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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 18 décembre 1855

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1855-1856)

(Présidence de M. Delehaye.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 253) M. Ansiau procède à l'appel nominal à une heure et un quart.

M. Calmeyn donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Ansiau fait connaître l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Plusieurs ouvriers typographes à Bruges demandent qu'il leur soit accordé un subside sur les fonds de l'Etat. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi concernant un crédit de 1,500,000 francs.


« Les sieurs Ledent, Halleux et un grand nombre d'autres membres de la société typographique liégeoise, demandent que des secours soient accordés en faveur des ouvriers typographes qui se trouvent dans une position nécessiteuse. »

- Même décision.


« Plusieurs habitants de Jemeppe demandent que l'existence des fabriques de produits chimiques soit régularisée par des autorisations suffisantes, que les appareils de ces établissements soient modifiés, de manière qu'il ne sorte plus des usines des émanations nuisibles à la santé des hommes, aux récoltes et aux arbres, et qu'il soit procédé à l'estimation des dommages causés par la fabrique de produits chimiques d'Auvelais. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les sieurs Delaunay, Martinage, Amand et Cuvelier qui ont été attachés en qualité de professeurs ou de surveillants à l'école d'agriculture de Leuze, actuellement supprimée, demandent le remboursement des sommes qu'ils ont versées à la caisse centrale de prévoyance des professeurs et instituteurs urbains. »

- Même renvoi.


« Des industriels, négociants et propriétaires à Baisieux demandent la construction d'un chemin de fer destiné à relier la ville de Gand et les deux Flandres au bassin de Mons, et présentent des observations en faveur du tracé proposé par les sieurs Maertens, Hertogs et Hoyois. »

« Même demande des industriels, négociants et propriétaires à Quiévrain. »

- Même renvoi.


« Les membres du conseil communal de Marbais prient la Chambre d'accorder au sieur Delstanche la concession du chemin de fer de Luttre à Maestricht. »

- Même renvoi.


« Le conseil des prud'hommes de Lokeren présente des observations sur la compétence de ce corps judiciaire. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal de Lanaeken prie la Chambre d'accorder au sieur Bruys la concession du chemin de fer de Maestricht à Hasselt. »

- Même renvoi.


« Le sieur Govaerts demande que son fils, milicien de la levée de 1855, obtienne un congé de 6 mois. »

- Même renvoi.


« La dame Desmet, veuve du sieur Léon, ancien militaire et sous-directeur de la boulangerie militaire, demande une pension. »

- Même décision.


« Les secrétaires communaux du canton de Jodoignc demandent que leur position soit améliorée. »

- Même renvoi.


« Par cinq pétitions, des habitants du canton de Fosse prient la Chambre de maintenir les subsides en faveur de la race chevaline. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget de l'intérieur.


« Les sieurs Vandervoort, Delcroix et Peeters, président et membres du comité central flamand, demandent que les règlements, les livrets et les registres d'inscription qui devront être libellés à l'usage des populations flamandes, pour l'exécution du projet de loi sur le halage des bateaux, soient rédigés en langue flamande. »

M. Dellafaille. - Je demande le renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.

- Cette proposition est adoptée.


« M. Van Overloop informe la Chambre que la perte qu'il vient de faire de son frère ne lui permet pas d'assister à la séance et demande un congé. »

- Accordé.


« M. de T'SercIaes, retenu par des affaires urgentes, demande un congé. »

- Accordé.

Projet de loi sur la libre entrée du charbon

Rapport de la section centrale

M. Veydt. - J'ai l'honneur de déposer le rapport sur le projet de loi autorisant le gouvernement à permettre la libre entrée du charbon de terre pendant l'exercice 1856.

- Ce rapport sera imprimé et distribué et mis à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi accordant un crédit provisoire au budget du ministère des travaux publics

Rapport de la section centrale

M. de Man d'Attenrode. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale sur le crédit de 2,383,774 fr. demandé par le département des travaux publics.

- Ce rapport sera imprimé et distribué et mis à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi modifiant la loi sur les extraditions

Dépôt

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer un projet de loi ayant pour objet d'introduire une disposition additionnelle à l'article 6 de la loi du 1er octobre 1833 sur les extraditions.

- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation du projet de loi qu'il vient de déposer.

Ce projet sera imprimé, distribué et renvoyé à l'examen des sections.

Projet de loi accordant un crédit provisoire au budget du ministère de l'intérieur

Dépôt

M. le ministre des finances (M. Mercier). - J'ai l'honneur de présenter un projet de loi ayant pour objet d'accorder un crédit supplémentaire de 1,200,000 francs.

- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation du projet de loi qu'il vient de déposer.

Ce projet sera imprimé, distribué et renvoyé à l'examen de la section centrale du budget de l'intérieur.

Projet de loi sur les denrées alimentaires

Second vote des articles

Article premier

M. le président. - L'article premier, dans lequel a été introduit un amendement proposé par M. Manilius, est ainsi conçu :

« Art. 1er. Sont déclarés libres à l'entrée : le froment, l'épeautre mondé ou non mondé, le méteil, les lentilles, les pois et les fèves (haricots), le seigle, le maïs, le sarrasin, les féveroles et les vesees, l'orge, la drèche (orge germée), l'avoine, le gruau et l'orge perlé, les farines et moutures de toute espèce, le son, la fécule et les autres substances amylacées, le riz, le pain, le biscuit, les pommes de terre, les taureaux, les bœufs, les vaches, les bouvillons, les taurillons, les génisses, les veaux, les moutons, les agneaux, les cochons et les viandes de toute espèce.

« Sont aussi déclarés libres à l'entrée, toutes espèces de poissons autres que :

« Les barbues fraîches,

« Les cabillauds frais,

« Les églefins frais,

« Les elbots frais,

« Les éperlans frais,

« Les merlans frais,

« Les soles fraîches,

« Les turbots frais,

« Les saumons frais, salés, fumés et séchés,

« Les anchois frais, salés, fumés et séchés,

« Les écrevisses fraîches,

« Les homards frais,

« Les huîtres fraîches,

« Les raies fraîches,

« Les flottes fraîches,

« Les plies fraîches,

« et la morue en saumure et au sel sec. «

- Adopté.

Article 2

« Art. 2. Le froment, l'épeautre mondé ou non mondé, le seigle, le sarrasin, le mais, les farines et moutures de toute espèce, les pommes de terre, les fécules et le pain sont prohibés à la sortie. »

- Les amendements en ce qui concerne l’épeautre mondé ou non-monde et le maïs sont définitivement adoptés sans discussion.

La discussion s'ouvre sur l'amendement relatif au pain.

M. de Baillet-Latour. - Messieurs, parmi les amendements qui ont été votés, il en est un qui m'a suggéré quelques observations que je crois devoir soumettre à la Chambre.

Je veux parler de celui qu'a fait adopter l'honorable M. Van Renynghe. Je ne m'oppose pas à ce qu'on prohibe la sortie du pain. Mais on a signalé avec raison la nécessité d'une exception ea faveur des (page 254) approvisionnements de route qu'emportent les bateaux à vapeur et les pécheurs.

Le gouvernement a donné à ce sujet des explications rassurantes. A mon tour, je crois devoir réserver une exception en faveur du pain quotidien qu'emportent dans leurs sacs ou leurs hottes les ouvriers belges qui passent la frontière pour aller travailler en France.

Le fait se produit particulièrement dans la province que je représente ; on sait qu'il y a beaucoup de bois situés sur la limite des deux pays. Un grand nombre de nos travailleurs franchissent cette limite pour aller essarter ces bois dans les communes françaises voisines de celles qu'ils habitent.

Ce serait pour eux une grande gêne, souvent même une cause de perte, que l'impossibilité où on les mettrait d'emporter avec eux le pain préparé dans leur ménage ; il peut même arriver qu'ils aillent travailler sur un territoire isolé, où il leur serait impossible de se procurer leur existence. La prohibition leur ferait perdre le moyen de gagner la vie de leur famiilc.

Je pense donc, messieurs, qu'il y aurait lieu d'ajouter à l'aricle. 2, tel qu'il est aujourd'hui rédigé, ces mots ;

« Toutefois, est excepté de cette prohibition le pain destiné à la nourriture des ouvriers belges qui vont travailler temporairement sur le territoire étranger contigu à la frontière. »

Cette addition constitue un amendement que j'ai l'honneur de proposer à la Chambre et de déposer sur le bureau.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Messieurs, pour éviter une discussion, je crois devoir annoncer à la Chambre que le gouvernement renonce à la prohibition de la sortie du pain. La question en elle-même est fort peu importante, et telle prohibition pourrait donner lieu à des vexations pour les habitants des frontières. Elle pourrait même donner lieu à de grandes difficultés pratiques pour le départ des navires.

J'ai fait vérifier quelle est l'importance des exportations de pain, et elles sont réellement insignifiantes. Je crois qu'en présence du résultat qee nous voulons obtenir, nous devons renoncer au petit avantage qui pourrait résulter pour les habitants de nos frontières de la prohibition de sortie du pain. Je suis persuadé qu'ils comprendront que des nécessités administratives, s'opposent à ce que cet article peu important soit prohibé à la sortie.

M. Osy. - N'ayant pu assister aux dernières séances, je comptais combattre aujourd'hui l'extention de prohibition que la Chambre a admise au premier vote. Je vois avec plaisir que le gouvernement renonce à la disposition relative au pain. Mais, comme il se pourrait qu'un certain nombre de membres fussent disposés à maintenir le premier vote, je suis obligé de demander à M. le ministre des finances, si dans le cas où la prohibition du pain serait définitivement admise, non seulement les bateaux à vapeur, mais les navires quittant nos ports, pourront emporter du pain pour leurs équipages et leurs voyageurs.

Dans les observations échangées sur l'interpellation de l'honorable M. Deliége, il n'a été question que des bateaux à vapeur et il faut qu'il soit entendu que tous les navires jouiront des mêmes facultés.

Messieurs, j'ai donné mon adhésion à l'article premier, mais comme je me propose de voter contre l'ensemble de la loi, il doit être entendu que mon vote contraire ne s'applique qu'à l'article 2 ; que c'est pour protester contre cet article 2, que j'émets un vote négatif, mais que j'approuve l'article premier.

M. le ministre des finances (M. Mercier). - Ainsi que vous l'a dit mon honorable collègue, M. le ministre de l’intérieur, le gouvernement abandonne la disposition relative au pain. Je me borne donc à déclarer que c’est bien dans le sens que vient de l'exposer l'honorable M. Osy qu'au premier vote le gouvernement avait accepté cet amendement. Le gouvernement d'ailleurs entendait aussi cette disposition comme l'honorable M. de Baillet.

M. Van Renynghe. - Messieurs, il n'est jamais entré dans ma pensée de proposer la prohibition à la sortie du pain coupé ou de celui dont a besoin l’équipage d'un navire.

J'ajouterai, messieurs, à l'appui de mon amendement que, quand même la mesure que j’ai proposée ne pourrait produire que peu d'effet dans l’intérieur du pays, on devrait cependant l'adopter dans l'intérêt de certaines communes frontières, dont la population voit, avec un sentiment pénible, expoiter une denrée alimentaire qui est sa principale nourriture.

M. Tesch. - Si l'hypothèse prévue par l'honorable M. Osy, c'est-à-dire le maintien dans l'article 2 de la prohibition du pain, venait à se réaliser, resterait l’amendement de l'honorable comte de Baillet que nous pourrions sous-amender, en décidant la liberté de la sortie du pain nécessaire pour les approvisionnements des navires, et en même temps la liberté de sortie du pain qui ne serait exporté qu’en certaines quantités.

Ainsi, je ne pense pas qu'on ait envie de prohiber le pain qu'un pauvre viendra demander en Belgique.

M. Sinave. - Pour le cas où l’amendement de l’honorable M. Van Renynghe serait admis par la Chambre, je proposerais d’ajouter : sont exceptés les approvisionnements destinés aux équipages et aux passagers des navires de mer. »

M. Magherman. - Quoique je ne sois pas le partisan quand même du système protecteur, il me paraît que si nous voulons que l’article 2 soit efficace, il convient que nous maintenions la prohibition du pain.

En effet, pourquoi autoriser l'exportation des grains, l'exportation des farines sous forme de pain, quand nous en prohibons l'exportation en nature ? L'homme ne consomme pas le grain, ne consomme pas la farine ; c'est le pain qu'il consomme.

On dit : L'exportation du pain n'est pas considérable. Mais ce qui n'existe pas aujourd'hui peut exister plus tard. Des boulangeries peuvent s'organiser sur les frontières pour l'exportation du pain en grand. Avec la facilité des communications que nous avons, ces exportations pourraient devenir très considérables.

Lorsqu'on est entré dans le système de la prohibition en ce qui concerne les denrées alimentaires, on a commencé par interdire la sortie des pommes de terre. Eh bien, pour rendre cette prohibition efficace, qu'a-t-on dû faire ? On a dû, peu de temps après, prohiber la sortie des fécules. Il en sera de même pour les farines. Si l'on se contente de la prohibition de la sortie de cette denrée en nature, on l'exportera sous forme de pain.

Pour être logique et pour que la prohibition des grains à la sortie soit efficace, l'amendement de l'honorable M. Van Renynghe doit être maintenu.

M. Deliége. - J'espère que la Chambre accueillera la proposition de M. le ministre de l'intérieur de ne pas comprendre dans la loi la prohibition quant au pain. Si elle était maintenue, elle donnerait lieu à une foule de vexations, et la Chambre ne veut sans doute pas que l'on tourmente de pauvres ouvriers qui vont d'un pays à l'autre ; et dans les provinces frontières, par exemple, dans la province de Liège, le nombre en est grand. Le samedi soir on peut en voir repassant la frontière par centaines, je dirais par milliers, si je ne craignais d'être taxé d'exagération, et je serais cependant dans le vrai. Ces ouvriers emportent ordinairement avec eux du pain qu'ils font eux-mêmes ; c'est le pain du pauvre que l'on ne trouve pas chez le boulanger. Des familles entières se rendent le lundi à l'étranger, elles se composent de 5, 6 et quelquefois de 10 personnes, et y transportent leur pain pour une semaine.

Voudriez-vous, messieurs, exposer ces malheureux ouvriers, qui ont tant de peine à gagner leur vie, aux vexations de la douane ? Je suis loin de dire qu'il y a des employés belges qui vexent les geus. Mais les employés font leur devoir, et ces pauvres ouvriers seraient tourmentés.

Je crois, messieurs, que c'est là une disposition qu'une Chambre belge n'admettra pas.

M. Rodenbach. - Il y a, à Menin, trois à quatre mille ouvriers belges qui, ne trouvant pas assez d'ouvrage dans leur pays, vont en chercher en France et reviennent chaque jour à Menin. Il faut donc qu'ils emportent, le matin, avec eux le pain nécessaire à leur nourriture quotidienne. Eh bien, messieurs, pouvez-vous songer à leur enlever cette faculté de prendre leur pain en Belgique et a les obliger de s'en pourvoir à l’étranger ? M. le ministre de l'intérieur a très bien fait de ne pas persister dans l'appui qu'il avait d'abord donné à l'amendement introduit à l’article 2 relativement au pain et j'espère que la Chambre tout entière agira de même.

M. Dumortier. - Il est évident que si l'on n'adopte pas cet amendement on pourra s'autoriser d'une manière absolue de la faculté d'exporter librement le pain pour rendre illusoire la prohibition de la sortie du grain. (Interruption.) Il est incontestable, je le répète, que si, après avoir prohibé la sortie du grain en nature, vous autorisez la sortie du pain, c’est absolument comme si vous n'aviez pas établi cette prohibition. On l'a dit, messieurs, les provinces voisines de la frontière de France sont précisément celles où le pain est le plus cher, celles, par conséquent, où l'exportation est la plus dangereuse.

Maintenant on vient nous présenter une objection en faveur des ouvriers qui vont chercher du travail en Frame. Mais, il est excessivement facile de maintenir l'amendement de M. Van Renynghe sans nuire aux ouvriers ; quand ils voudront sortir avec un pain, le douanier le coupera ; la fraude sera ainsi rendue impossible et du moins on empêchera l'exportation du pain, c'est-à-dirc, en d'autres termes, qu'on empêchera qu'il ne soit porté atteinte au principe consacré quant à la prohibition du grain à la sortie.

Je comprends que ceux qui ne voulaient pas de cette prohibition cherchent à en atténuer indirectement les effets, mais nous, majorité, nous qui avons voté la prohibition du grain à la sortie, nous ne pouvons pas vouloir que le grain prohibé à la sortie puisse sortir du pays sous forme de pain.

- Plusieurs membres. - Aux voix ! aux voix !

M. Deliége. - Un mot seulement, messieurs. Il serait complètement impossible d'établir la fraude sur uue grande échelle : il n'y a pas assez de fours en Belgique pour que la fraude pût s'exercer d'une manière sérieuse et certainement on n'en construira pas expressément pour faire la fraude.

- L'amendement de M. Van Renynghe est mis aux voix ; il n'est pas adopté.

L'article 2 est mis aux voix et adopié avec la suppression des mots « et le pain ».

Article 3

« Art. 3. Les dispositions qui précèd-îst sortiront leurs effets jusqu'au 31 décembre 1856. Toutefois, le gouvernement pourra, avant (page 255) cette époque, faire cesser les effets de l'article premier, en ce qui concerne les harengs, et ceux de l'article 2. »

M. Tesch. - Messieurs, je désirerais avoir une explication de M. le ministre de l'intérieur sur l'article 3. Aux termes de cet article le gouvernement peut faire cesser les effets de l'article premier en ce qui concerne les harengs et ceux de l'article 2. Cette dernière disposition est conçue en termes généraux. Je ne crois pas que le ministre voie des difficultés à faire cesser, le cas échéant, les effets de l'article 2 en partie, à les faire cesser sur les frontières des pays qui n'auraient point, par exemple, la prohibition de la sortie des denrées alimentaires dans leur législation. J'établirais un système de réciprocité qui atténuerait les conséquences d'une loi mauvaise en elle-même, puisqu'elle ne tend, en définitive, qu'à encourager les préjugés populaires. Je voudrais donc qu'on exécutât l'article 3 en ce sens qu'à l'égard des pays qui n'admettent pas la prohibition législative de la sortie des denrées alimentaires, on fasse également cesser la prohitition en Belgique.

En interprétant ainsi la loi, le ministère serait armé de manière à éviter les représailles qui peuvent nous atteindre de la part de la Hollande, de la Prusse et d’autres pays qui n’admettent pas la prohibition.

Le gouvernement ne serait du reste parfaitement libre de faire cesser les effets de l'article 2 que d'une manière générale. Je ne veux en rien diminuer sa liberté, l'interprétation que je donne à l'article 3 ne tend qu'à l'augmenter.

M. Dumortier. - Messieurs, ce que propose l'honorable M. Tesch c'est le renouvellement de la proposition de l'honorable M. Thibaut qui n'a pas été appuyée (interruption) ou qui n'a été appuyée que par l'honorable M. Thibaut lui seul. On n'est donc pas admis à remettre ce système aux voix. L'honorable M. Tesch dit que ce n'est pas ce système dont il s'agit. C'est donc un système nouveau que vous prétendez proposer, si c'est un système nouveau.

Il y a plus : Que veut l'honorable membre ? un système d'interprétation. Comment, lui qui a été ministre de la justice, peut-il admettre que la Chambre ait le droit de faire un système d'interprétation à elle seule ? Si vous avez un amendement à faire adopter dans le sens de vos observations, vous devez le faire voter par les trois branches du pouvoir législatif. Aux termes delà Constitution, la Chambre n'a pas le droit de donner seule, à une loi, une portée qu'elle n'a pas ; la loi ne peut être faite ou interprétée que par les trois branches du pouvoir législatif.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - On a demandé au gouvernement de s'expliquer sur ses intentions relativement à l'application de l'article 3. Messieurs, son intention est de donner aux derniers mois de l'article 3 une portée autre que celle que leur donne l'honorable M. Tesch. Le gouvernement ne se croit pas autorisé par cet article, tel qu'il est rédigé, à admettre dans aucune circonstance une exécution partielle du système de prohibition décrété par l'article 2.

Voilà quant à l'intention que le gouvernement a eue en vous présentant l'article 3. La levée de la prohibition doit être générale.

Quant à l'interprétation que l'honorable membre voudrait voir donner par la Chambre aux derniers mots de l'article 3, convient-il de l'accepter ? Je crois qu'il y aurait de grands inconvénients à admettre éventuellement l'application partielle de cet article. L'exécution pourrait être partielle, soit quant aux pays vers lesquels on lèverait la prohibition, soit quant aux articles dénommés à l'article 2.

M. Tesch. - Non, il ne s'agit que du droit d'établir la réciprocité.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Le gouvernement croit devoir se refuser à accepter les pouvoirs qu'on veut lui laisser quant à l'application partielle de l'article 3.

Cetle nouvelle interprétation donnée à l'article 3 pourrait causer de graves embarras dans l’application. Le gouvernement doit pouvoir, en présence de réclamations éventuelles de gouvernements étrangers, se retrancher derrière la volonté de la Chambre exprimée dans l'article 2. S'il était autorisé à lever partiellement la prohibition, le gouvernement, loin d'y trouver des avantages, comme on semble le dire, y trouverait de grandes difficultés pour refuser la levée de la prohibition quand elle lui serait demandée.

D'ailleurs, il faut se conformer à l'interprétation qui a été constamment donnée aux dispositions analogues introduites dans les lois précédentes sur les denrées alimentaires. S'il se présente des circonstances telles que nous puissions lever la prohibition, nous le ferons à toutes nos frontières et pour les denrées énumérées à l'article 2.

M. Osy. - Je vous avoue que je trouve la proposition de l'honorable M. Tesch très conséquente. Maintenant que la guerre nous empêche de tirer nos approvisionnements des principaux pays producteurs du nord, nous ne pouvons guère faire venir les grains dont nous avons besoin que par les frontières de terre. Dans cette situation nous avons fait des achats considérables de grains dans les provinces rhénanes.

Si le gouvernement prussien venait à prendre vis-à-vis de nous des mesures de représailles, la prohibition que nous aurions décrétée ne tournerait-elle pas contre nous ? Je vous demande s'il ne vaut pas mieux laisser au gouvernement les moyens d'avoir avec les pays qui nous environnent des relations réciproques, et pour ma part j'aime mieux établir la réciprocité avec des pays de liberté qu'avec des pays de restriction.

Ce que l'on vous propose est une violation de la Constitution, vous ne pouvez pas l'admettre.

M. Frère-Orban. - Je crois devoir insister sur l'observation de l'honorable M. Tesch. Il ne fait pas de proposition, il n'a pas déposé d'amendement, il demande quel est le sens que l'on donne aux termes de la loi qui est encore en projet, qui est en discussion et à laquelle la Chambre peut donner sa signification. Or, d'après M. le miuisire de l'intérieur, la disposition est absolue, elle ne permet au gouvernement de faire aucune exception quelconque ; et il aime qu'il en soit ainsi afin que le gouverncuonl puisse se retrancher derrière les intentions de la Chambre pour repousser éventuellement les prétentions des gouvernements étrangers.

Je suppose que l'un de ces gouvernements déclare au gouvernement belge que si la prohibition est maintenue eu ce qui le regarde, il frappera aussi de prohibition de sortie les produits dont nous avons un besoin indispensable, que fera le gouvernement, les chambres n'étant pas réunies ? (Interruption.)... Ces pouvoirs vous sont donnés pour en user, non pendant la réunion des chambres, mais après la clôture de la session. Que ferez-vous en pareil cas ? Cela pourrait avoir des conséquences graves. Nous recevons les cinq sixièmes de nos blés du Zollverein ; nous prohibons cependant la sortie par toutes nos frontières, par celles du Zollverein comme par les autres ; si l'Allemagne, agissant comme vous le faites, invoquant les raisons que vous invoquez, appliquait, par représailles, les principes qui ont été préconisés dans cette enceinte, le gouvernement ira-t-il se s retrancher derrière les intentions présumées de la Chambre ou ne se hâtera-t-il pas, au contraire, de prévenir les conséquences redoutables de pareilles mesures ? N'est-il donc pas prudent de lui attribuer le pouvoir de faire cesser, en partie, les effets de la loi ? Que le gouvernement y songe, la loi qu'il a proposée et défendue n'est pas seulement, dans ses dispositions prohibitives, un acte nuisible, contraire à l’intérêt bien entendu des populations, mais il est encore injuste et impolilique à l'égard de l'étranger qui n'a mis aucun obstacle aux libres relations avec notre pays.

M. le ministre des finances (M. Mercier). - Il a plu à l'honorable M. Tesch de mettre en question ce qui ne l'a pas été jusqu'ici. La disposition dont il s'agit se trouvait dans la loi que nous avons votée, l'année dernière. Tout le monde l'a comprise comme nous l'entendons. Quant à l'observation de l’honorable M. Frère-Orban, elle pourrait s'appliquer à toutes nos lois de douane ; elles sont toujours considérées comme étant d'application générale ; tel est le principe qui est toujours appliqué lorsque la loi ne dit pas le contraire. Lorsque nous votons une loi quelconque de douane, il se peut, et cela arrive souvent, qu'un gouvernement voisin soit mécontent de la voir appliquer sur sa frontière et nous adresse même des plaintes à cet égard.

Nous faisons une loi d'intérêt public, elle est conçue dans les mêmes termes que celle de l'année dernière, elle a la même portée que celle qu'elle va remplacer. Jamais on n'a élevé le moindre doute sur son application, tout le monde lui a attribué le même sens que nous, il est évident que quand on ne stipule pas de droit différentiel ou de faculté spécialement déterminée d'en établir, la règle est générale et s'applique à tous les pays.

M. Tesch. - L'honorable M. Dumortier prétend que ce que je propose n'est que la reproduction du système proposé par M. Thibaut, au premier vote, déjà repoussé par la Chambre et qui n'avait pas même été appuyé. Cela est complètement inexact. L'hohorable M. Thibaut proposait de ne pas laisser sortir les dénrées alimentaires par les frontières de terre, mais de les laisser sortir par mer. Ma proposition est diamétralement opposée ; je propose d'autoriser le gouvernement à ne pas maintenir la prohibition.sur les frontières touchant aux pays qui sont soumis à un régime plus libéral que celui que nous nous proposons d'établir. Dans toutes les discussions économiques que nous avons eues à la Chambre, les orateurs se sont fait un argument contre ceux qui se montraient partisans de la liberté du commuree, de ce qu'on ne nous suivait pas dans cette voie. Nous voulons, disaient-ils, le libre échange, mais seulement vis-à-vis des puissances qui l'admettent.

Voilà l'argument qu'on nous opposait. Or, qu'est-ce que je veux ? Je dis : Admettez le libre échange pour les denrées alimentaires, vis-à-vis les puissances qui l'admettent, c'est le moyen de conjurer les crises, c'est le moyen de faciliter la circulation des denrées alimentaires.

C'est une voie de progrès, je vous engage à y entrer ; c est une occasion, un moyen d'arriver au commerce libre des denrées alimentaires, but qu'on ne peut manquer d'atteindre un jour ou l'autre.

Il y a une raison très grave d'admettre l'amendement que je propose. Le ministère reconnaît que sa loi est détestable au point de vue économique ; au point de vue moral, elle n'est pas meilleure. Vous devez avouer que vous faites une loi qui aura pour effet de fortifier, d'eucourager les préjugés ; n'est-ce pas ià un déplorable résultat ? Ella est mauvaise encore sous un autre rapport :

. Sans faire de la politique sentimentale et humanitaire, il faut cependant avouer qu'une loi qui doit avoir pour effet d’empêcher des voisins, parce qu'ils sont étrangers, de venir se procurer du pain dans ce pays, n'est pas faite pour élever les caractères et développer les bons sentiments ; mais qu'elle est faite au contraire pour donner satisfaction aux mauvais instincts de l'homme.

Vous devez donc accepter le moyen d'en atténuer les effets ; d'amoindrir autant que possible les effets d'une semblable loi, et ce moyen je vous l'offre.

Que pouvez-vons objecter à l'interprétation que je propose ? Des (page 256) considérations politiques ? Je les accepte, vous craignez le sentiment des populations, l'excitation que la libre sortie pent produire. Mais cette excitation n'existe que parmi les populations qui se trouvent sur des frontières où la réciprocité n'est pas accordée. Ainsi j'ai souvent entendu dire qu'il éiait injuste de laisser exporter nos céréales dans des pays qui ne permettraient pas qu'on nous importe les leurs. Ainsi, dans ma province on s'est plaint de ce qu'on pût importer en France où la sortie était prohibée. Mais contre le grand-duché de Luxembourg qui permet la sortie, je n'ai jamais entendu réclamer la prohibition.

On a beaucoup parlé du sens commun du peuple belge, quoiqu'on en si peu tenu compte en présentant une loi qui consacre ce qu'on avoue être un préjugé, mais grâce à ce sens commun les populations admettront, comprendront qu'on traite les nations voisines avec réciprocité ; qu'on prohibe sur les frontières du pays où la prohibition est admise ; qu'on consacre la sortie vers les pays qui admettent le même régime. L'amendement que je propose n'est pas un système nouveau, ce n'est que•la loi existante et telle qu'elle doit être comprise. Je propose donc d'ajouter à l'article ces mots « par la frontière qu'il désignera. »

M. le président. - A quoi rattachez-vous votre amendement ?

M. Tesch. - Aux articles 2 et 3 qui étendent, par suite des amendements, la prohibition de sortie.

M. le président. - L'article 3 a été définitivement adopté, sauf l'amendement de l’honorable M. Calmeyn.

M. Tesch. - L'article est relatif à la cessation des effets de l'article 2. Nous sommes à discuter l'interprétation à donner à l'article 3.

Le gouvernement peut admettre l'interprétation que je propose : car qui peut le plus, peut le moins. Si l'on suit les règles ordinaires d'interprétation, l'amendement est inutile ; car, en vertu de l'article 3, le gouvernement a le droit de faire cesser les effets de l'article 2, d'une manière générale. En tout, il le peut donc aussi pour partie.

J'aurais donc pu me dispenser de présenter mon amendement. Mais comme il paraît y avoir du doute sur le sens de l'article, je le fais cesser par une nouvelle rédaction.

M. le ministre des finances (M. Mercier). - Je me permettrai de faire remarquer à la Chambre que nous recommençons la discussion générale si nous délibérons sur la portée d'un article que nous avons vote à une grande majorité, et dont le texte ne permet aucun doute. Il n'y a plus d'amendement possible à une disposition que la Chambre a adoptée sans modification dans le sens absolu que le gouvernement lui a attribué. On ne voudrait pas, j'en suis persuadé, par une subtilité que je ne veux pas prévoir, prétendre avoir le droit de l'amender ou de la modifier, par la raison ou sous le prétexte qu'un amendement, tout à fait étranger à son objet, a été introduit à l'article 3 du projet lors du premier vote. Cela serait contraire à l'esprit de notre règlement.

L'honorable membre ne peut plus être admis à présenter un amendement ; il devait faire valoir ses observations dans la discussion générale. Ce serait, je le répète, recommencer cette discussion et la prolonger indéfiniment.

J'espère que la Chambre partagera mon opinion, et qu'elle ne permettra pas que cet amendement soit mis en discussion.

M. Dumortier. - En vérité, la proposition que fait l’honorable député d’Arlon est inconcevable. En effet, l’article 3 statue que les dispositions qui précèdent sortiront leurs effets jusqu’au 31 décembre 1856 et que le gouvernement pourra avant cette époque suspendre les effets de l’article premier, en ce qui concerne les haregns, et de l’article 2. Il est impossible de s’exprimer d’une manière plus claire. Le gouvernement peut faire cesser les effets de l’article 2, voilà ce que porte la loi.

Mais l'honorable M. Tesch veut lui faire dire autre chose. Il prétend qu'en vertu de cet article le gouvernement a le droit de lever la prohibition de sortie à l'une ou l'autre frontière. Mais la loi ne dit pas cela. Elle csi générale, elle autorise la levée de la prohibition, pas autre chose.

Ce que vous avez définitivement voté, l'honorable M. Tesch veut le modifier aujourd'hui.

M. Tesch. - Non, mais l'interpréter.

M. Dumortier. - Mais votre interprétation est un mensonge, car la loi dit le contraire.

M. le président. - M. Dumortier, veuillez vous interdire de telles expressions.

M. Dumortier. - M. le président, cette expression est permise, quand il s'agit des choses et non des personnes. Ainsi, tous les jours on dit que la Constitution serait un mensonge si on l'appliquait de telle et telle manière.

M. le président. - L'expression n'est pas parlementaire.

M. Dumortier. - Pardon, monsieur le président, elle est parlementaire dans tous les pays du monde.

L'amendement est-il recevable oui ou non ? Je dis qu'il ne l'est pas en présence de l'article 45 du règlement aux termes duquel devront être soumis à un second vote tous les amendements adoptés, les articles rejetés, qui ne permet de présenter au second vote que les amendements nouveaux qui seraient la conséquence de ces votes, et qui interdit expressément la présentation d'autres amendements.

L'amendement de M. Tesch est donc formellement interdit par le règlement, et nous violerions le règlement, si nous le mettions aux voix.

Quant à l'interprétation, c'est un texte tellement clair, qu'il n'est pas sujet à interprétation. Comme l'ont dit MM. les ministres des finances et de l'intérieur, l'article n'est pas nouveau, il a déjà été voté l'an dernier.

Mais voici que l'honorable M. Tesch, subitement illuminé, y voit ce qu'on n'a jamais vu : il prétend que la prohibition est immorale et contraire aux sentiments du peuple belge. Libre à l'honorable membre qui vit dans les illusions du libre échange, de croire qu'il en est ainsi. Mais nous qui vivons au milieu du peuple belge, qui connaissons ses sentiments, nous disons que la prohibition de sortie est une mesure morale, patriotique, hautement approuvée par ceux dont on invoque ici le nom.

M. Tesch. - Nous en avons subi l'épreuve.

M. Dumortier. - Nous en avons subi l'épreuve ! et c'est parce que nous en avons subi l'épreuve que le peuple le veut, parce qu'il sait fort bien que pendant les cinq premiers mois de cette année, c'est-à-dire pendant les mois d'hiver, qui ont suivi la prohibition, le grain a été de 4 fr. moins cher que sur tous les marchés de l'Europe.

M. Lesoinne. - C'est une erreur.

M. de Naeyer, rapporteur. - Il est aujourd'hui 3 à 4 fr. plus cher.

M. Dumortier. - Je dis donc que l'honorable M. Tesch n'est nullement fondé à venir dire qu'en soutenant la prohibition, nous ne faisons aucun cas des sentiments du peuple belge. Le peuple belge, d'un bout à l'autre, réclame la prohibition et c'est en son nom que nous venons la voter.

Quant à l'amendement, je dis qu'il est contraire au règlement et qu'il y a lieu de lui opposer la question préalable.

M. de Haerne. - Je crois, comme l'honorable ministre des finances, que la proposition de l’honorable M. Tesch est contraire au règlement, et pour ce motif je dois m'y opposer.

L'honorable M. Tesch nous dit que plusieurs membres de la Chambre, pour être conséquents, devraient adopter sa proposition, que ces membres ont déclare qu'ils seraient disposés à admettre la liberté si les autres nations nous payaient de réciprocité, que dès lors ils doivent voter pour la liberté de sortie des grains vis-à-vis des nations qui l'ont adoptée elles-mêmes.

Messieurs, j'admets le principe de la liberté avec réciprocité, mais il s'agit de l'application de ce principe dans sa généralité.

J'ai la conviction que si ce système était pratiqué par toutes les nations, quelques-unes pourraient en souffrir, mais je pense que la Belgique ne pourrait qu'y gagner quant à l'ensemble de ses produits. Lorsque nous avons parlé des avantages qu'il y aurait pour la Belgique à entrer dans le système général de liberté entre les nations, nous avons toujours entendu que cette liberté devait porter sur l'ensemble des produits. Une nation admet souvent la liberté pour un produit, et la prohibition pour un autre. Cette combinaison douanière n'est pas toujours également avantageuse pour toute autre nation. Dans tous les cas, une prohibition d'un seul produit, appliquée à toutes les frontières indistinctement, ne peut donner lieu à aucune plainte raisonnable de la part d'un pays qui serait froissé par cette mesure. Que penseriez-vous si nous allions dire à l'Angleterre : La Belgique usera de représailles à votre égard parce qu'ayant, par exemple, une fabrication très importante, celle du tabac, qui lui vaut en exportation de beaux bénéfices, vous adoptez pour ce produit un système de protection réellement prohibitif.

M. Lesoinne. - La culture du tabac y est prohibée.

M. de Haerne. - La culture y est prohibée ; oui, et cela prouve, soit dit en payant, que ce grand pays n'a pas toujours en horreur la prohibition ; mais l’introduction est permise à certains égards. L

L'Angleterre a établi ce système dans l'intérêt de son commerce maritime ; mais par ses droits réellement prohibitifs elle gêne notre agriculture et une de nos belles industries, qui prendraient, l'une et l'autre, une extension importante s'il nous était permis d'introduire nos tabacs à des droits raisonnables, dans le Royaume-Uni.

Si nous raisonnions, comme je viens de le dire, vis-à-vis de la Grande-Bretagne, quelle serait sa réponse ? Elle nous dirait avec raison : Le régime que j'ai adopté est un système général ; la Belgique ne peut donc m'en vouloir ; c'est une mesure qui est appliquée à tous les peuples.

Mais si l'Angleterre adoptait un droit protecteur ou un droit prohibitif à l'égard de certaines nations particulières, il n'en serait plus de même ; celles-ci auraient le droit de prendre des représailles. De même une nation étrangère pourrait agir contre nous, si nous établissions des droits particuliers sur sa frontière.

Or, tel n'est pas le caractère de la disposition que nous avons admise au premier vote. Cette disposition est une mesure générale qui s'applique à toutes nos frontières de terre comme à notre frontière de mer. Si donc une nation quelconque venait se plaindre de ce chef, notre réponse serait très simple ; nous diiions que cette nation esl dans son tort, et si elle adoptait des mesures douanières contre nous, la Belgique aurait le droit de prendre des représailles.

Voilà comment on a toujours entendu cette question dans cette Chambre ; et c'est sur ce terrain qu'il faut se placer lorsqu'on parle du système de liberté ou de prohibition dans ses rapports avec les pays (page 257) étrangers. Sans cela, on ne pourrait prendre aucune mesure de douane sans s'exposer à des hostilités de tarif de la part d'autres pays.

M. de Naeyer, rapporteur. - Tout ce qui a été dit par l'honorable M. Dumortier pourrait être exact si l'honorable M. Tesch avait présenté un amendement ou une disposition. Mais il n'a présenté ni amendement ni disposition quelconque, il a seulement exprimé son opinion sur le sens à donner à l'article.

M. le président. - C'est une erreur. M. Tesch a déposé un amendement. Il est ainsi conçu :

« Remplacer les cinq derniers mots de l'article 3 par les mots suivants :

« Et autoriser la libre sortie, par les frontières qu'il désignera, des denrées reprises à l'article 2. »

M. Tesch. - Je prie l'honorable M. de Naeyer de me permettre un seul mot. Mon amendement ne change rien au projet ; il tend uniquement à fixer le sens de l'article 3. Cet article serait entendu en ce sens, que le gouvernement, auquel on donne le droit de faire le plus, puisse aussi faire le moins. Si la Chambre reconnaît ce droit au gouvernement, je puis retirer mon amendement et je déclare le faire.

M. de Naeyer, rapporteur. - Je voulais parler dans me sens qui est maintenant la vérité, c'est que l'honorable M. Tesch n'avait présenté ni amendement ni proposition, et je crois qu'aux termes du règlement, il ne pouvait plus en présenter.

Je disais que cet honorable membre n'avait fait qu'exprimer sa pensée sur le sens à attacher à l'article 3. Eh bien, je crois que beaucoup de membres dans cette Chambre entendent l'article 3 de la même manière que lui, car il doit y avoir nécessairement beaucoup de membres qui pensent que le gouvernement pouvant le plus, peut aussi le moins. Telle est au moins ma manière de voir, je ne voulais dire que cela.

M. Coomans. - Je suis assez embarrassé. Y a-t-il un amendement ou n'y en a-t-il pas ?

M. le président. - Il n'y en a plus.

M. Coomans. - Alors la discussion tombe et elle a été fort inutile, puisqu'elle n'a pas de conclusion.

Je regrette que le sens de l'amendement de l'honorable M. Tesch ne soit pas celui que le gouvernement reconnaît à l'article. Mais j'ajoute que le gouvernement me paraît avoir parfaitement raison lorsqu'il dit qu'un amendement ne peut plus être apporté aux cinq derniers mots de l'article 3.

Je pense également, puisque nous en sommes à émettre individuellement des opinions, qu'il est bien entendu que le gouvernement pourra suspendre partiellement les effets de l'article 2, sinon en ce qui concerne les frontières, au moins en ce qui concerne les denrées indiquées à l'article 2. J'espère que nous sommes d'accord que le gouvernement pourra, par exemple, suspendre la prohibition de sortie de l'épeautre, du seigle et d'autres articles, sans lever la prohibition de sortie de tous les articles ensemble. C'est un point assez important auquel l'honorable M. Tesch n'a pas fait allusion.

M. Thibaut. - L'honorable M. Dumorlicr a prétendu, pour combattre l’interprétation de l'article 3, présentée par l'honorable M. Tesch, que cette interprétation est la reproduction, en d'autres termes, de l'amendement que j'avais proposé.

Je fais remarquer à la Chambre que tout ce qu'il y a de commun entre l'amendement interprétatif de l'honorable M. Tesch et mon amendement, que la Chambre a repoussé, c'est que l'un et l'autre limitent la prohibition.

Mais le mode d'action de ces amendements doit être tout à fait différent. Car évidemment, d’après l'interprétation de l'honorable M. Tesch, il ne s'agira jamais de lever la prohibition par la frontière maritime, puisqu'il n'est pas à supposer que l'Angleterre et la Hollande changent jamais leur système sur le commerce des denrées alimentaires. Dans le sens de l'honorable M. Tesch, il ne s'agira donc, tout au plus, que de lever la prohibition à la sortie par les frontières de terre, en la maintenant à la sortie par mer. Je pense dès lors, que l'argument de M. Dumortier tombe et ne peut être opposé à l'interprétation de M. Tesch.

M. le président. - Je vais mettre aux voix l'amendement de M. Caltneyn.

M. Frère-Orban. - N'y a-t-il pas de solution à la question soulevée par l’honorable M. Tesch ? Ne saurait-on pas quel est le sens que la Chambre entend donner à l'article ?

M. Dumortier. - C'est bien simple : ceux qui ont voté... (Interruption.)

M. Frère-Orban. - Je ferai remarquer à l'honorable M. Dumortier que je ne pretends nullement qu'il ait voté la disposition de l'article 3 avec la signification que lui donne l'honorable M. Tesch ; mais je le prie de vouloir bien permettre à M. Tesch d'avoir sur cette question une opinion autre que la sienne. Or, vous allez voter tous les deux une même disposition avec deux idées diamétralement opposées. Quel sera donc le sens de la disposition ?

Le gouvernement a émis deux opinions sur l'article 3 : la première consiste à dire que cet article est absolu, que le gouvernement est tenu de maintenir entièrement ou de lever entièrement les prohibitions prononcées par l'article 2 ; la seconde, c'est que ce même article lui donne le pouvoir de lever la prohibition en ce qui touche certaines matières. Je demande si cela est écrit dans l'article 3 ? Pas je moins du monde. Le gouvernement interprète donc l'article 3 ; il en infère qu'il pourra lever la prohibition pour le froment, l'épeautre, le maïs, s'il le trouve bon, sans lever en même temps la prohibition qui frappe tous les autres objets. Eh bien, lui dit l'honorable M. Tesch, veuillez déclarer aussi que vous pourrez lever la prohibition de sortie par certaines frontières.

C'est un pouvoir que l'on veut vous donner et les circonstances peuvent être telles, en effet, que vous soyez dans le cas de devoir en faire usage. Ces circonstances peuvent se produire dans un moment où les Chambres ne seraient pas réunies ; il vaut donc mieux que vous soyez investi de cette faculté, et rien ne s'oppose à ce qu'on donne à l'article 3 le sens que nous indiquons. Si le gouvernement ne s'explique pas d'une manière satisfaisante, il ne restera qu'à proposer un ordre du jour motivé afin de permettre à la Chambre de formuler clairement sa pensée.

M. le ministre des finances (M. Mercier). - L'intention du gouvernement ne peut pas être un seul instant douteuse : jamais on n'a cru dans le pays qu'en vertu des lois précédentes le gouvernement eût la faculté de lever la prohibition à la sortie par certaines frontières ou de ne faire sortir qu'en partie les effets de la loi. Cette question s'étant produite d'une manière tout à fait inattendue, je n'ai pas pu faire de recherches ; mais je me rappelle parfaitement que quand le gouvernement a eu l’intention de demander le pouvoir de faire cesser partiellement les effets de la loi, on l'a formellement exprimée dans la loi.

Maintenant si des circonstances graves, telles que celles auxquelles l'honorable M. Frère-Orban fait allusion, et je m'exprime ici dune manière générale, si des circonstances graves, impérieuses venaient à se produire.

Eh bien, le gouvernement, agissant comme il l'a fait déjà dans des cas de cette nature, assumerait sur lui la responsabilité d'une mesure qui serait véritablement d'intérêt public, sauf à venir demander ultérieurement aux Chambres un bill d'indemnité.

Je le répète, l’intention du gouvernement ne peut laisser aucun doute, et, si elle a pu être douteuse dans quelques esprits elle ne l'est certainement pas aux yeux de la généralité.

M. Frère-Orban. - Le gouvernement vient de déclarer que dans certaines circonstances, il assumerait sur lui la responsabilité d'une levée partielle de la prohibition. C'est une autre manière de satisfaire au vecu exprimé par l'honorable M. Tesch ; au fond, on arrive exactement au même résultat. (Interruption.) Le but pourra être atteint.

M. Dumortier. - L'honorable M. Frère me faisait remarquer tout à l'heure que j'avais une interprétation et lui une autre. Cela est parfaitement exact ; mais, messieurs, voulez-vous savoir quelle est la valeur respective de nos interprétations ? Rappelez-vous comment l'article 2 a été voté. Les deux tiers de la Chambre ont voté la prohibition, l'autre tiers l'a rejetée ; et parmi les membres de cette dernière fraction se trouvent précisément tous les orateurs qui se sont levés aujourd'hui pour appuyer l'interprétation de l'honorable M. Tesch. Les honorables MM. Frère-Orban, Thibaut, de Naeyer sont, en effet, de ceux qui ont rejeté la prohibition à la sortie.

M. le président. - La discussion est close ; il va être procédé à l'appel nominal sur le projet de loi.

Vote sur l'ensemble du projet

82 membres prennent part à cet appel.

54 membres répondent oui.

7 membres répondent non.

21 membres s'abstiennent.

Ont répondu oui : MM. Thienpont, T'Kint de Naeyer, Van Cromphaut, Vanden Brandem de Reeth, Vandenpeereboom, Vander Donckt, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Renynghe, Verhaegen, Veydt, Vilain XIIII, Visart, Wasseige, Ansiau, Boulez, Coppieters 't Wallant, de Baillet-Latour, de Breyne, de Decker, de Haerne, de Man d'Attenrode, F. de Mérode, de Mérode-Westerloo, de Moor, de Muelenaere, de Perceval, de Ruddere de Te Lokeren, Desmaisières, Devaux, de Wouters, Dubus, Dumon, Dumortier, Janssens, Jouret, Julliot, Lambin, Landeloos, Lange, Lambry, le Bailly de Tilleghem, Maertens, Magherman, Malou, Manilius, Matthieu, Mercier, Moncheur, Rodenbach, Rousselle, Sinave, Tack et Delehaye.

Ont répondu non : MM. Tremouroux, Anspach, Coomans, Dautrebande, Orts, Osy et Pirmez.

Se sont abstenus : MM. Vervoort, Calmeyn, Closset, David, de Brouwer de Hogendorp, Delfosse, Deliége, Della Faille, de Naeyer, de Renesse, de Steenhault, Frère-Orban, Jacques, Lebeau, Lesoinne, Loos, Mascart, Moreau, Tesch, Thibaut et Thiéfry.

En conséquence le projet de loi est adopté ; il sera transmis au Sénat.

M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont invités à en faire connaître les motifs.

M. Vervoort. - Je n'ai pas voté contre la loi parce qu'elle renferme des dispositions que je suis heureux d'y trouver ; je n'ai pas voté pour la loi parce qu'elle consacre des prohibitions que mon opinion condamne, et parce que je ne veux pas sacrifier davantage au préjugé.

M. Closset.. - J'adopte volontiers l'article premier, mais je crains que ses effets ne soient détruits par l'article 2. J'ai donc dû m’abstenir.

M. David. - Les articles 1 et 2 jurent de se trouver l'un à côté de (page 258) l’autre ; l’article premier est destiné à favoriser les arrivages et l'article 2 à les repousser. Je n'ai pu émettre un vote formel en présence d'une telle contradiction.

M. de Brouwer de Hogendorp. - Il y a du bon et du mauvais dans le projet de loi ; par conséquent je n'ai pu voter ni pour ni contre la loi.

M. Delfosse. - Je n'ai pas voté contre la loi, parce que je suis partisan de la libre entrée, établie par l'article premier ; je la voudrais même plus étendue. Je n'ai pas voté pour la loi, parce qu'apres l'expérience qui a été faite et surtout après la déclaration du gouvernement que la prohibition à la sortie aurait pour résultat probable de faire hausser le prix des grains, il m'a été impossible de me rallier à cette mesure.

M. Lelièvre. - Je me suis abstenu pour les mômes motifs.

M. Dellafaille. - Je n'ai pas pu donner mon adhésion à la loi qui nous est présentée par le gouvernement parce qu'en général je considère les lois qui apportent des entraves à la libre circulation des produits de toute nature, aussi bien de ceux du sol que ceux de toute autre industrie, comme nuisibles aux approvisionnements.

Je la considère aussi comme préjudiciable à l'agriculture, parce qu'elle'tend à limiter d'une manière arbitraire les bénéfices éventuels de ses produits ; et sans me laisser guider en matière de lois de prohibition par des principes absolus, je les considère généralement comme fâcheuses, parce qu'elles sont des lois d'exception, qu'elles sont proposées à des époques de crise, et qu'alors, au lieu d'apporter un remède au mal, souvent elles l'aggravent, soit en stimulant davantage encore la spéculation, soit en inquiétant les populations, soit en les berçant de l'espoir illusif de voir le gouvernement porter remède à un mal qu'elles supportent bien mieux, quand elles l'attribuent à une force majeure et invincible.

Toutefois, comme depuis l'année dernière, où la majorité de cette Chambre a cru devoir adopter une loi de prohibition, ni le cabinet précédent, ni le cabinet actuel ne se sont trouvés, d'après moi, dans des circonstances assez favorables pour pouvoir proposer de modifier le système adopté, appréciant d'ailleurs que le gouvernement doit tenir compte des motifs d'ordre public qu'il a invoqués, je n'ai pas voulu voter contre la loi qui nous est proposée.

Par ces motifs, messieurs, et en raison des circonstances, j'ai cru devoir m'abstenir.

M. de Naeyer, rapporteur. - Je n'ai pas volé contre le projet de loi parce qu'il renferme des dispositions favorables à la liberté commerciale et qui sont de nature à faciliter nos approvisionnements. D'autre part, il m'a été impossible de donner un vote approbatif, parce que le travail avant tout et la charité subsidiairement sont les seuls moyens légitimes et réellement efficaces pour traverser les calamités de la vie ; or, les dispositions restrictives consacrées par le projet de loi doivent nécessairement paralyser en partie le travail, le véritable élément de vie pour nos populations. Elles tendent en outre, à accréditer cette idée essentiellement fausse et dangereuse : qu'il appartient aux pouvoirs publics de nourrir le peuple, idée très flatteuse pour notre amour-propre ; mais pour la réalisation de laquelle nous sommes complètement impuissants et qui ne peut servir qu'à énerver l'activité de nos populations, et à affaiblir sans compensation, le sentiment des grands devoirs que les circonstances imposent à la charité.

M. de Renesse. - Messieurs, dans les circonstances extraordinaires où nous nous trouvons par suite de la crise alimentaire, j'eusse voté pour la libre entrée de toutes les denrées alimentaires ; mais, ne voulant pas m'associer, par un vote affirmatif, au malheureux préjugé populaire qui demande la prohibition à la sortie de certaines céréales ; préjuge que j'aurais voulu voir combattre plus fortement, non seulement par le gouvernement, mais aussi par tous les honorables membres de la Chambre, je me trouve donc dans la nécessité de m'abstenir sur ce projet de loi qui, actuellement, semble donner une certaine consécration aux faux préjugés populaires en maintenant la prohibition à la sortie de certaines céréales.

M. de Steenhault. - Messieurs je n'ai pas voté contre, parce que la loi renferme des dispositions que j'approuve. Je n'aurais jamais pu me résigner à voter pour, après avoir entendu déclarer par le gouvernement que dans sa pensée la prohibition à la sortie aurait probablement pour résultat une hausse sur la moyenne des prix des grains.

M. Frère-Orban. - Messieurs, ia loi consacre le principe de la libre entrée des denrées alimentaires, que j'approuve ; elle consacre, d'un autre côté, le principe de la prohibition de la sortie des mômes denrées, principe que j'improuve ; j'ai donc été obligé de m'abstenir.

M. Jacques. - Je n'ai pas cru pouvoir admettre la disposition qui supprime les droits d'entrée sur les poissons étrangers : le trésor public y perdra près de 200,000 francs qui iront grossir les bénéfices des importateurs, sans que les consommateurs y gagnent un centime. J'approuve toutes les autres dispositions du projet de loi.

M. Lebeau. - Je me suis abstenu par les mêmes motifs que l'honorable M. Frère.

M. Lesoinne, M. Mascart, M. Tesch et M. Thibaut déclarent s être abstenus pour les mêmes motifs que l'honorable M. Delfosse.

M. Loos et M. Thiéfry déclarent s'être abstenus pour les mêmes motifs que l’honorable M. Vervoort.

M. Moreau. - Je me suis abstenu par les mêmes motifs que les honorables MM. Delfosse et Vervoort.

- La Chambre ordonne le renvoi à M. le ministre de l'intérieur de plusieurs pétitions, sur les denrées alimentaires, qui avaient été renvoyées à la section centrale.

Projet de loi accordant un crédit extraordinaire de 1,500,000 francs pour venir en aide aux classes ouvrières et indigentes

Discussion générale

M. le président. - M. le ministre de l'intérieur déclarant se rallier au projet de la section centrale, la discussion s'établit sur ce dernier projet.

La discussion générale est ouverte.

M. Thibaut. - Messieurs, à la suite de circulaires que M. le ministre de l'intérieur a adressées à MM. les gouverneurs des provinces, ceux-ci ont invité les administrations communales à délibérer sur les travaux de voirie et d'assainissement qu'il était utile et possible de faire, soit pendant l’hiver, soit à la sortie de l'hiver. Il me semble que pour juger si le crédit demandé par le gouvernement pour contribuer à ces travaux est suffisant, il conviendrait que la Chambre sût à quelle somme approximative se montent les devis et la part que les communes et les provinces s'engagent à couvrir par leurs ressources propres. C'est un renseignement que M. le ministre de l'intérieur pourra sans doute communiquer à la Chambre. Je lui demanderai, en outre, s'il ne serait pas convenable de diviser le crédit de 1,500,000 fr. entre les trois littéras qui se trouvent dans le projet de loi, non point pour restreindre le pouvoir du gouvernement, mais au moins pour servir d'indication. Je demande si, dans la somme demandée, on ne pourrait pas attribuer un million à la voirie, 400,000 fr. aux travaux d'assainissement, et le restant du crédit aux autres mesures que le gouvernement se propose de prendre ?

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Messieurs, l'honorable M. Thibaut désire savoir quelle est l'importance approximative des demandes qui ont été adressées au gouvernement jusqu'à ce jour, par suite des circulaires que le département de l'intérieur a envoyées à MM. les gouverneurs des provinces, pour leur annoncer son intention de demander aux Chambres des crédits destinés à des travaux de voirie vicinale ou d'assainissement.

Le gouvernement est déjà saisi de nombreuses demandes de subsides pour f exécution de travaux de voirie vicinale. Toutefois, il me serait impossible de fournir le chilfre exact du montant de ces demandes. Il me manque encore un travail d'ensemble sur les demandes des provinces de Flandre orientale, de Hainaut, de Liège et de Limbourg. Pour les autres provinces, le montant des demandes s'élève déjà à la somme :

Pour la province d'Anvers, fr. 153,000.

Pour la province de Brabant, fr. 56,450.

Pour la province de Flandre occidentale, fr. 315,670.

Pour la province de Luxembourg, fr. 150,000.

Pour la province de Namur, fr. 93,000

Ensemble, fr. 708,150.

Vous le voyrz, messieurs, quand toutes les demandes seront réunies, le chiffre en sera fort considérable.

Messieurs, la Chambre a toujours considéré les travaux de voirie vicinale comme offrant un caractère tout spécial d'utilité, d'abord, comme assurant du travail à la classe ouvrière et comme devant ouvrir pour l'avenir du pays une source de bien-être. Nous ne devons donc pas regretter que toutes les provinces projettent un grand nombre de travaux de ce genre. Cette impulsion donnée aux administrations doit être, au contraire, considérée comme très heureuse, et le gouvernement a tout lieu de s'en féliciter. Il est heureux, en effet, que l'attention des administrations publiques soit fixée sur ces moyens de venir en aide à la classe ouvrière par l'exécution de travaux d'utilité publique, et le gouvernement, dans la mesure du possible, tâchera d'encourager cette disposition des esprits.

Vous comprenez, messieurs, que le crédit affecté annuellement à la voirie vicinale ayant déjà été augmenté, depuis plusieurs années, d'une manière considérable, le gouvernement ne peut pas s'engager, du moins jusqu'à présent, à accueillir toutes les demandes qui lui sont ou qui lui seront adressées ; il devra choisir celles de ces demandes qui ont le plus grand caractère d'utilité et d'urgence, qui peuvent être exécutées le plus immédiatement.

Il s'agit, en effet, de venir en aide à la classe ouvrière le plus tôt possible, et au plus tard, à l'ouverture de la campagne prochaine. Pendant l'hiver, on pourra s'occuper de l'instruction des demandes et de la préparation des projets ; vers le mois de mars ou d'avril, on pourra alors mettre la main à l'œuvre. C'est dans ce sens que le gouvernement entend exécuter la loi en discussion.

Quant aux subsides demandés pour travaux d'assainissement dans les diverses provinces, ils s'élèvent déjà à une somme de 420,000 fr. Il s'agit là d'autres genres de travaux que dans le littera précédent, il s'agit de travaux à exécuter dans les villes et dans les parties agglomérées des communes.

M. Thibaut. - Les communes rurales ne sont pas exclues.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Non, sans doute, mais j'e veux constater la différence qui existe entre les travaux de la voirie vicinale et les travaux d’hygiène publique et d'assainissement. Les premiers s'exécutent particulièrement dans les communes rurales, tandis que les travaux d'hygiène et d'assainissement s'exécutent dans les villes ou les parties agglomérées des communes.

(page 259) Ces deux genres de travaux s'adressent donc à deux ordres différents d'ouvriers et se répartissent mieux entre les diverses localités.

Les subsides du gouvernement seront-ils toujours et rigoureusement subordonnés au concours pécuniaire des communes ?

Le gouvernement croit être en droit d'exiger, en général, que les communes fassent quelque chose de leur côté pour venir, par l'exécution de travaux publics, en aide à la classe ouvrière ; il ne fait pas de leur participation une règle absolue ; il est à prévoir que, pour quelques communes, il y aura impossibilité matérielle d'intervenir dans les dépenses occasionnées par les travaux de la voirie vicinale et d'hygiène publique ; ce ne sera pas un motif pour les exclure impitoyablement du bénéfice du crédit que la Chambre est appelée à voter aujourd'hui.

Le gouvernement demande donc une certaine latitude pour examiner, ensemble avec les administrations provinciales et communales, quelle sera la meilleure répartition à faire du crédit qu'il vient vous demander. Il ne consultera que l'intérêt public, c'est-à-dire l'intérêt comparé des diverses localités qui ont adressé des demandes au gouvernement.

L'honorable M. Thibaut désire savoir quelle est dans ce chiffre de 500,000 fr. la somme qui sera affectée à chacun des littera compris dans la demande. Ces littera sont : A. Amélioration de la voirie vicinale ; B. Assainissement des villes et des parties agglomérées des communes rurales ; C. Encouragements aux institutions de prévoyance et d'assistance.

A l'heure qu'il est, il serait fort difficile de dire, même approximativement, comment se fera la répartition du crédit de 1,500,000 fr. Le gouvernement avait pensé consacrer à peu près une somme de 600,000 fr. à la voirie vicinale, 500,000 à 600,000 fr. aux travaux d'hygiène et 500,000 ou 400,000 fr. en encouragements aux institutions de prévoyance et d'assistance.

Dans la pensée du gouvernement, le dernier mode d'intervention est celui dans lequel le concours du gouvernement doit être le plus restreint. Il peut y avoir, en effet, un certain danger à entrer dans cette voie, le gouvernement le reconnaît ; mais il faut tenir compte des circonstances tout exceptionnelles dans lesquelles nous nous trouvons. Les administrations communales font les efforts les plus louables pour encourager l'esprit de prévoyance et de charité, pour engager les particuliers à former des associations dont le but est de soulager les maux des classes nécessiteuses, soit en leur distribuant des secours, soit en constituant des sociétés alimentaires, soit en achetant en gros des denrées alimentaires qu'on leur vend en détail à des prix inférieurs à ceux auxquels ils pourraient se les procurer, soit en distribuant des soupes économiques, etc.

A une époque ordinaire, dans des circonstances normales, le gouvernement ne pourrait pas se charger, sans entrer dans un système dangereux, d'encourager par des subsides l'établissement de ces associations ; mais puisque telle est aujourd'hui la direction imprimée aux esprits dans la plupart des villes du pays, il est bon de seconder ce généreux mouvement. Depuis quelques années, on s'est très bien trouvé de ces associations ; dans beaucoup de localités, elles ont été un moyen efficace de traverser la crise. Le moyen le plus efficace, le plus recommandable, c'est sans doute, le travail ; mais on ne peut pas toujours donner du travail ; la rigueur de la saison ou le chômage industriel parfois s'y opposent.

Ensuite beaucoup de familles par suite d'infirmités ou d'autres circonstances accidentelles sont dans une position telle, qu'il faut venir à leur secours autrement que par le travail. Et puis, il faut le dire aussi, ce travail n'est pas toujours suffisamment rémunéré. Il est pénible de devoir l'avouer : il arrive souvent que le chef de famille ne trouve pas dans le travail quelque dévoué, quelque obstiné qu'il soit, de quoi entretenir convenablement sa famille. C'est dans ce but que le gouvernement demande de pouvoir donner, par de subsides, des encouragements à des associations qui se forment pour préparer des aliments pour les familles nécessiteuses, ou pour faire en gros des provisions de denrées alimentaires qu'on livre aux ouvriers à meilleur marché qu'ils ne peuvent les acheter en détail et à crédit.

C'est dans la prévision de ces sortes d'encouragements à donner que le gouvernement se réserve une certaine partie du crédit pour venir en aide aux familles malheureuses.

La section centrale a parfaitement compris les intentions du gouvernement, elle s'est associée à ses vues. Elle a proposé, aux articles 1 et 3, deux modifications auxquelles le gouvernement s'est empressé de se rallier. Elle y a exprimé la pensée du gouvernement, que celui-ci n'avait pas cru devoir exprimer, dans la loi, parce qu'on ne l'avait pas fait dans les lois analogues, votées les années précédentes. C’est, en effet, une pratique constate de l’administration, que toutes les demandes adressées au gouvernement, soit pour la voirie vicinale, soit pour les travaux d’assainissement des villes, soit pour les institutions de prévoyance ou d’assistance, ces demandes s’instruisent par voie administraytive, passent par la filière des administrations communales et provinciales ; et c’est après avoir entendu leur avis que le gouvernement se prononce sur le subside à accorder.

Il est entendu aussi, que le gouvernement fera un rapport spécial relatif à l'emploi du crédit, rapport auquel seront joints, sous forme d'annexés, les comptes les plus complets.

M. Rodenbach. - J'apprends avec satisfaction que M. le ministre protégera, au moyen de subsides, les associations qui s'occuperont des malheureux ouvriers et des malheureux vieillards qui ne peuvent pas gagner leur vie par les travaux qu'ils peuvent trouver dans leurs communes. Je dirai à cette occasion que, dans mon arrondissement, les enfants qui se rendaient aux écoles ne pouvant continuer à y aller chercher l'instruction, obligés qu'ils étaient, ne recevant pas une nourriture suffisante de leurs parents, de mendier pour vivre, au lieu de se rendre à l'école, un homme de bien, un propriétaire vénérable a conçu l'idée de faire donner des aliments et des soupes dans les écoles ; par ce moyen il y a attiré les enfants qui y venaient pour avoir des aliments ; avant d'étudier il faut manger. Je recommande beaucoup l'exemple dont l'initiative a été prise dans mon arrondissement par ce vénérable particulier.

Beaucoup de nos communes où l'on pourrait s'occuper de chemins vicinaux n'auront pas dans le crédit dont il s'agit un part considérable ; le gouvernement ne devrait pas seulement avoir égard aux communes qui demandent, car beaucoup sont pauvres et hors d'état de payer le tiers de la dépense à faire pour les chemins vicinaux.

D'après les précédents, la commune, la province et le gouvernement interviennent chacun pour un tiers. Mais il y a notamment dans l'arrondissement de Roulers des communes extrêmement pauvres qui ne peuvent se conformer à ce système, et ce qui devrait être un titre à obtenir des subsides plus considérables serait un motif pour qu'elles n'obtinssent rien. Dans ce cas se trouve entre autres la commune d'Iseghem. J'espère que dans la distribution du subside de 1,500,000 fr. on aura égard à cette observation.

Vous devez convenir que depuis quelques années les communes rurales sont dans une situation très malheureuse. Autrefois elles comptaient quelques personnes riches au nombre de leurs habitants. Mais aujourd'hui, toutes les personnes riches, ou même seulement aisées sont venues habiter les villes ; elles ont des propriétés dans les communes rurales, mais n'ayant pas sous les yeux le triste spectacle de la misère qui les désole, elles ne s'en émeuvent pas et ne lui donnent aucun secours.

C'est seulement au profit des indigents des villes que la charité publique, prenant les formes les plus ingénieuses, les plus variées, soulage la misère au moyen de distributions de soupe, ou d'autres aliments en nature, de concerts, de loteries, de tombolas, etc.

On parle de la prospérité des campagnes. Sans doute l'élévation du prix des grains qui a doublé a été une source de fortune pour les grands cultivateurs ; mais les petits cultivateurs, écrasés par les impôts communaux, qui se sont élevés par le fait même de l'émigration des personnes riches dans les villes et qui sont aujourd'hui air même chiffre que les impôts directs de l'Etat, sont dans une situation pénible ; car les charges que leur impose la cherté des denrées alimentaires ne compensent pas le surcroît de bénéfice que leur procure la culture de leur champ.

J'appelle donc toute la sollicitude, de M. le ministre de l'intérieur sur la situation difficile des communes rurales, et je l'engage à se départir, dans la distribution des subsides, des règles suivies par les administrations précédentes.

M. Vandenpeereboom. - Je comptais appuyer le projet de loi, car je croyais qu'il aurait été combattu par d'honorables membres, adversaires constants de l'intervention du gouvernement, et qui, en 1852 surtout, ont critiqué très spécialement des travaux d'hygiène publique analogues à ceux présentés par le cabinet actuel.

Mais les objections qui ont été présentées quand on a examiné le*scrédits extraordinaires votés dans des circonstances analogues ne se représentent plus ; je crois donc qu'il serait inutile de venir défendre unprojet de loi que personne n'attaque.

Toutefois, je dois profiter de cette occasion pour adresser mes félicitations sincères à l'honorable ministre de l'intérieur, qui a eu le courage de présenter le projet de loi, surtout alors que ses amis politiques lui avaient fait jadis de nombreuses objections contre ce système. Je le félicite d'avoir eu le courage d'entrer dans une voie qu'ont suivie avant lui l'honorable M. Rogier et le cabinet du 12 août. Je déclare que je n'attendais pas moins du caractère indépendant et ferme de l’honorable ministre de l'intérieur.

Puisque personne n'attaque le projet, je ne le défends pas, et je me réserve de me faire le champion ardent du ministère du moment où ses amis politiques, pour être conséquents avec eux-mêmes, attaqueraient le projet de loi. Sur ce terrain, je me fais ministériel, car j'ai promise dans la discussion d'adresse d'appuyer toutes les mesures bonnes et utiles que le cabinet présentera.

En attendant, je prierai l'honorable ministre de l'intérieur de vouloir bien accélérer autant que possible l'instruction des différentes demandes qui lui sont adressées.

Le crédit de 1,500,000 fr. sera utile sans doute ; mais son utilité ne sera complète que s'il est distribué en temps utile.

On a voté parfois des subsides pour des travaux à exécuter, en vue d'une crise momentanée. Mais souvent l'instruction des affaires, l'examen des plans, l'avis des autorités administratives ont demandé tant de temps que les subsides ont été accordés quand la crise était passée.

Je prie donc M. le ministre de l'intérieur d'activer l'instruction des affaires, de marcher vite, d'appliquer le remède quand le mal est flagrant. Dans les circonstances actuelles, les subsides accordés trop tard seraient des subsides… après Pâques ; et les travaux ne seraient pas même en exécution à la Trinité.

(page 260) Le gouvernement ne pourrait-il promettre son concours aux communes dès que le crédit sera voté, sauf à fixer le chiffre d'une manière positive quand toutes les formalités administratives seront remplies ?

Ce serait un grand bien, et le but de la loi pourrait ainsi être atteint.

Messieurs, j'adresserai une interpellation à M. le ministre des travaux publics. Je remarque dans la situation du trésor distribuée récemment que des crédits très considérables votés dans d'autres circonstances pour des travaux publies restent encore disponibles.

Tous les crédits accordés en 1851 par la grande et salutaire loi des travaux publics ne sont pas épuisés, et d'après le document dont je viens de parler, au mois de septembre plus de 22 millions restèrent disponibles et étaient rattachés au budget de 1855.

Je prie M. le ministre des travaux publics, afin de venir en aide aux classes souffrantes, de vouloir faire exécuter, le plus tôt possible, les travaux extraordinaires qui ont été votés.

Je crois pouvoir inviter aussi le gouvernement à nous présenter, dans le plus bref délai, le projet de loi des travaux d'utilité publique annoncés par le discours de la couronne et dont l'exécution aurait pour la classe ouvrière de très utiles effets dans les circonstances actuelles.

M. de Mérode. - Messieurs, je vois dans le projet de loi un moyen dont le but est d'apporter des tempéraments aux privations qu'entraîne la cherté des subsistanecs pour les familles ou les individus qui en souffrent pins spécialement.

Mais j'attends une autre loi plus efficace encore, celle qui doit favoriser le développement de la charité, et j'espère que des retards prolongés ne la rejetteront pas dans un avenir indéfini ; car dans l'intérêt de ceux que vient de signaler M. le ministre de l'iuîérienr, et qui ont besoin d'assistance indépendante du travail, cette loi libérale, cette loi d'affranchissement des bonnes œuvres est très pressante.

Du reste le projet mis en délibération n'a rien de commun avec les prodigalités qui ont attiré sur le pays de nouveaux impôts et de nouveaux déficits. Je les ai combattues, parce qu'elles me semblaient dangereuses ; n'ayant pas les mêmes motifs de rejeter la loi proposée, j'y donnerai mon adhésion.

M. de Muelenaere. - Dans la distribution du subside qui sera mis à la disposition du gouvernement, je prie M. le ministre de l'intérieur de vouloir bien se montrer un peu moins parcimonieux qu'on ne l’a été jusqu'à présent envers les communes qui se proposent de faire des travaux d'ensablement de chemins. Je sais que beaucoup de demandes de cette nature ont été adressées au département de l'intérieur ; car l'ensablement des routes est un travail dont l'utilité est aujourd'hui généralement reconnue. En outre, ce genre de travaux ne se fait que dans les communes auxquelles leurs ressources ordinaires ne permettent pas de faire des routes pavées.

Une autre considération qui n'échappera pas à M. le ministre de l'intérieur, c'est qu'il rentre dans la pensée de la loi et dans les intentions du gouvernement de favoriser ce genre de travaux ; car les subsides qui sont accordés aux communes pour travaux d'ensablement sont dépensés presque exclusivement en main-d’œuvre, tandis que, dans la construction des routes pavées, une grande partie du subside est absorbée par l'achat des grés.

Lorsqu'on fait au contraire des travaux d'ensablement le subside tout entier accordé par le gouvernement tourne au profit des travailleurs indigents. Il est partagé à titre de salaire entre tous ceux qui sont appelés à exécuter les travaux. C'est surtout par ces considérations et parce que la haute utilité de cette partie du service public semble être plus ou moins méconnue, que j'appelle sur ce point l'attention toute particulière de M. le ministre de l'intérieur, et que je le convie à bien vouloir se faire représenter les dossiers des demandes qui ont été faites dans le but d'obtenir des subsides pour ce genre de travail. Je crois que ce sera un encouragement extrêmement utile dans les circonstances pénibles où se trouve la classe nécessiteuse.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Messieurs, l'honorable député d'Ypres a appelé mon attention sur la nécessité d'activer, autant que faire se peut, l'instruction des demandes de subside pour la voirie vicinale et pour les travaux d'assainissement.

J'avais déjà reconnu l'urgence de l'instruction de ces affaires. Il est évident que pour atteindre le but que nous nous proposons par le vote de ce subside spécial, il est de toute nécessité de ne pas venir trop tard et de commencer les travaux le plus tôt possible. Aussi met-on, a mon département, le plus grand empressement à l'expédition de ces affaires. Des employés ont spécialement été chargés de cette partie du service. A mesure que des demandes rentrent au département, elles sont immédiatement examinées et envoyées aux autorités qui doivent être consultées. J'ai lieu de croire que ces autorités comprendront comme le gouvernement la nécessité de donner la plus vive impulsion à l'instruction de ces demandes. Je compte, et non sans raison, j'en suis persuadé, sur leur zèle et sur leur dévouement aux intérêts qui leur sont confiés.

L'honorable comte de Muelenaere a demandé au gouvernement de consacrer, de préférence, les subsides pour la voirie vicinale, aux travaux d'ensablement et d'empierrement ; je reconnais avec l'honorable membre que ce genre de travaux offre un caractère tout spécial d'utilité en ce sens qu'ils procurent une main-d'œuvre plus considérable à la classe ouvrière. Ce sera un motif pour faire examiner avec un soin particulier les demandes qui auront pour but ces sortes de travaux.

Dans la Flandre occidentale notamment on s'est très bien trouvé de ces empierrements. Dans l'arrondissement d'Ypres, surtout, ils ont produit les plus heureux résultats.

M. Vander Donckt. - Messieurs, un honorable préopinant a interpellé M. le ministre de l'intérieur sur la répartition de la somme d'un million et demi. Je crois que comme il s'agit d'un projet de circonstance, il faut laisser au gouvernement toute latitude dans la répartition de ces fonds. Il est impossible que nous entrions ici dans des détails administratifs, d'autant plus que le gouvernement lui-même n'a pas actuellement les données nécessaires pour baser son opinion sur cette répartition.

Je vois dans les explications du gouvernement, qu'il s'agit aussi de venir au secours des ateliers temporaires de travail aussi bien que de la distribution des denrées et des combustibles à prix réduits. J'appelle l'attention toute spéciale du gouvernement sur cette question des ateliers temporaires de travail. Ceux-ci présentent cet avantage sur les autres travaux publics que, comme l'honorable ministre vient de le dire, les intempéries des saisons ne permettent pas toujours les travaux eri plein air, et c'est dans ces circonstances surtout que le travail à l'atelier peut être du plus grand secours pour les pauvres communes.

Ces ateliers ont pris leur origine dans une crise précédente qui, peut-être, n'a pas été moins forte que celle d'aujourd'hui. C'est lors de la double crise de la maladie des pommes de terre et de la crise de l'industrie linière que le gouvernement a pensé à établir ces ateliers temporaires de travail dans les campagnes. Je crois qu'il ferait très bien dans la circonstance actuelle d'accorder des secours à ces ateliers, qui pourraient venir immédiatement en aide à la classe pauvre. Car, je le répète, la loi que nous votons est une loi de circonstance ; il s'agit de trouver le moyen de venir le plus immédiatement possible au secours de nos ouvriers.

Or, parmi les travaux publics, beaucoup ne sont pas instruits, et comme on l'a fait observer, nous aurons la bonne saison, nous auront la nouvelle récolte, avant que plusieurs des projets de voirie vicinale dont on réclame l'exécution soient instruits. Je reconnais cependant qu'il est de ces projets qui sont déjà instruits et pour lesquels on peut accorder immédiatement des subsides. Mais il en est aussi pour lesquels le projet actuel sera sans effet, parce qu'il faut un temps moral pour les faire instruire et approuver par le gouvernement.

Je recommande donc tout spécialement au gouvernement les ateliers temporaires qui peuvent immédiatement venir au secours de la classe pauvre.

M. David. - La somme de 1,500,000 fr. qui nous est demandée, est spécialement destinée à venir en aide par le travail aux classes ouvrières. Je puis donc approuver complètement ce projet de loi et me renfermer dans de courtes observations.

Une partie du crédit sera appliquée à l'assainissement des villes. Mais en assainissant les villes on peut atteindre un double but : d'abord un but hygiénique, et ensuite ce but de recueillir une certaine quantité d'engrais pour l'agriculture.

D'où vient la crise que nous subissons actuellement ? C'est du manque de céréales. Or, vous aurez beau pousser au défrichement ; aussi longtemps que vous n'aurez pas les quantités d'engrais nécessaires pour fertiliser vos terres nouvellement défrichées, vous n'obtiendrez pas plus de produits.

Il faudrait donc, si la chose était possible, que le gouvernement en accordant des subsides pour assainissement des villes, pût jusqu'à un certain point leur poser, comme condition, l'adoption d'un système complet d'égouts avec réceptacles où l'agriculture pourrait venir recueillir les engrais qui aujourdhui se perdent. Nous allons jusque dans l'océan Pacifique chercher du guano et nous jetons tous les ans pour des millions d'engrais.

Il me paraît que lorsque dans une localité on introduit un système d'assainissement, qui consiste le plus souvent en un système d'égouts, on pourrait commencer par faire un plan général et arriver facilement au but que je viens d'indiquer. Aujourd'hui les engrais des villes se perdent ; tantôt ils se déversent dans le sol et vont corrompre les eaux des puits ; tantôt ils vont gâter et infecter nos rivières. Or, les engrais liquides pourraient se recueillir aussi bien que les engrais solides et on peut non pas les solidifier complètement, mais les rendre transportâmes sous un assez petit volume pour être déversés sur nos terres.

J'engage donc M. le ministre de l'intérieur, si des résultats immédiats ne sont pas possibles, à faire examiner cette question pour que dans l'avenir le plus rapproché possible, dans les villes où l'on établit des égouts, on puisse établir un système complet et rationnel.

Nous cherchons à assainir le sol, mais jusqu'à présent il est des localités où l’on n'a pas fait exécuter la loi sous le rapport de la pureté de l'air. C'est ainsi qu'il se trouve encore de grands établissements métallurgiques au centre de nombreuses popuIations, établissements dont l'émanation vicie complètement l'air et qui sont des causes permanentes d'insalubrité. Je prie M. le ministre des travaux publics de vouloir bien faire exécuter la loi sur les établissements insalubres dans ces mêmes localités.

Parmi les moyens d'amener les denrées alimentaires dans le pays et d'en faire baisser le prix, j'ai été heureux de rencontrer dans la (page 261) circulaire du 3 octobre dernier, adressée par M. le ministre de l'intérieur aux gouverneurs des provinces, les paroles suivantes :

« II est possible au gouvernement de faciliter, par l'abolition des droits d'entrée, l'importation des aliments que l'étranger peut nous fournir. »

Il me semble que, si en abolissant les droits d'entrée sur les denrées alimentaires à la frontière du pays, on peut venir considérablement en aide aux populations peu aisées des villes, on doit obtenir un résultat semblable par l'abolition du régime beaucoup plus intolérable que le régime douanier de notre frontière même, qui pèse sur les villes, je veux parler des octrois ; je conviens qu'il n'est pas possible de demander l'abolition immédiate des octrois. Mais cependant, à côté de mesures temporaires, ne pouvons-nous pas songer à prendre des mesures permanentes qui procureraient du bien-être à une certaine classe de la société dans les temps normaux ? Les octrois pèsent principalement sur la classe inférieure et sur la classe moyenne de la société.

Dans quelques localités, on a imposé jusqu'aux denrées alimentaires. Il faudra une bonne fois mettre la question à l'étade et faire disparaître les 65 ou 66 douanes intérieures que nous avons encore le malheur du posséder dans le pays.

Une autre mesure qu'à mon avis il serait bon de prendre encore, est celle-ci. Par plusieurs circulaires le gouvernement a engagé les établissements de bienfaisance à employer leurs eapitau principalement en rentes sur l'Etat : c'est certainement un placement très commode et qui donne toute sécurité.

Mais quel est le but principal des administrations de bienfaisance ? C'est de venir en aide à la classe peu favorisée de la fortune. Un des grands moyens serait celui-ci : pour l'ouvrier le chômage est une véritable banqueroute : ce chômage provient de bien des causes, et surtout de maladies ; or, les maladies sont très souvent provoquées par l'insalubrité des habitations dans lesquelles les ouvriers sont entassés les uns sur les autres.

Nous avons beaucoup de bureaux de bienfaisance et d'hospices qui ont à leur disposition de grands capitaux, qui sont propriétaires de biens-fonds, de fermes qui ne leur rapportent que peu de chose ; ne pourrait-on pas les engager à vendre leurs fonds publics dans un moment favorable à cette vente, à vendre leurs biens-fonds età construire ensuite des maisons pour la classe ouvrière et peu aisée de la société ? En vendant leurs biens-fonds, leurs propriétés rurales, elles recueilleraient un revenu plus considérable de leurs capitaux. En outre, on lancerait dans le commerce certaines propriétés qui en sont aujourd'hui sorties. Ainsi pour les propriétés qui appartiennent aux bureaux de bienfaisance, vous n'avez jamais de droits de mutation, d'enregistrement et de succession.

Vous atteindriez encore ce but-là, tout en faisant augmenter les revenus des bureaux de bienfaisance et des hospices, et tout en venant au secours de la classe pauvre de la société.

Ceci rentre complètement, à mon avis, dans l'ordre des devoirs des administrations de bienfaisance, et à la longue, lorsque ces administrations auraient réussi à multiplier jusqu'à un certain point ces habitations saines et à bon marché, leurs charges de ce côté viendraient à diminuer, puisque les maladies des ouvriers, qui sont très souvent le résultat du chômage, viendraient à être moins fréquente.

Voilà les quelques observations que j'avais à soumettre à la Chambre.

M. Rodenbach. - Messieurs, j'appuie fortement l'opinion qui a été exprimée par l'honorable M. de Muelenaere, relativement aux routes d'ensablement dans les terres grasses du Nord de la Flandre occidentale. Toutefois, j'appellerai également l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur les routes du centre de la même province.

Dans cette partie des Flandres, notamment dans les arrondissements d'Ypres, de Roulers et de Thielt, il y a une infinité de terres qu'il suffit de creuser jusqu'à un pied de profondeur, pour y trouver des cailloux.

Les frais de construction des routes construites avec ces pierres ne sont pas considérables. Notre but est de donner de l'ouvrage aux pauvres ; or, il importe qu'en hiver les pauvres puissent ramasser ces cailloux qu'ils vendent à raison de 25 à 30 centimes l'hectolitre. De cette manière, on viendra efficacement en aide à la classe nécessiteuse, et on améliorera les terrains pierreux dont il s'agit.

J'attire toute l'attention du gouvernement sur ce point. Il est des communes qui sont dans l'intention de faire construire des chemins de ce genre ; je citerai notamment la commune de Moorslede, là, on a commencé à faire une partie de route ; mais pour continuer les travaux, on attend le subside que la commune a sollicité du gouvernement. Je recommande vivement au gouvernement cette commune, qui est une des plus nécessiteuses. Il y a d'autres localités qui ont des chemins vicinaux à faire, ce sont celles de Lichtervelde, d'Ardoye, de Hooglede, de Staden, d'Ingelmunsler et de Rumbeke. Il en est de même dans les petites villes de Roulers et d'Iseghem. Je recommande fortement à la bienveillance de M. le ministre ces villes et ces communes qui éprouvent les besoins les plus impérieux.

M. le ministre des travaux publics (M. Dumon). - Messieurs, le projet de loi soumis à vos délibérations a pour but de venir, autant que possible, en aide à la classe ouvrière. Ce projet, émané du département de l'intérieur, vous est présenté de l'assentiment unanime du cabinet ; chacun des collègues de M. le ministre de l'intérieur cherche, dans la mesure des moyens mis à sa disposition, à arriver au même but que celui qu'il se propose et que vous avez tous en vue en votant la loi.

Cependant, messieurs, les chiffres cités par l'honorable M. Vandenpeereboom pourraient jeter quelque doute dans votre esprit sur les intentions de tous les membres du cabinet, de concourir au but louable que vous voulez atteindre. L'honorable membre cite parmi les crédits mis à la disposition du ministre des travaux publics, une somme de plus de 22 millions qui ne serait pas encore employée et qui, par conséquent, pourrait, en apportant plus de zèle et d'activité dans les projets de travaux, servir à venir immédiatement en aide à la classe ouvrière. Je prie l'honorable membre de ne pas attacher à son argumentation une importance plus grande que celle qu'elle a réellement et de vouloir bien ne pas perdre de vue les causes spéciales qui ont empêché de faire jusqu'aujourd'hui emploi des sommes mises depuis 1851 à la disposition du département des travaux publics.

Une partie des travaux a été votée alors qu'aucun projet, aucun devis n'était fait. Après le vote de la loi de travaux publics, les études ont commencé ; on a pu se fixer sur la marche à imprimer aux travaux et sur le mode d'adjudication à adopter. Plusieurs travaux étaient d'une importance considérable ; les travaux à faire à la Meuse devaient coûter 8 millions ; le canal de jonction de la Meuse à l'Escaut, les écluses maritimes d'Anvers, tout cela emportait des sommes considérables. Il était impossible d'en ordonner l'exécution dans un court délai.

Dès lors, l'Etat est resté, par la force des choses, en possession des sommes importantes et tenues en réserve pour solder les prix des travaux au fur et à mesure de leur exécution.

Tous les entrepreneurs sont dans les délais fixés par leurs contrats ; ils ont plusieurs années devant eux pour achever leurs entreprises ; les travaux sont conduits avec intelligence et activité ; aucun entrepreneur ne restera en demeure de satisfaire à ses obligations. Voilà pour une partie ; il en est une autre qui exigeait de bien plus grandes précautions encore, ce sont les travaux destinés à l'écoulement des eaux ; on ne pouvait pas agir à la légère ; on risquait en agissant avec trop de précipitation de voir arriver en aval les eaux en telle abondance que les débouchés n'auraient pas suffi à les recevoir.

Il en eût été ainsi pour une partie de l'Escaut, pour la Dendre et pour la Sambre. Cependant, il a été possible pour certaines rivières d'utiliser une grande partie des sommes mises à la disposition du gouvernement ; pour d'autres pour lesquelles le concours des provinces, des communes ou des particuliers est requis par la loi, des difficultés se sont présentées, on cherche à les aplanir, et on espère pouvoir y parvenir prochainement.

Le ministre des travaux publics a fait tout ce qui était en son pouvoir pour venir en aide à la classe ouvrière. Pour plusieurs grands ouvrages les sommes mises à la disposition du gouvernement sont absorbées ; le ministre devra recourir aux Chambres pour demander de nouveaux crédits afin d'imprimer à ces travaux une salutaire activité.

Les crédits ouverts par la loi du 20 décembre 1851 sont en générai engagés en vertu de contrats ; l'exécution de travaux engagés n'est pas achevée ; mais cette circonstance ne rend pas disponibles les sommes allouées, le gouvernement devra demander de nouveaux fonds pour ne pas laisser chômer certains grands travaux et pour donner pendant la mauvaise saison le plus d'occupation possible à la classe ouvrière.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Vous venez d'entendre des observations de MM. Vander Donckt et David. L'honorable M. Vander Donckt, qui lui-même a bien voulu se charger généreusement de la direction d'un atelier d'apprentissage très utile à la localité où il a son domicile, a pu vous dire en parfaite connaissance de cause les résultats qu'on peut attendre de ce genre d'institutions. Il recommande à la sollicitude du gouvernement les ateliers d'apprentissage. Ces sortes d'institutions, qui ont été favorisées depuis douze ans par tous les ministres qui se sont succédé, ont rendu d'immenses services dans nos provinces flamandes à l'époque où elles se débattaient au milieu de la crise provoquée par la transformation de l'industrie linière. Mais ces institutions ont eu, dès le principe, et par leur essence même, un caractère local et temporaire aux yeux du gouvernement aussi bien que dans la pensée de la législature.

C'est pour diminuer les effets de la crise industrielle linière que ces institutions ont été primitivement créées. C'est à ces institutions qu'on doit l'introduction d'un certain nombre d'industries nouvelles dans les Flandres ; c'est à ces institutions qu'on doit l'introduction de méthodes nouvelles de tissage ; c'est à ces institutions qu'on doit de notables éléments du progrès industriel. Il s’agit maintenant de terminer l’œuvre commencée il y a douze ans. Le gouvernement, fidèle à la pensée de ses prédécesseurs, maintient, partout où l’utilité en a été démontére, le subside pour soutenir ces institutions.

L'avenir dira ce que nous aurons à faire, relativement à ce genre d'institutions ; mais il est possible d'entrevoir dès à présent qu'il sera nécessaire de songer à l'organisation de l'enseignement professionnel. L'enseignement littéraire est très utile, sans doute, et le gouvernement fait des sacrifices considérables pour l'organiser ; mais le gouvernement a aussi un grand devoir à remplir à l'égard de la société : l'enseignement professionnel est plus directement utile à la majorité des families.

(page 262) En dehors des ateliers d'apprentissage, il se forme, aux époques de crise, et il paraît devoir se former, cette année, des institutions toutes temporaires, ayant pour but de créer momentanément un travail industriel pour les ouvriers sans ressources.

Ainsi dans plusieurs localités, les autorités communales cherchent à organiser et ont même déjà ouvert certains ateliers de travail, qu'il ne faut pas confondre avec les ateliers d'apprentissage ; ces ateliers de travail auront certainement droit de participer aux subsides que le gouvernement sera à même d'accorder par suite du littera C. Ces ateliers créés par des associations, ou par les autorités communales, ou par des particuliers patronnés par la commune sont compris dans le littera C « Encouragements aux institutions de prévoyance ou d'assistance » et auront leur part du subside accordé pour cet objet. Ces établissements, créés pour la circonstance, peuvent faire du bien ; ils sont dignes de la bienveillance du gouvernement.

J'arrive aux observations qui ont été présentées par l'honorable représentant de Verviers. Je les passerai successivement en revue.

Parlant de travaux d'assainissement à exécuter dans nos villes, l'honorable M. David regrette qu'on fasse si peu pour y construire un système d'égouts fort utiles sous le rapport hygiénique et destinés à rendre de grands services à l'agriculture par la conservation des engrais.

Messieurs, il est évident que jusqu'à présent l'attention de nos administrations communales semble n'avoir pas été suffisamment fixée sur l'importance de recueillir ces engrais dont l'agriculture peut faire un excellent usage. Il est vrai que, pour les recueillir, il faut commencer par créer tout un système de travaux et d'égouts fort coûteux, et l'on recule devant les dépenses à faire de ce chef.

Il serait fort à désirer que les administrations communales en entreprenant des travaux d'assainissement, y comprissent, comme cela arrive du reste souvent, des contructions d'égouts. Il serait à désirer surtout qu'elles voulussent procéder d'après un plan d'ensemble et avec la pensée de recueillir les engrais dont la vente ou la ferme créerait des ressources financières aux villes et dont l'emploi est si nécessaire à la culture de nos terres.

Sous ce rapport, la province à laquelle appartient l'honorable membre et les provinces wallonnes en général, peuvent imiter avantageusement l'exemple des provinces flamandes.

Là, beaucoup d'engrais se perdent encore sans doute ; cependant ils y sont recueillis, avec plus de soins peut-être que dans aucune autre contrée, c'est à cette circonstance qu'est due la supériorité de l'agriculture et surtout de la petite culture dans les Flandres.

L'honorable membre a appelé aussi l'attention du gouvernement sur les inconvénients qui résultent du voisinage des établissements insalubres. Je puis déclarer à la Chambre qu'il est impossible de se préoccuper plus que je ne l'ai fait et que je le fais encore de la solution de cette question.

Le gouvernement a fait tout ce qu'il était possible de faire. Il s'est entouré des lumières des administrateurs et des savants, pour faire disparaître ou du moins pour diminuer autant que possible, les inconvénients que présentent quelques établissements industriels. Mais vous comprenez qu'il s'agit ici des plus grands intérêts. A côté de l'important intérêt de la salubrité publique, il y a l'intérêt de l'industrie qu'il ne faut pas sacrifier à la légère.

Des considérations très importantes militent en faveur de chacun de ces deux intérêts.

Le gouvernement examine les questions qui s'y rattachent avec le désir sincère d'arriver à une solution qui soit acceptable au point de vue hygiénique et industriel.

L'honorable dépote de Verviers a signalé l'inconséquence qu'il y a à permettre la libre entrée des denrées alimentaires, et à les frapper, à l'entrée de nos villes, d'octrois qui en rendent la consommation moins accessible à la classe ouvrière. Cette inconséquence a déjà été signalée dans cette Chambre et au-dehors. Il y a là évidemment quelque chose qui choque la raison.

Je puis donner à l'honorable membre l'assurance que, partout où je puis, je fais en sorte, dans les octrois soumis à l'approbation du gouvernement, de faire disparaître tous les projets d'impositions frappant les denrées alimentaires. Ainsi depuis un certain temps, dans plusieurs de nos villes, on a voulu imposer les féveroles. Convaincu que les féveroles ne sont pas nuisibles à la santé, qu'elles peuvent contribuer à l'alimentation publique et aider à combler indirectement le déficit que présente la récolte des céréales, j'ai fait connaître que ces droits d'octroi dont on voulait frapper les féveroies ne seraient pas approuvés par le gouvernement.

D'après les observations que le gouvernement a faites aux administrations communales, celles-ci se sont ralliées aux vues du gouvernenement, et ont renoncé à cet impôt nouveau. Partout où la chose pouvait se faire sans inconvénient, j'ai refusé d'approuver les droits d'octroi sur les denrées alimentaires.

L'honorable membre a soulevé aussi la question de la vente des biens des hospices et des établissements de bienfaisance.

C'est là une question d'une portée immense dans ses résultats. C'est, assurément, en matière d'économie charitable, la plus grosse question qu'on puisse être appelé à décider. La vente de ces biens pourrait offrir peut-être certains avantages ; mais elle exposerait les administrations des pauvres aux plus graves dangers. Ce n'est pas incidemment que le gouvernement peut formuler une opinion sur une question de cette importance.

Cependant le gouvernement a fait quelque chose dans cet ordre d'idées. L'application des vues émises par l'honorable M. David a été faite dans une circonstance où elle pouvait, sans danger aucun, améliorer la situation des administrations de bienfaisance. Dans la Flandre occidentale, certains bureaux de bienfaisance ou certains hospices possédaient quelques lambeaux de propriétés, quelques petites pièces de terre nommées enclavements, dont l'administration leur était fort onéreuse, et qui, d'une exploitation incommode, étaient occupées à des prix de location ordinaires.

Ces parcelles avaient pour les hospices une valeur infiniment moindre qu'elles n'en pouvaient avoir pour les propriétaires des terres voisines. La vente en fut donc opérée et produisit des résultats avantageux.

La question de la vente de ces enclavements est, en ce moment encore, soumise à une instruction dans les départements de l'intérieur et de la justice.

Réduite à ces proportions, cette vente est sans danger. En tous cas, elle n'implique aucune pensée de créer le moindre précédent favorable à la vente générale des biens des administrations de bienfaisance. Cette question, si controversée et si importante, reste complètement réservée.

M. de Mérode-Westerloo. - Les considérations que vient de présenter l'honorable comte de Muelenaere, relativement à l'ensablement des chemins, s'appliquent, et avec plus de force encore, à l'empierrement des certains chemins vicinaux.

En effet, messieurs, dans ce système tout est salaire pour l'ouvrier de la commune employé à leur établissement. Dans l'arrondissement que j'ai l'honneur de représenter dans cette enceinte, plusieurs communes ont à leur disposition une pierre fort appropriée à l'empierrement des routes vicinales. Il y a alors double source de salaire pour l'ouvrier, main-d'œuvre pour la façon de l'empierrement et main-d'œuvre pour le recueillement des pierres nécessaires. Cette dernière source n'existe pas dans le pavement des routes, où la plus grande partie de la dépense s'applique à l'achat et au placement des grés, dont l'industrie est réservée exclusivemeun à certains districts de la partie wallonne du pays. J'appelle donc toute l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur ce système d'amélioration de la voirie vicinale, lequel répond si bien au double but que se propose le gouvernement, venir au secours des classes laborieuses et le faire promptement. J'espère aussi que dans la distribution du subside, M. le ministre aura égard à la fâcheuse position financière de certaines communes, qui seraient dans l'impossibilité de s'imposer aucun sacrifice pécuniaire.

M. Verhaegen. - Dans une discussion où, sans aucune distinction de partis, nous recherchons de commun accord les moyens les plus efficaces de venir en aide aux classes nécessiteuses, un honorable membre s'est levé tantôt pour nous faire un très petit discours qui a pour but de nous provoquer à une discussion politique. Nous ne le suivrons pas sur ce terrain ; mais il nous importe de protester couire les paroles qu'il a si imprudemment prononcées. Il s'agit de l'honorable M. Félix de Mérode, qui, en approuvant, cette fois, les mesures proposées par le gouvernement, trouve, lui, que le moyen le plus efficace, le seul moyen peut-être de venir en aide aux classes nécessiteuses, c'est d'organiser tout de suite la charité comme lui et ses amis l'entendent.

Je proteste contre ces paroles, car c'est là une véritable tactique : on a l'air de jeter en avant et d'accréditer cette opinion que si l'on organisait la charité comme l'entendent l'honorable M. de Mérode et ses amis il n'y aurait plus de pauvres...

M. de Mérode. - Je demande la parole.

M. Verhaegen. - ... Il n'y aurait plus de misères ni de souffrances à déplorer ; tout serait dit.

Eh bien, nous croyons, nous, que si on organisait la charité comme l'entendent MM. de Mérode et consorts, c'est-à-dire (car c'est à cela que se réduit toute la question) si on rétablissait en Belgique les congrégations religieuses, les pauvres seraient dans une position bien plus fâcheuse qu'ils ne sont aujourd'hui, et c'est précisément pour faire disparaître ces prétextes que nous avons pris l'initiative. Nous avons convié les amis de M. de Mérode qui sont au pouvoir de présenter immédiatement le projet de loi sur la charité. Alors seulement le pays pourra apprécier de quel côté est la vérité.

Je reprends donc les observations que j'ai faites précédemment, et j'invite le ministère à ne pas s'en tenir à des mots, mais à nous donner des faits. Je demande, moi, avec l'honorable M. de Mérode (et ce n'est pas moi maintenant qui ai provoqué cette discussion) qu'on nous présente immédiatement le projet de loi sur la charité.

On dit aussi dans le public (s'il faut attacher du prix à certains bruits), on dit aussi qu'on veut beaucoup parler de cela, mais que le ministère a résolu d'arranger les choses de telle manière qu'on arrivera à la fin de la session et qu'alors on dira qu'il est trop tard.

Quant à moi, je demande quelque chose de sérieux ; je demande à M. le ministre de la justice s'il a un parti sur cette grave question ou s'il l'étudié encore ; et si, dans ce dernier cas, il croit pouvoir être à même dans peu de temps de nous faire connaître son opinion sur co point important et de nous présenter un projet de loi.

Cette fois donc, me voilà parfaitement d'accord avec l'honorable M. Félix de Mérode, puisque, lui aussi, convie ses amis au pouvoir de (page 263) nous présenter immédiatement ce projet de loi. Je le demande avec lui.

Et en attendant que ce projet de loi soit présenté, je demande itérativement à M. le ministre de la justice de vouloir bien, comme il me l'avait promis, du reste, faire insérer au Moniteur, non par extraits, mais in extenso, tout ce qui concerne les legs et les fondations. Je lui rappelle à cet égard la promesse qu'il a bien voulu me faire et j'en demande l'exécution.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Je puis déclarer à l'honorable membre qui vient de se, rasseoir que les bases du projet de loi sur la charité sont arrêtées entre tous les membres du cabinet et qu'il ne se passera pas 15 jours à 3 semaines au plus sans qu'il soit déposé sur le bureau de la Chambre.

Quant à l'insertion au Moniteur des arrêtés relatifs aux dons et legs, j'ai suivi la marche que j'ai trouvée établie au département de la justice. On n'insère généralement in extenso que les arrêtés de principes ; quant aux autres, on se borne à des extraits. Je n'ai, du reste, aucun motif de ne pas insérer tous ces arrêtés au Moniteur, et si je pouvais connaître ceux dont l'honorable membre désirerait avoir l'insertion in extenso, il serait certainement fait droit à sa demande du jour au lendemain.

M. Frère-Orban. - Qu'on les dépose tous sur le bureau.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Cette marche est, je crois, inusitée. Je pourrais encore faire imprimer tous les arrêtés séparément.

M. Verhaegen. - J'accepte avec plaisir l'offre faite par M. le ministre de la justice de faire imprimer tous ces arrêtés. Je ne puis les connaître que lorsqu'ils paraissent et il me serait, par conséquent, impossible de désigner ceux qui me paraîtraient mériter plus particulièrement la publication.

D'après l'offre que vient de me faire M. le ministre de la justice, et que j'accepte avec empressement, je trouverai désormais au Moniteur chacun de ces arrêtés.

M. de Mérode. - M. Verhaegen vient de dire que si l'on adoptait mes idées et celles de mes amis il n'y aurait bientôt plus de pauvres, selon nous. Or, il est dit dans l'Evangile que nous aurons toujours des pauvres parmi nous ; et ni moi ni mes amis, n'avons la prétention de supprimer la pauvreté de ce monde. Nous ne portons pa si loin nos vues, mais nous croyons qu'il y a moyen d'améliorer la position des pauvres ; et nous pensons que les mesures les plus efficaces pour y parvenir ne sont pas celles que recommande l'honorable M. Verhaegen.

M. Vandenpeereboom. - Je tiens à répondre deux mots à M. le ministre des travaux publics. Dans les observations que j'ai présentées, je n'ai pas entendu adresser le moindre blâme au département des travaux publics, dont l'activité est parfaitement connue.

Cependant, ayant trouvé dans la dernière situation du trésor, distribuée il y a quelques jours, un état indiquant qu'il y a encore disponible une somme de 22 millions rattachée à l'exercice 1855, j'ai cru pouvoir en faire l'observation au gouvernement afin de provoquer la mise en adjudication des travaux qui pourraient cet hiver être entrepris.

Je suis satisfait, en général, des explications que M. le ministre a données. Cependant, il y a quelques travaux votés en 1851 qui n'ont reçu encore aucun commencement d'exécution et sur lesquels j'appelle toute l'attention du gouvernement. Ainsi, messieurs, 600,000 francs ont été votés pour l'amélioration du régime des eaux de la Nèthe, de l'Yser et de la Senne.

Depuis cette époque, deux de ces rivières les Nèthes et l'Yser ont été reprises par l'Etat, et il est évident qu'il y a des travaux considérables à exécuter à ces rivières. Je demanderai donc à M. le ministre, s'il ne serait pas possible, en attendant qu'on parvienne à s'entendre avec les provinces qui doivent contribuer, d'autoriser la dépense d'une partie des crédits alloués en 1851, et dont une somme de 531,000 fr. restait encore disponible au ois de novembre dernier.

Puisque j'ai la parole, je désire répondre quelques mots à l'opinion exprimée par l'honorable M. David au sujet de la vente des biens appartenant à des établissements charitables et la conversion des capitaux en rentes sur l'Etat.

Cette opinion peut être controversée ; mais je crois que le système préconisé par l'honorable M. David est très dangereux, et j'engage vivement le gouvernement à ne point le consacrer, du moins d'une manière générale.

Vouloir, comme on l'a fait dans d'autres pays, convertir en rentes sur l'Etat les biens-fonds de toutes les institutions charitables du pays, serait tomber dans une erreur très dangereuse. Je dois insister sur ce point et relever l'opinion de mon honorable collègue, parce que j'ai remarqué que cette opinion jouissait de quelque faveur au département de la justice.

Je fais partie de la commission administrative de l'institution royale de Messines et j'ai cru découvrir dans la nature de certains renseignements qu'on nous a demandés, l'idée de vendre un jour tous les biens fonds de ce magnifique établissement.

Il serait inutile de traiter à fond cette question, mais on peut dire que si, d'une part, les rentes sur l'Etat rapportent plus d'intérêt, d'un autre côté, les biens-fonds offrent une sécurité infiniment plus grande. Ne faut-il pas, en outre, respecter aussi la volonté du fondateur qui, en donnant son bien a, en quelque sorte, voulu attacher son nom à la donation et donner plus de stabilité à la fondation elle-même. D'ailleurs, ce serait une erreur de croire qu'en règle générale les rentes sur l'Etat donnent plus de profit que les biens-fonds. Si nous comparions, par exemple, le produit de capitaux égaux placés, il y a 50 ans, les uns en rentes, les autres en biens-fonds, il serait assez curieux de savoir lequel des deux aurait produit le plus d'intérêt.

Un fait dont l'établissement même de Messines nous offre l'exemple vous prouvera mieux que tous les raisonnements du monde ce que je viens d'avancer. L'institution royale de Messines avait autrefois une abbaye de dames nobles ; à côté existait un chapitre de 12 chanoines. (Interruption.) C'est historique. Les biens étaient communs. (Nouvelle interruption.) Mais les chanoines ayant probablement des besoins plus grands que les dames nobles, proposèrent de séparer la communauté. On fit donc un partage des biens ; les chanoines, qui aimaient les gros revenus, réclamèrent les rentes et trouvaient ainsi le moyen de satisfaire à tous leurs besoins.

Les dames conservèrent les biens-fonds. Savez-vous, messieurs, ce qui en est résulté ? Deux siècles après le partage des biens, les chanoines n'avaient plus rien du tout, et les dames nobles, devenues très riches, furent contraintes de fournir une subvention aux chanoines.

Eh bien, ce qui est arrivé à Messines pourrait fort bien arriver dans tous les établissements de mainmorte, si l'on suivait le système de l'honorable M. David et de quelques-uns de nos autres collègues.

Il pourrait se faire qu'un jour toutes les rentes fussent absorbées et que les pauvres, auxquels des fondations magnifiques auraient été faites, fussent dépourvus de toute ressource.

Si nous examinions la nature des biens que possèdent nos établissements de bienfaisance, nous y trouverions extrêmement peu de rentes et, par contre, des biens-fonds d'une grande importance.

J'ai dû faire ces réflexions, parce que, je le répète, je crains que l'idée de l'honorable M. David ne s'accrédite, et c'est ce que je voudrais pouvoir empêeher.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Je n'ai pas l'intention non plus de traiter incidemment cette grande question de la vente des biens appartenant aux établissements charitables. Je suis, sous ce rapport, tout à fait d'accord avec M. le ministre de l'intérieur, et je n'ai rien à ajouter aux observations qui viennent d'être présentées. Si je vous arrête un moment, c'est pour répondre quelques mots à l'allusion faite par l'honorable membre. Il a paru croire qu'au département de la justice on était disposé à se lancer dans cette voie.

Il n'en est rien. L'honorable membre a parlé de ce qui s'est passé pour l'établissement de Messines dont il est l'un des administrateurs les plus éclairés. Je ferai remarquer à l'honorable membre que la correspondance qui a eu lieu entre mon département et la commission avait pour objet des biens situés en pays étranger. La Chambre comprendra que, par des motifs de sécurité et de bonne administration, on veuille vendre des biens situés à l'étranger. Mais cela n'a aucun rapport avee une vente systématique de biens appartenant à des établissements de bienfaisance et situés près des établissements dont ils forment la dotation.

M. de Haerne. - Parmi les applications qui ont été faites des subsides alloués dans l'intérêt de la classe ouvrière, une des plus utiles est celle qui concerne les ateliers d'apprentissage.

L'honorable M. Vander Donckt a fait tout à l'heure de ces ateliers un éloge qui ne laisse rien à désirer. Aussi, je n'y ajouterai rien.

M. le ministre de l'intérieur, répondant à l'honorable M. Vnder Donckt, a fait remarquer que ces subsides étaient d'un caractère transitoire, temporaire. Il en a toujours été ainsi, et nul ne le conteste, je pense. L'honorable ministre de l'intérieur a fait entendre que, dans un avenir plus ou moins prochain, on songerait à organiser l'enseignement professionnel.

Mais je ferai remarquer que très souvent cet enseignement se confond avec ce qu'on appelle les ateliers d'apprentissage, ou que ceux-ci en font partie. Certains ateliers ont une organisation semblable à celle à laquelle il a été fait allusion. En principe au moins ces deux ordres d'idées se touchent de près.

Il a dit qu'en raison des circonstances pénibles où nous nous trouvons, le gonvernement donnera des subsides à des établissements créés à cause des circonstances, pour organiser le travail, et venir ainsi au secours de la classe ouvrière. Mais c'est dans ce but que l'on crée généralement les ateliers d'apprentissage, et très souvent ils se confondent avec les établissements dont a parlé M. le ministre.

Un atelier d'apprentissage est presque toujours établi dans les Flandres, pour donner avant tout du travail à la classe pauvre qui est désœuvrée. Je ne crois pas que nous devions discuter sur les mots. L'intérêt des administrations communales est de donner de l'ouvrage ; qu'elles le fassent au moyen d'ateliers d'apprentissage ou d'ateliers de travail, il me semble que l'intervention du gouvernement doit être la même.

Ainsi, par exemple, la commune de Sweveghem, dans l'arrondissement de Courtrai, a organisé dans le temps, au moyen de quelques subsides, un atelier pour donner du travail aux filles pauvres, en leur apprenant la broderie suisse. Grâce au concours des autorités, au patronage éclairé de M. le bourgmestre et au zèle d'un ecclésiastique, cette industrie a pris racine dans l'endroit et tout fait espérer qu'elle s'y est acclimatée. Cet atelier d'apprentissage a obtenu un succès brillant à Paris et figure avec honneur parmi les vainqueurs auxquels l'honorable ministre a (page 264) applaudi dans d'éloquentes paroles que nous avons entendues hier avec plaisir dans la grande solennité industrielle. Il a donné une médaille à M. le directeur de cet atelier, représenté par un échevin ; il en a donné également une à l'institutrice de cette école.

C'est évidemment là un atelier d'apprentissage, puisqu'il a produit de si beaux résultats, en introduisant une industrie nouvelle et en formant d'habiles ouvrières. Mais il n'e n'est pas moins vrai que le but principal, le premier but a été de donner de l'ouvrage aux pauvres, dans un moment de crise semblable à celle où nous nous trouvons.

La condition de l'apprentissage que s'imposent la plupart de ces institutions doit être, ce me semble, une raison de plus de les favoriser dans la répartition des subsides destinés à encourager le travail.

Dans cette même commune on se propose de faire, pour les garçons, ce que l'on a déjà si bien fait pour les filles ; on veut y ériger un atelier de tissage, pour donner du trav.il d'abord, et ensuite pour former des ouvriers qui, en sortant de l'atelier, puissent continuer leur métier. Je ferai remarquer que ce but est d'autant plus louable que les bons tisserands manquent aujourd'hui dans l'arrondissement de Courtrai.

Cette observation tend uniquement à faire comprendre que la distinction qu'a faite M. le ministre de l'intérieur ne peut être admise en pratique, et qu'on ne doit avoir égard dans l'allocation des subsides temporaires, dont il s'agit, qu'au but qui est toujours le même, c'est-à-dire d'accorder du travail.

J'espère que M. le ministre agira en conséquence ; car, après tout, je suis persuadé qu'on ne saurait faire un meilleur usage des secours du gouvernement que celui dont je viens de parler.

- Plusieurs membres. - La clôture !

M. David. - Je demande la parole contre la clôture.

Je dois m'opposer à la clôture ; on me fait dire que je veux la vente des propriétés rurales des administrations charitables pour en convertir le produit en rentes sur l'Etat. J'ai, au contraire, demandé que le produit à obtenir de la vente de ces propriétés et des rentes sur l'Etat soit employé à la construction d'habitations saines et d'un bas loyer pour les classes ouvrières et malheureuses.

- La clôture de la discussion générale est mise aux voix et prononcée.

Discussion des articles

Article premier

« Art. 1er. Il est ouvert au département de l'intérieur un crédit de quinze cent mille francs (fr. 1,500,000), pour contribuer aux mesures à prendre dans l'intérêt des classes ouvrières et indigentes, et particulièrement aux mesures qui sont indiquées ci-après :

« A. Amélioration de la voirie vicinale ;

« B. Assainissement des villes et des parties agglomérées des communes rurales ;

« C. Encouragements à accorder aux institutions de prévoyance et d'assistance, sur l'avis des administrations communales et à charge de leur en rendre compte. »

- Adopté.

Article 2

« Art. 2. Ce crédit formera l'article unique du chapitre XXIV du budget du ministère de l'intérieur de l'exercice 1856.

« Il sera couvert au moyen d'une émission de bons du trésor. »

M. Osy. - Messieurs, avant la discussion du budget des voies et moyens, le gouvernement nous avait fait distribuer une situation dt trésor, en y comprenant les besoins pour lesquels il se proposait de demander des fonds à la législature.

Le gouvernement a été autorisé, par le budget des voies et moyens, à émettre pour 22 millions de bons du trésor. Dans cette somme de 22 millions se trouve comprise la somme de 1,500,000 fr. demandée aujourd'hui. Si donc vous votez l'article 2, tel qu'il est proposé, vous autoriserez le gouvernement à émettre pour 23,500,000 fr. de bons du trésor. Ce n'est pas l'intention du gouvernement, mais je crois que nous sommes obligés de changer la rédaction du second paragraphe de l'article 2. Je propose donc de dire :

« Il sera couvert au moyen de l'émission de bons du trésor autorisée par le budget des voies et moyens de 1856. »

M. le ministre des finances (M. Mercier). - Messieurs, l'amendement présenté par l'honorable baron Osy rend parfaitement l'intention du gouvernement, et je m'y rallie. En effet, dans la situation du trésor, telle que je l'ai présentée, ce crédit avait été prévu. Les 22 millions suffiront pour couvrir cette dépense.

- L'article 2, modifié comme le propose M. Osy, est adopté.

Article 3

« Art. 3. Il sera fait aux Chambres, avant le 31 décembre 1856, us rapport spécial sur les mesures adoptées en vertu de la présente loi, accompagné du compte des dépenses. »

- Adopté.

Vote sur l’ensemble du projet

Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet qui est adopté à l'unanimité des 77 membres présents.

Ce sont : MM. Thienpont, T'Kint de Naeyer, Trémouroux, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom, Vander Donckt, Van Iseghem, Van Renynghe, Vervoort, Veydt, Vilain XIIII, Visart, Wasseige, Ansiau Boulez, Brixhe, Calmeyn, Closset, Coomans, Coppieters 't Wallant, Dautrebande, David, de Brouwer de Hogendorp, de Decker, de Haerne, de La Coste, Delfosse, Deliége, Dellafaille, de Man d'Attenrode, F. de Mérode, de Mérode-Westerloo, de Moor, de Muelenaere, de Naeyer, de Perceval, de Renesse, de Rudderc de Te Lokeren, Desmaisières, de Steenhault, Devaux, de Wouters, Dumon, Dumortier, Frère-Orban, Jacques, Janssens, Jouret, Lambin, Landeloos, Lange, Laubry, le Bailly de Tilleghem, Lebeau, Lesoinne, Loos, Maertens, Magherman, Malou, Manilius, Mascart, Matthieu, Mercier, Moncheur, Moreau, Orts, Osy, Pirmez, Prévinaire, Rodenbach, Rousselle, Sinave, Tack, Tesch, Thibaut, Thiéfry et Delehaye.


« Par dépêche du 18 décembre, M. le ministre de l'intérieur fait connaître avec explications à l'appui, le chiffre qu'il pétitionne au littera G de l'article 98 de son budget, dépense pour l'instruction primaire. »

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce document et le renvoie à la section centrale chargés d'examiner le budget de l'intérieur.

La séance est levée à 4 heures trois quarts.