur abstention.

M. Coomans. - N'ayant pas pu voler le budget de la guerre, je n'ai pas pu non plus voter le contingent de l'armée.

M. Jacques. - Les circonstances ne me paraissent pas permettre de réduire, en ce moment, le contingent de l'armée. Mais notre mode de recrutement me paraît faire peser des charges trop lourdes sur les familles pauvres.

Projet de loi autorisant le gouvernement à régler les droits d’entrée sur les houilles

Discussion générale

(page 374) M. le président. - La section centrale propose de modifier l'article 2, qui serait ainsi conçu :

« Les pouvoirs qui résultent de cette disposition cesseront au 31 décembre 1854, s’ils ne sont renouvelés avant cette époque, et, en cas de non-renouvellement, les anciens tarifs reprendront leur cours de plein droit à la même époque. »

Au lieu des mots : « les pouvoirs qui résultent de cette disposition, » il faut dire : « les pouvoirs qui résultent de la disposition précédente. »

Le gouvernement se rallie-t-il à l'amendement de la section centrale ?

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Oui, M. le président, je me rallie à la modification que la section centrale a introduite dans l'article 2. Mais puisque M. le président a indiqué une légère modification, je me permettrai d'en indiquer une autre dans la rédaction de ce nouvel article 2. Au iieu de dire : « et en cas de non-renouvellement, les anciens tarifs reprendront leur cours, » il faut dire : « le tarif général reprendra son cours. » Car les anciens tarifs seront, avant cette époque, abolis.

M. le président. - La section centrale s'était bornée à reproduire en partie le paragraphe 2 de l'article premier de la loi de 1842.

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Le tarif général sera modifié à la rentrée des Chambres, et puisque j'ai la parole, permettez que je fasse une observation dans l'intérêt même de la discussion.

Messieurs, le projet de loi que le gouvernement a eu l'honneur de vous présenter est une loi purement temporaire et de circonstance. Vous savez comment ce projet de loi a été déposé. J'avais promis à la Chambre, et je renouvelle ici cet engagement, qu'un projet de loi général sur l'entrée des matières premières dont l'industrie a besoin serait déposé à la rentrée des chambres, c'est-à-dire, d'après la décision que vous venez de prendre, le 17 du mois de janvier.

Ce projet de loi comprendra la houille, la fonte et beaucoup d'autres matières premières dont notre industrie a besoin.

C'est donc, je le répète, cédant à l'impatience, très légitime d'ailleurs, de la Chambre que j'ai déposé, en attendant le 17 janvier, le projet temporaire et de circonstance qui est soumis à vos délibérations.

Messieurs, il y a deux manières de discuter ce projet de loi. C'est d'abord de faire entrer dans cette discussion toutes les questions qui s'y rattachent de près ou de loin, et dans ce cas, ce ne serait pas une demi-séance, ce ne serait pas une séance, ce seraient plusieurs séances qu'il faudrait pour terminer cette discussion.

Ainsi, sans qu'il soit dans mes intentions de limiter cette discussion, attendu que cela appartient à la Chambre elle-même, je dois indiquer que d'après des conversations qui ont eu lieu ce matin, je sais que plusieurs orateurs se proposent d'entreprendre l'examen de la question de l’abaissement des péages ; que d'autres iront jusqu'à demander la révision de la loi de 1810, que d'autres s'attacheront à la loi des patentes dont ils voudraient frapper les exploitants de charbon.

D'autres parleront des fontes et des fers comme un corollaire indispensable de la loi que nous votons. D'autres demanderont que cette loi, de provisoire qu'elle est, soit discutée comme une loi définitive.

Eh bien, je conjure la Chambre d'ajourner l'examen de toutes ces questions qui sont de la plus haute importance et qui méritent que la Chambre les discute autrement que la veille de son départ. Ce n'est pas trois semaines qui peuvent compromettre le sort du pays. Le 17 janvier, j'en prends de nouveau l'engagement, le projet sera déposé avec toutes les pièces à l'appui sur le bureau de la chambre.

M. le président. - M. le ministre désire que l'on écarte de la discussion tout ce qui se rattache au projet définitif qui sera présenté à notre rentrée.

Il y a dix orateurs inscrits. M. Brixhe, pour des raisons de santé qui ne lui permettent pas de rester longtemps à la séance, demande à être entendu le premier. (Oui ! oui ;!)

M. Allard. - Je demande la parole pour adresser à M. le ministre des travaux publics une interpellation qui, nécessairement, sera rencontrée dans la discussion du projet de loi sur les houilles. Je crois que mon interpellation doit précéder la discussion.

M. Prévinaire. - Je demande la parole sur la motion d'ordre de M. le ministre dés finances.

Je ne veux pas combattre cette motion d'ordre ; au contraire, je m'y rallie complètement. Mais je demanderai à M. le ministre de bien vouloir compléter les explications qu'il vient de donner à la chambre, en indiquant, dès le début de la discussion, de quelle manière il entend user des pouvoirs qui doivent lui être attribués d'après ce projet.

C’est un point qu'il est essentiel de connaître et qui peut avoir de l'influence sur la discussion.

M. le ministre des finances (M. Liedts). - La réponse est très naturellement indiquée par les circonstances tout exceptionnelles dans lesquelles le pays se rouve. Si la faculté demandée est accordée au gouvernement, l'arrêté royal portera, sauf rédaction : « Jusqu'à disposition ultérieure, l’entrée des houilles étrangères est libre. »

Mais il est évident, d'après la disposition de l'article 2, que cette liberté pleine et entière, en supposant qu'aucune loi n'intervienne d’ici là viendrait à cesser le 1er décembre 1854 et qu'alors de plein droit reviendrait en vigueur le droit général que vous aurez établi dans le courant de janvier par la loi définitive.

M. Delehaye. - Je me renfermerai dans la motion d'ordre ; j'ai à faire une observation qui pourra contribuer à simplifier la discussion. La section centrale, prévoyant tout ce qui peut être utile à l'industrie du pays, a adopté par 4 voix contre 3 le vœu que les faveurs accordées à l'exportation des houilles soient supprimées. Je demande au gouvernement s'il accepte le vœu, et s'il entend, à dater de la promulgation de la loi en discussion, supprimer ces faveurs, à moins qu'il ne préfère les accorder au transport des houilles pour les villes industrielles et notamment pour Gand. Je préférerais cette dernière mesure, mais je crains qu'en présence du déficit signalé dans le trésor, la Chambre ne soit portée à donner la préférence à la proposition de la section centrale.

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Ma réponse sera aussi nette sur cette interpellation qu'elle l'a été sur la première.

L'intention du gouvernement n'est pas de suspendre la diminution de droits sur les canaux pour certaines exportations.

Si la législature, contrairement aux intentions et je dirai à l'intérêt du pays, changeait cet état de choses, eh bien, le 17 janvier dans le projet définitif, vous pourrez le faire par un article exprès, et après une discussion au fond dans laquelle on examinera cette question sous toutes ses faces. Mais d'ici là, l'intention du gouvernement n'est pas de toucher à cette question et s'il faut entrer dans la discussion du fond, je démontrerai que le gouvernement serait très mal avisé èt assumerait une grave responsabilité s'il prenait une semblable mesure.

M. Rousselle. - D'après les explications de M. le ministre, je renonce à la parole.

M. Rogier. - D'après l'article premier, le gouvernement est autorisé à rétablir les droits sur la houille dans le cours de l'année ; je demande à M. le ministre si son intention serait d'user de cette faculté. On raisonne comme si la loi qui sera présentée le 17 janvier devait être votée le 17 janvier ; mais il peut arriver qu'elle ne soit pas même votée dans le courant de l'année. Je demande si dans ce cas l'intention du gouvernement serait de rétablir l'ancien droit.

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Evidemment le gouvernement se mettrait en contradiction avec ses propres actes si, dans la supposition qu'une loi nouvelle n'intervînt pas, il rétablissait, avant le 31 décembre, le droit prohibitif, le droit que j'appellerai ridicule, de 14 francs 80 centimes. Le gouvernement a présenté aux chambres de commerce un chiffre beaucoup plus bas et sans vouloir préciser le chiffre qu'il adopterait, je puis dire que, de toute évidence, il se rapprocherait beaucoup plus de celui qui a été soumis aux chambres de commerce que de celui de 14 francs 80 centimes. Dans cette éventualité, l'honorable préopinant peut être convaincu que le gouvernement ne rentrerait aucunement dans la voie dont il cherche à sortir.

M. de Mérode. - Puisqu'on veut accorder au gouvernement la faculté de rétablir ce qui existait auparavant, ou de le modifier, il ne faut pas lui faire prendre l'engagement de ne pas user de cette faculté. Si M. le ministre déclare qu'il n'usera pas du droit qu'il demande, je trouve qu'il est fort inutile de le lui donner.

M. Orban, rapporteur. - Messieurs, la section centrale n'a résolu affirmativement que deux questions, c'est celle qui est relative à la faculté donnée au gouvernement, de permettre la libre entrée des houilles étrangères et celle qui est relative à la suppression de la faveur accordée à l'exportation des houilles indigènes.

En ce qui concerne le premier point, la section centrale a cru devoir s'en rapporter purement et simplement au gouvernement ; elle est persuadée que le gouvernement qui a demandé la faculté d'autoriser la libre entrée, usera de cette faculté.

Quant au second point la section centrale fait observer que le privilège qui existe en faveur de l'exportation des houilles, a été établi par arrêté royal et que, par conséquent, il peut être supprimé également par arrêté royal.

Elle est persuadée que la principale cause de la disette de houille qui existe aujourd'hui, c'est le développement de l'exportation, et elle a entrevu, dès lors, la nécessité de supprimer au moins la faveur accordée à l'exportation. Il est évident, en effet, que si nous ne devons pas prohiber l'exportation, nous devons au moins cesser de l'encourager, puisqu'elle est la principale cause de la crise actuelle.

Je déclare, messieurs, que si le gouvernement persiste à ne pas vouloir user de la faculté dont il s'agit, je formulerai une proposition tendant à supprimer la faveur dont jouissent, en ce moment, les houilles à la sortie.

M. le président. - M. le ministre des finances désîre-t-il que sa motion d'ordre soit mise aux voix ?

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Non, M. le président.

M. le président. - Il est bien entendu qu'on réservera pour le projet de loi définitif les questions qui ne se rattachent pas directement au projet temporaire en discussion. (Assentiment.)

M. Allard. - Messieurs, nous allons entamer la discussion du règlement temporaire du tarif de l'entrée des houilles. Je ne suis pas inscrit et il est probable que je ne parlerai pas sur cette question : car mon tour de parole n'arriverait pas ; je dois néanmoins adresser une interpellation à M. le ministre des travaux publics pour faire voir à la Chambre que le manque de houille n'est pas aussi considérable qu'on le dit et que si la houille n'arrive pas en quantité suffisante sur les lieux de consommation, ce n'est pas la faute des exploitants de houillères. J'ai (page 375) adressé il y a quelques jours une interpellation à l'honorable ministre sur l'encombrement de la station de Manage et d'autres stations du Centre : M. le ministre a fait droit à ma réclamation, et je l’en remercie, toutes ces stations ont été désencombrées ; mais il vient de prendre une mesure très nuisible au transport des houilles ; défense est faite aux waggons de l'Etat de parcourir la ligne de Mons à Manage, de telle sorte que tous les waggons de l'Etat s'arrêtent à Manage ; il faut que la compagnie anglaise expédie tous les produits des houillères du bassin du Centre par son matériel.

Or, la compagnie a mille waggons qui parcourent une lieue de sept lieues ; l'Etat a 2,500 waggons qui peuvent parcourir 130 lieues ; si la compagnie anglaise ne peut employer que son matériel, savez-vous, messieurs, combien il faudra de temps aux charbonnages du Centre pour charger les mille waggons de la compagnie ? Un jour et demi, ces waggons devant rester 3 ou 4 jours avant de revenir, et pendant ce temps les houillères devront déposer 35,000 à 40,000 hectolitres de charbon par jour, sur le carreau des fosses. Maintenant les houillères sont obligées d'envoyer par chariots le charbon dans la station de Manage, où il est chargé sur les waggons de l'Etat.

I.a station de Manage n'est plus encombrée de waggons chargés, elle est maintenant emeombrée de voitures qui arrivent et qui déchargent le charbon au milieu de la station pour le charger sur les waggons de l'Etat.

Le gouvernement doit continuer à louer les waggons comme il l'a fait jusqu'à ce jour, et les laisser circuler sur la ligne de Manage à Mons. Il se passe réellement en ce moment un fait extraordinaire : les waggons de l'Etat ne peuvent plus circuler sur la ligne de Manage à Mons, et cependant les waggons de la société anglaise de Manage à Mons vont charger des charbons dans le bassin du couchant de Mons, et, chose singulière, ces charbons traversent le bassin du centre et s'en vont à Liège et à Verviers. Ainsi ces waggons de la société anglaise, qui doivent seuls transporter tous les charbons du centre sont encore à la disposition des autres bassins, auxquels on réserve tous les waggons de l'Etat.

Il est impossible, messieurs, que le gouvernement maintienne un tel état de choses, aussi nuisible aux producteurs qu'aux consommateurs.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Messieurs, la situation dont l'honorable M. Allard signale les inconvénients est malheureusement sans remède immédiat et décisif. L'honorable membre reconnaît lui-même que cette situation est due non seulement à l'insuffisance de la production, mais aussi à la pénurie du matériel. Or, cette pénurie existe, non seulement pour l'Etat, mais aussi pour les compagnies concessionnaires.

La question est donc de savoir si le gouvernement doit encore suppléer au déficit de matériel qui existe chez les compagnies concessionnaires.

Si je faisais droit en tous points aux réclamations de l'honorable M. Allard, il est évident que d'autres bassins, le bassin de Liège, les charbonnages de Jemmapes et de Charleroi, pourraient se plaindre et se plaignent déjà de l'insuffisance du matériel.

La question est de savoir s'il ne convient pas avant tout de desservir les stations importantes qui appartiennent à l'Etat.

La compagnie concessionnaire de Mons à Manage envoie des charbons sur toutes les parties de nos lignes. L'honorable M. Allard vient de dire qu'elle envoie même des charbons à Liège. Je crois que ce renseignement est parfaitement exact. Il en résulte pour la ligne concessionnaire de Mons à Manage la nécessité d'avoir un matériel en rapport avec ces immenses transports qu'elle fournit aux lignes de l'Etat ; c'est sa situation ; c'est à elle à y faire face.

M. E. Vandenpeereboom. - Messieurs, mon honorable collègue M. Brixhe m'avait prié de lire à la Chambre le discours qu'il avait préparé sur le projet en discussion et qu'une indisposition l'empêche de lire lui-même. Mais il renonce provisoirement à la parole, en présence surtout de la déclaration faite par M. le ministre des finances. Quand viendra la discussion de la loi annoncée, il développera sa manière de voir. L'honorable membre se réserve, toutefois, de prendre la parole, si la présente discussion s'écartait du caractère spécial et temporaire de la loi en délibération.

M. Lange. - Messieurs, tout en regrettant que la proposition de n'admettre la libre entrée des houilles que pour le terme de 6 mois, qui avait été produite dans diverses sections, n'ait pas été accueillie favorablement par la section centrale, je voterai néanmoins le projet de loi. En voici la raison en peu de mots :

Je ne suis systématiquement ni protectionniste, ni libre-échangiste, je suis de ceux qui, avant tout, veulent et le bien-être du producteur, et le bien-être du travailleur et le bien-être du consommateur. Dans l'état actuel de la Belgique, que voyons-nous aujourd'hui ? D'une part, une pénurie, une cherté excessive des denrées alimentaires, une disette même, j'oserais dire, de certains objets de première nécessité ; d'autre part, une activité prodigieuse dans la plupart des branches de notre industrie, qui assure ainsi le travail de l'ouvrier.

Dans cet état de choses, l'équilibre entre les divers intérêts dont j'avais l'honneur de vous parler tout à l'heure, se trouve donc momentanément rompu.

Le projet de loi qui est soumis à notre discussion esl, à mon avis, un de ceux qui ont pour but de contribuer au maintien de cet équilibre. Je le répète, j'y donnerai mon assentiment.

Si, par suite des mesures que prendra le gouvernement, il advenait que les houilles anglaises vinssent à causer un préjudice trop considérable à nos charbonnages et qu'on laissât subsister ces mesures, alors, je le dis hautement, on me verrait sur la brèche pour les combattre, pour en demander le retrait. Pourquoi ? Parce que, fidèle à mes principes, je ne voudrais pas sacrifier au profit exclusif des consommateurs l'intérêt des producteurs, parce que je ne voudrais pas que le Hainaut notamment se trouvât placé dans la situation pénible où se trouvaient les Flandres, il y a quelques aimées, parce qu'enfin je ne voudrais pas que la nombreuse et intéressante population houillère vînt à manquer du pain ; et pour lui assurer du pain, il faut lui conserver du travail.

M. Delehaye. - L'état de prospérité dans lequel se trouve l'industrie houillère doit inspirer aux partisans d'une sage et intelligente protection la confiance la plus complète dans leur système.

Rien n'est plus propre à constater l'efficacité des mesures qu'ils ont constamment proposées que ce qui se passe aujourd'hui parmi nous. Grâce au système protecteur, vous pouvez sans danger aucun ouvrir aujourd'hui vos frontières à la concurrence anglaise.

Qu'aurait été cependant l'industrie houillère si, l'abandonnant à elle-même, méconnaissant l'appui dû à une industrie naissante, nous avions proclamé le principe du laissez faire laissez passer ?

Tenant compte de l’impatience de la Chambre, je n'examinerai pas aujourd hui la question de principe que soulève le projet en discussion ; essentiellement transitoire, ce projet ne sera de ma part que l'objet de quelques considérations qui nécessiteront une explication de la part du gouvernement.

On est généralement d'accord sur ces deux points, que, d’une part, le prix de la houille est excessif et que, d'autre part, la suppression de droits de douanes ne fera refluer vers notre marché que peu ou point d'arrivages.

Je me demande, dès lors, s'il est bien rationnel de se borner aux mesures indiquées.

J'ai indiqué quelques mesures à prendre pour remédier à cette pénurie.

J'en indiquerai aujourd'hui une autre qui peut avoir les meilleurs résultats. Le gouvernement, dans la combinaison de ses tarifs, a donné aux industriels la faculté de prendre des waggons en location. C'est ce qui a fait l'objet de l'interpellation de l'honorable M. Allard, pour donner aux négociants et industriels la certitude que les produits qu'ils pourront demander arriveront à leur destination.

Malheureusement cette faculté qui nous est accordée ne peut pas servir aux localités éloignées des centres de production ; on y met une condition très onéreuse et malgré cela on n'en retire pas les avantages qu'on en espérait.

Je suppose qu'un négociant de Gand prenne pendant dix jours la location de deux waggons ; il payera pour cette location 100 francs, s'il les emploie au transport de la houille, il payera en outre pour ce transport 205-65 au tarif spécial, ce qui fera 305-65 pour amener 2 waggons de houille du lieu de production.

Si, au contraire ce négociant croit pouvoir se passer de la garantie, de la certitude du transport des deux waggous dans un temps donné, et les fait transporter par waggon ordinaire au tarif ordinaire, il payera 234 fr. 65 c. Différence 71 fr. Vous comprenez tout l'intérêt qu'on a à avoir des convois multipliés pour que ce surcroît de dépense soit moins lourd.

Pour tirer quelque profit de cette faculté de location, au lieu de trois voyages il faudrait en faire cinq, six ; même avec quatre, nous éprouverions encore une grande perte, puisque nous payerions encore plus que par le tarif ordinaire.

Je prie donc M. le ministre de vouloir bien prendre des mesures de façon qu'on puisse faire cinq ou six voyages dans le délai de dix jours. Cela ne doit pas être impossible en organisant des trains de nuit ; puisqu'à Bruxelles on a jusqu'à dix voyages et parfois davantage. Ce sera une grande amélioration de ce qui existe actuellement.

L'observation que je viens de faire s'appliquerait aux industriels d'Alost aussi bien qu'à ceux de Gand. Quoique la ville d'Alost soit reliée au chemin de fer de l'Etat, elle se trouve dans l'impossibilité de recevoir plus de trois expéditions en dix jours ; il s'agirait donc d'établir un convoi supplémentaire pour la ville d'Alost. Les intérêts de Gand et d'Alost sont identiques, nous réclamons les mêmes avantages.

Vous comprenez que si le gouvernement s'opiniâtre à ne pas abaisser les péages, il doit nous permettre de retirer des tarifs actuels tous les avantages possibles.

J'ai signalé à M. le ministre l'inconvénient des mesures qu'il a prises il y a quelque temps ; en y refléchissant il acquerra la certitude que si les centres industriels étaient reliés aux lieux de production par d'autres voies que celles qui existent, c'est un motif pour accueillir les demandes de concession qui lui ont été adressées ; pour n'en citer qu'une seule celle du chemin de fer de Saint-Ghislain à Gand.

Il n'existe qu'un seul point sur lequel je suis en dissentiment avec M. le ministre des finances ; il nous a déclaré qu'il ne supprimerait pas les avantages accordés à l'exportation de la houille.

Je déplore une pareille résolution. Je demande s'il est rationnel, quand tout le monde se plaint de la pénurie de la houille, d'accorder des avantages au transport des houilles en destination de l'étranger et de refuser ces avantages au transport de celles qui sont en destination des Flandres.

(page 376) Je me contente de signaler ce fait : est-il logique, comprend-on que des avantages accordés aux étrangers soient refusés aux nationaux ? Je demanderai s'il est logique de maintenir, à l'égard des Flandres ; les autres provinces sont plus à portée des bassins houillers, je demanderai s'il est logique de maintenir, à l’égard des Flandres, des charges qu'on ne veut pas faire peser sur l'étranger ?

M. le ministre a dit que nous serions appelés à résoudre cette question quand nous statuerions sur le projet de loi annoncé.

Mais trois mois peuvent s'écouler avant que ce projet soit converti en loi, car il devra être discuté par le Sénat et soumis ensuite à la sanction royale.

Eh bien, nous serions donc pendant trois mois sous l'empire d'une loi qui accorde à l'étranger des avantages qu'on refuse aux nationaux, alors que toutes les industries sont en souffrance en Belgique et que partout on fait des sacrifices jour assurer du travail aux ouvriers, quand l'industrie de Gand souffre plus que toutes les autres et que malgré cela aucun industriel n'a cessé de faire travailler. Si les fabriques venaient à chômer ce serait à défaut de houille. Je demande que le gouvernement réfléchisse et examine si ce n'est pas une anomalie, une injustice de maintenir en faveur de l'étranger des avantages qu'on refuse aux nationaux.

M. Laubry. - Messieurs, c'est peut-être la première fois que nous ayons à traverser une crise comme celle que nous subissons aujourd'hui, mais pour être juste vous ne pouvez pas rendre l'industrie houillère solidaire d'une situation qu'elle n’a pas faite. Si le charbon est rare, si le peuple souffre de sa rareté, si l'industrie ne peut s'en procurer qu'avec beaucoup de peine, vous savez quelles sont les causes tout accidentelles de cette situation tout anormale et momentanée ; inutile donc, messieurs, de vous les expliquer.

Il y a là un mal passager, à ce mal je veux bien aussi qu'on porte un remède, mais je désire que ce remède soit appliqué avec beaucoup de prudence pour ne pas léser ou plutôt ruiner une grande industrie qui est une des principales branches de la richesse nationale, et qui donne du pain y compris les familles, à plus de deux cent mille personnes.

Je ne combattrai donc pas le projet du gouvernement, je lui laisse la responsabilité des mesures qu'il croira devoir prendre ; il connaît l'importance de l'industrie houillère, les capitaux qui y sont engagés, le nombre d'ouvriers qu'elle emploie ; sa position toute précaire est digne de la sollicitude du gouvernement, c'est assez pour que nous puissions compter qu'il fera tout ce qui sera en lui pour remédier au mal sans nuire aux grands intérêts de cette grande industrie. Il sait aussi que les diverses autres branches du commerce prospèrent ou déclinent suivant les vicissitudes que subissent les charbonnages.

Je voterai pour le projet de loi, comme mesure provisoire, mais en faisant toutes mes réserves pour l'avenir quant au principe.

Je me rallierais de préférence à toute proposition qui tendrait à faire réduire à six mois la durée de la loi. Je n'en dirai pas davantage, messieurs, car toute discussion me paraît prématurée pour le moment.

M. de Haerne. - Messieurs, lorsque j'eus appris les causes de la cherté de la houille, lorsque j'eus compris que cette cherté provenait de l'immense développement donné à certaines industries qu'elle alimente, ma première impression, fut un sentiment de bonheur. Je vis dans cette circonstance un événement tout providentiel, en ce que, au moment où des aspirations isolées pouvaient s'élever en faveur de l'étranger en invoquait certains intérêts matériels, ceux-ci trouvaient une satisfaction aussi complète qu'inattendue dans les besoins de la patrie. Cette heureuse circonstance faisait tomber en même temps les idées fausses que l’on aurait pu nourrir de l'autre côté de la frontière sur de prétendues tendances antinationales qu'aurait l'industrie belge. Elle faisait voir que dans l’état actuel, qui peut se prolonger pendant des années, nous pouvons nous passer de l'étranger, quant à l'industrie de la houille.

Je crois, messieurs, que ce sentiment sera parlagé par vous et par tous les Belges qui se sentent battre le cœur au nom de la nationalité, et pour lesquels le patriotisme n'est pas un vain mot, mais un principe, un sentiment, un besoin qui s'appuie sur la raison. Le côté politique du projet me paraît le plus sérieux.

Mais pourquoi faut-il que notre joie soit troublée par l'idée des privations que cet état de choses fait éprouver à de nombreuses classes de la nation ? Serait-il donc vrai que les peuples, pour se consolider, doivent passer par des épreuves et des souffrances ?

Quoi qu'il en soit, messieurs, hâtons-nous de consoler ceux de nos compatriotes qui sont si cruellement éprouvés par la faim et le froid, hâtons-nous d'apporter des remèdes à leurs maux.

Vous le savez, messieurs, la question qui s'agite devant vous est une question d'humanité.

En sollicitant la libre entrée des houilles étrangères, on n'a pas l'intention de prendre une mesure définitive, ni de trancher une question de principe. On veut aller au-devant d'un besoin vivement senti, on veut répondre à un vœu généralement exprimé dans le pays.

Il est vrai qu'on conteste l'utilité de la libre entrée ; ou prétend qu'elle ne produira aucun effet sensible.

En supposant qu'il eu soit ainsi, on peut se demander si la mesure proposée sera utile au point de vue politique, pour donner au moins une satisfaction à l'opinion publique. Je n'hésite pas à dire que, sous ce dernier rapport, la proposition me paraît bonne et utile. Mais je conviens que ce côté de la question est trop restreint, et qu'il faut tâcher, autant que possible, de donner plus d'efficacité à la mesure propose par le gouvernement.

A cet effet, la section centrale s'est demandé si, pour donner une plus grande portée au projet, il ne convenait pas de décréter par la loi la libre entrée. Cette question doit être résolue maintenant aux yeux de la majorité, depuis les explications données par M. le ministre des finances, explications qui me paraissent rassurantes, quant à moi.

Une autre question a été agitée dans la section centrale dont je faisais partie. On s'est demandé quelle est la véritable cause de la détresse que l'on éprouve en combustible. La cherté est-elle due au défaut de production, au défaut des moyens de transport, on à un vice dans le taux des péages ? Quelque opinion qu'on adopte sur ces questions, on ne peut raisonnablement s'opposer, dans le moment actuel, à la libre entrée de la houille étrangère. Quant aux péages à l'intérieur, on pourrait les réduire dans une certaine proportion, sans nuire au trésor. Je suppose que la houille anglaise arrive jusqu'à Bruxelles ; elle aura coûté au trésor la somme provenant du chef du péage sur l'Escaut. Si vous baissez le péage sur vos canaux et chemins de fer dans une certaine proportion, vous remplacerez sur le marché de Bruxelles ou sur tout autre la houille anglaise par la houille belge. Je ne pose pas de chiffres, mais je crois que la réduction sur nos voies de communication intérieure pourrait être fixée de manière à ce que la perte faite en faveur de la houille indigène ne fût pas supérieure à celle que vous êtes décidés à faire en faveur de la houille anglaise. Sacrifices pour sacrifices, j'aime mieux en faire pour mon pays, pour l'industrie nationale que pour un intérêt qui n'est pas le nôtre.

On objecte, je le sais, que les péages sur l'Escaut se payent par l'Etat belge pour les grains et autres denrées étrangères. Cela est vrai ; mais remarquez, messieurs, que ces péages pèsent sur la marchandise en raison de sa nature encombrante et que les frais de transport sont essentiels quant à la houille. Je voudrais donc une baisse de péage telle sur nos voies de communication que le sacrifice fût à peu près égal à celui que vous allez faire en faveur de l'Angleterre. Je crois que cette combinaison doit être laissée au pouvoir exécutif. Nous devrions lui en donner la faculté. A côté de la mesure en question, l'on a proposé la libre entrée des fontes. On s'est demandé s'il ne convenait pas de la décréter afin de rendre la houille plus abondante et de la mettre à la portée du consommateur, à la disposition de l'industrie.

La libre entrée de la fonte pourrait, il est vrai, opérer un bon effet, d'une manière indirecte, quant au but que nous voulons atteindre par la libre entrée des houilles étrangères ; car tout le monde sait que la production du fer et celle de la fonte en particulier absorbe une immense quantité de houille, ce qui gêne dans ce moment l'industrie et le foyer domestique. Mais, de même qu'en décrétant la libre entrée de la houille anglaise, on ne peut s'attendre à en voir venir dans le pays des quantités considérables, de même en décrétant la libre entrée de la fonte, on ne peut espérer d'en attirer des quantités quelque peu importantes. Donc aux yeux de la section centrale, la mesure a paru encore insuffisante.

Quant aux péages, je n'ai pas partagé, comme je le disais tout à l'heure, l'avis de la majorité. Je me suis abstenu en section centrale et je crois devoir m'abstenir encore sur la question de savoir s'il faut augmenter les péages différentiels accordés par arrêté royal en faveur du transport des houilles vers la Hollande. Il est évident que cette mesure, en restreignant l'exportation, tendrait à rendre la houille plus abondante sur le marché intérieur ; mais elle présente des inconvénients sur lesquels je désirerais m'expliqucr avant d'émettre un vote. Les traités et les ...

M. le président. - La Chambre paraît désirer que vous abrégiez vos observations. Un amendement vient d'être déposé.

M. de Haerne. — Cela prouve bien qu'on ne pourra, comme on semble le désirer, échapper à cette discussion. Je voudrais avoir connaissance de l'amendement.

M. le président. - Il est ainsi conçu :

« Hors les cas de convention internationale, existante à la date de la présente loi, la réduction des péages accordée aux houilles et fontes destinées à l'étranger est supprimée jusqu'au 1er janvier 1855.

« (Signe) Osy, Delehaye, Orban, Vilain XIIII, de Man d'Attenrode, Dumortier, de Perceval. »

La discussion générale continue. M. de Haerne désire-t-il continuer ?

M. de Haerne. - Je renoncerai volontiers à la parole, en attendant les développements de la proposition. Quand elle aura été développée, je verrai ce qui nm restera à faire.

Je me bornerai à ajouter que les industries des provinces flamandes, qui ont de plus en plus besoin de houille, trouveront dans la crise actuelle la preuve de la nécessité de conserver et de protéger, dans les circonstances ordinaires, ce précieux combustible, qu'elles se procureraient plus difficilement si, par un malheur que je n'ose prévoir, le pays perdait son indépendance. Alors, en effet, on verrait disparaître les entraves que la houille indigène rencontre à la frontière.

Alors, la houille anglaise nous faisant défaut, comme aujourd'hui, et la nôtre étant enlevée en plus grande quantité par l'étranger, l'état de l'industrie belge, qu'elle alimente, serait beaucoup plus précaire. Ici, comme vous voyez, messieurs, l'intérêt vient à l'appui du patriotisme. C'est une (page 377) circonstance comme celle dont je parlais en commençant, une circonstance dont les amis du pays ont à se féliciter. Les industries des provinces flamandes et celles des provinces wallonnes, en se protégeant les unes les autres, agissent dans leur intérêt réciproque, et atteignent en même temps un but tout patriotique. Aujourd'hui il s'agit d'une mesure provisoire ; l'industrie des houilles doit un sacrifice momentané aux autres industries, en attendant que celles-ci l'appuient plus tard à leur tour. L'union fait la force en industrie comme en politique.

Je tenais, messieurs, à expliquer mon vote, et à vous dire que je ne pourrais adopter le projet tel qu'il est, que par des considérations d'un ordre politique ; car de l'aveu de tout le monde, la loi n'aura pas d'effet sérieux, quant à l'intérêt matériel qu'elle tend à satisfaire. En nous plaçant à un point de vue politique, nous acquérons plus de force dans nos négociations commerciales avec un pays voisin, et nous faisons comprendre à la Belgique que nous ne la berçons pas du vain espoir d'une satisfaction impossible, mais que nous soignons ses intérêts dans l'avenir, intérêts que nous appuyons d'ailleurs sur le patriotisme et sur l'union des diverses industries qui fait une des forces vives du pays.

M. Orban, rapporteur (pour une motion d'ordre). - Les débats doivent se spécialiser au sujet de cet amendement. Si nous voulons donner un but utile et positif à la discussion, nous devons la faire porter sur l'amendement, car le principe lui-même de la loi n'est pas contesté, il est par conséquent inutile qu'il fasse l'objet de longs discours.

M. le président. - M. Osy, l'un des auteurs de l'amendement, est inscrit le second. M. Manilius, inscrit le premier, doit avoir la parole avant M. Osy.

La parole est à M. Manilius.

M. Manilius. - Je comprends que dans la situation où nous a placés la déclaration de M. le ministre des finances, il serait oiseux et quasi impossible de faire des discours de principe. Je me bornerai donc à déclarer que j'accepte, comme vient de le dire l'honorable rapporteur, la loi provisoire qui nous est présentée sous toute réserve.

Quant à l'amendement qui vient d'être déposé, il n'a pas encore été développé ; j'attendrai donc pour me prononcer définitivement. Je dirai seulement que je crains que nos conventions avec l'étranger ne soient contraires à un pareil amendement. Je dois d'ailleurs déclarer qu'au lieu de supprimer les faveurs de péages accordées à nos exportations vers l'étranger, il vaudrait beaucoup mieux, au moment où l'on veut permettre aux houilles anglaises de venir desservir le littoral en concurrence avec les charbons belges, d'accorder les mêmes faveurs de transport aux houilles du pays, tant du bassin de Mons que du centre et de Charlcroi.

Messieurs, nous payons, pour parcourir nos canaux, un droit beaucoup plus élevé que les étrangers. Si vous voulez permettre la concurrence sur notre littéral entre les houilles belges et les houilles de l'étranger, il faut établir des péages très modérés sur vos canaux, et c'est ce que vous ferez en nivelant ces péages pour les transports à l'intérieur du pays avec les transports à l'étranger. De cette manière vous ne rencontrerez plus aucune difficulté par suite des conventions existantes. Le gouvernement comprendra que si, par suite des besoins, par suite des nécessités du moment, vous imposez des sacrifices à votre industrie, il doit, par suite de ces mêmes nécessités et de ces mêmes besoins, favoriser les transports des produits de cette industrie.

M. le ministre a déclaré que, malgré la loi demandée, les charbons de l'étranger ne vous arriveraient pas. Il n'a eu raison que pour quelques jours, pour le moment où il y a pénurie de moyens de transport.

Car s'il manque ici du charbon en Belgique, il manque en Angleterre des navires pour nous en amener. Vous n'aurez de la houille anglaise que plus tard, et non au milieu de l'hiver, lorsque vous en avez le plus pressant besoin. Comment parer à ce mal reconnu par le gouvernement lui-même ? Le moyen est de laisser arriver, à des péages réduits, les houilles du centre du pays vers le littoral.

Messieurs, il n'y aurait dans une mesure semblable rien d'extraordinaire. Il y a cinq à six ans nous avons encore eu une disette de vivres et qu'avez-vous fait ? Vous avez déclaré libre le transport de céréales allant d'Anvers vers le Limbourg et le Luxembourg. Vous l'avez fait parce que, sans cela, il eût été impossible à ces parties du pays de se procurer des subsistances autrement qu'à des prix exorbitants et disproportionnés avec le prix de ces mêmes subsistances sur les autres points du pays.

Or, que demandons-nous aujourd'hui ? Nous demandons ce qu'a demandé l'honorable M. Delehaye dans son discours. Nous demandons que l'on fasse pour l'intérieur ce que l'on fait pour l'étranger.

Messieurs, je ne blâme pas ce qui a été fait. Je crois qu'on a très bien fait d'accorder une faveur aux producteurs de houille qui exportent leurs produits. Jamais je ne serai favorable à des entraves à l'exportation ; il faut, au contraire, toujours la favoriser ; car l'exportation de nos produits forme la richesse du pays. Ainsi, au lieu de réduire les avantages que l'on voudrait enlever à nos exportateurs, je crois qu'il faut les leur continuer ; mais je demande que les mêmes avantages soient accordés aux provinces du pays qui n'ont pas dans leur sein les produits houillers nécessaires à leur existence domestique et industrielle.

N'oubliez pas, messieurs, que le gouvernement reconnaît que ces provinces ne peuvent en ce moment obtenir les houilles de l'étranger.

Je me saisis de cette déclaration qui est sérieuse, qui est vraie pour le moment actuel, mais qui ne le sera plus dans quelques semaines, dans quelques jours peut-être. Dans la situation où nous sommes, votre loi n'est qu'une fantasmagorie. Vous n'aurez pas immédiatement du charbon étranger ; vous en aurez dans un temps donné, lorsque la disette ne se fera plus aussi vivement sentir. Mais dans l'intervalle n'est-il pas raisonnable de laisser profiter les Belges des avantages que vous faites à l'étranger ? Est-il juste que vous fassiez au département du Nord des faveurs que vous refusez aux riverains de l'Escaut qui ont les mêmes besoins ?

Peut-être le gouvernement repoussera-t-il l'amendement qui vient d'être déposé, mais j'espère qu'il ne combattra pas le moyen qui est le corollaire de cet amendement, car le but de l'amendement est de nous faire obtenir la houille à meilleur marché en empêchant l'exportation, tandis que je veux obtenir le même résultat en favorisant les transports à l'intérieur.

M. Osy. - Messieurs, j'aurais préféré une loi définitive à une loi provisoire.

M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - Vous l'aurez.

M. Osy. - Je le sais ; mais j'aurais préféré que des aujourd'hui nous eussions pu la discuter.

Messieurs, vous comprenez qu'il est de l'intérêt de la localité que nous, députés d'Anvers, nous représentons plus particulièrement dans cette enceinte, d'avoir la libre entrée des houilles pour son commerce et pour son industrie. Mais je ne me considère pas ici comme un représentant de notre ville commerciale ; je me considère comme le représentant de la Belgique entière, et sous ce rapport, si je donne mon assentiment à la loi que nous discutons en ce moment, je fais toutes mes réserves et je déclare que si je ne veux pas de droit prohihitif, je veux pour l'industrie des houilles comme pour toutes les autres industries un droit protecteur.

J'ai fortement contribué à faire admettre pour les céréales le droit d'un franc par 100 kil., parce que c'était un droit protecteur nécessaire pour cette grande industrie.

Quant à l'industrie charbonnière, je crois également que nous sommes obligés de lui donner un droit protecteur, d'autant plus que lorsque nous en reviendrons à des temps normaux, c'est-à-dire lorsque l'industrie n'aura plus dans un pays voisin cette activité exagérée qu'elle a aujourd'hui et qui lui fait demander des quantités énormes de houille, lorsque l'époque de la stagnation sera arrivée et que le fret sera abaissé, lorsque vous aurez des exportations de grains à Anvers et que les navires anglais pourront venir avec du charbon comme lest, je suis persuadé qu'alors nous importerons des houilles non seulement pour les industries d'Anvers et de Gand, mais que nous viendrons même approvisionner la capitale.

Je suis tellement convaincu de ce fait que, je le répète, je fais toutes mes réserves et lorsque le projet définitif sera présenté, je serai favorable à un droit protecteur modéré, par exemple 1 fr. 40, car je ne veux d'exagération en rien, mais je crois que nous devons accorder une protection à cette industrie.

Messieurs, il est vrai que pour le moment il y a partout disette de houille. Mais voyons d'où vient cette disette. Depuis le mois de mai vous avez une hausse de près de 1/3 sur les houilles et qui monte à 50 p. c. en y comprenant l'augmentation du fret. D'où provient ce fait ? De ce que le batelage a eu des transports très considérables et que le fret a été augmenté. Or cette hausse de 50 p. c. a fait que les industries et les particuliers ne se sont pas pourvus en temps nécessaire pour leurs approvisionnements et ont acheté de la houille au jour le jour. Voilà la vérité tout entière ; car, messieurs, depuis la motion de l'honorable M. Orban, j'ai pris des renseignements non seulement dans le Hainaut, mais aussi dans la province de Liège et dans les autres grands centres industriels du pays, et la vérité est que nous avons fait nos approvisionnements au jour le jour. Ceux qui ont beaucoup de capitaux engagés n'ont pas voulu en employer encore à s'approvisionner de houille pour un temps plus ou moins long.

D'un autre côté, messieurs, ne perdons pas de vue que l'hiver est excessivement précoce : depuis le 10 ou le 15 décembre, les canaux sont presque tous gelés. Enfin le matériel du chemin de fer est insuffisant, comme nous l'avons dit depuis nombre d'années.

Dans la dernière session M. le ministre des travaux publics a demandé un crédit de 4 millions ; il disait que si ce crédit n'était pas accordé il ne pourrait pas répondre du service dans le cas où l'hiver serait rigoureux et précoce et où les voies fluviales ne pourraient plus servir aux transports ; l'année dernière, l'hiver n'a pas été rigoureux, mais l'attention était attirée sur l'insuffisance du matériel et nons avons voté le crédit de 4 millions. Eh bien, je voudrais bien savoir combien de waggons il a été construit.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Six cents.

M. Osy. - Je crois qu'il n'y en a pas 350 qui soient prêts à faire le service.

Eh bien, messieurs, l'éventualité dans laquelle M. le ministre des travaux publics déclarait qu'il ne pourrait pas répondre du service, cette éventualité s'est réalisée : l'hiver est précoce et rigoureux, et le matériel du chemin de fer est insuffisant ; c'est de là que proviennent toutes les alarmes de l'industrie et des particuliers.

En 1851, dans le grand projet de travaux publics, nous avons voulu accorder 5 millions pour le matériel et pour d'autres travaux du chemin de fer ; cette proposition fortement appuyée par un ancien ministre des travaux publics, l'honorable M. Rolin, n'a pas été admise par le gouvernement ;; (page 378) je le regrette vivement, car, si elle avait été adoptée, elle aurait permis de créer un matériel plus considérable.

Maintenant, messieurs, aussitôt que la loi sera votée, le gouvernement décrétera la libre entrée ; mais, pendant bien des mois encore, cette libre entrée sera une lettre morte : les houilles sont tellement demandées aujourd'hui, en Angleterre, que ce pays a abandonné les marchés de Rouen et d'une partie du département de la Seine et que nous avons pu reprendre notre place sur ces marchés. Eh bien, dans un moment pareil, pouvons-nous espérer recevoir des houilles étrangères ? Pour moi, je ne me fais pas illusion, je dis que, d'ici à quelque temps, il ne nous viendra pas un hectolitre de houille de l'Angleterre. Vous aurez des houilles anglaises, messieurs, lorsque l'industrie sera stagnante et alors vous en aurez tellement que vous en serez inondés, car, nous le savons tous, l'Angleterre exploite à beaucoup meillcur compte que nous ; les Anglais ont la houille à ras de terre et ils peuvent la transporter directement sur les navires de mer, sans frais de transport ; on n'a qu'à tourner le waggon et la houille est chargée sur le navire de mer ; chez nous, au contraire, nous avons de très grands frais pour venir des houillères aux ports de mer.

On dira, messieurs, que ie fret est très élevé et que les navires anglais ne viendront pas ; mais il ne faut pas confondre le fret des grands navires qui vont aux Indes avec le fret des navires qui viendront nous apporter des houilles anglaises et qui sont des navires de cabotage ; il y a bien quelque hausse également sur ce dernier fret, mais cette hausse est loin de pouvoir empêcher que les Anglais ne viennent, dans un temps donné, nous amener de la houille. Ils viendront chercher du grain, et, au lieu de prendre pour lest, du sable, ils prendront de la houille ; ils approvisionneront non seulement le littoral, mais nous, Anversois, quand nous recevrons de la houille anglaise, nous en enverrons à Bruxelles et dans d'autres parties du pays.

Je dis donc, messieurs, que ce qu'on nous propose sera pour le moment une lettre morte, mais que plus tard il en résultera un très grand mal. Ne perdons pas de vue que l'industrie charbonnière emploie un nombre considérable d'ouvriers. J'ai lu avec attention le rapport sur la situation de la province du Hainaut, et j'ai vu que dans les trois bassins de cette province le nombre d'ouvriers employés aux charbonnages, qui était en 1838 de 25,000, est aujourd'hui de 37,000. En 1838 l'exportation de ces trois centres n'allait qu'à un peu plus de 2 millions de tonneaux ; aujourd'hui elle dépasse 5 millions de tonneaux.

Maintenant on se plaint de l'extrême élévation des prix ; eh bien, examinons ce qui s'est passé sous ce rapport depuis 15 ans.

En 1838 le prix moyen dans le Hainaut était, sur le carreau, de 13 fr. et quelques centimes ; en 1832 il est tombé à 8 fr. 5 centimes, de sorte qu'il y a eu en quatorze ans une baisse énorme en même temps que l'exportation a plus que doublé. (Interruption.)

On me dira peut-être, messieurs, que, comme député d'Anvers, je dois être free trader ; je réponds à cela que je suis député de la Belgique, que je ne connais que l'intérêt du pays et je pense que mes honorables collègues me sauront gré de dire franchement mon opinion. (Interruption.)

Il doit m'être permis de dire pourquoi je me rallie au projet de loi et sans quelles réserves je le fais. Il me paraît que la question est assez importante.

Je dis donc qu'en examinant froidement la situation, les prix actuels sont encore au-dessous des prix de 1838.

Nous avons trois tarifs pour la houille ; d'abord le droit prohibitif de 14 fr. 80 pour la houille qui vient de l'étranger ; puis le tarif de 3 fr. 30 pour la houille qui vient de France ; enfin le tarif d'un franc pour la houille prussienne qui vient dans le Luxembourg. L'importation dans le Luxembourg est insignifiante : en 1832, 1,000 tonneaux qui ont produit une recette de 1,000 fr. De France les importations ne sont pas considérables ; on a importé de France, en 1852, 7,000 tonneaux qui ont produit une recctle de 20,000 fr.

Il me resterait à parler de l'amendement que j'ai eu l'honneur de signer avec d'honorables collègues, et que l'honorable M. Orban développera complètement.

J'ai déjà parlé de cette question, quand il s'est agi une première fois de l'entrée des houilles. Alors je me suis dit comment il était possible de demander la libre entrée, quand on donne une prime de 2 fr. 50 sur le canal de Charleroi à l'exportation ? C'est un non-sens que je ne pouvais et que je ne puis pas encore m'expliquer.

J'espère que la Chambre adoptera l'amendement que nous avons déposé ; et j'espère aussi que le gouvernement finira par s'y rallier.

M. Orban, rapporteur. - Messieurs, je viens appuyer une proposition adoptée par la section centrale, non pas à la majorité de quatre voix contre trois, comme l'a dit l'honorable M. Delehaye, mais à la majorité de quatre voix contre une ; cette proposition tend à supprimer les primes dont jouissent les charbons à l'exportation.

Le problème que vous avez à résoudre n'est pas autre, n'a pas moins de gravité que celui que vous avez discuté récemment à l'occasion de la crise alimentaire.

De même que les céréales font défaut dans le pays et qu'elles se vendent à des prix exorbitants, de même le combustible fait en ce moment défaut et se vend à un prix excessif. Les conséquences de cette position anormale ne sont pas moins graves pour le pays que celles qui résultent de la disette des céréales.

En effet, indépendamment de la gêne qu'elle crée, au point de vue des besoins de la consommation domestique, si je puis m'exprimer ainsi, elle vous expose à voir entraver l'activité de l'industrie, et cesser ainsi le travail national au moment où le travail est le plus indispensable.

Messieurs, lorsque vous vous êtes occupés dernièrement, avec tant de sollicitude, de la question alimenlaire, lorsque vous avez discuté les mesures nécessaires pour y porter remède, qu'aurait dit le pays si on avait proclamé d'avance que les mesures dont vous vous occupiez n'apporteraient aucun remède à la situation ? Qu'aurait-on dit si vous en aviez proclamé d'avance l'inefficacité ? On vous aurait accusés, avec raison, de faire un éclat inutile.

Eh bien, c'est précisément ce qu'on pourrait dire de vous aujourd'hui, si vous vous borniez à adopter la mesure qui a été proposée par le gouvernement.

En effet, que vous propose-t-on pour venir obvier à la crise résultant de la disette et de la cherté du combustible ?

On propose de décréter la libre entrée des houilles ; mais en même temps on vous annonce que, dans le moment actuel, la libre entrée n'aura aucun effet, qu'elle ne fera pas entrer du charbon étranger dans le pays. Ainsi après que vous aurez adopté cette mesure la position restera absolument la même ; vous aurez discuté et voté le projet de loi présenté par le gouvernement et vous n'aurez rien fait pour le pays.

Messieurs, je crois que la Chambre doit prendre un autre rôle ; elle doit, pour faire face aux besoins de la situation, aller beaucoup plus loin, faire quelque chose, en un mot.

J'ai dit que la question du combustible n'était pas autre que la question des céréales elle-même.

Lorsque vous vous êtes occupés de cette grave question, vous avez, pour faire face au déficit de la production d'une partie des denrées alimentaires, voté leur prohibition à la sortie, cédant à cette conviction que le meilleur moyen de parer au déficit, c'était d'empêcher l'exportation de ce que nous possédions.

Si vous n'avez pas étendu cette mesure aux céréales, c'est parce que vous avez craint que la prohibition à la sortie n'eût pour conséquence d'empêcher les importations. C'est l'unique cause pour laquelle vous n'avez pas applique aux céréales la mesure que vous aviez prise pour les pommes de terre. C'est une chose manifeste et qui résulte de toute la discussion.

Eh bien, nous ne vous demandons pas de prohiber l'exportation du charbon à la sortie ; nous ne vous le demandons pas, parce que l'industrie que frapperait cette mesure est habituée à des procédés plus doux. Que l'on avilisse les produits de l'agriculturen à la bonne heure ! à la bonne heure, cela ne concerne que de pauvres' cultivateurs. Mais toucher aux dividendes des opulents propriétaires de charbonnages, ce serait trop demander.

Cependant, il faut bien le rcconnaître, cette mesure serait efficace et serait la seule efficace. Car il est évident que si le charbon fait défaut à la consommation intérieure, ce n'est pas qu'il en manque dans le pays. La Belgique est le pays du monde qui, eu égard à sa population et à son étendue territoriale, produit le plus de houille. Sous ce rapport, elle vient même avant l'Angleterre, et nous en produisons plus qu'une grande nation voisine dont la population est presque décuple de la nôtre. Pourquoi donc n'en avons-nous pas assez pour nos besoins les plus indispensables ? C'est parce que nous l'exportons et que nous l'exportons, sans mesure, dans les pays voisins.

Et cependant nous ne demandons pas qu'on étende à l'industrie charbonnière les mesures qui ont été prises pour l'industrie agricole ; mais ce que nous vous demandons c'est une mesure tendant au même but et contre laquelle aucune objection raisonnable n'est possible ; nous vous demandons au moins de faire cesser les faveurs dont l’industrie charbonnière jouit à l'exportation.

Evidemment les primes, en tout état de chose, sont une mauvaise mesure. Elles ne peuvent se justifier que par le besoin de protéger une industrie, de lui procurer une aide indispensable pour l'écoulement de ses produits.

Eh bien, les exportations ont-elles besoin en ce moment d'être encouragées, les charbons ont-ils besoin de primes à la sortie ? l'industrie dont il s'agit éprouve-t-elle des besoins de cette aide que l'on prête aux industries naissantes ou souffrantes ?

A cette question je défie que l'on réponde autrement que par une négation.

Loin qu'il soit nécessaire de favoriser l'exportation de la houille vers l'étranger, n'est-il pas évident que cette exportation est la seule cause de la crise que nous subissons, et que si la houille, exportée aujourd'hui, restait dans le pays, vous n'auriez pas à examiner la grave question qui vous préoccupe en ce moment à si juste titre ? Le bon sens ne se révolte-t-il pas à la seule idée que le charbon que l'étranger nous enlève est traité plus favorablement sur nos voies navigables que celui qui se dirige vers l'intérieur, qui est destiné à nos établissements industriels, qui est destiné à satisfaire aux besoins impérieux de la consommation ?

Le besoin de pourvoir à la pénurie de houille est impérieux, cela est incontestable, et la preuve, je la trouverai au besoin dans les propositions qui ont surgi au milieu de cette crise ; on a demandé de permettre, la libre entrée des fontes étrangères dans le but de ralentir la production de la fonte à l'intérieur et la consommation de combustible qu'elle entraîne.

Cette grave question, je ne veux ici la traiter ni la préjuger dans ce moment, je constate seulement que ceux qui l'ont mis en avant étaient guidés par des motifs sérieux et qui ontparu dignes de l'attention publique.

(page 379) Je ne préjuge pas, encore une fois, une mesure qui tendrait à ralentir une branche du travail national, pour augmenter la quantité de combustible nécessaire à d'autres besoins, à d'autres industries.

Mais je veux seulement dire que si l'on a pu penser à prendre de pareilles mesures, à combien plus forte raison devez-vous accueillir une proposition qui tend à réduire la consommation que l'industrie étrangère fait de notre combustible pour le réserver pour les besoins du pays.

Messieurs, la question des péages a été agitée comme moyen de réduire le prix du combustible.

On s'est demandé de quelle façon on pourrait obvier à la crise actuelle en touchant aux péages. Dans ce but on a proposé de réduire les péages sur les voies navigables et les prix de transport sur le chemin de fer pour les houilles destinées à l'intérieur.

Il est, messieurs, une autre manière d'arriver au but que l'on se propose, c'est d'élever ces mêmes péages sur certaines voies au lieu de les réduire pour toutes. Comme nous croyons l'avoir démontré, on arrivera plus sûrement à réduire le prix du combustible par l'emploi de ce dernier procédé que par la réduction générale des péages à l'intérieur ; mais au point de vue des intérêts du trésor, qui constituent une autre question dominante du moment, la différence entre les deux mesures est immense. L'une, celle que je repousse aurait pour résultat de priver le trésor d'une de ses ressources les plus importantes et les plus légitimes, et l’autre, au contraire, tout en venant en aide aux nécessités du moment, créerait pour le trésor une nouvelle et précieuse ressource en lui restituant la portion importante des péages dont il fait la remise aux charbons exportés.

On viendra dire peut-être que de semblables mesures provoqueront des réclamations de l'étranger, qu'elles viendront troubler l'harmonie des relations internationales et des traités existants. Vaine objection ! messieurs.

En effet, quand les gouvernements étrangers vous accordent la faculté d'introduire vos produits chez eux, c'est bien une faveur qu'ils entendent vous accorder, et cette faveur est d'autant plus grande que les droits sont moins élevés.

C'est un sacrifice qu'ils s'imposent en votre faveur ; or, messieurs, je conçois qu'ils se plaignent de ce que par des primes, par des mesures de faveur vous favorisiez cette importation dans une mesure plus grande que celle que comportaient les traités, mais assurément ils ne se plaindront pas que vous restreigniez l'importation, que vous n'usiez qu'en partie des faveurs qu'ils vous ont accordées.

Messieurs, je crois que les raisons à l'appui de notre proposition ne sont pas de nature à être réfutées, qu'il est incontestable que la mesure proposée par le gouvernement est inefficace ; il est incontestable aussi que celle que j'ai proposée est la seule qui puisse avoir immédiatement des résultats. En vous la proposant nous n'éprouvons qu'un regret, c'est de ne point en entrevoir qui répondent plus complètement aux nécessités de la situation.

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Messieurs, je tâcherai de faire voir le plus brièvement possible que la mesure qu'on propose serait à la fois injuste et incomplète, et que par conséquent elle ne saurait être adoptée dans les termes dans lesquels elle est conçue.

C'est une singulière position que celle où nous nous trouvons ; c'est la première fois qu'on entend des plaintes amères de la trop grande prospérité de l'industrie houillère. En effet, naguère les doléances en sens inverse étaient presque aussi vives pour faire accorder des avantages à cette industrie dans les pays étrangers.

Maintenant on se plaint que les faveurs accordées à cette industrie sont trop grandes, que les traités conclus avec la Hollande et avec la France portent préjudice au pays, qu'il faudrait presque fermer ces débouchés à l'industrie des houilles.

Que veut l'honorable préopinant ? Il veut qu'on fasse cesser la réduction de péage consentie pour un terme limité sur les canaux et rivières qui portent les charbons vers la Hollande, car ces réductions de péages ne s'appliquent pas à la France. L'honorable membre a très bien compris que cette proposition blessait les traités internationaux.

En effet, dans le traité fait avec les Pays-Bas se trouve stipulée une réduction de 50 p. e. sur le canal de Bois-le-Duc à Maestricht et sur le canal de Terneuzen. De telle sorte que les charbons entrant en Hollande par ces canaux venant du bassin de Liège et du Couchant de Mons jouissent de cette réduction. On ne peut donc pas toucher à la réduction, attendu qu'elle fait partie d'un traité international. Les auteurs ont oublié qu'indépendamment de ce traité il existe des conventions privées tout aussi respectables, notamment avec les concessionnaires de la Sambre vers l'Oise et du canal de jonction.

Il a été fait par le gouvernement, en vertu de la loi du 1er septembre 1840, une convention avec les concessionnaires de la Sambre canalisée et du canal de jonction, en vertu de laquelle il est stipulé une réduction de 50 p. c. du droit existant sur la Sambre canalisée. Je dis qu'il est aussi impossible à un arrêté royal qu'à une loi de faire tomber ce contrat. Il a été conclu légitimement par le gouvernement en vertu d'une loi expresse, il doit être respecté.

L'effet de cette loi ne cessera qu'au mois de septembre 1854. En dehors de ceux que je viens d'indiquer, et dont les péages ne sauraient être relevés, il n'y a que le canal de Charleroi et celui de Mons à Condé sur lesquels le charbon transporté vers la Hollande jouisse d'une réduction de péages ; c'est en vertu de la loi du 31 décembre 1851 qu'un arrêté royal accorde la jouissance de cette réduction jusqu'au 31 décembre 1854 ; la réduction sur ces canaux doit donc durer encore un an.

Ce n'est qu'à ces deux canaux que pourrait s'appliquer l'amendement de l'honorable membre, toute autre disposition blesserait des contrats. Réduite à ces termes, la proposition que nous discutons peut-elle être juste ? Je dis qu'elle ne l'est pas. En effet, je n'examinerai pas si un gouvernement ne serait pas plus heureux de ne concourir ni à la construction des routes ni à celle des canaux et d'abandonner le tout à l'industrie privée, comme aux Etats-Unis.

Ce système n'est pas celui qui est pratiqué en Belgique. Mais à coup sûr, quand on suit une route tout opposée, on ne peut, sans injustice, détruire l'équilibre entre les bassins houillers, on ne peut faire des travaux qui favoriseraient les uns au détriment des autres.

M. de Mérode. - On le fait constamment.

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Si on le fait, on le fait sans le savoir ; car depuis que nous existons comme nation, on a constamment cherché à ménager tous les intérêts. Or l’amendement proposé détruit cette règle d'équité.

En effet, si vous l'adoptez, c'est déclarer que le bassin de Liège et les houilles qui passent par la Sambre jouiront seuls d'une réduction de 50 p. c. et que les autres houilles payeront le péage intégral.

Est-ce juste ? Je vous le demande. C'est en opposition avec la ligne de conduite que nous n'avons cessé de suivre bientôt depuis un quart de siècle.

Cette mesure incomplète n'attendrait même pas son but ; en effet de Mons on exporte vers la Hollande ; quoi ? 24,000 tonnes. C'est donc le bassin de Charleroi et le Centre qui seront seuls frappés. Eh bien, chose singulière ! ce sont précisément ces bassins qui viennent aujourd'hui vous demander l’abaissement des péages sur ces canaux et rivières, attendu, dit-on, que l'équilibre est déjà blessé à leur détriment. Avouons que c'est un singulier moyen de faire taire ces plaintes que d'aggraver la position de ces industriels.

Voilà un des résultats de l'amendement.

Je viens de vous faire remarquer qu'il faudrait dans tous les cas qu'on ajoutât à l'exception que prévoit l'amendement, les houilles exportées par la Sambre canalisée. Qu'en résultera-t-il ? C'est que ces houilles se présenteront sur le marché français à des conditions plus favorables que les houilles venant du couchant de Mons. Les premières jouiraient d’une réduction de 50 p. c. sur les péages, dont les secondes ne jouiraient pas.

Voilà une seconde conséquence de la proposition, non moins fâcheuse que la première.

Tout cela prouve, messieurs, que ce n'est pas à l'occasion d'une loi purement de circonstance que des questions de cette nature doivent être soulevées et résolues. Dans trois semaines vous l'examinerez à fond ; vous pèserez mûrement tous les intérêts et vous verrez s'il y a quelque chose à innover.

Je demande donc que la Chambre n'introduise pas dans une loi purement temporaire la disposition qui vous est proposée.

M. Delehaye. - Messieurs, pour combattre la proposition en question, M. le ministre nous dit qu'il faut respecter les conventions faites en vertu de la loi. Je suis de son avis ; il ne faut jamais annuler les stipulations faites conformément à la loi. Aussi, je rappellerai les paroles de M. le ministre des finances, lorsque nous discuterons le projet de loi sur les distilleries. Là, nous verrons que les industriels, sous l'empire de la loi, ont fait des conventions que le projet de loi ne cherche guère à respecter.

Pour moi, messieurs, je conviens que les arguments de M. le ministre des finances contre la proposition ne sont pas sans valeur ; ils m'engagent à modifier la proposition et à y substituer un système que la logique et l'équité vous obligent à admettre.

Il faut que la position du consommateur étranger soit assimilée à celle du consommateur indigène. Vous ne pouvez pas vouloir que des faveurs soient accordées au premier qui seraient refusées au second. Et puisque des conventions vous défendent de supprimer la faveur accordée à l'étranger, étendez-la au pays, et que nous aussi nous puissions en jouir. Je sais que le trésor aura à souffrir de la mesure, mais puisque vous reconnaissez qu'il y a disette dans quelques endroits et cherté excessive partout, ne vous bornez pas à faire une loi qui, d'après votre aveu, ne saurait rien produire.

Soyons conséquents, attaquons le mal en face, et faisons droit à une réclamation que nous avons reconnue fondée.

M. Dechamps. - J'étais disposé à respecter la décision que la Chambre me paraissait avoir prise tout à l'heure sur la motion d'ordre proposée par l'honorable ministre des finances. J'avais compris que, vu le peu de temps qui nous reste pour discuter la question qui nous est soumise, pour ne pas étrangler une telle question entre la discussion qui vient de s'ouvrir et le vote du lendemain, la Chambre voulait écarter toutes les propositions qui ne se lient pas directement à la mesure exceptionnelle et toute de circonstance qui nous occupe, et qu'en faisant toutes réserves on ajournerait toutes les questions de principe qui se rattachent à la législation permanente, à la discussion qui aura lieu prochainement sur le projet de loi annoncé par M. le ministre des finances.

En effet, l'industrie de la houille, l'une des plus importantes dn pays, qui produit en valeur créée un capital de 35 millions de francs et (page 380) distribue 25 millions de salaires à 50,000 ouvriers belges, une telle industrie a droit à quelque déférence et tout au moins à l'honneur d'une discussion sérieuse et approfondie, sous l'empire de circonstances normales qui nous laissent la liberté de nos appréciations et l'impartialité de nos jugements, et non sous la pression de ce que M. le rapporteur a nommé les manifestations du sentiment public.

Messieurs, je suis tout préparé à entrer dans le débat ; mais je désire respecter la décision que je croyais que la Chambre avait prise. Toutefois c'est à une condition : j'ai fait dans ma section et dans la section centrale une proposition relative aux péages et qu'on a déjà tout à l'heure commencé à discuter. Or, cette question des péages est tout aussi actuelle, se rattache plus directement à coup sûr au projet de loi relatif à la libre entrée des houilles que la proposition défendue par l'honorable M. Orban.

En effet, messieurs, au mal dont on se plaint et dont je ne veux pas en ce moment apprécier les causes, quels sont les remèdes possibles ? Je n'en connais que trois : permettre la libre entrée des houilles anglaises ; prohiber ou entraver la sortie, et personne n'a encore osé faire une pareille proposition ; réduire les péages sur le chemin de fer et sur les canaux à l'intérieur, afin d'enlever les obstacles entre la production et la consommation. Je ne connais que ces trois remèdes.

Maintenant si la Chambre admet la proposition qui vous est soumise pour le retrait des faveurs qui sont accordées pour favoriser l'exportation de la houille, évidemment, la Chambre devra me permettre aussi de produire la proposition que j'avais faite à la section centrale relativement à une réduction de péages sur les chemins de fer et sur les canaux. Messieurs, n'oubliez pas un fait, c'est qu'à l'heure qu'il est, pendant l'interruption de la navigation, notre tarif pour les houilles est de 40 centimes par tonne-lieue, tandis que le chemin de fer du Nord effectue les transports de houille par abonnement à 16 ou 17 centimes par tonne-lieue. Ainsi quand je demandais une réduction de moitié, je ne faisais pas une chose extraordinaire, une chose exorbitante ; je demandais que l'on transportât la houille sur notre chemin de fer à un prix supérieur de plus de moitié à celui que le chemin de fer du Nord considère comme rémunérateur.

Messieurs, comme ma proposition en définitive consisterait à demander que le gouvernement fût autorisé à opérer cette réduction sur les péages d'une manière temporaire, il est clair que si le gouvernement combat ma proposition, s'il refuse de se servir de l'autorisation que la Chambre lui accorderait, ma proposition devient inutile, et je ne commettrai pas la faute de la produire et de la compromettre dans une discussion incomplète. Mais je le répète, c'est à la condition que la proposition de l'honorable M. Orban soit écartée comme la mienne.

Messieurs, je dirai quelques mots pour combattre la proposition que nous discutons en ce moment.

L'honorable ministre des finances s'est borné à rappeler les faits, et il suffit de constater ces faits pour que tout l'échafaudage du raisonnement, des arguments de l'honorable M. Orban vienne à s'écrouler complètement.

En effet, l'honorable M. Orban vous disait tout à l'heure que la proposition du gouvernement serait inefficace, à cause du haut prix du fret en Angleterre.

L'honorable membre oublie probablement que c'est lui qui a provoqué la présentation du projet du gouvernement.

C'est l'honorable M. Orban qui, il y a quelques jours, a pris l'initiative d'une interpellation pour imposer au gouvernement l'obligation de présenter un projet de loi sur la libre entrée des houilles comme l'unique remède qu'il connaissait.

J'avoue que je ne croyais pas que l'honorable membre eût fait justice si promptement et avec tant de résignation, avec tant d'humilité, de la proposition qu'il a provoquée il y a quelques jours. Mais je vous ferai remarquer que si cette proposition à ses yeux est aujourd'hui inutile, celle dont il demande aujourd'hui l'adoption par la Chambre aura précisément le même résultat ; et je suis très convaincu que lorsque l'honorable M. Orban aura mis quelques jours de réflexion pour examiner la proposition qu'il nous fait, il aura de cette proposition la même opinion qu'il a maintenant de celle qu'il a provoquée il y a quelques jours.

En effet, messieurs, la proposition de retirer les faveurs que l'on a faites à l'exportation aurait comme inconvénient d'être inutile pour le présent et d'être dangereuse pour l'avenir. M. le ministre des finances a ajouté qu'elle serait injuste.

Elle serait inutile, et il suffit de connaître les faits pour en être convaincu. En effet, la loi qui est relative aux faveurs faites à l'exportation des houilles ne concerne d'abord, en aucune manière, le canal de Mons à Condé, pour les exportations vers la France. En second lieu, M. le ministre des finances vient de rappeler que des traités existent, qui empêchent une mesure pareille d'avoir un résultat quelconque, et sur le canal de Terneuse, et sur le canal latéral à la Meuse qui rattache le bassin de Liège à la Hollande. En troisième lieu, il vous a rappelé que pour la Sambre française, il existe des conventions spéciales avec la compagnie du canal de jonction, qui interdisent au gouvernement de prendre la mesure que l'on défend, sur la Sambre canalisée.

Restent donc le canal d'Antoing et le canal de Charleroi, pour les exportations vers la Hollande.

Or, pour le canal de Mons à Condé, M. le ministre des finances vient de rappeler que les exportations vers la Hollande ne sont que de 24,000 tonnes ; et quant aux bassins de Charleroi et du centre, ils n'exportent rien vers ce marché, depuis la hausse dans le prix du combustible.

Je ne parle pas de l'interruption de la navigation qui existe en ce moment et qui rendrait la mesure inefficace, mais je parle des derniers mois qui ont précédé cette interruption. Ces bassins n'exportent rien ou presque rien vers la Hollande, par une raison très simple, c'est que la consommation à l'intérieur où les prix de vente sont beaucoup plus rémunérateurs qu'à l'étranger, absorbe complètement la production.

Messieurs, l'honorable M. Orban vous a dit que la cause du mal dont on se plaint, la cherté de la houille, provenait surtout d'une exportation anormale.

Messieurs, cette exportation anormale n'a en lieu dans ces derniers temps que vers le marché français, et cela par une raison que l'honorable M. Osy a rappelée, c'est que les charbons anglais, à cause du fret élevé, ont abandonné depuis quelques temps le marché de Rouen, d'Elbeuf et du littoral, et y ont laissé une place dont le charbon belge s'est naturellement emparé.

Ce sont donc le bassin de Mons et le bassin de Charleroi qui sont uniquement ici en cause. Si la proposition devait apporter un remède quelconque à l'état de choses actuel, elle devrait s'appliquer aux exportations du bassin de Mons vers la France. Or, la loi qui accorde des faveurs à l'exportation ne concerne pas le canal de Mons à Condé pour les exportations vers la France. En second lieu la mesure proposée n'est pas applicable à la Sambre française, parce qu'une convention existe, non pas une convention, comme celle dont a parlé l'honorable M. Delehaye, conclue entre l'Etat et les particuliers, mais une convention faite entre l'Etat et une compagnie constituée, ce qui est tout différent.

Ainsi, messieurs, la mesure proposée par d'honorables collègues serait inutile pour le présent.

Elle serait plus dangereuse encore pour l'avenir. En effet, il est une chose qui a le droit d'étonner, c'est la manière plus que légère dont quelques-uns apprécient les conditions d'existence de cette grande industrie : la production de la houille en Belgique est de six millions de tonnes, elle excède la consommation ordinaire de deux millions de tonnes ; ces deux millions de tonnes doivent être exportées, à moins que vous ne vouliez déprimer la production et augmenter ainsi le prix de revient.

La production de la houille, par une progression constante et rapide, s'est accrue, depuis 1834, de près de 170 p.c. et dans le bassin de Charleroi, de plus de 200 p. c ; or, dans un temps normal, pour une industrie qui a un excédant du tiers de la production totale, la préoccupation du gouvernement et des chambres doit être bien moins de satisfaire aux besoins des consommateurs qui n'ont aucune crainte à concevoir, que de maintenir les débouchés existants et d'en ouvrir de nouveaux.

Aussi, toujours dans nos négociations avec la France et avec la Hollande, tous les ministères ont dirigé leurs efforts dans ce but.

La France et le Zollverein ne sont pas dans une aussi belle position ; ils ne produisent que 4 à 5 millions de tonnes de charbon, pour une population 5 ou 8 fois plus considérable.

Au lieu d'une production exubérante comme chez nous, il existe dans ces deux pays un déficit permanent et considérable dans la production. Je concevrais donc qu'en France et en Allemagne on demandât non seulement la libre entrée temporaire, comme nous allons la décréter aujourd'hui chez nous ; mais je comprendrais qu'on agitât la question de savoir s'il ne faut pas admettre la libre entrée comme système définitif.

Or, que fait la France, que fait l'Allemagne ? Dans le moment où nous discutons, la houille y est aussi rare et aussi chère que chez nous ; y songe-t-on à faire passer subitement l'industrie houillère du système de la prohibition sous lequel elle aurait vécu depuis 30 ans, de la faire passer à la libre entrée sans transition, sans ménagements, sans aucune compensation en ce qui concerne les charges qui pèsent sur le prix de revient et sur les transports à l'intérieur ? Songe-t-on en France et en Prusse à proclamer même la libre entrée provisoire, sous l'empire des circonstances impérieuses du moment ?

Non, messieurs, malgré l'intérêt politique qu'a la France de consolider son alliance avec l'Angleterre par des avantages commerciaux, le gouvernement n'a procédé à la réforme de son tarif sur les houilles et sur les fers qu'avec de grands ménagements ; il conserve sur les houilles un droit de 3 fr. 30 c. par tonne sur la zone maritime. La Prusse frappe toujours nos houilles d'un droit de 6 fr. par l,000 kil., elle laisse tomber notre traité politique de 1845, pour relever ses droits sur la fonte à 25 francs sur toutes ses frontières.

Si l'on proposait dans ces pays la libre entrée, même provisoire, par quelles clameurs et par quelle résistance ne croyez-vous pas qu'une telle mesure serait accueillie ? Cela prouve une fois de plus que les conservateurs en Belgique, en matière commerciale comme en matière politique, sont plus libéraux que ceux qui ailleurs revendiquent ce titre.

Je demande, messieurs, que la Chambre écarte la proposition de l'honorable M. Orban ; sans cela, nous devrons, mes honorables collègues de Charleroi et moi, reproduire la proposition relative aux péages que nous pouvons justifier par des raisons beaucoup meilleures que celles qui servent d'appui à la proposition de l'honorable M. Orban. Je demande l'ajournement de cette proposition jusqu'à la discussion du projet de loi définitif.

M. Allard. - J'ai demandé la parole pour répondre à M. le ministre des travaux publics. M. le ministre n'a pas bien compris mon (page 381) interpellation lorsque j'ai fait connaître que les waggons de l'Etat ne peuvent plus arriver directement aux fosses. Les waggons de l'Etat arrivent à Manage, et c'est là que les charbonnages doivent transporter leurs houilles pour les charger sur ces waggons.

Or, messieurs, tous les charbonnages du Centre se trouvent, en moyenne, à une lieue et demie de Manage. Je demande que M. ie ministre continue de laisser venir les waggons jusqu'aux fosses ; je ne demande pas que tous les waggons y arrivent, mais je demande que le Centre continue à être traité comme il l'a été jusqu'ici. Le Centre est appelé en ce moment-ci à livrer tout le charbon nécessaire au nord de la Belgique ; Mons envoie tous ses charbons en France par les waggons du chemin de fer du Nord ; Liège et Charleroi consomment les leurs sur place ; c'est donc le Centre qui doit avoir tous les waggons nécessaires pour transporter la houille dans le nord de la Belgique

Je ne dirai rien, messieurs, des questions qui ont été soulevées à propros de la loi en discussion, mais j'appuie l'ajournement de la proposition de l'honorable M. Orban.

M. Rodenbach. - Messieurs, lorsqu'il a été question des houilles il y a environ 15 jours, quel était le vœu de la Chambre, quel était le vœu du ministère, quel était le vœu du pays, relativement à ce combustible ? Le vœu général était une diminution sur le prix du charbon, dans l'intérêt de nos usines qui chômaient, dans l'intérêt des classes bourgeoises et surtout dans l'intérêt des classes malheureuses de la société, qui ne souffrent pas seulement de la cherté des vivres, mais qui souffrent encore de la cherté du combustible. Je le répète, c'était le vœu du pays, c'était le vœu de la Chambre, c'était le vœu du ministère. Eh bien, messieurs, quels sont les moyens qu'on propose pour satisfaire à ce vœu ? Le ministère a consenti à la libre entrée des houilles étrangères, mais il a déclaré lui-même que dans ce moment-ci les houilles étrangères ne peuvent pas arriver dans le pays à cause de l'élévation du fret et de la cherté de ce combustible en Angleterre.

En d'autres termes, d'après cet aveu, le charbon de l'étranger ne nous arrivera que quand nous n'en aurons plus besoin.

Quant à l'amendement qui vient d'être présenté, il est combattu par le ministère : le ministère dit que nous sommes liés par des traités, notamment avec la Hollande et par des conventions avec des sociétés particulières. Ainsi on combat toutes les mesures qui peuvent amener une réduction du prix des houilles, et je me demande ce qu'il nous reste à faire ? Savez-vous, messieurs, ce qu'on dira de nous ? On dira que, puisque nous ne savons pas trouver le moyen de satisfaire aux vœux du peuple, puisque tous nos moyens sont infructueux, et que tous nos amendements, tous nos projets de loi n'aboutissent à rien, on dira que nous ne faisons ici que de la phraséologie.

Pour terminer, j'ajouterai derechef que le gouvernement doit trouver bon gré, malgré, le moyen de faire baisser le prix du combustible. Si, par l'entrée libre des houilles, il n'obtient pas un résultat que tout le pays demande à grands cris, il doit recourir à d'autres moyens ; d'autres moyens existent, il faut les employer. Je n'en dirai pas davantage.

- La clôture est demandée.

M. Dumortier (contre la clôture). - La question est très grave.

Il est impossible de laisser les discours de M. le ministre des finances et de l'honorable M. Dechanips sans réponse. Je prierai la chambre de me permettre de dire quelques mots.

- La clôture de la discussion est mise aux voix et prononcée. On passe aux articles.

Discussion des articles

Article additionnel

- M. le président met d'abord en délibération l'amendement dont on a demandé l'ajournement. Il en est donné une nouvelle lecture.

M. Dumortier. - Messieurs, je disais tout à l'heure qu'il était impossible de laisser sans quelques mots de réponse les discours qui ont été prononcés tout à l'heure, en ce qui concerne cette disposition.

D'abord je suis loin d'être ennemi des primes accordées à l'industrie. Plusieurs fois dans cette enceinte je les ai réclamées et j'ai été vivement combattu par les députés qui, je le crains bien, voteront aujourd'hui en faveur des primes.

Mais comment doit-on entendre la question des primes ? Les primes ne doivent pas être une mesure permanente ; elles deviendraient un grand abus, si elles constituaient une mesure permanente.

Les primes, comme on les a accordées en France, en Angleterre et dans certaines circonstances en Belgique, sont d'excellentes mesures dans des moments de crise industrielle, parce qu'elles sont le mode le plus économique de donner du travail aux ouvriers et de débarrasser le marché du trop-plein qui plus tard l'encombrerait et nuirait à la fois au producteur et au consommateur.

Ainsi, dans les circonstances exceptionnelles, je suis partisan des primes employées avec sagesse, avec discernement ; mais autant j'y suis favorable dans ces circonstances, autant j'y suis contraire lorsqu'il s'agit de faire des primes un état normal, surtout lorsqu'il s'agit d'accorder des primes à des industries qui ne peuvent déjà suffire à la consommation intérieure. Accorder des primes d'exportation à une industrie qui ne peut pas suffire aux besoins d'un pays, c'est un déni de justice envers les habitants.

Eh bien, c'est présisément la position où le pays se trouve relativement à la question des houilles.

Je dirai d'abord qu'en principe je ne suis pas du tout favorable au projet de loi présenté et à la libre entrée des houilles en Belgique. Je veux assurer une protection au travail national et je ne veux pas que l'étranger vienne ici prendre notre place sur le marché intérieur.

Mais s'il faut protéger le travail national, il ne faut pas étendre cette protection jusqu'à accorder des primes, alors surtout que le travail national n'eu a pas besoin, et que déjà il ne suffit pas à nos besoins. Vous connaissez l'état des choses ; le manque de houille et de fonte en Belgique est proclamé ici par tous.

Eh bien, quelle est la cause principale de ce déficit ? Je n'hésite pas à le déclarer, ce sont les primes accordées à l'industrie charbonnière, dans un moment surtout où elle ne peut pas suffire à la consommation, où il n'existe pas un excédant de la production sur la consommation ; dans un moment où la production fait défaut à la consommation.

Or, messieurs, permettez-moi de vous exposer l'état des choses. Je prends, par exemple, le canal de Charleroi. Il y a quelques années, le péage des houilles sur le canal de Charleroi était fixé à 5 fr. le tonneau ; nous avons réduit ce droit d'un tiers, il est donc aujourd'hui de 3 fr. 33 c. le tonneau.

Si donc un tonneau voyage sur le canal de Charleroi et vient à Bruxelles, il paye 3 francs 33 centimes. Voilà pour la consommation intérieure. Si, au contraire, ce même tonneau, après être arrivé à Bruxelles, va se diriger vers la Hollande, il ne paye plus que 83 centimes. Voilà donc une prime et une prime des trois quarts accordée à l'étranger à votre détriment, c'est-à-dire que vous donnez à l'étranger le moyen de se chauffer à meilleur marché que vous-même.

Maintenant qu'a coûté cette prime sur toutes nos voies de navigation ?

En 1852, on a exporté vers les Pays-Bas-50,000 tonneaux de houilles. Ainsi qu'on l'a dit, le transport, venant de Liège, n'est pas considérable.

Supposons pour un instant, et je crois être dans le vrai, que la partie venant de Liège soit de 50,000 tonneaux, il restera 200,000 tonneaux venant du canal de Charleroi et du Hainaut, La réduction de péage que vous avez accordée, constituant un déficit de 2 fr. 50 par tonneau, il en résulte pour le trésor une perte de 500,000 fr. par an.

Ainsi, dans un moment où l'industrie ne sait pas suffire à vos besoins, où tout le monde se plaint de la grande difficulté de se procurer de la houille, vous donnez à l'industrie le moyen de rendre cette difficulté plus grande encore, vous lui donnez une prime d'un demi-million par an !

Mais vous me direz : Vous allez entraver l'exportation. Je répondrai : Commencez par fournira la consommation ; quand vous aurez fourni à ses besoins, si vous avez un trop-plein, dans l'intérêt des ouvriers, je ne serai pas le dernier à demander des mesures de protection ; mais aussi longtemps que vous ne fournissez pas aux besoins du pays, il n'y a pas nécessité de vous accorder une prime d'un demi-million. Ce n'est pas tout ; si cette houille qui s'exporte en Hollande se consommait dans le pays, à raison de la différence de fr. 3,33 c, les 200 mille tonnes donneraient au trésor 666,000 fr. de bénéfice. Dans quel moment fait-on ce sacrifice pour exporter notre houille ? Dans un moment où la consommation du pays ne peut pas être alimentée, quand toutes les houillères ne peuvent pas satisfaire aux demandes de l'industrie. Est-il possible de maintenir un pareil état de choses ? On ne peut pas accorder des primes d'exportation aussi considérable à une industrie qui ne peut pas suffire aux besoins du pays. Quand il s'agissait de l'industrie des Flandres nous demandions 20 mille francs de primes, que répondait M. de Brouckere ? Nous sommes ennemis des primes ! Vous ne vouliez pas accorder 20 mille francs de primes pour les tisserands des deux Flandres et vous en accordez un demi-million pour l'arrondissement de Charleroi.

Il est vrai que les tisserands des Flandres sont très pauvres et n'ont pas le moyen de faire valoir leurs droits, tandis que les propriétaires des bassins houîllcrs sont très opulents et ont toujours les moyens de faire valoir les leurs.

Ceux qui s'étaient opposés à la continuation de la prime pour l'industrie linière et pour la construction des navires, ont conservé la prime d'un demi-million pour l'exportation des houilles rien que par un seul canal. Il faut être conséquent avec soi-même.

Mais, dit M. le ministre des finances, et M. Dechanips avec lui, il existe des transactions internationales et des contrats. Les transactions internationales doivent être respectées, nous le reconnaissons ; aussi l'amendement que nous avons déposé les respecte-t-il. Mais en est-il de même des contrats passés entre le gouvernement et des particuliers ?

Evidemment non ; le gouvernement n'a pas pu engager le pouvoir législatif. Le contrat fait par le gouvernement cesse d'exister du moment qu'intervient une résolution du pouvoir législatif, qui lui est contraire.

- Un membre. - Mais il est fait en vertu de la loi.

M. Dumortier. - En exécution d'une loi, mais non en vertu d'une loi. Si une loi ordonnait au gouvernement de faire un contrat, ce serait son droit et son devoir de le faire, et le contrat serait passé en vertu d'une loi ; mais quand une loi ne fait qu'autoriser le gouvernement, la loi qui a donné l'autorisation pouvant la retirer, le contrat que le gouvernement a fait en exécution de cette loi, ne peut avoir de durée qu'autant que la loi elle-même n'a pas été rapportée ; voilà la différence.

Avec ce système il faudrait supprimer le gouvernement représentatif et tout faire par ordonnance ; c'est la guerre déclarée au gouvernement représentatif, car ce serait l'annuler. Le gouvernement ne peut rien faire qu'eu vertu des lois, il n'a d'autres pouvoirs que ceux que la (page 582) Constitution lui attribue. Le gouvernement, qui ne peut agir qu'en vertu des lois, pourrait donc être à l'abri des votes des représentants de la nation qui doivent tout sanctionner, qui ont le droit de réformer les abus ! Or, s'il y a un abus, c'est ici. Comment ! vous accordez un demi-million pour exporter nos houilles, quand il y a pénurie, quand notre industrie en manque ! C'est un abus scandaleux.

S'il y a un contrat international, il doit être respecté ; mais s'il s'agit d'un contrat avec des particuliers, il peut toujours être résolu. D'abord quels sont ces contrats passés avec des particuliers ? Examinons.

M. le ministre des finances vous a dit tout à l'heure que le contrat passé avec la Samhre canalisée stipulait une réduction de 50 p. c. sur les péages existants. Quelle réduction donnons-nous sur nos canaux ? Une réduction de 75 p. c, c'est-à-dire des 3/4. (Interruption.)

Peu importe de quel côté ils vont. Je vous demande si ce sont là des contrats onéreux ou utiles ? Déjà ou s'est plaint de cette manière d'opérer. Pour les houilles qui parcourent le canal de Charleroi encore une réduction de 75 p. c. Sur le canal de Terneuzcn et de Brcda la réduction n'est que de 50 p. c.

Vous donnez donc des primes plus considérables que les sacrifices que s'imposent ceux avec lesquels vous contractez.

Je dis donc, que la proposition est fondée, ou il n'y en aura jamais, qu'il est impossible de maintenir un système qui accorde un demi-million de primes à une industrie qui n'en a pas besoin, qui ne peut pas suffire aux besoins de la consommation intérieure.

Un honorable membre est venu soutenir qu'il fallait abaisser les péages à l'intérieur. Il veut donc accumuler déficit sur déficit ; au déficit d'un demi-million résultant de la faveur faite à l'exportation, il veut ajouter un déficit plus considérable en diminuant le revenu du chemin fer et des canaux transportant les houilles à l'intérieur.

C'est un système que je n'admets pas ; je ne comprends pas qu'on propose une mesure devant amener un déficit sans indiquer les moyens de le combler. J'invite mon honorable ami, quand il proposera une réduction de péage, à faire connaître par quel système d'impôt il compte couvrir le déficit.

Maintenant, je le demande, cette réduction de péage aurait-elle un si grand avantage ? Je tiens en main le « Journal de Charleroi », organe des intérêts houillers ; il résout la question en trois lignes. J'appelle sur ces trois lignes l'attention de la Chambre.

« Réduire les péages est chose immédiatement possible, mais cette réduction n'aurait pas pour conséquence une baisse immédiate du fret. »

Voilà ce qu'il déclare.

Vous feriez une perte sèche d'un des principaux revenus du trésor public, sans obtenir une réduction de prix. On en donne l'explication plus tard ; c'est que les bateaux manquent. Je ne pense pas que cette réduction doive être admise dans aucune hypothèse, ce serait créer un nouveau déficit à côté de l'autre, sans indiquer les moyens de le combler. En présence de la déclaration du journal de Charleroi que, par cette réduction, nous n'amènerions pas une diminution immédiate sur le fret et de la pénurie de houille, faut-il en prohiber la sortie ? Non ; faut il l'entraver ? Non ; faut-il la favoriser par des primes d'exportation ? Je dis non.

L'industrie houillère n'a pas besoin de primes, l'industrie houillère est florissante ; elle ne peut pas suffire aux besoins du pays ; qu'elle commence par fournir aux besoins du pays, si plus tard elle a des excédants de production, nous verrons ce que nous aurons à faire.

Je dis donc que la proposition est justifiée de toute manière, et pour mon compte je ne conçois pas comment le gouvernement, qui est si partisan du libre-échange, et si opposé au système protecteur, vienne proposer ce système dans ce qu'il a de plus mauvais : les primes quand l'industrie n’en a pas besoin.

Maintenant, est-il vrai, comme le dit M. le ministre des finances, qu'il soit porté atteinte à l'équilibre des bassins honiîlers ? En aucune manière. Cette question sera réservée ; elle sera examinée quand nous nous occuperons de la loi générale qui est annoncée. Je ne serai pas le dernier à défendre les intérêts des extracteurs de houille ; je les défendrai avec toute l'énergie dont je suis capable.

Autant je veux la protection de l'industrie nationale, autant je repousse le système des primes quand l'industrie ne les réclame pas, quand elle n'en a pas besoin.

M. le président. - L amendement suivant vient d'être déposé ;:

« Le gouvernement est autorisé 1° à réduire, pour le charbon de terre, les péages de nos voies navigables, pendant la durée de la loi, ou de les égaliser par distance ; cette réduction ne pourra être de plus de moitié ; 2° à réduire jusqu'à concurrence de moitié le tarif du chemin de fer sur la houille, pendant l'interruption de la navigation.

« (Signé) Dechamps, Brixhe, Prévinaire, Pirmez, Manilius, T'Kint de Naeyer. »

Je suppose que la demande d'ajournement s'applique à cette proposition ;?

M. Orban. - L'honorable M. Dechamps demandait tantôt pourquoi la chambre ne s'occupait pas de la question de la réduction des péages, tout aussi bien que de la question de la réduction des primes. Par une raison très simple : c'est que la section centrale, à laquelle l'honorable M. Dechamps a fait cette proposition, l'a rejetée à l'unanimité moins une voix (la sienne), tandis que la suppression des primes a été admise à l'unanimité des voix, moins la sienne.

Or, il est dans les habitudes de transmettre à la Chambre les propositions de la section centrale adoptées et non celles qui ont été repoussées. Voilà comment il se fait que la première de ces propositions est soumise à la Chambre, tandis que, pour que la seconde le fût, il a fallu la crainte qu'inspire à l'honorable député de Charleroi l'adoption de l'amendement formulé par la section centrale.

La proposition de l'honorable membre comporte-t-elle une discussion sérieuse ? Je n'hésite pas à dire que non. Il y a peu de jours que la question de la réduction des péages était traitée dans un journal de la capitale. L'auteur de cette dissertation, parlant en homme complètement désintéressé, soutenait celle thèse au point de vue des intérêts généraux du pays. Mais, en même temps, aussi impartial qu'éclairé, il allait au-devant des objections sur le déficit du trésor ; il proposait immédiatement les moyens de le combler. Or, messieurs, pour compenser les pertes résultant de l'abaissement ou de la suppression des péages sur les canaux et sur le chemin de fer de l'Etat, savez-vous quelles étaient les mesures proposées ? Les moyens étaient au nombre de cinq : augmentation de l'accise sur les bières, augmentation de l'accise sur les sucres, des droits sur les eaux-de-vie et sur les cafés.

Je vous demande si ce serait le moment de frapper les consommateurs de ces denrées de nouvelles impositions dans l'intérêt des opulents extracteurs de houille, qui ne payent pas plus que leurs produits une obole an trésor public.

Il est certain, en effet, que toute réduction de péages profite bien plutôt au producteur qu'au consommateur. C'est ce qui s'est toujours vu et se verra toujours. En voulez-vous la preuve ? C'est que ces sortes de propositions émanent toujours des représentants de la production, jamais des représentants de la consommation. Nous autres simples consommateurs de houille, mais aussi contribuables de l'Etat, nous repoussons ces faveurs, parce que nous savons que ce sont des faveurs menteuses qui sous une apparence de bien-être pour le consommateur recèlent en réalité le germe de charges et d'impositions nouvelles.

Quelle est la cause de la cherté du combustible ? Est-ce l'élévation des péages ? Est-ce l'élévation des prix des chemin de fer ? C'est si peu l'élévation des prix du chemin de fer qui met obstacle à l'arrivée des charbons que le chemin de fer est dans l'impossibilité absolue de transporter tout ce qui se présente. Ainsi, quand vous aurez réglé les péages, vous n'aurez pas remédié au mal qui tient à l'insuffisance des moyens de transport. Ce n'est pas en diminuant les péages que vous augmenterez le matériel du chemin de fer.

Voulez-vous une autre preuve que ce n'est pas aux péages qu'est due la cherté du combustible ;? De quand date-t-elle ? Est-elle récente ? A-t-on augmenté les péages depuis quelques années ? Au contraire, on les a réduits constamment. Où donc est la connexité entre la cherté du combustible qui est de date récente, et l'élévation des péages qui n'ont jamais été plus modérés ;? Il n'y en a aucune.

On vous demande de réduire les péages sur certains canaux, où ils sont plus élevés que sur d’autres. Mais avez-vous remarqué que la houille fut moins chère dans les parties du pays où les péages sont très bas que dans les parties du pays où ils sont très élevés ? En aucune manière. On a donc tort de supposer que l’abaissement des péages procurera l’abaissement du prix du combustible.

Il y a plus : c'est que les auteurs sont obligés de se rendre à l'évidence et de reconnaître que c'est à l'insuffisance de la production que sont dus la cherté et le manque de combustible. Y obvierez-vous en diminuant les péages ? Rendrez-vous le charbon plus abondant sur le carreau des houillères ? Non, mille fois non !

Messieurs, nous avions proposé une autre mesure qui nous semblait concilier tous les intérêts, qui apportait à l'exportation une entrave, mais une entrave légitime, car elle est en rapport avec les principes de l'économie politique qui repousse tout privilège : nous avions proposé la suppression d'une prime aujourd'hui sans cause, puisqu'elle a été établie pour favoriser l'exportation dont le développement a surtout produit le mal dont nous souffrons. Nous avions proposé d'accorder au gouvernement dont la responsabilité est grande une faculté nouvelle pour y faire face.

Nous avons vu avec un profond regret le gouvernement refuser cette faculté ; il n'a vu qu'une question d'équilibre des bassins houillers où nons avions vu une question de salut public. Je le regrette profondément.

Nous ne sommes pas à même de discuter, comme le feraient des avocats chargés de défendre une cause, les incidents d'une question de cette nature. Nous qui ne connaissons que l'intérêt général et l'intérêt du trésor public, nous ne pouvons nous laisser guider que par les notions vulgaires du bon sens et de la raison, et nous nous trouvons sans réponses et désarmés contre certaines objections tirées des profondeurs du sujet.

Ainsi, lorsque le ministre vient parler de contrats dont nous n'avons pas connaissance, nous ne savons que dire, et nous sommes, à notre grand regret, forcés en quelque sorte de nous courber et d'accepter l’ajournement que l’on nous propose pour sauvegarder le principe de notre proposition.

Mais, messieurs, si cet ajournement devient une nécessité, par (page 383) suite de l'attitude prise par le ministère, la responsabilité tout entière en pèsera sur lui.

Je n'ai pas l'habitude de contester des faits quand je n'ai pas la certitude pour moi. M. le ministre nous a opposé des contrats qui lieraient le gouvernement à des sociétés étrangères, je ne contesterai pas ces allégations parce que je n'ai pas les moyens de les vérifier.

Il y a cependant une chose que je puis dire et que je puis dire en toute assurance, c'est qu'il n'appartient qu'à la Chambre de régler les péages sur les canaux et les rivières ; je ne conçois pas qu'il soit au pouvoir d'arrêtés royaux de limiter ce droit ou d'en entraver l'exercice ; à nous seuls il appartient de voter les impôts, et je récuse, pour mon compte, les obstacles qui pourraient avoir été apportés à l'exercice de ce droit par un arrêté royal.

Au surplus, messieurs, nous avons prévu, en ce qui concerne les traités internationaux, l'objection que l'on nous fait. Nous avons dit que l'application de notre mesure devait rencontrer un obstacle dans les traités internationaux, nous consentions à ce qu'une exception fût faite en ce qui concerne ces traités. S'il existait des traités liant légalement le gouvernement à l'égard de sociétés, nous devions respecter ces conventions, comme nous l'avons fait pour les traités.

Mais en dehors de ces traités, en dehors de ces conventions particulières, la mesure pourrait recevoir une certaine application, et c'est cette application que nous demandons. C'est dans cette mesure que le gouvernement aurait pu et aurait dit accepter notre proposition, car elle repose sur la justice et sur un besoin incontestable de la situation.

M. Malou. - L'ajournement paraît en quelque sorte accepté par l'honorable M. Orban, et, je dois le reconnaître, personne n'a produit en faveur de l'ajournement des argumenls plus forts que notre honorable collègue. Il peut exister des traités que nous avons l'intention de respecter. Cependant nous vous avons proposé très sérieusement un projet de loi sans connaître aucun des faits qui se rattachent à la question. Je dis que dans le discours que vous venez d'entendre, est l'argument le plus concluant qu'on puisse apporter pour l'ajournement.

M. Orban. - J'avoue que je ne connais pas la question aussi bien que vous.

M. Malou. - L'honorable membre ne connaît pas les traités aussi bien que moi. Je m'en félicite parce que, encore une fois, c'est fortifier l'argument. Il est impossible de produire une pareille proposition sans connaître les motifs qui peuvent la faire admettre ou la faire rejeter.

Mais il y a un fait acquis aux débats, c'est que la proposition en ce moment n'a aucune portée sérieuse. Et cependant, messieurs, que fait-elle ? Quel en serait le résultat ? Ce serait de changer, de bouleverser complètement toute la législation qui a été établie depuis 1830, en matière de charbonnages.

On dit : Il s'agit d'une prime que l'on accorde, et c'est là le grand argument, l'argument capital. Il s'agit d'une prime que l'on accorde à une industrie déjà prospère. Mais nous savons tous, messieurs, que c'est une idée fiscale en même temps qu'une idée industrielle qui a présidé aux réductions des péages et aux autorisations données au gouvernement par la loi. On a dit qu'avec les péages normaux l'exportation était impossible et qu'il fallait réduire les péages pour obtenir des recettes que l'on n'aurait pas avec le maintien de ces péages pour l'exportation. C'est là le motif pour lequel on a donné au gouvernement, par la loi de 1840, le droit de réduire les péages pendant un temps limité ; et le gouvernement a prouvé à la Chambre, lorsque ces pouvoirs ont été renouvelés, que les réductions des péages sur les canaux qu'il exploite, avaient été pour lui des causes de recettes et non un préjudice, comme on le prétendait tout à l'heure.

Vous dites : Si les 150 ou les 160 mille tonnes de houille que l'on exporte vers la Hollande subissaient le péage intégral, nous aurions des recettes d'autant ; il n'y aura, si vous relevez les péages, qu'une seule chose qui manquera à la réalisation de cette prévision : c'est que l'exportation de ces 150,000 tonnes de houille n'aura plus lieu.

Il y a, messieurs, des vérités que l'on doit s'étonner d'entendre contester ici. Ainsi on est venu prétendre que le péage n'a pas d'influence sur le prix de la houille. Mais quand on achète une tonne de houille à un prix donné sur la fosse, et que l'on paye 2 fr. pour l'apporter à Bruxelles, il est certain que le consommateur se trouve grevé d'une augmentation de deux francs.

Vous avez grevé ces produits, par votre disposition antérieure encore de 20 ou 30 p.c. Voilà ce qui est évident, et plusieurs fois on s'en est préoccupé ; en faisant abstraction de certaines circonstances exceptionnelles, on a vu quelles étaient les conditions de l'industrie belge.

Ainsi, je le répète, il n'y a pas de mesure plus industrielle, de mesure plus féconde à prendre en Belgique que la suppression ou la réduction des péages. Lorsque vous aurez fait cela, vous aurez donné à toutes vos industries une force de production beaucoup plus grande.

Je dis donc que la question des péages, considérée dans son ensemble indépendamment des circonstances actuelles, est une condition d'existence pour l'industrie nationale. C'est comme cela que la question a toujours été posée dans la Chambre, et c'est comme cela qu'elle doit être discutée lorsque les circonstances seront favorables pour le faire ; ce quil faut envisager, c'est le moyen de produire mieux et à meilleur marché. (Interruption.)

On me dit : Aux dépens du contribuable, lorsque je viens d'établir à l'évidence que ces réductions de péages ont produit des recettes que, sans elles, on n'aurait pas obtenues.

On a fait encore d'autres objections. On a dit : Vous faites des contrats excessivement onéreux ; vous accordez 75 p. c. de réduction alors que la compagnie de la Sambre française n'en donne que 50. Mais la réponse est excessivement simple : c'est que la réduction de 75 p. c. a lieu sur une voie autre que celle sur laquelle on accorde 50 p. c ; on ne peut confondre le canal avec la Sambre ; ce sont deux voies toutes différentes (Interruption.)

C'est 75 p. c. pour les exportations vers la Hollande, et c'est 50 p. c. pour les exportations vers la France, parce que par les contrats qui ont été faits par le gouvernement en vertu de la loi, on a exigé que la compagnie concessionnaire, dont les voies de navigation sont le prolongement de la Sambre, fît des sacrifices proportionnels à ceux que faisait le gouvernement belge. Le gouvernement, en faisant cela, n'a violé aucune prérogative de la Chambre, et encore moins la Constitution, puisque des lois expresses lui ont donné le pouvoir de réduire ces péages.

Je croirais abuser des momerts de la Chambre si je prolongeais cette discussion ; il me semble que l'ajournement est dans l'intention de tout le monde.

M. Osy. - Je déclare au nom de mes honorables collègues qui ont signé avec moi la proposition relative à l'égalité des péages, et en mon nom personnel, que nous retirons pour le moment cette proposition, mais nous la soumettons au gouvernement pour l'examiner en même temps que le projet dont il nous a annoncé la présentation. Quand il déposera ce projet il pourra déposer en même temps le tableau des péages et toutes les conventions qui ont été faites ; de cette manière nous pourrons apprécier tout ce qui se rattache à la question.

M. Orban. - Messieurs, je reconnais que pour amener l'adoption d'une proposition comme la nôtre, l'accord du gouvernement et des auteurs de la proposition est nécessaire ; l'assentiment du gouvernement nous ayant fait défaut, et M. le ministre nous ayant fait des objections que nous ne pouvons pas vérifier maintenant, nous retirons avec regret notre amendement pour le reproduire dans la discussion du projet définitif.

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Les dernières paroles de l'honorable préopinant, lorsqu'on les rapproche du discours qu'il a prononcé tantôt sembleraient faire croire que le gouvernement est insensible à une question que l'honorable membre appelle de salut public et en même temps une question de finances. Eh bien, je crois qu'il résulte clairement de tout son discours qu'au point de vue du trésor public, l'amendement ne produirait absolument rien, pas un centime. Quand on a opéré une réduction sur les péages, on a prévu que cette réduction produirait une recette réelle, et le résultat a prouvé qu'on ne s'était pas trompé, car ce n'est qu'à dater de cette mesure que le trésor a perçu des péages ; si l'on abolissait la réduction, le trésor ne percevrait plus rien.

Voilà, messieurs, pour le côté financier de la question.

Quant à la question de salut public, messieurs, s'il y avait ici un danger imminent et qu'on pût remédier à ce danger par le moyen proposé, le gouvernement ne serait pas resté en demeure d'y donner les mains ; mais il était prouvé pour lui que ce qu'on voulait faire était complètement illusoire : en effet, messieurs, toute l'exportation qu'on voulait empêcher ne suffit pas pour le seul établissement de Seraing ; c'est une affaire de 150,000 tonnes dont il faut encore déduire le charbon qui vient du bassin de Liège, puisqu'il n'aurait pas été atteint par la proposition.

Du reste, messieurs, cette question reviendra tout entière dans la discussion du projet définilif.

Quanl à la convention avec les concessionnaires de la Sambre dont j'ai parlé, on aurait tort de croire qu'elle soit restée ignorée ; elle a été faite en vertu d'une loi insérée au Bulletin officiel et qui autorise le gouvernement à réduire les péages sur la Sambre canalisée dans la même proportion dans laquelle le péage sera réduit sur la Sambre française.

En ce qui concerne la proposition de l'honorable M. Dechamps, je ne la considère pas comme sérieuse en tant qu'elle se rattache à ce projet-ci, et quand le projet définitif sera à l'ordre du jour, si cette proposition est reproduite, je déclare d'avance que je la combattrai.

M. Dechamps. - Messieurs, c'est uniquement parce que l'honorable M. Orban persistait à soutenir sa proposition, que nous avons cru, mes honorables collègues et moi, devoir soumettre la nôtre à la chambre pour qu'elles eussent un sort commun. M. Orban consent à ajourner sa proposition ; nous consentons à ajourner la nôtre, bien décidés à la reproduire et à la défendre de toute notre conviction, quand les débats annoncés s'ouvriront prochainement.

- La discussion générale est close, et la Chambre passe à l'examen des articles.

Vote des articles et sur l'ensemble

« Art. 1er. Le gouvernement est autorisé à abaisser, à suspendre entièrement, ainsi qu'à rétablir les droits d'entrée sur les charbons de terre. »

- Adopté.,


« Art. 2. Les pouvoirs qui résultent de cette disposition cesseront au 31 décembre 1854 s'ils ne sont renouvelés avant cette époque, et en cas de non-renouvellement, les anciens tarifs reprendront leur cours de plein droit à la même époque. »

- Adopté.


« Art. 3. Les mesures prises en exécution de la présente loi seront soumises, endéans le mois de leur date, à l'approbation des Chambres, elles sont réunies, sinon dans le cours de leur prochaine session. »

- Adopté.


Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet, qui est adopté à l'unanimité des 89 membres présents.

Ce sont : MM. Anspach, Boulez, Brixhe, Clep, Closset, Coomans, Coppieters 't Wallant, Dautrebande, David, de Baillel (H.), de Baillet-Lalour, de Bronckart, de Brouwer de Hogendorp, Dechamps, de Decker, de Haerne, de La Coste, Delehaye, Deliége, de Man d'Attenrode, de Mérode (F.), de Mérode-Westerloo, de Muelenaere, de Naeyer, de Perceval, de Pitteurs, de Portemont, Dequesne, de Renesse, de Ruddere de Te Lokeren, de Sécus, Desmaisières. de Steenhault, de Theux, de T'Serclaes, Devaux, de Wouters, Dumon, Faignart, Frère-Orban, Jacques, Jourel, Julliot, Landeloos, Lange, Laubry, le Bailly de Tilleghem, Lebeau, Le Hon, Lejeune, Lelièvre, Lesoinne, Maertens, Malou, Manilius, Mascart, Matthieu, Mercier, Moncheur, Moreau, Moxhon, Orban, Orts, Osy, Pirmez, Prévinaire, Rodenbach, Rogier, Roussel (A.), Rousselle (Ch.), Thiéfry, Thienpont, T'Kint de Naeyer, Trémouroux, Van Cromphaut, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeerceoom (A.), Vandenpeereboom (E.), Vanden Donckt, Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Overloop, Vermeire, Veydt, Allard, Ansiau et Vilain XIIII.

Proposition de loi

Dépôt

M. le président. - Une proposition de loi a été déposée sur le bureau. Les sections seront convoquées pour décider s'il y a lieu d'en autoriser la lecture.

Projet de loi prorogeant le tarif des correspondances télégraphiques

Vote de l’article unique

« Article unique. Les dispositions de la loi du 1er mars 1851, concernant le tarif des correspondances télégraphiques, sont prorogécsjusqu'au 31 décembre 1854. »

Personne ne demandant la parole, il est procédé à l'appel nominal sur l'article unique du projet de loi.

Le projet de loi est adopté à l'unanimité des 82 membres présents.

Il sera transmis au Sénat.

Ont adopté : MM. Anspach, Brixhe, Clep, Closset, Coppieters, Daurrebande, David, de Baillet (H.), de Bronckart, de Brouwer de Hogendorp, de Decker, de Haerne, Delehaye, Deliége, de Man d'Attenrode, de Mérode (F.), de Mérode-Westerloo, de Muelenaere, de Naeyer, de Perceval, de Pitteurs, de Portemont, Dequesne, de Renesse, de Ruddere, de Sécus, Desmaisières, de Steenhault, de Theux, de T'Serclaes, Devaux, de Wouters, Dumon, Faignart, Frèrc-Orban, Jacques, Jourel, Julliot, Landeloos, Lange, Laubry, le Bailly de Tilleghem, Lebeau, le Hon, Lelièvre, Maertens, Malou, Manilius, Mascart, Matthieu, Mercier, Moncheur, Moreau, Moxhon, Orban, Orts, Osy, Pierre, Pirmez, Rodenbach, Rogier, Roussel (A.), Rousselle (C), Thiéfry, Thienpont, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom (A.), Vandenpeereboom (E.), Vander Donckt, Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Overloop, Verhaegen, Vermeire, Veydt, Vilain XIIII, Allard. Ansiau et Delfosse.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du ministère de l’intérieur

Dépôt

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Messieurs, l'ouragan du mois de juillet dernier a ravagé les récoltes dans un grand nombre de communes. Il en est résulté une insuffisance dans le fonds de non valeur. Je viens, d'après les ordres du Roi, présenter à la Chambre un projet de loi qui tend à accorder au département de l'intérieur un crédit de 374,000 fr. pour suppléer à l'insuffisance de ce fonds.

- Le projet de loi sera imprimé et distribué. La chambre le renvoieà l'examen des sections.

- M. Vilain XIIII remplace M. Delfosse au fauteuil.

Proposition de loi

Motion d'ordre

M. Orts. - Le respect que je professe pour cette Chambre ne me permet pas de la laisser se séparer sous l'impression que j'aurais soulevé hier un débat stérile. J'ai pris communication des pièces qui ont été, à ma demande, déposées par M. le ministre de la guerre. Je n'entends pas engager une discussion à ce sujet. La Chambre a trop de hâte d'achever d'autres travaux.

Mais je déclare que, comme conclusion du débat, soulevé hier, j'ai usé de mon initiative en déposant une proposition de loi, seule conclusion possible et logique après l'examen des pièces déposées par le chef du département de la guerre.

La Chambre aura à se prononcer après la reprise de nos travaux.

Projet de loi modifiant le contingent de l’impôt foncier

Discussion générale

M. le président. - Le gouvernement se rallie-t-il à la proposition de la section centrale ?

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Oui, M. le président, et je me rallie aussi à la déclaration que fait en ces termes la section centrale ;:

« La section centrale déclare qu'elle n'aurait pas donné son approbation à la mesure qui lui est proposée, malgré son caractère temporaire, si l'on pouvait s'étayer de son vote pour appuyer un système qu'elle repousse, à savoir la substitution de l'impôt de quotité à l'impôt de répartition, dans ce sens que la révision éventuelle des opérations cadastrales aurait un autre but et pourrait avoir un autre effet que de ramener des cotes des contribuables à l'égalité proportionnelle. »

M. de Steenhault. - J'ai voté, en section centrale, contre le projet de loi que vous allez discuter.

Je l'ai fait pour plusieurs raisons. Je m'y suis d'abord opposé parce que, quoi qu'en ait dit l'exposé des motifs, c'est purement et simplement une majoration d'impôt pour la propriété foncière qu'on vous demande.

Parce qu'il ne m'a nullement été prouvé que c'était à elle qu'il fallait s'adresser de nouveau et que les motifs que le gouvernement nous en a donnés étaient loin d'être péremptoires.

Je m'y suis opposé parce qu'il est manifestement contraire en principe et en fait à la loi de 1848 et qu'il constitue une violation flagrante des garanties qui y avaient été déposées.

Je m'y suis enfin opposé parce que c’était apporter dans nos lois un principe de mobilité toujours déplorable, mais surtout ici où il serait précisément appliqué aux intérêts qui ont le plus besoin de stabilité.

Permettez-moi, messieurs, de vous développer en peu de mots ces différents motifs de mon opposition.

L'infinie majorité que ce projet de loi a obtenue dans les quatre sections qui l'ont admis, la majorité relativement insignifiante qu'il a réunie en section centrale me fait espérer que je ne suis pas seul de mon avis et que ma manière de voir sera partagée par plus d'un d'entre vous.

L'exposé des motifs vous dit qu'il ne s'agit nullement d'une augmentation de cote pour les contribuables, mais je suis à me demander, messieurs, comment on a pu sérieusement vous poser semblable affirmation.

Ce n'est pas une aggravation de charges ! Mais d'où vient donc qus toutes les cotes devront être majorées de 3 à 5 1/4 p. c.

Que cette augmentation soit réalisée en reprenant pour base le marc le franc de 1845, ou qu'elle soit obtenue de toute autre façon, cela ne fait rien à la chose, elle n'en est pas moins positive.

L'exposé des motifs vous présente la question d'une façon fort anodine ; il gaze, il colore l'étal réel de la question, mais la réalité, la vraie vérité la voici ;

La loi du 9 mars 1848 dans le même esprit que toutes celles qui l'ont précédée statuait formellement dans le paragraphe 2 de l’article 2 que les augmentations ou diminutions de charges qui surviendraient dans la matière imposable de chaque province jusqu'à la révision complète du cadastre ne donnerait lieu à aucune modification du contingent provincial et n'aurait d'effet que sur la répartition entre les communes qui composent chaque province.

Cette valeur imposable s'élant accrue de 4,503,220 fr. de 1845 à 1852, il en est résulté un dégrèvement équivalent dont chaque contribuable a profité proportionnellement à sa cote.

Ce dégrèvement étant la conséquence nécessaire de la loi bien formelle à cet égard, il est évident que c'est un droit acquis, que la cote réelle de chaque contribuable n'est plus celle de 1845 comme l'exposé des motifs cherche à l'insinuer, et dont il ne peut plus être question, mais bien le taux actuel, la réduction étant opérée.

Si jamais il pouvait être vrai que la proposition du gouvernement ne constitue pas une augmentation de charges, comme le prétend l'exposé des motifs, on ne pourrait l'expliquer que par un rétroacte, ce qui serait encore pis.

M. le ministre aurait donc, me paraît-il, tout aussi bien fait de ne pas tant s'attacher à faire croire que ce n'est pas purement et simplement une majoration de l'impôt. Ce n'est pas, après tout, cette majoration qui me préoccupe leplus dans le projet de loi.

Ce qui pour moi est une chose bien autrement grave, c'est le principe qui s'y trouve déposé.

Ce n'est plus ici un impôt de répartition, c’est l'impôt de quotité dans toute sa vérité, impôt contre lequel vous vous êtes toujours élevés avec autant de force que de raison.

Que le travail se fasse tous les ans ou que l'on attende un certain nombre d'années pour que le montant de l'accroissemeut ait acquis quelque importance, cela ne fait rien à la chose.

Le principe est le même. Les conséquences sont identiques.

On nous dit, messieurs : La mesure est toute temporaire, tout exceptionnelle en vue des besoins présents du trésor.

Mais, messieurs, de quelle valeur pourrait donc être une garantie de ce genre en présence des besoins sans cesse renaissants du trésor et surtout quand la loi même qu'on vous demande est le démenti le plus formel, la violation la plus évidente des garanties qu'on fait aujourd'hui sonner si haut.

Qui s'aviserait encore d’avoir foi dans des assurances de ce genre, si vous abrogez les lois qui les donnent ou si vous en suspendez les effets quand à peine elles ont vu le jour.

C'est un précédenl qu'on vous opposer, et vous savez de quel poids ils sont dans vos délibérations.

Soyez-en bien convaincus, messeurs, les besoins du trésor aidant, M. le ministre des finances aura d'excellentes raisons pour venir (page 385) demander toujours, exceptionnellement bien entendu, le maintien de la mesure toute transitoire.

On aura beau faire et beau dire, c'est un premier pas de fait dans la voie de l'impôt de quotité, et j'ai d'autant plus lieu de m'en préoccuper que ce système d'impôt rentre complètement dans les vues du gouvernement.

M. le ministre des finances nous a carrément déclaré en section centrale et comme jusqu'à présent que je sache, aucun ministre des finances ne l'avait fait, que la révision du cadastre devait avoir pour corollaire la majoration de l'impôt, proportionnelle à l'augmentation de la valeur imposable, que ce système était logique, équitable et qu'il en était le partisan avoué en présence des besoins du trésor.

Ces idées-là implantées au siège du gouvernement, je m'en méfie parce qu'elles sont du nombre de celles dont les ministres remplaçants héritent assez facilement.

Or, comme les besoins du trésor n'existeront, je le crains bien, que de plus en plus, savez-vous, messieurs, ce qu'il résulterait de ce système d'impôt s'il devait jamais être admis ?

C'est que d'emblée, sans tenir compte du principe d'égalité qui doit présider à la répartition des charges publiques, sans s'inquiéter de l'injustice qu'il y aurait à frapper toujours une industrie sans augmenter proportionnellement la charge des autres, la propriété foncière, ou plutôt l'industrie agricole, verrait les siennes majorées de 25 p c.

Ce qui en résulterait, c'est que 4 millions d'impôt annuel devraient être absorbés et exclusivement payés par elle avant que l'on ne pense aux autres matières imposables.

Voyez, messieurs, où cela vous mène !

Je sais bien qu'on pourra me dire qu'il n'est pas juste non plus que l'impôt foncier porte en lui-même un système d'amortissement que n'ont pas les autres impôts et qu'il diminue quand les autres restent stationnaires.

Bien des choses seraient à répondre à cet argument, car il faudrait avant tout prouver que la propriété foncière n'est pas relativement plus imposée que les autres matières sujettes à l'impôt.

Mais en tout cas, en admettant même que je concède cette observation, là n'est pas la question.

Elle est, veuillez bien le remarquer, messieurs, et j'insiste sur ce point, beaucoup plus importante que s'il ne s'agissait que de faire tourner au profit du trésor les quelques cent mille francs qui font la différence entre la valeur imposable de 1845 et de 1832.

Pour moi, toute la question est dans le principe, dans la forme que vous donnerez pour atteindre ce but. Là gît toute la gravité du débat.

Si vous admettez le principe de faire tourner au profit du trésor les augmentations de valeurs successives ; si d'autre part, comme je le suppose, vous acceptez le marc le franc de 9 et une fraction comme une proportion équitable, vous arrivez forcément, logiquement, à des conséquences désastreuses pour la propriété foncière.

La révision cadastrale se faisant, et tôt ou tard elle devra bien se faire, vous augmentez d'emblée les charges foncières de 25 p. c.

Faites-y bien attention, messieurs, accueillir le projet, c'est trancher incidentellement une question de la plus haute gravité ; c'est poser un précédent des plus dangereux, et qu'il n'est pas donné aux assurances du gouvernement et aux explications de la section centrale de pouvoir amoindrir.

Ce n'est pas, messieurs, que je prétende que l'impôt foncier actuel soit une charte immuable, une arche sainte à laquelle il soit interdit de toucher ; cela serait absurde ; mais ce que je ne veux pas, c'est que la propriété foncière soit toujours le pont aux ânes en matière d'impôt auquel on recoure toujours.

Ce que je ne veux pas c'est que par la consécration du principe que renferme le projet de loi, on soit logiquement amené à augmenter les charges foncières de plusieurs millions et à détruire de plus en plus l'équilibre déjà rompu entre les impôts.

Ce que je ne veux pas, c'est qu'on oublie qu'il n'y a pas de privilèges en matière d'impôt, et qu'il est une dette à laquelle chacun doit contribuer pour sa part et selon ses moyens.

Savez-vous, messieurs, ce que l'honorable ministre des finances, interpellé sur la malheureuse préférence qu'il avait donnée à l'impôt foncier, a répondu ?

« Qu'on me trouve, a-t-il dit, un impôt d'une perception plus facile, et je renonce immédiatement à celui-ci. »

C'est une raison comme une autre, mais vous conviendrez, messieurs, qu'elle est loin d'être péremptoire.

Il règne à l'endroit de la propriété foncière un fâcheux préjugé.

A entendre les partisans de contributions plus élevées, ne dirait-on pas que la grande propriété seule paye l'impôt, que c'est exclusivement à la richesse que l'on s'adresse ?

El cependant rien de plus faux au monde.

La très grande part de l'impôt foncier est acquittée par des propriétaires d'une importance très minime, une très grande part même par des propriétaires voisins de l'indigence.

Un tiers de la propriété foncière est entre les mains de 668,914 propriétaires ne possédant pas au-delà de 400 fr.

Un second tiers est entre les mains de 58,657 propriétaires dont la possession ne dépasse pas 2,000 fr.

Le rapport vous le dit aussi, il vous rappelle que sur 738,512 propriétaires, 317,492 ne possèdent pas un revenu de plus de 100 fr.

Vous le voyez donc bien, messieurs, c'est la petite propriété, ce sont les petits cultivateurs que vous frappez le plus, et dites-moi si pour eux une majoration de 5 et 1/4 p. c. n'est pas une aggravation excessivement sensible ?

L'agriculture manque de capitaux, dit-on, et cela est vrai. Il lui en faut pour qu'elle puisse se soutenir en présence de notre législation, et chaque fois qu'un avantage, qu'un bénéfice quelconque lui permettrait de faire une légère accumulation, une minime économie, c'est à l'avantage du trésor qu'on la fait immédiatement tourner.

Cela n'est ni logique, messieurs, ni juste.

Je suis loin de blâmer les mesures prises en vue de parer à la crise alimentaire, puisque je les ai appuyées de mon vote et de ma parole.

Mais cela n'empêche que, dans une proportion plus ou moins forte, elles ont atteint l'agriculture, qui, sans nul doute, souffre bien autant que toutes les autres industries.

Vous l'avez indirectement frappée par la suppression des droits.

Vous l'avez frappée en prohibant les pommes de terre à la sortie et en lui interdisant par là de tirer la plus grande somme de bénéfices possible de ses produits.

El voici que vous voudriez encore la frapper par une aggravation de charges, et cela tandis qu'elle supporte déjà à elle seule à peu près la moitié du montant de tous les impôts réunis.

Ce système, messieurs, doit nécessairement avoir un jour des conséquences funestes, mais qui ne deviendront malheureusement saillantes que lorsque le mal sera fait.

Vous avez, messieurs, toujours rejeté toute mesure qui tendait à substituer l'impôt de quotité à l'impôt de répartition, car l'antécédent de 1845 qu'on a invoqué est complètement différent et n'a aucune analogie avec la question actuelle.

Le principe de l'impôt de quotité se trouve dans le projet actuel comme il se trouvait dans ceux que vous avez rejetés.

Le caractère temporaire de la loi n'est pour moi d'aucune valeur ; car, comme je vous l'ai dit tantôt, qui serait assez bon que d'y croire, en présence de la loi de 1848 et de ce qui se passe aujourd'hui ?

Ayant rejeté le projet de 1850, vous devez à plus forte raison rejeter celui-ci, car vous avez en plus les déclarations du ministre qui n'a pas caché ses sympathies pour l'impôt de quotité tant en sections que dans son rapport sur la révision cadastrale.

La différence la plus saillante qui, pour moi, existe entre les deux époques, c'est que le premier projet était présenté par M. Frère qui se taisait prudemment sur l'impôt de quotité ; qui, plus est, déclarait encore dans la séance du 23 février 1850 lors d'une discussion analogue à celle d'aujourd'hui qu'il n'y avait pas lieu d'augmenter les charges foncières, et qu'aujourd'hui le projet est présenté par l'honorable M. Liedts qui se déclare ouvertement partisan de l'impôt de quotité.

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Messieurs, une des choses les plus essentielles dans un gouvernement, c'est de maintenir toujours un bon équilibre entre les recettes et les dépenses. Si cette règle est méconnue, ce ne peut être que momentanément ; il ne faut pas se faire illusion, ce n'est qu'en laissant des charges à ses successeurs qu'on échappe à la nécessité de le rétablir immédiatement. La seule marche que je veuille suivre, c'est de conserver et de conserver toujours cet équilibre à travers tous les événements. Voici l'élat des choses.

La situation du trésor vous a été distribuée ; elle constate sur tous les exercices précédents un déficit de 27 millions de francs. Il est temps qu'on s'arrête dans cette voie.

Pour moi, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour que ce déficit ne s'accroisse pas davantage. Si on met obstacle à ce qu'on procure au trésor quelques ressources nouvelles, il ira croissant et vous rencontrerez d'autant plus de difficulté dans l'avenir que vous aurez plus retardé le moment de combler le déficit.

Lors de la présentation des budgets de 1854, voici quelle était la situation : les recettes dépassaient les prévisions du budget de deux millions. Depuis lors nous avons été frappés par une calamité qui a eu de funestes conséquences pour le trésor comme pour les particuliers. On a été obligé, parce que l'entraînement était tel qu'aucun ministère n'aurait pu y résister, de supprimer tous les droits d'entrée sur les denrées alimentaires. C'est une perte de près d'un million pour le trésor.

Pour les fourrages et le pain de l'armée nous avons essayé de faire une adjudication pour 1854, les soumissions dépassaient de 2 millions les prévisions, nous n'avons pas voulu les admettre, parce que nous avons pensé qu'on pourrait obtenir de meilleures conditions dans six mois : il faut, quoi qu'il en soit, prévoir une aggravation de charge considérable. Sur la nourriture des détenus dans les prisons et les dépôts de mendicité, il faut encore s'attendre à un accroissement de dépense d'un demi-million...(Interruption.) Le chemin de fer, j'en parlerai tantôt.

Nous éprouverons une très grande diminution de recette sur les distilleries et les brasseries ; les années 1846 et 1847 comparées aux années précédentes ont présenté une diminution de 3 millions ; les ouvriers étant obligés de consacrer à leur nourriture une plus grande partie de leur salaire consomment moins de bière et de boisson alcoolique. Je prends la moitié de cette somme, c'est encore un million et demi de déficit. Dans cette situation, je demande à la propriété foncière, comme je demanderai plus tard à la distillerie, un léger sacrifice momentané qui ne viole en rien les principes admis en 1848. Je m’’explique ;: en 1848 on a (page 386) fait une loi qui fixe le contingent à supporter par l'impôt foncier, à une somme de 15 millions et autant de mille francs : il a été dit que cette somme resterait la base de la répartition annuelle entre les provinces. Depuis lors il a été élevé une immense quantité de constructions nouvelles, ces constructions sont venues chaque année, à mesure que le temps d’exemption d'impôt expirait, supporter leur part du contingent et de charger successivement et insensiblement chaque cote dans les provinces où ces constructions avaient été élevées. Voici en deux mots l'objet du projet de loi. Je demande qu'il plaise à la législature de suspendre pour une année le dégrèvement dont l'impôt foncier a joui depuis 1848, c'est-à-dire que la base de répartition reste le même, mais que chaque cote cesse de jouir du dégrèvement résultant de l'augmentation de la matière imposable.

A la section centrale une seule objection a été faite ; on a exprimé la crainte que ce soit un pas fait pour arriver à transformer la contribution foncière eu un impôt de quotité. Il était loin de ma pensée, en préparant le projet de loi, qu'il pût porter atteinte à l'impôt de répartition. On a cru pouvoir induire de ce que je disais de l'application de la péréquation cadastrale à toutes les provinces, que dans mon esprit on pourrait arriver un jour à transformer la contribution foncière en impôt de quotité.

Dans la section centrale, ma pensée a été, non pas qu'en 1868, époque à laquelle je recule la révision du cadastre, on devrait faire cette transformation ; mais considérant les besoins du moment, la situation du trésor, les mesures qu'on pourrait avoir à prendre, je n'accuse personne, du train dont vont les choses, je disais que je désirais que l'impôt foncier n'eût pas à faire d'ici là d'autres sacrifices ; car il est impossible que l'impôt n'augmente pas, si toujours on a recours aux emprunts pour couvrir les dépenses.

La loi que je propose est toute de circonstance, temporaire comme les circonstances qui l'ont fait naître, elle ne porte aucune atteinte aux principes établis par la loi de 1848. Il faudrait une mémoire bien courte pour oublier que cette loi est temporaire, puisque d'ici à deux mois le budget de 1855 va être présenté.

En votant ce budget vous vous souviendrez que la suspension des effets de la loi de 1848 n'a été admise que pour une fois eu égard aux besoins momentanés d'une année. La loi que je vous demande de voter ne porte donc aucune atteinte au caractère d'impôt de répartition attribué à la contribution foncière par la loi de 1848 à laquelle, comme membre de la législature alors, je n'ai pas hésité à donner mon vote.

M. Osy. - Lorsque en 1850 un projet de loi analogue à celui qui nous est soumis a été présenté, je l'ai combattu ; si je vote pour celui-ci, c'est que la proposition de la section centrale est toute autre que celle qui nous avait été présentée par l'ancien ministère. En effet, il est bien stipulé qu'on ne déroge pas à la loi de 1848, qu'on ne fait qu'accorder une ressource extraordinaire et temporaire pour les besoins actuels.

D'après ce que vient de dire M. le ministre des finances, je suis persuadé qu'avec les crédits qu'on sera obligé de demander d'ici à la fin de l'année le déficit atteindra 33 millions.

Déjà nous sommes à 30 millions, ajoutez à cela ce que nous perdrons encore sur les recettes et les augmentations de dépenses auxquelles nous ne pourrons pas échapper, et vous arriverez bientôt à 33 millions.

Voyons maintenant le projet de loi présenté par M. le ministre des finances. Ce n'est pas une aggravation, c'est seulement la privation d'une diminution dont on devait jouir par suite de la part du contingent que devaient supporter les nouvelles bâtisses. Car les sommes à payer par les nouvelles bâtisses devaient venir à la décharge des autres cotes, de manière que plus on bâtissait, moins nous avions à payer. Le gouvernement ne demande pas une augmentation ; il demande de ne pas faire la réduction à laquelle nous avions le droit de nous attendre, en vertu de la loi de 1846.

Voilà la portée de la loi.

Comme nous sommes certains que nos contributions ne seront pas augmentées, et comme nous sommes obligés de donner des ressources au trésor, je crois que cette mesure est la plus juste et la plus rationnelle que le gouvernement pût proposer. Le principe de la loi reste dans son entier. Je puis donc voter le projet de loi qui nous est soumis et rester conséquent avec le vote que j'ai émis en 1846.

M. Frère-Orban. - Je n'ai aucun intérêt à mettre l'honorable préopinant et d'autres honorables membres de cette Chambre en contradiction avec eux-mêmes. Je ne puis cependant m'empécher de faire remarquer qu'ils ont rejeté, en 1850, une proposition tout à fait analogue à la loi même qui est en ce moment soumise à la Chambre. L'honorable M. Osy annonce qu'il se dispose à revenir sur l'opinion qu'il a émise en 1850, et à voter aujourd'hui ce qu'il a autrefois condamné. Je ne veux pas combattre ce revirement, loin de là. Mais, ce que je ne puis admettre, c'est qu'on soutienne que la proposition soumise à la Chambre, en 1850, avait pour objet de changer le caractère de l'impôt, de transformer un impôt de répartition en impôt de quotité, tandis que le projet de loi, sur lequel la Chambre délibère en ce moment, conserverait à l'impôt foncier ce caractère qui paraît devoir être sacré. Les deux propositions, quant au passé, avaient exactement le même but, et devaient produire exactement les mêmes effets. En 1850, comme en 1853, on proposait à la Chambre de reprendre les valeurs qui étaient venues en déduction du contingent, au bénéfice des contribuables, pendant une série d'années, et de les faire tourner au profit du trésor.

Le résultat aussi bien que le but étaient, sous ce rapport, identiquement les mêmes dans les deux cas. Dans les deux cas, on voulait faire verser dans les caisses de l'Etat des sommes qui étaient restées annuellement dans les mains des contribuables et souvent par fractions très minimes. Mais en 1850, on proposait de décider que, au lieu de reprendre les accroissements de valeur après quelques années, on le ferait annuellement, tandis que, en 1853, on ne statur rien sur ce point.

Il est donc clair que, si, en 1853, on ne change pas l'impôt de répartition en impôt de quotité, on ne le faisait pas davantage en 1850.

Et puis, sait-on bien, en vérité, de quoi l'on parle lorsque l'on déclare que l'on veut conserver à l'impôt foncier son caractère d'impô de répartition ?

Mais l'impôt foncier n'est plus un impôt de répartition ; c'est un impôt de quotité ; c'était un impôt de répartition avant que les opérations cadastrales fussent terminées ; on votait un contingent, une somme déterminée d'impôt foncier ; on la répartissait entre les provinces ; on subdivisait entre les communes la somme assignée à chaque province, et dans les communes, à défaut des données du cadastre, la répartition se faisait sur les bases plus ou moins équitables qu'établissait l'administration.

Mais du jour où le cadastre a été terminé, vous avez eu un impôt de quotité.

La Chambre vote une somme pour l'impôt foncier ; mais comment se répartit-elle ? En raison du revenu cadastral, c'est-à-dire que l'on prélève une certaine quotité de ce revenu.

Je ne conçois donc pas sur quoi est fondée cette répugnance pour l'impôt de quotité, cette préférence pour l'impôt de répartition ; je ne vois pas les vices du premier ; et quant aux mérites du second, il ne m'est pas donné de les apercevoir. Si, par cela seul que l'impôt est qualifié de répartition plutôt que de quotité la somme à payer devenait fixe et invariable, je comprendrais la supériorité de l'impôt de répartition, et qu'on y attachât une certaine importance.

Mais supposez un moment que les charges qui pèsent sur l'Etat soient telles que la Chambre soit obligée de voter une augmentation de l'impôt foncier, je prie les honorables membres de me dire quelle différence il y aurait entre l'impôt de répartition ou l'impôt de quotité ? On ajoutera des centimes additionnels. Au lieu de faire payer 15,500,000 fr., on demandera 17 ou 18 millions. Ils seront répartis en raison du revenu cadastral.

Quelle sera donc la vertu de l'impôt de répartition ? Je voudrais bien qu'on l'expliquât.

L'honorable ministre des finances vient de dire que, par une loi de 1848, nous avons fixé le contingent de l'impôt foncier à 15,500,000 francs et que ce contingent doit rester en quelque sorte fixe et invariable. IL est dans l'erreur. La loi de 1848 n'a pas décidé que le contingent de l'impôt foncier resterait invariablement fixé à 15,500,000 francs. Mais elle a décide que le chiffre du revenu cadastral, représentant la matière imposable au 31 décembre 1843 dans chaque province, serait pris pour base dans la nouvelle péréquation, et continuerait de servir à la répartition du contingent annuel entre les provinces, jusqu'à ce qu'une révision générale des opérations cadastrales eût été ordonnée par la législature et eût eu ses effets. La loi a ajouté :

« Les augmentations et les diminutions qui surviendront entre-temps dans la matière imposable de chaque province, ne donneront lieu à aucune modification du contingent provincial ; elles n'auront d'effet que sur la répartition entre les communes qui composent la province. »

Il ne s'agil nullement de stipuler dans cette deuxième disposition que le contingent de l'impôt foncier ne puisse être augmenté.

En donnant ce sens à la disposition de la loi de 1848, qu'est-ce qu'on ferait ? Mais on violerait la Constitution, on supposerait qu'on a voté en 1848 un contingent foncier à perpétuité, un contingent foncier immuable, tandis que, aux termes de l'article 111 de la Constitution, les impôts au profit de l'Etat sont votés annuellement, les lois qui les établissent n'ont de force que pour un an, si elles ne sont renouvelées.

Le principe qu'on a voté en 1848 est celui-ci ;:

Chaque année une certaine quantité de matière imposable sort de l'impôt ; ce sont des portions de terrain qui sont prises pour des chemins de fer, des routes ou des canaux. Certaines portions de matière imposable s'accroissent au contraire ; ce sont des propriétés non bâties qui sont couvertes de constructions. D'après le principe de la loi de 1848, voilà la seule chose qui ait été décidée, le compte s'établit des matières sorties de l'impôt et des matières qui y sont entrées, et l'accroissement, s'il y en a, tourne, non au profit du trésor, mais vient en déduction du contingent communal et diminue ainsi d'une fraction quelconque la cote de chaque contribuable au lieu d'être versée dans les caisses de l'Etat.

Voilà le principe sur lequel il s'agissait de revenir, sur lequel on revient en réalité aujourd'hui, en reprenant toutes les fractions qui, depuis un certain nombre d'années, étaient venues en déduction de la contribution foncière, avaient tourné au profit des contribuables, et qui représentent aujourd'hui une somme d'environ 500,000 fr. M. le ministre des finances demande qu'au lieu de déduire cette somme des cotes des contribuables, on l'ajoute au contingent de l’impôt foncier pou raugmenter d'autant la quotité à payer pour chaque contribuable. Or, eu même temps qu'on fait cette proposition, on consigne dans le (page 387) rapport de la section centrale des déclarations très expresses sur ce point, que la proposition faite par le gouvernement ne doit avoir qu'un caractère temporaire, et que si l'on pouvait s'étayer du vote actuel pour appuyer le système que la section centrale repousse, à savoir la substitution de l'impôt de quotité à l'impôt de répartition, on aurait rejeté le projet ; et pour fortifier d avantage cette déclaration on demande quoi ? De voter la disposition suivante :

« Par modification au budget des voies et moyens, arrêté pour l'exercice 1854, par la loi du 8 juin 1853, et par dérogation, pour une année seulement, à la loi du 9 mars, 1848, le contingent en principal de la contribution foncière, pour cet exercice, est porté à la somme de 15,914,527 francs. »

Mais, messieurs, que signifie le vote qu'on demande de nous ? Entend-on faire déclarer actuellement par la chambre qu'on ne pourra plus toucher au contingent de l'impôt foncier, qu'on n'accorde 500,000 fr. de plus que pour cette fois seulement et par dérogation formelle à ce qui s'est fait jusqu'à présent ? Je suis étonné, je l'avoue, d'entendre l'honorable ministre des finances se rallier à cette proposition. Car elle est contraire à la Constitution.

Les lois d'impôt sont votées chaque année. On aurait beau déclarer ce qu'on propose de déclarer dans la loi, cela n'empêcherait pas la Chambre, l'année suivante, d'augmenter encore le contingent de l'impôt foncier. Nous ne pouvons insérer dans une loi des dispositions de ce genre. Le gouvernement surtout ne devrait pas les appuyer.

Remarquez, messieurs, que ce que je dis ici, c'est uniquement au point de vue des principes. Je ne prétends pas qu'il faille, sans une nécessité évidente, et j'ai eu soin de le déclarer plusieurs fois, augmenter les charges de la propriété foncière. Mais je ne pense pas non plus, je ne saurais me persuader que l'on ne puisse pas faire tourner au profit du trésor les accroissements dans la matière imposable. Je ne puis pas me persuader qu'il soit juste que les valeurs nouvelles, au lieu de profiter au trésor, profitent aux propriétaires fonciers. Je ne puis pas admettre qu'il soit juste que, pour cet impôt à l'exclusion de tous les autres, une sorte d'amortissement soit établi au profit de la propriété foncière. C'est là un principe dont la justice ne saurait pas être démontrée.

Messieurs, je voterai la proposition qui nous est soumise, pour un an comme tous les autres impôts. Mais je n'admets pas qu'il soit interdit désormais de toucher à l'impôt foncier. Je voudrais, au contraire, que la Chambre, au lieu d'insister pour que les valeurs nouvelles vinssent en déduction de l'impôt foncier, conviât le gouvernement à faire une proposition en ce sens, qu'elles tourneraient désormais au profit du trésor. Il n'y aurait aucun préjudice pour la propriété foncière ; seulement la cote de certains contribuables, suivant les localités, ne serait plus diminuée chaque année d'une fraction insensible, d'une fraction imperceptible, que le gouvernement vient ensuite réclamer en une fois, comme il l'a fait en 1845, comme il le, fait encore en 1853, nonobstant les vertus de l'impôt de répartition et l'horreur qu'inspire l'impôt de quotité.

M. Mercier, rapporteur. - C'est avec le plus grand regret que la section centrale s'est résignée à consentir à imposer une nouvelle charge, même temporaire, à la propriété, immobilière ; elle ne l'a fait qu'à cause des besoins constatés du trésor et pour éviter le déficit dont nous sommes menacés. Ce n'est qu'après avoir pris toutes les précautions nécessaires pour sauvegarder le principe de l'impôt de répartition qu'elle a donné son approbation au projet, non à une infime majorité, comme le suppose l'honorable M. de Stceubault, mais à la majorité de quatre voix contre une et deux abstentions.

La loi du 9 mars 1848 a été présentée au moment où une augmentation du conliugent général était demandée à la législature par suite des circonstances mentionnées dans le rapport de la section centrale. Cette loi est une garantie donnée aux contribuables, que, jusqu'à la révision des opérations cadastrales, le contingent des provinces, et par conséquent celui de l'Etat, ne subira pas de nouvelle augmentation. L'intention du législateur a été de conserver ainsi à la contribution foncière le caractère d'impôt de répartition qu'elle a toujours eu ; l'honorable M. Frère se refuse à reconnaître la distinction que l'on fait entre l'impôt de répartition et l'impôt de quotité, en ce qui concerne la contribution foncière. Mais il faut, me semble-t-il, attribuer aux mots le sens qu'on leur a toujours donné dans les discussions de cette Chambre. L'impôt de répartition est l'application d'un contingent fixe au revenu imposable, quel qu'il soit, tandis que l'impôt de quotité a pour effet d'augmenter les charges et le produit dans la proportion du revenu constaté.

Je ne prétends pas que l'impôt de répartition étant maintenu, on ne puisse dans aucun cas augmentée le contingent général, mais c'est alors une dérogation au principe, motivée par des circonstances impérieuses et non l'abandon du principe lui-même.

L'honorable M. Frère prétend qu'il n'y a pas de différence entre la proposition du gouvernement et celle qu'il a soumise lui-même à la Chambre étant ministre des finances. Je suis loin d'être d'accord avec lui sur ce point. Sa proposition est ainsi conçue : « A partir de 1850 il sera tenu compte, au profit du trésor, de l'accroissement survenu dans la matière imposable à la contribution foncière depuis l'achèvement du cadastre. »

Elle déterminait d'ailleurs le chiffre de l'augmentation du contingent de la première année. Elle différait essentiellement, sous plusieurs rapports, de celle de l'honorable M. Liedts ; d'abord la nouvelle charge qu'il imposait immédiatement à la propriété foncière devait être permanente ; ensuite elle consacrait le principe d'une augmentation successive d'année en année, en raison de l'accroissement de la matière imposable ; le ministre actuel, au contraire, ne propose qu'une charge temporaire, qui, dans son intention formellement manifestée, ne doit avoir qu'une année de durée ; il reconnaît avec la section centrale que l'augmentation momentanée du contingent est une dérogation à la loi du 9 mars 1848.

L'honorable M. Frère attribue un tout autre caractère à cette loi. J'admets, puisque l'honorable membre le déclare, que son intention était de ne rien préjuger quant à la proportion d'impôt à appliquer aux évaluations qui résulteraient d'une révision des opérations cadastrales. Il n'en est pas moins vrai que telle qu'elle était conçue, sa proposition avait une tendance à substituer l'impôt de quotité à l'impôt de répartition avec les conséquences que la section centrale a voulu prévenir par la déclaration qu'elle a faite et à laquelle M. le ministre des finances s'est rallié.

Telle n était pas la pensée de l'honorable membre, j'en suis persuadé ; mais, selon toute probabilité, elle devait amener ce résultat ; du moins elle fut ainsi interprétée non seulement par la section centrale à cette époque, mais par la majorité de la chambre. Un honorable ami du ministère a d'ailleurs formellement émis dans cette Chambre l'opinion que dans le cas où la révision des opérations cadastrales viendrait à constater une augmentation de revenu, l'impôt devrait être augmenté dans la même proportion sans que cette opinion ait été combattue par le gouvernement. Je ne cite ce fait que pour faire ressortir ce qu'il y avait de grave dans le principe posé, bien qu'il ne s'appliquât immédiatement qu'à l'accroissement de la matière imposable.

M. Pirmez. - Un honorable représentant a dit que l'on ne comprenait pas la différence entre l'impôt de quotité et l'impôt de répartition depuis l'établissement du cadastre. Je pense que le cadastre répartit entre tous les propriétaires l'impôt que chacun d'eux doit à l'Etat ; mais que la somme totale reste fixe et ne s'augmente ni ne diminue pas par une plus grande ou une moindre quantité ou valeur des choses soumises à l'impôt. C'est un abonnement, en quelque sorte, des propriétaires envers le trésor. Il est à remarquer que les propriétés n'ont pas toujours augmenté en nombre et généralement en valeur comme aujourd'hui il fut un temps où elles se dépréciaient tous les jours, C’est dans un intérêt fiscal que ce système a été établi. Aujourd'hui je crois qu'il faut le maintenir, c'est une faible garantie pour la propriété foncière, qui étant à jour, ne pouvant se cacher, se trouve toujours, au moindre embarras du trésor, sous la main du fisc.

M. E. Vandenpeereboom. - Messieurs, j'ai demandé la parole uniquement pour expliquer mon vote, qui sera contraire au projet de loi. Il n'y a rien dans ce projet qui me répugne ; je trouve l'impôt juste, peut-être le voterai-je un jour. Mais il est destiné à couvrir un déficit que je n'ai pas contribué à créer, et qui est le résultat de dépenses que je trouve exagérées, je veux parler des dépenses de la guerre. Je suis décidé à m'opposer à tous les impôts qui auront pour objet de parer à un découvert provenant de dépenses que je n'aurai pas approuvées. C'est le seul moyen qui soit en mon pouvoir de faire cesser de semblables dépenses, que je regarde comme inutiles, non reproductives et par conséquent, dangereuses. Quand, dans la discussion du budget de la guerre, M. le ministre des finances vous dépeignait la situation du trésor comme brillante, moi, je vous faisais entrevoir le déficit. Ce n'est pas ma faute s'il vous menace aujourd'hui.

- La discussion est close.

Vote de l’article unique

« Article unique. Par modification au budget des voies et moyens arrête pour l'exercice 1854 par la loi du 8 juin 1853, et par dérogation pour une année seulement, à la loi du 9 mars 1848,le contingent en principal de la contribution foncière, pour cet exercice, est porté à la somme de 15,944,527 fr.

« Le contingent de chaque province, tel qu'il a été fixé par les lois des 30 décembre 1845 et 9 mars 1848 sera établi pour l'exercice 1854, dans la proportion de 0 fr. 09 871332,1000000 par franc, du montant de l'accroissement du revenu net imposable, constaté par le cadastre au 31 décembre 1852, savoir ;:

(page 388) (Suit le tableau de répartition, province par province. Ce tableau ; n’est pas repris dans la présente version numérisée).

M. Frère-Orban. - Je demande le retranchement des mots : « net par dérogation, pour une année seulement, à la loi du 9 mars 1848. »

M. le président. - Il est trop tard : la discussion est close.

M. Frère-Orban. - J'ai demandé le retranchement des mots dont il s'agit, dans la discussion.

M. le président. - La Chambre permet-elle que M. Frère envoie au bureau l'amendement qu'il vient d'indiquer et qui n'a pas été déposé dans la discussion.

- La Chambre décide que l'amendement peut être déposé.

M. Mercier. - Je demande la parole.

M. le président. - La discussion est close et l'amendement à été discuté.

M. de Muelenaere (sur la position de la question). - Il est bien entendu que la suppression demandée serait la suppression de la garantie que la section centrale a voulu prendre contre toute tentative de rendre permanente l'augmentation de l'impôt foncier qu'il s'agit de voter pour une année seulement.

M. Frère-Orban. - La législature actuelle ne peut prendre une garantie contre les législatures à venir.

M. de Muelenaere. - Je n'ai pas voulu soulever une discussion ; mon but n'a été que de faire bien comprendre le sens de l'amendement.

- L'amendement de M. Frèrc-Orban est mis aux voix ; il n'est pas adopté.

Il est procédé au vote, par appel nominal, sur l'article unique du projet de loi.

64 membres sont présents.

1 membre (M. Orban) s'abstient.

44 membres répondent oui.

19 répondent non.

En conséquence, le projet de loi est adopté. Il sera transmis au sénat.

Ont répondu oui : MM. Anspach, Closset, Coppieters T'Wallant, Dautrebande, de Baillet (Hyacinthe), de Bronckart, de Haerne, Deliége, de Mérode (F.), de Mérode-Westerloo, de Muelenaere, de Naeyer, de Perceval, de Pitteurs, de Portemont, Desmaisières, de T'Serclaes, Devaux, Dumon, Dumortier, Frère-Orban, Jouret, Laubry, le Bailly de Tilleghem, Lebeau, Le Hon, Lesoinne, Maertens, Mascart, Mercier, Moncheur, Moreau, Orts, Osy, Rogier, Roussel (A.), Rousselle (Ch.), Thiéfry, T’Kint de Naeyer, Vanden Branden de Reeth, Vander Donckt, Van Hoorebeke, Van Overloop, Vermeire et Allard.

Oui répondu non : MM. Clep, David, de Man d'Attenrode, de Renesse, de Ruddere, de Sécus, de Steenhault, de Theux, Landeloos, Malou, Moxhon, Pirmez, Thienpont, Tremouroux, Vandenpeereboom (A.), Vandenpeereboom (E.), Van Grootven, Vilain XIIII et Ansiau.

M. Orban, qui s'est abstenu, motive en ces termes son abstention, - Messieurs, je ne pouvais refuser au gouvernement le moyen de combler un déficit qui n'est pas son fait ; par conséquent je n'ai pas pu voter contre la loi. D'un autre côté, je n'ai pas pu voter pour, parce que je crois qu'il y a d'autres impôts plus justes à établir, qu'il faudrait faire cesser l'exemption du droit de timbre dont jouissent notamment les annonces des journaux, avant d'augmenter les chriges qui pèsent sur la contribution foncière.

Nomination de la députation au roi

Tirage au sort de la députation chargée de présenter à Sa Majesté les félicitations de la chambre à l’occasion du Nouvel An

Le sort désigne : MM. Mercier, de Naeyer, Prévinaire, Vilain XIIII, de La Coste, Van Overloop, de T'Serclaes, F. de Mérode, de Baillet-Latour, Verhaegen et Rogier.

Conformément à la décision que la chambre a prise au commencement de la séance, l'assemblée se sépare jusqu'au mardi 17 janvier prochain à 2 heures.

- La séance est levée à 5 heures.