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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 27 décembre 1851

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1851-1852)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 439) M. A. Vandenpeereboom procède à l'appel nominal à onze heures et demie.

- La séance est ouverte.

M. Ansiau donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Vermeire fait connaître l'analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.

« Plusieurs habitants de la partie extra-muros du canton nord d'Anvers demandent une loi qui porte à quatre le nombre des notaires dans cette partie du canton. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Martel, Bernard, musicien ambulant à Liège, demande à recouvrer la qualité de Belge. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« M. Warzée fait hommage à la chambre d'un exemplaire de ses Recherches bibliographiques sur les almanachs belges. »

- Dépôt à la bibliothèque.

Projet de loi fixant le contingent de l’armée pour l’année 1852

Rapport de la section centrale

M. Allard, au nom de la section centrale du budget de la guerre qui a été chargée d'examiner, comme commission, le projet de loi réglant le contingent de l'armée, conclut à l'adoption de ce projet de loi.

- La chambre décide qu'il sera passé immédiatement au vote.

Vote des articles et sur l'ensemble du projet

« Art. 1er. Par mesure transitoire résultant de la loi du 8 mai 1847, le contingent de l'armée pour 1852 est fixé au maximum de soixante et dix mille hommes. »

- Adopté.


« Art. 2. Le contingent de la levée de 1852 est fixé au maximum de dix mille hommes, qui sont mis à la disposition du gouvernement. »

- Adopté.


« Art. 3. La présente loi sera obligatoire le 1er janvier 1852. »

- Adopté.


Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi qui est adopté à l'unanimité des 56 membres qui ont pris part au vote, trois membres (MM. Jacques, David et Coomans) s'étant abstenus.

Ont pris part au vote : MM. Reyntjens, Rodenbach, Rogier, Roussel (Adolphe), Rousselle (Charles), Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Van Cleemputte, Vandenpeereboom (Alphonse), Vandenpeereboom (Ernest), Van Grootven, Van Iseghem, Van Renynghe, Vermeire, Veydt, Visart, Allard, Ansiau, Bruneau, Cans, Clep, Cools, Dautrebande, de Brouwer de Hogendorp, de Haerne, Delehaye, Delfosse, Deliége, de Muelenaere, de Perceval, de Pitteurs, De Pouhon, Dequesne, de Royer, de Theux, de T'Serclaes, d'Hoffschmidt, Dumon (Auguste), Dumont (Guillaume), Dumortier, Frère-Orban, Julliot, Landeloos, Lange, Lebeau, Lesoinne, Loos, Malou, Mascart, Mercier, Moreau, Moxhon, Orts, Pirmez et Verhaegen.

M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont invités à faire connaître leurs motifs d'abstention.

M. Coomans. - Je me suis abstenu pour les mêmes motifs qui ont dicté mon abstention sur le budget de la guerre.

M. David. - Je puis admettre le chiffre élevé du budget de la guerre ; mais comme j'attends les propositions de la commission chargée de réviser notre établissement militaire, je n'ai voulu voter ni pour ni contre le projet de loi.

M. Jacques. - J'admets l'article premier qui fixe le contingent de l'armée à 70,000 hommes pour 1852, cette force militaire me paraissant plutôt trop faible que trop forte. Mais, ainsi que je l'ai déjà dit dans d'autres circonstances, le mode de recrutement, tel qu'il est fixé par nos lois de milice, me paraît trop injuste, surtout envers les classes pauvres, pour que je puisse en sanctionner la continuation par mon vote.

Projet de loi introduisant des mesures provisoires dans le tarif des douanes

Rapport de la commission spéciale

M. Orts. - Je dépose sur le bureau le rapport de la commission spéciale qui a été chargée d'examiner le projet de loi introduisant des mesures provisoires en matière de tarif douanier.

La commission propose l'adoption en principe du projet, avec deux amendements à l'article premier, qui serait ainsi conçu :

« Art. 1er. Le gouvernement est autorisé à mettre provisoirement en vigueur, par arrêté royal, en tout ou en partie, les changements à la législation des douanes contenus dans le projet de loi présenté à la chambre des représentants, dans la séance du 22 décembre 1851.

« L'arrête pris en vertu de la présente loi cessera son effet, au plus tard, à la clôture de la présente session législative. »

M. le président. - La chambre entend-elle ordonner l'impression de ce rapport ?

M. Orts. - Si la chambre le désire je donnerai lecture du rapport.

M. Delfosse. - Ce projet de loi suppose l'adoption du traité, il faut donc avant de s'en occuper que le traité avec la Hollande soit adopte.

M. de Decker. - C'est évident.

M. Veydt. - Le rapport et les amendements pourraient être immédiatement imprimés et distribués.

- La chambre décide qu'elle procédera à la discussion de ce projet de loi immédiatement après le vote du traité conclu entre la Belgique et la Hollande. Elle ordonne l'impression et la distribution immédiate du rapport et des amendements.

Projet de loi approuvant le traité de commerce conclu entre la Belgique et les Pays-Bas

Discussion générale

M. Coomans. - Messieurs, usant d'une précaution qu'ont prise ici des orateurs qui auraient pu, à coup sûr, la dédaigner, j'avais préparé un long discours écrit sur le traité et ses conséquences. Je ne le prononcerai pas. Je ne répéterai pas des considérations que d'autres ont fait valoir beaucoup mieux que je ne pourrais le faire. Je me bornerai à répondre à quelques points des trois discours libre-échangistes que vous avez entendus, dans la séance de cette nnit.

Mon honorable ami M. Dechamps a cru devoir se recommander à l'indulgence de la chambre ; avec combien plus de motifs dois-je l'implorer, moi, dont l'improvisation difficile ne peut lutter avec aucune de celles que vous avez applaudies. Si nous étions ici pour nous livrer à une joute oratoire, je déposerais les armes avant le combat, certain d'être vaincu sans honneur ; mais, en bons citoyens, nous nous attachons à bien faire plutôt qu'à bien dire, et, à ce titre, je parle à mon tour.

Renonçant à mon discours écrit, je ne pourrai pas toujours, dans un débat un peu vif auquel se mêlent des noms propres, mesurer exactement toutes mes expressions, mais je déclare que je retirerai sans murmurer celles que notre honorable président ne trouverait pas convenables.

Messieurs, à voir l'imperturbable assurance avec laquelle M. le ministre des finances juge, condamne et exécute notre système de droits différentiels, on dirait qu'il a daigné l'étudier. Il n'a pas pris ce soin. L'honorable ministre défigure sa victime avant de l'immoler ; il lui prête des vues et des effets que le système des droits différentiels n'a pas eus. Je le prouve.

L'honorable ministre a dit hier soir que le droit différentiel de 1844 avait pour but d'empêcher le commerce de la Belgique avec l'Europe. Or, a-t-il dit,voyez : nos relations transatlantiques directes se sont améliorées un peu, il est vrai, mais notre commerce avec les ports d'Europe a augmenté bien davantage, donc le but n'est pas atteint : on voulait empêcher le commerce avec l'Europe et ce commerce s'est agrandi.

Messieurs, tout ceci est de l'invention de M. le ministre ; rien de semblable n'a jamais été dit ; jamais on n'a voulu empêcher le commerce avec l'Europe ; c'est le commerce indirect, le commerce d'entrepôt qu'on a voulu entraver.

Il est si peu vrai qu'on ait voulu empêcher le commerce avec l'Europe, qu'on l'a favorisé de droits différentiels chaque fois qu'il avait pour but l'échange de produits nationaux. Sous ce rapport, le Brésil et la Suède, par exemple, étaient placés sur la même ligne.

L'honorable ministre a dit encore que le système des droits différentiels avait pour but d'empêcher l'emploi de navires étrangers.

Il a fait un calcul très savant sur le peu de force de la marine belge, et il est arrivé à conclure que si la marine belge avait dû seule servir de moyen de transport à nos échanges, elle n'y aurait pas pu suffire. Erreur encore une fois ; nous n'avons pas dit que la marine belge devait seule être admise au transport de nos marchandises. Pareille absurdité n'a pas guidé le législateur de 1844. Nous avons si peu voulu, par les droits différentiels, exclure la marine étrangère, que nous avons assimilé à la marine belge la marine de tous les pays du monde avec lesquels nous commercerions directement. La marine des colonies libres venait ainsi compléter la nôtre en jouissant des mêmes avantages. C'est là un fait notoire, et je m'étonne que M. le ministre des finances, qui devrait le connaître beaucoup mieux que nous, l'ignore ou le nie. A qui donc espère-t-il donner le change ?

M. le ministre des finances affirmait encore hier soir qu'il n'y a pas de droits différentiels en Angleterre. Je maintiens qu'il y en a dans le sens qu'a indiqué l'honorable M. de Haerne et que M. le ministre a eu tort de démentir mon ami. Il serait trop long de le prouver. Mais cela est, je le maintiens ; c'est un point de fait à vider pièces officielles en mains.

Du reste, puisque M. le ministre des finances s'est donné la peine de lire les développements de ma proposition de réforme douanière, il a dû voir que j'y ai expliqué très nettement, ce me semble, le but, la portée des droits différentiels. Je pense avoir démontré que les droits différentiels mènent à la liberté du commerce, qu'ils en sont en quelque sorte la consécration, c'est-à-dire que, par l'établissement des droits différentiels, nous avons voulu nous soustraire à l'espèce de monopole (page 440) et de domination que des marines tierces exercent a notre détriment, dans l'échange de nos produits manufaclurés et de nos capitaux avec les denrées des colonies.

Nous avons voulu le libre échange, avec les pays de provenance ; nous avons voulu supprimer ces intermédiaires, toujours si chers, qui nous exploitent et nous surtaxent, et qui élèvent une barrière entre nos producteurs et les consommateurs naturels de nos produits. Au fond, les droits différentiels, c'est le free-trade, c'est l'organisation de la liberté de commercer, nous Belges, avec les pays qui produisent les objets dont nous avons besoin.

D'honorables amis ont très bien démontré que l'Angleterre commerçant avec des nations qui n'ont pas de monnaie, qui doivent payer ses fabricats en nature, ne pourrait pas continuer à fabriquer, si elle n'avait pas en Europe, chez des clients bénévoles, le placement de ses retours ; elle exporte dans les pays d'outre-mer les produits de ses manufactures, produits pour lesquels elle ne reçoit pas d'argent ; et elle y prend en payement des denrées coloniales ; ces denrées, elle doit les placer ; elle avait l'habitude de les placer chez nous ; de manière que sous forme de sucre, de café et d'autres denrées coloniales, nous mangions en réalité des calicots anglais. (Interruption.)

C'est indigeste, me dit mon honorable ami, M. Malou. Oui, c'est pour faire cesser cette indigestion dangereuse que nous avons formulé le système des droits différentiels. (Nouvelle interruption.)

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous avez peu réussi.

M. Coomans. - Vous avez peu réussi, me dit M. le ministre des finances. Mais, messieurs, j'attends encore la réfutation, promise par M. le ministre des finances, du discours de mon honorable ami M. Dechamps, discours que M. le ministre a dit hier avoir réfuté. (Interruption.) Si l'honorable M. Dechamps a tort, la statistique officielle a tort, elle et ses auteurs.

M. le ministre a donc attaqué les droits différentiels sans les comprendre ; il a formulé contre eux plus de préjugés que d'arguments. Il n'a pas compris que nous ne demandons pas mieux que de commercer avec nos acheteurs naturels, ceux des colonies, afin de nous procurer les denrées de première main, c'est-à dire à meilleur marché, afin aussi de faciliter, d'assurer l'écoulement de nos fabricats. Le grand commerce, le véritable commerce, le commerce libre n'est pas autre chose. Ce sont d'étranges libre-échangistes ceux qui nous obligent, par la force des choses, d'acheter aux Anglais et aux Hollandais les denrées du Brésil ! Ne voient-ils pas qu'en déchargeant les Anglais de leur trop-plein des denrées coloniales, nous leur donnons nous-mêmes des armes pour nous battre sur le terrain industriel, puisqu'ils ne pourraient continuer à fabriquer s'ils ne trouvaient pas sur le continent des acheteurs de ces denrées ?

Pour démontrer combien M. le ministre a mal compris le système des droits différentiels, je vais vous lire un passage des développements de mon projet de loi de réforme douanière. J'écrivais en août dernier, avant la conclusion du traité.

« Il est un fait incontestable, admis par tous les économistes, même par les plus chaleureux promoteurs du free-trade, c'est que les relations directes dont les produits sont dissimilaires, constituent seules le commerce d'échange, sans lequel il n'y a pas de prospérité solide et durable pour une nation maritime, commerçante et industrielle.

« Le commerce d'échange (ici l'expérience est d'accord avec la théorie) est le seul qui, en règle générale, permette à un pays de placer ses produits, d'une manière convenable, constante et régulière, sur un marché étranger. Aussi tous les peuples qui possèdent de grandes industries ont-ils encouragé et le commerce et la navigation directe qui en est l'instrument et le stimulant.

« Au fond, le commerce d'échange c'est le free-trade, le commerce libre, affranchi des entraves qu'un tiers peut apporter aux relations naturelles entre deux contrées mutuellement dépendantes. La liberté commerciale n'existe pas pour un pays lorsque, afin de vendre ou d'acheter aux consommateurs-nés de ses produits, il est dans la triste nécessité d'emprunter à un tiers la marine, le crédit, les capitaux et souvent les fabricats nécessaires à l'accomplissement de cette opération. Telle est pourtant la situation qui nous était faite avant le 21 juillet 1844, et qui n'a été que légèrement corrigée par la loi des droits différentiels.

« En réalité, celle-ci avait moins pour but de restreindre la liberté du commerce que d'en faire une vérité pour la Belgique ; et quand, sous prétexte de libéralisme, on attaquait des mesures qui tendaient à fournir aux Belges les moyens de commercer librement avec les colonies, loin de préconiser le free-trade, on voulait maintenir véritablement nos compatriotes dans l'état de tutelle ou de servage où les maîtres de la mer nous avaient placés,

« Le Hollandais du XVIIème siècle soutenait la belle thèse du mare liberum tout en exploitant les relations maritimes de manière que les Allemands et les Belges ne pussent pas se mêler de leurs propres affaires, et n'eussent rien à voir dans l'échange de leurs produits contre ceux des consommateurs coloniaux.

« L'Anglais du XIXème siècle élève bien haut la théorie de free-trade, mais en fait, il a soin de rester le plus longtemps possible l'intermédiaire obligé, despotique, usuraire de l'Allemand et du Belge, trafiquant aveuglément avec les colonies affranchies.

« Tout partisan qu'il se dit du free-trade, qui est ou qui devrait être la mise en rapports directs du produceur avec le consommateur ct vice-versa, l'Anglais tient surtout à nous revendre des denrées qu'il a achetées avec des fabricats à lui, c'est-à-dire avec des produits similaires à ceux que nous créons nous-mêmes, et, sous ce rapport, il devient vrai de dire que, sous forme de sucres et de tabacs, nous consommons souvent les toiles, les cotonnades et les fers de l'Angleterre.

« Me résumant dans une comparaison historique, je dirai, messieurs, que supprimer les droits différentiels de provenance, ce serait rabaisser de nouveau la ville d'Anvers au rôle de succursale de Londres et de Rotterdam, rôle secondaire, servile et ruineux, qu'elle n'a que trop longtemps joué.

« Concluons de ces principes élémentaires qu'une nation bien avisée, comprenant et servant ses véritables intérêts, doit tendre constamment à se créer des relations immédiates et régulières avec les peuples qui sont ou qui peuvent devenir les consommateurs naturels de ceux de ses produits dont ils ne possèdent pas les similaires. Jusqu'en 1844, la Belgique avait pourtant suivi une autre ligne de conduite. La législation antérieure à cette époque, loin de stimuler, d'exciter le négoce aux entreprises de longue haleine, favorisait au contraire les relations avec les entrepôts d'Europe, où nous allions nous approvisionner de la majeure partie des produits transatlantiques nécessaires à notre consommation. La loi du 21 juillet 1844, établissant des droits différentiels ou additionnels sur les importations indirectes, eut pour but de réformer cet état de choses, si nuisible aux intérêts nationaux.

« Malheureusement des chiffres trop faibles et des exceptions accumulées paralysèrent tout d'abord cette mesure, et empêchèrent qu'elle ne donnât les résultats désirés. Je dois le dire, toutefois, l'essor que prit, dès cette époque, notre commerce transatlantique est assez remarquable et assez concluant, pour monter ce que la Belgique peut attendre de ce système, si elle y persévère en le complétant. »

Un peu plus loin j'ajoutais : « La Hollande s'est réservé, dans ses nouvelles lois de navigation, le commerce exclusif de ses colonies ; elle n'entend pas modifier sa politique à cet égard ; le cabinet de la Haye a très nettement déclaré qu'il n'entrait pas dans ses intentions de renoncer au système qui régit les colonies néerlandaises. Ainsi la Hollande a maintenu, entre les mains du gouvernement, le monopole de l'achat des produits de Java ; elle a conservé le droit différentiel de sortie en faveur de ceux de ces produits qui sont exportés vers la mère patrie, le droit différentiel pour les produits de l'industrie hollandaise à l'entrée des colonies, la défense intimée à la Handel-Maatschappij d'y introduire des objets de fabrication étrangère, à moins que les marchandises nécessaires ne pussent pas être fournies à des prix convenables par les fabriques et les manufactures néerlandaises ; c'est ainsi encore qu'elle continue d'imposer à la Handel-Maatschappij l'obligation de n'affréter que des navires nationaux. Il est peu probable que la Hollande abolisse aucune de ces restrictions, d'autant plus qu'il a été expressément déclaré à la législature qu'il n'y serait dérogé que par une loi. Mais en supposant même qu'elle consentît à s'en départir, elle ne le pourrait faire qu'en laissant participer l'Angleterre et le Zollverein aux avantages qui nous seraient dévolus.

« De tout ce qui précède, messieurs, il résulte à l'évidence qu'entre la Hollande et la Belgique il ne peut désormais intervenir de traités sérieux, puisque aucun des deux pays ne veut ni ne peut se lier d'une manière privilégiée et exclusive vis-à-vis de l'autre. »

Les négociants anversois, a dit hier M. le ministre des finances, « se sont laissé induire à faire de l'opposition au traité ». Cette phrase est remarquable.

Les négociants d'Anvers se sont laissé induire à faire opposition au traité. M. le ministre des finances avait dit auparavant que personne ne pouvait mieux apprécier un traité que les intéressés, ceux que le traité favorise ou frappe ; et il invoquait le témoignage des centres industriels qui approuvent le traité. Par quelle singulière exception suppose-t-il que les négociants d'Anvers soient incapables d'apprécier le traité par eux-mêmes ? Est-il nécessaire de supposer qu'on les ait induits à faire de l'opposition ? Qui les aurait induits à en faire ? Je crois que l'honorable ministre des finances a voulu faire allusion au clérical. Je ne sais à quelle influence séductrice autre que celle-là aurait pu céder la métropole du commerce belge. L'insinuation n'est flatteuse ni pour les Anversois ni pour nous.

L'honorable ministre a invoqué avec satisfaction l'opposition que le commerce d'Anvers a faite à diverses reprises aux droits différentiels. Je crois pouvoir affirmer que la place d'Anvers n'a jamais réprouvé le principe, seulement elle a réclamé contre certaines applications et elle a très bien fait. Je ne considère pas la loi de 1844 comme parfaite, loin de là, je la considère comme défectueuse, mais par des motifs contraires à ceux de M. le ministre des finances. La protection était trop faible et mal partagée.

Quand même, d'ailleurs, il serait vrai que la'place d'Anvers s'en fût plainte dans d'autres circonstances, ne pouvez-vous pas admettre que les faits l'aient éclairée, que l'expérience ait modifié les opinions ? Ne pouvez-vous pas admettre une modification d'opinion, dont, en bien des choses, vous avez donné l'exemple ? Est-ce que M. le ministre des affaires étrangères, qui a voté la loi de 1844, qui en a fait un grand éloge, n'a pas changé d'opinion ? Est-il encore grand partisan des droits différentiels ? Il est assis sur le même banc que M. le ministre des finances, ce qui me fait supposer qu'il est converti. (Interruption.) Si j'invoque cet exemple, c'est pour établir qu'on peut changer d'opinion, surtout en matière économique et que dans les appréciations des intérêts d'un pays on n'invoque pas des antécédents de ce genre, de pures personnalités.

L'opinion d'Anvers est connue ; elle est consignée dans la pétition de tous ses négociants, dans celle de la chambre de commerce, et dans les journaux de celle ville. Voilà ce que vous devriez réfuter, et vous n'en faites rien.

(page 441) Je suis convaincu que si M. le ministre des finances avait cru que la ville d'Anvers ne fût pas contraire à ses plans de réforme, il l'eût consultée avant de conclure le traité. C'est parce qu'il était sûr de sa désapprobation et de celle de beaucoup d'autres chambres de commerce qu'il a dédaigné très orgueilleusement de consulter les intéressés, chose inouïe en Belgique.

Quand on consulte le pays pour des bagatelles, on devrait prendre son avis avant de bouleverser ses institutions.

On a dit avec raison qu'il était étonnant que cette loi des droits différentiels, tant attaquée, eût produit de bons effets, quand elle n'inspirait pas, quant à sa durée, la moindre confiance.

Qu'eût-ce été si la confiance n'avait pas manqué !

Je puis affirmer que beaucoup d'armateurs d'Anvers auraient construit des bâtiments pour les voyages de long cours si l'on avait assuré pendant dix ans le maintien de la loi des droits différentiels, ils me l'ont dit à moi-même ; ils ne pouvaient pas confier au chantier des capitaux qui pouvaient tomber à l'eau du jour au lendemain.

Vous ressemblez à d'inhabiles jardiniers qui déplanteraient chaque année leurs arbres, et qui s'étonneraient niaisement ensuite de ne pas récolter de fruit. Dans votre rage de tout réformer à tort et à travers, vous ne laissez pas prendre racine à nos lois. Vous agitez ruineusement le pays.

M. le ministre des affaires étrangères en commençant hier son discours a traité de pauvres les arguments de mes amis ; ce n'est pas là un argument. Quand vous dites que les nôtres sont pauvres, je pourrais dire que les vôtres sont misérables. Cela ne prouverait rien du tout, qu'une jactance déplacée.

L'honorable ministre des affaires étrangères, pour justifier les dispositions du traité relatives à la céruse et au transit, a invoqué mon projet de loi. Il faut, dit-il, que ces concessions soient bonnes puisque M.Coomans les a proposées le premier.

J'ai proposé un tout complet, que je ne permets pas de scinder. C'est surtout en fait de commerce qu'il faut élaborer un système complet et en combiner toutes les parties.

Vous avez bien eu la prétention de marier indissolublement les travaux publics avec la loi des successions directes ; vous avez qualifié votre œuvre de tout indivisible ; et je ne pourrais pas qualifier d'indivisible mon système commercial. Il y a de la puérilité à se prévaloir de certaines dispositions de mon projet quand on rejette les autres.

Je n'admets donc pas du tout la manière d'argumenter de l'honorable ministre des affaires étrangères.

« L'art. 14, a dit l'honorable M. d'Hoffschmidt, impose, il est vrai, des sacrifices à la Belgique commerciale, mais il y a une grande compensation offerte aux provinces wallonnes, qui pourront se procurer les denrées coloniales à meilleur prix qu'auparavant. »

Singulière compensation offerte à la partie qui n'éprouve aucun dommage, au contraire ! Cette prétendue compensation offerte à la Belgique orientale ne guérit pas le mal qu'éprouvera, par suite du traité, la Belgique occidentale. Puisque compensation il y a, accordez à la Belgique occidentale la permission (qui devrait vous paraître d'autant plus facile à accorder, qu'elle est conforme à vos principes), la permission d'acheter aux Anglais les manufactures, les houilles, les charbons et les fers. Cette compensation serait sérieuse. Y souscrirez-vous, vous qui défendez le transit des ardoises françaises ?

Nous voudrions bien accepter les fers britanniques, nous dit-on. L'honorable ministre des finances ainsi que les honorables MM. Delfosse et Lesoinne m'ont même provoqué un jour à proposer l'entrée libre des fers ; mais, ajoute-t-on prudemment, nous ne le pouvons pas, nous avons un traité avec le Zollverein qui nous en empêche. Nous apprécierons bientôt la sincérité de cette réponse. Le traité va expirer, et j'espère que les honorables ministres des finances et des affaires étrangères auront soin de faire consacrer dans ce traité un principe libéral qui permettra le libre transit et la libre importation du fer.

Plus tard, quand le traité avec la France expirera, je solliciterai les mêmes libéralités en ce qui concerne d'autres articles du tarif. Ce sera la pierre de touche de la loyauté de nos libres-échangistes.

Je ne m'étonne pas que le cabinet trouve déraisonnables toutes nos réclamations relatives au bétail ; le cabinet, parfaitement logique en ce point, veut que le bétail soit à vil prix ; il voit avec chagrin que nous exportions encore tant de bétail en France ; il voudrait bien réserver tout ce bétail pour la Belgique, c'est-à-dire en avilir encore davantage les prix. Moins nous placerons de bétail en France, plus les prix fléchiront, et le cabinet trouve cela parfait.

Cela est parfaitement logique, je le comprends, mais nos éleveurs ne raisonnent pas ainsi ; et ils ont mille fois raison de se plaindre.

Du reste, nous dit-on, vous plaidez une cause perdue ; les droits différentiels sont condamnés, ils expireront bientôt. Je ne me fais pas illusion à cet égard. Quand un gouvernement se fait démolisseur, qui peut l'arrêter ? Vous viendriez demain proposer la suppression de bien d'autres choses, vous réussiriez encore. Où voulez-vous que s'élève l'obstacle ? Vous obtiendrez cette victoire encore, vous ferez voter le traité comme d'autres lois, mais ce sera une bien triste victoire et je ne vous l'envierai pas.

Quoi ! en rejetant le traité hollando-belge nous nous exposerions à des représailles, à une rupture, même à voir nos biens confisqués sur le territoire hollandais. Vous affirmez que tout cela est dans le traité, et avant de conclure ce traité, vous n'avez pas consulté le pays ! Vous avez pris sur vous de décider seuls ! Véritablement cela est inexplicable, et l'on ne trouverait pas d'exemple d'un pareil fait sous un gouvernement absolu.

Messieurs, je voudrais parler sérieusement du discours de l'honorable M. de Brouckere, mais quelque effort que je me fasse, je vous avouer que cela m'est impossible.

L'honorable M. de Brouckere a commencé par traiter de paradoxes les arguments de l'honorable M. Dochamps. Les paradoxes chiffrés sont des paradoxes d'un genre nouveau, je crains fort que les paradoxes de l'honorable M. de Brouckere ne puissent jamais subir l'épreuve des chiffres. L'honorable M. de Brouckere a constaté avec empressement une déclaration de mon honorable ami M. de Liedekerke, portant que, dans l'état naturel des choses, l'agriculture n'a pas besoin de protection. Grave confession ! s'est écrié M. de Brouckere. Confession toute simple, dis-je à mon tour. M. le comte de Liedekerke a dit que la douane est moins nécessaire à l'agriculture qu'à l'industrie, et rien n'est plus vrai. Il n'y a apparemment pas de douane dans l'état de nature. Or, dès que la douane disparaîtra pour l'industrie, l'agriculture y renoncera facilement.

Mais alors que vous établissez une protection pour telle ou telle branche du travail national, la justice en exige autant pour les autres branches.

M. de Brouckere s'est élevé par dessus les nuages, et s'est livré aux plus hautes considérations pour combattre la proposition douanière. Respectez, dit-il, l'œuvre de Dieu, la liberté, la propriété humaine ; c'est ce qu'il y a de plus sacré au monde, et c'est porter une atteinte à la liberté, à la propriété, aux lois divines et humaines, que de protéger les industries nationales contre celles de l'étranger. Dieu a dit : « Laissez passer, laissez faire. » C'est par oubli que ces mots ne sont pas inscrits au décalogue.

Au moment où le droit divin s'éclipse dans un certain ordre d'idées, n'est-il pas étrange de l'entendre invoquer pour le libre échange ? Le libre échange serait, à en croire l'honorable M. de Brouckere, d'institution divine. De grâce, MM. les libre-échangistes, ne faites pas Dieu à votre image ; ne lui attribuez pas vos utopies, ne les faites pas remonter si haut.

Ne nous égorgez pas avec un fer sacré ! (Interruption.)

Dieu a prescrit aux hommes des devoirs de charité et d'autres ; il n'a pas prescrit les aventureuses formules de l'économie politique.

Certains utopistes (M. de Brouckere n'est pas de ce nombre, je rends cette justice à son généreux caractère) doutent fort si le bon Dieu a créé le monde, mais ils sont très convaincus qu'il a dicté les règles du free-trade, tout comme de stupides brouillons vont puiser le socialisme dans l'Evangile. Odieuse sottise, messieurs ! (Interruption.)

Quoi, messieurs, Allah serait libre échangiste et l'honorable M. de Brouckere son prophète ! Puisse son pacifique cimeterre ne pas faire plus de conquêtes qu'il n'en a réalisées jusqu'à présent ! La preuve que Dieu n'est pas libre échangiste, c'est que l'univers se maintient dans sa majestueuse harmonie. (Interruption.) Si les principes des honorables MM. de Brouckere et Frère dominaient là-haut, il y a longtemps que le monde serait détraqué, et que nous ne serions plus réunis ici pour entendre de pareilles extravagances. A ceux qui voudraient absolument voir du merveilleux dans le free-trade, je dirais plutôt que le diable est libre échangiste, s'il ne s'appelait pas l'esprit malin. (Interruption.)

Quoi ! messieurs, en vertu du droit naturel et divin, en vertu des sacrés principe du libre échange, un gouvernement ne pourrait pas prélever un impôt sur l'Anglais, par exemple, qui se présente à la frontière avec une paire de bottes à vendre, avec des bottes produit de la liberté du travail, selon la sainte économie politique ! mais en Belgique, l'honorable M. de Brouckere trouve bon qu'on impose le travail du laborieux paysan, qui produit du pain à la sueur de son front ; qu'on l'impose de 10 p. c. de la moderne dîme de l'impôt foncier ! Cela ne serait pas contraire aux lois divines ; la dîme telle que M. Frère la perçoit aujourd'hui serait parfaitement légitime, conforme aux principes de MM. de Brouckere et Frère ! Quelle confusion d'idées soi-disant progressives !

La douane serait-elle donc plus contraire à l'institution divine que l'impôt foncier et vingt autres ?

Pas d'impôt, a dit l'honorable M.de Brouckere, sur les objets que Dieu a distribués si libéralement ! Je n'en veux point ! Mais l'honorable M. de Brouckere trouve bon d'imposer la lumière, qui est certainement le don le plus brillant que la Providence nous ait fait. (Interruption.) Oui, il impose la lumière puisqu'il approuve et vote l'impôt des portes et fenêtres ! Un impôt sur le soleil ! Sur le soleil qui éclaire gratuitement les hommes ! M. de Brouckere n'argumente point contre cet impôt-là ! Que devient la logique des libre-échangistes ?

L'honorable M. de Brouckere bat en brèche avec, de beaux discours la douane qui nous protège contre l'étranger, et il cesse d'en faire contre les soixante et dix petites douanes que nous avons élevées en Belgique, contre nos compatriotes mêmes. Encore une fois, où est la logique des free-traders ?

L'honorable M. Orts, libre-échangiste aussi, n'a pas dit un mot du traité ; il s'est borné à glorifier ce qui se passe aux Etats-Unis, en Angleterre, en Suisse et ailleurs. Il a trouvé presque partout de quoi exercer ses facultés admiratives, excepté en Belgique. Il est facile de faire l'éloge de l'Angleterre et de Robert Peel, passe à l'état de lieu commun. Si j'étais Anglais, je ne dis pas que je n'approuverais pas tout ce qui s'est fait de l'autre côté de la Manche. Mon économie politique sert les intérêts matériels et ne les violente pas. Les lois doivent se faire pour ces intérêts ; ils ne doivent pas se plier aux lois.

(page 442) L’Angleterre a eu d'excellentes raisons pour agir comme elle a agi ; cependant, je nie qu'elle l'ait fait pour satisfaire ses utopistes. L'Angleterre ne fait pas un pas qui ne lui rapporte quelque profit, et quand elle a élevé en Europe la piperie du libre échanse. Ç’a été dans l'espoir d'y attraper les étourneaux du continent et d'obfenir un traitement réciproque, en d'autres termes la part du lion.

Voilà la vérité pure. L'Angleterre n'obéit pas à des principes, elle obéit à des intérêts et en cette matière elle a mille fois raison ; nous devrions en faire autant.

Nous le ferions, si d'impitoyables logiciens ne fourvoyaient le pays.

Un mot, messieurs, sur la statistique que l'honorable député de Bruxelles a présentée relativement aux classes ouvrières de la Grande-Bretagne. Il a oublié de dire que la réforme anglaise a été logique, qu'elle a porté sur toutes les branches du travail national et que si les ouvriers des villes ont eu le pain à meilleur marché les producteurs du pain ont eu leurs vêtements à meilleur marché aussi. De manière qu'indirectement l'honorable M. Orts a fait la critique du système commercial de nos grands politiques ; en louant l'équité, la logique, la justice qui ont présidé à la réforme anglaise, M. Orts a spirituellement critiqué notre cabinet, qui maintient chez nous une législation partiale et absurde.

Il paraît que les discours pour le traité sont quelquefois plus rudes que les discours contre. J'ai été, par exemple, surpris de ne pas entendre réfuter le discours de l'honorable M. Manilius. Si ce discours était sorti de notre bouche, tous les honorables ministres se seraient levés pour protester. M. Manilius a accusé les ministres de ne savoir bien défendre que ce qu'il appelle leurs intérêts. Il leur a donné de bons conseils que je les défie de suivre. M. Orts, de même, a montré la partialité du cabinet en approuvant la réforme anglaise. La forme de ces discours est prudente, mais le fond en est clair et significatif.

L'honorable M. Orts, et ceci est un point très important, attribue à des causes purement matérielles des effets dont les causes sont souvent morales. Ainsi la diminution de la criminalité en Angleterre proviendrait tout bonnement de ce que le pain est devenu moins cher.

Je ne saurais, pour ma part, apprécier la statistique criminelle à un point de vue aussi étroit. Les causes morales influent énormément sur les délits et les crimes. D'ailleurs, l'honorable M. Orts n'a pas tenu compte d'un point essentiel ; c'est que la législation pénale a été changée et que par conséquent les deux termes de son calcul ne concordent pas et peuvent être considérés comme fautifs.

Puisque vous attribuez à des causes purement matérielles la diminution des crimes, expliquez-nous, je vous prie, pourquoi en 1846 et 1847 chez nous, il n'y a pas eu plus de crimes et de délits graves pendant la disette qu'avant et après ? Dans beaucoup de localités le nombre des délits a même été moindre.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - C'est une erreur.

M. Coomans. - M. le ministre de la justice me dit que je commets une erreur ; je crois au contraire que l'erreur vient de son côté et qu'il n'y a pas eu plus de crimes ni de délits dans nos provinces les plus éprouvées qu'avant la disette.

Je sais que les petits vols ont augmenté çà et là dans une certaine proportion, mais aucun de nous ne confondra ce genre de délits que provoque la faim avec ceux qui sont le résultat de la dépravation. Tout ce que je vous demande, c’est de reconnaître que la religion et la morale influent plus sur la criminalité que la cherté des vivres.

L'honorable M. Orts, pour moraliser les populations, voudrait qu'on leur inculquât les doctrines du libre échange. C'est la fin de son discours. Il voudrait qu'on rédigeât un catéchisme de libre échange pour les populations, et qu'on les éclairât de cette façon pour les soustraire aux envahissements du socialisme. Je ne partage aucunement son avis. Ce n'est pas ainsi que vous moraliserez le peuple ; vous ne le moraliserez pas en popularisant les catéchismes économiques tout remplis de balivernes et qui brouillent les meilleures cervelles.

Vous le moraliserez par la religion et par le travail, en fournissant un travail aussi assuré que possible aux populations. La morale et le travail, voilà les grandes sources de la moralisalion. Le libre échange n'y est pour rien, il ne peut qu'affaiblir la morale en tarissant les sources du travail ou du moins en les rendant précaires.

L'honorable M. Orts a positivement déclaré que le socialisme s'est surtout montré et déployé dans les pays où les doctrines libérales économiques étaient le moins répandues. Messieurs, c'est une erreur, contre laquelle protestent entre autres la Russie et les Etats-Unis. Le socialisme, dans l'idée de M. Orts, serait l'effet de la proteciion douanière ; pas du tout : le socialisme, c'est l'effet de la démoralisation et de la misère. Le socialisme est une utopie comme le libre échange, et toutes les utopies se tiennent.

Du reste, le socialisme politique (je ne parle pas du socialisme des esprits, qui exerce ses ravages depuis plus de cent ans), le socialisme politique a moins de chances de succès que jamais.

La France en a fait une fructueuse expérience, et depuis le grave événement auquel sept millions de Français se sont associés, le socialisme politique est moins dangereux que jamais, surtout si l'on évite les tentatives de libre échange.

Quant aux caisses d'épargne que l'honorable M. Orts a trouvé le moyen de placer dans son discours sur le traité hollando-belge, je suis tout à fait de son avis, et je pense que le gouvernement belge aurait mieux fait d'appliquer son imagination réformatrice à l'institution des caisses d'épargne qu’à nos lois commerciales. Cette grande institution est très compromise chez nous, ce n'est pas de notre faute, c'est celle du gouvernement et de la banque de Belgique.

Messieurs, je n'entrerai pas dans l'examen des détails du traité. D'honorables orateurs se sont acquittés de cette tâche de manière à simplifier beaucoup la mienne. Me bornant donc à quelques réflexions générales, qui résumeront, pour ainsi dire, ce débat, je constaterai que, si le traité est acceptable an point du vue de l'industrie, en revanche il impose de nouveaux et lourds sacrifices au commerce et à l'agriculture, fait incontestable d'où je tirerai des conséquences qui méritent de fixer toute votre attention.

Dès qu'on sort de la justice et de la logique, on s'embarrasse de mille difficultés. Telle est la déplorable situation où s'est mise le cabinet et où il s'efforce d'entraîner la chambre avec lui.

La logique et la justice veulent que tous les Belges soient égaux devant les lois douanières, comme ils sont égaux devant les lois civiles, criminelles et politiques.

De même que les événements des cent dernières années ont amené la suppression des privilèges de la noblesse, du clergé et de la bourgeoisie (résultat que je ne regrette point), de même ils ont réduit, presque partout ailleurs que chez nous, les avantages exceptionnels et odieux accordés à certaines branches du travail national.

Le parti ministériel, marchant au rebours de l'histoire et du bon sens, prétend ressusciter, sous prétexte de progrès, les abus d'un autre âge. Ayant mis hors du droit commun (qui est chez nous la protection douanière) la principale de nos industries, celle qui emploie la moitié de nos travailleurs, et se préparant à faire subir le même sort à la marine et au commerce, ce parti tend à établir une sorte d'aristocratie manufacturière ; aux barons féodaux, fiers de leurs noms, forts par leur épée, il substitue les barons de la vapeur, s'appuyant sur des milliers d'ouvriers urbains, ces vassaux du XIXème siècle.

Cette prétention est inique, illibérale, monstrueuse ; je la combattrai coûte que coûte, jusqu'à extinction de voix et d'encre.

Guerre aux privilèges, de quelque masque qu'on les couvre ! Ce sera ma devise dans cette lutte du faible contre le fort, de la vérité contre le sophisme.

Ce devrait être pour les libre-échangistes comme pour nous, une grave question, de savoir s'il est utile et juste (deux mots synonymes) de favoriser certains travailleurs aux dépens d'autres ; d'assurer l'existence de ceux-là au prix du sacrifice de ceux-ci ; en un mot d'exproprier, sans indemnité les cultivateurs et les négociants pour privilégier les exploitants de fabriques et d'usines. Nous disons que cette politique est radicalement mauvaise. Elle devrait le paraître bien davantage aux yeux des libre-échangistes qui repoussent le régime protecteur, parce que d'après eux il gène la liberté du travail et qu'il accorde à certaines catégories de citoyens des avantages artificiels dont d'autres ne jouissent pas ou même payent les frais.

Les libre-échangistes de cette assemblée semblent tout disposés à voter le traité hollando-belge, en quoi ils se montrent inconséquents, car ce traité crée ou étend des protections iniques. Tout traité est condamné par le libre échange ; celui-ci est de la pire espèce parce qu'il assure des bénéfices arbitraires aux fabriques, aux manufactures et aux usines qui opèrent déjà à l'ombre de la prohibition.

Je sais bien qu'ils s'excusent en considérant ce traité comme un premier pas vers la liberté du commerce. Dans un sens, leur appréciation n'est pas inexacte. Mais je m'étonne de deux choses : d'abord qu'ils ne fassent rien pour hâter l'avénement de leurs principes ; ensuite qu'ils consentent à les voir violés de plus en plus par le cabinet.

Sacrifieront-ils toujours les choses aux mots ?

Que de contradictions chez nos adversaires ! La majorité qui va voter le traité est profondément désunie. Elle se compose de libre-échangistes tels que les députés liégeois hostiles à toute douane, et de prohibitionnistes, tels que les députés gantois, qui ne veulent pas lâcher un sou des primes indirectes que leur accorde un tarif protecteur.

Ecoutez les premiers, conduits par l'honorable M. Frère. Ils déclarent que la protection est inutile, ruineuse, absurde, qu'elle est le masque de la prohibition, que c'est malgré elle que la Belgique a prospéré depuis 20 ans.

Ils sont fatalement amenés à supprimer la douane, car celle-ci est injustifiable à titre d'institution fiscale. La douane coûte le tiers de ce qu'elle rapporte ; elle enlève 4 millions de francs sur 12, et elle vexe le commerce et les consommateurs. Dès qu'on n'admet pas la douane comme protégeant le travail national, il faut se hâter de l'abolir. Elle est la plus mauvaise des mille et une manières de prélever des impôts.

On voit que la doctrine de M. Frère nous mène loin !

Ecoutez les prohibitionnistes. Je pense ne pas leur déplaire en les faisant parler par la bouche de l'honorable M. Manilius, un de leurs chefs de file les plus purs. Il nous a signifié mardi son ultimatum conçu en ces termes : «Je demande à MM. les ministres que l'examen du tarif soit fait avec la plus grande prudence, la plus grande maturité et partant avec la plus grande lenteur. Car je crains que du moment où vous toucherez à cette arche sainte, vous ne troubliez le pays dans ses fondements, autrement solides cependant que ceux des navires en construction. ».

Pour M. Manilius, l'arche sainte, c'est la prohibition dont jouit la fabrique gantoise, soit des droits de 50 à 125 p. c. de la valeur. Telle est (page 443) aussi l'opinion de MM. T’Kint de Naeyer et Van Grootven, qui se proclament satisfaits.

Je vous avoue, messieurs, que de toutes les comparaisons métaphoriques que l'on a faites de l'arche sainte, celle-ci me semble la moins orthodoxe, et je comprends les malins sourires que ne dissimulait pas l'honorable M. Frère pendant les discours de ses bénévoles alliés.

Insistons un peu sur l'industrie gantoise et sur le langage de ses représentants. Tout l'intérêt de la présente discussion est là. Nous n'ignorons pas que ce fatal traité serait rejeté s'il n'était appuyé aveuglément par nos manufacturiers, et nous jugeons utile de bien constater que ce sont les députés de Gand qui consommeront l'injustice dont l'agriculture et le commerce sont victimes. Nous les ajournons à deux ou trois ans d'ici.

Chaque fois que nous avons demandé l'égalité devant la douane, l'opposition la plus vive nous est venue de la députation gantoise. L'un de ses membres m'a traité d'affameur ; un autre a dit que mon projet de réforme douanière, qui accorde encore de grandes faveurs aux manufactures, est antichrétien ! Or, l'industrie gantoise ne s'est pas contentée du régime prohibitif ; elle a demandé à cor et à cri l'estampille avec la recherche à domicile ; elle a provoqué une loi sévère contre la fraude. Vous n'ignorez pas l'horreur que la fraude inspire à l'honorable M. Manilius, mais ce que la chambre ne sait pas, et ce que je n'ai plus de motifs pour lui taire, c'est que cette horreur de la fraude a inspiré à deux industriels, d'ailleurs fort honnêtes gens, l'idée un peu rétrograde de faire marquer les fraudeurs relaps au front, avec un fer chaud, afin que les agents de l'autorité puissent facilement les reconnaître. Voilà un genre d'estampille assez original, mais antichrétien, ce me semble. (Interruption.) Qu'on ne révoque pas le fait en doute, car je suis détenteur du projet écrit de ces messieurs.

Chose singulière ! Les professeurs les plus ardents du libre échange sont précisément les députés des industries qui jouissent de droits prohibitifs. Ainsi, à part ceux de Gand, qui adorent publiquement la prohibition comme une arche sainte, ceux de Bruxelles et de Liége, qui maintiennent pour leurs électeurs une protection de 50 à 100 p. c, font les discours les plus éloquents et les plus crus en faveur du free-trade. Ils fulminent contre la protection et la laissent intacte, en ce qui les concerne, comme si elle était réellement l'arche sainte !

A les en croire, la protection est la source de tous nos maux ; elle a provoqué l'établissement d'industries artificielles, elle a trompé les capitalistes, elle a exploité les consommateurs, elle a créé le paupérisme, « horresco referens » ! Mais cette protection horrible, cette protection maudite, ils la conservent pour leurs industries. On fera encore dix traités avec l'Angleterre avant qu'on lui concède l'importation des objets manufacturés, des fers et des houilles.

A en croire toujours ces honorables membres, le libre échange est une trouvaille sublime qui doit enrichir tout le monde ; c'est une vraie panacée, une admirable invention bien supérieure à celles des chemins de fer et de la lumière électrique. Cependant ils se gardent de s'appliquer ce remède, ils n'en veulent pas pour eux et ils l'appliquent violemment à nous qui le trouvons mauvais !

Est-ce assez d'inconséquence et d'injustices ?

Messieurs, pour peu qu'on laisse faire le cabinet, il n'y aura bientôt plus personne de protégé que les libre échangistes !

Pourtant c'est au nom de la logique qu'on nous ruine, c'est par raison démonstrative qu'on nous tue.

L'honorable M. Delehaye nous a prouvé comme quoi nous devons acheter le bétail hollandais précisément parce que nos éleveurs souffrent, c'est-à-dire parce que la production du bétail ne leur laisse plus de bénéfice.

Nous poumons lui demander si l'importation des colonnades britanniques serait un puissant stimulant pour les fabricants gantois qui seraient menacés de déconfiture ? Mais il ne répondrait pas, quelque fin raisonneur qu'il soit.

L'honorable M. T'Kint de Naeyer, qui trouvait exorbitant un droit de 6 à 8 p. c. que je demandais sur le blé et le bétail de l'étranger, assure que l'industrie gantoise n'est pas exigeante. Elle ne sollicite qu'une protection de 100 p.c. laquelle il qualifie de sage, modelée et éclairée !

M. T'Kint de Naeyer. - Quand est-ce que j'ai dit cela.

M. Coomans. - J'en atteste le Moniteur. L'honorable M. T'Kint de Naeyer a dit que l'industrie gantoise n'est pas exigeante et il a ajouté qu'elle se contente d'une protection sage, moderée et éclairée. Or la protection dont jouit l'industrie gantoise monte quelquefois à 145 p. c.

M. Manilius. - Elle descend quelquefois à 3 p. c.

M. Coomans. - Oui, quand vous n'avez pas besoin de droits plus élevés. Vous-dites toujours que vous renoncerez à la protection dès que vous pourrez vous en passer. J'en dis autant pour l'agriculture. Elle renoncera volontiers, comme vous, aux droits de douane, quand elle n'en aura plus besoin. Comment se fait-il, après cela, que nous ne soyons pas d'accord ? C'est que vous ne voulez la protection que pour vous-mêmes. (Interruption.)

Les députés liégeois à leur tour trouvent absurde que leur province soit obligée de s'approvisionner à Anvers, quand elle peut le faire plus économiquement à Rotterdam. Le cabinet leur donne raison, et ouvre au commerce hollandais tout le bassin de la Meuse. Si, en vertu de ce beau principe, qui amoindrit notablement la place d'Anvers, les Campinois viennent demander, comme je l'ai fait, l'entrée des denrées coloniales par les bureaux de terre, on les éconduit lestement !

Et cela s'appelle de la logique ! Messieurs, le prétendu système commercial du ministère est un dédale d’où il importe que nous sortions au plus tôt, sous peine de provoquer dans le pays une agitation dangereuse qui ferait bien des ruines. J'ai eu l'honneur de le déclarer plusieurs fois à la chambre : il y a quelque chose que je place au-dessus des systèmes économiques, c'est la justice. Voilà le drapeau sous lequel je me rallie avec mes amis. Protection pour tous ou pour personne ; liberté commerciale pour tous ou pour personne.

La protection élève, il est vrai, le prix des marchandises, mais c'est le travail national qui en profite. Le free-trade provoque artificiellement le bon marché, mais il apporte le trouble dans les affaires, et il diminue la somme du travail national, ce qui est, à mon sens, le plus grand des malheurs. Je suis donc, je resterai protectionniste ; toutefoisn ne pouvant consentir que les trois quarts des Belges payent une prime douanière au quart restant sans recevoir quelque prime en retour, j’adjure le cabinet et la majorité de créer un système unifirme dans l’un ou l’autre sens. Ma proposition de réforme douanière n’a pas d’autre but.

- Un membre. - C'est pour cela qu'elle ne sera pas votée.

M. Coomans. - Nous verrons bien.

Naguère, quand je soutenais à Anvers la nécessité d'une protection douanière à peu près égale pour les diverses classes de travailleurs belges, j'étais critiqué par des négociants qui approuvaient, à un point de vue local, la libre importation des denrées alimentaires. Je leur dis à cette époque : Prenez-y garde ! le vent souffle au free-trade, le ministère veut détruire peu à peu notre édifice douanier ! Aujourd'hui il entame l'agriculture, demain il frappera le commerce pour atteindre ensuite l'industrie. « Principiis obsta ». Faites obstacle avec moi à ces principes...

- Un membre. - Traduction libre.

M. Coomans ; - Oui, traduction de libre-échangiste. Opposez-vous à de mauvais commencements, reconnaissez que tous les travailleurs belges sont solidaires, qu'ils ont les mêmes droits et agissez en conséquence.

J'ai rencontré d'abord des incrédules, mais peu à peu la lumière s'est faite, et à présent elle crève les yeux. La prédiction s'est malheureusement accomplie, Anvers est sacrifié comme le reste de la province. Les défenseurs de l'agriculture ont désormais des alliés puissants, ayant bec et ongles. La lutte va grandir. (Interruption.)

M. de Liedekerke. - Anvers nous appuiera.

M. Coomans. - Oui, maintenant je dis encore aux Gantois : Prenez-y garde,vous prêtez les mains à une œuvre injuste que le repentir suivra de près. N'espérez pas conserver des privilèges qui nous ruinent. La douane qui vous abrite nous abritera, ou elle sautera ; retenez cela.

- Plusieurs membres. - C'est cela !

M. Coomans. - Je le répète, elle nous abritera comne elle vous abrite, ou elle sautera.

Nous ne souffrirons pas que la douane ne serve qu'aux libre-échangistes.

M. David. - Messieurs, les excellents discours de MM. les ministres des affaires étrangères et des finances et de l'honorable M. Orts ont mis à néant les objections faites contre le traité ; ils ont même réfuté l'orateur qui se rassied. Je me bornerai donc à motiver très succinctement mon vote.

Aucun des orateurs qui m'ont précédé n'a nié complètement les avantages commerciaux et industriels qu'aura le traité pour plusieurs de nos grandes industries nationales.

Quelques armateurs cependant ont su faire sonner bien haut le préjudice à résulter, pour leurs intérêts, de l'adoption du traité.

Mais, messieurs, fût-il même vrai que l'abrogation de la loi des droits différentiels dût causer quelque préjudice momentané à nos armateurs, privés qu'ils sont de tout esprit d'entreprises quand le gouvernement ne vient pas les stimuler par des subsides, il faudrait que nous, qui sommes appelés à sauvegarder les intérêts du plus grand nombre, nous ne nous laissions pas arrêter par des considérations de convenauce particulière, en présence de ce que réclame le bien-èlre de tous.

Le pays tout entier, si vous voulez lui ménager les moyens de figurer parmi les nations industrielles et commerçantes, a besoin d'être débarrassé des droits différentiels, qui surchargent de frais inutiles et onéreux toutes les matières premières de consommation, en lui désignant un seul pavillon privilégié, impuissant à le servir à bon marché.

Il faut qu'Anvers devienne un Liverpool, un Havre, un Hambourg par l'affluence dans ses magnifiques bassins de la marine marchande de toutes les nations. Il faut qu'Anvers soit le port et l'entrepôt du centre et du midi de l'Allemagne. Il faut que la Belgique y trouve des approvisionnements à bon marché pour toutes ses industries et chaque jour des moyens d'exportation à fret avantageux pour tous les points du globe.

Eh bien, ce brillant avenir pour Anvers ne peut se réaliser qu'en écartant toutes les entraves qui refoulent la navigation vers d'autres villes maritimes, ses heureuses rivales. Anvers, pour arriver à la plus haute prospérité, loin de réclamer l'exclusion de certains pavillons, devrait demander la franchise complète de son port et de tout son territoire à l'instar de Trieste, Fiume, etc. On cherche à représenter une autre industrie comme lésée aussi par le traité ; c'est ainsi que la grande et la moyenne propriété jettent les hauts cris au nom de l'agriculture sur les effets défavorables qu'aura le traité pour les intérêts des cultivateurs. Les défendeurs de cette branche importante de la richesse nationale prétendent que l'élevage du bétail, surtout, sera frappé et réclament des (page 444) droits protecteurs pour sauvegarder la prospérité de nos campagnes. Je leur dirai d’abord, que le bétail maigre est une matière première pour tous nos engraisseurs, que les vaches pleines achetées à l'étranger sont indispensables à tous nos métayers, et que l'alimentation à bon marché de nos populations a besoin de la concurrence sur nos marchés du bétail gras venant des pays voisins.

Je leur dirai ensuite les raisons de l'infériorité de l'industrie de l'élevage du bétail dans notre pays. La première, c'est que nos éleveurs sont trop indifférents sur les qualités des reproducteurs mâles et femelles et nourrissent aussi bien un animal qui, à 2 ans, vaudra 120 à 140 fr. seulement, qu'une bête qui se vendrait 228 à 250 francs, après avoir coûté cependant absolument le même prix d'entretien et d'élevage.

La seconde, c'est le taux trop élevé des baux en Belgique, et, par une conséquence toute naturelle, le prix fabuleux de la terre. Cet état de choses a été amené par les lois désastreuses sur les céréales de 1834 et années suivantes, qui ont permis aux propriétaires de hausser le loyer de la terre à chaque renouvellement de bail.

Le locataire, pour acquitter son fermage, doit cultiver des céréales dont chaque jour il peut faire argent avec facilité et bénéfice, et ne peut se livrer à l'élevage d'un bétail qui ne représente de valeur qu'à l'âge de deux ou trois ans, qui est exposé à mille dangers et maladies et qui ne peut se réaliser du jour au lendemain, quand le fermier doit faire de l'argent.

Une troisième raison vient se joindre à celles qui précèdent, c'est la grande densité de la population en Belgique et, par conséquent, l'emploi des terres à la culture des objets les plus indispensables à l'alimentation de l'homme. Voici, messieurs, un relevé de la proportion des habitants par lieue carrée dans divers Etats de l'Europe, d'après une statistique que j'ai sous les yeux : Belgique 740 par lieue, Angleterrre 395, France 310, Autriche 280, Allemagne 255, Espagne 75, Russie 45.

Les faits viennent corroborer mon raisonnement ; en effet, dans quels pays se livre-t-on à l'élevage du bétail ? Dans les pays les moins riches, les moins habités et les plus dénués de voies de communication.

Dans les Pampas de l'Amérique du Sud, on élève le bétail pour la peau, les cornes et les ongles seulement.

Dans les steppes de la Bessarabie et du midi de la Russie on n'en retire que la peau, le suif, les cornes et les ongles.

En Hongrie et en Gallicie le bétail est élevé pour l'alimentation d'une partie de l'Autriche.

En Belgique même, messieurs, les seules contrées qui puissent encore se livrer à l'élevage sont le Luxembourg et l'Ardenne, et pourquoi ? Parce que là les fermages et les terres y sont à plus bas prix que dans le reste du pays.

Il est évident, d'après ce qui précède, qu'en suivant nos honorables contradicteurs sur le terrain des droits élevés de douane à notre frontière, vous n'aurez rien fait en faveur de l'agriculteur belge, dont le bail sera immédiatement haussé en proportion des droits de protection ; seuls les propriétaires verront augmenter leurs revenus par une pareille mesure.

J'engage fortement le gouvernement à ne pas entrer dans cette voie dangeieuse et de continuer, au contraire, à marcher fermement vers un système libéral en matière de douane. Le traité, que je le félicite d'avoir conclu avec la Hollande, étant un premier pas vers ce système, j'y donnerai mon adhésion.

M. Orban. - Je ne viens point examiner les hautes questions de politique commerciale que soulève le traité. C'est un soin que j'abandonne à de plus habiles et à de plus compétents que moi. Je viens, après tant d'autres, vous parler de l'immense préjudice que cause à notre agriculture et j'ose le dire au développement de la richesse nationale, l'introduction en Belgique du bétail hollandais. J'aurais voulu pouvoir me taire et attendre pour parler que cette importante question fût l'objet d'un débat spécial. Mais une pareille abstention ne m'est point permise et je manquerais aux premiers devoirs d'un représentant luxembourgeois, si, en présence de la détresse tous les jours croissante de mes commettants, je gardais le silence aujourd'hui.

Que l'on ne s'étonne point de mes paroles, elles sont exemptes d'exagération. Le mot de détresse publique est le seul qui convienne pour qualifier la position faite par la politique aveugle du gouvernement à une population exclusivement agricole et chez laquelle presque tous les bénéfices de l'agriculture viennent se résumer dans la vente et l'élève du bélail.

Antérieurement à la législation qui nous régit et pendant la période de protection équitable pour l'agriculture qui l'a précédée, la province de Luxembourg avait joui d'une situation prospère et, en peu d'années, elle avait subi une sorte de transformation. Le cultivateur, encouragé par le placement avantageux et facile de ses produits, avait rapidement augmenté son bétail en nombre et surtout en qualité. C'est une chose remarquable en effet et souvent signalée par l'administration provinciale, que l'amélioration des races obtenue en si peu de temps. Le cultivateur, maître de disposer d'engrais plus considérables et de capitaux plus nombreux, avait non moins rapidement amélioré et augmenté sa culture. Le prix des bonnes terres était doublé. Nos bruyères elles-mêmes se transformaient partout en terres labourables et venaient ajouter la plus précieuse des valeurs du capital national. Ai-je besoin d'ajouter, messieurs, qu'à côté de l'agriculture florissante, la position faite aux intérêts industriels n'était pas moins satisfaisante. La vente des denrées coloniales et des fabricats avait quadruplé chez nous et le Luxembourg était devenu un débouché précieux pour le commerce et l'industrie belges.

Il a suffi de quelques années du régime libéral qui nous régit pour nous faire descendre de cette situation prospère si légitimement conquise et pour tarir du même coup la source des bénéfices que faisait l'agriculture et de ceux qu'elle procurait à l’industrie.

Depuis trois ou quatre ans, nos cultivateurs ne peuvent se défaire de leur bétail qu'à des prix inférieurs de 30, 40 et jusqu'à 60 p. c, selon les espèces, à la valeur réelle, « au prix rémunérateur », pour me servir d'une expression qui, dans la bouche de nos adversaires, a si souvent pris une signification dérisoire. A des conditions pareilles, messieurs, le commerce n'existe plus, il ne peut plus être considéré que comme une fâcheuse extrémité à laquelle le besoin, la nécessité de remplir ses obligations, et notamment d'acquitter les charges publiques, tous les jours aggravées, peut réduire le malheureux cultivateur.

Plutôt que décéder son bétail à vil prix, très souvent, il l'abat pour sa propre consommation. L'on parle souvent ici de progrès et chacun l'entend à sa manière. En voici un que nous devons certainement au ministère libéral. Grâce à lui le paysan ardennais se nourrit maintenant de viande, mais cet avantage il l'acquiert en sacrifiant son capital et l'instrument de son travail.

Voilà, messieurs, quelle est la situation de la province de Luxembourg et quelle est, j'en suis sûr, dans des propositions peut-être un peu adoucies, la situation des campagnes dans le reste du pays. Et c'est dans de pareilles circonstances, c'est lorsque de toutes parts on demande que de prompts remèdes soient apportés au mal, qu'on vient lui apporter une dernière aggravation, par un traité qui joint la liberté de transit et la liberté d'importation, qui, après avoir abandonné à nos voisins le marché intérieur, lui livre aujourd'hui le marché français.

Je ne vous ferai pas l'injure de chercher à prouver que l'avilissement de prix du bétail belge est dû à l'importation du bétail hollandais. Le bon sens public, plus éloquent que tous les sophismes, a résolu cette question et il n'est pas de cultivateur dans nos campagnes, qui ne sache à qui il doit attribuer la cause de sa ruine.

Mais ce que l'on ne doit point se lasser de répéter dans cette enceinte, c'est qu'une pareille politique est aussi aveugle qu'elle est injuste et peu patriotique.

Elle est aveugle, car, sous prétexte de favoriser l'industrie, elle supprime les bénéfices de l'agriculture, qui seuls peuvent procurer à l'industrie des débouchés abondants, certains et durables.

Elle est injuste, messieurs, car elle force l'agriculteur et particulièrement l'éleveur belge à lutter sans protection et dans des conditions nécessairement inégales, avec le producteur étranger.

Enfin, messieurs, cette politique n'est ni nationale ni patriotique, car l'agriculture qu'elle foule aux pieds a toujours été considérée, dans tous les temps et dans tous les pays, comme le fondement de la grandeur nationale et s'il y a un axiome incontestable, dans la science des gouvernements,c'est qu'il n'y a point de prospérité solide et durable pour un pays, s'il ne possède une agriculture florissante.

Quand je réfléchis au bien-être et à l'aisance que cette politique a détruits, auprès de tant de modestes foyers, quand je songe à la compression qu'elle a exercée sur le développement de la richesse publique, il m'est impossible de désirer avec ardeur le moment où le bon sens public, le bon sens belge, si profond et si vivace, reprenant ses droits, fera justice d'un pareil régime.

Il est temps que l'immense majorité du pays cesse d'être sacrifiée à l'intérêt et à l'ambition des minorités.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il est facile de s'apercevoir au ton des orateurs de l'opposition que, dans la discussion de ce traité, les intérêts commerciaux cachent d'autres intérêts et des passions qui lui sont étrangères.

L'honorable préopinarit et quelques-uns de ses amis représentent la Belgique comme étant dans un état de souffrance, de compression provoqué par la politique déplorable, misérable, désastreuse, antipatriotique du cabinet. Je pense que ces honorables membres ont le tort de faire une Belgique avec leur sombre imagination.

Ils sont mécontents, ils trouvent que la position de leur parti n'est pas bonne ; ils ont fait beaucoup d'efforts pour se transformer en majorité ; jusqu'ici, ils n'ont pu y parvenir, ils éprouvent un mécontentement personnel qui s'explique, qui s'excuse ; mais conclure de leur position personnelle, de leur sentiment personnel à la position du pays, au sentiment général du pays, c'est manquer de logique, je dirais de bon sens si je voulais emprunter au vocabulaire de nos adversaires tout ce qu'il a de poli.

Voici un député du Luxembourg qui trouve à propos d'attaquer le traité conclu avec la Hollande comme désastreux pour sa province. Qu'a de commun ce traité avec le Luxembourg ?

Nos lois, dit-il, ne protègent pas suffisamment l'agriculture. En effet, lorsque le gouvernement vint proposer de substituer à la liberté illimitée d'entrée des denrées alimentaires un droit modéré, les défenseurs de l'agriculture, ceux qui ont la prétention de comprendre seuls ses intérêts, ceux-là nous annonçaient une catastrophe prochaine pour l'agriculture : les prix allaient s'avilir de plus en plus, les terres allaient (page 445) devenir incultes, le paysan serait ruiné. La loi des céréales, heureusement, n'a pas réalise ces prédictions funestes ; il se trouve que, depuis plusieurs années, le prix des céréales sur tous nos marchés n’a pas été à un taux plus élevé qu'aujourd'hui.

Voilà un fait qui n'est pas niable. Je dis que la loi des denrées alimentaires n'a pas produit les résultats funestes qu'on nous prédisait ; que loin de là, jamais à aucune époque, depuis plusieurs années, depuis la crise alimentaire, les prix des céréales n'ont plus été satisfaisants qu'aujourd'hui. Je me borne à citer ce fait.

Le bétail, dit-on, la Hollande en inonde nos marchés, et par suite de la liberté du transit elle va venir nous faire concurrence sur les marchés français. J'ai dit que je ne voyais pas ce que le Luxembourg avait à débattre dans cette question.

M. Orban. - C'est fâcheux !

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je n'ai pas l'intelligence du député de Neufchâteau, mais je ne vois pas ce qui peut intéresser le Luxembourg dans cette question.

Les exportations de bétail en transit de la Hollande vers la France ont-elles été en croissant ? Depuis les années 1844 nos exportations de bétail en France ont été sans cesse diminuant, et dans ces exportations nous comprenons non seulement le bétail belge, mais aussi le bétail hollandais.

Voici comment :

(M. le ministre donne le tableau des exportations vers la France depuis 1844, et il ajoute :)

Vous voyez que la tendance n'est pas l'augmentation du transit et l'exportation du bétail hollandais vers la France. Il y a, au contraire, tendance vers la diminution ; cela s'explique : depuis plusieurs années, ce n'est pas vers la France que s'opère le mouvement commercial agricole de la Hollande ; depuis que l'Angleterre a substitué à son régime restrictif un régime plus libéral, la Hollande a profité de cette large brèche aux tarifs anglais pour introduire en Angleterre des denrées alimentaires en immense quantité.

C'est vers le marché anglais que se fait aujourd'hui l'exportation du bétail hollandais ; c'est aussi vers ce point que la Belgique a trouvé moyen d'exporter une grande quantité de ses produits agricoles. J'admets que l'exportation du gros bétail n'a pas éprouvé d'augmentation, mais nous avons exporté du petit bétail en forte quantité ; nous avons exporté. aussi une immense quantité de chevaux. L'honorable M. Orban ne dira pas que le cheval joue un rôle insignifiant dans l'agriculture du Luxembourg ; or l'exportation des chevaux a été constamment en croissant ; aujourd'hui elle dépasse tous les chiffres antérieurs.

Comme je le disais en commençant, l'honorable membre a substitué son sentiment personnel au sentiment général de cette province. Tout ce qui a été fait et ce qui va s'exécuter fera suffisamment apprécier cette opposition que l'on nous fait aujourd'hui.

Au point de vue de l'agriculture, de grands efforts ont été faits par le gouvernement, notamment pour le Luxembourg ; et j'ai des raisons de penser que l'opinion de l'honorable député de Neufchâteau n'est point celle de la majorité des agriculteurs luxembourgeois.(Interruption.) L'honorable membre m'interrompt pour me dire qu'il n'y a pas un seul agriculteur dans les écoles ; eh bien, messieurs, j'ai pris soin de me faire produire le tableau des professions exercées par les parents de chacun des élèves de nos écoles d'agriculture, et là encore l'opposition reçoit, par les faits, un complet démenti.

Messieurs, lorsque nous avons proposé aux chambres de substituer au régime de liberté illimitée des denrées alimentaires, régime qui existait depuis deux ans et que nos adversaires avaient établi, je le reconnais, à leur corps défendant, lorsque nous avons proposé de substituer à ce régime un régime de droits modérés, de quoi nous a-t-on accusés ? On nous a accusés de sacrifier l'agriculture au commerce. Tout se faisait alors pour le commerce. Le ministère avait dans son sein un représentant de la ville d'Anvers ; il voulait sacrifier l'agriculture tout entière aux intérêts anversois.

Lorsque le chemin de fer a été voté dans cette chambre, c'était encore, disait-on, une conception inspirée exclusivement par les intérêts du commerce. L'agriculture, son honorable et principal organe d'alors, l'honorable M. Eloy de Burdinne, n'a cessé de le répéter, l'agriculture était sacrifiée à l'intérêt des Anversois.

Lorsque, messieurs, nous soutenions que dans la législation des sucres il fallait faire la part du commerce, que nous répondaient les défenseurs de l'agriculture ? Vous sacrifiez l'agriculture et toujours vous sacrifierez l'agriculture aux intérêts d'Anvers. Quel malheur pour le pays d'avoir dans le cabinet un représentant de la ville d'Anvers !

Ainsi donc, messieurs, il était établi par nos adversaires que par le chemin de fer, que par une loi libérale en matière de céréales, que par une loi commerciale sur les sucres nous sacrifiions les intérêts de l'agriculture au port d'Anvers.

Aujourd'hui, messieurs, le thème est changé. Voici que nous sacrifions le port d'Anvers, nous le sacrifions aux intérêts de l'industrie ; c'est l'industrie qui va subir les résultats désastreux de cette politique déplorable du cabinet.

Le commerce, messieurs, est sacrifié par le traité, et pourquoi ? Parce que ce traité abandonne une partie de la législation des droits différentiels.

Mais comment donc, messieurs, le commerce lui-même a-t-il envisagé en tout temps la législation des droits différentiels ? Le commerce l'a d'abord repoussé de toutes voix pendant plusieurs années, alors qu'elle n'avait pour organe que l'honorable abbé de Foere, renforcé depuis par l'honorable abbé de Haerne.

La loi actuelle des droits différentiels pour laquelle vous montrez tant de sympathie, à laquelle vous avez si grande peur que l'on ne touche, même dans ses parties les plus insignifiantes, et le traité ne fait que cela, la loi actuelle, dis-je, loin d'être acceptée par le commerce d'Anvers, a été l'objet de ses protestations. (Interruption.) Est-ce que le commerce d'Anvers n'a pas protesté contre la loi des droits différentiels ? Est-ce que tous les députés d'Anvers n'ont pas voté contre la loi des droits différentiels ?

Est-ce que l'honorable rapporteur de la section centrale, épris d'une tendresse si passionnée pour cette loi, n'a pas voté contre la loi des droits différentiels ?

L'honorable M. Malou nous dit, dans son rapport, que toute la loi des droits différentiels réside dans la question de la relâche à Cowes. Voici ce que j'y lis page 12 :

« Chacun sait qu'en dernière analyse tout le régime des droits différentiels, tous les effets qu'il est permis d'en attendre dépendent de la manière dont la question de la relâche à Cowes sera résolue. »

Eh bien, messieurs, cette question de la relâche à Cowes, comment est-elle envisagée par le commerce, comment a-t-elle été, de tout temps, jugée à Anvers ? Lorsqu'elle a été introduite dans la loi des droits différentiels, le commerce d'Anvers a protesté contre cette introduction d'un principe qu'il regardait comme fatal. Voici ce que je lis dans une pétition adressée à la chambre par le commerce d'Anvers, au moment où cette disposition essentielle était introduite dans la loi :

« L'exception dont sont frappés les navires étrangers qui touchent à Cowes ou à Falmouth par ordre, nous paraît devoir porter une atteinte funeste au commerce de consigation et au transit et détourner au profit des ports rivaux, bon nombre de cargaisons étrangères qui, sans cela, seraient venues alimenter nos marchés.

« La conséquence sera un rétrécissement du marché belge, et un obstacle réel à l'extension de nos affaires commerciales. »

Voila du bon sens pratique, voilà des raisonnements que les faits sont venus confirmer.

Voilà comment le commerce d'Anvers comprenait et expliquait avec beaucoup de sagesse, selon moi, les effets de cette disposition sur la relâche à Cowes, qui est aujourd'hui le pivot de tout ce grand système de droits différentiels, dont on nous a fait un si pompeux éloge dans ces dernières discussions.

Mais, dit-on, depuis lors le commerce d'Anvers s'est éclairé ; l'expérience lui à montré que cette loi des droits différentiels, contre laquelle il a si longtemps protesté, renferme, en effet, comme l'avait prédit l'honorable M. de Foere, les éléments de sa prospérité et de sa grandeur futures. Eh bien, voyons comment l'expérience a converti les négociants, les commerçants d'Anvers. Nous avons sous les yeux une pétition du 12 mars de cette année, signée par les principaux négociants et armateurs d'Anvers. Cette pétition a été adressée à la chambre. Permettez-moi, messieurs, de vous faire connaître l'appréciation qui y est faite de la loi des droits différentiels.

« Au 31 décembre 1848 (c'était déjà une première protestation), nous avions pris la liberté de vous adresser une requête, par laquelle nous vous signalâmes les vices et les nombreux inconvénients qui résultaient à chaque moment de la loi des droits différentiels et de son application.

« C'est encore sur le même objet, messieurs, que nous venons attirer votre attention et votre sollicitude. Nous ne saurions mieux appuyer la nécessité d'une réforme radicale qu'en invoquant le simple auxiliaire des faits acquis ; loin d'avoir eu des résultats avantageux pour le commerce et pour l'industrie belges, cette loi restrictive a proscrit bon nombre de navires de notre port dont les propriétaires ne demandaient pas mieux que de venir décharger les riches cargaisons dans nos entrepôts.

« Vous comprendrez également, messieurs, que par suite, la concurrence des frets à la sortie a dû diminuer et que, partant, l'industrie du pays s'est vue obligée de devoir payer des droits plus élevés pour l'exportation de ses produits.

« Puisque l'expérience est venue victorieusement donner raison à l'opinion que nous n'avons cessé d'émettre concernant cette malencontreuse loi, nous croyons inutile d'entrer dans des considérations plus étendues pour motiver l'urgence d'une révision. Et, si les travaux de la législature ne permettaient pas d'en venir à une révision complète pendant la session actuelle, nous vous prions, dans l'intérêt général du pays, de décréter une réforme provisoire en ce qui concerne les navires venant des pays transatlantiques et relâchant dans un port intermédiaire pour recevoir des ordres et que ces cargaisons soient considérées comme importation directe, pour autant toutefois que, dans les ports intermédiaires, ils n'aient pu rompre charge. »

Voilà, messieurs, de quelle manière les principaux négociants et armateurs d'Anvers apprécient cette loi des droits différentiels dans son article essentiel, dans cet article qu'on a toujours maintenu et dans la discussion et après la discussion, comme la base essentielle de tout le système, base qui, retirée, faisait crouler le système entier.

Donc, messieurs, je ne puis croire (et certes je ne prêterais jamais le*smains à ce qu'un pareil résultat fût atteint), que le commerce d'Anvers (page 446) se trouve sacrifié par les atteintes partielles que lui portera l'application du nouveau traité avec la Hollande.

Messieurs, je ne puis admettre non plus la thèse qu'on défend aujourd'hui et qui consiste, de la part de nos adversaires, à se présenter comme les défenseurs les plus éclairés, les plus énergiques des intérêts du commerce. Je reconnais toutefois que cette thèse peut servir des intérêts passagers ; il ne serait pas inutile à nos adversaires d'arriver à cette coalition qu'on invoquait hier avec une naïveté qui n'a échappé à personne. (Interruption.)

Voici votre thèse : Le cabinet est un ennemi de l'agriculture, il l'a sacrifiée, le cabinet est un ennemi du commerce, il vient de le sacrifier ; le cabinet est un ennemi de l'industrie, il va la sacrifier. De là, messieurs, cette coalition toute naturelle du commerce, de l'industrie et de l'agriculture contre la politique du cabinet.

Le thème est habile : alarmer tous les intérêts du pays ; représenter le gouvernement comme n'ayant qu'un but, celui de ruiner le commerce, l'agriculture et l'industrie, c'est là un texte admirable, et je comprends qu'une fois lancé dans cette carrière, on parle avec dédain de l'influence libérale et de l'influence cléricale. Que sont, en effet, ces intérêts moraux de la société à côté de la ruine inévitable des grands intérêts matériels ? Aussi, on nous le prédit, il y aura de l'agitation dans le pays ; un pareil système ne pourra pas durer ; le pays ne souffrira pas de se voir ruiner dans tous ses intérêts par cette politique aveugle et fatale.

Eh bien, messieurs, permettez-moi de vous le dire, vous ne l'entraînerez pas non plus, le pays, dans cette voie ; cet expédient ne vous réussira pas plus que les autres ; il faudra recourir à d'autres moyens : le pays industriel et commercial sait fort bien de quel côté ont été et seront toujours trouvés ses défenseurs.

Comment ! ce seront l'honorable M. de Theux et ses amis qui arboreront aujourd'hui la bannière des intérêts matérielsl Mais lorsque nous avons posé l'acte le plus considérable en vue du développement des intérêts matériels, qu'ont fait l'honorable M. de Theux et la plupart de ses amis ? Ils l'ont combattu : ils se sont opposés à l'exécution des chemins de fer.

M. Coomans. - Par l'Etat.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Eh ! sans doute par l'Etat ; car alors il ne se présentait pas de société sérieuse pour exécuter le chemin de fer. L'honorable M. de Theux proposa, il est vrai, alors que les intérêts du port d'Anvers préoccupaient ses amis moins qu'aujourd'hui, le chemin de fer de Louvain à Liège ou à la frontière. A cette époque, les intérêts du commerce ne jouaient qu'un rôle très secondaire dans l'opinion des honorables membres. Un peu plus tard, il s'est agi de chercher à développer nos relations commerciales par l'extension de nos agents consulaires ; qu'ont fait l'honorable M. de Theux et ses amis ? Ils ont voté contre le crédit qui était demandé dans ce but.

Les amis de l'honorable M. de Theux sont, disent-ils, partisans du commerce et de l'industrie ; mais, après avoir voté contre le chemin de fer, que font-ils ? Ils font tous leurs efforts pour grever le commerce et l'industrie, qui usent du chemin de fer : ils n'ont qu'un cri contre les tarifs du chemin de fer ; ces tarifs sont beaucoup trop bas, il faut les relever ! Et cela, sans doute, encore dans l'intérêt de nos relations commerciales tant à l'intérieur qu'à l'extérieur !

Mais, messieurs, le pays a de la mémoire ; le commerce et l'industrie ne se laisseront point séduire par les discours si passionnés qu'on vient débiter pour les défendre. Ils ne sont point menacés ; et, entre adversaires loyaux, cette déclaration aurait dû suffire, nous avons dit et répété à satiété que nous ne jetterions pas le trouble, la perturbation dans les industries existantes.

Malgré cela, malgré cetle déclaration, répétée à satiété, on nous représente comme des libre-échangistes voulant immédiatement le renversement de toutes les douanes, voulant introduire dans le pays le régime de la liberté la plus illimitée. Or, nous défions nos adversaires de citer une seule de nos paroles, à aucune époque de notre carrière politique d'où l'on puisse conclure que nous aurions voulu introduire dans le pays la liberté illimitée du commerce. A toutes les époques, nous nous sommes montré partisan d'un système de droits modérés ; les opinions que nous avons représentées alors, nous les maintenons aujourd'hui.

Nous avions l'avantage alors de compter dans nos rangs plusieurs de nos adversaires d'aujourd'hui. L'honorable orateur qui a parlé hier avec beaucoup de talent, l'honorable M. Dechamps, partageait à cette époque mes opinions ; il nous disait : « Partisan comme je le suis des doctrines d'économie sociale professées par l'honorable M. Rogier, et les ayant défendues lors de la discussion sur les cotons, etc. » Vous le voyez, nous étions alors parfaitement d'accord ; eh bien, ces doctrines que je professais alors, je les professe encore aujourd'hui.

M. Coomans. - Vous n'êtes pas seul au cabinet.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je professe encore les mêmes doctrines, et je les pratique avec mes honorables collègues ; ils n'en veulent ni plus ni moins que moi ; ils n'en feront ni plus ni moins que moi. Il paraît que, depuis lors, l'honorable M. Dechamps ne partage plus ces doctrines ; je voudrais bien qu'il s'en expliquât ; car s'il partage encore mes doctrines je ne vois pas d'où vient la frayeur qu'il a montrée hier sur l'avenir industriel du pays.

Messieurs, j'insiste beaucoup sur ce point ; nous apporterons à la chambre des réformes à nos tarifs ; mais nous osons assurer d avance que ces réformes, loin d'alarmer nos industries, seront acceptées par elles.

Nous sommes, messieurs, des hommes de théorie ; nous croyons que la théorie joue un grand rôle dans la conduite des affaires humaines, mais nous sommes aussi des hommes politiques, des hommes pratiques, et quoi que vous en disiez, cachant vos désirs sous des craintes affectées, nous ne viendrons pas apporter des réformes qui soient de nature à troubler, à affecter l'état de nos industries. Quoi qu'on en dise, et quoi qu'en dise surtout l'honorable préopinant, nos industries sont dans un état florissant ; notre agriculture est, en général, dans un état florissant. (Interruption.) Je répète que notre agriculture est, en général, dans un état florissant : depuis la crise alimentaire, le prix des céréales n'a jamais été à un taux plus élevé qu'aujourd'hui.

De même notre commerce est en général dans un état satisfaisant ; eh ! messieurs, si mettant à part les passions politiques, dont je tiens compte et dont je ne vous demande nullement de vous dépouiller pour toujours, si, dis-je, mettant à part ces passions, vous vouliez envisager de bonne foi la situation du pays, vous devrez reconnaître que cette situation en elle-même est bonne, que, relativement aux autres pays, elle est excellente ; vous devriez reconnaître que ce n'est pas le moment de jeter au milieu du pays tous ces discours passionnés qui sont de nature à provoquer des alarmes.

Ce qu'il faut surtout, en ce moment, au pays, c'est du calme, de la tranquillité, de la confiance. Peut-on dire avec justice que les actes posés jusqu'ici par le gouvernement, au point de vue douanier, aient porté aucune atteinte aux intérêts industriels ? Avant donc, messieurs, de prendre la défense d'intérêts qui ne sont nullement menacés et qui ne se plaignent même pas, avant de chercher à répandre l'alarme, la défiance, l'irritation dans le pays, attendez au moins que nos actes aient été posés ; prenez-nous pour des hommes sérieux et ne nous attribuez pas l'idée de vouloir bouleverser tous nos intérêts matériels économiques ; ne nous faites pas une pareille injure.

Tâchez, avec nous, d'entretenir le calme du pays, la confiance du pays ; continuez votre opposition, puisque telle est la condition des gouvernements parlementaires ; mais, je vous le demande, n'exagérez rien, ne cherchez pas à semer une irritation factice ; ne déplacez pas la véritable question qui nous divise. Cette question, vous le savez, elle réside principalement dans l'influence plus ou moins grande que doit prendre le clergé dans la direction des affaires. (Interruption.)

Je ne sais pas d'où viennent ces récriminations ; je dis que vous déplacez le terrain qui nous divise ; je vous dis en quoi consiste notre division ; je fais observer qu'au point de vue des intérêts matériels, votre opposition manque de fondement, et c'est pourquoi je vous engage à rester sur votre terrain. (Interruption.)

Je vois par l'émotion que mes paroles produisent sur certains bancs, qu'en effet...

M. Orban. - Vous ne savez pas la nature de l'émotion.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je vois par l'émotion, par le mouvement que mes paroles excitent sur certains bancs qu'en effet je pourrais bien avoir mis à nu leur tactique.

Revenant en peu de mots au traité, je crois pouvoir prédire qu'il ne se passera pas trois mois avant que toutes les alarmes des défenseurs, vrais ou de commande, du port d'Anvers, ne soient entièrement dissipées. Je suis convaincu que le port d'Anvers qui faisait parfaitement ses affaires avant l'invention du grand système des droits différentiels continuerait à les faire, même après le renversement de ce système.

Mais nous n'en sommes pas encore là. Il n'a été porté qu'une atteinte partielle aux système des droits différentiels. Anvers a prospéré avant la loi de 1844, Anvers continuera de prospérer après qu'une atteinte aura été portée à une législation contre laquelle, d'ailleurs, son commerce presque tout entier a protesté.

Anvers tiendra compte au gouvernement des efforts qu'il a faits pour obtenir d'un autre pays commercial un traité de commerce qui, certes, offrira des compensations plus que suffisantes au tort léger que le traité actuel pourra entraîner. Compte-t-on pour rien aussi le traité conclu avec l'Angleterre ? Je ne sais si l'on se propose de recommencer contre ce traité une campagne semblable à celle dont nous sommes témoins et qui, je l'espère, va bientôt finir. Mais je puis dire qu'Anvers trouvera dans ce traité une compensation plus que suffisante au léger dommage que peut lui causer le traité avec la Hollande.

Ce qu'il faut en ce moment au commerce d'Anvers, c'est la tranquillité dans le pays et au-dehors, c'est la confiance chez tous les producteurs ; c'est le développement successif de nos voies de communication ; c'est d'une part le canal de l'Escaut vers la Meuse ; c'est d'autre part le chemin de fer du Luxembourg qui doit nous ouvrir l'Allemagne méridionale. Voilà par quels actes importants le commerce d'Anvers reconnaîtra la sollicitude du gouvernement pour lui.

Et si nous parvenons à donner une impulsion active à ces divers travaux, nous sommes bien persuadés que le commerce d'Anvers, comme tous les autres intérêts matériels du pays, en retireront de bien plus grands avantages que de tous les moyens factices qu'on a cherché à inventer pour lui procurer une prospérité qu'il n'a jamais atteinte et qu'il n'atteindrait jamais, en maintenant un régime qu'au fond repoussant les véritables intérêts du commerce.

M. Deliége. - (page 447) Messieurs, je conçois l'impatience de la chambre, et j’aurais certainement renoncé à la parole, sans un discours que vous avez entendu au commencement de cette séance. On a pris Liége à partie ; on a dit que les députés de Liége étaient libre-échangistes ; qu’ils aimaient ma liberté commerciale, mais qu'ils l'aimaient pour eux seuls et pas pour d'autres.

Messieurs, nous aimons la liberté commerciale ; oui, mais nous ne sacrifions pas à cette espèce de démon imbécile dont l'honorable M. Coomans a parlé : nous sacrifions à la véritable liberté ; nous pensons que quand l'ouvrier a produit un fabricat, un objet quelconque, il a le droit de le vendre à celui qu'il trouve à propos, et avec le plus grand avantage possible, qu'il soit régnicole ou étranger.

Mais je l'ai dit encore dans un discours que j'ai prononcé il y a quelque temps : nous avons toujours entendu que l'on tînt compte des intérêts engagés ; nous ne voulons pas et nous n'entendons pas qu'on alarme ces intérêts ; nous en tiendrons compte, et nous n'admettrons le principe qu'avec tous les égards dus au droit de propriété auquel nous sacrifions, et non pas à un démon imbécile.

Messieurs, j'en viens au traité ; je serai très court ; après les beaux discours que vous avez entendus, je ne puis être que court.

Vous vous rappelez, messieurs, les circonstances dans lesquelles la loi des droits différentiels a été votée ; vous vous rappelez que le but de cette loi était de faire des traités avec les nations voisines ; vous vous rappelez même que la première commission instituée dans le but d'établir ces droits différentiels, avait compris dans son projet un article 2, aux termes duquel le gouvernement, sans avoir besoin du concours des chambres, aurait pu même faire des exceptions à la loi des droits différentiels.

Cet article ne fut pas voté ; et pourquoi ? A cause de l'article 68 de la Constitution qui défend au pouvoir exécutif de conclure des traités sans l'assentiment des chambres.

Ainsi donc, il est évident que cette loi des droits différentiels, qui était une ancienne friperie retrouvée dans les garde meubles du XVIIème siècle, il est évident, dis-je, que cette loi n'a été faite que pour tâcher d'obtenir des traités avec les nations voisines.

Ce but, il est atteint dans une certaine mesure par le traité soumis à notre discussion.

Je ne ferai pas un discours sur le traité en lui-même, je m'arrêterai ici et je m'en réfère à tout ce qui a été dit sur ce traité. Je ne le crois pas excellent, comme chacun le pense, mais je crois que dans notre situation nous aurions tort de ne pas l'accepter. Il y a un argument qui a été produit par M. Orts et qui doit faire de l'effet sur nous.

Ses paroles ont été un appel à notre patriotisme ; l'alliance avec la Hollande nous est nécessaire, comme notre alliance est nécessaire à la Hollande. Espérons que jamais les faits ne viendront donner du poids à cette assertion. En attendant, je crois que la prudence nous fait un devoir de voter le traité.

M. Malou, rapporteur. - Messieurs, je me proposais de m'occuper exclusivement de la politique commerciale du cabinet. Mais le discours qu'a prononcé M. le ministre de l'intérieur m'amène forcément, pour quelques instants, sur un autre terrain ; cependant je crois inutile de répondre à toutes les parties de ce discours et surtout d'expliquer l'étonnement, l'hilarité qui a accueilli ses paroles, quand, à propos des droits différentiels, nous avons vu évoquer le grand fantôme du clérical...

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'est M. Dechamps qui l'avait évoqué le premier, je ne faisais que lui répondre.

M. Malou - J'ai plusieurs observations à présenter ; si MM. les ministres, qui ont la parole chaque fois qu'ils la demandent, viennent encore m'interrompre dès les premiers mots que je prononce, nous devrons encore avoir une séance du soir.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'ai été interrompu plusieurs fois et par vous-même.

M. Malou, rapporteur. - Il y a, dit-on, une tactique de parti, nous sommes des mécontents, nous regrettons de n'être pas encore devenu majorité. Ne voyez-vous donc pas ce qui se passe ? Cette année surtout, vous avez fait d'autres affaires que celles de l'opinion à laquelle vous appartenez ; rappelez-vous ce qui s'est passé aux élections qui ont eu lieu à la suite de la malencontreuse dissolution du sénat, isolément prononcée ; interrogez les faits et demandez laquelle des deux opinions aurait à craindre une dissolution, laquelle des deux opinions a le droit d'être mécontente de ce que vous avez fait. Mais je le dis, ce n'est pas nous.

On nous parle de coalition d'intérêts ; on ferait mieux de n'en point parler, après avoir fait une si grande coalition dans l'ordre des intérêts matériels à la fin de la dernière session, et lorsque dans ce moment même c'est encore la coalition qui doit faire le succès du cabinet.

Je me borne à ces deux observations pour répondre au grand discours politique de M. le ministre de l'intérieur, ou plutôt de l'honorable député d'Anvers. J'arrive plus directement à l'objet du débat.

L'accomplissement du devoir qui m'est imposé comme rapporteur de la section centrale est singulièrement facilité par la manière dont le traité a été défendu. Je distingue trois nuances parmi les défenseurs du traité : les uns le votent quoiqu'ils le trouvent mauvais, quoiqu'il consacré un système qu'ils désapprouvent.

Je citerai comme appartenant à cette nuance l'honorable M. Manilius qui, sous le prétexte de parler pour le traité, a fait contre la publique commerciale du cabinet un des discours les plus rudes qu'on ait prononcés ; je range dans la même catégorie ses honorables amis, députés Gand.

Une deuxième nuance, celle-ci s'est le plus nettement expliquée par l'organe de l'honorable M. de Brouckere, comprend les libre-échangistes ; ils adoptent le traité non quoique mauvais, mais parce qu'ils le trouvent mauvais, par ce motif notamment qu'il n'assure aucun privilège à nos industries dans les Pays Bas.

Une troisième opinion vote le traité parce qu'elle le trouve bon ; cette opinion, jusqu'à présent, n'a guère été défendue que par MM. les ministres.

Ceci posé, j'examinerai d'abord la manière dont la question de principe se présente ici ; j'apprécierai ensuite les résultat.

L'honorable ministre des finances disait que mon honorable ami M. Dechamps et moi, nous avions eu un moment de distraction, quand nous nous étions plaints de la conduite du gouvernement, qui selon nous aurait dû réformer la législation commerciale et traiter ensuite ; l'honorable ministre ajoutait que le gouvernement avait eu la naïveté de procéder autrement. Je ne réfuterai pas cette expression, c'est une véritable naïveté que le cabinet a commise.

Voyons en effet comment les choses se sont passées. Le traité se négocie, se conclut sans consulter personne, et quand il est conclu, quand les objections pleuvent, que fait-on ? On invente, pour répondre aux objections, la réforme commerciale.

Je dis qu'on l'invente après coup ; quand on lit les documents communiqués à la section centrale et l'exposé des motifs, on peut se convaincre que le tarif uniforme ne résultait pas de l'article 14 dans la pensée du gouvernement ; il devait y avoir assimilation entre les provenances des Pays-Bas et les provenances belges, mais non abolition totale des droits différentiels pour les provenances tierces ; le tarif uniforme pour toutes les nations, d'après votre aveu constaté par les pièces, est né comme réponse aux objections qui se sont élevées à Anvers.

Si cette réforme s'était produite spontanément, naturellement, le gouvernement nous aurait donné le droit et le temps d'examiner, de contrôler avec une liberté entière ; au contraire, on vous présente la réforme, on vous la fait voter sans qu'elle ait été discutée. Je demande ce que devient, dans un pareil système, le pouvoir parlementaire et le gouvernement constitutionnel.

Les garanties que cette forme de gouvernement doit présenter deviennent une fiction. Le traité sera-t-il adopté ? Il le sera, je le crains ; alors sommes-nous libres de voter ou de rejeter la réforme ? Non, elle est faite, parce que nous, qui ne voulons pas l'assimilation de l'étranger au Belge, nous repoussons à plus forte raison une position privilégiée faite aux étrangers à l'égard des Belges ; par conséquent le traité voté, la réforme est votée sans aucun examen, sans que la vérité du gouvernement parlementaire ait été maintenue.

Pour que cette situation se caractérisât bien, il fallait que la réforme commerciale arrivât le jour où la discussion sur le traité s'ouvrirait ; il fallait que le complément de cette réforme vint à l'avant-dernière séance de la discussion ; il fallait que, hier, lorsque la première partie de la séance allait finir, on vînt proposer de donner provisoirement au gouvernement le pouvoir de sanctionner dès le 1er janvier la réforme que l'on improvise.

Le gouvernement constitutionnel, un grand orateur l'a dit,, qu'est-il, sinon la consultation perpétuelle de tous les intérêts ? N'est-ce pas là le but de toutes les dispositions organiques qui existent en Belgique ?

Et maintenant, messieurs, voyez ce qui se passe : il s'agirait de déplacer un chemin vicinal, de nommer un juge de paix, ou de savoir si l'on peut, dans telle localité, établir une petite machine à vapeur, on procéderait à un examen des droits, à une enquête, on entendrait les intérêts engagés ; et ici, lorsqu'il s'agit d'altérer profondément toute la constitution commerciale et industrielle du pays, personne n'est consulté, il n'y a aucune enquête, aucun débat préalable. Si c'est là une politique nouvelle, elle n'en est pas meilleure pour cela.

Dans notre pays, messieurs, et en remontant à toutes les époques de notre histoire, nous trouvons de bien autres traditions : toujours et quelle que fût la forme du gouvernement, les intérêts divers étaient entendus avant qu'il intervînt une décision du pouvoir. Aujourd'hui ia nation n'a qu'a sanctionner ce que le gouvernement a décidé d'avance.

L'honorable ministre des affaires étrangères, dans une séance précédente, l'honorable ministre de l'intérieur, dans la séance d'aujourd'hui, nous a parlé de la confiance que le commerce doit avoir, de la sécurité, de la fixité qui sont les éléments nécessaires de l’activité industrielle ; et dans quel moment parle-t-on ainsi ? Lorsqu’une réforme aussi importante surgit le lendemain d’un traité et lorsque le gouvernement ne sait pas encore ce qu'il fera, quand il le fera, et j'oserais presque dire, s'il fera quelque chose. Lorsque d'aussi grands intérêts sont en jeu, on aurait dû, au moins, leur épargner cette ironie.

Nous avons tort. Nous sommes des pessimistes ; nous disons à tort que l'industrie agricole est en souffrance. La prospérité est grande ; MM. les ministres ne manquent aucune occasion de constater ce fait ; et c'est lorsque la prospérité est si grande, si merveilleuse, qu'on vient déclarer la nécessité, l'urgence d'une réforme. Ailleurs, messieurs, lorsque des réformes sont introduites, elles ont pris la peine de se légitimer d'abord par la pression de l'opinion publique. Cette opinion a été consultée, elle a pu se faire entendre, tous les intérêts ont été consultés dans des enquêtes contradictoires. Les réformes ne viennent que lorsque les plaintes ont surgi, lorsque (page 448) le malaise a été constaté. Ici qu’allez-vous faire ? L'expression me vient à l’instant, vous allez réformer votre prospérité. Il me semble, vraiment, que je ne sais quel docteur veuille, sous prétexte d’améliorer une constitution robuste, la médicamenter à loisir. Je ne crois pas que ce soit le moyen de la fortifier.

Quelle est la nature, quel est l'objet de cette réforme ? Le doute était possible hier matin, il ne l'est plus aujourd'hui : les honorables membres qui ont occupé en grande partie la séance du soir, l'honorable ministre des finances, l'honorable M. de Brouckere, l'honorable M. Orts ont bien constaté qnel est le caractère du débat et quelle doit en être l'issue : « Nous acceptons, disait l'honorable M. de Brouckere, nous acceptons ce traité comme la fin prochaine de la protection manufacturière. » Et, lorsque je lui demandais s'il était d'accord avec M. le ministre des finances, il a répondu que oui, et l'honorable ministre des finances n'a pas jugé nécessaire de protester.

M. Manilius. - M. le ministre de l'intérieur l'a fait aujourd'hui.

M. Malou. - C'est autre chose. Je distinguerai tout à l’heure entre MM. les ministres.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - M. de Brouckere a ajouté : « Nous ne voulons jeter la perturbation dans aucun intérêt. »

M. Malou. - On dit qu'on fera la réforme lentement, prudemment ; on laisse espérer aux uns qu'on ne touchera pas aux intérêts existants, aux autres, qu'on y touchera ; eh bien, il faut sortir de cette équivoque, il faut expliquer ce qu'on veut faire. Permettez-moi de le dire, le système que vous suivez est, non seulement en justice mais en principe, le plus déplorable de tous ; il y a une loi de la Providence qui dit à l'homme : Vous mourrez un jour. Mais elle n'a pas indiqué ce jour ; elle a voulu ainsi soutenir l'activité de l'homme ; vous, vous dites à l'industrie : Vous mourrez tel jour, mais nous y mettrons des procédés ; nous aurons bien soin de ne rien brusquer ; vous pouvez espérer que, les choses allant pis, vous soyez un jour égorgetée doucettement avec un petit couperet ; mais votre existence est condamnée ; la constitution actuelle de ce qui fait votre force, de ce qui fait votre confiance dans l'avenir, tout cela doit disparaître.

J'aimerais beaucoup mieux une réforme accomplie, quelque désastreuse qu'elle pût être, que cette imminence d'une réforme qui se ne fait pas.

Messieurs, je m'arrêterai peu à la discussion théorique, à la discussion des principes de la réforme, pourquoi ? Il y a un fait qui domine tout, qui dominera la législature belge comme il a dominé ailleurs, c'est qu'après avoir échangé beaucoup de théories, on en arrive toujours, par simple bon sens, à se demander quel est l'intérêt véritable, quel est, en quelque sorte, la donnée moyenne qui concilie le mieux tous les intérêts du pays. J'entends volontiers les hommes qui nous prêchent un nouveau monde, comme on le prêche depuis cent ans sans beaucoup de succès ; mais au sein d'une chambre législative, on ne se place pas à ce point de vue primitif ; on se demande quelles sont réellement les exigences des intérêts nationaux.

Cette question est résolue partout, non pas d'après un principe invariable, d'après une règle de conduite tracée pour toutes les hypothèses, mais d'après la saine appréciation des faits et des circonstances ; ainsi, par exemple, on a beaucoup parlé de la réforme anglaise ; je relisais l'autre jour le magnifique exposé de sir Robert Peel.

Il disait entre autres : Voici telle catégorie d'articles pour lesquels vous avez acquis une supériorité incontestée ; la protection n'a plus de motif : supprimons-la : nous ne risquons absolument rien. Mais voici une autre catégorie où nous avons encore des progrès à réaliser, où les concurrents sont à craindre ; maintenons la protection.

Il y avait, dans les réformes anglaises, une autre idée, qui fait complètement défaut dans celle qu'on nous annonce, c'était le système de la compensation.

Ainsi ce grand homme d'Etat qu'on invoque, en le maltraitant quelquefois, disait : Je demande un sacrifice à tel intérêt, mais j'ai le droit de le demander parce qu'en retour je lui accorde, par la même loi, tel avantage.

Ici, au contraire, la réforme qu'on nous annonce, je vois bien à qui elle peut nuire, mais il ne m'est pas donné jusqu'à présent de voir à qui elle pourra profiter.

Il y a, messieurs, ainsi que j'ai eu l'honneur de l'établir dans le rapport de la section centrale, il y a au régime qui gouverne la Belgique depuis vingt ans, un ensemble de faits qui demeurent acquis, si je puis m'exprimer ainsi, à la politique de la nationalité belge que l'on dénature l'histoire, que l'on dise : La protection de l'agriculture est due à tel membre de la chambre ; la loi sur les mesures protectrices de l'industrie linière est due à l'initiative de tel autre membre, qu'importe ?

Il ne s'agit pas de savoir qui a pris l'initiative sur l'un ou sur l'autre point, mais il s'agit de savoir si, en effet, comme nous l'avons établi, le système belge est fondé sur la protection, sur l'équilibre des intérêts, et si le législateur et toutes les administrations qui se sont succédé ont complété ce système.

Eh bien, sous ce rapport je ne crains aucun démenti ; tous les actes de la législateur démontrent que la Belgique, dès qu'elle a pu disposer d'elle-même, est entrée dans le système que l'on condamne si subitement aujourd'hui.

On dit : Telle réforme s'est introduite après 10 années d'efforts ; il a fallu à l'honorable abbé de Foere 10 ans pour faire admettre la loi des droits différentiels.

Mais, messieurs, en d'autres pays, en Angleterre par exemple, n'est-ce pas l’honneur d'un homme politique de faire prévaloir une grande réforme ? N'est-ce pas l'honneur de lord Grey d'avoir fait triompher la réforme électorale après 32 années de lutte ? J'aime mieux la persévérance qui réalise le bien, que l'étourderie qui le renverse.

On nous dit : La protection est une vieille muraille dont nous devons arracher une pierre, puis une autre parce qu'il y aurait danger à en arracher plusieurs à la fois. Messieurs, j'admettrai un instant la comparaison, et je dirai qu'en effet, en Belgique, le danger serait pour ceux qui voudraient trop s'approcher de la muraille et en arracher des pierres.

Mais la comparaison de mon honorable ami M. Orts n'est pas complètement juste, la protection est en quelque sorte le mur qui renferme toute la richesse que la Belgique a pu accumuler depuis des années, et s'il y a danger à l'attaquer ce n'est pas pour ceux qui sont dans la place, mais c'est pour les assaillants. Qu'ils s'en souviennent.

La réforme qu'on nous annonce, j'en ai déjà fait l'observation à la chambre, manque complètement de justice parce qu'elle manque de simultanéité. Elle manque encore de justice parce qu'elle manque de compensation. Qu'arrive-t-il, en effet ? On nous dit : Il s'agit de créer dès aujourd'hui pour le commerce un régime nouveau. A la prochaine session (c'est la date indiquée dans la réponse à la section centrale) nous arrivera la réforme industrielle. Les industries factices qu'a développées une trop grande protection la verront réduire. C'est bien le sens et du discours de M. le ministre des finances et de la note communiquée à la section centrale.

Que faudrait-il, messieurs, pour qu'une réforme se présentant même dans des conditions normales, ayant subi les épreuves auxquelles est soumis le moindre petit projet de loi, fût acceptable par la chambre ? Il faudrait que les intérêts eussent été mis en présence pour discuter ensemble, se faire des concessions, et trouver quel est le point où une législation sainement entendue peut faire la plus grande part à tous les intérêts.

Quand vous procédez autrement, vous livrez au hasard l'avenir, parce que vous n'êtes par certains que le traitement que vous introduisez aujourd'hui pour un intérêt sera la juste mesure de celui qui sera établi au profit, j'allais presque dire au préjudice des autres.

Mais, nous dit-on, vous avez mauvaise grâce à venir vous plaindre ; le pays tout entier applaudit ; ce n'est qu'à Anvers qu'il y a un peu de mécontentement, et il est mal raisonné ; il disparaîtra lorsque le traité sera voté.

D'abord, messieurs, il ne m'est pas donné de voir cet immense mouvement de l'opinion en faveur du traité ; je vois quelques chambres de commerce qui ont pétitionné en ce sens, quelques autres qui ont pétitionné en sens contraire, et un grand nombre qui se sont abstenus. Je crois cependant, d'après un ou deux faits qui me sont revenus, que celles qui se sont abstenues pourraient bien légitiment, cette fois, être considérées comme peu favorables au traité. Supposons néanmoins qu'Anvers seul se plaigne.

Mais, messieurs, si demain, par exemple, les négociations avec le Zollverein finissaient comme on le dit, et si par une application du système actuel, qui consiste à donner le double et à recevoir la moitié, les droits différentiels en faveur des fontes belges étaient réduits de moitié et l'abolition de l'arrêté du 14 juillet 1843 venait à être concédée entièrement à la Prusse, qu'arriverait-il alors ? On vous dirait : Il ne s'agit que de Verviers, comme on nous dit aujourd'hui : Il ne s'agit que d'Anvers.

Un autre jour ce sera peut-être le tour de Gand ; peut-être, enfin, un jour, car les destins et les flots sont changeants, le tour de Liège se présentera aussi.

M. Delfosse. - Il s'est déjà présenté.

M. Malou. - Oui, il s'est présenté plusieurs fois, mais en un autre sens, lorsque le traité de 1846 a été fait en grande partie, comme le traité du 1er septembre 1844, au profit des industries de la province de Liège, et je suis heureux de constater ces faits sur l'interruption de l'honorable M. Delfosse.

M. Delfosse. - Je faisais allusion à la loi des droits différentiels.

M. Malou. - La réforme, telle qu'on l'annonce, a pour effet de compléter ce qui a été fait au préjudice de l'agriculture, de telle façon qu'il ne reste véritablement, après le traité, plus rien à faire. On aura beau essayer le système des primes directes et déguisées de toutes façons, cela ne peut pas remplacer, pour un grand intérêt comme l'intérêt agricole, une bonne législation.

Parmi les principaux éléments de sa prospérité, lorsque le système de la législation sur les céréales n'est pas de nature à rassurer la production agricole, à lui faire de bonnes conditions, lorsque l'on y ajoute l'abaissement du prix du bétail qui doit entrer pour moitié dans les profils de l'agriculture en Belgique si l'on veut qu'elle prospère, lorsqu'on lui fait de telles conditions, je dis qu'on la prend de tous côtés et qu'on l'achève.

Ainsi, par exemple, je suppose qu'il soit reconnu nécessaire, en présence de la législation sur les céréales, d'augmenter les droits d'entrée sur le bétail ; qu'arrive-t-il ? C'est que la disposition relative au libre transit, dont on conteste les dangers aujourd'hui, produit immédiatement des effets désastreux pour l'agriculture.

Et, messieurs, si l'émotion qui s'est produite à toutes les époques (page 449) lorsqu'il a été question du transit du bétail, se reproduit encore aujourd'hui, il ne faut pas s'en étonner ; la situation est celle-ci : l'agriculture, notamment dans les provinces qui avoisinent la France, trouvait autrefois un élément de prospérité dans le marché français ; ce marché s'est restreint par des causes étrangères au gouvernement belge ; et au moment même où l'agriculture souffre de cette circonstance, nous admettons bénévolement dans la législation des mesures par lesquelles nous nous créons à nous-mêmes une nouvelle concurrence sur ce marché que nous avons perdu en partie.

On objecte que le transit est peu considérable. Déjà antérieurement cette observation a été faite, et il y a été répondu avec raison que les effets de la mesure ne pouvaient être appréciés d'après le nombre de têtes de bétail qui transitaient, mais d'après les résultats que la concurrence produit sur le marché.

Quant au commerce, la réforme se présente aussi dans de singulières conditions.

A entendre l'honorable ministre des affaires étrangères, qui a soutenu (et c'est ce qui me différencie de lui, pour répondre à une autre observation), à entendre l'honorable ministre des affaires étrangères qui a soutenu de sa parole les droits différentiels...

M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - J'ai voté contre.

M. Malou. - Vous avez proposé entre autres des dispositions différentielles pour les bois, si je ne me trompe, dispositions qui avaient un caractère protecteur bien prononcé. (Interruption.)

Je disais, messieurs, qu'à entendre l'honorable ministre des affaires étrangères nous faisons un très léger sacrifice ; nous conservons les droits différentiels. A entendre, au contraire, l'honorable ministre des finances, nous les sacrifions complètement.

L'honorable ministre des finances nous a habitués à beaucoup de fermeté et à quelque logique, et si vous voulez bien revoir son discours du mois de novembre et son discours d'hier, vous vous convaincrez qu'il ne s'attache pas à telle ou telle partie des droits différentiels, mais qu'il réprouve, en principe, tout le système. Non seulement il réprouve tout le système, mais, par le projet de loi qu'il présente et le développement qu'il donne à la question de Cowes, par exemple, il supprime complètement les droits différentiels. Il n'en reste absolument rien, même pour les 10 articles..

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - D'accord avec Anvers.

M. Malou. - Je parlerai tout à l'heure de l'intérêt d'Anvers.

M. le ministre de l'intérieur disait il y a quelques instants : Prenez-vous pour des hommes sérieux. Messieurs, je ne demande pas mieux que de prendre MM. les ministres pour des hommes sérieux, et c'est à ce titre que je me permets de dire que, d'après leurs discours, il ne doit plus rien rester de la loi des droits différentiels.

Le régime créé par cette loi a été très longuement discutée ; je ne m'y arrêterai pas longtemps. Cependant je ne puis passer entièrement sous silence cette question qui est capitale dans le débat.

La loi des droits différentiels, à entendre l'honorable ministre des finances aurait eu pour but principal l'exclusion du commerce européen, l'exclusion de la marine étrangère. En aucune façon : on a voulu favoriser principalement le commerce direct, le commerce pour compte propre, parce que c'est un commerce exportateur, et on a voulu, en lui créant ces faveurs, développer nos exportations de produits fabriqués.

C'est là la loi des droits différentiels, en ce qui concerne l'industrie, et il ne s'agit donc pas de savoir s'il y a eu un peu plus de progression dans le mouvement vers l'Europe que dans le mouvement vers les contrées transatlantiques ; il s'agit de savoir si, avant les droits différentiels, il existait en Belgique ce que j'appellerai une marine exportatrice, un commerce exportateur, et si, malgré les circonstances défavorables et l'incertitude sur le sort de cette loi elle n'a pas déjà réalisé un grand bien au profit de l'industrie. Or à ce point de vue les faits donnent un éclatant démenti aux observations qui ont été produites contre la loi des droits différentiels. La marine s'est doublée en 6 années d'incertitude, le commerce exportateur s'est doublé.

On dit qu'il ne s'agit que de 8 millions de francs, que nous faisons sonner bien haut, comme constituant une augmentation de 100 p. c, mais cela m'étonne lorsque j'entends M. le ministre des affaires étrangères décomposer un droit d'un franc, pour prouver qu'il a été fait une réduction de 50 p. c, en langage plus chrétien de 50 centimes.

M. le ministre des finances, dans sa logique implacable, va beaucoup plus loin. Qu'avez-vous, dit-il, en navires ? 156 navires qui n'intéressent pas 80 personnes, j'allais presque dire 80 électeurs d'Anvers.

La question, messieurs, est tout autre ; elle est beaucoup plus sérieuse. Comment comprenez-vous que la Belgique pût conserver un mouvement industriel, grandir et se développer, si elle n'avait ni port d'Anvers, ni marine attachée au port d'Anvers ? Nous entendons souvent que les industries réclament, se plaignent du traitement que la législation leur fait, mais quel est le capital qui leur sert en quelque sorte d'outillage, de moyen industriel ? Pour la marine, consultez les armateurs ; ils vous diront qu'on peut, sans exagération, évaluer à 400 francs au moins par tonneau la valeur de la marine marchande ; eh bien, évaluez la marine à ce taux, vous verrez que le capital consacré seulement à l'outillage est d'au-delà de 16 millions. (Interruption.) Si on conteste ce chiffre, je l'abaisserai à 10 ou 12 millions. C'est encore très respectable.

Messieurs, la marine belge d'après les appréciations qui m’ont été données, obtient à peu près, dans l'état imparfait où elle se trouve encore, un fret annuel de plus de 3 millions, et cependant elle n'a aujourd'hui que le quart de notre mouvement commercial.

Une nation (et je m'éloignc ici des idées des certains économistes), une nation, au point de vue de ses intérêts matériels, doit se considérer comme un individu. S'il en est ainsi, n'est-il pas de notre intérêt, de faire nous-mêmes nos transports par mer, de nous réserver le bénéfice du fret ? Dans beaucoup de circonstances, le fret maritime, c'est la moitié ou du moins une grande partie de la valeur des matières importées. Supposez, pour exagérer ce système, ou plutôt pour en faire saisir toute la fausseté, que vous étendiez aux transports par rivière, aux transports par les routes, les idées d'après lesquelles vous faites si facilement le deuil de la marine belge ; supposez que tous les transports à l'intérieur se fassent pendant quelques années seulement au profit de l'industrie étrangère ; vous auriez beau faire des théories, la prospérité du pays aurait péri en très peu d'années.

On nous dit : Anvers a toujours protesté et proteste encore aujourd'hui contre les droits différentiels ; mon honorable ami, M.Dechamps et moi, nous serons bientôt les seuls défenseurs des droits différentiels.

C'est bien mal se rendre compte des faits qui viennent de se passer à Anvers ; c'est oublier complètement ceux qui se sont passés avant et pendant la discussion de la loi des droits différentiels. Lorsque la discussion de la loi des droits différentiels s'est établie, il y avait une sorte de transaction entre les divers systèmes qui, cette fois, avaient été soumis à une longue et minutieuse enquête. Le système était appuyé par la chambre de commerce d'Anvers. Quand avons-nous vu naître le dissentiment ? Cette question se rattache directement au traité ; nous avons vu naître le premier dissentiment, lorsque M. Nothomb, qui avait pris une si grande part à l'établissement du régime économique de la Belgique, lorsque temporairement, pour ajourner une crise qui, selon nous, était inévitable, il a fait l'exception de 7 millions de kilogrammes de café en faveur de la Hollande, lorsqu'il a légué à ses successeurs, qu'il me permette de le dire, une difficulté dont ils ont heureusement triomphé. Ce n'était donc pas contre le principe que se manifestait l'opposition, elle se manifestait contre l'exception qui énervait le principe.

Quand l'opposition s'est-elle manifestée de la manière la plus énergique ? C'est lorsque la question de la relâche à Cowes a été posée dans le débat.

Il existait alors à Anvers, comme il y existe encore aujourd'hui, deux intérêts bien distincts, l'intérêt du commerce de commission et l'intérêt du commerce pour compte propre. Eh bien, à l'époque de la discussion de la loi des droits différentiels, c'était l'intérêt du commerce de consignation qui prédominait, qui réclamait ; et si la loi des droits différentiels n'avait produit que ce résultat, il serait déjà utile d'en tenir note. Aujourd'hui les positions sont interverties ; c'est le commerce propre,, c'est le commerce exportateur qui, dans notre métropole commerciale, a repris le dessus ; et c'est ce fait-là, encore une fois, que vous allez réformer.

Je dis que le maintien du régime des droits différentiels réside dans la manière dont la relâche à Cowes sera résolue, et, en effet, pour ne pas abuser des instants de la chambre, ne me suffira-t-il pas de rappeler que la manière dont le commerce se fait aujourd'hui est telle que si vous n'avez pas les formalités protectrices à l'égard de la relâche à Cowes, vous serez appelés de nouveau, comme vous l'avez été avant 1844, à solder, par le prix des denrées coloniales que vous recevez, le prix des fabricats anglais.

Permettez-moi d'insister encore un instant sur cette question. J'ai déjà entendu dire bien des fois qu'Anvers n'exporte pas, et Anvers répondait à l'industrie : Fabriquez des produits que nous puissions convenablement exporter ; et l'on s'est tenu longtemps en présence l'un de l'autre en s'opposant toujours la même affirmation sans faire un pas l'un vers l'autre.

On avait eu autrefois l'idée d'établir ce trait d'union entre le fabricant et le commerce.

Cette idée, qui allait être convertie en loi en 1847, a été abandonnée depuis ; c'était un lien établi par l'intervention du gouvernement, dans un intérêt incontestable, entre le producteur et l'exportateur. Eh bien, voyez le mouvement de votre commerce, et dites-moi, si aujourd'hui Anvers mérite encore tous les reproches qu'il méritait autrefois, si l'exportation ne se fait pas en grande quantité, à de meilleures conditions pour l'industrie belge ; vous vous plaignez de ce qu'Anvers n'a pas tout fait ; et maintenant par la réforme que vous allez sanctionner, vous empêcherez à l'avenir qu'Anvers ne puisse encore faire grand-chose.

L'honorable ministre des finances, disait dans la séance d'hier :« Nous vous ouvrons l'Inde anglaise, toutes les colonies ; nous vous livrons 100 millions de consommateurs. » Et l'on nous dit sérieusement que les concessions faites en retour du sacrifice de notre législation commerciale, c'est ce marché du monde, lorsqu'on ajoute que nous n'avons aucun intérêt à maintenir l'exportation privilégiée avec une réduction de 50 p. c. d'une quantité de denrées coloniales qui nous était accordée par le traité de 1846.

Comment ! nous avons le pouvoir de faire concurrence à l'Angleterre dans la mer des Indes ; mais il nous était parfaitement inutile d'avoir un droit de faveur à la sortie de Java. Concilie qui poarra de pareilles contradictions.

(page 450) La réponse, c’est qu’en réalité on ne nous donne rien, et que par la suppression de l'ancien article 15 on ne nous enlève pas seulement un principe, mais on nous prive d'un droit qui devenait réellement utile.

Messieurs, la chambre me pardonnera d'avoir insisté quelques instants sur l'importance de la protection maritime ; je le fais parce qu'aujourd'hui, comme à toutes les époques de ma carrière politique, je suis convaincu que l'un des plus grands intérêts du pays, c'est l’intérêt d'Anvers ; et pour en être convaincus comme moi, demandez-vous, messieurs, ce que serait la Belgique, si malheureusement elle n'avait pas ce magnifique port d'Anvers,

M. Van Iseghem. - Les navires entreraient finalement à Ostende.

(page 455) M. Malou, rapporteur. - Concevez-vous l'existence de la Belgique industrielle, si en quelque sorte la grande voie du commerce lui était fermée ? Demandez-vous ce qu'elle a été lorsque l'Escaut était fermé, et vous aurez la réponse à la question que je viens de poser.

Messieurs, je ne puis discuter en ce moment les principes de la réforme industrielle qu'on projette, mais je dois dire que, d'après la proposition qui nous est soumise, cette réforme est commencée dès aujourd'hui ; elle est en partie faite, et, je le dirai, par le côté qui doit être le plus sensible à l'industrie belge.

En effet, il y avait dans la loi des droits différentiels, non seulement l'idée du développement de notre marine, de nos relations directes, mais aussi une mesure protectrice qu'on appellera réactionnaire, si l'on veut, pour l'industrie manufacturière de la Belgique. Elle était dans l'artocle 4 de la loi des droits différentiels dont on vous propose aujourd'hui l'abrogation.

L'article dont il s'agit établissait une surtaxe sur tous les produits manufacturés importés en Belgique. Eh bien, la réforme industrielle est commencée, parce que le gouvernement vous propose de faire cesser cette surtaxe, c'est à-dire d'accorder à tous les produits manufacturés une première réduction de 10 p. c. Il faut bien constater ce fait, parce que je puis le dire avec vérité : la réforme industrielle elle-même est commencée, est engagée.

Il ne faut pas que les honorables membres qui désirent le maintien du système prolecteur pour l'industrie, se fassent illusion sur la portée du vote qu'ils émettent en faveur du traité et de la réforme commerciale (page 456) qui doit en résulter. Cette réforme accomplie, les plus simples notions de la logique et de l'équité, le devoir pour la législature de maintenir l'équilibre entre les intérêts feront accepter l'abolition de la protection manufacturière, par ceux-là mêmes qui étaient partisans du système actuel.

Ne l'oublions jamais, messieurs, ces questions offrent aussi un côté politique. Ce n'est pas seulement par la satisfaction des intérêts moraux que la nationalité s'est consolidée, c'est aussi par la prospérité matérielle : si les idées antinationales ont disparu, c'est en grande partie à cause du développement que le nouveau régime économique, fondé depuis 1830, a donné à l'activité de tous. MM. les ministres nous parlent souvent de 1848. La Belgique n'eût pas été assez forte pour résister à cette grande tempête si les intérêts matériels n'avaient été satisfaits comme les intérêts moraux l'avaient été depuis 1830. En présence des éventualités de l'avenir, ne nous exposons pas imprudemment à diminuer par des réformes inconsidérées les éléments de notre force nationale, nous aurons peut-être encore besoin de la déployer tout entière.

Les projets du gouvernement présentent aussi quelque importance au point de vue financier. Le revenu brut de la douane est de plus de 12 millions, le revenu net dépasse 8 millions. On se plaint des complications du tarif et de la part qu'absorbent les frais de perception : je ferai remarquer à ce sujet qu'une très forte partie des droits se perçoit à Anvers et qu'à moins de supprimer complètement le système de protection modérée établi en faveur de l'industrie, il y aura bien peu d'économie à réaliser aussi longtemps que l'on voudra garder toute l'étendue de nos frontières. Un revenu net de 8 millions n'est du reste pas à dédaigner pour notre budget des voies et moyens ; M. le ministre des finances sait mieux que personne combien il serait difficile de remplacer, même en partie, cette ressource : elle est d'autant meilleure que l'industrie se maintient et se développe grâce au système existant.

La chambre, je le. sais, désire terminer le débat ; je m'abstiendrai d'entrer de nouveau dans les détails des diverses dispositions du traité ; je puis me référer au rapport que j'ai eu l'honneur de présenter au nom de la majorité de la section centrale : il me suffira en ce moment de caractériser en peu de mots l'acte du 20 septembre et la politique commerciale dont il est l'expression.

Cette politique paraît consister à donner le double et à recevoir la moitié de ce que le pays avait précédemment donné et reçu : elle est au surplus d'une grande modestie, et très peu exigeante ; elle se vante comme d'un succès, d'avoir obtenu la jouissance du droit commun ; on avait, en d'autres temps, assuré à la Belgique sur les principaux marchés une position privilégiée, des droits différentiels.

Aujourd'hui notre gouvernement semble satisfait de nous avoir garanti le droit commun ; nous sommes certains, quant au royaume des Pays-Bas et quant à ses possessions coloniales, de n'être traités ni mieux ni plus mal que d'autres nations, c'est là le résultat de l'acte du 20 septembre. Il est dès lors inexact de dire que l'industrie conserve tout ce que le traité de 1846 lui donnait, car, de l'aveu de tous, la faveur différentielle établie précédemment au profit de la Belgique disparaîtra.

Puisqu'il en est ainsi, j'aime mieux, je l'avoue, la logique du cabinet de la Haye que celle du ministère belge : il vaut mieux ne point conclure de traité, si nous n'obtenons que le droit commun tandis que l'autre partie contractante obtiendra sur notre marché des privilèges importants et que rien ne peut lui enlever. Telle sera la position du commerce des Pays-Bas si le traité est ratifié.

MM. les ministres ont emprunté à leur principal organe dans la presse, ou cet organe leur a emprunté un étrange argument ; ils disent que nous rêvons un traité idéal d'après lequel la Belgique devrait tout obtenir sans rien concéder. Nous n'avons jamais posé la question en ces termes : nous soutenons et nous croyons avoir démontré à l'évidence que le traité du 20 septembre ne maintient pas un juste équilibre des avantages et des sacrifices pour les deux pays, que la Hollande, sans rien concéder d'essentiel, a complètement atteint le but de tous ses efforts, qu'elle possède aujourd'hui tout ce qu'elle voulait obtenir en 1845.

Je suis le premier à reconnaître l'utilité des bonnes relations entre les deux pays ; mais cet intérêt est réciproque ; ce n'est pas une raison de considérer tout traité comme bon et de tout céder, soit avant le traite, soit dans le cours des négociations. Si par suite des idées qui dominent dans le gouvernement, par suite de ses aspirations vers le libre échange, les gouvernements étrangers pouvaient croire qu'en aucun cas les droits de douane ne seraient élevés, même temporairement, notre politique commerciale consisterait à tout subir ; nous ne pourrions plus conclure aucun traité.

Chose remarquable, les deux meilleures conventions qui aient été faites depuis 1850, le traité du 29 juillet 1846 et celui du 1er septembre 1844, ont été conclues à la suite de représailles. Le conflit n'a pas supprimé toutes les relations, il les a amoindries pour quelque temps, l'expérience le prouve ; mais les traités qui ont suivi cet affaiblissement des, rapports commerciaux ont produit de larges compensations. Ainsi, pour citer un exemple, le traité conclu en 1846 avec la Néerlande a développé de 29 p. c. les relations de la Belgique avec ce pays, tandis que les relations de la Néerlande se sont accrues seulement de 18 p. c.

Je rappelle ces faits, pour démontrer que lorsqu'un intérêt essentiel politique ou commercial du pays est engagé, il faut, à moins de renoncer à être un peuple industriel, savoir maintenir haut et ferme, au prix même d'une crise momentanée, ce qui constitue cet intérêt.

J'ai cru devoir présenter ces observations à la chambre ; je l'ai fait sans me créer aucune illusion. Nous le savons, nous ne pouvons pas vous arrêter dans votre marche. Votre majorité politique doit subir quelquefois certaines nécessités. Je n'ai pas l'espoir, je n'ai pas l'ambition d'obtenir, soit un succès de scrutin, soit un succès de tribune ; mais l'opposition qui combat les actes du gouvernement a d'autres vues, d'autres droits ; elle parle au pays, notre juge à tous ; et nous vous attendons là.

(page 450) M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je veux seulement, messieurs, faire une observation sur le discours de l'honorable M. Malou.

L'honorable M. Malou vient de parler des projets du gouvernement comme étant de nature à semer l'inquiétude dans tous les esprits, et à alarmer lous les intérêts. Quand il se place à ce point de vue, nous avons un système bien net, bien arrêté ; nous voulons tout bouleverser, tout changer. Lorsqu'il s'agit, au contraire, de se placer au point de vue du traité avec la Hollande, l'honorable membre affirme que nous n'avons aucun système et que celui qui se trouve formulé dans le projet de loi qui vous est soumis, n'a été inventé que pour couvrir les vices de l'article 14 du traité.

Je signale à la bonne foi de la chambre cette contradiction de l'honorable M. Malou.

Mais l'honorable membre va plus loin ; pour étayer son assertion, il fait appel aux pièces que le gouvernement a communiquées à la section centrale et dont il résulterait, suivant lui, que jamais nous n'avons entendu appliquer la tarification uniforme telle qu'elle est établie par le projet de loi. Or, messieurs, les instructions données à nos plénipotentiaires et qui se trouvent imprimées à la suite du rapport, contiennent ce qui suit :

« Nous offrons de supprimer nos droits différentiels sur un grand nombre d'articles à leur importation des Pays-Bas en Belgique. Mais quel sera le taux des droits applicables à ces articles ainsi importés ? Prenons un exemple : la cannelle, avant 1844, eût payé 200 fr. pour 100 kilogrammes à l'entrée des Pays-Bas en Belgique sous pavillon belge ou néerlandais, celui-ci supposé assimilé. D'après la rédaction de notre projet, le droit, dans,le même cas, ne serait plus que de 50 fr., si l'on se rapportait au taux fixé par la loi du 21 juillet 1844. La disproportion serait plus considérable encore pour d'autres articles. On saisit facilement que la loi des droits différentiels n'a fait descendre si bas les moindres droits sur chaque article que parce qu'elle maintenait ou élevait à une plus grande hauteur les droits applicables aux mêmes articles venant des lieux non favorisés. Notre proposition ne fixe pas le taux des droits en lui-même, mais elle garantit aux provenances des Pays-Bas qu'elles seront traités comme si elles arrivaient des lieux les plus privilégiés, fût-ce les lieux transatlantiques de production ; or, c'est là ce à quoi les Pays-doivent essentiellement tenir. Le texte de notre projet laisse compléteraient libres de fixer le taux des droits, pourvu que les droits applicables aux provenances des Pays-Bas soient les mêmes que les droits applicables aux provenances les plus privilégiées. Nous prévenons le gouvernement néerlandais, pour demeurer fidèles à la règle que nous nous sommes imposée, d'apporter une entière franchise et une complète loyauté dans nos négociations avec lui. »

Le 3 juin 1851, les négociations avaient fait un pas sur certains points, et voici ce qu'écrit M. le ministre des affaires étrangères :

« Nuus consentons à joindre les bois de construction sciés et non sciés aux articles à l'égard desquels nous supprimerons, au profit de la Hollande, tous droits différentiels de provenance et de pavillon.

« Il va sans dire que, sur cet article plus que sur aucun autre, le traité ne préjugera d'aucune façon le taux du droit uniforme qui sera établi en remplacement des droits différentiels actuels. »

Il ajoutait encore le 11 août : « Offrez la suppression de» droits différentiels sur toutes les marchandises comprises dans le n°1 de l'article 15 de notre projet de traité. Cette liste est plus longue que celle du thème du 12 mai. Elle comprend les bois de construction. Il va sans dire que nous demeurerons libres sur le taux du droit unique à substituer, pour chaque article, aux droits différentiels. »

Ainsi, messieurs, il est parfaitement clair, parfaitement évident que les idées du gouvernement étaient complètement arrêtées sur les concessions relatives aux droits différentiels et les conséquences que ces concessions entraînaient ; lorsqu'il a consenti à négocier sur ce point, il avait élaboré les réformes que nous avons annoncées et qui doivent être introduites dans le tarif.

L'honorable M. Malou et ses amis se complaisent dans cette assertion, qui est complètement... je ne sais de quel mot je devrais me servir pour la qualifier, mais qui est complètement inexacte, complètement fausse, que le gouvernement aurait le projet de bouleverser, de détruire de fond en comble le système douanier qui nous régit.

Dans les discours que j'ai prononcées le 26 et le 28 novembre, je vous défie de trouver un mot, un seul mot qui justifie une allégation de ce genre. Partout j'ai répété à satiété, et précisément parce que je savais très bien quelle serait la tactique de l'opposition à l'égard des propositions que nous annoncions ; j'ai répété à satiété que nous entendions faire les réformes jugées nécessaires, utiles dans l'intérêt du pays, en agissant prudemment, d'une manière modérée, sans jeter la perturbation dans aucun intérêt.

Et vous pouvez y compter. Vous pouvez, je vous l'ai déjà dit, renoncer à votre tactique ; elle ne réussira pas, vous ne parviendrez pas à alarmer le pays, parce que nous ne voulons pas jeter le trouble dans l'industrie et le commerce.

Une réforme, que vous qualifiez vous-même de très considérable, est introduite quant aux droits différentiels. Quel est l'intérêt qui s'en trouve alarmé ? Aucun. L'opposition même d'Anvers au traité n'est pas due à la modification des droits différentiels. Lorsque nous modifions les droits différentiels, nous avons l'approbation d'Anvers ; lorsque nous modifions la disposition relative à la relâche à Cowes, nous avons l'approbation d'Anvers. La ville d'Anvers, l'honorable M. Osy en tête, approuve les réformes que nous proposons. Il n'y a donc pas encore d'intérêt alarmé de ce côté. (Interruption.)

L'opposition ne résulte que d'un seul point ; l'assimilation des importations par canaux et rivières aux importations par mer. Il n'y a pas autre chose. L'opposition ne trouve pas sa base dans la réforme proposée.

De même les autres intérêts matériels de la Belgique ne seront pas compromis par les réformes que nous introduirons dans notre tarif, réformes indispensables en présence des changements qui ont été introduits dans la législation de peuples voisins.

M. Delfosse. - Messieurs, l'hostilité contre le ministère perçait à chaque ligne dans le rapport de l'honorable M. Malou. Elle ne s'est pas adoucie dans le discours que vous venez d'entendre. A l'ardeur de l'honorable M. Malou et de ses amis, à leurs menaces, à leurs espérances, on croirait qu'ils montent déjà à l'assaut du pouvoir, et qu'ils croient en être bientôt maîtres.

Je les laisserai se bercer de cette douce illusion qui pourra durer jusqu'au mois de juin prochain. Je me bornerai en ce moment, car la chambre est fatiguée, à dire quelques mots du traité.

L'honorable M. Malou et ses amis veulent absolument que le traité soit détestable, et pour le faire paraître tel, ils ne tiennent aucun compte des faits ; ils réduisent à rien les avantages que le traité nous donne, et grossissent outre mesure les concessions faites à la Hollande.

Malgré leurs discours, ou plutôt à cause de leurs discours, je voterai pour le traité.

J'ai toujours été opposé, messieurs, à la loi des droits différentiels. En 1844, et alors l'honorable M. Malou se trouvait dans nos rangs, j'ai combattu énergiquement cette loi, qui consacre, à mon avis, une injustice criante, un privilège odieux.

N'est-ce pas, en effet, un privilège odieux que d'assujettir les arrivages par rivières ou par canaux, et même, j'entre ici dans les idées de l'honorable M. Coomans, par les frontières de terre à de fortes surtaxes que ne subissent pas les arrivages par mer ?

Dans ce système, qui serait intolérable s'il n'était tempôré par quelques exceptions, la Meuse est sacrifiée à l'Escaut. L'Escaut, c'est la patrie, c'est Anvers. La Meuse, c'est l'étranger, c'est Rotterdam ; on oublie que c'est aussi Liège et Namur.

Le batelier de Mons ou de Charleroy, qui transporte des charbons par l'Escaut, peut utiliser son retour en chargeant à Anvers des denrées coloniales pour lesquelles on n'a payé qu'un droit d'entrée extrêmement faible. Le batelier de Liège au contraire, qui transporte des charbons à (page 451) Rotterdam doit presque toujours faire retour à vide, parce que ïa plupart des marchandises dont il pourrait prendre charge sont grevées de droits exorbitants. Vous sentez, messieurs, combien cette inégalité de traitement influe sur le fret et par conséquent sur le placement des charbons.

Le sytème des droits différentiels rappelle ce temps, heureusement loin de nous, où l'on ne pouvait moudre son grain et cuire son pain qu'au moulin et au four du seigneur. En défendant ce système, Anvers veut, quoi qu'il en coûte, avoir l'approvisionnement du pays entier. Elle demande à la loi ce qu'elle ne devrait tenir que de l'activité et de l'intelligence que je me plais à reconnaître dans ses habitants.

Je sais bien que les reproches que j'adresse à la loi des droits différentiels peuvent, en général, s'appliquer au régime protecteur, qui est encore malheureusement la base de notre législation douanière. Anvers peut dire : Vous vous plaignez ; je me plains à mon tour ; vous voulez votre liberté ; d'accord, mais rendez-moi aussi la mienne. Permettez-moi d'acheter en Angleterre le charbon dont j'ai besoin. Outre que je le payerai moins cher, je trouverai ainsi un excellent emploi pour mes navires.

En tenant ce langage, Anvers serait dans le vrai ; elle aurait raison. Mais c'est précisément ce qui prouve de plus en plus l'injustice d'es droits différentiels. Qui est-ce qui fournit le charbon à Anvers ? C'est le Hainaut. Eh bien, c'est le Hainaut qui profite des droits différentiels, et c'est Liège qui en souffre.

Lorsque Anvers viendra demander la réduction des droits d'entrée sur les houilles, elle peut compter sur mon appui. Qu'elle ne nous refuse donc pas le sien, lorsque nous demandons une chose juste, lorsque nous demandons que la Meuse cesse d'être asservie à l'Escaut.

Le traité conclu avec la Hollande agrandit la brèche faite aux droits différentiels par le traité de 1846. A ce titre, je l'accepte. Je l'accepte comme un commencement de réparation, avec l'espoir que bientôt la réparation sera complète.

Mais alors même que je ne serais pas opposé aux droits différentiels, alors même que je serais partisan du système protecteur, j'accepterais encore le traité conclu avec la Hollande, parce que, tout bien considéré, sans préoccupation ni esprit de parti, je le trouve avantageux. Je n'entrerai pas, messieurs, dans de longs détails pour le démontrer. Cette tâche a été remplie par MM. les ministres et par d'honorables collègues plus compétents que moi dans ces matières.

Au point de vue industriel, les avantages du traité sont incontestables. Il maintient en faveur de nos industries les réductions de droits accordées par le traité de 1846 ; il en étend quelques-unes ; il en crée de nouvelles ; il est une meilleure preuve encore à invoquer sous ce rapport en faveur du traité, c'est qu'il a obtenu l'adhésion des industriels, c'est que tous les grands centres d'industrie en réclament vivement l'adoption. Quelle que soit l'autorité des paroles et de l'honorable comte de Liedekerke, et de l'honorable M. Dechamps, et de l'honorable M. Malou, et de l'honorable M. Coomans, il faut bien reconnaître qu'ici l'opinion des intéressés, des hommes spéciaux doit l'emporter.

Au point de vue agricole, deux griefs sont imputés au traité : l'entrée au quart des droits de 12 millions de kilogrammes de céréales récoltées dans le duché de Limbourg, et surtout le libre transit du bétail.

Oublie-t-on, messieurs, que ce sont les représentants du Limbourg eux-mêmes, province essentiellement agricole, qui ont demandé en 1839 que les céréales provenant de la partie cédée de cette province fussent, dans une certaine mesure, admises en franchise de droit ?

M. Vilain XIIII. - Par patriotisme !

M. Delfosse. - J'applaudis à ce patriotisme ; et je suppose qu'il n'est pas à son terme.

Ces honorables députés du Limbourg considéraient alors et la chambre a considéré avec eux cette mesure comme une légère compensation à de douloureux sacrifices.

M. Vilain XIIII. - Personne n'a réclamé contre les stipulations du traité actuel.

M. Delfosse. - Pardon, il y a eu des réclamations. Elles ne venaient pas, je le reconnais, de l'honorable comte Vilain XIIII.

Il ne faut d'ailleurs pas perdre de vue que cette clause se trouvait déjà dans le traité de 1846 et qu'elle doit avoir pour résultat de faciliter l'alimentation de contrées belges qui sont peu pourvues de voies de communication et qui ne produisent pas de céréales.

Quant au transit du bétail qui rencontra naguère tant d'adversaires dans cette enceinte, l'honorable M. Delehaye et d'autres collègues ont fait remarquer avec raison que la situation est changée. Les ports anglais étant maintenant ouverts aux produits agricoles des autres pays, le bétail hollandais se dirige plutôt vers l'Angleterre que vers la France ou l'Allemagne.

Au point de vue commercial, les avantages me paraissent à peu près se balancer. La Hollande fait plus pour nous que nous ne faisons pour elle, puisqu'elle nous accorde l'assimilation complète, tandis que nous maintenons les droits différentiels pour dix articles qu'on peut considérer comme les plus importanis ; mais je reconnais, car je veux avant tout être vrai, que cette différence en notre faveur est amplement compensée par la supériorité de la marine hollandaise ; il est possible que la Hollande tire plus de profit des faveurs restreintes qui lui sont concédées, que nous n'en tirerons des faveurs plus étendues que nous obtenons par le traité.

C'est à nos armateurs, c'est aux armateurs anversois à redoubler d'efforts pour soutenir la concurrence ; c'est au gouvernement à les aider, en faisant autant que possible disparaître les charges qui pèsent encore sur la construction des navires.

Messieurs, comment se fait-il qu'un traité qui, tout bien considéré, nous est favorable, soulève tant et de si vives réclamations ? Cola est facile à expliquer. On vous l'a dit, messieurs, les intérêts froissés crient toujours fort haut. Et il est impossible que le meilleur traité n'en froisse pas quelques-uns.

La céruse est légèrement touchée par le traité. Elle se vendra peut-être un centime de moins par kilog. Eh bien, elle fait autant de bruit que le bétail, qui à son tour exagère ses souffrances. D'un autre côté, nous avons une opposition active et militante qui est à la piste de tous les mécontentements pour les caresser et les patroner ; une opposition qui tout en disant au ministère : « Meurs si tu veux, vis si tu peux », fait tout ce qui dépend d'elle pour l'empêcher de vivre.

Je serais au désespoir d'offenser le moins du monde l'opposition ; mais qu'elle me permette de le dire, je ne ferai du reste que me servir d'une expression qui a tantôt été employée par l'honorable député de Neufchâteau, la conduite de l'opposition ne me paraît ni prudente ni patriotique. Le moment est mal choisi pour semer dans le pays l'inquiétude et l'irritation, nous ne sommes plus en 1840. Notre premier devoir, dans les circonstances actuelles, est de prouver de plus en plus qu'un peuple libre sait aussi être calme. Notre premier devoir est de répondre à l'appel à la conciliation qui nous a été fait par la couronne ; oublions moins que jamais notre devise : L'Union fait la force.

M. le président. - La parole est à M. de Theux.

M. de Theux. - L'honorable M. Malou désire rectifier quelques faits avancés par M. le ministre des finances. Je lui cède mon tour de parole.

M. Malou. - Messieurs, je ne prolongerai pas beaucoup ce débat. Je tiens seulement à rectifier les faits ou plutôt à dire comment j'ai été appelé à poser les faits.

Messieurs, voici ce que nous avons lu dans l'exposé des motifs du projet du gouvernement.

Qu'est-ce que cela veut dire ? Que vous allez modifier notre régime des droits différentiels de manière à avoir un tarif uniforme entre la Belgique et les Pays-Bas seulement.

Si le sens est différent, M. le ministre a été malheureux dans ses expressions ; car elles ne peuvent signifier autre chose.

Messieurs, dans les instructions je trouve encore la même signification, je trouve : Nous offrons de supprimer nos droits différentiels sur un grand nombre d'articles à leur importation des Pays-Bas en Belgique (page 37, instructions du 3 avril 1881).

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Mais nous prévenons le gouvernement hollandais que la législation sera changée.

M. Malou. - Vous prévenez que vous ne maintiendrez pas les droits différentiels à l'égard de la Hollande, mais vous n'annoncez pas votre réforme commerciale. Si elle était dans vos intentions, pourquoi ne l'avez-vous pas dit dans l'exposé des motifs ?

Je vous ferai un grief alors, si vous avez inventé votre réforme avant de présenter le projet, de ne l'avoir fait connaître que lorsque des observations ont été soulevées.

J'accepte très volontiers, messieurs, pourvu que l'honorable M. Delfosse l'adresse à tout le monde, le conseil qu'il donne, les observations qu'il fait sur la nécessité d'être calme. Je crois que cela s'adresse plus particulièrement au discours de M. le ministre de l'intérieur qu'au mien. Car si j'ai mis quelque vivacité dans l'expression de mon opinion, je suis du moins resté sur le terrain du débat. La mesure qui vous est proposée me paraît détestable ; c'est pour ce motif que je me suis exprimé avec vivacité.

Aujourd'hui on veut rassurer les intérêts, je le conçois. Je reconnais qu'il est nécessaire que le gouvernement fasse cette déclaration. Il est seulement fâcheux pour lui qu'il se soit mis dans la nécessité de la faire. Il avait déclaré à la fin du mois de novembre que tous les principes de toute notre législation étaient mauvais, que les résultats en étaient fâcheux. Voilà les mots dont j'ai fait le commentaire.

M. Loos. - Comme représentant d'Anvers, il y aurait de l'ingratitude de ma part si je ne commençais par remercier les honorables membres qui ont défendu avec tant de chaleur les intérêts de cette localité. Je suis extrêmement touché de ces témoignages de sympathie donnés à la ville d'Anvers. Je suis persuadé qu'ils sont sincères et que dorénavant Anvers pourra compter sur ces honorables membres, alors que ses intérêts seront de nouveau en jeu.

Messieurs, après ces remerciements que j'adresse aux honorables membres qui ont défendu les intérêts d'Anvers, j'ai presque du regret à dire que j'ai toujours été l'adversaire des droits différentiels. Il m'a toujours paru que le moyen le plus sûr de faire prospérer le port d'Anvers, d'un accès si facile et si admirablement situé, était d'y faire arriver sans entraves le plus grand nombre possible de navires, sans leur demander sous quelle couleur ils se présentaient.

J'ai considéré, messieurs, comme un leurre la protection offerte en 1844 à la navigation directe et au pavillon national.

(page 452) Il m’était bien démontré que l'on en ferait ban marché dans les traités de commeree que l'en chercherait à conclure ; les promoteurs de la loi des droits différentiels ne s'en cachaient pas, d'ailleurs ; ils disaient à la chambre, pour faire prévaloir leur système, que c'était un moyen de négociation qu'ils créaient, qu'on avait quelque chose à donner ; et ce quelque chose, ce ne pouvait être que la protection dont on venait d'entourer le commerce maritime.

Il en a été ainsi dans tous les traités de commrce conclus depuis 1844. C'est toujours Anvers qui a fait les frais des traités, c'est à Anvers que l'on est allé prendre ce qu'on voulait offrir à l'étranger, en échange des privilèges qu'on sollicitait en faveur de l'industrie.

On reconnaissait bien cependant, en 1844, les avantages que l'industrie devait trouver un jour dans les relations commerciales directes avec les pays transatlantiques ; mais comme les avantages ne pouvaient être obtenus immédiatement, j'étais bien certain, pour ma part, qu'on n'aurait pas la patience de les attendre et que la protection serait sacrifiée avant d'avoir pu produire ses effets.

Messieurs, en vous disant que je ne suis pas partisan des droits différentiels, je ne méconnais pas cependant ce que ce système bien établi pouvait avoir de bon ; qu'il pouvait procurer certains avantages au commerce maritime. Il pouvait, selon moi, lui procurer en grande partie les approvisionnements du marché intérieur. Il pouvait faciliter l'établissement de relations directes. Je le reconnais bien volontiers. Mais il m'a toujours paru que le port d'Anvers pouvait prétendre à de plus hautes destinées ; qu'il ne devait pas se borner à l'approvisionnement du pays. Anvers avait connu des jours plus prospères ; il m'a paru en 1844 qu'elle pouvait y aspirer encore. D'ailleurs, messieurs, ces avantages, je l'ai déjà dit, je n'ai jamais pensé qu'ils se seraient réalisés. C'est pourquoi je considérais comme un leurre la loi du 21 juillet 1844.

En effet, après avoir péniblement élaboré le système des droits différentiels, la loi même qui le décrétait y donnait la première entaille en abandonnant par son article 3 à la Hollande la moitié de l'approvisionnement du pays pour l'article le plus important du commerce maritime, le café, et l'on permettait à quelques provinces de notre pays de prendre dans les entrepôts de Rotterdam le tabac nécessaire à leur approvisionnement.

C'est ainsi qu'on débutait dans ce nouveau système ; on voulait que le commerce maritime fût protégé, et en présence de cette déclaration, on cédait à l'étranger l'élément le plus important du commerce, l'approvisionnement en café, et pour quelques provinces, l'approvisionnement du tabac.

Je regrette de devoir le dire, ceux qui jettent les hauts cris aujourd'hui, sous prétexte qu'on veut dépouiller Anvers de la protection qui lui est due, étaient les premiers à sanctionner, dans la loi du 21 juillet 1844, cette contradiction flagrante avec son esprit.

Messieurs, je le dis avec peine, mais avec une conviction profonde : en général, en apprécie mal dans le pays les intérêts du commerce maritime et les avantages qu'il peut procurer à notre industrie. On est toujours prêt à le sacrifier, soit aux intérêts momentanés de l'industrie, soit à ceux du trésor.

C'est ainsi que, pour un faible accroissement de recettes, ceux qui, dans cette discussion, se montrent si préoccupés des intérêts du commerce, sacrifiaient naguère l'important marché de tabacs qu'Anvers avait su conquérir depuis 1830.

Cette conquête avait été faite sur la Hollande. La nationalité belge pouvait donc s'en montrer fière parce qu'elle pouvait ouvrir pour tout le pays une source de prospérité. Eh bien, pour une misérable recette de 350,000 fr., on s'est empressé, en 1844, de démolir ce que le commerce d'Anvers était parvenu si laborieusement à élever.

Et ce n'est pas, comme l'a prétendu l'honorable M. de Liedekerke, le traité de 1846 qui a produit ce résultat ; il est tout entier dû à la loi présentée en 1844 par l'honorable M. Mercier, alors ministre des finances.

Messieurs, pour le prouver, je n'ai qu'à vous faire connaître les résultats immédiats de la loi à laquelle je fais allusion.

En 1841, on importait dans le pays 6,241,000 kil. de tabac ; en 1842 cette quantité s'élevait à 10 millions 370 mille k. ; en 1843 à 9,500,000 kil. et en 1844, après l'adoption de la loi présentée par M. Mercier, les importations sont tombées immédiatement à 4,800,000 ; en 1845, elles ont été de 3,656,000, et en 1846, date du traité avec la Hollande, elles ont été de 5 millions ; et en 1847 de 4,733,000.

Les importations depuis lors ne se sont plus relevées, il ne faut donc pas attribuer au traité de 1846 des torts qu'il n'a pas eus, et qui sont exclusivement dus à la loi présentée par M. Mercier.

N'est-ce pas ensuite eu vue des intérêts de l'agriculture que, par une protection exagérée accordée à la production du sucre indigène, on est parvenu à anéantir presque complètement l'important commerce du sucre des colonies ?

Je dirai donc à ceux qui dans ce moment semblent se préoccuper si vivement des intérêts d'Anvers : Restituez au commerce les éléments importants que vous lui avez enlevés, et vous ferez plus pour sa prospérité, qu'en cherchant à lui conserver les lambeaux de protection qui lui restent de la loi du 21 juillet 1844.

Car, messieurs, quel est en Europe le port de commerce qui, privé d'aliments aussi essentiels pour sa navigation que le café, le tabac, ainsi que le sucre, aurait conservé l'importance et la prospérité qu'Anvers a su maintenir ? Je ne pense pas qu'il y en ait un seul.

Messieurs, je vous ai dit que je n'étais pas partisan de la loi du 21 juillet 1844, Est-ce à dire que je puisse adopter le traité qui est en discussion et qui fait, comme on l'a dit, une brèche si importante au système des droits différentiels ? Non, messieurs, si je veux arriver à la liberté commerciale, j'entends, comme la Hollande et surtout comme l'Angleterre, procéder graduellement, avec prudence, sans jeter de la perturbation dans aucun intérêt, mais d'une manière logique envers le commerce comme envers l'industrie. L'honorable M. Nothomb, le chef du cabinet en 1844, sous l'administration duquel les droits différentiels ont été introduits dans notre législation douanière, disait avec beaucoup de raison : « Le système protecteur est un. Il faut qu'il soit le droit de tous, ou que la liberté soit le droit commun de tous. »

Je ne puis que répéter ces paroles. Quand toutes les autres industries du pays conservent une protection exagérée, vous ne pouvez pas trouver mauvais que je réclame en faveur du commerce maritime qui, lui aussi, est une industrie importante du pays, le maintien de la protection la plus rationnelle que la loi des droits différentiels avait voulu lui accorder. Ce n'est pas quand on conserve des droits différentiels, quand on oppose des entraves aux arrivages directs des lieux transatlantiques et des lieux de production par pavillon étranger, que je puis consentir à ce que les droits les plus bas de nos tarifs soient appliqués aux importations par canaux et rivières ou par terre.

Si Liège peut s'approvisionner de denrées coloniales par le canal de Bois-le-Duc, je dirai que je considère comme une injustice envers certaines localités situés près de nos frontières du nord l'interdiction de s'approvisionner par terre. Ainsi pourquoi Turnhout qui est placé sur la frontière ne pourrait-elle pas recevoir des denrées coloniales de la Hollande aussi bien que les localités riveraines de la Meuse ? C'est, je le répète, une injustice que je vous signale en passant.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Elle va cesser.

M. Loos. - Il faudrait, d'après moi, qu'aussi longtemps que la plupart des industries du pays conserveront une protection douanière, les arrivages tant par canaux et rivières que par terre, fussent soumis à des droits plus élevés que les arrivages par mer, des pays transatlantiques et des lieux de production.

Messieurs, je disais en commençant que la prospérité d'Anvers devait résulter du plus grand nombre possible des navires abordant son port ; l'entrave que j'entends maintenir pour les provenances des entrepôts d'Europe, n'est point une contradiction à ce principe, c'est le moyen de recevoir, au contraire, un plus grand nombre de navires, car les approvisionnements par la Meuse seront autant d'aliments enlevés à notre commerce maritime au profit de la Hollande.

Mais, dira-t-on, c'est là de l'égoïsme. c'est priver Liège de ses avantages naturels ; je le reconnais, c'est un sacrifice que je demande au bassin de la Meuse ; mais, massieurs, l'industrie qui réclame une protection ne fait-elle pas toujours acte d'égoïsme, et peut-on trouver mauvais que je réclame pour l'industrie d'Anvers ce qu'on ne refuse à aucune autre industrie du pays quelque mince qu'elle soit ? et Anvers ne s'impose-t-elle aucun sacrifice en faveur du bassin de la Meuse et des autres parties du pays ?

Sommes-nous libres, par exemple, d'aller prendre et d'employer nos navires à l'importation du charbon anglais, de la fonte de zinc et de tous les autres produits de l'industrie liégeoise, alors que nous pourrions les obtenir à meilleur marché que ce que nous devons les payer grâce à la protection dont ils jouissent ?

Je suis prêt, pour ma part, à abandonner la protection que je réclame pour Anvers lorsque nos tarifs de douanes auront cessé de protéger d'une manière outrée les autres industries du pays, et je crois que sous ce rapport personne ne se montre plus libéral que moi. Dans les discours que j'ai entendus pendant cette discussion, les orateurs, loin d'abandonner des protections sur le marché intérieur, en réclament avec de vives instances sur les marchés étrangers, en demandant, en quelque sorte, la prohibition du transit pour le bétail et le poisson, comme pour le fer et la houille.

Que ceux qui se montrent si prodigues des intérêts d'Anvers, commencent par se montrer un peu moins absolus, alors qu'il s'agit des intérêts de leur localité. Que ceux qui combattent les droits différentiels en fait de navigation, admettent aussi qu'il n'en doit pas exister en fait d'accises alors qu'on produit du sucre de canne ou du sucre de betteraves. Il faut encore de la logique, si avant tout, il ne fallait de la justice et de l'équité.

Tous les intérêts dans une nation sont solidaires ; l'un ne peut pas prétendre prospérer par une protection outrée, alors qu'on laisserait péricliter l'autre à défaut de toute protection. D'ailleurs Liège s'imposerait un sacrifice qu'il ne pourrait pas dire que c'est dans l'intérêt d'Anvers, mais dans l'intérêt général, car la Belgique entière a intérêt à voir le commerce maritime dans un état prospère.

Si Liège ne peut pas faire un sacrifice dans l'intérêt de l'industrie d'Anvers, il y aurait injustice à vouloir qu'Anvers en fît pour Liège ou pour d'autres parties du pays.

J'entends dire à côté de moi : Et le péage ! On veut sans doute faire allusion au péage de l'Escaut ; c'est un sacrifice que le pays s'impose, il est vrai, mais se l'impose-t-il en faveur de la ville d'Anvers seulement ? Il se trouve dans cette enceinte beaucoup trop de membres qui ont voté le rachat de ce péage pour que j'aie besoin de rappeler ce qui a motivé cet acte de justice. Le péage de l'Escaut était imposé à la Belgique (page 453) comme condition du traité de paix avec la Hollande qui consacrait l’indépendance du pays et la nationalité belge. C’eût été une injustice d'en faire supporter les frais par la ville d'Anvers seule.

L'honorable ministre des affaires étrangères disait, au début de cette discussion, qu'en 1846 Anvers aussi s'était plaint du traité avec la Hollande, et il demandait quel tort ce traité avait fait éprouver au commerce. L'honorable ministre oublie sans doute que ce traité, comme celui que nous discutons en ce moment, maintenait en faveur de la Hollande le droit qu'elle tenait déjà de la loi du 21 juillet 1814, de fournir de ses entrepôts les 7/17ème de notre consommation de café, plus 180,000 k. de tabac exotique aux droits les plus bas de nos tarifs, indépendamment d'une quantité indéterminée de tabac aux droits des importations directes sous pavillon étranger.

C'était une atteinte à la seule protection qu'Anvers réclame encore aujourd'hui. Mais en même temps qu'Anvers réclamait contre cette clause du traité, savez-vous quel était le langage de la chambre de commerce et des représentants d'Anvers dans cette enceinte ?

Ils ont constaté le tort que devait éprouver Anvers, mais ils reconnaissaient que le traité stipulait des avantages importants en faveur de plusieurs industries du pays, et, en considération de ces circonstances, ils faisaient volontiers le sacrifice de leurs intérêts. Un seul représentant, et j'avais l'honneur d'être du nombre, a-t-il volé contre le traité ? Non, messieurs ? L'honorable M. Osy, qui signalait à la chambre tout le préjudice que devaient porter au commerce les conditions onéreuses du traité, ne vota pas moins avec nous son adoption.

Voilà, messieurs, comment se comportèrent les égoïstes de la députation et de la chambre de commerce d'Anvers.

Je désire qu'on ne soit pas plus égoïste que nous et qu'on comprenne, à Liège comme ailleurs, qu'il faut savoir faire des concessions aux grands intérêts du pays, au nombre desquels figure à bon droit le commerce maritime.

J'ai dit, dans la séance d'hier soir, qu'avant peu le commerce d'Anvers réclamerait contre le maintien de certains droits différentiels. Je pense, en effet, que le maintien des entraves qu'on oppose aux importations directes des pays transatlantiques ou de production, sous pavillon étranger, sont plutôt nuisibles que favorables au port d'Anvers, et qu'aujourd'hui qu'on accorde à la Hollande le droit d'importer de ses entrepôts un assez grand nombre d'articles, provenant tant de ses colonies que d'autres pays transatlantiques, le commerce s'apercevra bientôt qu'il est de son intérêt de pouvoir contre-balancer. Cette iniluence par des importations de toute nature, sans égard à la protection que les traités avec la Hollande et avec l'Angleterre réservent encore au pavillon national pour l'importation de quelques articles importants. J'aurais, pour ma part, moins regretté la perte de cette protection, que celle qu'on vient de sacrifier à la Hollande, en lui abandonnant l'importation par canaux et rivières.

On aurait mieux fait, selon moi, d'accorder à la Hollande l'assimilation complète de son pavillon au nôtre, tout en maintenant, pour l'un comme pour l'autre, des droits différentiels aux provenances des entrepôts d'Europe.

Cette dernière concession me paraît inopportune, sans compensations suffisantes et trop contraire aux véritables intérêts d'Anvers pour qu'il me soit permis de voter le traité.

Je voterai donc contre.

- La clôture est demandée.

M. Van Iseghem (contre la clôture). - Je suis inscrit pour parler en faveur du traité. Je prie la chambre de bien vouloir m'entendre. J'ai plusieurs observations à présenter, je voudrais dire pourquoi les pêcheurs ne réclament pas, et je voudrais établir que le traité de 1846 était plus défavorable pour nos relations directes que celui de 1851.

- La clôture est mise aux voix et prononcée.

Vote de l’article unique

L'article unique du projet est ainsi conçu :

« Article unique. Le traité de commerce et de navigation conclu, le 20 septembre 1851, entre la Belgique et les Pays-Bas, sortira son plein et entier effet. »

Il est procédé au vote par l'appel nominal.

89 membres répondent à l'appel nominal.

57 votent l'adoption.

30 votent le rejet.

2 (MM. Vilain XHH et Visart) s'abstiennent.

En conséquence le projet est adopté. Il sera transmis au sénat.

Ont voté l'adoption : MM. Prévinaire, Reyntjens, Rogier, Rolin, Roussel (Ad.), Rousselle (Ch.), Tesch, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, Van Cleemputte, Vandenpeereboom (E.), Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Allard, Ansiau, Bruneau, Cans, Cools, Dautrebande, David, de Baillet-Latour, de Brouckere, de Brouwer de Hogendorp, Delehaye, Delescluse, Delfosse, Deliége, de Perceval, de Pitteurs, De Pouhon, Dequesne, de Royer, de Steenhault, Destriveaux, Devaux, d'Hoffschmidt, Dolez, Dumon (Auguste), Dumont (Guillaume), Frère-Orban, Jacques, Jouret, Julliot, Lange, Lebeau, Lesoinne, Manilius, Mascart, Moncheur, Moreau, Moxhon, Orts, Pierre, Pirmez et Verhaegen.

Ont voté le rejet : MM. Rodenbach, Sinave, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom (A.), Van Renynghe, Vermeire, Veydt, Boulez, Clep, Coomans, de Baillet (Hyacinthe), Dechamps, de Chimay. de Decker, de Haerne, de La Coste, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Mérode (Félix), de Mérode-Westerloo, de Muelenaere, de Theux, de T'Serclaes, de Wouters, Dumortier, Landeloos, Loos, Malou, Mercier et Orban.

M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont invités à en faire connaître les motifs.

M. Vilain XIIII. - M. le président, en 1844 j'ai parlé et j'ai voté contre la loi des droits différentiels. Je ne puis donc voir qu'avec plaisir xette loi en partie déchirée.

En second lieu il me semble que l'agriculture commence à prendre une revanche sur le commerce qui sera récompensé par où il aura mérité.

Je ne pouvais donc voter contre la loi, mais je ne pouvais voter en faveur de la loi, car elle consacre une injustice flagrante dont l'arrondissement qui m'a envoyé dans cette chambre sera particulièrement victime. Je peux parler des avantages faits pour le café et le tabac aux ports de mer et aux canaux et rivières, avantages qui ne sont pas accordés aux bureaux des frontières de terre.

M. Visart. - Mes motifs d'abstention sont, d'abord, que je reconnais qu'il y a matériellement et politiquement de grands avantages dans les rapports commerciaux et la bonne intelligence avec nos voisins du Nord, et que plusieurs articles, maintenus ou nouveaux, doivent contribuer à ce résultat : mais, d'une autre part, le traité concède trop aux nouvelles et assez intempestives exigences de la Hollande ; il paralysera tout ce que nous avons fait en faveur de notre marine. On y sacrifie encore, par le libre transit du bétail, une protection envers notre agriculture, qui trop souvent, si ce n'est toujours, est offerte en holocauste au commerce et à l'industrie.

- M. Delehaye remplace M. Verhaegen au fauteuil.

Projet de loi introduisant des mesures provisoires dans le tarif des douanes

Discussion générale

M. Delehaye. - La discussion générale est ouverte.

M. Verhaegen. - Messieurs, j'ai donné un vote approbatif au traité. Je donnerai encore un vote approbatif au projet de loi en discussion comme mesure de convenance et de haute politique.

Mais je désire que le pays sache que ce vote affirmatif n'implique nullement l'approbation de certaines théories sur le libre échange qui ont surgi dans cette enceinte et qui ne sont pas les miennes, entendant formellement conserver toutes mes opinions à cet égard.

M. de Perceval. - C'est là aussi mon opinion.

M. Roussel. - Je voulais présenter à la chambre la même observation que vient de lui présenter notre honorable président. J'ai également voté le traité avec la Hollande par des considérations de haute politique et d'intérêt national. Quant au projet dont il s'agit, il n'est que la conséquence du traité et je le voterai dans ce sens, mais je me réserve bien expressément d'examiner la question en toute liberté lorsqu'il s'agira d'adopter définitivement les idées nouvelles qui ont été développées.

M. Dumortier. - Messieurs, je viens combattre le projet de loi en discussion. D'abord qu'est-ce que ce projet de loi ? Il faut bien le reconnaître, c'est la suppression d'une loi qui a procuré d'immenses bienfaits à la Belgique, de la loi des droits différentiels. (Interruption.) Je ne rentrerai pas dans la discussion du traité, je m'occuperai uniquement de la loi en discussion.

Je ne puis pas admettre, messieurs, qu'une pareille suppression se fasse par arrêté royal, je crois qu'il faut une loi et une loi qui soit examinée mûrement par l'assemblée, avant de prononcer la révocation d'une loi organique, d'une des lois les plus importantes qui aient été votées par la législature, d'une des lois qui ont produit pour l'industrie les effets les plus considérables.

Et ici, messieurs, permettez-moi de vous citer une autorité que, certes, la majorité de la chambre ne récusera point, je veux parler de l'autorité de tous les ministres eux-mêmes, dans leur programme du 12 août. Voici, messieurs, ce que disaient les ministres dans ce programme :

« Les intérêts matériels demandent, pour fleurir, sécurité et stabilité. »

Eh bien, c'est justement cette fixité et cette stabilité que je viens invoquer en ce moment. Il faut de la fixité et de la stabilité aux intérêts matériels, et dès lors il ne faut pas abandonner ces intérêts à l'arrêté royal, aux caprices d'un ministre.

Le programme ajoute :

« Le cabinet ne jettera pas la perturbation dans notre régime économique par des changements inopportuns à la législation douanière. »

Eh bien, ce sont ces changements inopportuns, ces changements imprévus, sur lesquels le pays n'a pas été consulté, ce sont ces changements qu'on nous appelle à voter en ce moment et qu'on nous appelle à voter en bloc, les détails devant être abandonnés à l'arrêté royal.

Quant à moi, je ne puis que protester de toute l'énergie de mon âme contre un pareil abandon de la prérogative parlementaire. Comment ! quand il s'agit d'une question secondaire, vous entendez tous les jours dire dans cette enceinte : « Vous ne pouvez pas déléguer le pouvoir civil ! » et que vous propose-t-on aujourd'hui ? La délégation du pouvoir législatif, et cela pour la confection d'une loi de la plus haute importance.

(page 454) Ah ! messieurs, c'est bien assez de ce système qui pèse depuis longtemps sur le pays. Je dis que ce système n'aurait qu'un seul résultat, c'est de supprimer le parlement et de créer en Belgique la monarchie absolue des ministres. Je ne veux pas plus de ce nouveau genre de desp tisme que d'aucun autre, et je dis que la délégation demandée par le ministre serait l'abdication de tous nos droits. Je ne donnerai jamais les mains à un pareil système.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'honorable M. Dumorlier est tombé dans les exagérations auxquelles il nous a habitués. Nous demandons la suppression du parlement et le droit de légiférer seuls comme nous l'entendons !

Messieurs, vous venez de voter le traité ; tout le monde sait que, comme conséquence du traité, une tarification uniforme doit être appliquée à un certain nombre de marchandises ; tout le monde connaît également ces articles ainsi que la tarification que nous voulons y appliquer. Pour éviter toute espèce d'inquiétude, pour éviter des objections comme celles que l'honorable M. Dumortier vient de faire, le gouvernement a eu soin de déposer le projet de loi qu'il vous demande de pouvoir appliquer provisoirement par arrêté royal.

Il fait cette demande parce que, d'une part, la tarification nouvelle est la conséquence nécessaire du traité, et que d'autre part la chambre est dans l'impossibilité de voter le projet de loi déposé avant le 1er janvier, époque de la mise en vigueur du traité qui vient d'être adopté.

Est-ce là quelque chose d'exorbitant ? Est-ce un pouvoir qui n'a jamais été accordé ? Mais la loi de 1822, article 9, donne au gouvernement des pouvoirs de la même nature, et les ministres qui nous ont précédés en ont usé très souvent.

L'arrêté du 14 juillet 1843, par exemple, qui apporte des changements notables au tarif, a été pris en vertu de la loi de 1822. L'arrêté du 29 juillet 1845 a été pris également en vertu de cette loi. La loi du 6 août 1849 donne aussi au gouvernement le pouvoir de changer la tarification. La loi du 16 juillet 1849 donne au gouvernement le pouvoir de supprimer les droits de sortie et le gouvernement a fait usage de ce pouvoir.

La commission qui a examiné le projet de loi introduit une restriction à la proposition du gouvernement ; les pouvoirs qu'il s'agit de lui conférer viendront à cesser à l'expiration de la présente session. Or, dans l'intervalle qui s'écoulera d'ici là, la chambre aura à apprécier le projet de loi qui lui a été présenté. Il n'y a donc pas lieu de s'arrêter à l'objection de l'honorable M. Dumortier.

M. Van Iseghem. - Dans le projet qui nous occupe, il y a une augmentation de droits sur les huîtres ; je demande que le gouvernement veuille bien appliquer aux parcs d'huîtres l'article 40 de la loi sur les entrepôts ou toute autre mesure analogue pour ne pas arrêter l'exportation.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'ai fait connaître dans l'exposé des motifs que telle était l'intention du gouvernement.

M. Coomans. - L'honorable ministre des finances vient de nous dire que le projet de loi en discussion est la conséquence nécessaire du traité. S'il en était ainsi, sans approuver le projet de loi (ce qui impliquerait en quelque sorte l'approbation de l'acte principal), je ne voterais pas contre ; mais l'assertion de l'honorable ministre des finances est très inexacte ; le projet de loi n'est la conséquence nécessaire du traité qu'en ce qui concerne la réduction des droits ; il n'est pas la conséquence nécessaire du traité quant au supplément considérable que M. le ministre y a ajouté.

Il y a, messieurs, dans ce projet des augmentations de droits de douanes, sur différents articles, entre autres sur les épiceries ; ces augmentations s'élèvent à 78,000 fr. : vous voyez qu'il y a autre chose en jeu que le traité hollando-belge. et il ne serait pas permis de discuter la convenance de semblables augmentations, de les discuter à fond ! Je dis que nous devons ajourner l'élévation des droits de douanes et nous borner à voter les dispositions du projet, qui sont la conséquence forcée du traité. Je voudrais donc élaguer toutes les augmentations de droits. Voiià une première observation qui est, selon moi, très importante.

J'en ai une autre à présenter. Puisque M. le ministre des finances profite de l'occasion des réductions de droits nécessitées par le traité, pour introduire pour 75,000 fr. d'augmentations de droits de douane (chose qui n'est pas du tout la conséquence du traité), je demanderai à l'honorable ministre de vouloir bien ajouter aux articles dont la libre entrée sera autorisée, en vertu du projet de loi, les sels de soude.

J'ai déjà formulé cette proposition, mais l'honorable ministre des finances y a fait une objection qui n'était peut-être pas sans valeur à cette époqne, c'est qu'il craignait que le trésor n'éprouvât quelque dommage de la libre entrée des sels de soude, attendu, disait-il, que le sel de soude, pourrait être converti en sel de cuisine. C’était là une question à examiner ; je pense que M. le ministre se trompait. Mais aujourd'hui que, par le traité avec l'Angleterre (qui sera voté comme celui-ci), nous supprimons le droit d'accise pour les sels destinés aux fabriques, et que, par conséquent, les fabricants pourront faire du sel de soude à un prix très réduit (interruption), la crainte de M. le ministre n'aurait plus de fondement.

Le sel de soude, messieurs, est une matière première très importante pour les blanchisseries et les savonneries, c'est une matière première qu'il entre dans vos principes et dans les miens d'affranchir. J'insiste donc pour que le sel de soude soit inséré dans le tableau annexé au projet de loi.

Veuillez remarquer que le sel de soude acquitte un droit d'entréa de 25 à 40 p. c. de la valeur, et qu'il est employé par environ 450 industriels, tandis qu'il n'est fabriqué en Belgique que par 3 ou par 4 maisons. Il entre certes dans ma manière de voir de protéger l'industrie, mais 450 industriels doivent l'emporter sur une demi-douzaine. D'ailleurs l'industrie linière, qui lutte si difficilement sur les marchés étrangers, est intéressée au succès de ma proposition.

J'ajournerais celle-ci, si le gouvernement me laissait espérer qu'il y souscrira plus tard, lors de la discussion approfondie du présent projet de loi.

M. Delehaye. - M. Coomans fait il une proposition ?

M. Coomans. - Je propose d'ajouter à la nomenclature des articles dont il s'agit dans l'article 4, les diverses espèces de sels de soude.

- Un membre. - C'est une question très importante.

M. Coomans. - On dit que la question est très importante, soit ; mais elle n'est pas nouvelle ; elle a déjà été discutée ici ; d'ailleurs le projet de loi tranche des questions qui ne sont pas moins importantes, notamment celle de l'élévation des droits d'entrée sur plusieurs articles.

L'autre jour, quand je défendais ma proposition de réforme douanière, M. le ministre des finances me faisait un grief de ce que, tout en affranchissant certains produits, j'élevais les droits sur certains autres ; je faisais cela dans le même but que l'honorable ministre a voulu atteindre, c'est-à-dire afin de combler le déficit à résulter d'un abaissement partiel du tarif. (Aux voix ! aux voix !)

- Plusieurs membres. - Parlez.

M. Coomans. - J'ai fini. M. le ministre ne peut pas me refuser une diminution de droit après m'avoir reproché une augmentation. Du reste j'aurai l'occasion de revenir sur cette question intéressante.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je ne dirai que quelques mots, mon assertion était exacte : la mesure que nous proposons est la conséquence du traité. M. Coomans fait une subtilité ; il dit : Tout n'est pas la conséquence du traité. Nous avons sans doute indiqué suffisamment qu'ayant fait disparaître les droits sur certains articles déclarés libres à l'entrée, nous avons dû chercher une compensation pour le trésor. Où l'avons-nous prise ? Sur des articles qui peuvent être considérés comme objets à l'usage exclusif des classes aisées, des classes riches. Il n'est pas un seul article qui ne soit de cette catégorie. C'est la différence qu'il y a entre mes propositions et celles de l'honorable M.Coomans. M. Coomans proposait en effet de taxer énormément le café qui, de son aveu, est aussi précieux pour le pauvre que le pain.

Quant au sel de soude, l'objection que j'ai faite antérieurement subsiste tout entière. En second lieu la proposition ne vient pas utilement puisqu'elle ne peut pas faire l'objet d'un amendement à la loi, la chambre ne discutant pas maintenant le tarif. Lorsque le tarif sera mis en discussion, après les vacances, M. Coomans pourra faire une proposition. Il n'y aura pas une grande perte de temps puisque, tout le monde le sait bien, le projet actuel n'est que provisoire et que le projet définitif est déjà soumis à la chambre.

M. Delehaye. - M. Malou a présenté un amendement. Il propose de substituer aux mots : « contenus dans le projet de loi, etc., » ceux-ci : « reconnus nécessaires par suite du traité avec les Pays-Bas. »

M. Malou. - Messieurs, il me paraît peu convenable de référer, dans une loi, à un projet de loi. Ce que le gouvernement désire, c'est d'avoir les pouvoirs nécessaires pour prendre les dispositions que le traité nécessite. Ma proposition lui donne ces pouvoirs et elle sauve garde mieux (c'est du moins mon appréciation) la dignité parlementaire.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Si la proposition de l'honorable M. Malou n'avait pas d'autre sens que celui qu'il vient d'indiquer, sans doute nous pourrions facilement nous y rallier puisque l'honorable membre la trouve plus convenable. Mais l'amendement me paraît restrictif : il ne s'agit plus des dispositions contenues dans le projet de loi, il s'agirait uniquement des modifications qui seraient une conséquence directe du traité. Eh bien, nous demandons au contraire à pouvoir appliquer l'ensemble des mesures proposées et dont l'une, très importante, est réclamée instamment par le commerce d'Anvers. Je veux parler de celle qui est relative à la relâche.

M. Loos. - La chambre vient d'approuver un traité qui porte un grand préjudice à Anvers ; ce traité serait ruineux si la loi proposée n'était pas adoptée ; je prie dans la chambre de bien vouloir le voter. Il s'agit uniquement d'une approbation provisoire, et la chambre se réserve le droit d'examiner dans tous ses détails la tarification proposée.

- La clôture est demandée est prononcée.

Vote des articles et sur l'ensemble du projet

M. Delehaye. - L'article premier du projet de loi est ainsi conçu :

« Art. 1er. Le gouvernement est autorisé à mettre provisoirement en vigueur, par arrêté royal, en tout ou en partie, les changements à la législation des douanes contenus dans le projet de loi présenté à la chambre des représentants, dans la séance du 22 décembre 1851.

« L'arrêté pris en vertu de la présente loi cessera ses effets, au plus tard, à la clôture de la présente session législative. »

M. Malou a proposé par amendement de dire : « Les changements (page 455) à la législation des douanes, reconnus nécessaires par suite du traité avec les Pays-Bas. »

M. Malou. - Messieurs, le but de mon amendement se trouve atteint. Il est prouvé qu'on veut aller au-delà du traité du 20 septembre ; dès lors, je retire mon amendement.

M. Coomans. - Je retire le mien pour le même motif.

- L'article premier est mis aux voix et adopté.


« Art. 2. La présente loi sera exécutoire le jour même de sa publication. »

- Adopté.


Il est procédé à l'appel nominal pour le vote sur l'ensemble du projet de loi.

En voici le résultat :

72 membres répondent à l'appel.

54 répondent oui.

13 répondent non.

5 (MM. Vermeire, Visart, de Haerne, de La Coste et F. de Mérode) s'abstiennent.

En conséquence, le projet de loi est adopté. Il sera transmis au sénat.

Les membres qui se sont abstenus motivent leur abstention en ces termes :

M. Vermeire. - Messieurs, je reconnais que, pour atténuer les effets des concessions que nous avons faites par l'article 14, il convient d'en rendre l'application générale aux marchandises qui sont énumérées dans cet article ; mais je n'ai pas suffisamment examiné le projet de loi par lequel on demande une délégation en faveur du gouvernement. Je ne veux pas, par mon vote d'aujourd'hui, préjuger le vote que j'aurai à émettre demain.

M. Visart. - Les changements à la législation des douanes étant la conséquence nécessaire du traité avec la Hollande, il en résulte que mon abstention est la conséquence de celle qui l'a précédée.

M. de Haerne. - Messieurs, il y a des mesures qui sont les conséquences du traité ; il y en a d'autres que je ne puis pas bien apprécier. Voilà pourquoi je me suis abstenu.

M. de La Coste. - Je me suis abstenu, parce que j'ai considéré l'affaire comme n'étant pas suffisamment instruite.

M. de Mérode. - Je n'ai pas voté le traité ; par conséquent ses conséquences ne me regardent pas.

Ordre des travaux de la chambre

M. le président (pour une motion d’ordre) . - Il s'agit de fixer le jour de la prochaine séance.

- Des membres. - Le 20 janvier.

- D'autres membres. - Le 26 janvier.

M. de Liedekerke. - La session sera courte ; je crois que des vacances jusqu'au 15 janvier sont suffisantes.

M. Coomans.- Messieurs, je propose qu'on laisse au bureau le soin de fixer le jour de notre prochaine séance ; le bureau pourra s'assurer mieux que nous s'il y a de la besogne préparée.

M. Dumortier. - Les vacances de Noël n'ont jamais dépassé 15 jours ; nous aurons cette année une session très courte, des élections devant avoir lieu, nous ne pouvons pas prendre de vacances jusqu'au 20 ou 26 janvier comme je l'entends proposer. Une vacance trop longue serait mal vue du pays, il a confiance en nous, nous devons faire en sorte de répondre à son attente.

M. Delehaye. - Il est certain que jamais une session n'a été aussi remplie que celle-ci ; plusieurs projets d'une très haute importance ont déjà été votés. ; jamais les sections centrales n'ont été aussi activement occupées ; notre ordre du jour est presque épuisé, il n'y reste que quelques petits projets qui ne sont pas de nature à occuper la chambre plus d'une heure ou deux.

Une chose à considérer aussi, c'est qu'il faut que le gouvernement puisse se présenter devant le sénat.

L'ordre du jour du sénat est très chargé, le gouvernement sera obligé d'y siéger longtemps.

Une autre raison encore, le gouvernement a promis de présenter le projet de loi sur la charité publique, il faudra qu'il s'en occupe activement pour pouvoir le présenter à notre retour. Je demande donc que la chambre s'ajourne jusqu'au 26 janvier. Le pays n'a pas à se plaindre de ce qu'a fait la chambre ; nous qui présidons les sections centrales, nous savons combien elles ont travaillé, nous avons eu souvent deux sections centrales convoquées le même jour. Ce sont là des considérations suffisantes pour que la chambre puisse prendre des vacances jusqu'au 26 janvier.

M. Rodenbach. - Je proposerai un terme moyen, le 20 janvier. Le pays ne verrait pas avec satisfaction que nous nous absentons pendant un grand mois en considérant surtout les frais qui résultent d'un mois de session.

M. de Liedekerke. - Je me rallie à la proposition de M. Rodenbach.

M. Delfosse. - L'ordre du jour est épuisé, à peu de chose près. Il s'agit de savoir s'il y aura des travaux prêts pour le quinze ou le vingt, sans cela il serait inutile de se réunir. j

M. Mercier. - Nous pourrons, si aucun rapport n'est prêt, nous réunir en sections, nous avons à examiner la loi sur la contribulion personnelle.

Si nous ne nous réunissons pas le 20 au plus tard, cette loi ne pourra pas être votée de manière à être mise à exécution cette année. De plus M. le ministre a promis de nous présenter le tarif pour le transport des marchandises par le chemin de fer : ce projet était presque terminé à la fin de la dernière session ; il est probable qu'il pourra être présenté à notre rentrée. Si nous prolongeons nos vacances au-delà du 20, nous n'aurons pas le temps d'examiner ce projet et de le voter dans cette session. Elle ne sera pas longue et nous avons encore les budgets à discuter et à voter.

M. le président. - Nous avons plusieurs projets en section centrale dont l'examen n'est pas terminé, nous n'aurions rien à mettre à l'ordre du jour.

M. Delfosse. - La commission chargée de l'examen du Code forestier a nommé l'honorable M. Orts rapporteur. L'honorable membre mettra les vacances à profit pour faire le rapport.

M. Delehaye. - La section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur la contribution personnelle a nommé son rapporteur ; il s'occupe de son rapport qui, dans tous les cas, pourra.être présenté le 26. Si l'on se réunit avant, on se trouvera en présence d'un ordre du jour épuisé.

M. Thiéfry. - Je crois qu'on concilierait toutes les opinions en chargeant le bureau de convoquer la chambre à partir du 20 janvier.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - La chambre sait qu'en différentes circonstances je me suis opposé à des demandes de vacances lorsque des travaux urgents réclamaient sa présence. Aujourd'hui je viens appuyer la proposition de remettre la première séance au 26 ; les travaux dont la chambre était saisie sont épuisés ; elle a voté plusieurs lois très importantes ; elle a été, cette année, réunie avant l'époque fixée par la Constitution.

Dans l'intervalle qui va s'écouler d'ici à la rentrée, on pourra préparer les budgets et les projets de loi qui ont été annoncés ; le rapport de la commission chargée d'examiner la législation forestière sera préparé. C'est un travail considérable.

Qu'il soit entendu que si la chambre adopte la proposition de M. Thiéfry, le bureau ne convoquera pas la chambre avant le 20 ; mais si le rapporteur a terminé son travail pour cette époque. il nous convoquera pour cette époque.

M. Orts. - Si je suis pour quelque chose dans la décision que la chambre va prendre, je dirai que je ferai tout ce qui sera.en mon pouvoir pour avoir terminé mon travail le 20, mais il faudra que la commission soit encore réunie pour le lui soumettre avant de le déposer.

M. Thiéfry renonce à sa proposition

- La chambre consultée décide qu'elle s’ajourne au 26 janvier.

Formation de la délégation au roi

Tirage au sort de la députation chargée de complimenter Sa Majesté à l'occasion du renouvellement d'année.

Le sort désigne pour faire partie de cette commission : MM. De Pouhon, Moncheur, Dolez, Orts, Cans, Cools, Dequesne, Veydt, de Brouckere, de Man d'Attenrode et de La Coste.

- La séance est levée à 5 heures.