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Chambre des représentants de Belgique
Séance du mardi 28 avril 1846
Sommaire
1) Pièces adressées à la
chambre
2) Débat relatif à la formation du nouveau cabinet
ministériel. A. Rejet par le roi du programme libéral en raison essentiellement
de l’atteinte à la prérogative royale de dissoudre les chambres ; B :
droit de limoger les fonctionnaires et indépendance des
députés-fonctionnaires ; C : organisation de l’enseignement moyen et
ingérence cléricale dans celui-ci ; D : abandon de la politique unioniste,
formation d’un gouvernement homogène catholique et antagonisme politique
libéraux-catholiques ; E : réforme électorale ; F :
interventions présumées de membres de l’opinion catholique (« pouvoir
occulte ») dans l’avancement et la libération d’un comptable de l’Etat
condamné pour détournement de fonds (D, E, A (de Muelenaere), C, D, A, D (d’Elhoungne),
fait personnel (de Mérode), D (Malou),
C, convention de Tournay, enseignement universitaire (Orts),
C, convention de Tournay, enseignement
universitaire, D (de Theux), enseignement universitaire
(Orts), fait personnel, D, F, E, D (Castiau),
D, fait personnel (d’Huart), fait personnel (Dubus (aîné)), peines disciplinaires infligées à des
officiers du génie (Prisse)
(Annales
parlementaires de Belgique, session 1845-1846)
(Présidence de M.
Liedts.)
(page
1155) M.
Huveners procède à l'appel à midi et un quart. La séance est ouverte.
M. A. Dubus donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
La rédaction en est adoptée.
M. Huveners communique l'analyse des pétitions adressées à la
chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Le conseil communal de Comines présente
des observations en faveur du projet de loi relatif à la construction d'un canal
de dérivation des eaux de la Lys, et demande qu'il soit pris des mesures pour
faire ouvrir des écluses des fortifications de Menin dès que les eaux
débordent. »
« Mêmes observations du conseil communal de
Warneton et de plusieurs habitants de cette ville qui demandent en outre
l'agrandissement des écluses de décharge à Comines, Menin et Harlebeke. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du
projet de loi.
__________________
« Plusieurs habitants de Ninove prient la
chambre de sanctionner la convention de commerce conclue avec la France. »
- Renvoi à la section centrale chargée
d'examiner le projet de loi relatif à cette convention et insertion au
Moniteur.
__________________
« Les chefs de famille de l'Eglise protestante
de Pâturages réclament l'intervention de la chambre pour obtenir la création
d'une place de pasteur dans cette commune. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
DISCUSSION SUR LES EXPLICATIONS DONNEES EN CE
QUI CONCERNE LA FORMATION DU NOUVEAU CABINET MINISTERIEL
M. de Muelenaere, ministre d’Etat. - Après une discussion déjà si longue, me
serait-il permis de réclamer encore pendant quelques instants l'attention de la
chambre ? Je tâcherai de renfermer les observations que j'ai à vous présenter
dans le cercle le plus étroit.
Au mois de novembre dernier, dans la discussion
de l'adresse en réponse au discours du trône, j'exprimai l'opinion qu'un
ministère composé d'éléments pris dans les deux grandes fractions de la
chambre, me semblait la combinaison qui répondait le mieux aux exigences de la
situation. Ma conviction est demeurée la même. Je pense qu'il est désirable que
toutes les opinions sérieuses du pays aient des organes dans le parlement.
J'aime mieux que ces opinions se manifestent au grand jour, qu'elles descendent
de cette tribune, de manière à pouvoir être librement discutées et combattues,
que de les voir se produire ailleurs et sous une autre forme.
Je pense également qu'en thèse générale, il est
désirable que les grandes opinions qui divisent la chambre soient représentées
dans le cabinet. Lors de la dernière crise, je formai le vœu que l'opinion
libérale (pour me servir de l'expression reçue) eût sa place et une assez large
place sur les bancs ministériels. Je voyais là une garantie d'ordre, de
stabilité et de conciliation. J'avais l'espoir que par là, nos débats moins
personnels, moins irritants, deviendraient plus féconds en résultats utiles au
pays. C'était, à mes yeux, un avantage inappréciable. Mais à qui la faute si cette
combinaison n'a pas réussi ? Les membres du cabinet ont-ils repoussé, répudié
cette combinaison ? Est-ce par l'effet de la passion, de l'antipathie de
leur part qu'elle ne s'est pas réalisée ? Je pense que personne, parmi nos
adversaires, n'oserait l'affirmer. Si cette combinaison a échoué, c'est à des
préoccupations que je respecte, mais que je déplore, qu'il faut en attribuer la
cause. Le cabinet actuel ne peut et ne doit pas accepter la responsabilité de
l'insuccès des démarches qui ont été faites.
Je regrette pour ma part d'autant plus vivement
que ce résultat n'ait pas été obtenu, que je suis convaincu que les
circonstances, plus fortes que la volonté de l'homme, nous ramèneront à une
combinaison analogue.
On vous a dit « que les ministères mixtes sont
l'état exceptionnel du pouvoir ». Je ne saurais partager cette opinion. En
temps ordinaire quelles sont les questions à l'ordre du jour ? Des questions
d'administration et de politique intérieure, des questions de finances, des
questions d'industrie et de commerce. Ces questions, dans les temps calmes,
impressionnent vivement le public ; elles se rattachent, tant dans l'ordre
moral que dans l'ordre matériel, à des intérêts très susceptibles, très
divergents, et qu'il est extrêmement difficile de concilier.
Sur la plupart des questions de cette nature,
des concessions sont honorablement possibles.
L'expérience constante nous prouve d'ailleurs
que ce n'est qu'à l'aide de concessions mutuelles que ces questions peuvent se
résoudre.
Dès lors ne vaut-il pas mieux que de semblables
questions dont la solution n'est possible, je le répète, qu'à l'aide de
concessions réciproques, soient d'abord librement débattues et discutées dans
le sein du cabinet ? Ne vaut-il pas mieux que les concessions, si elles sont
reconnues indispensables, soient faites par les ministres eux-mêmes, plutôt que
de les voir sortir enfin (comme cela est arrivé fréquemment) de longue et
laborieuses discussions parlementaires ?
Lorsque, dans les premières années de notre
régénération politique, nous avons eu des ministères mixtes, ces ministères
étaient-ils justifiés uniquement par les circonstances extraordinaires où se
trouvait le pays ? Je ne le pense pas. Il me semble que l'on trouverait plutôt
dans cette position exceptionnelle un argument contre ces ministères.
En effet, de quoi se plaignait alors l'opinion
publique ? D'une seule et grande pensée, du besoin de se prémunir contre le
danger extérieur. Toutes les autres questions perdaient une grande partie de leur
importance en présence de celle-là. Dans de pareilles conjonctures, que
pouvait-on, que devait-on exiger des membres d'un cabinet ? De l'intelligence,
de l'activité et surtout des intentions patriotiques. On pourrait soutenir,
avec quelque raison, qu'à une pareille époque un ministère homogène offre des
avantages que ne présente pas au même degré une combinaison mixte. Pourquoi, en
effet, s'exposer dans le sein du cabinet, à des tiraillements sur des questions
qui ne captivent que faiblement l'attention publique, absorbée tout entière par
la nécessité de défendre et de consolider l'indépendance de la patrie ?
Hors de là, je persiste à penser qu'un ministère
réellement mixte, c'est-à-dire un cabinet composé des représentants réels des
grandes opinions qui divisent la chambre serait la combinaison qui répondrait
au vœu le plus réel de la nation.
C'est avec un sentiment douloureux que j'ai
aperçu dans cette discussion, la prétention de vouloir fractionner le pays et
attribuer aux grandes ville, le monopole de l'intelligence des intérêts
politiques.
J'aime à croire que ces paroles ont échappé un
peu légèrement à l'orateur qui le premier les a prononcées dans cette enceinte.
J'aime à croire que dans sa pensée elles n'avaient pas cette portée injurieuse
que le public pourrait leur assigner.
Cependant il est de notre devoir de protester
contre une semblable doctrine.
Le mandat de député n'est le patrimoine ni d'un
homme ni d'une famille.
C'est un dépôt sacré que le corps électoral a
confié à notre patriotisme, à nos talents, à notre courage.
(page
1150) Sans assumer envers nos commettants une immense responsabilité, vous
ne pouvez pas souffrir que ce mandai s'amoindrisse entre vos mains.
Tôt ou tard vous serez obligés de rendre compte
de ce dépôt et de le restituer tel que vous l'avez reçu, avec tous ses droits
et toutes ses prérogatives.
L'honorable M. de Theux vous a déjà démontré
combien cette doctrine nouvelle est peu en harmonie avec tout ce qui s'est
passé en Belgique depuis 1850.
Permettez-moi d'ajouter quelques observations.
En matière de gouvernement représentatif, la Belgique est encore bien jeune.
Elle a beaucoup à apprendre.
Elle fera sagement de ne pas trop se fier à
elle-même et d'aller quelquefois puiser ses inspirations chez les peuples qui
nous ont précédés dans la carrière constitutionnelle.
Or, je le demande, la doctrine pratiquée dans
ces pays, est-elle conforme à celle qu'on a professée dans cette enceinte ; et
les faits y justifient-ils cette doctrine ? En Angleterre, par exemple, les
hommes les plus éminents du parlement, les conseillers de la couronne, ont-ils
reçu leur mandat de la Capitale ou des autres grandes villes du royaume ? Le
plus célèbre homme d'Etat de l'époque, le ministre dirigeant, sir Robert Peel,
tient-il ce mandat du collège électoral de Londres, de Manchester ou de
Liverpool ? Sir Robert Peel est le député de la ville de Tamworth. Son
collègue, le ministre de l'intérieur sir James Graham, est élu par le bourg de
Pembroke.
Lord Stanley, l'un des hommes les plus éminents
du parlement anglais, qui a siégé plusieurs fois dans les conseils de la
Couronne, est envoyé au parlement par un petit bourg du Lancashire. Lord
Palmerston qui vous est plus particulièrement connu, lord Palmerston qui sous
l'administration de lord Grey et celle de lord Melbourne a été ministre des
affaires étrangères, doit son mandat aux électeurs de la petite ville de
Twentown. Je n'en finirais pas si je voulais parcourir toute la liste des
hommes éminents du parlement anglais qui ont siégé dans les conseils du Roi, et
qui sont redevables de leur mandat soit à d'anciens bourgs pourris, soit à des
localités presque inconnues.
Après cela, ne serait-on pas tenté de croire,
comme l'affirment quelques hommes qui ont fait une étude particulière des
institutions et des usages de l'Angleterre, que les hommes politiques qui
paraissent destinés à gérer les affaires de ce noble pays, recherchent peu
avidement la candidature dans les grands foyers d'activité commerciale et
industrielle ? Ne serait-on pas tenté de croire que ces hommes d'Etat redoutent
que ces grands centres d'industrie et de commerce ne pèsent d'un poids trop
fort dans la balance et ne gênent tôt ou tard la liberté de leurs mouvements ?
Que voyons-nous dans un autre pays dont les
institutions, les mœurs, les usages ont plus d'analogie avec les nôtres, que
voyons-nous là ? Est-ce aux députés de la capitale que la sagesse du monarque a
confié la direction des affaires de la France ? Vous savez que le cabinet
actuel compte déjà six années d'existence ; c'est un des plus longs qu'il y ait
eu depuis 1815. Eh bien, dans ce cabinet, vous ne comptez pas un seul député,
soit de Paris, de Bordeaux, de Lyon, de Marseille, de Toulouse, de Lille, ni
pour ainsi dire d'aucune grande ville de ce royaume. Les députés de Paris ne
sont-ils pas presque tous, au contraire, dans l'opposition et quelques-uns même
dans une opposition assez avancée ?
Je n'ai pas besoin de vous dire que M. Guizot,
le chef du parti conservateur, le ministre dirigeant, l'homme qui depuis 1830 a
pris une part si active et si glorieuse aux affaires de son pays, est le député
du modeste arrondissement de Lisieux. M. Thiers, le chef de l'opposition,
l'ancien président du conseil, dont on a fait, il y a quelque temps, un si
juste éloge, M. Thiers, est-il l'élu de Paris, de Lyon ou de Bordeaux ? Non,
messieurs, il est nommé par la petite ville d'Aix.
Une des illustrations du barreau français, M.
Dupin, plusieurs fois président de la chambre des députés, et l'une des
sommités du parlement, M. Dupin est envoyé à la chambre par une localité
tellement insignifiante que nous n'en saurions pas le nom, si elle n'avait pas
eu la gloire de nommer M. Dupin ; c'est Clamcey, très petite ville du
département de la Nièvre.
L'illustre Royer Collard, l'homme qui avait
mérité, si j'ai bonne mémoire, sept élections simultanées, a opté constamment
pour la petite ville de Vitry-sur-Marne.
Vous voyez que la doctrine que l'on a voulu en
quelque sorte inaugurer dans cette enceinte n'est conforme ni à la doctrine
existante dans d'autres pays ni aux faits ; et que partout les faits viennent
lui donner le plus éclatant démenti.
D'ailleurs je me permettrai de faire observer
que cette doctrine est contraire à notre pacte fondamental. Quelle que soit
notre origine, quelle que soit la localité qui nous a conféré le mandat en
vertu duquel nous siégeons dans cette enceinte, nous sommes tous, sans
distinction aucune, les représentants du pays. Nous sommes les représentants de
la Belgique au même titre, nous avons tous les mêmes droits, les mêmes devoirs,
les mêmes prérogatives.
M. de Chimay. -Je demande la parole.
M. de Muelenaere - Je ne reviendrai pas sur les diverses parties du programme
qui a été si longuement discuté devant vous. Je demanderai seulement la
permission de vous présenter quelques considérations sur le point qui m'a paru
culminant dans ce débat, je veux parler de la dissolution.
La dissolution des chambres, messieurs, est une
de vos grandes mesures constitutionnelles. Ce n'est pas sans de graves raisons
que le législateur de 1830, que le congrès constituant a déposé ce principe
dans notre code politique. Il en a mûrement scruté tous les avantages et tous
les inconvénients ; il a dû se livrer à cet examen avec d'autant plus de soin,
que le principe de la dissolution était nouveau dans nos mœurs, qu'il était
inconnu dans nos anciens usages, et que même il avait été proscrit par le pacte
fondamental de 1815. Je serais désolé, messieurs, que nos débats pussent avoir
pour résultat de porter la moindre atteinte à cette grande faculté. Cette
prérogative doit demeurer intacte ; elle doit demeurer entière hors de toute
atteinte et telle que la Constitution l'a créée.
Un honorable membre vous a dit, avec une haute
raison, que la dissolution n'est pas une de ces questions qu'on puisse examiner
en théorie, et qu'en général toutes les questions d'autorité ne doivent pas se
discuter au point de vue théorique, mais que c'est par l'appréciation des faits
qu'il faut les résoudre. Voilà des prémisses nettement posées et qui me
paraissent incontestables. Mais sommes-nous bien d'accord sur les conséquences
logiques qui découlent de ces prémisses ?
Quel est, messieurs, le but de la dissolution ?
En thèse générale, le but d'une dissolution, c'est d'appeler le pays à se
prononcer sur un conflit existant entre le ministère et le parlement. Dans ce
conflit, le ministère est nécessairement partie ; il est la partie principale.
Je veux bien admettre que dans l'avenir les ministres seront doués de toute la
sagesse, de toute la modération, de toute l'impartialité dont l'homme est
capable ; cependant, l'acceptation d'un portefeuille ne les dépouillera pas
complètement de toutes les faiblesses inhérentes à l'humanité.
Par la nature même de leurs fonctions, les
ministres sont mêlés à tous les débats parlementaires ; ils y prennent une part
très active. Or, je le demande de bonne foi, quel est l’homme, quel est le sage
dont une opposition trop vive, une opposition trop irritante, trop personnelle
surtout, n'exalte et n'irrite pas le caractère ? Quel est le sage dont une
pareille opposition, qu'il croit toujours injuste, ne fausse pas quelquefois le
jugement ?
La dissolution néanmoins ne peut jamais être un
acte de légèreté ni un acte d'irritation ou de colère. A ce titre elle serait
injustifiable devant le pays.
Mais, dira-t-on, dans ce cas le pays se
prononcera contre le ministère. Ce n'est pas là, messieurs, qu'est le mal ; le
mal est plus haut. Une dissolution qui ne serait pas suffisamment justifiée,
compromettrait gravement nos institutions et leur ferait perdre dans l'opinion
le respect auquel elles ont droit.
C'est en raison de ces considérations que le
législateur a placé la dissolution au nombre des hautes prérogatives de la
Couronne, et nous devons avoir un soin extrême que rien dans nos discussions ne
porte atteinte à ces prérogatives.
Evidemment, messieurs, le Roi s'entourera de
lumières, le cas échéant ; le Roi entendra les ministres, ses conseillers
légaux et constitutionnels. Mais en dernière analyse cependant, c'est au Roi
seul qu'il doit appartenir de prononcer entre le parlement et son ministère.
Cet acte, dans toutes les hypothèses, doit être un acte entièrement libre de la
sagesse royale. Aucune entrave, de quelque manière qu'elle soit, ne peut gêner
l'exercice de cette prérogative. Cet acte, comme on vous l'a dit, messieurs, ne
peut être fondé que sur l'appréciation froide et impartiale des faits. Mais
cette appréciation ne suppose-t-elle pas que celui qui doit la faire est libre,
entièrement libre de tout engagement préexistant, et qu'il ne se trouve sous
l'empire d'aucune contrainte morale.
Je me résume sur la question de dissolution en
ces termes : La dissolution est une mesure légale, régulière,
constitutionnelle.
L'opportunité de cette mesure dépend de
l'appréciation des faits qui la rendent utile ou nécessaire.
Dans
toutes les hypothèses l'usage de cette faculté doit être un acte libre de la
sagesse royale. Le Roi ne peut être lié par aucun engagement préexistant, de
quelque nature qu'il soit.
Jusqu'au dernier moment le roi doit demeurer
libre de donner tort au parlement et de le renvoyer au jugement du pays ou de
donner tort à ses ministres et de les remplacer par d'autres. Tels sont, à mon
avis, messieurs, les véritables principes. Voilà ce que veulent, le texte et
l'esprit de nos institutions ; voilà ce que veut l'intérêt général.
M. d’Elhoungne. - Messieurs, je pense que la longue discussion à laquelle
la chambre s'est livrée depuis plusieurs jours, ne lui a pas encore appris
d'une manière nette et catégorique quelle est la marche que le ministère se
propose de suivre. Cette discussion ne me paraît pas avoir davantage justifié
l'avènement du cabinet actuel aux affaires.
Le cabinet, messieurs, à part quelques vagues
déclarations de modération et d'impartialité, ne nous a pas appris quelle est
la politique qu'il entend suivre ; et en effet la question qui a dominé la
dernière crise ministérielle, la question qui a nécessairement dominé la
formation même du ministère actuel, celle question qui doit être la première et
la principale question de son programme, est précisément celle sur laquelle le
ministère ne s'explique pas, sur laquelle les explications si incomplètes que
les ministres nous ont données, se trouvent être contradictoires.
C'est en effet sur la question de l'enseignement
moyen que le cabinet de l'honorable M. Van de Weyer s'est brisé ; c'est sur
cette question que l'honorable M. Van de Weyer, comme représentant l'opinion
libérale dans le cabinet précédent, avait pris des engagements envers l'opinion
qui siège sur nos bancs. Vous vous rappelez tous, messieurs, que ce ministre
avait promis de présenter un projet de loi sur l'enseignement moyen avant la
discussion du budget de l'intérieur.
Or, si vous voulez vous reporter au programme
que M. le ministre de l'intérieur est venu lire au début de cette discussion,
vous verrez que le (page 1157) seul
acte qui ressort de ce programme, la seule proposition qu'il présente à la
chambre, est diamétralement contraire à l'engagement pris par l'honorable M.
Van de Weyer. Au lieu de venir nous déclarer d'une manière franche et précise
quelles sont les vues, quels sont les principes du ministère au sujet de
l'enseignement moyen, le cabinet use de réticence. Il ne nous fait confidence,
ni de ses projets, ni de ses principes, ni de ses intentions ; il nous déclare
seulement qu'il demandera à la section centrale de 1834 de déposer son rapport,
et il promet de faire résoudre la question, dans un esprit de patriotique
conciliation.
Lors du discours prononcé par mon honorable ami
M. Fleussu, M. le ministre des affaires étrangères a, sans hésiter, déclaré que
le cabinet ferait connaître ses intentions à la section centrale complétée au
vœu du programme ministériel.
Ainsi, messieurs, le premier et le principal
article de la politique du ministère nouveau sera révélé dans le sein, j'ai
presque dit dans le secret, d'une section centrale. Et ce ne sera pas dans le
sein d'une section centrale composée des diverses opinions qui siègent dans la
chambre, et nommée régulièrement d'après le règlement et l'usage, ce sera dans
le sein d'une section centrale tout à fait anormale, puisqu'elle ne comptera
dans ses rangs que des membres de la majorité. Ce sera donc une section
centrale toute disposée, on peut le craindre, à prendre l'initiative de mesures
devant lesquelles le gouvernement lui-même aurait reculé.
Que, s'il faut en croire les explications
données par M. le ministre de l'intérieur dans le discours qu'il a prononcé
samedi, ce ne serait plus dans le sein de la section centrale que les
confidences ministérielles seraient versées, on attendrait que la section
centrale ait déposé son rapport, et quand elle aurait pris l'initiative, quand
elle aurait lié toutes les opinions, au moins une partie considérable des
opinions de la chambre, le ministère viendrait faire connaître ses vues, ses
projets.
C'est là, l'honorable M. Fleussu l'a fait
remarquer par anticipation, c'est là faire un emprunt aux procédés trop
employés par ces cabinets mixtes qui paraissent maintenant condamnés à
toujours, au moins en pratique ; et nous pensons, mes honorables amis et moi,
que ce premier acte du ministère, cet acte qui seul jusqu'ici caractérise sa politique,
cet acte qui la rend parlementairement saisissable, nous ne pouvons l'admettre.
Je ferai par conséquent la proposition formelle
de renvoyer aux sections actuelles le projet de loi de 1834, et d'inviter le
cabinet à faire connaître les amendements qu'il nous a annoncés sur ce projet,
afin que les sections puissent les examiner en même temps.
Ainsi se trouve clairement établie
l'insuffisance des déclarations ministérielles sur les projets que le cabinet
vient réaliser, et en premier lieu sur la question dominante, celle qui a
déterminé la dernière crise, et la formation du ministère actuel. Sur cette
grave question, il garde un silence que notre opinion peut considérer ou comme
une menace ou comme une réticence inadmissible.
Il est également incontestable que le ministère
actuel n'a pas justifié son avènement au pouvoir. Avec quelque bonne volonté
qu'on l'apprécie, cette justification ne se révèle dans aucun des discours que
MM. les ministres et leurs amis politiques ont prononcés dans cette longue
discussion.
Si je ne me trompe, messieurs, le gouvernement
constitutionnel, c'est le gouvernement du pays par le pays. Au bout de toutes
les discussions, au bout de toutes les dissidences, de toutes les luttes
politiques, on trouve en définitive le sentiment du pays qui prononce
souverainement entre les partis.
Dès lors, messieurs, pour justifier l'exclusion
de l'opinion libérale, pour légitimer l'avènement du ministère, dans lequel
l'opinion contraire est représentée exclusivement, violemment (car l'honorable
M. d'Huart nous a démontré qu'elle était violemment représentée dans le
cabinet.....)
M. d’Huart, ministre d’Etat. - Il n'y a aucune violence dans mon discours.
M. d’Elhoungne. - Il y avait la violence de la forme, M. le
ministre... Mais si le mot violemment déplaît à l'honorable M. d'Huart, je
dirai énergiquement, ce qui lui sera agréable, sans doute, et exprime
parfaitement ma pensée.
Je dis, messieurs, que pour faire admettre que
l'opinion libérale n'avait pas le droit d'arriver au pouvoir, il faudrait
prouver que le sentiment du pays repousse l'opinion libérale, et qu'elle
appelle au pouvoir le ministère exclusif qui est aujourd'hui à la tête des
affaires. Or, je demande si cette démonstration a seulement été essayée ?
Depuis 1840, dans toutes les crises
ministérielles, l'opinion libérale s'est montrée toujours prête à provoquer, à
subir le jugement du pays ; l'opinion contraire s'est toujours montrée effrayée
du jugement du pays, l'épreuve des élections. Elle a même proclamé sans détour
que si elle venait aux affaires, c'était pour empêcher l'appel au pays.
Messieurs, ce fait, d'une signification si
éclatante, et les succès, et les progrès de l'opinion libérale ne démontrent
pas seuls que le sentiment du pays est pour elle. Les aveux de MM. les
ministres lui rendent ce juste bommage. N'avez-vous pas entendu l'honorable M.
Dechamps déclarer, qu'à part le programme de M. Rogier, le ministère formé par
cet honorable membre, aurait eu pour lui non seulement l'opinion, mais une
majorité considérable dans les deux chambres ? Ainsi l'honorable M. Dechamps a
dû convenir avec nous que le sentiment du pays se prononce pour nous ; que le
pays veut avec nous l'indépendance du pouvoir civil ; que le pays veut avec
nous un autre esprit que celui qui a présidé jusqu'à présent à l'administration
; que le pays ne veut, pas plus que nous, que l'enseignement, ce grand intérêt
de l'avenir, soit aux mains et à la discrétion d'une seule opinion.
Plusieurs membres. - Nous sommes d'accord sur ce point.
M. d’Elhoungne. - Oui, nous sommes d'accord sur les mots ; mais nous
y attachons une signification différente.
M. Rodenbach. - Nous voulons les choses et pas les mots.
M. d’Elhoungne. - Je sais bien que la tactique ordinaire de nos
honorables adversaires consiste à se déclarer d'accord avec l'opinion libérale,
à accepter toutes nos déclarations de principes. Mais je sais aussi que les
actes posés par nos adversaires ne répondent guère à ces déclarations, ne
respectent guère ces principes, et ne sauraient répondre aux vœux de l'opinion
libérale.
S'il faut en croire les paroles de M. le
ministre des affaires étrangères que j'ai citées tout à l'heure, l'opinion
libérale aurait eu une majorité considérable dans les deux chambres, si ce
n'avait été le programme de l'honorable M. Rogier.
Mais qu'est-ce donc que ce programme de M.
Rogier ? Si c'est, comme vous le prétendez, une faute au point de vue de la
Constitution, c'est la faute de quelques hommes. Or, la faute de quelques
hommes n'empêche-pas que l'état et la force de l'opinion reste la même, par
conséquent il ne faut pas, parce que quelques hommes du parti auraient commis
une faute, exclure du gouvernement l'opinion libérale tout entière et appeler
l'opinion contraire ; il faudrait plutôt renvoyer les hommes qui ont commis la
faute devant leurs commettants, afin que ceux-ci choisissent des mandataires
plus intelligents, plus capables ; il faudrait encore une fois en appeler au
sentiment du pays. N'est-il pas sensible que c'est là ce que la raison et la
logique auraient conseillé de faire si, comme je l'ai dit précédemment, le
programme de M. Rogier était autre chose qu'un prétexte ? Qui ne voit
qu'en excluant l'opinion libérale en même temps et au même titre que ceux de
ses représentants que vous accusez de professer une théorie peu
constitutionnelle, vous ralliez l'opinion libérale tout entière autour de ces
hommes, vous faites de leur théorie un drapeau, et vous provoquez précisément,
dans un avenir prochain, le résultat que vous dites vouloir éviter.
Messieurs, veuillez-vous rappeler un instant
encore les différents motifs qui ont été successivement allégués dans cette
discussion pour légitimer l'avènement du ministère qui siège devant vous, et
demandez-vous si ces raisons présentent quelque chose de sérieux pour l'homme
qui voit la situation du pays, qui suit le mouvement des esprits, qui pèse les
hommes, et qui apprécie la nature et la portée des événements qui viennent se
succéder ?
N'avez-vous pas entendu M. le ministre de
l'intérieur reprocher à l'opinion libérale de chercher à détacher une partie du
peuple du culte de ses pères ; de s'efforcer d'éloigner nos populations du
respect légitimement dû aux ministres de la religion ? Mais, messieurs, depuis
quand la religion est-elle en cause dans nos discussions ? S'agit-il entre nous
d'autre chose que d'un débat politique ? Les convictions religieuses ont-elles été
attaquées ? Etait-il nécessaire que M. le ministre de l'intérieur vînt les
défendre ? Ah ! nous avons le droit de dire, nous qui voulons l'indépendance
réciproque du pouvoir civil et du pouvoir religieux, que nous comprenons mieux
que vous les intérêts vrais et durables de la religion. Consultez les
enseignements trop négligés de l'histoire contemporaine ; demandez aux hommes
de la restauration, ce qu'ils ont fait de la religion. Leurs fautes vous
apprendront comment, en mêlant la religion aux intérêts positifs, aux affaires,
on porte à la religion une atteinte longtemps irréparable. Elles vous
apprendront qui a compromis en France ce qui ne devait jamais l'être, ce qui
aurait dû rester toujours au-dessus des débats politiques.
La formation du ministère ne se relie donc à
aucun danger qui menacerait la religion. Se rapporte-t-elle davantage au
maintien des prérogatives de la Couronne, prérogatives compromises par la
dissolution que demandait M. Rogier ? Déjà cette question paraît épuisée. Je
dois cependant relever une opinion émise à ce sujet par M. le ministre des
finances.
D'après cet honorable membre du cabinet, M.
Rogier et ses amis voulaient gouverner à coups de dissolutions. Ils ne
demandaient pas une seule dissolution, un seul appel au pays, ils demandaient
une série de dissolutions successives.
C'est ainsi que M. le ministre des finances
interprète le programme du cabinet qui n'a point été agréé par le Roi ; et nous
le disons avec un sentiment pénible, messieurs, cette interprétation de M. le
ministre nous fait supposer que le programme a été l'objet de commentaires bien
injustes, bien immérités.
En effet, vous avez entendu l'honorable M.
Rogier protester contre le sens évidemment forcé que M. le ministre a prêté au
programme pour le dénaturer. Et je le dirai à mon tour, il va de soi que tous
les cas de dissolution énumérés dans le programme, n'avaient, en définitive,
qu'un seul but celui de consulter le pays sur la formation du ministère, de
l'appeler à se prononcer sur la politique nouvelle que le ministère venait
inaugurer. Mais quant à recourir à des dissolutions successives, quant à
gouverner à coups de dissolutions, système que l'honorable M. Rodenbach a
appelé le gouvernement du knout, personne dans l'opinion libérale n'y a songé.
Il fallait, pour inventer ce programme, l'imagination de M. le ministre.
Je sais, messieurs, (et l'honorable membre qui
vient de se rasseoir en est une preuve nouvelle) qu'il est des esprits
distingués d'ailleurs qui considèrent la dissolution comme un fait entièrement anormal,
comme un fait sur lequel il est impossible qu'il y ait un accord préalable et
anticipé entra la Couronne et ses ministres. L'honorable membre a fait à ce
sujet une excursion dans un pays voisin. Je me permettrai de l'y suivre, je
rappellerai au souvenir de la chambre ce qui s'est passé en 1830, lors de la
chute du ministère de lord Wellington. Dans cette crise lord Grey fut appelé
par (page 1158) le roi pour former
un cabinet. Lord Grey était le champion. le plus ancien de la réforme
parlementaire, à laquelle aucune majorité n'était acquise ni dans l'une ni dans
l'autre chambre.
Il fut donc obligé de demander comme condition
de son avènement la permission de faire de la réforme parlementaire une
question de cabinet. Eh bien, cette stipulation fut admise sans difficulté ; et
lorsque dans la chambre des communes le vote d'un amendement eut entraîné le
rejet du bill de réforme, lord Grey n'hésita pas à recourir à la dissolution
dont il avait obtenu la promesse du roi à son entrée aux affaires. Et il est si
vrai qu'il avait obtenu cette dissolution dès son entrée aux affaires, que dans
la discussion à la chambre des communes, chacun parlait de la dissolution comme
d'une chose certaine ; cela est si vrai que lord Grey, interpellé dans la
chambre des lords par le marquis de Londonderry sur le point de savoir s'il
dissoudrait la chambre des communes, lord Grey dis-je, répondit : qu'il ne
pouvait pas s'expliquer catégoriquement sur cette question, mais qu'il donnait
l'assurance à Sa Seigneurie qu'il ne reculerait devant aucun moyen
constitutionnel pour assurer le succès du bill. Quelques jours après le bill de
réforme ayant été repoussé à la chambre des communes, cette chambre fut
dissoute, et les élections modifièrent la majorité.
Lorsque le bill fut présenté à la chambre des
lords, il rencontra une nouvelle opposition. Lord Grey n'hésita pas à demander
au roi la faculté de changer la majorité de la chambre des lords. Le roi recula
d'abord devant cette demande ; il appela lord Wellington, qui voulut bien se dévouer
pour former un cabinet tory, qui, moyennant la possession du pouvoir, aurait
admis la réforme dans certaines limites.
Sir Robert Peel s'opposa à cette combinaison,
qui n'eut point lieu ; et lord Grey, rappelé au ministère, vint déclarer à la
chambre des lords que Sa Majesté l'avait investi des pouvoirs nécessaires à
l'adoption du bill.
Ces faits, on doit le reconnaître, établissent
assez qu'en Angleterre, on n'hésite pas à stipuler la dissolution par
anticipation. On n'y croit point que la dissolution soit un arrêt que le
souverain prononce entre la chambre et le ministère, mais une résolution par
laquelle le roi consulte le pays sur l'opinion qui doit prévaloir dans le
gouvernement. Lorsque la majorité est incertaine, lorsque la majorité n'est pas
assez dessinée, lorsqu'il peut y avoir des doutes sur l'accord qui règne entre
les représentants et les représentés, le roi, dans sa haute sagesse, fait un
appel au pays qui, au moyen des élections manifeste sa volonté. Ce n'est point
la une révolution légale, ce n'est pas un coup d'Etat, c'est l'exercice tout à
fait ordinaire d'une prérogative presque toujours utile, souvent indispensable.
Mais le cabinet ne se borne point à contester en
principe la demande d'une dissolution éventuelle. Il a saisi le pouvoir, nous
a-t-on dit, dans le but et avec la pensée d'éviter l'agitation du pays, de
calmer l'effervescence des passions politiques, de conjurer l'irritation qu'une
dissolution entraîne toujours avec elle ! Je vous le demande, messieurs,
est-ce devant vous, est-ce en présence de l'état du pays que l'on peut dire que
le nom de M. de Theux, le nom de M. Malou, le nom de M. d'Huart auront
l'heureux privilège de calmer l'agitation politique, d'apaiser l'effervescence
des passions, de ramener en Belgique des élections où l'esprit de parti ne soit
point poussé à ses dernières conséquences ? Est-il loisible de heurter la
raison avec des prétextes mieux démentis par l'évidence ? Qui donc espère-t-on
égarer par les paroles ? Faut-il le dire ? Jamais dissolution faite sous un
ministère libéral n'aurait entraîné l'agitation que l'avènement d'un ministère
purement catholique excite dans le pays.
On a parlé plus d'une fois, messieurs,
d'intimidation. Le cabinet formé par l'honorable M. Rogier n'eût régné, dit-on,
que par la peur. Mais je rappellerai à M. le ministre de l'intérieur que les
cabinets mixtes auxquels il a succédé, les ministères mixtes auxquels il
accordait l'appui de son vote, sinon sa sympathie, ont constamment usé d'un
moyen d'intimidation. Et savez-vous quel était ce moyen ? C'était le nom de M.
de Theux, c'était la menace de son avènement ! Pour entraîner les votes de
quelques membres très modérés de notre opinion, pour les décider à se ranger
dans la majorité mixte, on leur disait : « Prenez-y garde ! le jour où vous
aurez renversé le ministère mixte, vous aurez un ministère de Theux, et voyez
où cela mènerait le pays ! »
M. de Mérode. - M. Dolez le demandait.
M. Rodenbach. - M. Devaux le demandait aussi.
M. d’Elhoungne. - Eh bien, messieurs, nous n'avons pas besoin, nous
non plus, de moyens d'intimidation ; nous n'avons pas besoin de nous poser en
agitateurs, le nom de M. de Theux nous suffit ; il sera pour nous la plus
puissante, la plus active des propagandes ; il nous assurera, à lui seul, le
triomphe plus complet, plus décisif dans les élections...
M. de Mérode. - Vous devez être bien content.
M. d’Elhoungne. - Je sais, messieurs, que le ministère actuel nous
promet d'être modéré, impartial. Je sais que M. le ministre de l'intérieur
prétend que l'ancienne majorité peut encore lui donner son appui. Je sais que
cet honorable ministre affirme qu'il gouvernera tout comme si le ministère
était mixte. Mais, à mon tour, je demanderai si ce n'est pas là la
justification du langage que l'opposition a tenu depuis plusieurs années.
Messieurs, que disions-nous ? Que tout ministère mixte était une déception
véritable ; qu'un ministère mixte était un ministère exclusivement catholique,
qui, au lieu de tenir la balance entre les deux opinions de la chambre,
subissait au contraire l'influence exclusive d'une seule opinion, et ne pouvait
se maintenir au pouvoir qu'en faisant les affaires de cette opinion.
Vous me permettrez, messieurs, de faire ici un
appel à ces honorables membres qui donnaient loyalement leur appui aux
ministères mixtes, parce que leur modération y voyait un moyen de conciliation.
Est-ce que le langage de M. le ministre de l'intérieur n'est pas parfaitement
clair pour ces honorables membres ? Ne leur démontre-t-il pas que la politique
que l'on va suivre désormais et que l'on a suivie jusqu'ici, est une politique
exclusive, une politique qui proscrit notre opinion... ?
M. de Mérode. - Ce sont les proscripteurs qui sont proscrits.
M. d’Elhoungne. - L'aveu est précieux à recueillir. Il achèvera de
convaincre les honorables membres dont j'ai parlé, que s'ils votaient avec le ministère actuel
ils voteraient la proscription de l'opinion à laquelle ils ont toujours
appartenu, et qu'ils croyaient servir encore lorsqu'ils donnaient leur
assentiment au système mixte. Que ces honorables membres veuillent bien
n'accepter qu'avec précaution les avances du ministère.
Messieurs, les membres du cabinet promettent que
le système mixte va être pratiqué dans toute sa portée. Si l'application du
système mixte est laissée à des membres qui n'appartiennent qu'à une seule
opinion, c'est parce que les hommes ont fait défaut au système. L'honorable
orateur qui a parlé avant moi a développé cette pensée avec son habileté
accoutumée.
La réponse est facile, messieurs. Nous avons
entendu dans cette discussion des hommes bien modérés sans doute ; nous avons
entendu tout d'abord l'honorable M. Dolez déclarer que si une autre combinaison
libérale eût été possible, ceux qui en eussent fait partie auraient aussi
demandé le droit de dissoudre les chambres sur une question de cabinet.
Ensuite, lorsqu'on a dit que les honorables MM. d'Hoffschmidt et
Dumon-Dumortier, en acceptant la mission de former un cabinet, avaient les
premiers accepté la responsabilité du rejet du programme de M. Rogier, on n'a
point été juste pour ces hommes si estimables ; on n'a point compris ou l'on
n'a pas voulu comprendre les explications que l'honorable M. dHoffschmidt
a données. Les honorables MM.
d’Hoffschmidt et Dumon-Dumortier, appelés en haut lieu pour recevoir la mission de former un ministère, n'ont pas
demandé la dissolution, cela est vrai ; mais jamais l'honorable M.
d'Hoffschmidt et l'honorable M. Dumon-Dumortier n'ont accepté la haute mission
qu'on leur offrait : ces honorables membres sont entrés en conférence avec des
hommes considérables de l'opinion modérée, qu'ils croyaient nécessaires à la
formation d'un cabinet modéré et ayant échoué, ils n'ont pas accepté la mission
qui leur était offerte. Ils n'ont donc pas eu à s'expliquer sur le programme
qu'ils auraient soumis à S. M. Ils ont moins encore blâmé le programme de M.
Rogier.
Ces faits répondent facilement aux
considérations que M. le comte de Muelenaere vient de reproduire et de
développer. Ils permettent de voir qu'il y a eu exclusion systématique de l'opinion
libérale. On eût exclu, avec le même prétexte, les membres les plus modérés de
cette opinion.
En présence de cette exclusion systématique et
absolue, je me permettrai de rappeler à l'honorable M. de Muelenaere les
paroles qu'il prononçait au mois de novembre, paroles auxquelles il a paru
faire allusion, mais devant la citation desquelles il a sans doute reculé :
« Eh bien, je n'hésite pas à dire, déclarait M.
le comte de Muelenaere, que si les opinions libérale et catholique veulent
sincèrement une transaction, une conciliation, le moment de l'opérer me semble
très opportun : de part et d'autre, cette conciliation peut être sincère,
honorable ; elle peut porter pour le pays les plus heureux fruits. Je vois un
honorable membre, dont je respecte beaucoup les opinions, me faire un signe
négatif. II croit probablement (d'ailleurs, il l'a dit en toute franchise)
qu'un ministère mixte, un ministère composé d'éléments pris dans les deux
grandes fractions de la chambre, est incapable d'opérer cette réunion que nous
avons en vue entre l'opinion libérale et l'opinion catholique. L'honorable
membre a une prédilection plus ou moins prononcée pour un ministère composé
d'éléments pris dans une seule fraction de la chambre.
« Eh bien, je pense qu'il est impossible
(je l'avoue franchement) de faire accepter de pareilles conditions par une
opinion quelconque. Une opinion qui se sent un peu d'avenir et de force, ne
consent jamais à se laisser humilier. Je conçois qu'on impose de pareilles
conditions à une opinion, mais il faut préalablement que cette opinion soit
vaincue, et vaincue à tel point qu'il y ait impossibilité pour elle de se
relever de sa défaite. Dans ce cas, cette opinion subit ces conditions ; mais
elle ne les accepte pas, et elle en appelle au lendemain. »
Eh bien, quelle est aujourd'hui la position de
l'opinion libérale ? L'honorable comte de Mérode vous l'a dit, avec cette
naïveté spirituelle qu'il apporte dans ces débats : les libéraux sont
proscrits, on ne les ménage même plus : c'est l'ostracisme qu'on prononce
contre eux, et chose étrange, c'est à l'ostracisme que crient nos
proscripteurs.
M. de Mérode. - Je demande la parole pour un fait personnel.
M. d’Elhoungne. - Oh ! on a donné, pour nous proscrire, des raisons
fort ingénieuses. Les ministres nous reprochent de n'être pas majorité !
Mais s'ils nous repoussent, parce que nous ne
sommes pas majorité, je comprends difficilement la guerre que l'on fait à notre
programme ; ce serait là une preuve nouvelle que le programme est moins
coupable qu'on ne le dit. Mais allons au fond de l'objection et fixons bien sa
signification.
Quand on dit à une opinion (et tous les
ministres l'ont dit à la nôtre), quand on dit à une opinion qu'elle n'arrivera
au pouvoir qu'au moment où elle aura la majorité, on lui déclare par la même
une guerre à outrance ; on proclame qu'on ne fera ni concessions, ni
transactions ; on nous signifie que nous n'arriverons aux affaires que lorsque
notre opinion débordera en une majorité triomphante dans cette enceinte. Je ne
conteste pas le droit de suivre ce système et de le professer hautement dans
cette chambre, mais alors qu'on ne nous parle plus de modération,
d'impartialité ! Ce serait une dérision.
(page
1150) A la vérité, on se flatte que le moment où nous serons majorité est
bien loin encore. M. le ministre des finances nous a rappelé, non sans quelque
orgueil, que les prédictions de l'opposition avalent été peu heureuses. « Il y
a longtemps, s'est-il écrié, que j'entends dire que le flot monte, et cependant
en regardant autour de moi je retrouve debout toujours cette même majorité
catholique, majorité considérable, imposante. »
Mais que M. le ministre des finances soit moins
prompt à écarter nos prévisions. Avant de les juger, qu'il vérifie lesquelles
se sont le mieux réalisées, des siennes ou des nôtres. M. Malou et ses amis
nous prédisaient la fusion des partis, l'extinction des passions politiques, la
perpétuité des ministères mixtes, l'impossibilité des ministères exclusifs.
Comment les faits ont-ils donné raison à M. Malou et à ses amis ? Les partis
sont plus divisés que jamais ; les passions politiques sont exaspérées ;
l'irritation est partout ; trois ministères mixtes sont tombés, après avoir vu
leurs partisans les plus honorables succomber dans les élections ; enfin, nous
avons devant nous un ministère exclusif, composé des noms les plus
significatifs de l'opinion catholique...
M. de Foere. - Je demande la parole.
M. d’Elhoungne. - D'un autre côté, les rangs de l'opinion libérale
se sont-ils éclaircis ? Se sont-ils fermés aux hommes modérés pour ne renfermer
plus que des exagérés ? Une voix éloquente et impartiale l'a dit : Voyez nos bancs,
comptez combien nous étions naguère, et combien nous sommes aujourd'hui, et
dites-nous si les faits ont donné à nos prévisions le cruel et complet démenti
qu'ont reçu les vôtres ?
M. le ministre des finances, d'ailleurs, en nous
traitant de minorité impuissante, semble oublier qu'une opinion peut avoir la
majorité dans le pays, sans l'avoir dans le parlement. C'est ce que la nature
des choses explique. L'opinion qui possède le pouvoir, retire de cette
possession un avantage immense. Elle est assurée d'obtenir une représentation
qui dépasse ses forces réelles. Au contraire, l'opinion exclue du pouvoir, se
présente seule dans la lutte électorale. Pour devenir majorité, il faut donc
que son développement soit considérable. Voilà ce qu'on perd de vue dans ce
débat. C'est là cependant la véritable position des partis. C'est là le vrai
caractère de la situation, qu'un mot de M. Guizot me paraît peindre à merveille
; il disait :
« Ce n'est pas une chose facile que de surmonter
un parti vaincu et qui cependant n'a pas renoncé. On ne sait pas quelle
obstination et quelle ardeur sont déposées dans une dernière espérance. »
M. le ministre des affaires étrangères nous a
recommandé l'exemple de lord John Russell, tout en lui prêtant un langage qu'il
n'a jamais tenu. Lord John Russell, en effet, n'a pas dit à la reine : « Je ne
veux pas du ministère, parce que mon opinion est en minorité dans le parlement.
» Mais après avoir décliné la mission de former un cabinet, il a donné pour
motif le refus de lord Grey. et quand même lord John Russell eût reculé devant
une dissolution du parlement, parce que les lenteurs de la dissolution
pouvaient empêcher de profiter des circonstances si favorables au rappel des
lois sur les céréales, ce serait déjà un fait tout exceptionnel qu'on ne
pourrait encore ériger en règle.
Quoi qu'il en soit, M. le ministre des affaires
étrangères nous ayant proposé les exemples de l'Angleterre, je veux lui
rappeler comment les hommes du parti conservateur comprennent les intérêts de
ce parti. Certainement, avant la crise actuelle, les membres qui voulaient
l'abrogation des lois sur les céréales, ne formaient qu'une minorité dans le
parlement. Qu'a fait sir Robert Peel ? A-t-il dit à ses adversaires : « Vous
n'avez pas la majorité, vous n’obtiendrez rien ; attendez que vous soyez
majorité » ? Non, messieurs ; sir Robert Peel, plus prévoyant, plus habile
que son propre parti, a pris l'initiative de la réforme que ses adversaires
voulaient faire. Par cette conduite, par ce sage système de concession, il est
arrivé à une transaction véritable, il lui a été possible de stipuler pour son
parti les concessions que celui-ci n'aurait pas obtenues, s'il eût attendu
l'arrivée d'une majorité contraire à la loi des céréales, pour en opérer le
retrait. Voilà des exemples que MM. les ministres feraient bien de méditer.
Mais, messieurs, je n'ai pas besoin de prendre
mes exemples chez l'étranger. Rappelez-vous le langage tenu au mois de novembre
par M. le ministre des finances, par M. le ministre des affaires étrangères et
par M. le comte de Muelenaere lui-même ; ces honorables membres reconnaissaient
alors qu'on ne pouvait pas proscrire l'opinion libérale ; ils prétendaient que
l'opinion libérale devait être presque prépondérante dans le cabinet. Or,
est-ce que l'opinion libérale a perdu du terrain depuis lors ? Est-elle plus
faible, plus désunie ? Est-elle moins digne des égards de la majorité dans
cette enceinte ?
M. le ministre des finances nous a provoqués
plusieurs fois aussi à discuter les grands intérêts du pays ; il nous a dit que
c'était le triomphe de l'opposition que d'imposer ses vues au gouvernement, que
de forcer le gouvernement à exécuter les mesures qu'elle signalait à sa
sollicitude. Eh bien, M. le ministre des finances, cette victoire que vous
indiquiez à notre ambition, elle vous a déjà été accordée par l'honorable M.
Dechamps ; n'est-il pas venu déclarer en effet que le cabinet était prêt à
exécuter le programme de l'honorable M. Rogier ? Ainsi, rien ne manque à notre
triomphe ; les mesures que nous voulions exécuter, vous les acceptez ; vous
acceptez les conditions que le parti libéral mettait à son entrée aux affaires
; vous n'avez l'espoir de vous maintenir au pouvoir, de vivre ministériellement
et gouvernementalement qu'en faisant au pouvoir que ce que nous y aurions fait.
Voici
la motion que j'ai l'honneur de faire et que j'ai développée : « Que la chambre
ordonne le renvoi aux sections actuelles du projet de loi de 1834 sur
l'enseignement moyen, qu'elle invite le ministère à déposer, les amendements dont
il a annoncé la présentation, afin que les sections puissent les examiner en
même temps que ce projet de loi. »
M. de Mérode (pour un fait personnel). - Je n'ai pas dit que
les proscripteurs étaient proscrits par nous. Je me suis fortement explique de
la manière la plus positive contre toute proscription et toute exclusion
quelconque, dans mon dernier discours notamment. Mais j'ai interrompu M.
d'Elhoungne qui transformait les proscripteurs en proscrits dans son langage pour
lui dire : vous appelez les proscrits les proscripteurs, ces proscripteurs qui
ont si bien effrayé certains hommes que j'appellerai mitoyens entre les
opinions prononcées contraires qu'ils n'ont pas pu, selon ce qui vient d'être
dit à l'instant même par M. d'Elhoungne, former un cabinet, car ce n'est pas de
notre faute s'ils n'ont pas réussi.
- La proposition de M. d'Elhoungne est appuyée.
Elle fera partie de la discussion.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, il y a cinq années que s'agitait
devant vous une grande discussion politique ; c'était à propos du budget du
ministère des travaux publics, c'était en présence d'un ministère qui comptait
une année d'existence. Depuis le commencement du débat actuel, j'ai relu, car
alors je ne faisais pas encre partie de la chambre, j'ai relu cette discussion.
Qu'y ai-je vu ? A mon grand étonnement que le ministère d'alors, qui avait une
année d'existence, reprochait à l'opposition de lui faire un procès de
tendance, de ne pouvoir articuler aucun mot, de condamner une opinion. Et que
voyons nous aujourd'hui ? Le ministère qui est devant vous, vient à peine de
naître ; il n'a pu poser aucun acte ; et vous le condamnez, au nom de son
avenir ; car vous le déclarez vous-mêmes, vous nous avez donné à tous des
témoignages tels que vous ne pouvez pas condamner notre passé.
Dans la discussion même, combien de fois
n'avons-nous pas vu reparaître, à toutes les époques depuis 1841, ce grief que
l'opinion libérale avait été injustement expulsée du pouvoir en 1841 ? Ç'a
toujours été là le fond des reproches qu'on a adressés à ceux qui ont succède à
ce cabinet ; si je me rappelle bien, l'honorable M. Lebeau a été jusqu'à dire
que c'était une immoralité politique.
Un membre. - Une iniquité !
M. le ministre des finances (M. Malou). - Soit ; j'accepte la rectification, une
iniquité que l'on ne pouvait pas oublier. J'espère que désormais du moins en
présence de ce que nous voyons, ce grief ne se reproduira plus, car ce que vous
faites aujourd'hui est dix fois plus inique, si tant est que les partis n'aient
pas le droit de s'attaquer les uns les autres.
Qu'avons-nous vu encore depuis cette époque ?
Chaque fois qu'on combattait les ministères
mixtes qui existaient, au nom de quelle idée les combattait-on ? Quels étaient
les hommes qu'on appelait sur ces bancs ? On disait que les ministères
homogènes étaient les seuls qui convinssent à la situation du pays, les seuls
qui fussent compatibles avec la dignité des hommes, avec la moralité politique.
Combien de fois, notamment, n'a-t-on pas appelé
notre honorable collègue de l'intérieur au banc des ministres ? A peine y
est-il que vous voyez dans chaque péroraison se dresser devant vous une
révolution ; chaque péroraison se termine par ce mot : Malheur ! malheur au
pays !
J'entends toujours dans ces débats articuler les
mots : libéraux et catholiques. A Dieu ne plaise que je nie l'existence des
partis ! Dans tout pays qui jouit d'institutions libres, les hommes se divisent
nécessairement d'après les tendances, d'après les opinions. Cependant il ne
faut pas rester sur ce terrain vague que le libéralisme est le soleil du monde
moral, la religion du progrès, car personne n'est tenté de blasphémer ce
soleil. Il faut aller au fond des choses, il faut voir quelles sont les idées
qui s'abritent sous ces mots, quelle est la valeur réelle qu'il faut y
rattacher.
J'ai longuement réfléchi à la signification de
ces mots : libéraux et catholiques. Hier, l'honorable M. Oy disait : «. Je me
crois libéral et je me crois également catholique. »
Et, messieurs, ce est-il un seul parmi nous qui
ne se définisse ainsi ? En est-il un seul qui croie que le catholicisme exclut
les opinions libérales ?
Cette opposition qu'on cherche à établir entre les
libéraux et les catholiques, où réside-t-elle ? Quand j'ai analysé tout ce que
vous avez dit à cette tribune, je n'ai trouvé d’autre signification que ce que
l'appelle, ce que vous appelez vous-mêmes un préjugé ; c'est le préjugé de
l'influence occulte. Au fond, quand on analyse nos débats, on ne trouve pas
d'autre signification sérieuse que celle-là, que c'est un préjugé qui nous
sépare. Quoi qu'on vienne vous dire de l'exclusion de l'opinion libérale, les
honorables membres qui s'attribuent cette qualification, ont presque
exclusivement siégé au pouvoir, et l’un d'eux a déclaré, dans une circonstance
solennelle, que cette influence occulte, il n'y croyait pas.
C'est au nom d'un préjugé, au nom d'un préjugé
reconnu par vous-mêmes, que cette agitation dont on vous parlait tout à l'heure
se propage dans le pays. Mais, messieurs, je m'étonne d'autre chose encore ;
vous nourrissez ce préjugé, vous nous condamnez au nom de ce préjugé et vous
ajoutez en même temps, que vous seuls pouvez sauver l'avenir du pays, parce que
vous avez peur des partis extrêmes. Si vous craignez les partis extrêmes, si
vous redoutez leur avènement, tournez-vous dès à présent du côté de ceux qui
sont conservateurs, apportez-leur votre appui, ne les condamnez pas au nom d'un
préjugé.
Ainsi, messieurs, et je reproduis cette
observation : d'une part, vous nous condamnez au nom de l'influence occulte que
vous prétendez que nous subissons et, d'autre part, vous déclarez que vous avez
peur des partis extrêmes qui s'agitent dans l'opinion libérale. Dans cette
situation, vous préférez développer dans le pays ce préjugé, que de vous
tourner vers le pouvoir, vers le pouvoir conservateur dont vous partagez les
opinions. La Constitution a établi d'une manière telle la séparation des
pouvoirs, (page 1160) que cette
question de l'influence occulte doit réellement disparaître de nos débats.
Oh ! messieurs, je le sais, dans certaine opinion extra-parlementaire on
appelle influence occulte l'exercice de certains droits constitutionnels Si
c'est là ce qu'on appelle influence occulte, qu'on ait le courage de le dire.
L'influence occulte s'exerce encore, dit-on, par
index et encycliques. Mais est-il quelqu'un qui ne puisse faire la différence
entre la tolérance civile et l'approbation des actes ? C'est au nom de la
liberté que vous condamnez la liberté quand vous parlez ainsi.
On aurait le droit de publier par la presse
toute opinion quelconque et on n'aurait pas le droit de qualifier ces opinions
par la presse ! Au nom de la liberté de la presse et par la liberté de la
presse, on condamnerait la liberté de la presse elle-même.
Nous voulons conserver nos institutions, nous
voulons les développer dans l'ordre moral et matériel. Dans le programme de
1840 que j'ai relu, la même pensée, le même but est assigné aux efforts du
gouvernement ; alors aussi le cabinet se plaçait sur ce terrain sur lequel je
désire que le gouvernement reste toujours ; pour conserver nos institutions
libérales, les développer dans un esprit de progrès et féconder tous les germes
de prospérité du pays, il faisait appel à toutes les opinions modérées et
franchement constitutionnelles.
Il y a loin de là, messieurs, vous le voyez, à
une proscription, à une guerre à outrance qui n'admettrait ni transaction ni
conciliation ; il y a loin de là à la portée donnée à nos paroles. Nous voulons
que le gouvernement reste sur le terrain où il s'est toujours maintenu depuis
1830. Nous voulons par notre présence opérer cette œuvre de conciliation que
toutes les opinions modérées et franchement constitutionnelles appellent depuis
plusieurs années. J'arrive à un autre point du discours de l'honorable M.
d'Elhoungne.
J'ai défendu dans cette enceinte le système des
ministères mixtes. Je le considérais comme devant plus facilement que d'autres
amener cette œuvre de conciliation qui depuis longtemps est dans le vœu de tous
les bons citoyens.
Si cette œuvre pouvait être mieux accomplie par
d'autres, très volontiers, je les aiderais à l'accomplir. Mais de ce que le
ministère actuel n'est pas mixte comme les précédents par sa composition,
est-on recevable à présenter cette composition comme vicieuse et à en tirer des
conclusions comme vient de le faire l'honorable membre alors qu'aucun acte n'a
été posé par le ministère qui puisse faire croire qu'il repousse tout progrès
et refuse de faire droit aux prétentions légitimes de l'opinion libérale ?
Je vois que dans nos débats on fausse
complétement la position du gouvernement car dit l'honorable M. Rogier, vous
voulez faire nos affaires, nous voulons les faire nous-mêmes. C'est une idée
complétement fausse que nous combattons. Vous supposez que, dans un pays comme
le nôtre on puisse gouverner au nom d'un parti ; le gouvernement ne peut
s'exercer qu'au nom de la nation, conformément à l’ensemble de ses intérêts. En
ce sens je me suis toujours exprimé ; en ce sens le ministère agira toujours.
J'entends dire que l'opinion libérale a été
constamment exclue du pouvoir.
Dans le nombre des ministères qui se sont
succédé au pouvoir depuis 1830, je me demande combien de membres de l'opinion
libérale ont passé aux affaires et combien appartenaient à l'opinion
catholique. D'une part, il y en a eu, je crois 24 et de l'autre 6 ou 7,
Un membre. - Neuf !
M. le ministre des finances (M. Malou). - Voilà donc un premier symptôme
d'exclusion !
L'opinion libérale est exclue du pouvoir ?
Qu'avons-nous vu dans les dernières crises ? L'honorable M. Rogier appelé au
mois de juin comme dans la crise actuelle, à composer un ministère ; ensuite
l'honorable M. Van de Weyer, chargé de former un cabinet ; l'honorable M.
Rogier chargé également de former un cabinet ! Les honorables MM. de Brouckere,
d'Hoffschmidt et Dumon-Dumortier chargés de former un cabinet ! Et vous diriez
que l'opinion libérale est systématiquement écartée du pouvoir ! Mais à qui
prétendez-vous le faire accroire dans le pays ?
Pourquoi l'opinion libérale n'est-elle pas au
pouvoir ? C'est parce qu'elle ne l'a pas voulu. Si elle avait foi en elle-même,
si elle avait cru qu'elle pouvait gouverner, conformément à l'ensemble de nos
institutions, elle n'eût pas soumis au Roi ce programme, qui est la cause de sa
non-présence aux affaires en ce moment.
Nous attaquons ce programme.
Hier, dans les explications qui ont été lues au
nom de l'honorable M. Delfosse, on disait que ce programme n'excluait pas
l'appréciation des faits. On disait aussi qu'il ne s'agissait pas de
dissolutions successives. J'ai lu et relu ce programme, et je me demande s'il
est possible d’y donner ces différentes interprétations.
Jusqu'aux élections de juin 1847, dissolution
éventuelle des chambres dans les différentes hypothèses posées par le programme
!! Je demanderai, à mon tour, s'il se trouve dans le programme un seul mot qui
laisse supposer que l’engagement n'était pas limité seulement par le temps,
mais tacitement limité par l'appréciation ultérieure des circonstances. Je
l'admets un instant. Je vais plus loin : je suppose que l'honorable M. Rogier
n'ait pas publié cette partie du programme. Qu'importe ? La question est toute
en principe ; il s'agit de savoir si un ministère peut réclamer un tel droit,
s'il peut se faire attribuer la prérogative du Roi. Du plus ou du moins, il ne
peut en être question ; il s'agit du principe en lui-même.
L'honorable M. d'Elhoungne vous a cite un
exemple de ce qui s'est passé en Angleterre à propos du bill de réforme. Eh
bien, il y a identité complète entre les faits qu'il a cités et l'opinion que
nous avons défendue. Nous disons qu'en principe constitutionnel un ministère
qui entre aux affaires peut demander au Roi la dissolution des chambres sur un
projet déterminé quand il est connu par avance. C'est ainsi que lord Grey a agi
lorsque le bill de réforme a été présenté. Ici que faisait-on au contraire ? On
demandait la dissolution sur le projet de loi d'enseignement, qui n'était pas
connu.
M. Rogier. - C'est une erreur. Sa Majesté connaissait les vues
du cabinet au sujet du projet de loi sur l'enseignement moyen. Elle les a
appréciées et approuvées.
M. le ministre des finances (M. Malou). - C'est un exemple que je cite au hasard.
J'aurais pu prendre tout autre numéro du programme se rattachant à la
dissolution. Si le Roi avait apprécié les idées de l'honorable membre sur le
projet de loi d'enseignement moyen, il n'avait pas apprécié les questions
futures de confiance, de budget, d'opposition journalière et combinée. De sorte
que mon observation subsiste dans toute sa force.
Je prenais un exemple ; je pourrais en prendre
dix.
Je disais qu'au lieu de demander la dissolution
sur un projet déterminé, on la demandait sur une foule d'hypothèses, qui
n'étaient déterminées que quant au temps.
La doctrine que nous soutenons est entièrement
conforme aux principes développés par l'honorable M. d’Elhoungne.
J'accepte aussi la réserve faite par mon
honorable ancien collègue M. d'Hoffschmidt. En effet il admettait la
dissolution sur la question d'enseignement, mais sur un projet déterminé.
Il y a, il est vrai, une autre manière
d'interpréter ce programme. On dit que l'abandon pour un temps limité de la
prérogative royale est un usage de cette prérogative. On dit que le Roi use de
sa prérogative, lorsqu'il l'abandonne pour un temps déterminé.
Il est de l'essence de cette prérogative royale
de juger en pleine liberté, d'après les circonstances, s'il y a lieu de
préférer la dissolution des chambres à la dislocation du cabinet. Du moment
qu'on ne conserve pas cette liberté, la Constitution est violée dans son texte
et dans son esprit ; la prérogative a disparu.
Dois-je ajouter un mot sur une partie du
discours de l'honorable M. Lebeau ? Cet honorable membre vous a dit que lui et
ses amis, en 1831, avaient voté pour la monarchie constitutionnelle, non parce
qu'il pensait que la Belgique ne fût pas mûre pour la république, mais parce
qu'il croyait que la position géographique du pays ne comporte pas une
république.
Pour nous, la monarchie constitutionnelle n'est
pas une question de géographie. Nous considérons la monarchie, suivant
l'expression d'un vétéran du libéralisme, comme la meilleure des républiques.
Si nous préférons la monarchie constitutionnelle à tout autre système de
gouvernement, ce n'est pas parce que la Belgique est au milieu de l'Europe,
c'est parce que ce mode de gouvernement satisfait à ce besoin d'ordre et de
liberté qui est un des besoins du pays.
M. Lebeau. - La géographie n'est qu'une de mes raisons. J'ai
été assez clair là-dessus.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Pour résumer ces observations, je dirai que
le ministère, dans sa composition, dans les explications qu'il a données,
n'indique aucune idée d'exclusion de prescription, que son vœu le plus cher est
de diriger les affaires avec cet esprit d'impartialité qui est le seul
véritablement constitutionnel, que si l'opinion libérale n'est pas au pouvoir
(je le dis encore) c'est parce qu'elle a voulu entrer au pouvoir d’une manière
qui ne lui permettait pas de faire convenablement les affaires du pays.
M. le président. - Neuf orateurs sont inscrits. Je désirerais
savoir si la chambre entend ne voter sur la motion de M. d'Elhoungne qu'à la
fin de la discussion. (Oui ! oui !)
M. d’Elhoungne. - Dans ma pensée la motion ressort des débats ; elle
en est la conséquence. Il en est de même dans la pensée de mes honorables amis.
M. Orts. -
C'est à la séance du 24 avril que j'ai demandé la parole, pour répondre à une
imputation de l'honorable député de Turnhout, imputation qui constituait
presque un fait personnel, si pas sous le rapport parlementaire, au moins eu
égard à mes opinions politiques et à mes sentiments personnels.
Aujourd'hui, les observations de l'honorable M.
Dubus ont acquis par la discussion, et surtout par la motion de l'honorable M.
d'Elhoungne, une portée qui nécessairement m'oblige à y répondre.
L'honorable M. Dubus m'a reproché de sacrifier
moi-même la liberté communale, parce que je combattais l'article 5 du projet de
1834, qui consacrait, dit-il, cette liberté dans le sens le plus illimité.
Selon lui, d'après le projet deloi de 1834, les communes devaient jouir d'une
liberté aussi entière que tout autre citoyen ; elles avaient une indépendance
telle qu'il était impossible qu'en combattant les dispositions de cette loi on
ne se constituât pas l'adversaire de la liberté communale en cette matière, de
l'indépendance des communes.
Je prends à tâche, en ce moment, de démontrer
que non seulement il est impossible de voir dans les articles 5 et 31 du projet
de 1834, ce que veut y voir l'honorable membre auquel je réponds, mais que si
telle avait été la portée du projet de 1834, il aurait violé la Constitution.
Une première observation, c'est que l'article 5
du projet de 1834 est relatif non pas aux écoles moyennes communales, mais aux
écoles primaires. Il porte :
« Art. 5. Lorsque les communes établissent des
écoles a leurs frais, elles jouissent, comme tous les citoyens, d'une liberté
entière, soit pour (page 1181)
nommer, suspendre ou révoquer les instituteurs, soit pour fixer leur
traitement, soit pour diriger l'instruction, »
S'occupant ensuite des écoles moyennes, le même
projet de loi porte : « Art. 31. Les écoles moyennes communales, même
lorsqu'elles reçoivent des subsides de l'Etat, sont librement administrées par
les communes. »
Je demande si, soit dans l'article 3 relatif aux
écoles primaires, soit dans l'article 31 qui nous occupe, on pouvait avoir
entendu que cette liberté accordée aux communes, quant à l'administration de
leurs établissements et à la nomination du personnel enseignant, put aller
jusqu'à donner à une commune, qui est un corps constitué dans l'Etat, la
faculté d'aliéner sa liberté, son droit, et au profit de qui ? Est-ce au profit
d'un autre corps constitué dans l'Etat ? Non, mais au profit d'une personne
privée, qui n'est investie d'aucunes fondions publiques, qui n'est dépositaire
d'aucune partie du pouvoir civil.
Comme on l'a fort bien dit (et j'ai souvent
entendu énoncer ce principe dans cette enceinte) : il n'y a pas de droit contre
le droit. De même il n'y a pas de liberté contre la liberté. Lorsque la
Constitution attribue des droits à des corps constitués, et que ces corps s'en
dépouillent au profit d'autrui, ils aliènent une portion de l'autorité
publique, dont ils n'étaient que les dépositaires. C'est ce qui est défendu non
seulement par les principes les plus élémentaires en matière de droit public,
mais par notre Constitution même. C'est ce que j'ai à vous démontrer.
Notre Constitution, à son article 25, a consacré
le principe que tous les pouvoirs émanent de la nation, qu'ils sont exercés de
la manière établie par la Constitution. Le titre III de la Constitution traite
des pouvoirs ; il se divise en 4 chapitres : le pouvoir législatif ; le pouvoir
exécutif (le Roi) ; le pouvoir judiciaire ; et au chapitre IV, il est traité
des institutions provinciales et communales, qui, par délégation, exercent de
véritables pouvoirs, comme investies d'une portion de l'autorite civile, telle
qu'elle est déterminée par la loi.
L'article 108 de la Constitution, placé sous la
rubrique des institutions provinciales ou communales, pose ce principe :
« Les institutions provinciales et communales
sont réglées par des lois.
« Ces lois consacrent l'application des principes
suivants :
« 1° …
« 2° L'attribution aux conseils provinciaux et
communaux de tout ce qui est d'intérêt provincial et communal, sans préjudice
de l'approbation de leurs actes, dans les cas et suivant le mode que la loi
détermine. »
N'est-il pas vrai qu'en présence des termes de
cet article le raisonnement le plus simple mène à la conclusion que j'ai
indiquée d'avance ? L'enseignement confié à la commune est un objet d'intérêt
communal, on ne le niera pas ; or l'article. 84 de la loi communale attribue
exclusivement aux conseils communaux la nomination et la révocation du
personnel des établissements communaux d'instruction publique ; donc (et la
conclusion est rigoureuse en logique) il est évident que ces attributions sont
une application du principe constitutionnel, écrit dans l'article 108, et qu'il
n'est pas permis aux fonctionnaires à qui la loi communale a confié ces
attributions de s'en dépouiller au profit de tierces personnes, qui ne sont
dépositaires d'aucune autorité civile.
C'est dans ce sens que la Constitution avait été
entendue par l'honorable chef du cabinet qui est venu se briser contre
l'opposition de ses collègues ; car, dans le rapport qui nous a été transmis,
l'honorable M. Van de Weyer disait : « qu'il ne pouvait admettre, en ce qui
concerne surtout ta liberté illimitée que l'on attribuait aux communes, la
portée et le sens que l'on donnait aux principes généraux posés à cet égard
dans le projet de 1854. qu'il considérait l'application qu'on voulait faire de
ces principes comme contraires à la Constitution et en contradiction avec les
dispositions analogues de la loi sur l'instruction primaire. »
Ainsi, vous le voyez, messieurs, la cause du
dissentiment entre l'honorable M. Van de Weyer et ses collègues était dans
l'interprétation d'un article formel de notre Constitution, et cet article ne
pouvait être autre que l'article 108.
C'est dans cette pensée que l'honorable M. Van
de Weyer proposait de substituer aux articles 31 et 5 du projet de 1834, ce
principe puisé dans la Constitution même : « Les communes ne peuvent déléguer à
un tiers l'autorité que la loi leur confère sur leurs établissements
d'instruction moyenne, et les transactions de l'espèce intervenues
antérieurement à la présente loi sont nulles et de nul effet pour l'avenir. »
Ce principe, messieurs, ressortirait, comme j'ai
eu l'honneur de vous le faire voir, et de la Constitution article 108, et de la
loi communale du 30 mars 1836, article 84 ; il avait reçu en outre son
application directe dans la loi du 23 septembre 1842 par laquelle vous avez
conféré exclusivement aux conseils communaux le pouvoir de nommer leurs
instituteurs ; et certes, messieurs, il ne peut entrer dans la tête de
personne, en présence de la loi sur l'enseignement primaire, qu'il soit permis
à une commune de déléguer à d'autres une attribution spéciale de cette nature.
Mais voyez, messieurs, où la doctrine contraire
nous mènerait. Nous sommes d'accord que les communes comme les provinces,
forment, en raison de la délégation que leur fait la loi, une partie intégrante
du pouvoir, de l'Etat, comme le sénat, comme la chambre des représentants,
comme le pouvoir exécutif ou le roi. La Constitution a attribué à la chambre
des représentants la nomination des membres de la cour des comptes. Or,
messieurs, croyez-vous qu'il vous serait possible de déléguer le droit de
nommer les membres de la cour des comptes, je ne dirai pas à une autorité
privée, cela est évident, mais même à une autre autorité quelconque dans l'Etat
? Vous ne le pourriez pas.
Les cours de justice sont investies du droit de
présentation de candidats ; elles sont investies du droit de nommer leurs
présidents.
Croyez-vous que ces cours pourraient déférer à
un autre ce droit de nomination et de présentation ? Mais évidemment non. Or,
si les cours, auxquelles appartient le droit de nomination dans certains cas,
la chambre des représentants, à laquelle il appartient dans d'autres cas, ne
peuvent pas déléguer au profit de personnes privées ce droit de nomination,
comment conçoit-on qu'un conseil communal puisse le faire ? Cela, messieurs, me
paraît élémentaire ; il est impossible, sans violer l'essence des lois
communale et provinciale, d'établir que les conseils communaux et les conseils
provinciaux puissent se dessaisir du pouvoir que la loi leur délègue.
On vous l'a dit, messieurs, dans le projet de
loi de 1834, on avait posé un principe qui a été complétement abandonné, même
dans la loi sur l'instruction primaire. J'ai, dans un discours antérieur,
démontré cette vérité ; elle est tellement incontestable que je n'y reviendrai
plus.
Mais pourquoi, entre l'année 1834 qui a vu
naître le projet que l'on propose de renvoyer à la section centrale, et l'année
1842, époque à laquelle la loi sur l'enseignement primaire a vu le jour, des
motifs graves ont-ils fait apprécier la nécessité de persister dans le principe
constitutionnel, de ne pas permettre aux communes de déléguer leurs pouvoirs en
matière d'enseignement ?
Messieurs, deux faits sont venus se placer entre
ces deux époques ; deux faits qui doivent plus que jamais appeler l'attention
de tous ceux qui sont jaloux de maintenir au pouvoir civil ses prérogatives, de
ne pas souffrir le moindre empiétement. Ces faits, messieurs, les voici :
Dans cet espace de temps, douze ou quinze
conseils communaux, tous indépendants, ont abandonné en faveur de l'épiscopat
le choix de nomination, le droit de direction que leur conférait la loi
communale même. Dans un rapport que l'honorable M. Nothomb vous a fait en 1843,
on les énumère tous, messieurs, et sur nos neuf provinces, il n'y en a qu'une
où des conventions du genre de celles que l'on a désignées sous le nom de
convention de Tournay, ne soient pas intervenues, c'est la province du
Luxembourg. Dans toutes les autres provinces, des transactions de cette espèce
ont eu lieu entre l'épiscopat et les communes, et cela est passé inaperçu
jusqu'à ce qu'au mois de novembre dernier, si je ne me trompe, l'éveil a été
donné. Alors on a reconnu jusqu'où, l'autorité ayant fermé les yeux sur un
pareil abus, les choses pouvaient aller.
Mais d'un autre côté, messieurs, les prétentions
de l'autorité spirituelle ont dû faire la plus vive impression sur l'opinion de
ceux qui pensent devoir maintenir les prérogatives de l'autorité civile.
En effet, dès l'année 1841, dans un écrit
intitulé : « Réponse à un honorable membre de la chambre
législative », un prélat s'exprimait ainsi : « Il faut au clergé une part
dans le choix ou la nomination de tous les professeurs et maîtres d'écoles et
de collèges où vous appelez à coopérer à vos travaux ; sinon, vous l'obligez à
la retraite. » Dans un autre ouvrage du même auteur, intitulé : « Analyse
des vrais principes », on lit : « Nul candidat ne peut être légalement
placé, s'il n'a été reconnu par l'Eglise apte, vu son instruction religieuse et
sa conduite, à faire remplir à l'école sa principale mission, s'il n'est enfin
pourvu d'un certificat d'aptitude morale émanant de l'autorité ecclésiastique.
»
Certes, messieurs, il n'est pas dans ma pensée
de vouloir soutenir que, lorsqu'il s'agit de l'enseignement de la religion,
l'autorité ecclésiastique n'ait le droit, lorsqu'elle accorde son concours, de
contrôler l’enseignement. Ce serait une opinion qui ne pourrait être soutenue,
sans méconnaître et l’indépendance du clergé consacrée par notre Constitution, et
sa dignité et ses droits. Mais lorsqu'il s'agit de l’enseignement des sciences,
lorsqu'il s'agit des lettres, faut-il qu'un professeur soit porteur d'un
certificat d'aptitude et de moralité émané de l'autorité ecclésiastique ?
Faut-il qu'aucun professeur (car on dit tous les professeurs), qu'aucun
professeur de collège ne puisse être nommer, si préalablement il n'a élt agréé
par le clergé ? Voilà, cependant, messieurs, où conduisent de pareilles
maximes.
C'étaient là des professions de foi, c'étaient
là des opinions. Mais ces opinions se sont traduites en faits. Et voulez-vous
connaître les faits qui ont sanctionné cette opinion ?
Ces faits, messieurs, ne sont autres que les
conventions par lesquelles des communes, se dépouillant de leur droit écrit
dans l'article 84 de la loi communale et dans la Constitution même, ont aliéné
la liberté qu'elles ont, le droit écrit pour elles dans la loi, en faveur de
tiers, et ces tiers ne sont autres que les membres du clergé. Car jusqu'ici je
ne crois pas qu'il existe un exemple d'une commune qui ait fait une convention
pareille avec d'autres qu'avec les corps moraux appartenant à l'autorité
ecclésiastique.
Ainsi, messieurs, vous le voyez ; il n'est plus
même besoin des maximes qui se trouvent consignées dans ces écrits de 1841 ;
ces maximes sont aujourd'hui passées dans le domaine des faits accomplis.
Lorsqu'on voit que dans un court espace de temps douze à quinze collèges
communaux oui été absorbés par la puissance cléricale, ne peut-on pas craindre
de voir d'autres communes suivre le même exemple, de voir en un mot le clergé
en possession de l'universalité des établissements élevés aux frais et par les
soins des communes ? Eh bien ! messieurs, rattachons ce système à l'examen du
programme ; établissons nous juges, en présence de ces faits, entre le
programme de l’honorable M. Rogier et le programme du cabinet actuel. Car c'est
sur le terrain de cette question fondamentale, la liberté civile, que je ramène
l'examen de tout le programme.
Que disaient l'honorable M. Rogier et ses amis ?
Ils avaient inscrit en tête de leur programme, comme premier principe, ces
paroles remarquables : « Indépendance respective du pouvoir civil et de
l'autorité religieuse. » Et ils avaient soin d'ajouter que ce grand principe
trouverait notamment son application dans la loi sur l'enseignement moyen.
(page
1162) J'ose le dire ici, messieurs, je ne crois pas qu'il y ait un seul
membre de l'opinion, à laquelle j'ai l'honneur d'appartenir, qui voulût reculer
un seul instant devant le principe formulé par l'honorable M. Van de Weyer dans
son projet de loi, devant ce principe qui déclare que les communes ne peuvent
déléguer à des tiers l'autorité que la loi leur confère sur les établissements
d'instruction moyenne. Ceux qui appartiennent au parti libéral et qui
répudieraient ce principe sacrifieraient la cause de leur opinion, ils
sacrifieraient le pouvoir civil. Eux qui jamais ne se montreront hostiles aux
droits garanties par la Constitution au clergé doivent soutenir avec autant de
fermeté les droits et les prérogatives de l'autorité civile. Or, c'est les
sacrifier que de ne pas adopter le principe écrit par l'honorable M. Van de
Weyer dans l'article 5 de son projet de loi.
C'est de ce principe que n'ont pas voulu les membres
dissidents de l'ancien cabinet. Lorsque l'honorable M. Rogier, ainsi qu'un
autre membre, interrogeant M. le ministre des affaires étrangères qui avait dit
pouvoir adopter presque en entier le programme du ministère libéral, lui a
demandé s'il adoptait l'indépendance du pouvoir civil dans son application à la
loi sur l'enseignement moyen, je crois m'être aperçu d'un signe de tête
négatif, et je suis fondé à penser que ni les membres du précèdent ministère,
ni l'honorable chef du cabinet actuel ne consentiront à ce que ce principe
protecteur soit écrit dans la loi.
D'ailleurs, messieurs (et c'est ici que la
discussion se rattache à la motion d'ordre de l'honorable M. d'Elhoungne)
pourquoi ces grands efforts pour empêcher qu'un projet de loi, examiné en 1834
par les sections d'une chambre dont il n'existe peut-être plus que le tiers
dans cette enceinte, pour empêcher que ce projet soit examiné par les sections
de la chambre actuelle ? Il faut immédiatement renvoyer ce projet à la section
centrale, et comment encore ? Sans que le ministère se donne la peine de
formuler les modifications qu'il veut introduire dans le projet de 1834, il
lance le projet au milieu de la section centrale et dit aux honorables membres
qui la composent : « Examinez la loi, voyez ce que vous voulez en faire. » Non,
ce n'est pas là ce que le ministère, s'il connaît ses devoirs, doit faire. Il
faut que nous sachions une bonne fois si, dans le projet de 1834, modifie par
lui, nous trouverons des garanties pour la liberté civile. S'il n'en parle pas,
c'est qu'il ne veut pas de ces garanties. Nous verrons quelle attitude on va
prendre lorsqu'on sera obligé de répondre sur la proposition faite par
l'honorable M. d'Elhoungne ; mais quel que soit le résultat de la conduite du
ministère dans cette circonstance, elle sera décisive ; s'il refuse de faire
droit à la motion formulée par notre honorable collègue, il sera jugé rien que
par ce refus.
Cet acte ne donnera plus lieu à de vaines
discussions sur des théories, ce sera un acte positif, un acte significatif, un
acte qui annoncera que c'est non pas un ministère de conservation et de
progrès, mais, quoi qu'on en ait dit, un ministère de réaction, un ministère
qui a pour mission d'enlever les libertés écrites dans nos lois et dans notre
Constitution.
Maintenant le programme de l'honorable M. Rogier
renfermait la proposition de l'honorable M. Van de Weyer. Cette proposition
était tout entière dans le premier paragraphe de ce programme : « Indépendance
complète du pouvoir civil. » Au lieu de cela, que trouvez-vous dans le
programme du ministère actuel ? Y trouvez-vous quelque chose qui consacre le
même principe en d'autres termes ? Rien, néant complet, absence de toute espèce
d'indication de l'opinion du ministère.
Il se sert, comme beaucoup d'autres ministères
qui l'ont précédé, des expressions banales de conservateurs, de modérateurs, de
progressistes. Ce sont là des mots, et ce n'est pas en 1846, après les
nombreuses déceptions des ministères mixtes, et notamment du ministère de M.
Nothomb, que l'opinion libérale pourra se contenter de ces pompeuses
déclarations. C'est par des actes qu'il faut vous faire connaître, et non pas
par de vaines paroles.
L'honorable M. Dechamps admet cette partie du
programme de l'honorable M. Rogier. Mais alors je serais charmé de savoir
pourquoi il n'a pas voulu de l'article 5 du projet de M. Van de Weyer ? S'il
rejette cette disposition, la conclusion est claire, il n'est pas conservateur,
car il ne garde pas intact le dépôt sacré de la Constitution, remis entre ses mains
comme entre les vôtres ; il ne conserve pas la liberté de la commune, les
droits de la commune en matière d'instruction publique.
Je crois donc, messieurs, que dans cette grande
question de l'enseignement moyen gît tout le débat. Tout est là, et j'espère
qu'avant la fin de la discussion cette question sera examinée par d'autres
orateurs sur le terrain où nous voudrions voir, à son tour, arriver le
ministère.
Je passe, messieurs, à deux observations que m'a
suggérées le discours de l'honorable ministre de l'intérieur. Dans la séance de
samedi, l'honorable M. de Theux, répondant au reproche que lui fait
l'opposition de ne pas être progressiste, a reproduit encore une fois une
espèce d'allocution qu'il avait adressée au parti libéral et sur laquelle je m'étais
expliqué dans mon premier discours. « Entendons-nous, messieurs, dit M. le
ministre de l'intérieur, sur le mot « progrès ». Sans doute,
messieurs, que pour être progressif il n'est pas nécessaire d'être antipathique
au clergé, à la religion que professe la majorité de la nation. J'aime à croire
que presque tous les membres de la gauche sont d'accord avec moi sur ce point.
J'aime à croire encore que par le mot « progrès » on n'entend pas une
hostilité ni au culte ni au clergé. »
L'insistance de M. le ministre à revenir sur
cette observation doit nécessairement provoquer une deuxième réponse. « Presque
tous mes amis politiques ne sont pas antipathiques au clergé et à la religion.
» Ce mot « presque » est malheureux, car j'ose, au nom de nies honorables
amis, dire ici qu'aucun d'eux n'est hostile à la religion, aucun d'eux n'a
légitimé un pareil doute par le moindre mot prononcé soit dans cette
circonstance, soit dans d’autres. Ne dites donc pas « presque tous »,
mais dites « tous ». Voilà pour ce qui concerne la religion. Hostiles
au clergé ! Entendons-nous, messieurs ; non, aucun de nos n’est
hostile au clergé lorsque le clergé se renferme dans le cercle de son autorité
purement spirituelle, dans cette autorité qui lui est dévolue au nom du ciel
même, qu'il tient de celui qui est au-dessus de toute puissance humaine ; mais
lorsque, sortant de ses attributions, il s'arroge un pouvoir dans l'Etat, oui,
alors, nous sommes hostiles au clergé, nous le sommes et nous le resterons ; la
Constitution et le serment que nous avons prêté nous en font un devoir. Quoi !
nous ne serions pas hostiles aux actes par lesquels le clergé voudrait, par
exemple, abuser de son influence pour dominer dans les élections ? Nous ne
serions, nous, pas hostiles à des actes en vertu desquels il empiéterait sur
les libertés communales en fait d'enseignement ?
Mais, messieurs, si nous fassions condamnation
sur de pareils actes, loin que l'on pût dire que nous ne sommes pas hostiles au
clergé, nous devrons encourir nous-mêmes la censure de tout homme vraiment
religieux, car enfin nous ne garderions pas fidèlement un serment que nous
avons prêté en entrant ici.
Ce sera donc, messieurs, lorsque le clergé
posera des actes portant un caractère politique qu'il trouvera dans les membres
qui composent le parti libéral de cette chambre, des contradicteurs, ou plutôt
des défenseurs des droits et des prérogatives des citoyens belges.
L'honorable M. de Theux, faisant allusion à une
institution de la ville de Bruxelles, à l'université libre, a dit :
« la ville de Bruxelles avait érigé une
université libre ; on supposera que nos opinions ne sont pas favorables à cette
institution ; eh bien, avons-nous refusé d'approuver le budget de la province
qui renfermait une allocation considérable en faveur de cet établissement ?
N'avons-nous pas approuvé la convention-loi conclue entre l'Etat et la ville de
Bruxelles ? » Mais, messieurs, je trouve assez singulier qu'on veuille
présenter comme une preuve de sympathie un acte aussi naturel que celui de ne
pas rayer du budget de la province la somme que celle-ci avait cru pouvoir
consacrer au maintien de la prospérité d'un établissement qui honore la
capitale. Mais le ministère n'a-t-il pas été un peu plus loin pour une autre
institution du même genre ? Suis-je dans le vrai, lorsque je vous rappelle
qu'en faveur de l'université établie à Louvain, le ministère a fait abandon des
riches collections appartenant à l'ancienne université de l'Etat, que cette
même ville a reçu encore d'autres faveurs que le gouvernement n'a pas accordées
à l'université de Bruxelles ? Et parce que l'on n'use pas de son pouvoir pour
biffer du budget provincial une faible allocation, en vante cela comme une
preuve de sympathie ! Passez-moi la comparaison, messieurs, il me semble
que je vois ici un richard, en présence de deux individus qui demandent
l'aumône ; l'un est dans le dénuement le plus complet, l'autre est dans un état
tel qu'il est permis de douter qu'il ait besoin de secours ; l'homme riche
donne l'aumône à ce dernier, et à celui auquel un secours serait infiniment
plus nécessaire, il dit : « Passez votre chemin, que le ciel vous garde ! »
Voilà exactement la conduite que le pouvoir a
tenue envers les deux établissements dont il s'agit. Cela n’empêche pas que
l'institution libérale d'enseignement supérieur prospère, parce que, messieurs,
quand un établissement marche dans la voie du progrès et de la sagesse il
trouve toujours des protecteurs qui sont là pour suppléer à l'absence d'autres
sympathies.
Messieurs, je dis donc, en me résumant, que la
question de savoir si les communes peuvent déléguer leur pouvoir en ce qui
concerne la nomination du personnel enseignant, et la direction de
l'instruction, en faveur de tiers, ou, disons le mot, en faveur de corporations
religieuses, que cette question est de la plus haute gravité, qu'elle doit
dominer tout le débat ; que c'est une question dont la solution négative
résulte évidemment de l'article 108 de la Constitution, de cette Constitution,
que nous avons tous juré d'observer, de l'art. 84 de la loi communale et de
toute l'économie de la loi que vous avez votée sur l'instruction primaire.
J'attendrai
quel sera le résultat de la motion qui a été faite par mon honorable ami M.
d'Elhoungne, et le pays tout entier trouvera dans le parti que prendra le ministère
sur cette motion, la preuve si effectivement il veut faire au moins un pas vers
l'opinion libérale. J'ai dit.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, la conclusion du débat solennel
soulevé par l'opposition, c'est qu'à l'opinion libérale seule appartient le
droit de gouverner, c'est que le programme de l'honorable M. Rogier aurait dû
être accepté par la Couronne. Si, messieurs, je siégeais sur les bancs de la
gauche, j'aurais la franchise complète de mes opinions ; ce que j'aurais dit
dans mes discours, je le formulerais en conclusions nettes et précises ; je
n'aurais pas recours, pour poser une question de cabinet, à des moyens
détournés.
Messieurs, le gouvernement parlementaire est un
gouvernement de franchise avant tout, et je dis que dans la motion, telle
qu'elle est faite, et qui renferme évidemment, dans la pensée de son auteur, la
question de cabinet, il n'y a pas de franchise. Oui, messieurs, tel est le
résumé de la discussion : le parti libéral seul doit gouverner, le programme de
l'honorable M. Rogier a été indûment rejeté.
Je m'explique d'abord sur la motion de
l'honorable député de Gand et je dis : Le mode d'examen du projet de 1834 est
une question de règlement intérieur, indigne d'apparaître dans un débat aussi
solennel. Sur ce point, nous ne voulons pas faire de l'opposition. L'on trouve
qu'il y a eu de grands changements dans le personnel de la chambre, on trouve
qu'il serait difficile d'arriver à un complément normal de la section centrale,
quoique cependant dans d'autres occasions, et pour l'enseignement primaire, ia
section centrale eût déjà été complétée par le bureau ; je le répète, nous ne
faisons aucune opposition à cette partie de la motion ; de cette manière, (page 1163) nous connaîtrons l'opinion
de tous les membres de la chambre, et la section centrale pourra présenter un
rapport en harmonie avec la pensée de la chambre, telle qu'elle est composée
aujourd'hui. C'est également le désir du gouvernement de connaître la pensée de
la chambre entière ; si nous n'avons pas parlé de ce mode de compléter la
section centrale, c'est que ce mode n'est pas prévu par le règlement et que,
jusqu'à présent, il n'a pas d'antécédents.
Mais, messieurs, la seconde partie de la motion
de l'honorable M. d'Elhoungne, nous ne l'acceptons pas.
L'honorable membre nous demande de formuler les
amendements que nous nous sommes engagés à présenter. Il y a d'abord ici une
erreur de fait : le gouvernement ne s'est pas engagé à présenter des
amendements ; le seul engagement qu'ait pris le gouvernement, c'est de discuter
le projet de loi sur l'enseignement moyen dans un esprit de patriotique
conciliation. Messieurs, voici les motifs de cette détermination :
Le projet de loi de 1834 a été proposé à un
double point de vue : le progrès de l'enseignement moyen et la conciliation des
opinions divergentes.
J'ai déjà fait mention de l'opinion de
l'honorable M. Rogier, ministre de l'intérieur en 1834 ; un grand nombre
d'entre vous, messieurs, ignorent cette opinion, ils ne faisaient point partie
de la chambre à cette époque. Voici comment l'honorable ministre de l'intérieur
terminait l'exposé des motifs.
« Qu'il me soit permis, en terminant, d'adresser
ici, au nom du gouvernement, des remerciements publics aux deux commissions qui
lui ont prêté le secours de leurs lumières dans l'accomplissement de cette
tâche si difficile. Je regarderai toujours comme un des actes les plus heureux
de mon administration, le choix de la commission que j'ai proposée à Sa Majesté
! En résolvant avec des vues si conciliatrices et si sages, et avec une
constante unanimité des questions aussi délicates, en facilitant ainsi les
discussions ultérieures, en montrant à des opinions divergentes les moyens de
s'entendre et de se rapprocher, elle a rendu à la Belgique un service que tous
les amis du pays sauront apprécier,
« Nous espérons, messieurs, que le projet de loi
que nous avons l'honneur de vous présenter, assurera, s'il obtient votre
assentiment, les progrès de tous les degrés de l'instruction ; qu'il favorisera
l'extension des connaissances élémentaires et imprimera une activité nouvelle
aux études fortes dans leurs diverses directions. Puisse notre espoir se
réaliser ! Puisse la loi que vous adopterez être un gage de concorde intérieure
et la base d'une des plus belles gloires auxquelles les nations puissent
aspirer. »
Et c'est le projet qui a reçu un éloge si
complet de la part de l'honorable chef de l'opposition, c'est ce projet que
j'ai aidé moi-même à élaborer, qu'on me convie en quelque sorte à retirer,
avant tout examen, avant toute discussion. Il n'en sera rien, je resterai
conséquent avec mes antécédents ; ce que j'ai proposé en 1834, comme moyen de
conciliation, comme moyen de progrès de l'enseignement moyen, je le maintiens,
bien entendu que si, dans cette chambre, de nouveaux moyens de perfectionnement
de l'enseignement, d'autres vues de conciliation étaient indiquées à la suite
des discussions dans les sections et dans la section centrale, je serai heureux
de m'y associer.
Et qu'on ne dise pas que je cherche ici à me
mettre à couvert ; je ne me mets nullement à couvert ; j’accepte
personnellement comme ministre ce que j'ai accepté comme membre de la
commission. Ainsi, messieurs, je me rends l'éditeur responsable du projet de
1854.
Si la section centrale désire avoir des
communications avec le gouvernement, je n'hésiterai pas à me rendre à son
invitation ; si, au contraire, la section centrale croit devoir achever son travail
sans entendre le gouvernement, eh bien, le travail étant achevé, je viendrai
présenter immédiatement à la chambre les propositions auxquelles je croirai que
l'examen préparatoire des sections et de la section centrale aura donné
ouverture.
Mais, messieurs, je le déclare derechef, je ne
prendrai pas l'initiative pour écarter moi-même une œuvre que je suis fier et
glorieux d'avoir aidé à édifier, comme l'honorable M. Rogier l'était de la
composition de la commission.
Et quelle opinion aurait-on d'un gouvernement
qui, après avoir saisi la législature d'un projet aussi important, viendrait
lui-même prendre l'initiative d'une nouvelle proposition, alors qu'aucune vue
nouvelle n'a été indiquée dans les discussions préparatoires ? Messieurs, notre
dignité s'y oppose.
Je dirai que notre droit est de repousser la
motion de l'honorable M. d'Elhoungne. Le gouvernement a le droit d'exiger que
le projet dont il vous a saisis, soit examiné tel qu'il vous a été soumis. A
vous, messieurs, la liberté d'y proposer telles modifications que vous jugerez
utiles, et de les voter, nonobstant l'opposition du gouvernement, s'il ne s'y
associait pas de plein gré.
Conservons dans une question aussi importante le
mode d'examen consacré par le règlement ; maintenons encore intactes dans cette
circonstance les prérogatives de la Couronne, et que ce ne soit pas
l'opposition, qui, dans diverses circonstances, a voulu se montrer si jalouse
du maintien des prérogatives de la Couronne, que ce ne suit pas l'opposition,
dis-je, qui veuille ici, dans une discussion aussi solennelle, formuler un
nouvel empiétement. (Interruption.)
Oui, messieurs, refuser l'examen d'un projet de loi dont la chambre est saisie
par le gouvernement, c'est empiéter sur les droits de la Couronne, et à ce seul
titre, nous devrions, pour remplir notre mandat, refuser d'accepter une
pareille motion...
M. Rogier. - Je demande la parole.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Libre au gouvernement de prendre
l'initiative s'il le juge à propos, mais libre aussi au gouvernement de ne pas
répondre à une semblable invitation.
Nous avons déjà dit, dans une séance précédente,
que nous n'avions pas une opinion systématique ; tout ce que nous désirons,
c'est que la loi assure le progrès de l'enseignement moyen et qu'elle soit une
œuvre de conciliation entre les opinions qui divisent la chambre.
Plusieurs moyens se présentent à l'esprit pour
arriver à cette solution. Tout ce qui pourra conduire à ce double but, nous
sommes bien résolus de le proposer, si les circonstances l'exigent,
c'est-à-dire, si les observations faites dans le sein des sections et de la
section centrale font jaillir de nouvelles lumières.
Déjà nous avons indiqué qu'entre le système de
la centralisation et le système communal, nous pouvions laisser en quelque
sorte un libre choix à la chambre. En effet, dans l'un et l'autre système, les
progrès de l'enseignement peuvent être assurés, et il peut se trouver des
éléments d'une sage conciliation.
On a parlé de l'indépendance du pouvoir civil...
Dans quelle circonstance le gouvernement a-t-il abdiqué cette indépendance ?
Sur cette question, nous déclarons que nous
adoptons l'opinion de nos honorables collègues, quand ils ont dit que le défaut
de concours du clergé, son abstention ne serait pas non plus pour nous un motif
de fermeture d'un athénée ou d'un collège. Voilà, messieurs, la véritable
indépendance. Nous ajouterons aussi que nous désirons qu'il y ait entente entre
le gouvernement, les administrations communales et le clergé. Cette entente,
elle a été désirée par tous les membres de la commission de 1834 ; elle a été
désirée par le ministère de 1840 qui a déclaré solennellement dans cette
enceinte qu'il voulait que, dans l’enseignement moyen, les pères de famille
trouvassent toutes les garanties de religion et de moralité aussi bien que
d'instruction. Il a dit de plus, dans la discussion de l'adresse, que si les
dispositions du projet de 1834 étaient trouvées insuffisantes pour assurer ces
garanties, il était prêt à s'associer aux modifications qui pourraient être
présentées pour les rendre plus complètes Le ministère, dont le programme a été
refusé le 22 mars, n'a-t-il pas déclaré qu'il ferait tous ses efforts pour
amener, par les mesures administratives, l'entente entre l'autorité civile et
l'autorité religieuse ?
A quoi donc conduisent ces discussions si
irritantes ? Nous sommes d'accord sur le but et nous ne saurions pas trouver
dans notre esprit, dans notre cœur, dans notre conscience des moyens
d'exécution, des moyens d'entente ? Ah ! messieurs, ces doutes sont indignes de
l'assemblée dans laquelle nous avons l'honneur de siéger.
Messieurs, je passe à quelques autres points de
la discussion.
L'honorable M. Orts ne nous a pas su gré de ce
que nous avions fait directement pour la ville de Bruxelles et indirectement
pour l'université libre dont il est un des patrons. C'est là de l'ingratitude.
J'ose dire que c'est à moi personnellement que la ville de Bruxelles a le plus
d'obligations dans la solution de cette importante question.
J'en ai pris l'initiative ; la négociation a été
conduite par une commission que j'avais nommée et c'est au concours que j'ai
donné dans cette chambre qu'est dû le vote favorable. Qu'on vienne ensuite nous
reprocher d'avoir laissé à la ville de Louvain l'usage de certaines collections
pour l'université catholique ! Nous avions dépouillé cette ville d'une
université aux frais du gouvernement et nous eussions été jusqu'à enlever des
collections faites à frais communs ! Déjà cette ville avait été dépouillée
d'une portion considérable de sa magnifique bibliothèque dont une grande partie
est déposée dans les bibliothèques des universités de l'Etat. Mais l'université
libre n'a-t-elle pas eu accès également aux collections ? Le jardin botanique
soutenu par les fonds du trésor est-il fermé aux jeunes gens de l'université
libre ? Les fonctionnaires publics salariés par le trésor ne viennent-ils pas
au secours de cet établissement par les leçons qu'ils y donnent ? Ensuite, qu'a
obtenu la ville de Bruxelles a côté de ce modique avantage laissé à la ville de
Louvain et toujours révocable, car il n'y a pas abandon des collections, mais
seulement permission d'usage ? A côté de cela, la ville de Bruxelles
qu'a-t-elle obtenu ? Une rente de 300 mille francs à titre irrévocable. Cette
rente seule suffit pour doter largement quelque université que ce soit.
Oui, messieurs, si nous n'étions pas mus par des
sentiments plus élevés, si nous étions accessibles aux impressions si pénibles
que causent d'ordinaire les sentiments d'ingratitude, nous pourrions regretter
nos bienfaits.
Messieurs, on est encore revenu dans cette
discussion sur la défense du programme du 22 mars. Vous avez entendu hier la
lecture d'une lettre de l'honorable M. Delfosse. J'ai suivi attentivement cette
lecture ; j'ai relu encore cette lettre dans les journaux ; je persiste à dire
que ce programme renfermait implicitement une inconstitutionnalité. Nous y
trouvons toujours, malgré les dénégations de ses auteurs, que la prérogative
royale était engagée, qu'il fallait une promesse de la Royauté. C'est
précisément parce que la Royauté n'avait pas voulu faire usage de sa
prérogative qu'on demandait que le droit d'en faire usage fût abandonné à la
discrétion du ministère. Ce programme était un acte de défiance envers la
Couronne, un acte de défiance envers le parlement et un acte de défiance envers
les fonctionnaires public. C'est à-dire qu'au moment où l'on proclamait la
nécessité de rendre le pouvoir fort, on sapait la force du pouvoir, on portait
atteinte à l'honneur de nos institutions.
Voilà le résumé fidèle du programme.
On vient de nous citer l'exemple de lord Grey ;
mais quelle analogie y a-t-il entre cette situation et la nôtre ? Là il
s'agissait d'une réforme souvent discutée dans le parlement et toujours
rejetée, qu'on ne pouvait obtenir que par une dissolution du parlement. Quelle
comparaison peut-on établir (page 1164)
entre cette situation et celle que voulait se faire le ministère dont le programme
a été rejeté ? Aucune.
On a parlé d'irritation. Notre présence seule a
ce banc serait une cause d'irritation ! Ce qui cause l'irritation dans le pays,
ce sont les atteintes portées à nos institutions, ce sont les atteintes portées
à l'indépendance du pouvoir royal et du pouvoir parlementaire et à
l'indépendance des fonctionnaires publics, ce sont les moyens
inconstitutionnels d'absorption du pouvoir royal au profit d'un ministère qui
serait juge et partie dans nos grandes luttes politiques.
Comment ! quand vous aviez devant vous un
ministère mixte, vous l'accusiez d'être une cause d'irritation, vous disiez
qu'un ministère homogène aurait fait disparaître le profond dissentiment qui,
suivant l'opposition, affligeait le pays !
Mais,
messieurs, si nous ministre nous avions, étant dans la chambre comme simple
député, combattu la politique des ministères mixtes, si nous avions cherché par
nos efforts parlementaires à escalader le pouvoir au lieu de prêter un concours
bienveillant à un ministère mixte, nous pourrions être accusé d'ambition, nous
pourrions être accusé d'être la cause des difficultés de la situation. Mais il
n'en est rien. Notre plus grand désir a été, depuis notre sortie du pouvoir,
d'en rester éloigné et d'en être le simple contrôleur parlementaire. Si nous
n'avions pas obéi à un devoir et à un devoir impérieux que rien ne nous
autorisait à décliner, nous ne serions pas à ce banc.
M. Orts. - L'honorable ministre de l'intérieur m'a
accusé d'ingratitude, parce que j'ai fait la simple observation qu'en ne
désapprouvant pas la partie du budget provincial du Brabant qui comprenait un
subside en faveur de l'université de Bruxelles, il n'avait fait que son devoir.
Que s'il eût biffé cet article du budget provincial, on aurait, à juste titre,
interprété un pareil acte comme un acte d'hostilité envers la capitale. Je ne
vois donc dans ce que j'ai dit aucun motif qui justifie l'accusation
d'ingratitude.
Quant à l'autre fait, la convention avec la
ville de Bruxelles, je ne mérite pas davantage le reproche d'ingratitude pour
ce que j'ai dit à ce sujet, car je n'ai pas fait de reproche de ce chef à
l'honorable M. de Theux. Cet honorable ministre s'attribue toute la gloire du
vote de cette convention ; je sais que nous l'avons votée ensemble, mais je
sais aussi que si on a adopté certains amendements qui mettent la ville de
Bruxelles quant à son budget, dans une position toute différente de celle de
toutes les autres communes de la Belgique, c'est à l'honorable M. de Theux que
nous le devons. Je crois donc n'avoir rien dit d'offensant pour l'honorable
ministre de l'intérieur, et je ne méritais aucunement le reproche qu'il eût pu
se dispenser de m'adresser.
M. Castiau. - Messieurs, si je crois devoir prendre une seconde
fois la parole dans ces débats si longs et si complets, c'est pour répondre à
des accusations dirigées contre moi. Je prie donc la chambre de vouloir
m'accorder pendant quelques instants sa bienveillance et son attention.
Messieurs, j'ai été l'objet de graves
accusations dans ce débat. On m'a accusé d'avoir attaqué la Constitution ; on
m'a accusé d'avoir déclaré la Constitution une loi de réaction ; on m'a accusé
d'en avoir provoqué la réforme. Si nous n'étions pas dans une assemblée
législative, si nous n'avions pas à respecter ici et la loi des bienséances
sociales et les exigences non moins sévères du règlement, ma réponse serait
énergique et courte ; à toutes ces accusations je répondrais par un démenti !
Mais nous parlons en présence de la première
assemblée du pays et du public ; je me conformerai donc aux exigences de notre
règlement, et, m'exprimant en termes aussi parlementaires que possible, je
dirai à l'orateur qui m'a accusé, qu'il a dénaturé, odieusement dénaturé et ma
parole et me pensée.
Il n'est pas vrai que j'aie qualifié la
Constitution de loi de réaction ; il n'est pas vrai que j'aie demandé la
réforme de la Constitution. J'en appelle à vos souvenirs, messieurs. Qu'ai-je
fait ? J’ai examiné, j'ai critiqué avec quelque vivacité si on veut, une seule
disposition de la Constitution, celle relative au renouvellement partiel des
chambres ; j'ai signalé les inconvénients de ce système ; j'ai dit qu'il avait
pour effet de créer seulement des manifestations partielles et tronquées de
l'opinion publique ; j'ai prétendu qu'avec ce système on avait des élections
provinciales et locales et jamais des élections nationales, et que ce système
pourrait bien être pour quelque chose dans le divorce qui existe maintenant
entre la majorité de la chambre et le pays.
Que mon accusateur se rassure. Je respecte,
autant que lui la Constitution ; mais ce respect chez moi ne va pas jusqu'au
fétichisme. Je crois que, tout en respectant la Constitution, on peut en
examiner et critiquer les dispositions. Ce n'est, après tout, que l'usage d'un
droit constitutionnel, puisque la Constitution elle-même prévoit la révision de
ses dispositions ; elle en autorise conséquemment l'examen et la critique.
Que l'honorable orateur auquel je réponds, m'ait
adressé ce reproche ; qu'il me l'ait adressé avec quelque aigreur, avec quelque
amertume, je le conçois.
Que, dans le but peut-être de donner plus de
poids à ses accusations, il ait distrait de son discours inséré au Moniteur de
samedi, cette espèce de réquisitoire, pour le faire passer avec plus d'apparat
dans le Moniteur du dimanche, je le conçois encore !
Que pour renforcer encore ses accusations de
crime de lèse-constitution, il ait cru devoir souligner chacun des méfaits
politiques qu'il m'attribuait, qu'il ait cru devoir m'accuser en caractère
italiens ou italiques, je le conçois encore !
Vous comprenez parfaitement qu'entre l'honorable
député de Turnhout et moi, il ne doit pas y avoir une bien vive sympathie
politique. Je ne puis oublier que l'honorable membre était membre du comité de
constitution. Peut-être même était-il l'auteur de la disposition que j'ai
critiquée. Je n'ai pas cru à son infaillibilité. Inde irae. Je conçois tout
cela, je le répète, et ne m'en étonne point.
Mais que les mêmes accusations et les mêmes reproches
m'aient été adressés par un autre orateur, par M. le ministre des affaires
étrangères, voilà qui doit me surprendre. J'aurais attaqué une disposition
parfaitement insignifiante de la Constitution, mais M. le ministre, lui, aurait
protesté contre le principe même de la Constitution, le principe monarchique.
Comment, en effet, a-t-il débuté sur la scène politique ? C'est, paraît-il, aux
cris de : « Vive la république ! » M. Dechamps (l'honorable M.
Fleussu vous l'a dit) a débuté comme publiciste par une brochure en faveur des
institutions républicaines.
M. Rodenbach. Bah ! il
était tout jeune ; il sortait du collège.
M. Castiau. - S'il était jeune alors, il a singulièrement
vieilli depuis par son passage aux affaires. Les calculs du pouvoir n'avaient
pas alors altéré la générosité de ses premières inspirations et, dans son
intérêt comme dans le nôtre, j'en suis à regretter qu'il ne soit pas resté
fidèle à des doctrines dont on pouvait peut-être attaquer l'exagération, mais
qui prouvaient l'ardeur désintéressée de ses premières convictions.
Ces doctrines républicaines, dont il était alors
le représentant, faisaient battre son cœur avec tant d'énergie qu'il ne se
contentait pas d'écrire des brochures en faveur de la république ; il était
encore l'un des principaux rédacteurs d'un journal qui paraît avoir suivi dans
toutes ses phases la fortune politique de M. Dechamps, l'Emancipation. On se
rappelle encore à quelle verve de républicanisme ce journal s'était laissé
emporter sous les auspices du jeune publiciste.
Et, qu'on me pardonne cette indiscrétion, il
paraît même, on me l'assurait ce matin encore, que l'honorable ministre ne se
contentait pas de défendre la république en prose ; il la défendait encore en
vers. L'honorable M. Dechamps serait, en effet, l'auteur d'un chant
républicain, et sa poésie républicaine était cent fois plus ardente et plus
enthousiaste que sa prose, m'a-t-on dit. Aussi, pour en juger, viens-je
l'engager à mettre et sa poésie et sa prose républicaine sous les yeux de la
chambre.
Maintenant l'honorable M. Dechamps est converti
au culte monarchique et constitutionnel. C'est la ferveur d'un néophyte ; c'est
encore de l'exaltation, c'est presque du fanatisme. L'honorable M. Dechamps
parle sans cesse et dans des termes chaleureux et inspirés, de son respect et
de son amour pour la Constitution ; c'est très bien ; mais je voudrais qu'il en
parlât un peu moins, et qu'il respectât davantage notre Constitution ; car tous
les actes que je lui ai reprochés dans une précédente séance, toutes les
atteintes qu'il a portées à nos institutions et à nos libertés, sont autant de
mutations, si ce n'est du texte, du moins de l'esprit et des tendances de la
Constitution.
En faisant le relevé de ses votes, j'ai dit que
tous ces actes étaient des actes réactionnaires ; j'ai ajouté que tous ceux qui
y avaient pris part avec lui étaient des hommes réactionnaires. Cette
qualification a mal sonné, très mal sonné, paraît-il, aux oreilles de M.
d'Huart.
M. d'Huart ne veut pas de la qualification de
réactionnaire ; il la repousse ; il nous la lance à la tête. Il nous l'a
rejetée, cette qualification de réactionnaire avec cette modération de formes,
cette urbanité de langage, cette convenance d'expressions dont il possède
l'heureux secret et que nous nous plaisons à admirer en lui.
M. d’Huart prononce quelques mots qui ne parviennent pas jusqu'à
nous.
M. Castiau. - J'engage l'honorable membre à garder le silence ;
il me répondra s'il le juge convenable.
Pourquoi d'ailleurs cette qualification de
réactionnaire excite-t-elle tant sa susceptibilité ?
Mais il y a réactionnaires et réactionnaires. Il
y a les réactionnaires de bonne foi et les réactionnaires hypocrites.
Les réactionnaires de bonne foi, à eux mon
estime comme à toutes les opinions consciencieuses ; car je conçois
parfaitement, avec mes idées de tolérance, que l'on soit réactionnaire,
c'est-à-dire attaché au culte des traditions et du passé ; n'est-ce pas là que
se trouvent le prestige, la magie des souvenirs, qui parlent souvent au cœur
aussi vivement que l'expérience ? Je conçois surtout qu'en voyant les
tourmentes douloureuses qui ébranlent nos sociétés modernes, leur marche
tumultueuse vers un avenir inconnu, je conçois qu'en présence des ruines
entassées de toutes parts autour de nous par l'énergie révolutionnaire, on se
surprenne à regretter le passé et qu'on en agite la cendre pour en faire
jaillir quelque étincelle de vie. Je conçois donc parfaitement, je le répète,
tous les appels au passé, et quand ils sont le résultat de convictions
consciencieuses, les hommes courageux de qui ils émanent ont droit à notre
estime, j'allais presque dire à nos sympathies.
Mais il est des réactionnaires pour lesquels je
suis sans estime et sans sympathie. Ce sont les réactionnaires hypocrites ; ce
sont les sycophantes politiques ; ce sont tous ces hommes sans convictions ou
plutôt à convictions si mobiles, qu'ils en changent en quelque sorte comme de
vêtement, selon l'intérêt du jour. Ce sont ces spéculateurs politiques qu'on
voit si souvent faire de leurs opinions métier et marchandise.
Ce sont ces hommes qui sont aujourd'hui des
furieux de modération, comme ils étaient, il y a quelques années, des furieux
de libéralisme. Si le libéralisme revenait au pouvoir, ils reprendraient avec
empressement leur défroque libérale et redeviendraient encore des furieux de
libéralisme. Ces hommes sont l'embarras de tous les partis ! Si je n'avais
pas abusé de la (page 1165)
permission de faire des citations littéraires, j'appliquerais à ces hommes la
moralité d'une fable bien connue de la Fontaine. Je me contenterai donc d'en
appeler à vos souvenirs et vous laisserai le soin, messieurs, de faire
vous-mêmes cette application.
J'abandonne, il en est temps, ces questions
personnelles pour en venir à la grande question qui domine le débat,
l'existence et le caractère du nouveau ministère.
Dans mon premier discours, j'ai dit, messieurs,
que le ministère n'avait pas besoin de programme, parce que son programme était
écrit dans tous ses précédents et qu'il le portait au front en quelque sorte.
Ce programme, c'est réaction, réaction et toujours réaction ; réaction pour le
passé, réaction pour le présent, réaction pour l'avenir.
Quand j'ai développé devant vous la série des
actes réactionnaires qui justifiaient ces accusations, à quel moyen de
justification le ministère a-t-il eu recours ? Il en a appelé à la majorité.
« Prenez garde ! » s'est écrié l'honorable M. Malou, c'est la
majorité que vous attaquez, cette majorité si pure, cette majorité immaculée,
qui a défendu successivement tous les ministères, jusqu'au ministère libéral de
1840, cette majorité qui n'a oublié son ministérialisme qu'un seul jour, le
jour où elle a renversé l'honorable M. de Theux du banc ministériel.
Vous attaquez la majorité ! Quel crime !
Qu'est-ce donc que cette inviolable majorité ? De qui se compose-t-elle ? Quels
étaient ses chefs ? N'étaient-ce pas les mêmes membres qui me reprochent de
l'attaquer ? N'étaient-ce pas les honorables MM. Dechamps, Malou et de Theux
qui en étaient les orateurs et les conseils ?
Ainsi quand ils me disent : « Vous attaquez
la majorité », quand ils en appellent à la puissance de la majorité, ce sont
MM. Dechamps, Malou et de Theux, ministres, qui en appellent à MM. Dechamps,
Malou et de Theux représentants. Quelle logique ou plutôt quelle comédie !
L'honorable M. de Theux, je le reconnais, a eu,
lui, plus de courage. Il n'a pas craint de vous présenter la justification de
ses actes et de ses votes ; cette justification, c'est l'apologie la plus
complète de tout le système réactionnaire. Jugez-en, messieurs.
A l'occasion de la loi qui a étendu à huit
années la durée du mandat des conseillers communaux, lui réactionnaire, lui
hostile aux prérogatives des communes, si jamais il en fut, il a été jusqu'à
vous dire que cette loi était un bienfait pour les communes ; qu'elle avait eu
l'heureux effet d'éloigner d'elles les occasions et les époques d'agitation !
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Cela est vrai.
M. Castiau. - L'honorable ministre maintient l'énoncé de ce
principe, c'est chez lui une conviction enracinée, indestructible ; j’en suis
aise, car cette pensée dans laquelle il persiste, c'est tout son programme,
c'est la pensée qui anime et inspire toute la politique réactionnaire, dont il
est ici le représentant et le chef.
Jugez du respect, des sympathies du parti
réactionnaire pour nos institutions politiques, et nos formes et nos garanties
constitutionnelles !
Vous l'avez entendu, messieurs, la réélection
des conseillers communaux : agitation !
La réunion des citoyens pour choisir les hommes
chargés de veiller aux intérêts communs : agitation !
Tous les actes de la vie politique et électorale
: agitation !
La réunion des électeurs pour les élections
provinciales : agitation ! agitation !
La réunion des électeurs pour les élections des
membres des chambres : agitation ! agitation arrivée à son paroxysme.
Agitation, agitation partout ! Et en dehors des élections, que de causes
d'agitation encore !
La liberté de la presse, quel plus terrible
levier d'agitation ?
Les associations, les associations libérales qui
vont couvrir le pays, quel effrayant cortège d'agitations elles vont traîner à
leur suite ! Enfin le gouvernement représentatif tout entier, quel foyer
d'agitations populaires !
Eh bien ! que l'honorable membre qui a mission
de comprimer toutes les agitations veuille bien compléter la série des
bienfaits dont il vient combler le pays ; il a déjà faussé et corrompu les
institutions communales ; qu'il achève hardiment l'œuvre de la réaction ; qu'il
attaque au cœur toutes ces causes d'agitations ; qu'il mutile, ou plutôt qu'il
supprime les élections provinciales, les élections pour les chambres, la
liberté de la presse, la liberté d'association, le gouvernement représentatif
tout entier enfin. L'agitation disparaîtra, et sur les ruines du gouvernement
représentatif, nous verrons s'élever le gouvernement tout paternel du
triumvirat catholique, et nous pourrons jouir, sous l'égide de cette nouvelle
aristocratie, des douceurs du sommeil et des douceurs de l'immobilité ; nous
pourrons alors répéter avec le poêle latin :
Deus nobis haec otia fecit.
Mais rendons à ces débats leur gravité ; la
plaisanterie ne doit plus être de mise quand il s'agit de l'existence même de
toutes nos institutions constitutionnelles.
Je vous ai dit le passé des hommes qui sont au
pouvoir ; ont-ils combattu les préventions et l'impopularité qui les y
poursuivent ? Quelle garantie d'avenir nous ont-ils donnée ? On vous l'a dit,
de vagues et fastueuses protestations, de ces généralités banales qui traînent
depuis quinze ans sur les bancs ministériels.
Ils se sont de nouveau répandus en paroles de
conciliation, s'octroyant généreusement à eux-mêmes des certificats de loyauté,
de modération, d'impartialité ; j'ai vu le moment où ils en seraient arrives au
certificat de moralité, de vertu et d'innocence. Que de paroles ! que de
déclamations !
Mais les engagements et les actes, où sont-ils ?
Quelles garanties a-t-il promises à l'opinion libérale ? A-t-il indiqué une
mesure, une seule mesure qui annonçât la fin de la réaction qui déborde depuis
tant d'années sur le pays ?
Non, et je sais gré au ministère de ce silence.
S'ils nous avaient présenté un programme
d'améliorations populaires et libérales, je le dis à regret, mais je n'y aurais
pas cru. Je n'aurais pu partager à cet égard la confiance d'un honorable membre
qui siège sur nos bancs. Je n'y aurais pas cru, car je me rappelle ce que
disait Royer-Collard du parti réactionnaire français : « Je ne lui demande pas
(disait-il) ce qu'il veut, où il va ; car ce parti ferait ce qu'il fera
toujours, il mentirait ! »
Il mentirait, messieurs. Rappelez-vous ces
paroles.
Voilà pourquoi nous repoussons l'administration
actuelle ; nous la repoussons, parce que nous croyons que ce sera une
administration de mensonge et d'hypocrisie ; nous la repoussons, parce que les
nouveaux ministres ne sont que des personnes interposées ; nous la repoussons
enfin, parce que derrière nos ministres se traîne et se cache ce pouvoir
occulte qui, depuis quinze ans, a travaillé avec une infatigable persévérance à
exploiter la société et qui, après s'être imposé à la royauté et aux chambres,
entend maintenant asservir le pays tout entier.
Ce pouvoir occulte, son existence et son
influence, on les a niées dans cette discussion. Il n'y a qu'un instant encore
M. le ministre des finances en plaisantait fort agréablement. C'est là un
misérable préjugé, s'il faut l'en croire ; c'est un rêve, une calomnie de
l'opposition pour discréditer le pouvoir.
Et c'est en présence des scandales dont nous
avons été les témoins qu'on ose tenir ce langage !
On persiste à nier aujourd'hui encore
l'influence de ce pouvoir occulte et hier encore vous voyiez se dérouler devant
vous toutes les turpitudes de. l'affaire Retsin.
Rassurez-vous, messieurs, je ne viens pas vous
occuper maintenant de cette déplorable affaire. Je ne veux pas remuer la fange
qui la couvre. Je n'en dirai qu'un mot. Des accusations et les accusations les
plus flétrissantes ont été adressées hier à M. le ministre de la justice ; des
accusations qui doivent faire monter la colère au cœur et la rougeur au front ;
car on a attaqué non seulement la probité politique de M. le ministre, mais on
a attaqué sa probité, son honnêteté privée. Il a tenté une froide
justification. Il n'était qu'un moyen, qu'un seul moyen de se justifier,
c'était d'accepter l'enquête et de confier ainsi à la chambre et au pays le
soin de prononcer entre son inexorable accusateur et lui.
On s'étonne de l'importance qu'on a donnée à
cette affaire et de tout le bruit qu'on en a fait. C'est une méprisable affaire
qui n'est pas digne d'occuper la chambre pendant cinq minutes, vous disait-on.
Oh ! je conçois l’intérêt que vous aviez à l'étouffer. Cette misérable affaire,
c'est la personnification du système que vous venez représenter au pouvoir.
Retsin, son hypocrisie, son avancement et les scandaleuses faveurs dont il est
l'objet, c'est la révélation la plus énergique de ce pouvoir occulte que nous
dénonçons à l'indignation du pays. C'est un fait isolé qu'un hasard
providentiel en quelque sorte a mis en évidence. Oh ! si l'on pouvait pénétrer
les mystères de toutes les administrations, si l'on pouvait compulser leurs
cartons et y saisir tous les secrets honteux qui y sont déposés, vous
reculeriez, messieurs, devant mille preuves de l'influence souveraine de ce
pouvoir occulte, qui pousse de son bras le gouvernement tout entier,
l'enchaîne, l'absorbe et lui dicte audacieusement ses volontés et ses lois.
Voilà, messieurs, où nous en sommes. Retsin,
c'est l'incarnation de tout un système de mensonge et d'hypocrisie. C'est
Tartufe qui ressuscite, mais le Tartufe du XIXème siècle, Tartufe avec un
nouveau perfectionnement d'hypocrisie. Voilà les hommes que l'on protège
aujourd'hui, voilà les hommes que le pouvoir occulte fait arriver à tous les
avantages et à toutes les faveurs. Aujourd'hui, comme du temps de Molière, il
n'y a de protection, de chances d'avancement que pour ceux qui
Font de dévotion métier et marchandise
Et veulent acheter crédit et dignités
A prix de faux clins d'yeux et d'élans affectés.
Voilà sous quels auspices a été inaugurée la
morale administration qui nous gouverne.
Voulez-vous maintenant connaître sa tolérance ?
Rappelez-vous un fait dont retentissait la presse il y a quelques jours encore.
Il se trouvait à Mons, dans le régiment du génie, deux jeunes officiers, hommes
de cœur, de capacité et de zèle. Un brillant avenir s'ouvrait devant eux ; on
les a frappés d'une destitution humiliante, pour avoir défendu les droits de la
liberté religieuse, pour avoir revendiqué le droit constitutionnel de
s'abstenir de toute espèce de concours à des actes du culte.
Je désire que le gouvernement s'explique sur ce
fait, j'espère qu'il le fera. Je l'espère, à moins que M. le ministre de la
guerre ne soit encore à réfléchir, comme il paraît le faire depuis huit jours,
sur le droit assez douteux, paraît-il, qu'il aurait de prendre la parole dans
cette assemblée comme ministre du Roi.
Ainsi réaction et intolérance, hypocrisie
politique, et hypocrisie religieuse, voilà le programme du nouveau ministère.
Pensez-vous, je vous le demande, qu'un pareil système puisse régner longtemps
et impunément sur notre pays ? Mais si ce système pouvait triompher, si pendant
deux ans seulement il pouvait gouverner, exploiter, démoraliser le pays, mais
la Belgique deviendrait pour les autres peuples un objet de ridicule et de
mépris.
Loin, bien loin de moi la pensée de faire
retomber mes attaques et mes accusations sur toute une opinion, sur toute
l'opinion catholique ! Loin de moi l'injuste pensée de la rendre tout entière
solidaire de ces excès et de prétendre qu'elle est tout entière en état de
conspiration permanente (page 1166)
contre nos institutions, contre nos droits et contre nos libertés. Oh !
non. II y a de nombreuses et d'honorables exceptions. Il y a dans les rangs de
cette opinion des hommes jeunes de cœur, de sentiments, d'idées, qui sont avec
nous, qui ont brisé avec le passé, qui vivent de la vie de leur siècle et qui
se passionnent aux nobles inspirations de la liberté. Honneur à eux, car ils ne
font, après tout, que continuer la tradition chrétienne ! Qu'est-ce, en effet,
que le libéralisme, qu'est-ce le triomphe de toutes les idées d'émancipation,
d'égalité, de fraternité, si ce n'est l'avènement du christianisme dans l'ordre
politique !
Mais à la suite de ce jeune catholicisme, du
catholicisme libéral et progressif, se traîne le vieux parti réactionnaire ; ce
parti n'a rien appris et n'a rien oublié. Il est tout entier à ses préjugés et
à ses haines. Il vit en dehors du siècle et du mouvement des esprits. Il en est
encore à croire à la loi de l'immobilité, pour le monde physique comme pour le
monde intellectuel et moral. II calomnie la Providence, car il nie le progrès
et il accuse la liberté. La liberté, c'est pour lui une fille de l'enfer, la
liberté le plus grand bienfait de Dieu sur la terre.
C'est ce parti aveugle et incorrigible qui
relève les échafauds en Italie pour y faire monter d'autres martyrs, les
martyrs de la liberté. C'est lui qui, oubliant sa mission et le patronage qu'il
doit aux opprimés, fait cause commune avec les oppresseurs des peuples. C'est
lui qui, à deux reprises différentes, n'a pas craint d'écraser, de fouler aux
pieds la malheureuse, l'héroïque Pologne. C'est lui enfin qui, oubliant que
toutes les inspirations de liberté sont des inspirations de Dieu, lance ses
anathèmes et ses foudres sur toutes les libertés.
Qu'importe ? ce sont là des faits qui nous sont
étrangers, nous dit M. le ministre des affaires extérieures ; ce sont là des
faits « romains ». Des faits romains ! Qu'est-ce à dire ? N'existe-t-il
donc aucun lien entre Rome et la Belgique, entre Rome et notre triumvirat
catholique ? M. Dechamps se préparerait-il déjà à traiter la papauté comme il a
traité la république ?
Ces faits romains, vous oubliez donc qu'ils ont
eu leur contrecoup et leur imitation dans ce pays ? Je regrette de devoir
rappeler ici des souvenirs irritants ; mais puisqu'on nous a accusés, nous
libéraux, de ne pas vouloir des libertés et que vous avez prétendu que votre
parti était le parti de toutes les libertés, de toutes les libertés sans
exception, il nous est bien permis de rechercher ce qu'est ce libéralisme dont
vous faites tant de bruit et d'étalage.
En 1814, messieurs, je ne reculerai pas au-delà,
la loi fondamentale avait été rejetée par nos adversaires. Savez-vous pourquoi
? Parce que le parti de toutes les libertés ne voulait pas même de la première,
de la plus sacrée de toutes les libertés, de la liberté des cultes. En 1830, on
tenait, il est vrai, un autre langage ; on réclamait la liberté, on la
réclamait parce qu'on venait de sentir de poids de l'oppression. Mais libre à
peine, on est revenu à ses vieux instincts, à ses instincts de haine pour la
liberté et les institutions libérales ; et pendant que, dans cette enceinte, on
s'efforçait d'amoindrir, d'effacer et de supprimer ces institutions, en dehors
on publiait contre toutes nos libertés des mandements qui n'étaient que la
reproduction des principes des encycliques romaines.
Je regrette vivement, messieurs, de devoir
parler ici de mandements et d'encycliques, et de mêler ainsi une question
religieuse à une question politique. Je le regrette, car, en le faisant, je
froisse sans doute la susceptibilité de quelques honorables collègues. Mais à
qui la faute si, à chaque pas, les questions et les intérêts religieux viennent
se mêler à nos débats ? La faute en est à ceux qui n'ont pas voulu de la
séparation des pouvoirs et qui ont rêvé la conquête de leur vieille suprématie.
La faute en est à ceux qui, mêlant les intérêts religieux aux intérêts
politiques, se sont fait de la religion un moyen d'assurer le triomphe de leurs
projets d'envahissement.
La faute en est à ceux qui ont déserté les
temples pour descendre sur la place publique. La faute en est à ceux qui se
sont présentés dans l'arène des passions pour nous combattre, non comme
citoyens et avec des armes constitutionnelles, mais comme prêtres, avec les
attributs du sacerdoce et les moyens d'influence religieuse. La faute en est à
ceux qui, pour fanatiser les populations et les soulever contre nous, ont eu recours,
à chaque élection, à des mandements ou des expositions du Saint-Sacrement. La
faute en est à ceux qui, en mêlant ainsi les choses saintes à leurs passions
politiques, ont commis une véritable profanation, un impardonnable sacrilège.
Et maintenant vous parlez de notre
intolérance ! Vous vous plaignez d'être victimes de l'ostracisme ! Nous
sommes des prescripteurs ! Mais, j'en appelle à vos consciences : quels sont
ceux qui les premiers ont brisé le pacte de l'union ? Qui donc nous a jeté le
défi ? Qui a déclaré qu'il fallait vaincre le libéralisme en masse ? Qui,
réalisant cette menace, a cherché, dans cette enceinte et en dehors, par les
moyens légaux et les influences occultes, à frapper de proscription le
libéralisme, les hommes et les choses du libéralisme ? C'est vous et le parti
réactionnaire. Et maintenant vous vous étonnez qu'on ait répondu à vos défis et
à vos attaques ! Vous pensiez donc, en frappant la société nouvelle, frapper
sur un cadavre ! Souffrez maintenant la loi que vous avez faite. Vous avez semé
les orages, ne vous étonnez pas de vous trouver au milieu des tempêtes. Le
libéralisme vous a promis sa générosité ; mais c'est après la victoire.
Jusque-là guerre, guerre acharnée, mais guerre franche, loyale et
patriotique !
Et pendant que vous vous plaignez de
l'ostracisme, vous annoncez fièrement que vous représentez le pays !
Vous représentez le pays, vous qui n'êtes que
les instruments et les instruments aveugles du pouvoir occulte qui exploite la
Belgique. Vous représentez le pays, vous qui avez adopté toutes les lois
réactionnaires, vous qui êtes les complices de toutes les atteintes portées à
nos libertés, vous qui avez violé nos franchises communales et nos franchises
électorales, vous qui eussiez volé l'odieuse mainmorte ! Vous représentez le
pays vous, M. de Theux qui en 1830, avez préside à la honteuse jonglerie qui
nous a rendus la risée des autres peuples et qui, en 1840, avez scandaleusement
violé la loi dans l'intérêt de la trahison ! Ah ! s'il en était ainsi, il
faudrait à tout jamais désespérer de la liberté, de la civilisation, de la
nationalité elle-même.
Vous représentez le pays ! Et les hommes de
talent et d'intelligence qui se trouvent au sein du ministère, ces hommes qui,
je le reconnais, eussent pu rendre d'utiles services au pays, s'ils avaient
voulu défendre la cause de la liberté et du progrès, ont répudié cette noble
mission. Ils se sont voués corps et âme, aux intérêts, aux exigences de la
réaction ; ce sont maintenant des rétrogrades incorrigibles ; ce sont eux qui,
suivant l'expression du poète :
Au char de la raison attelés par derrière,
Veulent à reculons l'enfoncer dans l'ornière.
Vous représentez le pays ! et le pays
intelligent vous repousse. Vous êtes chassés, honteusement chassés de toutes
les villes de quelque importance, et vous êtes réduits à aller vous cacher dans
quelque obscur bourg pourri. Dans votre aveuglement, au lieu de vous épouvanter
de l'hostilité des villes, vous cherchez à la justifier ; vous la trouvez
régulière et normale ; les grandes villes, dites-vous, sont d'habitude avec
l'opposition. Hommes imprudents, ; déjà vous avez oublié les faits
contemporains et les grandes leçons dont vous avez été les témoins ! Vous avez
oublié ce qu'est, ce que peut être le mécontentement des villes. Vous avez
oublié qu'en 1830 deux villes, Paris et Bruxelles, ont produit deux
révolutions ! Vous avez oublié qu'il a suffi d'une étincelle dans la ville
où vous siégez en ce moment, pour allumer l'incendie et pousser le peuple à
briser un gouvernement et une dynastie !
Vous représentez le pays ! et vous n'êtes ici
qu'à l'aide d'une véritable surprise et d'une sorte d'escamotage politique. Il
vous a fallu pour cela établir en faveur des campagnes le privilège du double
et du triple vote, et prétendre que l'électeur campagnard qui ne sait ni lire
ni écrire, est trois fois plus intelligent que la population libérale et
progressive des villes. Là est tout le secret de votre puissance d'emprunt et
de vos triomphes d'un jour. Aussi, si l'on se rendait au vœu public, si l'on
faisait cesser un déplorable contre-sens, si l'on réalisait cette réforme
électorale dont le nom seul vous exaspère, si l'on abaissait le cens des villes
au niveau de celui des campagnes, et si l'on doublait ainsi le nombre si
restreint de nos électeurs, c'en serait fait à tout jamais de vous et da votre
parti. Le champ de bataille électoral serait couvert de vos cadavres,
passez-moi la métaphore, et c'est à peine s'il resterait de ce grand désastre
quelques-uns de vos amis pour venir prononcer dans cette enceinte votre oraison
funèbre.
Vous représentez le pays ! et déjà le
système de privilège et de réaction que vous avez introduit dans nos
institutions électorales ne suffit plus pour vous protéger ; il faut, pour
prolonger de quelques jours votre agonie, que vous veniez en solliciteurs,
honteusement mendier la protection du pouvoir. Vos orateurs ont eu la franchise
d'en convenir dans cette enceinte ; s'ils ont soutenu la déplorable
administration de M. Nothomb, c'est parce qu'il avait empêché la dissolution,
et mis, pour les élections, toutes les influences du gouvernement à la
disposition du parti réactionnaire. Que le bras du pouvoir se retire de vous et
vous disparaissez de la scène politique. Pour entrer ici maintenant, vous êtes
condamnés à vous agenouiller devant le pouvoir et à prendre la livrée
ministérielle.
Vous représentez le pays ! Et aujourd'hui vous
êtes les maîtres du pouvoir ; vous régnez et vous gouvernez ; vous disposez de
toutes les influences du pouvoir et vous pouvez peser de tout le poids du
pouvoir sur les élections. Eh bien ! malgré cet immense avantage, vous avez
peur des élections et vous avez peur du pays. Vous n'oseriez prononcer la
dissolution des chambres ; nous vous en portons le défi formel.
Et ne venez pas dire hypocritement que si vous
vous effrayez de la dissolution, c'est pour ne pas livrer le pays à de
nouvelles agitations politiques. Vous craignez l'agitation politique, et votre
nom seul, ainsi qu'on le disait tout à l'heure, est un drapeau d'agitation ;
votre présence au pouvoir suffit pour soulever les passions populaires. Vous
craignez l'agitation d'une dissolution et l'agitation toute légale des
élections ! Mais s'il fallait, pour maintenir à tout jamais votre domination,
s'il fallait révolutionner le pays, s'il fallait le révolutionner vingt fois,
vous n'hésiteriez pas ! (Exclamations et
interruption.)
M. le président. - Je dois faire remarquer à l'orateur qu'il n'a pas
le droit de supposer à ses adversaires de telles intentions. Le règlement
défend d'attaquer les intentions, et les intentions qu'il suppose à ses
adversaires seraient des intentions criminelles.
M. Castiau. - Je connais le règlement et je suis prêt à le respecter.
Je prétends seulement que la disposition qu'on m'oppose protège les membres de
la chambre seuls et non les ministres. Quant à ceux-ci, ils nous appartiennent
; nous pouvons attaquer eux, leurs actes, leurs intentions et leur moralité. La
prérogative parlementaire s'étend même jusqu'à la mise en accusation d'un
ministère. Je crois être resté dans les limites de mon droit ; je déclare
maintenir la phrase qui a provoqué l'interruption et je continue.
Et la situation dans laquelle nous nous
trouvons, qu'est-elle donc autre chose qu'une cause permanente d'agitations et
d'irritation ? Agitation par suite de l'entrée au pouvoir du nom le plus
impopulaire du pays, agitation par suite de la position des partis dans les
chambres, agitation partout enfin. Il n'y a en ce moment ni paix ni trêve
possible. Nous sommes ici divisés en deux camps de forces à peu près égales.
Quelques jours encore et il n'y aura plus de gouvernement possible. Enfermés
dans cette impasse, que feraient des ministres courageux et loyaux ? Ils en
appelleraient à l'instant même au jugement du pays qui seul peut trancher ce
redoutable procès. Eh bien ! la seule annonce d'une dissolution vous
trouble la (page 1167) tête et vous
donnerait presque des convulsions. Ah ! oui, vous avez bien le sentiment de
votre impopularité. Cette dissolution qui seule pourrait mettre un terme aux
dangers de la situation, vous n'oseriez la prononcer ; nous vous en défions
pour la deuxième fois. Vous n'oseriez la prononcer parce que l'appel au pays,
non pas l'appel incomplet des élections fractionnées, mais l'appel à tous les
électeurs, cet appel, en ce moment, serait votre arrêt de mort.
En écartant la dissolution, vous espérez
prolonger encore de quelques jours une misérable existence, et alors vous croyez
pouvoir braver nos prédictions. A nos prédictions de mort vous opposez avec
jactance la liste de vos succès parlementaires et le dénombrement des voix qui
vous ont soutenus jusqu'ici dans cette enceinte. Vous êtes devenus des esprits
forts, paraît-il ; vous ne croyez plus aux prophéties. Eh bien ! si vous ne
croyez plus aux prophéties, vous croirez peut-être aux événements et aux faits
accomplis. Ecoutez donc quelques mots encore. Ma péroraison ne sera pas sans
doute du goût de l'honorable M. Malou, car je vais faire apparaître une
dernière fois encore l'inévitable révolution ; mais enfin, si j'en parle, c'est
que je crois en mon âme et conscience que le nouveau ministère la porte dans
ses flancs.
La guerre qui nous divise ici en deux camps, les
libéraux et les catholiques, cette guerre que vous croyez pouvoir nier quand,
ainsi qu'on vous l’a dit, elle agite tout le pays, depuis la ville la plus
importante jusqu'au plus obscur hameau, celle guerre n'existe pas seulement en
Belgique. ; à l'heure qu'il est, elle se retrouve dans tous les pays, c'est une
véritable question européenne. Elle existait en France, cette lutte, dans toute
son ardeur en 1825. Le parti réactionnaire français poursuivait le même but que
le parti réactionnaire belge et il était aussi impopulaire que lui. Il était
profondément impopulaire, non pas parce qu'il étail le parti de l'étranger,
ainsi que l'a dit M. le ministre des affaires étrangères, il était impopulaire
parce qu'il était l'instrument du jésuitisme politique et religieux et parce
qu'il avait étendu sur la France entière le joug de cette congrégation qui
avait son représentant jusque sur le trône. Armé du pouvoir, il sut également
s'imposer au pays ; il était parvenu par la corruption à obtenir au sein des
chambres d'immenses majorités. Vous n'êtes que dix ! s'écriait-il dans
l'ivresse de son triomphe, en bravant insolemment la faible opposition
libérale, qui était restée dans les chambres. Oui, nous ne sommes que dix dans
cette enceinte, répondit le général Foy, mais en dehors de celle enceinte nous
avons derrière nous trente millions de Français ; et malheur à vous !
C'est aussi par des éclats de rire et des
sarcasmes qu'on répondait à ces énergiques, à ces prophétiques paroles.
Qu'est-il arrivé cependant ? Cette faible opposition de dix membres en 1826,
était devenue en 1829 la fameuse opposition des 221 et, en 1830, messieurs, en
1830, le peuple, les 30 millions de Français se levaient comme un seul homme et
brisaient en trois jours une dynastie de cinq siècles.
Voilà,
MM. les réactionnaires, non plus des prophéties, mais les leçons de l'histoire
contemporaine. Permis à vous de les braver, d'avoir des yeux pour ne pas voir
et des oreilles pour ne pas entendre ; permis à vous de nier le danger et de
courir tête baissée vers l'abîme qui est à vos pieds. Nous avons rempli notre
devoir ; nous vous avons avertis, nous avons averti le pays. Que la
responsabilité des dangers, des malheurs que vous allez appeler sur la
Belgique, retombe sur vous et sur votre parti !...
M. d’Huart. - A entendre l'honorable préopinant et un orateur
qui a pris la parole dans une séance précédente, le discours que j'ai prononcé
dans cette discussion serait des plus violents, des plus menaçants, et
cependant ces honorables membres n'ont indiqué aucune expression violente ou
menaçante dont je me serais servi. Je l'ai relu ce discours, je n'y ai rien
trouvé et je défie d'y rien trouver qui ressemble à de la violence ou à de la
menace.
Il se passe ici des choses bien étranges ; l'honorable
préopinant, dont le discours n’est qu'un tissu de personnalités et d'injures,
un véritable acte de violence, vient me reprocher, à moi, d'avoir été
agresseur, alors que pas une de mes paroles ne saurait servir de prétexte à une
semblable accusation ; on n'a jamais vu un tel spectacle dans cette enceinte.
Comment ! on vient vous dire que le pays va être en révolution ; on ose
prétendre que nous serions prêts à révolutionner vingt fois le pays si cela
convenait à nos intérêts, et l'honorable membre qui tient ce langage nous
rappelle à la modération, il qualifie comme étant très violent un discours dont
il lui serait impossible de citer une seule expression qui ressemble à la
moindre violence.
Je me suis fortement élevé dans ce discours
contre l'accusation qui avait été lancée envers la majorité et le ministère
d'être réactionnaires, parce que cette accusation me touche très vivement ; si
par nécessite de position je devais être entraîné en quoi que ce fût à la
réaction, je quitterais à l'instant même ce banc, je quitterais même plutôt la
chambre que d'être réactionnaire, car personne plus que moi n'est ennemi de
toute espèce de violence.
On me fait une guerre en quelque sorte
personnelle, parce que j'ai répliqué à l'opposition.
Eh, messieurs, je n'ai pas attaqué l'opposition
pour elle-même ; je n’ai combattu que les arguments dont elle s'appuie, et j'ai
donné les raisons qui justifiaient ma manière de voir.
Mais, a-t-on dit, vous avez aussi fait partie de
l'opposition. Oui, messieurs, j'ai fait partie de l'opposition, et j'ai voté
certain acte qu'on a eu grand tort de rappeler ; oui, j'ai voté pour l'acte
d'accusation dont on a parlé, et j'ai voté ainsi avec d'honorables membres qui
se trouvent de votre côté, avec l'honorable M. de Brouckere, qui devait entrer
dans le ministère de M. Rogier, il y a peu de jours, avec l'honorable M.
Fleussu, qui partage votre opinion ; et pourquoi l'ai-je fait ? Parce qu'il
s'agissait là non pas d'un procès de tendance, d'accusations vagues, mais d'une
violation flagrante de la Constitution. Il s'agissait d'expulsions violentes et
illégales de personnes réfugiées sous la protection de nos lois. Alors nous
étions dans l'opposition, et nous serons toujours dans l'opposition, quand il
s'agira de violations de la Constitution.
On avait dit encore que j'étais autrefois parmi
les membres les plus ardents de l'opposition, que je voulais la guerre, marcher
en avant. Oui, nous voulions aller en avant, parce que vous alliez en arrière,
parce que vous administriez de manière à abandonner une partie de nos frères,
parce que le douloureux morcellement du territoire devait être la conséquence
de la marche imprimée, dans le principe, aux négociations.
Messieurs,
j'ai demandé la parole pour un fait personnel ; je ne veux pas pour le moment
rentrer dans le fond du débat ; je me bornerai à cette courte réponse aux
honorables MM. Rogier et Castiau, qui ont semblé vouloir donner au discours que
j'ai prononcé un caractère de violence qu'il ne comporte pas ; peut-être ai-je
débité ce discours avec trop d'énergie, on voudra bien alors me le pardonner ;
je ne suis pas maître de ma parole, comme l'honorable M. Castiau. Mais je prie
l'honorable membre de relire ce discours, et il verra qu'il ne s'y trouve
aucune idée réactionnaire ; au contraire, j'y fais un appel à la conciliation,
je déplore qu'on nous qualifie de réactionnaires, je cherche à prouver que nous
ne le sommes point, que je suis un ennemi déclaré de toute réaction, et que
j'invite tous les membres de cette chambre à tendre la main à la conciliation.
M. Dubus (aîné), pour un fait personnel. - Messieurs, je n'étais pas
dans la salle, lorsqu'un honorable député de Bruxelles, dans le discours qu'il
a prononcé tout à l'heure, s'est occupé de celui que j'ai prononcé moi-même il
y a quelques jours ; mais au moment où je rentrais, j'ai remarqué que
l'honorable membre signalait la circonstance que mon discours a été imprimé par
fragments dans le Moniteur, et qu'il insinuait d'une manière très directe que
cela avait été fait à dessein, pour mettre en relief je ne sais quels passages
de ce discours qui ont déplu à l'honorable membre.
D'abord, quand j'ai prononcé mon discours, je
n'ai pas pris garde s'il serait ou non agréable à l'honorable membre qui n'en a
pas été satisfait, je n'ai eu en vue que d'accomplir un devoir et d'émettre mon
opinion dans le grave débat qui s'agite devant vous. Mais, messieurs, la
supposition de l'honorable membre est tout à fait absurde, et je crois que tous
ceux qui auront vu de quelle manière mon discours a été publié par fragments,
mutilé, dirai-je, dans le Moniteur, ne comprendront pas qu'on ait pu le
déchirer ainsi à dessein.
Au
fait, au moment de l'impression, 12 à 15 feuilles du travail de MM. les
sténographes ne se trouvaient pas sous la main de l'imprimeur, et l'on a trouvé
commode de les passer, de façon à interrompre le sens de la manière la plus
ridicule.
Je prie donc les membres de cette chambre de
recourir au Moniteur, et de vérifier, je le répète, de quelle manière ce
fractionnement a eu lieu.
M. le ministre de la guerre (M. Prisse). - Messieurs, pour la première fois que j'ai
l'honneur de prendre la parole devant cette chambre, il m'est extrêmement
pénible d'avoir à aborder une question comme celle qui a été soulevée par
l'honorable M. Castiau.
Cette question, messieurs, s'est présentée à
moi, dès mon entrée au ministère, et je l'ai bien sincèrement regretté, parce
qu'en l'examinant, j'ai de suite reconnu qu'il était impossible de la résoudre,
sans froisser une famille que j'estime et que j'honore. Mais, messieurs, les
intérêts de la discipline étaient compromis, et dès lors, il ne m'était pas
permis d'hésiter.
La chambre n'attend sans doute pas de moi que je
vienne lui expliquer comment et pourquoi j'ai été amené à infliger à quelques
officiers du régiment du génie des peines disciplinaires. L'expression seule de
peines disciplinaires indique suffisamment l'impossibilité de donner en public
de semblables détails. Ce serait, messieurs, détruire dans l'armée tout esprit
de subordination et d'obéissance, ce serait énerver dans les mains des chefs le
pouvoir nécessaire, indispensable qu'ils exercent sur leurs inférieurs. Mais je
ne refuse nullement de donner communication entière de l'affaire à MM. les
membres de cette assemblée qui voudront se présenter dans les bureaux du
ministère de la guerre, et j'espère qu'après un examen attentif, ils
approuveront ma conduite.
Je me bornerai seulement à déclarer, que les
faits, tels qu'ils ont été développés hors de cette enceinte sont complétement
dénaturés. Je n'ai eu à punir à Mons que des actes d'insubordination, et quant
à la question religieuse qu'on a voulu soulever, l'honorable M. Castiau pourra
s'assurer dans les bureaux du ministère, qu'elle n'a pas motivé les punitions
infligées.
Je sais bien qu'à propos de ce qui s'est passé,
on m'a adressé le reproche d'avoir voulu frapper la partie active, la partie
vivace, intelligente de l'armée. Non. messieurs, j'ai atteint la partie
désobéissante, récalcitrante. Je ne sais pas, messieurs, si l'on peut partager
l'armée en partie vivace et intelligente et en partie inerte et incapable ;
quant à moi, je ne le crois pas ; je pense, au contraire, que l'armée entière
est digne d'estime et de considération.
Et en supposant un moment que cette division pût
être établie, l'on verrait, dans la question qui nous occupe, la partie
intelligente se subdiviser immédiatement ; car si, dans le régiment du génie,
il y a quelque officiers, sortant de l'école militaire, qui se sont montrés
indisciplinés et portés incessamment à la controverse, il en est d'autres, et
c'est heureusement le plus grand nombre, j'aime à le constater, qui servent
docilement, sagement, exemplairement : ceux-là, messieurs, obtiennent les
sympathies de leurs chefs, ils ont toutes les miennes.
(page
1168) Quant aux autres, si j'ai été forcé, bien malgré moi, car ce n'est
pas de gaieté de cœur que j'ai signalé mon entrée au ministère de la guerre par
un acte de sévérité ; si j'ai été forcé, dis-je, de les atteindre, c'est qu'avant
d'exécuter les ordres de leurs chefs, ils les discutent, les commentent, et
qu'ils sont continuellement en lutte avec leurs supérieurs. Voilà ce qu'il
importait de réprimer.
On a voulu me porter à provoquer une enquête ; je
m'y suis aussi refusé. Je vais avoir l'honneur de vous donner les raisons de ce
refus.
Je vous prierai d'abord de remarquer que la
gradation des peines disciplinaires se trouve indiquée de la manière suivante
dans les considérants de la loi du 16 juin 1836 :
« Non activité, réforme, enquête et conseil de
guerre. »
Eh bien, messieurs, il m'a semblé que les fautes
commises n'étaient pas de nature à mériter l'application des trois dernières
peines.
Je me suis arrêté à la non-activité, châtiment
qu'il m'était toujours loisible d'abréger.
Appeler aujourd'hui l'enquête sur des faits
jugés par arrêté royal, ce serait admettre une idée incompatible avec le
respect dît aux actes qui portent ce caractère. Adopter cette idée, ce serait
soumettre une décision du gouvernement, sanctionnée par le Roi, à une sorte de
procédure en appel.
Les rapports du commandant du régiment du génie,
de l'inspecteur général, du ministre lui-même, auraient à subir l'épreuve de
débats contradictoires, dans lesquels on leur opposerait jusqu'à des
certificats signés par des sous-officiers ; ce serait fournir un nouvel aliment
à cet esprit d'insubordination et de controverse que l'arrêté a pour but de
réprimer.
Est-ce à dire pour cela que les officiers punis
n'aient plus aucun recours envers moi et ne puissent faire entendre leurs
plaintes ? Au contraire. Rien ne s'oppose à ce que des officiers mis en
non-activité fassent parvenir au département de la guerre tous les documents
propres à éclairer le ministre s'ils pensent qu'il a été induit en erreur sur
leur compte ; mais il faut qu'ils le fassent dans des formes convenables et en
suivant les voies de la hiérarchie militaire. La transmission de semblables
documents ne peut pas avoir pour effet de faire révoquer immédiatement un
arrêté portant la signature du Roi ; mais lorsqu'elle est appuyée par une
conduite sage, discrète et prudente et qu'il s'y joint quelques preuves
d'amendement, elle peut faire abréger la durée du temps de non-activité.
En résumé, messieurs, entré hier au pouvoir, je
veux bien en sortir demain ; mais je le déclare, je ne dévierai pas de la ligne
de conduite que je me suis tracée, en acceptant le portefeuille de la guerre ;
j'ai dit alors que je m'efforcerais de conduire les affaires de l'armée avec
équité, fermeté et promptitude ; je remplirai ce devoir, je tiendrai parole.
- La chambre remet à demain la suite de la
discussion.
La séance est levée à 4 heures et un quart.