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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 30 août 1833

(Moniteur belge n°244, du 1er septembre 1833)

(Présidence de M. Raikem)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Liedts fait l’appel nominal à midi et demi.

M. Dellafaille donne lecture du procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.

Ordre des travaux de la chambre

M. d’Huart. - Je demande la parole pour une motion d’ordre. On vient de m’assurer que toutes les sections avaient nommé les membres de la section centrale qui devra examiner la loi organisatrice de l’administration provinciale ; je prierai M. le président de convoquer promptement cette section centrale.

M. le président. - Je crois l’honorable membre mal informé. Si tous les membres de la section centrale étaient nommés, elle serait convoquée immédiatement. Il reste deux membres à nommer.

M. Verdussen. - La sixième section a nommé son rapporteur.

M. le président. - La cinquième n’a pas nommé le sien.

Projet de loi portant le budget de la dette publique de l'exercice 1833

Discussion du tableau des crédits

M. le président. - Nous en étions restés à la discussion générale sur la dette ; nous passons à la discussion des articles.

Chapitre premier. Dette constituée

Article premier

« Art. 1er. Intérêts de la dette active inscrite au grand-livre auxiliaire : fr. 611,984 17 c. »

- Adopté sans discussion.

Article 2

« Art. 2. § 1. Intérêts de l’emprunt de cent millions : fr. 5,040,000. »

- Le gouvernement demande 5,130,158 fr. 75.

M. Kerchove, commissaire du Roi demande une augmentation de 60,000 fr., fondée sur l’augmentation du change sur Paris et sur Londres.

M. Dumortier, rapporteur. - Quand le gouvernement croit avoir des augmentations à demander, il devrait les déposer sur le bureau.

M. Lardinois. - Ce n’est pas légèrement que la section centrale a proposé une réduction de 90,158 fr. 75 c.

- L’article 2 de la section centrale est adopté.

« Art. 2. § 2. Dotation de l’amortissement : fr. 1,008,000. »

Le ministre demande 1,026,031 fr. 75 c.

- Le chiffre de la section centrale est adopté.

Article 3

« Art. 3. Frais relatifs au paiement des intérêts de l’amortissement et de l’emprunt : fr. 100,000. »

M. Kerkhove, commissaire du Roi. - Messieurs, la section centrale propose un changement de rédaction pour ces deux articles, consistant à porter les sommes fixes et invariables pour intérêts et dotation de l’amortissement, et à ouvrir pour les frais de toute nature un crédit annuel de 100,000 fr.

Le changement de rédaction, et la proposition de formuler autrement qu’ils ne le sont les articles concernant l’intérêt, la dotation et les frais de l’emprunt, ont été faits de commun accord entre le ministre des finances et la section centrale ; mais le chiffre de 100,000 fr., proposé pour les frais relatifs au paiement des intérêts, n’étant pas suffisant, nous nous trouvons dans la nécessité de demander une majoration de 60,000 fr., la perte du change sur Londres ayant été l’année dernière de plus de 100,000 fr.

Déjà une somme de 60,480 fr. est nécessaire pour les frais de 1 p. c. de commission, pour paiement des intérêts et l’amortissement ; il restera donc pour la perte du change 99,520 fr., somme jugée indispensable. On propose donc, comme amendement, d’allouer une somme de 160,000 fr. pour frais de toute nature, formant l’article 3 du chapitre premier du budget de la dette publique.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - J’ai déposé cet amendement sur le bureau.

M. Dumortier, rapporteur. - Je ferai dans cette occasion une observation générale. Si le ministre a des augmentations à demander, je le prie de les communiquer à la section centrale, afin qu’elle sache à quoi s’en tenir. Dans le budget, d’après les calculs que j’ai établis avec le concours du ministre, on a mis le chiffre de 100,000 fr. Comment alors s’expliquer que, 15 jours après, on ait besoin de 60,000 fr. de plus ?

M. Lardinois. - C’est pour la différence du change.

M. Kerkhove, commissaire du Roi. - Le budget des finances a été présenté il y a cinq à six mois ; depuis cette époque il y a eu augmentation dans le change entre Paris et Londres. Le change l’année dernière était moins élevé que celle-ci. Le chiffre du budget ne pourrait suffire pour le service.

M. Dumortier, rapporteur. - Il n’y a pas six mois que le ministre nous a envoyé les documents relatifs à ce point ; y a quinze jours. Dans ces documents le ministre disait que 108,000 suffisaient. Le change, dit-on, est augmenté ; mais il y a quelques jours il ne l’était pas. Je ne saurais donner mon assentiment à cette augmentation.

On a commis une faute bien grave lors de l’emprunt de cent millions, en consentant à en payer les intérêts sur des places différentes ; le gouvernement aurait dû ne consentir le paiement des intérêts que sur une seule et même place ; et si quelque emprunt nouveau devient indispensable, je l’engage à ne plus commettre cette faute. Je demande que l’augmentation réclamée soit soumise à la section centrale. (Appuyé ! appuyé !)

M. d’Huart. - Avant ce renvoi il conviendrait d’entendre le ministre.

M. de Brouckere. - Si le ministre ne s’oppose pas au renvoi à la section centrale, il n’y a pas de question en discussion ; s’il s’oppose au renvoi, il faut savoir si le fait de l’augmentation du change est réel ; si le fait est réel, on ne peut refuser les 60,000 fr.

M. Dumortier, rapporteur. - Depuis 15 jours le change n’a pu varier.

M. de Brouckere. - Le ministre a pu omettre de faire mention de l’augmentation dans les changes, mais si l’augmentation est vraie, je suis prêt à voter.

M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Je commencerai par répondre aux observations générales faites sur la manière dont l’emprunt a été contracté. Cet emprunt résulte d’un traité qui a été passé sous les yeux des membres de la chambre ; c’est un fait accompli, et tout ce qui a lieu maintenant est l’exécution fidèle, loyale, d’un traité convenu.

Quant aux considérations particulières relatives à l’augmentation demandée, je dirai que cette augmentation porte sur une partie variable. Il doit vous être rendu compte de l’emploi de l’emprunt et de tout ce qui le concerne ; si des crédits accordés par vous ne sont pas intégralement employés, vous le saurez ; ainsi la chambre peut voter l’augmentation.

M. Dumortier, rapporteur. - On a formé un article pour les dépenses variables relatives à l’amortissement et aux intérêts de l’emprunt ; on a demandé au ministre quelle somme serait portée dans cet article ; il a répondu 100,000 tr. comment alors vient-on demander 60,000 fr. ? Il y a quinze jours le ministre devait connaître le cours du change.

M. Legrelle. - Avant de voter, nous devons être éclairés sur la question, et ce n’est que dans la section centrale qu’on peut avoir communication des documents ministériels. Je veux bien admettre que le ministre a fait une omission ; mais encore faut-il qu’on nous dise sur quels cours les sommes demandées sont fondées.

M. Kerckhove, commissaire du Roi. - L’intérêt est de 20, et le cours est de 25-50.

M. Meeus. - Il est inutile de renvoyer l’amendement à la section centrale. La dépense est évidemment variable. Vous ne pouvez refuser au ministre les moyens de faire face au paiement des intérêts et du change. Le cours du change est connu à la bourse, et quand le ministre rendra ses comptes, il indiquera jour par jour la hauteur du cours. Il faut donc donner au ministre le moyen de remplir des engagements contractés.

- Le renvoi de l’amendement à la section centrale est mis aux voix et ordonné.

Articles 4 et 5

« Art. 4. Dette flottante : fr. 1,000,000. »

- Adopté sans discussion.


« Art. 5. Dette viagère, fr. 10,000. »

- Adopté sans discussion.

Chapitre II. - Rémunérations

Article premier (paragraphe premier)

« Art. 1er. § 1er. Pensions ecclésiastiques : fr. 975,048. »

M. Dubus. - Je désirerais obtenir une explication sur cet article. L’une des sections de la chambre fait l’observation que dans cet article on comprenait une somme de 12,000 fr. pour la pension de l’abbé de Pradt. Je suis étonné que la section centrale ait gardé le silence sur ce point.

M. Dumortier, rapporteur. - Dès l’année dernière, il a été question de cette pension, et la chambre dans ses sections avait estimé qu’il n’y avait pas lieu à payer cette pension.

Des réclamations assez vives ont été adressées par l’ex-archevêque de Malines au gouvernement, et le gouvernement a en quelque sorte reconnu la légitimité de ces réclamations ; mais cette légitimité n’a été rien moins que prouvée à la section centrale ; au contraire elle a pensé que la pension ne devait pas être à la charge de la Belgique.

En vertu du traité du 15 novembre, la Belgique n’est grevée que des pensions données aux Belges ; l’ex-archevêque de Malines doit donc s’adresser au gouvernement des Pays-Bas. Mais, prétend l’ex-archevêque de Malines, dans une correspondance qu’il a entamée avec le ministère par l’intermédiaire de la légation française, « ma pension n’est point à titre gracieux ou rémunératif, elle est à titre onéreux (On rit.) J’ai vendu mon évêché aux Pays-Bas…(Hilarité générale.)

Un membre. - Vous voulez dire : « J’ai cédé mon évêché... »

M. Dumortier, rapporteur. - Oui, céder !... L’ex-archevêque de Malines ajoute : « Ma pension est le prix de la cession d’un archevêché dont le gouvernement des Pays-Bas, et après lui le gouvernement belge, ont disposé... »

Messieurs, les anciennes lois canoniques défendent ce trafic ; indépendamment de cette considération, la section centrale croit que l’ex-archevêque doit s’adresser aux Pays-Bas. Cependant, elle a cru se pas devoir émettre son avis dans le rapport.

Dans cette affaire, ce qu’il y a d’étonnant, c’est que le gouvernement ait reconnu la légitimité de cette pension qui est considérable, alors que le texte des 24 articles la repousse de notre dette, et que d’un autre côté la constitution stipule qu’aucune pension ne pourra être accordée qu’en vertu d’une loi.

Je me rappelle que, dans une autre occasion, M. de Brouckere, ministre des finances, a déclaré ne pas reconnaître la pension. Jusqu’ici elle n’a pas été payée.

M. Dubus. - On a paru douter de l’exactitude de certains faits que mon honorable ami, M. Dumortier, a cités de mémoire. J’ai fait partie de la section centrale qui, précédemment, a examiné le budget, et je puis déclarer que ce qu’a énoncé mon honorable ami est parfaitement vrai. J’ai fait, pour mon travail, des extraits de la correspondance citée, et on y trouve précisément ces mots : « Il m’a été assuré (écrit M. de Pradt), aux termes de mon contrat, un sort certain… Il ne s’agit pas d’une pension à titre gracieux ou rémunératif, mais d’une pension à titre de cession de propriété… (On rit.) C’est une pension à titre onéreux… (Murmures.)

« J’ai cédé dans des vues bien désintéressées (on rit) une importante propriété, dont deux fois les souverains de la Belgique ont disposé, ce qu’ils n’auraient pu faire sans ma cession.

« Le contrat passé avec moi doit avoir la même valeur que le contrat passé avec tout autre. C’est un vrai contrat synallagmatique.... (Murmures.) Si je ne peux pas reprendre mon évêché, on ne peut pas plus reprendre ma pension… » (Hilarité et murmures.)

Ces motifs suffisent pour vous donner une idée de la nature des prétentions de l’ex-archevêque de Malines ; je tiens la réponse que le gouvernement a faite à cette singulière réclamation.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - Quelle est la date de la réponse.

M. Dubus. - Cette pièce est sans date et sans signature.

M. A. Rodenbach. - Laissez cela là ; c’est trop scandaleux.

M. Dubus. - La pension est d’environ 12,000 fr.

M. Kerkhove, commissaire du Roi. - Une preuve que le ministre n’a pas admis la pension, c’est qu’elle n’est pas payée. L’arrêté du roi Guillaume qui confère la pension, la déclare à titre onéreux. Le gouvernement belge n’a rien à se reprocher.

M. de Brouckere. - Le gouvernement veut-il payer la pension cette année ?

M. Kerkhove, commissaire du Roi. - Non ! Non !

M. A. Rodenbach. - La somme que demande M. de Pradt est-elle comprise dans le chiffre des pensions ecclésiastiques ? Si elle s’y trouve, je demande qu’elle en soit retranchée.

M. Coghen. - Messieurs, comme je l’avais promis lorsque j’étais ministre des finances, la pension de M. de Pradt n’a pas été payée.

Le traité des 24 articles oblige la Belgique à payer les pensions aux Belges, et non à M. de Pradt qui est étranger. Il y a plusieurs autres étrangers qui réclament des pensions considérables ; on ne les paie pas non plus : on en paie quelques-unes très faibles que reçoivent des malheureux. Quand on fera la révision des pensions, on examinera les prétentions de M. de Pradt et des autres étrangers, et la question sera alors définitivement jugée.

M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Jusqu’à nouvel ordre le système suivi sera encore suivi, c’est-à-dire, que la pension ne sera pas payée. On statuera sur cette pension et sur les autres quand, aux termes de la constitution, on révisera les pensions.

M. Meeus. - Toute la question est de savoir si la somme égale à la pension est comprise dans le chiffre de l’article : si elle y est, on doit la retrancher.

M. Legrelle. - Puisque le ministre s’engage à ne pas payer, j’appuie l’amendement de M. A. Rodenbach qui demande une réduction de 12,500 fr.

M. Kerkhove, commissaire du Roi. - La somme égale à la pension et portée dans le chiffre de l’article ; mais il ne faut pas la retrancher, parce que tous les jours il arrive des brevets de pension, et elle satisfera aux exigences de ces brevets.

M. A. Rodenbach. - Ce que dit M. le commissaire du Roi n’est pas logique ; d’après son système, on pourrait augmenter le chapitre de 20,000 fr.

M. Legrelle. - La méthode de M. le ministre est tout à fait vicieuse ; elle s’éloigne des principes de véracité, de loyauté qui doivent dicter un budget. Que le ministre nous demande franchement ce dont il a besoin, mais qu’il ne demande pas des sommes pour des éventualités.

M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Les divers chiffres des pensions qui figurent dans le budget ne peuvent être fixes ; ces chiffres dépendent d’éventualités dues à deux causes. Il y a des décès ; il y a des pensions qui se liquident. Quel que soit le mouvement des pensions. je le déclare itérativement, la pension dont il s’agit ne sera pas payée.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - Il est impossible de préciser le chiffre des pensions ; par la nature de l’article en discussion, ce chiffre est nécessairement variable. Il y a des pensions qui s’éteignent ; il y en a d’autres à inscrire. Par exemple, pour les pensions civiques j’aurai incessamment à solliciter l’inscription de brevets nouveaux.

Il n’y a donc dans la demande du ministre des finances aucune intention de tromper la chambre ; sa demande est la conséquence d’une prévision dont chacun appréciera la prudence.

Nous n’avons pas l’intention non plus de défendre les droits ou les prétentions de l’ancien archevêque de Malines ; mais est-il bien dans les convenances que l’on décide à son égard la question d’une manière exceptionnelle ? Le gouvernement va déjà assez loin en déclarant qu’il ne paiera pas la pension, quoique l’arrêté qui la confère la qualifie de pension accordée à titre onéreux.

Sans doute qu’on ne doit à l’ex-archevêque de Malines aucune faveur ; il ne s’est pas conduit envers la Belgique de manière à exciter sa reconnaissance. Quoi qu’il en soit, et sans préjuger la question qui le concerne, vous pouvez laisser les 12,500 fr., somme égale a sa pension, dans le premier article du chapitre II.

M. de Brouckere. - Je ne prétends pas examiner jusqu’à quel point l’ex-archevêque de Malines a des droits à être payé, soit par la Hollande, soit par la Belgique ; mais il est certain que ce qu’ont dit les ministres ne répond pas à la proposition de MM. Rodenbach et Meeus. Le gouvernement affirme qu’il ne paiera pas les 12,000 fr., alors je ne vois pas la nécessité de laisser cette somme au budget. Mais, dit-on, le chiffre des pensions est éventuel ; soit : toutefois, il est probable que vous avez fait vos calculs : laissez donc supprimer les 12,500 fr., sans quoi vous êtes inconséquents. J’appuie l’amendement tendant à la réduction.

M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Je ne m’oppose pas à la réduction proposée ; car on ne peut savoir maintenant quelle sera la puissance obligée de payer la pension.

M. Dumortier, rapporteur. - Le gouvernement français semble vouloir imposer à la Belgique l’obligation de payer la pension, quoique le texte des 24 articles ne soit pas conforme à cette prétention.

Dans une des séances précédentes, relativement aux extraditions, on assurait que le gouvernement recevait des injonctions du gouvernement français : je ne sais jusqu’à quel point cette assertion est vraie ; mais je puis dire que notre gouvernement reçoit au moins des « quasi-ordres. » Voici une lettre du gouvernement français adressée au nôtre, et qui le prouve.

Cette lettre est du 2 janvier 1833 ; il y est question de la pension de M. de Pradt, et le ministre français y dit positivement : « Je vous prie de vous entendre avec le ministre des finances pour faire ordonnancer la pension... » N’est-ce pas comme si le ministre de l’intérieur de France, écrivant à un préfet, disait : « M. le préfet, je vous prie de vous entendre avec le receveur-général pour ordonnancer le paiement de telle pension... » ? Voilà pourtant comme notre ministère faire traiter la Belgique ; voilà à quel point il l’avilit.

J’appuie l’amendement tendant à la suppression de la somme de 12,500 fr.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - J’appuie aussi l’amendement pour donner un exemple de la facilité avec laquelle nous subissons les ordres du gouvernement français. Toutefois, ce sera en attribuant à l’amendement un sens différent de celui que lui donne M. Dumortier. A entendre cet honorable membre, la décision que vous allez prendre tranchera la question de droit ; le véritable sens de l’amendement a été, au contraire, expliqué par M. de Brouckere.

La question relative à la débition de la pension n’a pas son actualité ici : ce sera dans l’exécution du traité avec la Hollande ou lors de la révision des pensions que cette question de débition pourra être résolue.

Il faut être singulièrement préoccupé de l’idée que les gouvernements étrangers donnent des ordres au nôtre pour en voir dans une réclamation diplomatique conçue en termes que l’on emploie dans toutes les notes.

La légation de France a fait usage dans cette occasion du langage que la Belgique tiendrait elle-même, si elle s’adressait à la France ou à l’Angleterre.

Je répète, pour la centième fois, que le gouvernement belge ne reçoit d’ordres de personne ; le gouvernement belge a refusé de se conformer à des réquisitions bien autrement formelles que celles que l’on prétend voir dans la note citée, et se rattachant à des intérêts bien autrement graves. Le gouvernement belge restera fidèle à ses antécédents.

Et pour donner la preuve la plus convaincante que, dans le cas spécial dont il s’agit, nous ne voulons subir la loi de personne, c’est que nous appuyons l’amendement par les mêmes motifs que M. de Brouckere a développés.

M. Dumortier, rapporteur. - Il y a ici une question plus grave qu’une question de chiffres, c’est la question d’honneur national qui est du plus haut prix. Le ministre de la justice est inexact quand il assure que la note est conçue dans les termes ordinaires des notes diplomatiques ; en voici une autre note sur le même objet, adressée par le général Belliard. Cet ambassadeur dit simplement : « Les semestres n’ayant pas été payés, mon gouvernement me charge.. » Voilà tout à fait le style des notes diplomatiques.

Mais il faut qu’un gouvernement soit tombé bien bas pour qu’un autre gouvernement lui écrive : « Je vous prie de vous entendre avec le ministre des finances pour que telle pension soit ordonnancée… » Je suis indigné d’une conduite qui nous ravale à ce degré. J’appuie l’amendement, parce que je repousse la suprématie de tout gouvernement étranger. Cette suprématie nous fait tort devant d’autres puissances ; il faut montrer que nous sommes nationaux et que nous voulons avoir un gouvernement à nous.

M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Je me suis rallié à la proposition de M. de Brouckere, par les considérations que M. le ministre de la justice vient de développer. Quant aux injonctions, aux ordres et aux quasi-ordres intimés au gouvernement belge, on voit le cas que nous en avons fait, puisque nous n’avons pas continué la pension à l’ex-archevêque de Malines.

M. Pirson. - il s’agit ici de l’honneur national, et tout ce qui y touche doit être soigneusement examiné. Il faut surtout prendre les paroles ministérielles au bond. Or, le ministre de la justice, en faisant observer que, dans le cas en discussion, le gouvernement n’avait pas reçu les ordres du gouvernement français, a dit que le gouvernement, il n’y a pas longtemps, a reçu des espèces d’ordres bien plus formels, et qu’il n’en avait pas tenu compte. Je voudrais bien que M. le ministre nous entretînt des circonstances dans lesquelles ces ordres ont été donnés, et qui ont fait montrer tant d’énergie à notre cabinet.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - Puisque M. Dumortier, selon sa coutume, fait usage de lettres d’administration intérieure, je voudrais qu’il nous fît connaître la date de la pièce où le gouvernement reconnaît les droits de M. de Pradt à la pension réclamée.

M. Dumortier. - Messieurs, je fais usage des documents remis à la chambre. La lettre du général Belliard est du 2 avril 1831. La réponse est du mois d’août.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - Ainsi, l’avilissement de la Belgique n’a pas commencé que sous le ministère actuel ; car si on veut examiner la valeur des termes, on trouvera que ces expressions : « Le gouvernement français me charge de réclamer de la Belgique…, » employés par le général Belliard, sont bien aussi fortes que celles employées par M. Latour-Maubourg qui fait simplement une prière. Il dit en effet : « Je vous prie de vous entendre avec le ministre des finances… »

Le gouvernement belge a été accusé maintes fois dans cette enceinte d’être tantôt anglomane, tantôt gallomane ; puis on lui a reproché de vouloir se mettre sous la domination de la diète allemande ; que résulte-t-il de toutes ces accusations contradictoires ?

C’est que le gouvernement est national, qu’il est belge ; que, pour ceux qui ne recherchent pas les plus frivoles occasions pour lui adresser des injures, le gouvernement a donné des preuves irrécusables qu’il était avant tout national et belge, dans des circonstances surtout plus dignes d’occuper l’assemblée.

- La diminution de 12,500 fr., mise aux voix, est adoptée.

Article premier (paragraphe 2)

« Art. 1er. § 2. Pensions civiles : fr. 401,242. »

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Ce n’est guère que par le rapport de la section centrale, et par le discours du ministre des finances, que j’ai reconnu que les pensions judiciaires n’étaient pas inscrites au grand-livre auxiliaire. Ces pensions ont été accordées à la fin de décembre 1832 ; j’avais pensé qu’en en faisant parvenir les titres le 1er janvier, l’inscription en serait faite au ministère des finances pour toute l’année 1833 ; je me suis trompé. Je suis bien aise de faire cette remarque parce que, quand on en sera à la discussion du budget de mon ministère, je proposerai une majoration, et qu’ainsi la chambre ne sera pas prise au dépourvu. Je communiquerai en même temps la liste des pensionnaires.

Cette majoration, conséquence de la loi constitutive de l’ordre judiciaire, s’élèvera à environ 30,000 fr.

M. Pirson. - Il est de fait que le ministre a opéré plusieurs changements dans l’ordre judiciaire. Il a mis plusieurs juges dans le cas de demander leur retraite ; je pourrais dire que dans beaucoup cas il a bien opéré, mais dans d’autres il n’en est pas de même. Depuis quelque temps M. le ministre débarrasse ses bureaux d’un certain nombre d’employés incapables dont il fait des juges de paix ; il a de tels juges de paix dans ma province : ce sont des jeunes gens sans expérience dont le ministre, je le répète, se débarrasse en les envoyant dans nos campagnes.

Par cette manière d’agir il y a surcharge pour le trésor, et il faudra des pensions aux juges de paix renvoyés. Le ministre a surtout fait un changement dans la commune de Dinant qui ne sera pas applaudi.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Cette discussion est prématurée. Je ne me refuserai pas à donner toutes les explications qu’on désirera quand nous en sera à la discussion de mon budget. Je bornerai toutefois les explications à ce que les convenances permettent, puisqu’il s’agit de questions personnelles.

M. Pirson. - On sait que M. de Stassart avait une pension civile du roi Guillaume : on dit qu’elle à été annulée ; je demande si en effet M. de Stassart ne touche plus cette pension ?

M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Cette pension n’est pas comprise dans le chiffre du paragraphe relatif aux pensions civiles. Je me souviens que M. le baron de Stassart s’est adressé, par dépêche au gouvernement pour réclamer la continuation de sa pension : on n’a pas répondu ; ainsi la pension n’est dans le paragraphe.

- Le chiffre du paragraphe, mis aux voix, est adopté.

Article premier (paragraphe 3)

« Article 1er. § 3. Pensions civiques : fr. 207,000 »

- Adopté sans discussion.

M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Je prie la chambre de remarquer, relativement à la pension de M. le baron de Stassart, qu’il n’en demandait la jouissance qu’autant qu’il cesserait d’exercer toute fonction civile payée par l’Etat. (Bien ! bien !)

Article premier (paragraphe 4)

« Art. 1er. § 4. Pensions militaires : fr. 1,141,600 fr.”

M. Dumortier, rapporteur. - Les pensions militaires accordées depuis quelque temps s’accroissent très rapidement.

Parmi les pensions militaires figurent les pensions des Indes. L’année dernière on avait porté ces pensions pour une somme de 8,084 fl. Il y en a que l’on acquitte ; il y en a d’autres que l’on n’acquitte pas.

Cependant les titres sont les mêmes ; si les pensionnaires ont des droits, il faut les payer ; mais je ne puis m’expliquer sur quoi reposent les préférences. Je connais des pensionnaires qui sont venus me trouver, et qui, en me citant des personnes qui reçoivent, se plaignent de ne rien recevoir.

Ces pensions sont fondées sur un fonds spécial qui est dans les mains de la Hollande ; mais il est d’autres caisses dans les mains de la Hollande, et cependant on ne paie pas moins à titre d’avance ; pourquoi ne ferait-du pas de même à l’égard des pensions des Indes ?

M. Legrelle. - Les pensions des Indes se sont pas les seules qui peuvent donner naissance à des réclamations : les pensions relatives à la fondation de Waterloo ne sont pas toutes payées.

J’ai déjà eu l’occasion de faire des observations à cet égard ; M. le ministre de la guerre a promis de les prendre en considération ; je demanderai si, en effet, ce ministre s’est occupé de ces pensions dont la plus forte ne s’élève pas à 47 florins.

M. le ministre de la guerre (M. Evain) - D’après l’état qui m’a été remis, les pensions accordées sous le titre de pensions de Waterloo ont été payées sur des dons volontaires. Comme ces dons ont été absorbés, elles ont été ensuite payées sur le produit de collectes.

Je n’ai pas encore l’état complet de ces pensionnaires ; la plupart des provinces ne m’ont pas envoyé le travail que je demandais : quand je l’aurai reçu, je ferai connaître à la chambre les fonds nécessaires pour solder ces pensions qui sont très minimes.

M. Legrelle. - Je demanderai si les renseignements ont été demandés à toutes les provinces.

M. le ministre de la guerre (M. Evain) - Oui !

M. Legrelle. - Les administrateurs provinciaux sont bien paresseux !

M. Kerkhove, commissaire du Roi. - Quelques pensions des Indes ont été payées ; mais ce sont des individus qui n’avaient rien qui les ont reçues ; ceux qui jouissent d’un traitement de demi-soldes, d’après les règles du cumul, n’ont rien reçu.

M. A. Rodenbach. - On a bien fait !

- Le paragraphe 4 est adopté.

L’article premier, dans sa totalité, forme le chiffre, 2,725,000 fr. et est adopté.

Article 2

M. le président. - On passe au chapitre II, intitulé Traitements d’attente.

Le gouvernement avait demandé de ce chef 137,500 fr. La section propose d’allouer seulement 50,000 fr.

M. le président. - M. de Brouckere a proposé un amendement tendant à majorer le crédit demandé par le gouvernement de 70,000 fr.

M. de Brouckere. - Messieurs, depuis trois ans, je n’ai pas laissé échapper une seule occasion d’adresser à la chambre des demandes de la nature de celle que j’ai l’honneur de vous soumettre aujourd’hui. Jusqu’ici je n’ai pu obtenir justice entière, j’espère être plus heureux cette fois. Du reste, je déclare que je renouvellerai mes efforts aussi longtemps que je n’y serai pas parvenu. Pour éviter toute interprétation fâcheuse, je commence par déclarer que, parmi toutes les personnes qui jouissent de pensions d’attente, il n’en est pas une seule à laquelle je sois attaché, soit par des liens de famille, soit par des affections particulières. C’est au nom de l’équité seule que je parle.

Vous savez tous ce que c’était que ces traitements d’attente accordés sous le gouvernement précédent. Il en est de trois classes différentes que je vais faire connaître, car la manière dont elles ont été exposées par l’honorable M. Dumortier n’est nullement exacte.

D’abord viennent les traitements de non-activité que l’on accordait d’ordinaire à des fonctionnaires dont les fonctions étaient supprimées, qui n’étaient pas d’un âge assez avancé pour qu’on leur donnât des pensions, et dont on prévoyait plus tard pouvoir utiliser les services. Ces traitements s’appelaient wacht-geld.

Il y avait en deuxième lieu les secours annuels ou jaarlyksch onderstand, qui étaient accordés soit pour des services rendus, soit par égard à la position particulière de certaines personnes tombées dans le besoin par suite de l’enlèvement de leurs commissions ou d’autres circonstances.

En troisième lieu il y avait les suppléments de traitements appelés toelagen. Ils étaient conférés à des fonctionnaires qui, tout en conservant leurs fonctions ou en en recevant d’autres, voyaient leurs traitements considérablement réduits.

La plus grande partie de ces derniers a été donnée à d’anciens receveurs particuliers d’arrondissements, au moment où ces places ont été supprimées, anciens receveurs qui sont devenus administrateurs du trésor ou agents de la banque ; mais comme ils jouissaient à ce titre d’un salaire bien inférieur à leur traitement primitif, le gouvernement a jugé à propos de leur accorder un dédommagement, et cela était d’autant plus juste que la plupart de ces personnes, cessant d’être fonctionnaires du gouvernement pour devenir agents de la banque, perdaient en quelque sorte leurs droits à une pension.

La première question qui se présente ici est celle de savoir en vertu de quelle disposition le gouvernement des Pays-Bas accordait ces traitements : c’était en vertu de l’article 17 de l’arrêté du 14 septembre 1814, qui avait force de loi et dont voici les termes :

« Nous nous réservons des exceptions à ce qui est statué par le présent règlement dans les cas extraordinaires ou des services éminents ou d’autres causes pourraient nous engager à donner des marques particulières de notre bienveillance. »

Ainsi, messieurs, tous ceux qui avaient obtenu de pareils traitements en jouissaient en vertu de la loi ; ils possédaient un titre qu’il est impossible de méconnaître. Seulement, on pouvait le leur enlever soit en les remplaçant, soit en liquidant leurs pensions, soit même en leur retirant une faveur qu’ils auraient obtenue sans y avoir eu de droit légal. Mais, dans aucun cas, un gouvernement ne pouvait sans injustice refuser de payer les termes échus.

Le gouvernement belge a senti, à toutes les époques, la justesse de ce raisonnement ; et la preuve, c’est que chaque année il est venu réclamer la somme nécessaire pour acquitter les traitements d’attente.

La première année une discussion s’est engagée devant la législature sur le point de savoir s’il fallait payer ou non ces traitements. On a avancé que, parmi les personnes en jouissant, il en était qui n’avaient que des titres peu honorables. On a jeté sur elles du discrédit, et moi-même je dois convenir qu’on eût bien fait de ne pas conférer ces traitements à certaines d’entre elles.

Cependant j’ai élevé la voix, et j’ai été appuyé à cet égard par d’honorables collègues pour soutenir que ceux-là même qui avaient obtenu des traitements d’attente par des motifs que nous n’approuvions point, avaient droit de toucher les termes échus, sauf au gouvernement à prendre une mesure qui les prévînt qu’on ne les leur paierait plus à l’avenir.

A la suite de cette discussion on a adopté un terme moyen, et au lieu de 65,000 fl., on n’en a voté que 30,000, en laissant au ministre le soin de les distribuer entre les personnes les plus nécessiteuses, et dont les droits seraient bien établis. Mais c’était mettre le ministre dans un grand embarras : sentant sa position, il invita 5 membres de la chambre à lui donner leur avis.

J’étais membre de cette commission, et comme je l’ai dit hier, nous nous refusâmes à faire nous-mêmes une distribution ; seulement nous donnâmes un avis. Il résulte toujours de cela que 30,000 florins de traitements ont été payés en 1831 et que 35,000 florins n’ont pas été payés.

L’année suivante le ministre des finances M. Coghen est venu nous demander, pour 1832, 65,000 florins, plus les 35,000 fr. qui n’avaient pas été payés l’année précédente, et j’applaudis à cette manière d’agir puisque ce qui avait été reconnu être une justice en 1831 devait l’être encore en 1832. Je soutins les droits des titulaires ; mais je succombai encore, et le ministre n’obtint pour la seconde fois que 30,000 florins. Voilà donc que nous sommes en arrière vis-à-vis de ces titulaires de 70,000 florins, Aujourd’hui M. le ministre des finances réclame encore 65,000 fl. ; seulement il a négligé de porter dans le budget les 70,000 fl. d’arriérés. C’est une lacune que j’ai voulu combler.

Messieurs, bien que la réclamation que je vous adresse ait été déjà l’objet de discussions fort longues, il ne faut pas perdre de vue qu’aucune des législatures précédentes n’a jamais décidé la question. On s’est toujours abstenu et très prudemment de déclarer que ces 65,000 fl. ne fussent pas dus. Je citerai, pour le prouver, le débat qui a eu lieu à ce sujet en 1832.

M . le ministre des finances, avant qu’on ne passât au vote, fit observer qu’il était bien entendu que l’on ne préjugeait en rien la question, et l’on répondit : Oui ! oui ! Pas une voix ne s’éleva pour prétendre le contraire.

Une objection qu’on ne manquera pas de faire, et qui a déjà été faite l’an passé par un honorable membre qui ne siège plus dans cette enceinte, M. Pirmez, c’est que la loi du 14 septembre 1814 n’existait plus ; mais rien n’était plus facile de la réfuter.

En effet, l’article 9 de la loi du 4 août 1832 porte :

« Les pensions des membres actuels de l’ordre judiciaire, qui seraient admis à faire valoir leurs droits à la retraite, seront liquidées d’après les dispositions de l’arrêté du 14 septembre 1814.

« Néanmoins l’article 17 de cet arrêté est abrogé. »

Si le ministre s’était permis de conférer des pensions en vertu de cet article 17, je l’accuserais d’avoir outrepassé ses pouvoirs, parce que cet article était abrogé désormais ; mais veuillez remarquer, messieurs, que les pensions conférées l’ont été dans un moment où cet article faisait loi aussi bien que les 16 qui le précédent.

Toutefois il est un droit que je ne conteste pas à la chambre, et désire même qu’elle en use, c’est qu’elle manifeste l’intention de voir le ministre des finances prendre l’initiative en proposant une mesure tendante à ce que certaines de ces pensions ne soient plus payées à l’avenir ; cette proposition, je serai le premier à l’appuyer. Mais en ce moment vous ne pouvez, sans être injustes, donner à votre décision un effet rétroactif. Jamais vous n’avez pris sur vous de dire que les individus, jouissant de traitements d’attente, n’y ont aucun droit. Que vous le décidiez pour l’avenir, je le conçois ; mais au moins payez les pensions accordées légalement pour les termes qui sont échus.

Si vous ne procédez pas ainsi, vous commettez une injustice : d’abord parce que votre vote aurait un effet rétroactif, et ensuite parce que plusieurs des personnes qui jouissent de ces traitements ont réellement droit à une pension.

Je crois avoir suffisamment démontré les droits des titulaires. Mais si je voulais ajouter quelque chose en leur faveur, je pourrais répéter ce qui a été dit dans la séance de ce jour. Je n’ai entendu parler que de l’article 22 du traité des 24 articles à propos de la pension de M. de Pradt et d’autres objets, Eh bien ! je citerai à mon tour cet article. Il est ainsi conçu :

« Les pensions et traitements d’attente, de non-activité et de réforme, seront acquittés à l’avenir de part et d’autre à tous les titulaires, tant civils que militaires, qui y ont droit, conformément aux lois en vigueur avant le 1er novembre 1830. Il est convenu que les pensions et traitements susdits des titulaires nés sur les territoires qui constituent aujourd’hui la Belgique, resteront à la charge du trésor belge, et les pensions et traitements des titulaires nés sur les territoires qui constituent aujourd’hui la Hollande, à celles du trésor hollandais. »

Vous conviendrez, messieurs, qu’en présence de cette disposition, il nous serait impossible, si un jour le traité devient obligatoire, de refuser les traitements d’attente même les plus injustes. Or, comment aujourd’hui voudriez-vous prendre sur vous, alors que vous n’avez pas examiné les titres, de refuser provisoirement le paiement d’une somme de 35,000 fl. ? Ce serait refuser le paiement d’une dette afin de n’avoir pas la peine de l’examiner. Parmi les personnes qui n’ont rien reçu, il en est qui avaient besoin de ce secours pour vivre. La distribution n’a pu être tellement juste, qu’entre les personnes omises il ne s’en soit trouvé de fort malheureuses. Je crois que la législature ne voudra pas consacrer de semblables injustices et fera droit à ma demande consistant à majorer le crédit de 70,000 florins pour les arriérés.

M’est-il permis de demander à M. le ministre des finances s’il se rallie à mon amendement.

M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Avec plaisir. (On rit.) J’explique ma réponse ; c’est parce que je crois que l’amendement tend à réparer une injustice et que j’ai toujours du plaisir à voir une telle réparation. (Très bien !)

M. Legrelle. - Je ne répondrai pas à toutes les observations de l’honorable préopinant. J’espère que M. le rapporteur de la section centrale, qui a en main tous les documents, expliquera facilement que ce n’est pas commettre une injustice que de ne pas adopter une augmentation de 70,000 fl. Je me bornerai seulement à dire que le paragraphe 7 de l’article 139 de la constitution, qui soumet à une révision la liste des pensions et celle des traitements d’attente, a certainement abrogé la loi de 1814, et je crois que M. de Brouckere lui-même ne le contestera pas. Il objecte que nous ne pouvons faire rétroagir notre décision, et d’un autre coté il dit qu’en présence de l’article 22 du traité des 24 articles, nous ne saurions refuser le paiement des traitements d’attente, même de ceux qui seraient injustes.

Pour moi, messieurs, je crois que nous pouvons procéder ici comme à l’égard de la pension de M. de Pradt, c’est-à-dire ne rien accorder aux titulaires avant que leurs droits ne soient justifiés. Quant à la rétroactivité, il n’y en a pas car dès le commencement la législature a déclaré qu’en accordant 30,000 fr., c’était pour ceux qui étaient dans le besoin. N’était-ce pas dire que ceux qui n’étaient pas dans le besoin ne toucheraient pas désormais leur traitement d’attente ? C’est ainsi que je l’ai toujours entendu. La législature a voulu accorder des secours ; mais elle n’a jamais décidé que les traitements d’attente fussent dus.

M. d’Hoffschmidt. - Je n’essaierai pas de réfuter les arguments de l’honorable M. de Brouckere ; je dirai seulement quelques mots pour motiver mon vote.

Messieurs, j’espérais toujours voir disparaître de nos budgets l’allocation qui y est encore portée pour traitements d’attente, parce que je ne conçois pas qu’il soit payé des traitements pour ne rien faire.

Si les anciens fonctionnaires, qui ont reçu jusqu’à présent des traitements d’attente, ont des droits par leur ancienneté de service à la pension, qu’on la leur accorde, j’y consens ; mais je considérerais comme une véritable dilapidation des fonds publics la continuation de ces traitements, parce que, selon moi, ceux qui les reçoivent n’y ont aucun droit acquis.

En effet, si j’ai bien compris leur position, d’après ce que nous en a dit notre honorable collègue M. de Brouckere, leurs titres se bornent à avoir été quelque temps fonctionnaires sous l’ancien gouvernement, qui, ayant supprimé leurs places comme inutiles, leur a accordé cependant un traitement jusqu’à ce qu’ils soient replacés.

Et, messieurs, ce gouvernement ne les a pas replacés, non plus que celui de la Belgique, malgré l’économie qui en est résulté, ce qui doit nous faire supposer que ces fonctionnaires ont été trouvés ou incapables, ou orangistes, etc. Dans ce cas, je vous le demande, messieurs, leurs titres vous paraissent-ils suffisants pour être salarié par l’Etat ? A mes yeux, ils ne le sont pas, et je crois d’autant moins commettre une injustice envers ces anciens fonctionnaires en votant contre toute allocation quelconque demandée de ce chef, que maintenant il n’est plus accordé par le gouvernement actuel aucun traitement d’attente aux employés dont les places sont supprimées ; pourquoi donc voudriez-vous établir une distinction entre les anciens et les nouveaux fonctionnaires déplacés, afin d’établir un privilège en faveur des premiers, qui ont déjà été favorisés trop longtemps en recevant jusqu’à présent des traitements, pour la plupart exorbitants, et cela, je le répète, pour ne rien faire, et peut-être même pour n’avoir jamais rien fait : car vous le savez, messieurs, les places ne sont ordinairement supprimées que parce qu’elles sont évidemment des sinécures.

En général, je ne voudrais voir rétribuer par l’Etat que ceux qui lui rendent des services, et vous serez de mon avis, messieurs, si vous réfléchissez combien il serait injuste de faire verser le fruit des sueurs du peuple au trésor, pour en doter des hommes qui ne font que se promener. Cependant, comme je m’attends à ce que mon opinion, si faiblement développée, ne prévale pas, surtout que l’opinion opposée a été soutenue ici par un des plus éloquents de nos collègues, je ne veux pas terminer sans vous faire une observation qui, au moins, vous portera peut-être à réduire l’allocation demandée.

Depuis deux ans nous nous appliquons à introduire dans nos dépenses toutes les économies conciliables avec une bonne administration, et les traitements des fonctionnaires surtout ont subi de fortes réductions. Les traitements d’attente seuls sont restés fixés au même taux où les avait portés le gouvernement précédent. De sorte que les fonctionnaires en place, et qui par conséquent travaillent, ont vu diminuer leurs appointements ; tandis que des fonctionnaires qui ne le sont plus, et qui par conséquent sont inutiles, reçoivent l’intégralité d’un traitement auquel, selon moi, ils n’ont aucun droit. Je ne puis à cet égard partager nullement la manière de voir de M. de Brouckere, et surtout je ne puis admettre que l’on vienne s’étayer ici du traité des 24 articles, qui heureusement n’est pas encore exécutoire pour nous ; et Dieu veuille, messieurs, qu’il ne le soit jamais !

M. Jadot. - La proposition de l’honorable M. de Brouckere est celle que j’ai eu l’honneur de vous soumettre il y a quelque temps, et que j’ai retirée sauf à la reproduire.

Je viens l’appuyer parce qu’elle est fondée sur une loi, celle du 5 juin 1824, qui a garanti des indemnités aux employés qui éprouveraient des pertes par suite des changements à introduire dans l’administration de l’Etat. C’est une dette sacrée, rien ne doit s’opposer à ce qu’elle soit acquittée.

M. de Theux. - La question se réduit à ces deux points : Les fonctionnaires qui reçoivent actuellement des traitements d’attente ont-ils un droit irrévocable au maintien de ces traitements ? Y aurait-il dans le vote d’aujourd'hui un effet rétroactif ?

Quant au premier point, l’honorable M. de Brouckere, tout en défendant les intérêts de ces fonctionnaires, semble avoir admis en principe que leur droit n'était pas irrévocable, puisqu’il avoue que parmi eux il en est à qui on peut retrancher leurs traitements lors de la révision. Et en effet, le mot de traitement s’accorde difficilement avec un droit irrévocable. Je conçois qu’une pension accordée légalement soit irrévocable, mais je ne conçois pas qu’un traitement puisse constituer un droit irrévocable. C’est un point qu’il est essentiel de fixer, car s’il était résolu d’une manière affirmative, je n’hésiterais pas à allouer la somme demandée.

Cependant on vient citer une loi d’après laquelle certains employés ont droit à une indemnité. Il y a lieu à cet égard à faire des exceptions dans les limites de la loi, mais non à accorder la totalité du crédit réclamé. Resterait à voir si celui proposé par la section centrale est suffisant pour satisfaire aux droits incontestables.

Quant à la rétroactivité, il m’est impossible de la trouver dans cette circonstance, alors que les années précédentes la législature s’est refusée à allouer la totalité des traitements d’attente. La constitution avait chargé la législature de la révision de la liste des pensions. Or, dès la première discussion, elle a déclaré qu’il y avait lieu à suspendre provisoirement le paiement d’une partie de ces traitements jusqu'à la révision ; or, jusqu’à présent aucun projet de révision ne lui a été soumis : maintenant y aurait-il injustice à borner, en attendant une loi, à voter une somme quelconque à titre de provisions ? ou bien faut-il dès à présent, et sans avoir vérifié des titres qui pour la plupart paraissent suspects, allouer la totalité des traitements dont il s’agit ? Je ne le pense pas, car quand une fois on aurait fait le paiement définitif, on ne pourrait plus réclamer la restitution des fonds.

A moins donc qu’on ne me démontre que les traitements d’attente constituent un droit irrévocable, je ne saurais admettre l’amendement.

M. A. Rodenbach. - Il n’y a rien d’étonnant à ce que M. le ministre des finances se rallie à l’amendement, puisqu’il lui accorde 140,000 fr. de plus qu’il ne demandait. Quant à moi, messieurs je ne puis l’admettre. Je connais des individus jouissant de traitements d’attente qui n’ont pas plus de 25 à 30 ans, et qui se promènent ici, fort à leur aise, tandis que des personnes tout à fait étrangères à l’administration ont été nommées à certaines places. Pourquoi donc ne les a-t-on pas données à ceux qui ont ces traitements d’attente au lieu de les laisser à rien faire ?

Il me semble que 50,000 fr. sont bien suffisants pour les plus nécessiteux, en attendant la révision. Je ne crois pas que la nation veuille payer des gens oisifs, et qui ne lui rendent aucun service.

M. Coghen. - Messieurs, si dans les budgets de 1831 et 1832 j’ai demandé les allocations nécessaires pour payer les pensions d’attente, les suppléments de traitements et des secours, je l’ai fait parce que j’ai cru que cela était conforme à l’équité ; et aujourd’hui j’appuie par le même motif la proposition de l’honorable M. de Brouckere. Si j’agissais autrement, je serais inconséquent avec moi-même.

Le roi Guillaume a accordé ces traitements d’attente, ces suppléments de traitements et ces secours, en vertu du pouvoir qui lui était conféré par l’arrêté-loi du 14 septembre 1814. Les titulaires n’ont pas pu être préjudiciés par la révolution.

Je pense qu’il conviendrait, pour les traitements d’attente, d’allouer la somme demandée par M. de Brouckere, ainsi que l’intégralité de celle portée au budget pour 1833, sauf à déclarer qu’à dater du 1er janvier 1833, tous ceux qui ne seraient pas employés dans l’administration de l’Etat devraient faire valoir leurs droits à la pension, qui serait réglée d’après la législation existante.

Quant aux suppléments de traitements, c’est pour dédommager partiellement ceux des employés qui sont encore en fonctions de ce qu’ils souffrent par suite de la diminution de leurs traitements primitifs.

On dit qu’il y a beaucoup de personnes qui touchent des traitements d’attente et qui se promènent. Oui, il en est qu’on ne pourra pas employer, je le crains ; mais alors il faudrait les admettre à la retraite.

J’ajouterai qu’on a accordé des gratifications annuelles à des veuves d’employés qui n’avaient pas droit à la retraite, mais qui avaient des droits sur la caisse de retraite.

Messieurs, le traité des 24 articles que vous avez accepté, quoique avec répugnance, vous oblige, selon moi, à remplir les obligations de l’Etat vis-à-vis de ces anciens employés. Mais je désire que M. le ministre des finances saisisse la première occasion d’utiliser leurs talents.

M. Dumortier, rapporteur. - Comme l’honorable M. d’Hoffschmidt, je suis l’ennemi des traitements conférés pour ne rien faire. L’Etat n’est tenu de payer que les services rendus ; il ne doit rien à ceux qui ne lui rendent aucun service, Si donc on proposait la suppression des traitements d’attente, je la voterais de tout mon coeur. Mais c’est parce que l’assemblée a déjà montré qu’elle n’était pas de cet avis que nous avons accordé un subside de 50,000 fr.

L’honorable M. de Brouckere a dit que la plupart des titulaires avaient droit à des pensions. Eh bien ! qu’ils les demandent, on les leur liquidera, et de cette manière tout sera régulier. Mais je doute fort qu’ils le fassent, car les traitements d'attente sont supérieurs aux traitements d’activité. Mais nous, législateurs, nous aurions le plus grand intérêt à ce qu’ils le demandassent.

Quant à la rétroactivité, l’observation que vous a présentée M. Legrelle est parfaitement exacte.

Lors de la délibération du budget de 1831, la commission a proposé d’accorder seulement un subside pour les plus nécessiteux. La chambre a adopté cette proposition, et dès lors elle a repoussé la totalité des traitements d'attente. M. de Brouckere reconnaît que la législature a droit de statuer pour le présent. Eh bien ! elle a statué précédemment pour 1831 et 1832, comme aujourd’hui elle va statuer pour 1833. Le principe de la non-rétroactivité n'est donc pas applicable ici.

Une question des plus intéressantes, messieurs, c’est celle de savoir quels étaient les droits des titulaires à des pensions ou à des traitements d’attente. A cet égard on a cité l’article 22 du traité du 15 novembre, qui porte que les pensions et traitements d’attente, d’activité et de réforme, seront acquittés à l’avenir, de part et d’autres à tous les titulaires tant civils que militaires qui y ont droit, conformément aux lois en vigueur avant le 1er novembre 1830.

Mais remarquez bien qu’il faut avoir des droits, et si nous démontrons que beaucoup de personnes jouissant de traitements d’attente n’y ont pas droit, nous aurons prouvé par cela même qu’elles ne sont point dans le cas du traité.

Or, la chose est très facile. Voyons d’abord l’arrêté du 14 septembre 1814. Il commence par établir tout ce qui a rapport aux pensions ; puis, comme sous le précédent gouvernement il y avait toujours dans les lois un petit article qui en détruisait l’effet, on trouve à l’article 17 : « Nous nous réservons des exceptions à ce qui est stipulé par le présent règlement dans les cas extraordinaires où des services éminents ou d’autres causes pourraient nous engager à donner des marques particulières de notre bienveillance. »

C’est sur cet article 17 que repose toute la kyrielle des traitements d’attente. Si maintenant nous rapprochons de cet article les considérants de l’arrêté, il ne nous restera aucun doute qu’ils ne devaient être conférés que pour rémunérer les services éminents rendus au pays.

Maintenant j’ouvre la liste des traitements d’attente, et j’y vois portées beaucoup de personnes qui n’ont exercé aucune fonction publique. Je ne citerai pas de noms propres, mais je dirai qu’il s’y trouve telle et telle personne avec des traitements de 1,200, 1,500, 2,000 et même 3,000 fl., qui n’ont jamais été fonctionnaires publics. Ce sont là des gratifications prodiguées à la servilité, à des ennemis de la Belgique. La révolution a coupé court à ces abus, et nous ne devons pas les faire reparaître.

Dans les trois listes que j’ai entre les mains, il en est une spécialement consacrée aux suppléments de traitements, et elle forme à elle seule plus de la moitié de l’intégralité de la somme. Or, les titulaires sont d’anciens receveurs généraux ou particuliers qui sont devenus administrateurs du trésor ou agents de la banque, et ils ont des suppléments de traitements depuis 1,000 jusqu’à 7,000 fr.

Nous avons vu là un double emploi, et cela était d’autant plus étrange à l'égard des administrateurs du trésor qu’on demandait encore une augmentation pour leurs frais de commis. Nous avons pensé que l’Etat ne devait pas payer ces frais de commis, et en conséquence nous en avons demandé la suppression au budget ; mais nous avons proposé une majoration sur le traitement des administrateurs du trésor pour suppléer à ces mêmes frais et aux anciens toelagen.

Pour ce qui est des receveurs particuliers qui sont devenus agents de la banque, ce n’est pas nous qui devons les payer. Nous savons que la banque n’encaisse pas pour rien.

Depuis la révolution elle a demandé que son denier de recette fût augmenté de 100 p. c. et cela lui a été accordé indépendamment des frais qui s’élèvent de 100 à 140,000 fr. Or, après avoir consenti à cette augmentation, il me semble que nous ne devons pas lui donner encore une indemnité pour solder les agents qu’elle emploie. Elle est très bien lotie (on rit), et elle peut faire elle-même les frais de ses agents.

J'ai encore une observation à vous soumettre, messieurs ; nous vous proposons de n’accorder qu’une allocation de 50,000 francs. Mais depuis 1831, où l’on a accordé 30,000 fl., la mortalité a apporté une diminution de 6,000 fl. dans les pensions, de sorte que nous allouons plus, relativement qu’on ne l'a fait en 1831. En second lieu nous proposons de ne payer aucun traitement d’attente au-delà de 3,000 francs, ce qui est déjà une fort jolie somme. Si vous adoptez ce système, on pourra payer tout le monde avec ces 50,000 francs. Pour mon compte, je le répète, je voudrais que le pays ne donnât rien à des gens qui ne lui rendent aucun service.

Quant à la loi du 5 juin citée par M. Jadot, je viens de l’examiner avec attention ; elle régularise le paiement des pensions, mais elle ne confère de droit à personne. (L’orateur donne lecture de cette loi.)

M. Ernst. - Messieurs, je n’avais pas examiné la question ; j’ai assisté aux débats comme juge, et après avoir entendu les raisons qui ont été données de part et d’autre, j’ai cru devoir appuyer l'amendement présenté par M. de Brouckere.

Toute la question, selon moi, est de savoir s’il y a des droits acquis, si ces droits n'ont pas été enlevés par des lois postérieures ? Qu’il y ait des droits acquis, ce fait n’est pas douteux, d’après l'arrêté-loi du 14 septembre 1814 (article 17), le roi Guillaume a légalement constitué des traitements d'attente.

La loi de 1824, qu’on a déjà citée, n’a pas introduit des traitements d'attente qui existaient déjà ; mais elle en suppose, elle en confirme l'existence et prescrit un nouveau mode de paiement.

La question n’est pas de savoir si le gouvernement hollandais a commis des abus ; le roi Guillaume avait à cette époque l’omnipotence législative ; il a pu s’en servir ; il en a réellement usé. Les droits acquis doivent être respectés ; tout ce qu’on peut et qu’on doit faire, c’est de prévenir les abus pour l’avenir.

Les traitements dont il s’agit sont-ils tombés de plein droit devant la révolution ? C’est là une proposition que personne jusqu’ici n’a songé à mettre en avant.

M. Legrelle a puisé un argument contre l’opinion que je soutiens dans l'article 139 de la constitution, qui prescrit la révision des pensions. Mais, messieurs, ce raisonnement n’a aucune valeur ; il pourrait même être rétorqué contre l’orateur qui l’a employé ; car cet article suppose que les traitements d’attente subsistent jusqu'à ce qu’ils aient été révisés.

Mais, nous dit-on, la chambre, à partir du mois de novembre 1831, a décidé indirectement que les traitements d’attente ne devaient plus être payés, puisqu’elle n’a alloué qu’une somme de 35,000 fl. au lieu de 65,000 qui lui étaient demandés.

Messieurs, la législature ne fait pas de lois indirectement. Or, je vous le demande, où la chambre a-t-elle posé un principe, une règle contraire à l’arrêté de 1814 ? En allouant une somme pour payer une partie de la dette, elle en a par là même reconnu l’existence. Qui nous autorise à supposer qu’elle ne voulait pas acquitter le reste ? Les chambres n'ont rien préjugé contre le droit des pensionnaires ; elles n’ont pas décidé qu’elles ne rempliraient jamais une obligation fondée en justice : cette justice, on la réclame aujourd’hui et nous devons l’accorder.

On vous a dit que, parmi ceux qui jouissent de traitements d’attente, il y a des hommes sans aucune capacité, des gens valides qui se prononcent, et n'ont rien à faire ; on vous a même parlé d’orangistes. Ce ne serait pas un moyen de rallier les orangistes à l’ordre de choses actuel, que de nous montrer injustes envers eux. Ils ont des droits acquis ; vous ne pouvez, sans donner un effet rétroactif à votre décision, statuer que l’arriéré de leurs pensions ne sera pas payé. Posez une règle juste et sage pour l’avenir ; mais il ne vous appartient pas de revenir sur le passé. Si on a accordé des traitements d’attente à des gens qui n’en méritaient pas, on a mal fait ; mais, encore une fois, le droit n’est pas moins accordé.

Je n’aime pas plus que mes honorables collègues les prodigalités et les dilapidations des gouvernements. Un gouvernement à mes yeux, se déshonore lorsqu’il puise dans la caisse des malheureux pour donner des pensions à des gens qui n’ont aucun titre, qui n’ont qu'à se promener ; mais la question n’est pas de savoir s'il faut accorder des pensions semblables, s’il ne faut pas les réviser pour le futur, mais bien s'il faut satisfaire à des engagements antérieurs.

L’honorable M. de Theux n’a qu'un scrupule qui l’arrête : les traitements d'attente sont-ils des pensions ou simplement des traitements ? Sans doute, messieurs, ce ne sont pas des traitements d'activité ; mais ils participent de la nature des pensions en ce qu’ils sont la récompense d’anciens services, et qu’ils sont accordés dans l’attente de nouveaux.

Nous concilierons ce que réclament l’équité et l’intérêt du pays en payant l’arriéré des traitements d'attente, et en statuant qu’à l’avenir ces traitements cesseront, sauf le droit à une pension s’il y a des titres.

Je le répéterai en terminant, la raison qu'il se rencontre des orangistes parmi les pensionnaires ne signifie rien. Il est contraire à une bonne politique d'établir ainsi des catégories de citoyens. Soyons justes envers, tout le monde, respectons les droits de tous, et employons sans distinction d’opinions tous ceux qui sont en état de rendre des services à, la chose publique.

M. de Brouckere. - Lorsque j’ai présenté ma proposition, je m’attendais bien à ce qu’elle ne serait pas généralement bien accueillie ; mais comme elle m’a paru juste, cette considération ne m’a pas arrêté, et je suis encore prêt à la défendre.

Je n’ai jamais nié que l’article 17 de l’arrêté de 1814 n’existât plus aujourd'hui. M. Legrelle n’avait pas besoin de soutenir qu’il était abrogé. Non, l’article 17 n’existe plus, et je l’ai toujours reconnu ; si bien même que j’ai déclaré que si M. le ministre des finances accordait une pension en vertu de cet article, je l’accuserais d’avoir trahi son devoir. Je le déclare de nouveau, l’article 17 a cessé d’être applicable.

Mais en même temps je conviens que vous ne pouvez pas donner à cette déclaration un effet rétroactif ; je soutiens que vous devez reconnaître les pensions accordées en vertu de cet article, alors qu’il existait encore. On a parlé de la pension de M. l’ex-archevêque de Malines, mais je ne vois pas d’analogie entre cette pension et les traitements d’attente. Nous n’avons pas seulement examiné si la pension de M. de Pradt était due ; nous avons dit que quand même la dette existerait, il restait douteux si c’était à la Belgique à payer ; et nous avons dit : Ne payons pas. De plus, nous avons trouvé qu'il y aurait des inconvénients à porter une somme au budget, lorsque nous ne nous décidions pas à assumer la charge sur nous. Ici il s’agit d'une dette qui résulte, non de je ne sais quel contrat par lequel on vendait un archevêché, mais d’une créance qui dérive d’un article de loi faite en faveur d'un grand nombre d’individus.

On a dit encore, et plusieurs membres l’ont répété, que la chambre et le congrès, avant elle, en accordant 30 mille florins à titre de secours, avaient par là même décidé la question ; je vais prouver de la manière la plus évidente que l’on a avancé une erreur ; je n’aurai besoin que de citer un passage de la discussion qui a eu lieu sur cet objet au mois de mars 1832.

M. Tieken de Terhove demandait la suppression de toute allocation pour les traitements d’attente.M. d'Elhoungne appuyait cette proposition et disait : « Il faut remarquer que la chambre ne préjugera rien d’ailleurs sur la question qui sera résolue lors de la révision des pensions. » Voici comment j’ai répliqué à ces honorables membres :

« On a dit que nous ne préjugions rien en adoptant la suppression proposée par un de nos collègues, en attendant la révision. Je répondrai comme le faisait hier M. Gendebien : « Ce serait un moyen fort commode que de pouvoir payer ses dettes par l’ajournement. » Il n’en peut être ainsi, messieurs : si la dette existe légalement, payons-la ; refuser le paiement, ce serait consacrer une injustice. J’ignore qu'elle sera votre décision, mais il faut convenir que c’est une singulière manière de procéder que de dire au gouvernement qui vous demande une allocation pour remplir une dette sacrée : « Nous ne voulons pas nous décider, mais nous ajournons. » Cette discussion se terminait ainsi : « M. le ministre des finances : Il est bien entendu que c’est sans préjuger les droits des titulaires, qui seront examinés lors de la révision. (Oui ! oui !) »

Je me suis appuyé sur l’article 22 du traité des 24 articles, mais ce n’était que subsidiairement ; cet argument, du reste, me paraissait superflu ; je voulais seulement abonder dans le sens des personnes qui avaient précédemment invoqué cet article. Mais pour moi, et tout le monde connaît mes dispositions là-dessus, je fais des voeux pour que ce traité ne reçoive jamais d'exécution.

Je le déteste, et c’est toujours avec la plus amère répugnance que j’en consulte les dispositions.

On vous a parlé de jeunes hommes de 25 à 30 ans valides et se promenant, oisifs, à la faveur d’un traitement d’attente. Ces personnes ne demanderaient peut-être pas mieux que d’être placées ; mais c’est le ministre qui donne les places, et s’il ne les a pas jusqu’ici jugés dignes de remplir quelques fonctions, il n’est pas juste de les priver pour cela de leur moyen d’existence.

Un membre s’est déclaré l’ennemi des traitements accordés pour ne rien faire ; je n’en suis pas partisan plus que lui, je ne veux pas qu’on en accorde à l’avenir ; mais il faut payer tous ceux qui ont été donnés alors que l’article 17 avait force de loi.

Que ceux qui ont des droits à la pension les fassent valoir, vous a-t-on dit. Oui ; mais, a-t-on ajouté, ils ont intérêt à ne pas le faire, attendu que leur traitement s’élève plus haut que la pension qu’ils peuvent atteindre. Eh bien, que le gouvernement prévienne leur demande, qu’il liquide leur pension. Je suis d’accord là-dessus avec M. Dumortier : liquidez, liquidez les pensions, et ne payez à l’avenir que selon la liquidation ; mais respectez les droits acquis.

On a prétendu que nous vous proposions de faire double emploi à l’égard des administrateurs du trésor ; car la section centrale a déjà consenti à la majoration du traitement de ces fonctionnaires. Mais la crainte est mal fondée ; si vous accédiez à ma demande, vous feriez seulement au chapitre de la dette publique ce que M. Dumortier veut faire au budget des finances. Je vous ferai remarquer d’ailleurs que la section centrale n’accorde d’augmentation que pour l’avenir, et que par conséquent vous devez accorder justice pour le passé.

Puisqu’on a invoqué la loi de 1824, je dois le dire, cette loi ne confère aucun droit à des individus qui n’en avaient pas auparavant. Elle régularise, elle légalise pour ainsi dire des droits anciens ; elle prescrit un mode de paiement qui les assure. A l’occasion de cette loi, qui fut discutée dans la deuxième chambre des états généraux, aucune réclamation ne fut élevée : pourquoi ? Parce que le droit d’accorder des traitements d’attente avait été conféré par une loi, et les abus que le pouvoir en avait faits ne pouvaient détruire l’article 17 de l’arrêté de 1814 ; ces abus d’ailleurs ne sont pas une raison pour faire souffrir des hommes dont les droits sont incontestables.

M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Après tout ce qui vient d’être dit dans cette séance, et notamment par MM. de Brouckere, Ernst et Coghen, il me reste seulement quelques réflexions à vous présenter. Les raisons qu’ils ont exposées m'ont paru si concluantes que je crois inutile de rentrer dans le fond de la question ; je me contenterai de vous soumettre quelques observations générales.

On a semblé s’adresser particulièrement au ministre des finances lorsqu’on a dit qu’il fallait donner des places aux hommes qui jouissent de traitements d’attente et qui peuvent encore servir l’Etat. Il y a une seule réfutation à cet égard.

J'ai sous les yeux un travail complet sur les individus qui reçoivent des traitements d'attente, et, sur 35 personnes dont la liste se compose, 4 ou 5 seulement appartiennent au ministère des finances. Toutes les autres appartiennent au service des diverses branches de l’administration publique. Il est extrêmement probable, puisqu’elles n’ont pas été réemployées, qu’on ne leur a pas reconnu les conditions nécessaires. Telle est donc la position de ces personnes vis-à-vis le ministre des finances.

On nous dit : Accordez-leur des pensions. Mais il faut se rappeler que ces fonctionnaires ont cessé d’être employés en 1823 ; leur suppression a donné une économie, malgré le traitement d'attente qui leur a été accordé. Ceux qui n'avaient pas à faire valoir des services antérieurs à la création du royaume des Pays-Bas, n'avaient pas le nombre d'années voulu pour obtenir la pension ; avant de leur accorder des pensions, il faudrait qu'ils eussent les titres requis par les règlements qui régissent cette matière. Or, je le répète, le plus grand nombre n'est pas dans ce cas-là.

La demande de M. de Brouckere est à mes yeux la réparation d’une injustice, et c’est dans cette pensée que j’ai dit que je me ralliais avec plaisir à son amendement. J’y voyais un acte de justice, je le répète, et c’est uniquement dans ce sens qu’il faut expliquer mes paroles.

M. Brabant. - Messieurs, deux des honorables orateurs que vous venez d’entendre ont principalement soutenu le droit de ceux qui jouissaient, sous l’ancien gouvernement, de traitements d'attente. Tous deux pourtant ont reconnu que nous pourrions porter une loi qui enlèverait pour l'avenir le droit à ces pensionnaires. Je conclus de là que ce droit n’est considéré par ses défenseurs eux-mêmes que comme temporaire. Or, une dépense temporaire doit être votée chaque année, un droit temporaire doit être créé chaque année ; il n’existe réellement qu’après avoir été consacré dans la loi annuelle du budget.

Qu’avons-nous fait, messieurs, les années précédentes ? On est venu vous demander l’allocation nécessaire au paiement de tous les traitements d’attente ; et vous l’avez constamment refusée. Il vous a suffi d’accorder quelques fonds à titre du secours, parce qu'il se trouvait parmi ces fonctionnaires des hommes dont la position malheureuse méritait un adoucissement, et que d’ailleurs il est convenu d’accorder de ces aumônes publiques. De ce que la dette dont il s’agit n’est que temporaire ; de ce qu’une dette temporaire n’est reconnue que par le vote annuel du budget, je conclus que vous pouvez refuser les fonds qu’on vous demande sans aucune injustice. Aucun motif ne milite en faveur des personnes qui touchent des traitements d'attente.

On a bien essayé de faire valoir un motif politique : il faut, a-t-on dit, rallier les orangistes. Sans doute, il importe de rétablir l'union dans le pays ; sans doute, il serait essentiel de voir tous les Belges unanimes ; mais il est un point plus important, c’est de ne pas aliéner du gouvernement les hommes qui ont juré de le maintenir, et qui s’y trouvent. (Très bien ! très bien !) Rappelez-vous, messieurs, ce qui éloignait surtout les citoyens du gouvernement déchu ; ce sont les prodigalités scandaleuses dont nous étions les témoins. Eh bien ! devons-nous consacrer maintenant quelques-unes de ces prodigalités ?

Oui, messieurs, il suffisait de vous lire la liste des pensionnaires et de citer certains noms, pour faire le procès aux traitements d'attente.

Il n’est jamais permis de se faire un titre d’un abus. Or, vous savez les abus scandaleux que l’ancien gouvernement se permettait à l’aide du droit qu’il s’était attribué par la loi du 14 septembre. Ce n’est pas après une révolution qu’il convient de les maintenir (Marques d’approbations sur plusieurs bancs.)

M. Verdussen. - Je me félicite d’avoir cédé la parole à M. Brabant, car il vous a fait entendre ce que je me proposais de vous dire.

Il est certain que l’honorable M. de Brouckere, ainsi que M. Ernst, sont spécialement appuyés sur l'article 17 de l’arrêté-loi du 14 septembre. Les termes seuls de cet article doivent vous convaincre qu’il n’y a moyen d’accorder votre sanction à l’amendement de M. de Brouckere.

En effet, messieurs, vous l’avez lu, et vous avez dû voir qu'il était une exception à la loi elle-même. Il y est dit qu’il appartient au souverain de donner des marques particulières de bienveillance ; mais alors n’appartient-il pas aussi au pouvoir du jour de retirer ces marques de bienveillance ? Ce que le bon plaisir a fait, le bon plaisir aussi peut bien le défaire.

On a distingué avec assez de subtilité le mot de pension de celui de traitement. Les traitements d’attente ne sont envisagés que comme de simples traitements ; il est certain que le gouvernement peut les modifier à son gré, les augmenter, les diminuer comme bon lui semble ; mais s’ils sont envisagés comme des pensions, ils tombent alors dans la catégorie de l’article 139 ; et quand nous votons le budget, nous pouvons en voter la révision globale. La législature, ayant senti combien il était injuste de conserver ces traitements, s’est dit : Chaque année on retirera une partie des sommes précédemment allouées. M. de Brouckere s’est prévalu de ce que chaque année le ministre avait porté la même somme au budget pour ce chapitre ; mais je ferai observer que les traitements d’attente ayant été accordés par un arrêté-loi, il appartenait à la législature seule et non au ministre de les réduire.

M. Pirson. - Messieurs, je partage absolument l'opinion de MM. Legrelle, de Theux, Brabant et Verdussen, l’opinion enfin de la majorité et de la minorité. (On rit.) Je partage l’opinion de M. Coghen relativement à l’avis qu’il a donné au ministre pour l’engager à placer les individus qui touchent des traitements d’attente. Pour moi, j’ai à citer un fait : je ne sais s’il se rapporte à l’administration de M. Coghen, ou à celle de M. de Brouckere, ou à celle de M. Duvivier. Il s’agit d’une nomination singulière qui a eu lieu dans la province de Namur. L’administrateur du trésor vint à mourir : il se présenta bien des solliciteurs, comme vous pensez ; les demandes arrivaient de toutes parts dans le même temps. Il y avait à Namur un ex-directeur des contributions directes qui jouissait d’un traitement d’attente assez considérable. Je ne sais s’il sollicita la place du défunt, mais j’en doute ; car il était plus avantageux de toucher un bon traitement à ne rien faire. Cet homme jouissait d’ailleurs d’une fortune personnelle assez notable.

Le ministre devait savoir qu’il y avait à Namur un citoyen qui touchait un traitement pour ne rien faire, et certes l’occasion était belle pour le placer, Eh bien, que fit M. le ministre ? Il nomma le neveu de l’administrateur décédé. Or, il faut savoir que l’ancien administrateur du trésor a fait un testament par lequel il donnait tout son bien à l’un de ses neveux et rien à l’autre ; il se contentait de recommander ce dernier au ministre, et ce dernier fut nommé à la place qu’il avait laissée vacante (on rit) : on est venu faire valoir la clause du testament, et on a prétendu qu’il convenait d’indemniser le neveu déshérité. Voilà le fait. (Hilarité.)

Enfin, messieurs, vous connaissez mon opinion sur l’amendement ; je voterai cette fois avec la majorité et avec la minorité tout ensemble.

M. Ernst. - Il est toujours facile et agréable d’être juste quand on exerce la justice envers ses amis. Mais ce n’est pas ainsi que je comprends la justice ; je la regarde comme un devoir dans toutes les circonstances et envers tous. Il est facile de combattre une opinion et d’abonder dans un sens plus ou moins populaire en la dénaturant. J’ai dit tout à l’heure qu’il fallait être juste, même envers les orangistes, et que ce n’était pas un moyen de les rallier à notre cause que de leur refuser la justice qui leur est due comme à tous les citoyens. (Oui ! oui ! c’est cela !)

Je reviens à la question qui nous occupe. Des droits sont-ils acquis à ceux qui jouissent de traitements d’attente ? (Il est inutile que je déclare ne connaître aucune des personnes qui figurent sur la liste.) Des droits sont-ils acquis ? voilà toute la question.

C’est la seule que M. Brabant aurait dû traiter, parce qu’elle est seule digne de l’examen de la chambre. Pour prouver qu’il n’existait pas de droits, on n’a avancé qu’un seul raisonnement assez spécieux. Ce sont, nous a-t-on dit, des droits temporaires ; or, il dépend de la législature de statuer sur les droits de cette nature autrement que ne l’a fait une législature antérieure. Je comprends très bien que la législature change les règles des paiements, mais rappelez-vous que la législature n’a rien voulu préjuger sur les droits des individus qui jouissent de pensions d’attente ; ces droits existent donc.

« On ne peut jamais se faire un titre d’un abus. » Oui, mais le droit d’accorder des pensions n’a-t-il pas été régulièrement conféré au roi Guillaume ? C’est un acte de bon plaisir, c’est possible ; mais le roi Guillaume en jouissait alors : on avait remis sur sa tête tous les pouvoirs.

Nous tournons toujours dans le même cercle ; il faut toujours en revenir à ce fait qu’il y a des droits acquis. Maintenant ces droits ont-ils été détruits par une décision postérieure ? Non, messieurs.

M. Brabant a prétendu que la législature avait déjà décidé qu’une partie des traitements d’attente n’était pas due. C’est là une erreur. Lorsqu’un droit est antérieur comme il l’était ici, la législature pouvait ne payer qu’une partie de la dette, sans porter atteinte au titre.

M. Brabant. - M. Ernst a semblé croire que j’avais eu l’intention d’attaquer son opinion. Je sais trop bien ce que je dois à l’honorable membre pour me permettre jamais une pareille accusation.

M. Ernst. - Si le préopinant avait voulu attaquer mon opinion, je ne me serais pas levé pour lui répondre. Mais la chambre a dû voir qu’il ne s’agissait pas de moi, et j’ai parlé seulement pour réfuter les erreurs de l’honorable membre.

J’avais dit que ce n’était pas le moyen de rallier les orangistes que d’être injustes envers eux. Mais je n’ai pas supposé qu’on eût voulu m’imputer telle ou telle opinion sur ce sujet. Cela m’eût été bien indifférent du reste.

M. Liedts. - Toute la question est de savoir quelle est la nature des traitements d’attente ? Deux des honorables préopinants les ont confondus avec des pensions ; mais M. de Brouckere avoue lui-même que ces pensions peuvent être modifiées du jour au lendemain, et cette opinion est si vraie, que M. de Stassart a pu être privé de son traitement d’attente avant que personne songeât que ce fût une inégalité.

Maintenant, si le roi Guillaume a pu changer à son gré les traitements d’attente, ne pourrions-nous pas, nous, les augmenter ou les diminuer comme nous le jugerions convenable ? Si déjà nous avons accordé une somme globale pour tous ces traitements, ne pouvons-nous pas encore statuer sur tous ces traitements ensemble, et dire que nous n’accordons que cette somme pour y satisfaire ? C’est là un droit annuel, variable selon notre bon plaisir.

M. Meeus. - Je viens appuyer l’amendement de M. de Brouckere à une condition, c’est que le procès-verbal constatera qu’après cette année tous les traitements d’attente cesseront.

Il est de votre droit de révoquer, quand vous le voudrez, ces traitements ; mais jusqu’ici l’avez-vous fait ? Non en votant des sommes minimes, vous avez consacré le droit des pensionnaires. Il faut donc que vous soyez justes pour le passé, avares pour l’avenir.

M. de Brouckere. - Je ne m’oppose pas à la motion de M. Meeus.

M. de Theux. - Je ne pense pas que nous puissions adopter cet amendement : nous ne pouvons pas décider que plus aucun traitement d’attente ne sera payé ; nous ne sommes pas suffisamment instruits pour prendre une décision pareille ; mais nous en savons assez pour n’allouer qu’une provision.

Messieurs, déjà deux lois successives ont décidé la question qui nous occupe. Nous a-t-on démontré que les législatures précédentes étaient tombées dans l’erreur ? Evidemment non ; eh bien ! tant que l’erreur ne nous est pas démontrée, le pouvoir législatif doit rester conséquent avec lui-même. Car c’est jeter de la défaveur sur ses décisions que d’adopter telle solution aujourd’hui, et demain telle autre.

La législature a déjà décidé qu’une partie de l’allocation serait suspendue jusqu’à la révision des pensions : faisons cette révision ; nous verrons alors s’il convient de payer intégralement toutes les pensions. Jusque-là, il faut nous en tenir à une provision.

M. le président. - Je vais mettre aux voix d’abord le chiffre proposé par la section centrale, s’il n’y a pas d’opposition.

M. de Brouckere. - Il y a trois chiffres à mettre aux voix, celui de la section centrale, celui de M. le ministre des finances et le mien.

M. d’Hoffschmidt. - M. le ministre ne peut pas faire deux propositions à la fois. Puisqu’il s’est rallié au chiffre de M. de Brouckere, sa première proposition n’existe plus.

M. le ministre des finances (M. Duvivier). - Pour procéder régulièrement, il faut mettre aux voix mon chiffre, si celui de M. de Brouckere est rejeté ; c’est ainsi qu’on a procédé mille fois.

M. A. Rodenbach. - M. le ministre a dit formellement qu’il se ralliait à la proposition de M. de Brouckere ; il rétracte donc maintenant sa parole ministérielle ? Je trouve qu’il agit un peu en spéculateur dans cette circonstance. Il se réserve de tenter son chiffre plus tard, et veut ainsi avoir deux cordes à son arc. (On rit.)

M. Dubus. - M. le ministre n’a pas le droit de prendre comme un procureur des conclusions principales, puis des conclusions subsidiaires ; si le chiffre de M. de Brouckere est rejeté, c’est au chiffre de la section centrale qu’il faut en revenir.

M. de Brouckere. - Je ne tiens pas à une marche plutôt qu’à une autre, mais je crois que celle que j’ai indiquée est plus conforme à tous nos précédents. (Aux voix ! aux voix !)

M. le président met aux voix le chiffre de la section centrale (50,000 fr.). Il est adopté à une assez grande majorité.

Article 3

« Art. 3. Subvention à la caisse de retraite. »

M. le président. - Le gouvernement a demandé 380,000 fr., la section centrale propose de n’accorder que 200,000 fr.

M. Faider, commissaire du Roi. - Messieurs, la section centrale vous propose une réduction sur les subsides de la caisse des retraites des employés du département des finances ; elle vous demande de voter 200,000 fr. au lieu de 380,000. Le motif qu’elle fait valoir, c’est que l’année dernière la chambre n’a pas accordé davantage. Selon votre commission, c’est vous montrer encore assez généreux, puisque sous le gouvernement déchu le trésor public n’accordait pour le même chapitre qu’une somme annuelle de 30,000 florins.

Le vote du budget de 1832 à la somme de 200,000 fr. pour la caisse de retraite n’a pas tardé à vous être de nouveau déféré dans cette enceinte ; il a été soumis à une nouvelle discussion, et, par une loi, vous avez bientôt accordé un complément au subside primitif ; vous l’avez accordé sous forme de transfert, et par là vous avez reconnu que le chiffre de 200,000 fr. ne suffisait pas pour faire face aux besoins de cette partie du service ; vous le reconnaîtrez encore une fois, messieurs, j’en ai pour garant la sollicitude de la section centrale qui s’est occupée du budget, et qui a témoigné la plus grande faveur pour tous les employés et les fonctionnaires que l’âge et les infirmités forcent à abandonner un service auquel ils ont consacré toute leur vie.

C’est ainsi que, dans le rapport de M. Dubus sur le ministère de l’intérieur, les sommes demandées à titre de pension de secours sont accordées à 2,000 fr. près, et cela pour que le paiement des pensions accordées et liquidées ne souffre aucun retard dans l’intervalle prescrit pour l’inscription au registre des pensions civiles. M. Dubus s’est appuyé sur l’arrêté du 14 septembre 1814, et lui a reconnu le caractère de loi.

L’honorable rapporteur du budget du ministère des finances, M. Dumortier, s’est appuyé sur l’arrêté de 1814 et sur celui du 15 novembre 1815. Il leur a reconnu force de loi, parce qu’à ces deux époques, a-t-il dit à la page 4 de son rapport, le gouvernement réunissait tous les pouvoirs ; et dès lors tous les dispositions prises par lui, et qui n’ont pas été rapportées, doivent être considérées comme lois.

Dans son rapport sur le budget du ministère de la justice, l’honorable M. Fleussu parle dans le même sens que M. Dubus, et veut qu’on évite tout retard dans le paiement des pensions dont il s’agit. Nulle part la légalité de la liquidation n’est contestée, partout elle est reconnue au contraire.

Certes, on doit être touché de cette unanimité du gouvernement et des chambres pour assurer aux employés, aux fonctionnaires, aux magistrats que l’âge oblige à mettre à la retraite, la jouissance des pensions que l’arrêté-loi du 14 septembre 1814 leur assure.

Comment se fait-il qu’après des témoignages si éclatants de bienveillance en faveur de la classe si digne de recommandation et d’estime des fonctionnaires, comment se fait-il, dis-je, que les employés du ministère des finances ne participent pas aux mêmes avantages que les employés des autres départements ?

Vous accordez 401,262 fr. pour faire face aux pensions civiles, et dans le nombre de ces pensions civiles ne se trouvent pas un grand nombre de rétributions pour lesquelles on demande des fonds spéciaux. Le nombre des employés des départements compris dans le chapitre que je viens d’énoncer, s’élève à 2,563 ; sur ce nombre il y a 617 pensionnés, la moyenne des pensions est donc au-delà de 600 fr.

Maintenant le chiffre des employés du département des finances présente-t-il un nombre inférieur à celui des employés de tous les départements civils ? Non, messieurs, ce chiffre est supérieur et de beaucoup. Je le trouve indiqué à 6,841, trois fois plus grand que le nombre des employés de tous les autres départements réunis ! Croyez-vous que le nombre des pensionnaires soit en proportion avec ce chiffre ? Vous vous tromperiez, messieurs ; le nombre des pensionnés de la caisse de retraite du ministère des finances s’élève à 1,231, et dans ce chiffre il y a des veuves et des orphelins d’employés compris ; et quelle est maintenant la moyenne de ces pensions ? de 500 et quelques francs, Eh bien, si la proportion était gardée, le département des finances devrait présenter à lui seul plus de 1,700 pensionnés.

Ceci répond à ce que j’ai entendu dire que les employés du département des finances touchaient des pensions trop élevées ; que le nombre de ces pensions était trop grand. Les chiffres vous prouvent, messieurs, combien sont minimes les rétributions de ces employés.

Je sais bien que l’on porte à ces hommes peu d’intérêt ; qu’on a même contre eux un peu d’animadversion. On a souvent fait planer sur eux des allégations qui ne sont faites ni pour les honorer ni pour les encourager. Pour les honorer, parce que vous savez très bien que leur service offre très peu d’occasions de gloire et même de récompense. Pour les encourager, vous savez bien que tous les ans leur sort est remis en question ; que tous les ans on leur conteste leurs chétifs émoluments. Je dis chétifs, et n’ai-je pas raison ? Ces employés ne sont-ils pas obligés à des frais de déplacement ? ne sont-ils pas forcés parfois d’aller vivre hors de chez eux, obligation à laquelle les autres ne sont pas tenus, et qui augmente leurs dépenses ? Il est nécessaire, messieurs, que ces faits soient bien connus pour que chacun leur rende enfin, ici et au-dehors, l’estime et la considération à laquelle ils ont droit de prétendre.

- Ici l’honorable commissaire du Roi commence à expliquer quelle est la raison qui permet de ne demander que 380,000 fr. pour faire face aux dépenses de la caisse de retraite, et parle de la cotisation, sacrifice que chaque employé s’impose pendant sa vie pour laisser une pension à sa veuve et à ses orphelins ; mais M. d’Hoffschmidt fait observer que la chambre n’est plus en nombre, et la séance est renvoyée à demain à midi.