Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 1 avril 1852

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1851-1852)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1007) M. Vermeire procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

- La séance est ouverte.

M. Ansiau lit le procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Vermeire présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le sieur Morneau, coquetier à Mont-Saint-André, réclame l'intervention de la chambre pour que son fils soit exempté du service militaire. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

« La chambre de commerce de Louvain déclare adhérer à la pétition du conseil communal de cette ville relative au tracé du chemin de fer de Bruxelles à Namur. »

M. de La Coste. - Les autres pétitions de ce genre ont été renvoyées à la commission, avec demande d'un prompt rapport. Je propose de suivre la même marche pour celle-ci.

- Cette proposition est adoptée.


« Les membres du conseil communal de la Roche demandent la construction, aux frais de l'Etat, d'une route entre Champion et Houffalize. »

« Même demande de l'administration communale de Saint-Hubert. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le conseil communal de Limal déclare adhérer à la pétition de la ville de Wavre relative au tracé du chemin de fer de Bruxelles à Namur. »

M. de Man d'Attenrode. - Je demande que la commission soit invitée à faire un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.


« Le sieur Hayman-Hye réclame l'intervention de la chambre pour obtenir un subside qui puisse couvrir les droits d'enregistrement et de tonnage qu'il a versés au trésor du chef de l'acquisition du navire à hélice le Hetcha, et les droits d'entrée qu'il a été obligé de payer sur une chaudière placée dans ce navire. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

M. Malou. - Je demanderai que la commission soit invitée à faire un prompt rapport sur cette pétition.

M. de Man d'Attenrode. - Je demande que le rapport soit fait dans tous les cas avant que la chambre se sépare.

- Cette proposition est adoptée.


« Plusieurs membres de la société littéraire flamande dite : « Voor tael en kunst », à Anvers, demandent que la langue flamande soit traitée sur le même pied que la langue française dans l'exécution de la loi sur l'enseignement moyen. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Coster demande que la chasse soit permise en temps de neige et qu'il soit pris des dispositions pour défendre les traques et les battues. »

- Même renvoi.


Par divers messages en date du 29 mars, le sénat informe la chambre qu'il a rejeté 8 demandes en naturalisation ordinaire. »

- Pris pour notification.


M. Julliot demande un congé.

- Accordé.

Projet de loi interpétatif de l’article 22 de la loi de 1820 sur la milice

Rapport de la commission

M. Moreau dépose le rapport de la commission qui a examiné le projet de loi interprétatif de l'article 22 de la loi de 1820 sur la milice.

Projet de loi accordant un crédit extraordinaire au budget du ministère des travaux publics

Rapport de la section centrale

M. David dépose le rapport de la section centrale sur le crédit extraordinaire de 300,000 francs pour le département des travaux publics.

Projet de loi accordant un crédit extraordinaire au budget de département de la justice

Rapport de la section centrale

Projet de loi relatif au personnel des tribunaux de Tournay et de Charleroy

Rapport de la section centrale

M. Orts dépose deux rapports de la section centrale du budget de la justice qui a examiné, comme commission spéciale, le projet de loi portant régularisation d'un crédit extraordinaire pour le département de la justice et le projet de loi relatif à la nomination de chambres temporaires aux tribunaux civils de Tournay et de Charlcroy.

Rapport sur des demandes en naturalisation

M. de Steenhault dépose deux rapports sur des demandes en naturalisation.

Rapports sur des pétitions

M. Visart dépose un rapport sur des pétitions qui demandent un changement au tarif des droits d'entrée et de sortie sur les grains de colza.


M. Loos dépose le rapport de la commission d'industrie sur une demande des ébénistes et marchands de bois d'ébénisterie sollicitant l'abolition des droits différentiels sur les bois d'ébénisterie.

-La chambre ordonne l'impression et la distribution de ces rapports et en fixe la discussion à la suite des objets qui se trouvent déjà à l'ordre du jour.

Projet de loi approuvant la convention de la pêche, conclue avec le Royaume-uni

Rapport de la commission

M. Van Iseghem dépose le rapport sur le projet de loi sur la convention relative à la pêche, conclue avec la Grande-Bretagne.

- La chambre décide que la discussion de ce rapport aura lieu samedi.

Rapports sur des pétitions

M. Jacques. - Dans vos séances du 27, du 30 et du 31 mars, vous avez renvoyé à la commission des pétitions diverses requêtes concernant le tracé du chemin de fer de Bruxelles à Namur, les unes tendant à ce qu'il soit dirigé par Wavre, les autres s'opposant à ce que les prétentions de la ville de Wavre soient admises.

Comme vous avez, dans une séance précédente, renvoyé d'autres pétitions à M. le ministre des travaux publics, avec demande d'explications ultérieures, votre commission des pétitions croit devoir vous proposer également le renvoi de toutes les pétitions dont je viens de parler à M. le ministre des travaux publics avec demande d'explications.

- Ces conclusions sont adoptées.

Motions d’ordre

Organisation de la garde civique

M. Jouret (pour une motion d’ordre). - Messieurs, chaque année de nombreuses demandes de modification à la loi sur la garde civique sont adressées à la chambre, et cependant je viens d'apprendre avec surprise et non sans regret que la commission mixte qui a dû examiner toutes les questions relatives à lot défende du pays ne s'est point occupée des réclamations de notre armée citoyenne.

Ma motion a pour but d'engager fortement M. le ministre de l'intérieur à combler cette lacune en soumettant le plus tôt possible à un nouvel examen de la législature la loi concernant la garde civique.

Je pense que ceux de qui on exige non seulement de lourds impôts, mais encore des services sans rémunération, sont bien dignes de l'attention et de la sollicitude du gouvernement, et je suis persuadé que M. le ministre va protester de ses bonnes dispositions à leur égard ; nous n'ignorons pas que, du reste, le gouvernement est frappé des inconvénients de la loi sur la garde civique, et que, naguère encore, M. Rogier a promis d'en faire l'objet de son examen le plus sérieux. J'aime à croire que cet examen a eu un résultat, et que M. le ministre ne trouvera pas de difficulté à nous le faire connaître.

M. Rodenbach. - Je crois devoir appuyer la motion d'ordre de l'honorable préopinant. Je l'appuie d'autant plus que, depuis deux ans, des pétitions nous sont arrivées constamment de diverses villes et surtout des petites villes telles que de Roulers, Louvain, Courtray, Termonde, etc., qui demandent une organisation en deux bans, l'un de réserve pour les mariés, l'autre pour les personnes non mariées.

Je pense qu'il faudra modifier cette loi ; car il est réel qu'elle n'est pas populaire ; je suis convaincu que grand nombre de membres de cette chambre partagent mon opinion.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, je ne puis que répéter ce que j'ai déjà dit à plusieurs reprises à la chambre.

La loi sur la garde civique est de l'année 1848. Elle a été vivement réclamée à cette époque ; elle a été mise à exécution sans aucune rigueur. La loi est exécutée d'une manière en général très douce pour le pays. On ne l'a pas étendue à un assez grand nombre de localités auxquelles à la rigueur elle serait applicable.

On dit que l'institution est impopulaire. Je n'accepte pas ce reproche. Je ne sais pas ce qui en est des localités que représente l'honorable M. Rodenbach. Mais je ne vois pas qu'il nous arrive des pétitions de la capitale et d'autres villes importantes où la garde civique est organisée. Je cite notamment la capitale, parce que c'est à Bruxelles que le service de la garde civique est le plus actif ; c'est là qu'il y a le plus souvent des appels, et cependant je ne vois pas que dans la capitale la garde civique soit considérée comme un service tellement onéreux qu'il faille changer l'institution.

M. Coomans. - Il y a eu des réclamations de la part de la capitale.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Très peu. Quelques indivîdus se trouvent gênés de faire le service. Mais conclure de là à l'impopularité de l'institution, ce serait, suivant moi, mal juger de la situation.

Nous devons tenir à ce que nos institutions constitutionnelles se (page 1008) maintiennent, se conservent. Il ne faut pas que nous bouleversions nos lois chaque année.

Pour ma part, Je ne suis pas convaincu de la nécessite de changer la loi sur la garde civique. Lorsque l'on aura procédé aux lois qui concernent l'armée, nous examinerons s'il y a lieu d'introduire quelques modifications dans le service de la garde civique ; mais la nécessité de modifier cette législation ne m'est pas encore démontrée, et j'insiste pour qu'on s'abstienne de reproduire à chaque instant dans cette enceinte des attaques contre une loi existante, et que nous devons maintenir.

M. Rodenbach. - Je conviens qu'il y a eu peu de pétitions dans la capitale, mais cependant il y en a eu, et je crois que les réclamations nous sont arrivées d'un grand nombre de villes et surtout de petites villes. M. le ministre de l'intérieur doit savoir que nous avons reçu de nombreuses requêtes, peut-être au-delà de deux cents, demandant des modifications à la loi sur la garde civique.

Je ne demande pas qu'on bouleverse cette loi, je demande qu'on la modifie, car elle est impopulaire, surtout dans les petites villes.

M. le ministre de l'intérieur a parlé de ma localité, Roulers. Je lui répondrai que l'organisation de la garde civique y a été impopulaire à tel point qu'elle n'y existe plus.

M. le ministre a dit encore que cette loi avait infiniment de douceur. Singulière douceur puisqu'elle constitue un impôt très onéreux qui pèse sur des familles entières qui payent 30, 40 et même 50 francs par année quand ils n'ont personne qui fasse partie de la garde civique.

Je le répète, beaucoup de pétitions nous sont arrivées, il nous en arrivera encore si la loi n'est pas modifiée ; il en arrivera surtout des hommes mariés qui ont à vaquer à leur commerce, et à des soins de famille, et qui n'ont pas à songer à faire l'exercice.

Je crois que la loi doit subir une réorganisation, on en reconnaîtra chaque jour de plus en plus la nécessité.

M. Landeloos. - Si je prends part à ce débat pour combattre l'opinion émise par M. le ministre de l'intérieur, je n'ai point l'intention de venir soutenir que l'organisation de la garde civique est contraire à la Constitution. Au contraire, je reconnais que conformément à nos institutions constitutionnelles, il est de toute nécessité que la garde civique subsiste. Mais la seule chose que je désire, c'est qu'on examine de nouveau la loi qui nous régit et qu'on tâche d'y apporter les modifications que l'expérience a démontrées nécessaires.

M. de Perceval. - Qu'on divise la garde civique en deux bans !

M. Landeloos. - Il est évident qu'au moment du vote de la loi, la section centrale qui avait été chargée de l'examiner a reconnu qu'elle n'avait pas pu le faire avec toute la maturité convenable, mais que la force des événements avait exigé de présenter immédiatement un rapport et d'engager la législature à voter le projet qui était présenté, et dans lequel elle reconnaissait que certaines défectuosités pouvaient se rencontrer.

Depuis sa mise à exécution, différentes pétitions nous ont été adressées et ces pétitions nous ont démontré qu'il était nécessaire d'apporter des modifications à la loi qui est actuellement en vigueur.

Tout le monde conviendra que l'institution de la garde civique peut présenter, dans certaines circonstances, des avantages ; mais pour les obtenir, on doit éviter que les bourgeois qui font partie de la garde civique, ne se dégoûtent de cette institution, que pendant le temps de paix parfaite, tel que celui dont nous jouissons actuellement, on n'en abuse pas ; qu'enfin on ne rende pas le service de la garde civique trop onéreux.

C'est pour cette raison que je crois de toute nécessité qu'on examine la question de savoir si l'on ne pourrait pas diviser la garde civique en deux classes ou deux bans, dont l'un serait en permanence, et l'autre ne serait astreint au service que dans des circonstances extraordinaires, pendant les moments de trouble.

Je ne crains point de dire, messieurs, que la loi en astreignant au service actif toutes les personnes qui n'ont point atteint 50 ans, sans distinguer entre les hommes mariés et les célibataires, sans distinguer entre les gardes qui ont dépasé 34 ans et ceux qui n'ont pas atteint cet âge, tend à dégoûter les citoyens de ce service ; dès lors on court risque de perdre tout le bien qu'on est en droit d'en attendre, quand on devra recourir à la garde civique.

Je crois donc devoir appuyer la motion de l'honorable M. Jouret.

Tarif des marchandises sur le chemin de fer de l'Etat

M. de Man d'Attenrode (pour une motion d'ordre). - Je demande la parole pour une autre motion d'ordre. (Interruption.)

Messieurs, il y a dix-huit ans, la loi de 1834, en autorisant le gouvernement à construire des chemins de fer, a décrété que les péages seraient réglés par la loi. Cette prescription n'a été accomplie que très imparfaitement par l'adoption de la loi concernant le tarif des voyageurs. Le gouvernement, après des réclamations incessantes, renouvelées depuis de nombreuses années, a déposé enfin un projet de loi le 26 janvier dernier, destiné à fixer les péages pour le transport des marchandises.

La chambre est saisie de ce projet depuis deux mois et, si mes renseignements sont exacts, le rapporteur n'est pas encore nommé ; cependant il est urgent de discuter un projet qui doit procurer au trésor de nouvelles ressources s'elevant à 12 ou à 15 cent mille fr. Cette discussion est d'autant plus urgente qu'on réclame la disposition de crédits considérables pour la défense du pays, que les crédits destinés au budget de la guerre vont être augmentés d'une manière notable.

L'objet de ma motion est donc de demander que M. le ministre des travaux publics veuille bien mettre un peu plus d'empressement à répondre aux demandes de renseignements qui lui sont adressées par la section centrale.

Je demande en outre que la section centrale veuille bien s’occuper avec suite de l’examen de ce projet, dont l’adoption est si urgente, pendant les vacances ; ce n'est pas trop présumer de son patriotisme.

Je demande que le rapport nous soit distribué à domicile et que la chambre le porte en tête de son ordre du jour pour sa rentrée après Pâques.

Mais avant de décider ce que nous ferons après les vacances, avant d'arrêter notre ordre du jour, il s'agit de savoir si nous existerons encore après Pâques. (Interruption.) Des bruits assez étranges circulent, l'on prétend que la clôture de la session sera prononcée pendant que nous serons dans nos foyers.

- Un membre. - C'est un droit !

M. de Man d'Attenrode. - C'est un droit ! me dit-on, sans doute : je ne le conteste pas ! Mais nous avons nous autres le droit de savoir ce qu'on fera de nous dans le futur. Nous avons le droit de discuter notre ordre du jour, il nous est impossible de le faire si le gouvernement ne déclare pas avec franchise, si l'existence de la chambre se prolongera encore pendant quelque temps.

Le gouvernement ne doit pas agir par surprise, il doit des égards à la représentation du pays. Il faut qu'il mette de la franchise dans sa conduite. Ma demande est fort simple. Je demande s'il est question de clore la session pendant les vacances de Pâques ?

M. Delfosse. - J'ai déjà eu l'occasion de dire à la chambre que la section centrale chargée de l'examen du projet de loi relatif au transport des marchandises s'est réunie, et qu'après avoir pris connaissance des observations faites par les sections elle les a communiquées à M. le ministre des travaux publics.

Quand les renseignements qu'elle a demandés lui seront fournis, la section centrale mettra à l'accomplissement du mandat qui lui a été confié par la chambre tout le zèle possible.

Je ne sais pas s'il convient à messieurs les membres de cette section centrale d'être seuls privés de vacances, comme le demande l'honorable M. de Man.

Pour ma part, je veux bien rester ici pendant les vacances, si cela peut être ulile, mais l'honorable M. de Man voudra bien reconnaître que ses collègues de la section centrale ont droit à des vacances tout comme les membres des autres sections.

M. Lebeau. - C'est clair.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Pour être autorisé à dire, comme le fait l'honorable M. de Man, que je mets peu d'empressement à remettre à la section centrale les renseignements qu'elle a réclamés, il faudrait au moins que l'honorable membre fît partie de la section centrale, et qu'il sût quels renseignements elle m'a demandés. S'il en était ainsi, il saurait que ce qu'elle demande, c'est une partie du comple-rendu de 1851.

On demande des renseignements qui, pour être recueillis, exigent un travail de dépouillement considérable. Ainsi, à propos du tarif des marchandises, on demande le nombre de locomotives-lieues, le nombre de voitures-lieues, etc., pendant l'exercice 1851.

Or, ces élémenls figureront dans le compte rendu qui n'est pas achevé, mais qui ne tardera pas à être communiqué à la chambre.

D'autre part, le travail sur le transport des marchandises est extrêmement considérable. Dans les sections, il a été bien accueilli. Cependant, plusieurs systèmes se sont formulés. Ainsi, l'on a demandé s'il ne serait pas possible d'abolir le système des taxes fixes pour se borner à des taxes exclusivement variables.

Je suis obligé, pour satisfaire aux demandes de la section centrale, de faire un travail considérable, et le temps donné pour le faire n'est pas suffisant. De manière que l'honorable membre n'est pas autorisé à dire que je mets peu d'empressement à fournir à la section centrale les renseignements qu'elle réclame.

M. Mercier. - Je n'adresserai pas à M. le ministre des travaux publics un reproche sur ce qu'il n'a pas transmis à la section centrale les renseignements qu'elle a demandés. Cependant je considère le projet de loi sur le tarif des marchandises comme ayant un caractère d'urgence au point de vue du trésor public ; si parmi les renseignements demandés par la section centrale il en est qui ne peuvent être donnés qu'après un long délai, M. le ministre pouvait en faire l'observation à la section centrale et lui adresser ceux qui peuvent être recueillis immédiatement ; en effet, il arrive souvent que lorsqu'une section centrale demande des renseignements, c'est parce qu'elle les croit entre les mains des ministres. Du moment que, pour les lui fournir, plusieurs mois sont nécessaires, elle aimera sans doute mieux y renoncer et achever le travail dont elle est chargée.

M. David. - Le projet de loi a en effet une très grande importance au point de vue des intérêts du trésor et du commerce. Donc dans le cas où nous ne pourrions le voter dans la session actuelle, je demanderai que le gouvernement présente un projet de loi qui l'autorise à mettre provisoirement à exécution le projet de loi.

M. de Man d'Attenrode. - Puisque MM. les ministres jugent convenable de ne pas me répondre, je reprends la parole.

J'ai demandé formellement si la session serait close pendant les vacances. Je renouvelle cette question. Je demande qu'on y réponde par oui ou par non. Cela n'est pas bien difficile.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - L'honorable préopinant a tort de parler d'une surprise dont serait menacée la chambre.

Il n'a pas non plus raison d'interpeller le gouvernement sur l'exercice d'un droit qui est de l'essence gouvernementale. J'apprends par lui que la chambre va se donner des vacances. Le gouvernement n'en a (page 1009) pas été informé. La chambre est parfaitement dans son droit de sa donner des vacances. Je ne l'interpelle pis à cet égard.

M. de Man d'Attenrode. - Vous n'avez pas le droit de m'interpeller. Mais j'ai, moi, le droit de vous interpeller.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je ne nie pas votre droit d'interpeller, pourvu que vous vouliez bien aussi me reconnaître le droit de vous interroger quelquefois sur certaines affaires ; droit que vous m'avez contesté, par parenthèse, il y a quelque temps.

Messieurs, la chambre doit se donner des vacances, à ce que nous apprend l'honorable M. de Man. Je ne sais pas quelle sera la durée de ces vacances. Si elles ont une certaine étendue, si elles sont de quinze jours, la chambre voudra bien se souvenir que nous avons, de commun accord, décidé qu'il y aurait une session d'été. Dans cette hypothèse, il est évident que la session actuelle doit toucher à sa fin, à moins de vouloir que les deux sessions se succèdent sans donner aucun repos ni aux chambres, ni au gouvernement. Il est donc possible que si la chambre se met en vacances, il n'y ait plus pour elle lieu de revenir. C'est une probabilité.

Si la chambre croit que les travaux dont elle reste encore saisie, exigent des délibérations promptes, qu'elle ne se donne pas de vacances. Mais si la chambre se donne quinze jours de vacances et que nous ayons, comme cela sera nécessaire, une session d'été, je le répète, il est probable que la chambre ne sera plus rappelée après les vacances.

M. de Man d'Attenrode. - Les paroles que vient de prononcer l'organe du gouvernement indiquent clairement, comme nous le présumions, qu'il est positif que la session sera close pendant les vacances que la chambre est accoutumée de prendre à cette époque de l'année.

La clôture de la session serait ainsi prononcée au commencement d'avril.

Pourquoi cette clôture prématurée ? Voilà la question qui se présente tout naturellement. Je vais vous dire ma pensée tout entière. J'ai l'habitude de penser en public. Je dis que cette clôture est prématurée, parce que cela n'est pas encore arrivé depuis 1830.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Nous n'avons pas à discuter sur ce point.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il s'agit d'une prérogative royale.

M. de Man d'Attenrode. - Je n'attaque pas la prérogative royale ; rien ne vous empêche d'en faireusage. Nous savons très bien qu'il dépendra probablement de vous de laisser continuer les débats ou de les arrêter par la clôture.

Je disais donc que cette clôture est prématurée, parce que nous avons fait peu de chose pendant cette session ; nos séances ont commencé habituellement vers deux à trois heures, et pourquoi cela ? Parce que le gouvernement ne donnait pas d'aliment à nos discussions. Je répète que, depuis le commencement de cette année, nous n'avons en quelque sorte rien fait, et je dis que cette session n'aura été en quelque sorte qu'une parenthèse vide, comme le disait autrefois un membre de cette chambre, quand il était dans l'opposition.

Ce qui caractérise le plus cette session, ce sont les comités secrets ; on a fait une large brèche au système de la publicité.

Je dis enfin que cette clôture est prématurée, parce qu'il nous reste plusieurs projets de lois très importants à discuter.

Voyons maintenant pourquoi cette mesure : en voici la cause :

Nous avons à discuter le budget de l'intérieur. Eh bien, le gouvernement s'étant aperçu que des éléments peu bienveillants pour les prodigalités de ce département s'étaient introduits dans la section centrale, le gouvernement a désiré que cette discussion n'eût pas lieu avant les élections. Il a craint le renouvellement des discussions qui ont eu lieu à propos du compte rendu des 3 millions.

La discussion du budget de l'intérieur a été ajournée.

Nous avons à discuter aussi le budget de la guerre. Eh bien, l'on redoute aussi les discussions que l'examen de ce budget fera surgir. L'on craint que cette discussion n'amène une division dans la majorité ; on craint cette division avant les élections. On veut arriver aux élections sans encombre. Ainsi les projets qui pourraient amener des discussions politiques sont envoyés à une session d'été.

Il n'y a pas jusqu'au projet fort inoffensif et peu politique, qui concerne les péages des chemins de fer, qui ne soit aussi ajourné.

Il paraît que M. le ministre des travaux publics n'a pas d'idée, n'est pas encore parvenu à se faire une opinion concernant la question des courtes distances ; il ne faut cependant avoir qu'une idée d'équité pour arrêter son opinion concernant cette question.

Comment ! l'on a résolu la question des courtes distances en faveur de la compagnie des chemins de fer de la Flandre occidentale, qui n'a pas rempli ses engagements, et on refuse d'appliquer le même principe à la compagnie du chemin de Namur à Liège, qui a rempli loyalement tous les siens. Cela n'est pas compréhensible.

Ainsi tous ces projets sont renvoyés à une session d'été.

C'est là où veut en venir le cabinet.

Quand la chambre est appelée à discuter des projets de loi dans l'atmosphère de cette saison, la chambre discute peu, elle vote. Tout l'avantage est alors pour le gouvernement. C'est ce que nous avons vu l'année dernière. Après une session assez stérile eu égard à sa longue durée, l'administration est arrivée vers la fin avec des projets importants et nombreux.

La chambre fatiguée, pressée de rentrer dans ses foyers, n'a discuté que très imparfaitement les projets, qui lui ont été soumis. La majorité a arrête les discussions à coup de clôture, et le gouvernement a obtenu tout ce qu'il a voulu.

Je prévois que ce qui s'est passé l'été dernier se reproduira pendant l'été qui s'ouvre devant nous. Ces expédients, je les déplore. Le pays sera appelé bientôt à, les juger,

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je n'entends pas suivrt l'honorable préopinant dans ses diverses pérégrinations ; il nous a parlé d'une multitude de choses. La passion l'emporte.

M. de Man d'Attenrode. - Il n'y a pas de passion du tout. Je suis dans le vrai.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - La passion l'aveugle. Il est évident que la critique prématurée, anticipée d'un acte qui n'est pas encore posé, sort des droits de l'honorable membre et blesse une prérogative que nous devons respecter. On a été jusqu'à dire, messieurs, que si les ministres le voulaient, ils obtiendraient la clôture des chambres. Je laisse aux chambres à apprécier la convenance d'un pareil langage.

Le gouvernement veut des votes, dit-on ; il craint les discussions. Le gouvernement n'a jamais reculé devant une discussion. Il a même condamné ses adversaires au silence après les avoir provoqués à rouvrir des discussions qui les gênaient beaucoup.

M. de Man d'Attenrode. - Et les comités secrets ?

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Voulez-vous une discussion ? Entamez-la. Voulez-vous une discussion politique ? Nous sommes prêts ; nous la désirons. Est-ce que vous vous figurez, par hasard, que l'opinion du pays nous fait peur ? Croyez-vous que nous ne serions pas heureux d'exposer de nouveau au pays toute la politique du gouvernement, de répondre à toutes les attaques dirigées contre le gouvernement et qui se renouvellent chaque jour. Messieurs, une discussion politique serait pour nous ce qu'il y aurait dans ce moment de plus avantageux, de plus désirable. L'honorable M. Malou fait un signe négatif ; s'il en doute, qu'il la commence. Il ne serait pas inutile que, dans les circonstances actuelles, on se dessinât de part et d'autre.

Pour ma part, je serais très heureux que les opinions qui ont été exprimées récemment dans un comité secret vinssent à se reproduire en séance publique ; que l'on pût apprécier de quel côté éclateraient les manifestations les plus vives, les plus unanimes en faveur de nos institutions.

Commençons une discussion publique, je le veux bien ; je l'appelle, nous sommés prêts.

Ce qu'a fait l'honorable M. de Man dans sa revue rétrospective des travaux de la chambre, c'est la critique même de la chambre. La chambre n'ouvre ses séances qu'à 2 ou 3 heures ; ce n'est pas notre faute ; ce n'est pas nous qui fixons l'ouverture des séances. Une partie de la chambre se retire quelquefois à 4 heures. Ce n'est pas nous qui demandons que la chambre se retire à 4 heures.

Si la chambre veut accepter ces critiques, libre à elle. Mais elles ne peuvent pas atteindre le gouvernement.

Si la chambre, messieurs, ne revient pas après les vacances, ce n'est pas parce que nous redoutons une discussion, c'est parce que nous pensons que la chambre ne pourrait plus utilement s'occuper avant la session d'été ; c'est parce que nous croyons aussi que la chambre a besoin de quelque repos.

L'année dernière, on nous a blâmé de tenir la chambre réunie pendant toute l'année. Vous vous rappelez quels reproches nous avons eu à essuyer, sous le faux prétexte d'une pression que nous exercerions sur la chambre. Nous aurions tenu la chambre captive pendant toute une année. On n'aurait jamais vu ministère plus despotique. Et cette année, parce que nous voulons ménager le temps de ceux qui ont aussi leurs affaires particulières, parce que pour nous-mêmes nous demandons un certain repos, on vient dire que nous fuyons devant les discussions, que nous ne voulons que des votes de la chambre, que nous sommes ennemis de la lumière, que nous voulons le huis clos avant tout. Pourquoi ? Parce que l'on a discuté un traité à huis clos.

- Un membre. - Deux traités.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je pense que c'est la chambre qui a décidé le huis clos.

Je le répète, messieurs, l'honorable membre s'est livré à une critique inconvenante sous un certain rapport et injuste en ce qui concerne la chambre.

Si la chambre veut s'occuper des travaux dont elle est encore saisie, rien de mieux, mais qu'elle commence alors par ne pas se donner de vacances.

Il n'est pas exact, d'ailleurs, que la session ait été stérile ; des travaux très importants ont été accomplis dans cette session, et je pense que la chambre pourrait se retirer en parfaite sécurité de conscience sur ce qu'elle a fait dans cette session.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - J'ai demandé la parole, messieurs, lorsque l'honorable M. de Man a parlé de la stérilité de la session, actuelle et de celle de l'année dernière.

L'honorable membre n'attribue d'importance à une session qu'autant qu'elle soit entièrement perdue en discussions politiques sans issue et sans utilité pour le pays. Il a parlé de la session de l'année dernière ; eh bien, il n'est pas de session depuis 1830, où l'on ait fait autant que dans la session de l'année dernière.

M. de Man d'Attenrode. - Elle a été de dix mois.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Qu'importe ? En a-t-on moins-fait ? Avez-vous voté des lois civiles d'une grande importance ? Avez-vous voté des lois financières auxquelles tout le monde attachait le plus haut (page 1010) prix ? Avez-vous voté des travaux publics auxquels tout le monde attachait le plus grand intérêt ? Ces faits sont-ils vrais ou ne le sont-ils pas ? Et la session actuelle, il paraît que l'honorable M. de Man ne s'est pas associé, lui, à tous les travaux sérieux qui ont été faits.

M. de Man d'Attenrode. - J'en ai fait de très sérieux. (Interruption.) Vous en avez vu les résultats.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Le résultat que nous avons vu c'est une espèce de préface, de thème, de progamme d'une campagne électorale et ce n'est, paraît-il, qu'autant que l'on puisse aujourd'hui commencer une discussion qui ait de l'influence sur les élections du mois de juin, qu'on attribuera quelque mérite à la session actuelle.

M. de Man d'Attenrode. - Je ne dis pas cela.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - On ne le dis pas, sans doute, mais on le pense. C'est là la tactique. Eh bien, nous l'acceptons. Veut-on une discussion politique, qu'on la provoque ; nous sommes prêts.

Mais je ne puis pas me prêter à cette petite manœuvre qui consiste à dire que la session a été stérile. Je crois, moi, que la session n'a pas été stérile. Nous avons fait des lois très importantes : la réforme du Code pénal, la loi sur l'expropriation forcée. Il est vrai que cela n'agite pas le pays comme des discussions éternelles sur la question de savoir si un subside a été bien employé, si un ministre n'a pas commis quelque erreur dans l'emploi des fonds mis à sa disposition.

Réformer la législation du pays, faire des lois utiles, cela ne profitera pas à nos adversaires dans les élections, et à ce titre je conçois que certaines personnes n'y attachent pas d'importance ; mais quant à moi, je pense qu'on donnant de bonnes lois au pays on fait beaucoup plus et pour le pays et pour nos institutions qu'en se livrant à des discussions sans issue et sans résultat possible.

M. Dumortier. - Il me semble, messieurs, que le gouvernement s'écarte singulièrement de la question posée par l'honorable M. de Man. De quoi s'agit-il ?

Il s'agit d'abord de savoir si la session va être close, oui ou non. Je reconnais bien volontiers que le droit de clore la session ne nous appartient pas, qu'il appartient au pouvoir exécutif, c'est-à-dire au Roi, avec le contre-seing des ministres, et quand il plaira à Sa Majesté de clore la session, notre devoir sera de nous séparer immédiatement comme la Constitution l'exige.

Mais devons-nous, nous représentants de la nation, aller au-devant de cette clôture ? Voilà, je pense, la question qui résulte de la motion de l'honorable M. de Man.

Au ministère la faculté de proposer au Roi la clôture de la session, mais à nous la question de savoir si notre intention est de nous séparer purement et simplement.

Eh bien, messieurs, je dis que, laissant au gouvernement toute son action constitutionnelle, sans prétendre l'entraver en aucune manière, la chambre ne pourrait, sans manquer à ses devoirs les plus impérieux, prendre l'initiative d'une séparation à l'époque du 1er avril. (Interruption.)

Je suis charmé, messieurs, que vous ayez si bien saisi ma pensée. Je suis surpris, en effet, qu'à une époque semblable on veuille prononcer la clôture de la session. Véritablement cela prêterait par trop au ridicule ; cela sentirait un peu trop l'époque où noxs terminons habituellement nos travaux.

Quel est notre devoir, messieurs ? Il est bien simple. Nous devons continuer nos travaux. Samedi, c'est-à-dire après-demain, nous n'aurons pas, évidemment, épuisé tout l'ordre du jour : eh bien, nous proposerons alors à la chambre de s'ajourner à quinzaine, et de décider qu'elle reviendra dans quinze jours pour continuer ses travaux. Voilà, messieurs, les droits de chacun parfaitement établis, et je crois que les choses ne sauraient se passer autrement ; car il est impossible que vous étouffiez la discussion sur ce qui reste à faire, au point de voter en trois jours tout ce qui reste à l'ordre du jour.

Ainsi, messieurs, en prenant nos vacances de Pâques, comme nous le faisons chaque année, sauf à revenir ensuite, nous laissons le ministère libre de proposer au Roi la clôture de la session, s'il le juge convenable, et, de notre côté, nous n'aurons pas l'air de fuir devant l'accomplissement de nos devoirs.

Je ne puis terminer, messieurs, sans dire un mot de l'espèce de défi que le ministère porte à l'opposition. Voulez-vous, dit-il, une discussion politique ? Nous la désirons ; nous la demandons. Je dirais volontiers au ministère : Si nous acceptions votre demande, ne viendriez-vous pas, au bout de deux jours, proposer la clôture de la discussion ? Vous demandez une discussion politique, mais quand vous aurez parlé, vous cinq ministres, pendant une demi-séance chacun, et qu'un ou deux d'enlre nous auront refondu, vous demanderez la clôture. Voilà comme vous entendez les discussions politiques. Eh bien, à ces conditions, je ne puis m'engager dans une discussion politique : je ne puis m'engager dans une discussion semblable qu'autant qu'on y laisse un libre cours.

En finissant, je dis donc, messieurs, que notre devoir est bien nettement tracé : nous devons continuer à examiner les objets à l'ordre du jour, nous séparer samedi, suivant l'usage, et revenir quinze jours après reprendre nos travaux. Quant au cabinet, s'il le juge convenable, il soumettra à Sa Majesté un arrêté royal de clôture de la session.

M. le président. - Comme il n'y a pas de proposition, nous abordons l'ordre du jour.

Projet de loi modifiant le tarif des douanes

Discussion générale

M. le président. - Le premier objet à l'ordre du jour est le projet de loi relatif à des modifications douanières.

Discussion générale

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, la section centrale chargée d'examiner le projet de loi déposé le 22 décembre 1850, propose do proroger jusqu'au 31 mars 1853 les pouvoirs accordés au gouvernement par la loi du 31 janvier 1852. Comme la chambre a pu le remarquer par le rapport si complet qui lui a été distribué, le gouvernement est prêt à aborder la discussion de ce projet. Pour lui, l'instruction est complète ; les mesures qu'il a proposées à la chambre ei qui, du reste, sont déjà appliquées en ce moment, il était tout préparé à les défendre. Je n'ai cependant pas d'objection fondamentale à faire contre la proposition de la section centrale ; mais je pense qu'il sera utile, même dans l'hypothèse où l'on accueillerait cette proposition, que je dise quelques mots sur chacune des dispositions du projet de loi du 22 décembre.

Le projet de loi du 22 décembre contient cinq articles. On a fait autour de ce projet beaucoup de bruit ; je crois que c'est beaucoup de bruit pour rien. L'article premier abolit les diminutions et les surtaxes de 10 et de 20 p. c. qui étaient appliquées, selon les cas, dans les termes des lois de 1822 et du 21 juillet 1844. On ne maintient que la déduction de 10 p. c. pour les articles qui restent soumis au régime dès droits différentiels.

Cet article, messieurs, n'a soulevé aucune critique ; il est accepté par tout le monde sans difficulté ; et cela se conçoit, il ne pouvait en être autrement ; les déductions et les surtaxes autorisées par les lois de 1822 et de 1844, avaient, dans leur origine, pour but une faveur à accorder au pavillon national ; mais successivement la même faveur a été étendue, par nos traités, à la plupart, pour ne pas dire à tous les pavillons qui visitent nos ports. Il en résulte que la mesure, ainsi généralisée, est devenue complètement inefficace pour le pavillon national. Elle n'avait d'autre mérite que de compliquer beaucoup nos lois, d'imposer aux agents de l'administration des calculs nombreux pour l'application des droits et de nuire au commerce. L'article premier n'a donc pas soulevé de critique.

L'article 2 fait disparaître une distinction qui existait dans la loi des droits différentiels entre les entrepôts transatlantiques de provenance et les pays transatlantiques de production. Cette disposition de la loi de 1844 avait perdu toute son importance pratique par suite du traité de 1845 avec les Etats-Unis, car la disposition n'a été introduite dans la loi que contre les entrepôts américains.

Cette seconde disposition de la loi répond d'ailleurs à un vœu manifesté fréquemment par le commerce d'Anvers. La chambre de commerce d'Anvers écrivait à cet égard ce qui suit :

« Cette mesure, disait-elle, ferait cesser les difficultés qui ne peuvent manquer de surgir chaque fois qu'une marchandise nous arrive d'un pays non mentionné parmi ceux considérés de plein droit comme lieux de production, et elle conserverait en même temps au commerce direct la jouissance pleine et exclusive des privilèges consacrés par la loi des droits différentiels. »

Ainsi, le second article du projet de loi, on a un désir exprimé par les représentants du commerce d'Anvers.

Par l'article 3, le gouvernement s'est proposé de donner de plus grandes facilités au commerce, en accordant pour la relâche les mêmes conditions aux navires étrangers qu'aux navires belges.

Le régime applicable aux navires étrangers n'était pas le même que celui des navires belges. Voici quelles étaient les principales différences :

« 1° Ils ne pouvaient toucher qu'à Cork, Falmouth, Cowes, le Havre et Flessingue, tandis que les navires belges pouvaient relâcher partout ;

« 2° Les navires étrangers n'avaient pas la faculté de débarquer une partie de leur chargement dans le port d'escale ;

« 3° La relâche de ces navires ne devait pas durer plus de trois jours ; pour les navires belges la durée était illimitée ;

« 4° Pour les navires étrangers le régime de relâche était moins restrictif à l'égard des cargaisons accompagnées de connaissements au nom de maisons en Belgique, qu'à l'égard des cargaisons couvertes par des connaissements à ordre. Cette distinction n'existait pas pour les navires belges. »

Dans la pensée du gouvernement l'article 3 a eu pour but de placer sur la même ligne les navires étrangers et les navires belges, quant aux conditions de la relâche. Cette mesure avait été également provoquée par les réclamations souvent répétées de la chambre de commerce d'Anvers et qui remontaient même à une époque déjà fort éloignée.

« L'expérience, disait la chambre de commerce d'Anvers, nous a suffisamment appris que l'interdiction de la relâche des navires étrangers, loin de nous attirer un plus grand nombre de consignations directes, nous a fait perdre le marché des cafés du Brésil et de Saint-Domingue, et a détourné sur la Hollande et les villes hanséantiques des chargements de cette denrée qui, sans cela, auraient été dirigés sur Anvers. Et, en effet, il est évident que pour les navires qui se trouvent en charge à Haïti ou à Rio-Janeiro, la faculté de pouvoir, à l'entrée de la Manche, faire choix entre les différents marchés du continent, celui de la Belgique excepté, est infiniment préférable à l'obligation d'opter d'avance pour le marché belge, où encore les cafés auront à concourir à conditions inégales, d'abord avec tous ceux importés directement par navires nationaux, ensuite avec les sept millions de kilogrammes introduits avec privilège des entrepôts hollandais. Ce qui reste à alimenter de notre consommation après un si grand prélèvement est bien restreint, et la chance d'y trouver un écoulement favorable, trop précaire pour déterminer dans le pays de production (page 1011) des expéditions directes sur les ports belges avec renonciation au choix des autres marchés. »

Le commerce d'Anvers avait donc réclamé les mesures qui sont maintenues dans l'article 3, alors qu'il se plaignait de ce que les formalités relatives à la relâche, de ce que l'interdiction de la relâche étaient un grand obstacle au développement commercial d'Anvers. C'était, parmi tant d'autres, de la loi du 21 juillet 1844.

L'article 3 du projet fait donc droit encore une fois à un vœu manifesté par le commerce.

L'article 4 déclare libres à l'entrée certaines marchandises. Il n'y a pas non plus de réclamations de ce chef. On n'a pas présenté d'objections, je ne pense pas qu'en effet on pût en soumettre à la chambre au nom du commerce d'Anvers.

Enfin l'article 5 est celui qui introduit une tarification nouvelle pour les 35 articles qui, avant le traité, étaient soumis au régime des droits différentiels et qui depuis sont rentrés dans le droit commun. Cet article est la conséquence des traités que nous avons conclus avec la Hollande et avec la Grande-Bretagne. Par le sacrifice des droits différentiels sur trente-cinq des quarante-cinq articles qui étaient soumis au régime différentiel, nous avons obtenu des conditions qui ont été jugées favorables, de la Hollande et principalement de l'Angleterre.

Nous nous sommes déterminés à négocier sur la base de l'abandon de 35 articles de nos droits différentiels ; nous l'avons fait, après avoir acquis la conviction que par suite des réformes introduites dans les Pays-Bas et dans le Royaume-Uni, il était devenu impossible à la Belgique de maintenir le système commercial qui fut consacré en 1844. Cette conviction que nous avions, nous ne l'avions pas seuls, elle était partagée par tous les hommes compétents lar tous les hommes qui s’êtaient occupés de ces matières, et qui appartenaient spécialement à la place d'Anvers.

Ainsi, lorsque l'on ignorait les résolutions qui avaient été adoptées par le gouvernement, pendant même qu'on négociait à Londres et dans les Pays-Bas, divers écrits paraissaient, indiquant précisément l'abandon de 35 articles des droits différentiels, comme étant une mesure indispensable et urgente.

Pendant que l'on négociait, cette opinion était devenue tellement générale, elle s'était tellement accréditée que le 12 mars 1851 vous reçûtes une pétition couverte d'une centaine de signatures de principales maisons de commerce d'Anvers, demandant non pas seulement une modification au régime différentiel par l'abolition de 35 articles soumis à ce régime, mais même l'abolition totale du régime différentiel. Voici ce qu'on vous écrivait :

« Au 31 décembre 1848 nous avions pris la liberté de vous adresser une requête, par laquelle nous vous signalâmes « les vices et les nombreux inconvénients qui résultaient à chaque moment de la loi des droits différentiels et de son application. »

« C'est encore sur le même objet, messieurs, que nous venons attirer votre attention et votre sollicitude. Nous ne saurions mieux appuyer la nécessité d'une réforme radicale qu'en invoquant le simple auxiliaire des faits acquis ; loin d'avoir eu des résultats avantageux pour le commerce et l'industrie belges, cette loi restrictive a proscrit bon nombre de navires de notre port dont les propriétaires ne demandaient pas mieux que de venir décharger les riches cargaisons dans nos ports.

« Vous comprendrez également, messieurs, que, par suite, la concurrence de frets à la sortie a dû diminuer et que partant l'industrie du pays s'est vue obligée de devoir payer des nolis plus élevés pour l'exportation de ses produits.

« Puisque l'expérience est venue victorieusement donner raison à l'opinion que nous n'avons cessé d'émettre concernant cette malencontreuse loi, nous croyons inutile d'entrer dans des considérations plus étendues pour motiver l'urgence d'une révision. Et si les travaux de la législature ne permettaient pas d'en venir à une révision complète pendant la session actuelle, nous vous prions dans l'intérêt général du pays de décréter une réforme provisoire en ce qui concerne les navires venant des pays transatlantiques et relâchant dans un port intermédiaire pour recevoir des ordres et que ces cargaisons soient considérées comme importation directe, pour autant toutefois que dans les ports intermédiaires ils n'aient pas rompu charge. »

Messieurs, vous venez de l'entendre : ces mesures que l'on nous a accusés d'avoir prises avec témérité, sans avoir entendu personne, sans avoir consulté les intérêts du commerce, ces mesures ont été au contraire conseillées par tous les hommes spéciaux, par tous les hommes intéressés, c'est-à-dire par les armateurs, par les négociants d'Anvers qui écrivaient ce que je viens d'avoir l'honneur de vous lire.

Et je vous prie de le remarquer, c'étaient là les principaux armateurs et les principaux négociants d'Anvers ; c'étaient MM. Notteboom, Agie, la maison Osy, enfin les plus fortes maisons de la place d'Anvers.

Nous avions quelques raisons de croire qu'agissant sous un pareil patronage nous pouvions sans aucune difficulté modifier la loi de 1844 et proposer la nouvelle tarification pour trente-cinq articles frappés jusque-là de droits différentiels.

C'est l'objet du cinquième article de la loi. A part des observations de détail sur la tarification, cet article en lui-même ne soulève aucune espèce de critique.

Tel est donc ce fameux arrêté du 2 février 1852, tel est ce projet de loi du 22 décembre dernier, si fort attaqué par tant de gens qui sans doute ne l'ont pas lu !

L’article premier ne soulève pas de critique, ul ne soulève aucune objection, il a fait trois choses utiles à l’administration, au trésor et au commerce.

L'article 2, qui supprime la distinction entre les entrepôts transatlantiques de provenance et les pays transatlantiques de production, avait été sollicité par la chambre de commerce d'Anvers elle-même.

L'article 3 accorde de nouvelles facilités paur la relâche en assimilant les navires étrangers aux navires belges. La chambre de commerce d'Anvers a longtemps et vainement sollicité également cette modification à la loi de 1844.

L'article 4 déclare certains objets libres à l'entrée ; personne ne s'est, plaint ; l'article 5 et dernier de la loi contient le tarif des trente-cinq articles qui cessent d'être soumis aux droits différentiels, et il n'y a pas encore eu de critique sous ce rapport.

On peut être quelque peu étonné, après cet exposé, que l'on ait cependant fait autant de bruit à propos du projet de loi du 22 décembre.

Quelles sont donc les objections qui ont été faites ? Elles ne touchent à aucun des articles ; elles n'ont pas pour objet de critiquer les dispositions du projet. La chambre de commerce d'Auvers, appuyée par la chambre de commerce de Gand, a adressé une pétition à la chambre ; elle se résume en quelques mots. (Interruption.)

Je vais signaler l'objet de cette réclamation. Elle porte sur trois points : 1° la nature de la relâche ; 2° sa durée ; 3° les justifications d'origine et de provenance des marchandises. Voilà les trois griefs. De ces trois griefs, deux ne sont plus reproduits. On voulait limiter la durée de la relâche ; nous avons, au contraire, accordé un temps illimité. Alors qu'il s'agit de supprimer des entraves, il serait fort étrange d'en créer de nouvelles. Pour les justifications d'origine et de provenance des marchandises, on aurait voulu des conditions plus rigoureuses que celles que nous demandons.

Aujourd'hui on n'exige aucune justification quand un navire a relâché ailleurs que dans un port de la Manche, tandis que, d'après la proposition de la chambre de commerce, une justification serait exigée quelle que fût la situalion géographique du port où la relâche aurait lieu.

Ce serait faire renaître les difficultés auxquelles l'arrêté royal du 24 décembre 1849 a mis un terme et qui ont donné lieu à des plaintes-fort vives de la part de la chambre de commerce elle-même.

Dans l'intérêt de la navigation, le gouvernement ne doit pas renoncer au régime libéral établi à cet égard par l'arrêté royal de 1849.

Sur nos observations on a reconnu qu'il n'y avait pas lieu d'insister. L'erreur était évidente.

De toutes les réclamations il n'en reste donc qu'une seule, qui n'est pas applicable au projet de loi, qui s'adresse, non au projet qui vous est soumis, mais à la loi du 21 juillet 1844 ; c'est la demande formée par les chambres de commerce de Gand et d'Anvers de supprimer l'interdiction des ventes sous voiles.

Je n'avais rien proposé sur cette matière ; je n'ai introduit dans la loi de 1844 que les modifications contenues dans le projet. Je n'avais pas porté atteinte à ce qui a été considéré comme l'essense de la loi du 21 juillet 1844. La chambre de commerce ne se plaint donc pas en réalité, personne ne se plaint du projet du 22 décembre dernier, traduit en loi par l'arrêté du 22 février ; mais on demande de faire disparaître l'interdiction de la vente sous voiles.

M. Coomans. - C'est la conséquence forcée de vos actes.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Pas le moins du monde ; cela y est tout à fait étranger. La loi de 1844 peut subsister pour les dix articles comme elle subsistait pour les 45. On a fait disparaître 35 articles, on laisse la loi debout pour le surplus. De l'aveu de tout le monde, ces trente-cinq articles, qui ne donnaient lieu qu'à un mouvement de 20 mille tonneaux, étaient une véritable superfétation dans notre législation. En les faisant disparaître, on maintenait la loi entière dans toute sa rigueur, avec toutes ses conditions, sans aucune modification quant au principe.

Sous ce rapport rien n'était changé. Les chambres de commerce de Gand et d'Anvers demandent quelque chose de plus : elles demandent qu'on supprime l'interdiction, inscrite dans la loi de 1844, de faire des ventes sous voiles.

J'ai répondu qu'une raison de principe et une raison d'intérêt rendaient difficile l'accueil de cette demande. La raison de principe, c'est qu'il faut admettre la loi de 1844 ou la rejeter. Si vous admettez, maintenez-la telle qu'elle est faite. Si vous voulez la faire disparaître, faites-le franchement, ne le faites pas par un moyen détourné.

Maintenir des taxes différentielles de pavillon et de provenance-, maintenir une taxe pour le navire belge important directement, une taxe pour le navire étranger important directement et une taxe pour les navires belges et étrangers important des entrepôts d'Europe, pour faire disparaître l'interdiction de la vente sous voiles, quelle en sera la conséquence ? C'est que les provenances des entrepôts d'Europe ne seront plus admises probablement qu'au droit le moins élevé.

A cela, les négociants avec lesquels j'ai eu l'honneur de m'entretenir m'ont objecté qu'il y avait en ce moment des raisons spéciales d'autoriser les ventes sous voiles, au moins quant aux sucres. Or, pour les sucres, cette bienheureuse loi du 21 juillet 1844 a déjà été suspendue jusqu'en 1849. Ils ont ajouté que, par suite ds la situation du commerce des sucres, ils n'avaient pas donné d'ordres aux colonies ; qu'ils ne pourraient plus importer de sucre que des entrepôts d'Europe, qu'ils allaient se trouver dans la position qui avait motivé la suspension des effets de la loi de 1844.

(page 1012) Je ne veux pas faire plus rigoriste que els honorables négociants d’Anvers ; je veic bien modifier les conditions de la relâche, je veux bien faire quelque chose de plus que le projet de loi présenté à la chambre, je veux être bien autorisé à modifier la loi de 1844 sous ce rapport.

La loi des droits différentiels ne fonctionnera plus en réalité qu'à l'égard de deux articles, le sucre et le cafe. (Intenuption.)

Oui, il y a encore huit autres articles, mais les plus importants, ce sont les Etats-Unis qui nous les importent.

La réclamation n'a de valeur que pour deux articles : le sucre et le café. C'est pour ces deux marchandises que l'on demande à pouvoir acheter sous voiles.

Je n'userai de la faculté que je consens à accepter, que d'une manière restreinte ; si des inconvénients qu'on a craints ne se présentent pas, on pourra généraliser la mesure.

Ces pouvoirs, en ce qui concerne la relâche, cesseraient au 31 mars 1853.

C'est l'objet de l'amendement que j'ai l'honneur de proposer.

Dans cette idée, le projet de loi, soumis à vos délibérations, serait ainsi rédigé :

« Art.1er. La loi du 31 janvier 1852 est prorogée jusqu'au 31 mars 1853.

« Art. 2. Par modification à l'article 5 de la loi du 21 juillet 1S44, et jusqu'au 31 mars 1853, le gouvernement peut supprimer l'interdiction de vendre les cargaisons, ou d'en décharger une partie dans un port intermédiaire. »

M. Delehaye. - Sans indication de la nature des marchandises !

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Oui, le pouvoir est général. Si cela ne présente pas d'inconvénients dans la pratique, il n'y aura pas de raison pour s'arrêter aux sucres. Nous verrons quand l'expérience aura été faite.

Je me résume en deux mots : le projet de loi du 22 décembre appliqué par l'arrêté du 2 février dernier, ne contient, dans ses dispositions, que des mesures qui ne soulevaient pas de critiques ; elles ont été sollicitées par le commerce d'Anvers lui-même ; elles sont une satisfaction donnée à ses réclamations. On ne s'est pas arrêté là : on a demandé quelque chose de plus ; on a critiqué, non le projet de loi, mais la loi de 1844, qui consacre l'interdiction des ventes sous voiles. L'amendement que j'ai eu l'honneur de présenter fait cesser cette plainte.

Mais je tenais à démontrer à la chambre qu'on a simulé contre l'arrêté du 2 février, une opposition qui était uniquement dirigée contre le système inauguré par la loi du 21 juillet 1844.

M. Osy. - J'avais beaucoup d'observations à faire sur le projet de loi ; mais après l'amendement qui vient d'être présenté par M. le ministre des finances, je crois devoir les abréger.

Je n'aime ni les lois provisoires, ni les lois qui donnent au gouvernement le droit de faire par arrêté royal ce que nous pourrions très bien régler par la loi ; mais je reconnais qu'arrivés à la fin de la session, il nous serait impossible d'avoir une discussion approfondie sur le projet de loi.

Je ne partage nullement l'opinion de M. le ministre des finances qu'on a fait beaucoup de bruit au sujet du projet de loi du 22 décembre. Ce projet est devenu loi le 2 février, et dès le 8 février, le commerce d'Anvers a adressé à la chambre une réclamation, à laquelle a adhéré le commerce de la ville de Gand. Nous avions donc raison d'être émus de ce projet de loi.

M. le ministre nous dit que le changement proposé est la conséquence, non de la loi du 2 février dernier, mais de la loi de 1844. Je ne puis admettre cette conséquence. Le ministre, par l'article 3, change lui-même la loi de 1844, mais d'une manière qui n'est nullement satisfaisante.

Pour ma part, j'aurais désiré que nous eussions pu accueillir la proposition de la chambre de commerce, que j'avais proposée comme amendement, puisqu'il y a eu discussion sur ce point.

Il est vrai que le commerce, en 1846, vous a adressé des observations sur la loi de 1844, et qu'en mars dernier, il vous a demandé l'abrogation de la loi de 1844 ou tout au moins de la disposition relative à la relâche à Cowes.

La session s'est passée, et l'on n'a rien décidé. Maintenant le gouvernement propose quelque chose qui ne me satisfait nullement. D'après ce qu'a dit M. le ministre, je vois qu'on va faire des expériences. Au lieu de procéder par mesure générale, il annonce des mesures partielles.

Je le regrette. Ainsi vous allez permettre, par arrêté royal, d'acheter des sucres et interdire d'acheter des cafés !

C'est ainsi que vous faites dire à l'étranger que nous ne connaissons rien à nos affaires.

Je n'entrerai pas dans de grands détails. Mais j'aurais désiré que M. le ministre prît l'engagement de prendre des dispositions pour que le gouvernement autorisât l'achat, sous voiles, de tous les articles. J'espère que l'expérience démontrera à M. le ministre que ce qu'il veut faire pour les sucres doit se faire pour les autres articles.

Bien que je blâme ces expériences partielles, je me rallie à la proposition de M. le ministre des finances. Cependant, je ne puis passer sous silence tout ce qu'il a dit.

Il a dit que l'article premier n'avait soulevé aucune réclamation ; je le reconnais. Mais je suis loin d'être d'accord avec lui sur l'article 2. Le commerce d'Anvers l’accueille parce que toute mesure qui permet d’introduire des marchandises à un taux plus bas est toujours bien accueillie par le commerce.

Mais ici, je ne suis pas négociant ; je suis législateur, et, à ce titre, je dois me préoccuper des intérêts du commerce.

Suis ce rapport, permettez-moi d'entrer dans quelques détails.

Effectivement, le commerce d'Anvers a toujours demandé d'assimiler le pays de provenance aux pays de production. M. le ministre l'admet. Mais je combattrai, par des chiffres, les conséquences de l'article 2, tel que le ministre l'a proposé. Avant la loi du 2 février, les cafés venant des entrepôts d'Amérique, par navires belges ou américains, payaient un droit de 11 fr. 50 c.

Aujourd'hui, en assimilant les pays de provenance aux pays de production et en admettant pour le pavillon américain le même taux que pour le pavillon belge, vous allez avoir un droit de 9 francs, de manière que le navire américain qui ira charger dans les pays de production c'est-à-dire à Saint-Domingue et au Brésil, sera obligé, en venant à Anvers, de payer un droit de 11 fr. 50 c., tandis que, venant de l'entrepôt de New-York, il ne payera que 9 fr.

Le gouvernement, en accordant ce que demande le commerce d'Anvers, pouvait très bien dire : J'assimile le pays de provenance au pays de production ; mais le navire belge et le navire américain payeront les droits comme les pavillons étrangers venant des pays de production. Alors au moins le navire belge et le navire américain, en venant de l'entrepôt de New-York, auraient payé le même droit que s'ils venaient de Saint-Domingue ou du Brésil. Mais aujourd'hui vous voyez qu'il y a pour l'entrepôt de New-York un privilège de 25 fr. par tonneau de café et de 17 fr. par tonneau de sucre.

Je ne sais, messieurs, si, plus tard, lorsque les puissances étrangères connaitront cette distinction, il n'en résultera pas des difficultés pour le gouvernement. Si, au contraire, le gouvernement avait adopté notre système, s'il avait fait payer sur le café venant des entrepôts des Etats-Unis, comme sur le café venant par pavillon étranger du pays de production, on n'avait rien à dire ; on ne pouvait faire d'observation.

Sous ce rapport, comme législateur, je regrette beaucoup la mesure que vous avez prise ; je suis persuadé que plus tard vous regretterez, comme moi, de ne pas avoir adopté celle que nous vous proposions.

On dit que la perte ne sera que très minime. Mais, messieurs, j'ai fait des calculs qui se trouvent aussi consignés dans le rapport do l'honorable M. Van Iseghem.

J'ai pris la moyenne de nos importations des entrepôts d'Amérique, de 1843 à 1849, et je trouve, pour le sucre et le café seulement, une perte de 30,000 fr. Vous auriez évité cette perte, si vous n'aviez pas commis la faute d'assimiler le pays de provenance au pays de production et de faire payer le même droit que par navire belge au lieu de faire payer le droit comme par pavillon étranger.

Il n'est pas possible de revenir aujourd'hui sur ces actes, d'autant plus que M. le ministre consent à revoir la loi d'ici à la session prochaine.

D'ici au 31 mars elle devra être renouvelée et j'espère qu'au commencement de la session, le gouvernement nous saisira d'un projet définitif.

Je reconnais avec M. le ministre que l'article 4 ne donne pas lieu à des observations, que l'article 5 n'y a pas non plus donné lieu.

Mais, messieurs, quand nous avons dit en section centrale qu'il n'y avait pas d'observations sur l'article 5, nous ne connaissions pas le petit traité supplémentaire qu'on vient de faire avec l'Angleterre et dont nous avons eu hier communication.

M. le ministre, en nous parlant, dans son exposé des motifs, de l'article 5, indique entre autres l'augmentation qu'il fait subir au droit sur les huîtres. Il nous dit que les huîtres, qui sont un objet de luxe, ne payent qu'un p. c. de la valeur et ne rapportent au trésor que 2,000 francs. D'accord avec M. le ministre, nous avons trouvé en section centrale qu'effectivement cet objet de consommation pouvait très bien supporter une augmentation de droit, et au lieu d'un droit d'un p. c. vous avez proposé celui de 25 p. c. à la valeur.

Nous avons trouvé dans le tableau joint à l'exposé des motifs que les huîtres qui rapportaient 2,600 fr., rapporteraient, par suite de l'augmentation du tarif, 46,500 fr. M. le ministre ajoutait que de l'ensemble des changements proposés à l'article 5 il ne résulterait pour le trésor qu'une perte de 19,000 fr.

Mais par suite du traité supplémentaire fait avec l'Angleterre, et que nous serons obligés de discuter après-demain, il faut ajouter à cette perte une nouvelle perte de 46,000 fr. Car toutes les huîtres que nous recevons nous viennent d'Angleterre. Il peut nous en arriver un peu de Dunkerque, mais les quantités qui nous viennent de France sont réellement insignifiantes.

L'Angleterre, par ce petit traité supplémentaire, vient donc de démolir ce que M. le ministre des finances a fait. En effet la perte de 19,000 fr. qu'on nous indique dans le tableau doit être augmentée de 40,000 fr., ce qui le portera à 65,000 fr.

Il est évident que, sous ce rapport, ce que vous ferez aujourd'hui, vous le déférez après-demain.

J'ai eu très peu de temps pour lire le traité avec l'Angleterre déposé hier.

Mais j'ai été étonné ce matin en y voyant qu'on rétablissait pour l'Angleterre le droit d'un p. c. sur les huîtres que vous-même, au mois de décembre, vous fixiez à 25 p. c, ; de manière que tous vos calculs tombent à faux.

(page 1013) Je viens de vous dire, à l’occaion de l’article 2, la perte qu'il ferait aussi subir au trésor. Je calcule seulement sur les importations, en prenant la moyenne des années 1845 à 1849. Sur ces importations vous n'avez qu'une perte de 30,000 fr.

Mais vous sentez bien que maintenant que les droits sont réduits pour les Etats-Unis de 25 p. c. par tonneau, nous recevrons beaucoup plus de marchandées venant de l'entrepôt de New-York. Les Américains, qui sont obligés d'aller dans les colonies pour porter leurs produits, profiteront de ce que vous faites pour importer d'autant plus de marchandises dans l'entrepôt de New-York, et les déverser ensuite chez nous. La perte sera donc beaucoup plus forte.

Ne perdons pas de vue que les Américains sont de très grands négociants et connaissent parfaitement les affaires. Sachant que venant chez vous de leurs entrepôts, ils sont privilégiés de 25 p. c. par tonneau ; n'étant pas loin des colonies, ils pourront faire venir de Saint-Domingue des chargements de café, et sans débarquer, prendre de nouveaux papiers et venir chez nous comme arrivant de leurs entrepôts ; et tandis que les navires étrangers, venant des pays de production, payeront 11 fr. 50, ils ne payeront que 9 fr.

Vous comprenez, messieurs, que les Américains auront soin de faire venir des chargements de Saint-Domingue et du Brésil pour les mettre en entrepôt et les faire venir alors chez nous.

Ce que je dis, messieurs, n'est peut-être pas favorable à tout le commerce. Mais je suis ici pour défendre les intérêts de tous et celui du trésor, poir faire des lois, et c'est sous ce rapport que je parle. Car plusieurs de mes amis m'ont engagé à ne pas parler de cet article 2.

Moi je dis ce que je pense ; je trouve que le gouvernement fait une faute : les Américains, qui sont très entreprenants, vont nous importer les produits de Saint-Domingue et du Brésil et accroître considérablement leur commerce d'entrepôt, à notre détriment. Cependant, messieurs, comme il ne s'agit que d'une année, je ne crois pas devoir m'opposer au projet, mais j'ai dû signaler l'anomalie qu'il renferme. J'aurais même fait d'autres propositions, si la session n'était pas si avancée ; mais maintenant je voterai le projet à cause de la disposition relative à la relâche à Cowes, et j'engage M. le ministre à ne pas faire l'expérience pour un seul produit, mais à la faire générale pour les dix articles ; je l'engage en outre à examiner mûrement, d'ici à la session prochaine, quel sera notre système commercial.

Faut-il abolir entièrement la loi de 1844 ? Nous l'examinerons ; mais depuis que cette loi existe elle a été l'objet de tant de critiques à l'étranger qu'on est véritablement peiné d'être Belge et d'avoir fait une semblable loi. Les Anglais disent : Nous n'entrons pas chez vous ; vous nous fermez vos ports : eh bien, nous irons à Hambourg, à Rotterdam, etc. En 1844 j'ai fortement combattu M. Nothomb sur la question de la relâche, et j'ai voté contre la loi des droits différentiels parce que je ne voulais protéger le pavillon national que contre les entrepôts d'Europe.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je demande à la chambre la permission de répondre en peu de mots aux critiques qui ont été faites tout à l'heure par l'honorable M. Osy. Mais auparavant je constate avec satisfaction que l'honorable membre se joint à nous pour faire ressortir les vices si grands, les anomalies si considérables de la loi de 1844.

Je ne les ai pas créées et surtout, je n'y ai rien ajouté.

M. Coomans. - Vous en avez ôlé beaucoup.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Oui, j'ai fait disparaître certaines anomalies de cette loi. Elle contenait plus d'une disposition

J'ai fait disparaître ces différences, j'ai mis sur la même ligne le navire belge et le navire étranger.

Mais, dit-on, j'ai créé de nouvelles anomalies. De quelle manière vraiment ! J'ai accueilli une réclamation constante du commerce d'Anvers ; j'ai proposé de faire disparaître une disposition de la loi de 1844 qui se justifiait encore merveilleusement : c'était la distinction entre les entrepôts transatlantiques de provenance et les pays transatlantiques de production. Le commerce d'Anvers disait : A quoi bon ? Vous avez introduit dans votre loi une pareille disposition, à titre de petite manœuvre contre les entrepôts américains. Cela est complètement sans objet ; faites cesser cette distinction. L'article 2 fait droit à cette réclamation du commerce d'Anvers.

Mais l'article 2 ne peut pas refaire le traité de 1845 avec les Etats-Unis. Du jour où vous faites disparaître la distinction entre les entrepôts transatlantiques de provenance et les pays transatlantiques de production, comme il n'existe plus pour le navire belge qu'une seule catégorie de marchés transatlantiques, il en résulte, non pas en vertu de la disposition que je propose, mais en vertu du traité avec les Etats-Unis, qui a fait une très large brèche aux droits différentiels, il en résulte que le navire américain doit être traité absolument, identiquement comme le navire belge. (Interruption.)

Oh ! vous auriez eu, je le sais, un moyen pour éluder cette obligation ; c'eût été de déclarer que lorsque le pavillon du pays de provenance est assimilé au pavillon belge, les marchandises importées des entrepôys de ce pays et qui ne seraient ni des produits de son sol ni de produits de son industrie, acquitteraient les mêmes droits qui si l’importation avait lieu du pays de provenance, par navire étranger. C’était là votre amendement ; mais c’eût été, rien que cela ! une violation manigeste du traité avec les Etats-Unis.

M. Osy. - Je demande la parole.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - On aurait vu dans une pareille disposition une mesure dirigée uniquement contre les entrepôts américains.

Mais, indépendamment de cette grave raison, j'en avais une autre. Veuillez remarquer que l'amendement qu'on aurait proposé dans cette hypothèse n'aurait pas été applicable aux produits du sol ou de l'industrie des Etats-Unis. Ceci eût été contraire, non plus cette fois à l'exécution loyale des conventions, mais à la lettre même du traité. Il fallait faire cette exception.

Or, voyez, messieurs, en fait, quel eût été le résultat de cette mesure. Des dix articles qui restent soumis à des droits différentiels, quatre des plus importants sont des produits du sol des Etats-Unis.

M. Osy. - Il y a le tabac, le coton et le riz.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Et les bois de teinture…

M. Vilain XIIII. - Le café est le plus important.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Le tabac, le riz, les bois, le coton, c'est bien quelque chose. Tout cela se trouvait excepté. Ett d'autres termes, cette disposition aurait été combinée en vue d'exclure les entrepôts américains, alors que le traité a cependant eu pour objet de leur accorder des avantages, même pour les marchandises qui ne sont pas les produits du sol ou de l'industrie du pays. Et encore le sucre sera demain le produit du sol des Etats-Unis, s'il ne l'est déjà aujourd'hui,

M. Cans. - Il l'est déjà.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je le sais ; mais on objecte qu'on n'en exporte point. Je ne juge pas la question ; mais qu'arriverait-il, je le demande à l'honorable M. Osy, si des navires américains nous importaient du sucre, et que l'on vînt à prétendre qu'il est le produit du sol des Etats-Unis ?

M. Coomans. - Vous avez des consuls.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Nous avons des consuls ; mais distingueront-ils la provenance du sucre ?

M. Coomans. - Ils distingueront la fraude de la bonne foi.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - On fera un chargement de sucre, qui sera déclaré produit dusol du pays.

Que deviendrait alors le petit moyen imaginé pour éluder les légitimes conséquences du traité ? Aussi lorsque la chambre de commerce et les négociants d'Anvers ont demandé, depuis un grand nombre d'années, l'assimilation des pays transatlantiques de provenance sux pays transatlantiques de production, ils se sont bien gardés de proposer la distinction dont on parle aujourd'hui ; ils ont demandé purement ef simplement l'assimilation ; elle a lieu ; elle a pour conséquence de permettre aux navires américains comme aux navires belges d'importer le café au droit de 9 francs, le sucre au droit de un centime lorsqu'ils viennent des entrepôts des Etats-Unis. Mais c'est là une anomalie, nous dit-on, les navires américains qui iraient charger du sucre à la Havane ne pourraient nous l'importer qu'au droit de 1 fr. 70 c. ; si ce sucre a été importé de la Havane aux Etats-Unis, puis chargé et transporté de cet entrepôt, il ne payera plus que un centime. Ce n'est pas moi qui ai créé ce résultat. Cela existe depuis le traité de 1845 ; cela a été pratiqué sous l'empire de la loi de 1844. Voici ce que j'ai dit à cet égard à la section centrale :

« Lorsqu'un navire américain arrive des pays transatlantiques à Anvers, avec un chargement de sucre, il doit fournir le certificat de provenance exigé par l'article 3 de l'arrêté du 24 décembre 1849. S'il conste de ce document que la marchandise a été prise à bord dans un port des Etats-Unis, on ne perçoit, en vertu du traité de 1845 que le droit d'entrée de 1 centime par 100 kilogrammes ; s'il résulte au contraire de cette pièce que le chargement provient d'un autre pays transatlantique, on perçoit le droit d'entrée de 1 fr. 70 c. par 100 kilogrammes afférent au pavillon étranger. Ainsi, dans l'hypothèse où deux chargements de sucre seraient importés, l'un par un navire belge, l'autre par un navire américain, on les soumettrait au même régime si le sucre provenait d'un port des Etats-Unis, tandis que le droit ne serait que de 1 centime pour le pavillon belge et de 1 fr. 70 c. pour le pavillon américain si la marchandise arrivait de la Havane. C'est là ce qui se pratique pour les produits de la Havane, depuis la mise en vigueur du traite du 10 novembre 1845 ; l’arrêté royal du 2 février 1852 n'a modifié enrien la situation, puisque l'ile de Cuba produit du sucre brut et que l’article 2 de l’arrêté royal ne s'applique qu'aux provenances des entrepôts transatlantiques. Il est vrai que du sucre expédié de Cuba aux Etats-Unis et importe des Etats-Unis en Belgique par navire américain est passible d un moindre droit que si le navire américain avait pris un chargement à Cuba même ; mais cette anomalie provient du traité du 10 novembre 1845. Elle a sans doute peu de portée, puisque le commerce ne s’est jamais plaint. »

(page 1014) Ainsi, les anomalies que l’on signale résultent formellement du traiyé de 1845. Elles existent depuis sa mise en vigueur, sous l’empire de la loi de 1844.

Le droit est moindre, et il y aura une perte pour le trésor, dit l'honorable membre. Il y aura un plus grand développement d'affaires avec les entrepôts des Etats-Unis,

L'objet de la loi de 1844, combinée avec le traité de 1845, avait été de placer sur la même ligne le papillon américain et le pavillon belge. Du moment où ces conditions sont accomplies, le but du traité est atteint, et le commerce n'a pas à se plaindre. Qu'a fait l'arrêté du 2 février 1852 ?

Il a fixé les droits pour les marchandises importées des Etats-Unis, sous pavillon belge ; il a établi par cela même des droits identiques pour les importations sous pavillon américain. Les conditions restent donc les mêmes.

Quant à la perte pour le trésor, je ne pense pas que les calculs de l'honorable membre soient exacts ; elle ne s'élèvera pas au chiffre qu'il a indiqué.

En toute hypothèse, ce n'est pas une plainte qu'on puisse faire au nom du commerce. Aussi l'honorable membre déclare-t-il que, sous ce rapport, il n'a pas à se plaindre. Or je me place au point de vue du commerce. J'abandonne les intérêts du trésor le moins possible : je suis charmé que l'honorable membre me vienne en aide. Mais quand vous examinez la mesure au point de vue des intérêts commerciaux, je dis qu'elle est irréprochable. S'il y a des anomalies, elles résultent non de l'arrêté du 2 février, mais du traité de 1845. C'était là l'objection de l'honorable membre contre l'article 2 du projet.

Quant à l'article 3, il est bien forcé de reconnaître que cet article fait droit à des réclamations souvent formulées par le commerce d'Anvers ; mais il soutient que cet article ne va pas assez loin, qu'il faut faire autre chose, qu'il ne faut plus laisser subsister l'interdiction de la vente sous voiles.

A cela je réponds que ce grief s'adresse à la loi de 1844 qui interdit ces ventes. Je n'ai rien innové, sous ce rapport, rien ajouté, rien retranché. La loi de 1844 interdit d'une manière générale les ventes sous voiles, et elle donne au gouvernement le pouvoir de modifier cette interdiction, pour les navires belges seulement. On serait tenté de se demander pourquoi cette faculté accordée au gouvernement uniquement pour les navires belges, à l'exclusion des navires étrangers.

Quoi qu'il en soit, cette modification à la loi de 1844, qu'on réclame ici, n'avait rien de commun avec l'arrêté du 2 février.

On peut me dire que je pouvais l'ajouter. Mais on ne peut dire que l'arrêté du 2 février a infligé grief au commerce d'Anvers, puisque c'est la loi de 1844 qui contient la disposition dont on se plaint. J'admets que la critique peut être fondée. Je ne me fais pas le défenseur du système ; mais je constate que c'est la loi de 1844 qui contient la disposition que l'on critique et je propose un amendement qui me donnerait ie pouvoir de la modifier.

Dans quelle mesure sera appliquée la disposition nouvelle ? L'honorable membre ne veut pas qu'on fasse d'exception. Mais qu'il me permette de lui faire remarquer que s'il y a quelques inconvénients au point de vue fiscal, il faudra bien qu'il m'accorde que je prenne certaines précautions pour empêcher qu'il n'en résulle rrop de préjudice pour le trésor.

Quel motif peut-on alléguer pour que la mesure ne soit pas d'abord partielle ? Aucun. La loi de 1844 suppose qu'il en sera ainsi, puisqu'elle ne donne au gouvernement le pouvoir de lever l'interdiction que pour les navires belges. Nous allons plus loin : la levée de l'interdiction profitera à tous les navires, soil étrangers, soit belges. C'est bien ainsi qu'on l'entend.

L'honorable M. Osy a fait quelques observations sur la tarification : il prétend que si elle n'avait pas soulevé d'objections, c'est qu'on ne connaissait pas encore la convention sur la pêche faite avec l'Angleterre. On nous disait hier : « Ayez une tarification générale, qui vous permette de faire des concessions. » Aujourd'hui, l'on nous dit : « A quoi bon, une tarification générale ? Vous la détruisez par vos conventions ! » Mais c'est le cas de tous les traités. Qu'avez-vous fait avec la Hollande ? Vous avez une tarification générale sur le poisson ; vous lui avez accordé une tarification spéciale. Qu'avez-vous fait avec l'Angleterre ? Une convention de pêche, et vous avez accordé à l'Angleterre une tarification déterminée, autre encore que celle que vous avez admise pour la Hollande.

Cela arrivera constamment aussi longtemps que vous ferez des traités ; c'est le but même des traités ; vous aurez un droit général et un droit spécial résultant des conventions. Il n'est donc pas étonnant qu'une tarification nouvelle se trouve dans une convention de pêche avec l'Angleterre.

J'irai plus loin. Je dirai franchement ce quis'est passé. Quand j'ai proposé le projet de loi de tarification, je l'avais soumis à mes collègues, notamment à celui des affaires étrangères ; il n'a pas fait d'observation sur la tarification du poisson. Cependant dans ce temps-là la négociation avec l'Angleterre était ouverte pour une convention de pêche ; par inadvertance je n'en ai pas été informé. Si mon collègue, au lieu d'adhérer au projet de loi, m'avait annoncé qu'une convention se négociait dans ce moment, il est probable que la tarification n'aurait pas été proposée, parce que je reconnais avec l'honorable M. Osy que, quant aux huîtres, la majeure partie des importations se fait de l'Angleterre et que dés lors, dans ce cas spécial, une tarification générale ne présentait plus qu'un médiocre intérêt.

C'est donc à cette circonstance accidentelle, à cette inadvertance du département des affaires étrangères qui n'avait pas averti le département des finances, et qui même avait donné son adhésion au projet de tarification, qu'il faut rapporter le fait critiqué par l'honorable préopinant.

M. Coomans. - M. le ministre des affaires étrangères n'a pas fait d'observations lors de la discussion.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il avait adhéré à la présentation du projet. Au reste, dans ce moment le département des affaires étrangères avait beaucoup à faire ; il a suivi en même temps la négociation de quatre ou cinq grands traités de commerce. Jamais pareille situation ne s'est présentée ; absorbé par des négociations très longues, très importantes, M. le ministre des affaires étrangères a omis de me donner connaissance de la négociation ouverte avec l'Angleterre. Quand son attention a été appelée sur le projet de tarification, il ne s'est pas souvenu que certains articles faisaient l'objet d'une négociation et que, par une exception assez singulière, une tarification allait rendre à peu près sans objet la nouvelle tarification générale qui était proposée.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du ministère des travaux publics

Rapport de la commission

M. de Brouwer de Hogendorf. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la commission qui a été chargée d'examiner le projet de loi ayant pour objet d'ouvrir un crédit pour le télégraphe électrique.

- Ce rapport sera imprimé, distribué et mis à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi modifiant le tarif des douanes

Discussion générale

M. Vermeire. - Quand je me suis fait inscrire pour prendre part à cette discussion, c'était pour déclarer que j'aurais voté contre la proposition de la section centrale. Après le discours que vient de prononcer M. le minisire des finances, je suis plus fermement résolu que jamais de suivre cette première impulsion. En facilitant plus que ne le faisait le projet du gouvernement la relâche à Cowes, on détruit entièrement la loi des droits différentiels.

Cette loi, avant d'être mise à exécution, a été soumise à une enquête, dans laquelle le commerce et l'industrie de toute la Belgique avaient été entendus. Aujourd'hui, pour la défaire, que fait-on ? On va par sauts et par bonds ; on détruit d'une manière incidentelle sans consulter les intéressés.

Je ne me prononce pas sur le fond, je n'examine pas si la loi des droits différentiels est utile ou non aux intérêts généraux du pays. Je crois qu'incidentellement on ne peut pas traiter une semblable question ; qu'il faudrait, pour se livrer à cet examen, un temps plus long que celui dont nous pouvons disposer.

Avant d'aller plus loin, je dois manifester un regret ; c'est que la section centrale qui a été chargée d'examiner le projet du gouvernement, n'ait pas continué son examen jusqu'au bout. En effet, toutes les sections se sont livrées à l'examen du projet de loi ; toutes, sauf une seule, ont adopté tous les articles. La section centrale, dans son rapport, a également fait valoir les motifs qui militaient pour l'adoption ou le rejet des premiers articles, mais sur l'article 5, elle n'a pas pris de décision.

Sans doute le rapport de la section centrale n'est pas un rapport libre-échangiste ; d'un autre côté, l'amendement proposé par M. le ministre des finances n'est certainement pas protectionniste ; je ne sais donc, pour mon compte, sur quoi nous discutons. Je demanderai à M. le rapporteur s'il adopte l'amendement proposé par M. le ministre des finances.

M. Delehaye et M. Van Iseghem. - La section centrale ne s'est pas réunie.

M. Vermeire. - Par conséquent je puis dire que le projet n'a pas été examiné mûrement par la section centrale.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Mon amendement répond à la pétition du commerce d'Anvers qui a été examinée dans le rapport. La section centrale, du reste, n'a pris de décision sur aucun point.

M. Vermeire. - Aurez-vous l'autorisation de permettre les ventes sous voiles ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est le but de l'amendement.

M. Vermeire. — J'ai donc eu raison de dire que la loi des droits différentiels était de fait complètement abolie par l'introduction de cet amendement. Voici comment s'exprime à cet égard M. le ministre des finances dans une réponse à la section centrale :

« La chambre de commerce reconnaît que la défense de faire aucune opération de commerce dans le port d'escale est conforme au principe (page 1015) du régime différentiel ; il eût été plus exact de dire que cette défense en est la base et que la supprimer c'est ruiner de fait le système lui-même. En effet l'article 1er de la loi du 21 juillet 1844 n'établit les moindres droits qu'en faveur du transport direct.

« L'article 5 permet par exception la relâche pour prendre des ordres et il confirme ainsi le principe de l'article premier. Or, l'exception abosberait entièrement la règle, si la relâche était permise même pour aller présenter les marchandises en vente, comme le propose la chambre de commerce. Dès lors les importations indirectes ne donneraient plus lieu qu'à l'application des moindres droits, et, de fait, on aurait réduit considérablement les droits d'entrée. Si l'abolition du système actuel est le but qu'on veut atteindre, le gouvernement s'empressera d'examiner la question à ce point de vue ; mais il doit s'opposer à ce que, sous prétexte de faire disparaître les entraves dont souffre la navigation, on substitue à la tarification actuelle des marchandises encore soumises aux droits différentiels, une tarification qui sacrifierait les intérêts du trésor.

« Si le régime créé par la loi du 21 juillet 1844 esl destiné à périr, il faut dans l'intérêt général que les taxes différentielles établies en faveur de la navigation et au détriment du trésor, et souvent de l'industrie, disparaissent avec lui ; ils forment un tout qui n'est pas susceptible d'être divisé. »

Je dis donc que, comme je ne veux pas, pour ma part, voter sans examen approfondi, Pabolition de tout un système commercial qui a eu force de loi pendant si longtemps, je ne puis pas accepter la proposition qui a été faite par la section centrale.

Je crois encore, messieurs, qu'il est utile et même nécessaire que nous ayons le plus promptement possible un régime commercial stable. Car l'instabilité du système commercial est une des raisons principales qui empêchent le commerce belge de s'aventurer dans des affaires de long cours.

En effet, messieurs, supposons un armateur qui doit envoyer un navire dans les pays transatlantiques. Comment voulez-vous que cet armateur fasse la combinaison de son retour, alors qu'il ne sait pas à quel droit il importera les marchandises qui forment cette cargaison ?

Comment voulez-vous que le commerce maritime continue à construire des navires, alors qu'il ne sait pas si, du jour au lendemain, on n'abolira pas toutes les faveurs qui sont encore concédées au pavillon national ?

Et ici, messieurs, je ferai une observation très simple. Il y a trois sortes de commerce.

Il y a d'abord le commerce de consignation, qui ne demande qu'à voir affluer vers les ports maritimes le plus de marchandises possible et de les y voir arriver sans droit ; car tout droit est une entrave à leur réception.

Pour le commerce de consignation, il importe peu que la marchandise arrive directement du lieu de production ou du pays de provenance, ou même qu'elle soit adressée des entrepôts d'Europe.

Il y a, en second lieu, le commerce direct.

Ce commerce avec les pays transatlantiques demande à être un peu protégé pour faire facilement la concurrence aux consignations qui sont faites des entrepôts d'Europe.

Il y a enfin le commerce des armements maritimes. Celui-ci veut aussi une plus forte protection et en demande une pour le pavillon.

Il y a donc ià trois intérêts différents. Je crois, messieurs, qu'il convient d'examiner quel est celui des trois que nous devons franchement protéger pour le plus grand avantage du pays.

Nous tranchons la question en adoptant le projet tel qu'il est formulé par la section centrale avec l'addition faite par le gouvernement. Nous abolissons tous les avantages accordés au pavillon.

- Plusieurs membres. - Non ! non !

M. Vermeire. - Nous abolissons au moins d'autres avantages.

Je crois que cette question est assez importante pour être mûrement examinée. Je ne me prononce pas sur le fond ; je n'ai pas d'opinion arrêtée, et s'il m'était démontré que l'intérêt de la nation demande l'abolition des droits différentiels, je ne m'y opposerais pas. Mais je dis que, dans cette circonstance, je ne puis adopter un projet de loi qui abolit ce système d'une manière aussi incidentelle.

M. Delehaye. - Messieurs, l'honorable membre a exprimé son étonnement de ce que la section centrale n'avait pas terminé l'examen de toutes les questions qui se rattachaient au projet de loi présenté par le gouvernement. Remarquez, messieurs, que la section centrale a attentivement examiné toutes les questions graves et a pris à leur égard une décision.

Il est en effet quelques autres questions qui n'ont pas été résolues ; mais si la section centrale n'a pas pris de résolution, c'est qu'il a été reconnu que si la chambre n'adoptait pas la proposition qui lui était faite, elle ne pourrait, dans tous les cas, aborder l'examen du projet de loi qu'après sa rentrée, et d'ici là la section centrale serait en mesure de terminer son travail.

Messieurs, on vient de vous dire que la section centrale avait envisagé le projet qui lui était soumis comme la suppression des droits différentiels. C'est une erreur. Les propositions ministérielles n'abrogent en rien les droits différentiels. Le système est maintenu complètement en ce qui concerne le pavillon.

La section centrale n'a pu délibérer sur la proposition qui nous a été faite aujourd'hui ; elle ne la connaissait pas. Si la chambre désire qu'elle l'examine, elle pourra le faire. Mais cela me paraît inutile, et voici pourquoi ; j’ai eu l’honneur de parler à cinq membres de la section centrale, et tous les cinq sont d'avis que la proposition, telle qu'elle est formulée par M. le ministre des finances, est de nature à être acceptée. Si cependant la discussion ne se terminait pas aujourd'hui, il n'y aurait pas d'obstacle à ce que la section centrale fût réunie demain matin, et, à l'ouverture de la séance, elle viendrait vous proposer l'adoption de la proposition de M. le ministre.

Un mot encore. S'il est vrai que la proposition qui nous est faite par le gouvernement répond en grande partie et même complètement anx réclamations de la chambre de commerce d'Anvers et de celle de Gand, il n'en est pas moins vrai qu'elle n'atteint nullement, comme l'a prétendu l'honorable M. Vermeire, le système des droits différentiels, en ce qui concerne le pavillon.

M. Loos. - Messieurs, l'amendement présenté par M. le ministre des finances me permettra d'être très bref.

Je m'y rallie dans l'espoir qu'il en sera fait un usage fort large et qui' ne se restreindra pas à l'article dont il a été question, c'est-à-dire au sucre. Messieurs, il existe en ce moment une lutte singulière ; une lutte entre une industrie qui réclame parce qu'elle est trop protégée, qui demande à l'être moins, et le gouvernement qui se pose le protecteur de cette industrie et ne veut pas consentir à ce qu'elle soit moins protégée.

Je sais bien que l'on fera valoir que ce n'est pas seulement le commerce qui profitera des droits différentiels, que ce sont aussi les intérêts généraux du pays, que c'est entre autres l'industrie manufacturière.

Mais que peut demander cette industrie ? Ce sont des rapports directs avec les colonies, c'est le moyen d'arriver souvent et à bas prix sur les marchés coloniaux.

Or, que vous receviez des navires qui ont vendu leur cargaison sous voiles, dans un port de relâche, cela ne pourrait être préjudiciable à l'industrie que si l'on venait me prouver que ces navires, après avoir été déchargés à Anvers, ne relèvent pas vers les colonies, mais se rendent dans les ports d'Europe.

Or, les statistiques prouvent précisément le contraire, elles prouvent' que les navires qui ont vendu leur chargement à Cowes relèvent en général de nouveau pour les colonies. Ainsi, messieurs, les intérêts de l'industrie sont à couvert.

Il ne reste donc que l'intérêt du commerce, et c'est son organe le plus naturel, la chambre de commerce d'Anvers, qui vient demander qu'on lève l'entrave qui jusqu'à présent empêche l'arrivage des cargaisons vendues à Cowes.

Je l'ai déjà dit, messieurs, je ne comprends pas qu'on veuille protéger une industrie malgré elle, et c'est précisément ici le cas. J'espère donc que M. le ministre des finances ne fera pas de l'amendement qu'il a proposé et auquel je me rallie, l'usage restreint qu'il a indiqué, c'est-à-dire de l'appliquer seulement aux sucres. Il en résulterait de véritables anomalies.

Ainsi, par exemple, un navire dont la cargaison se composerait de café et de sucre ayant été vendue dans un port de relâche, pourrait arriver à Anvers au petit droit pour les sucres, mais devrait payer le droit élevé pour le café ; d'un côté il pourrait aborder au port d'Anvers et de l'autre côté il en serait repoussé. Il en résulterait d'autres anomalies et des difficultés inextricables pour le commerce en même-temps que pour l'administration des finances.

J'ai pris acte, messieurs, des paroles de l'honorable ministre des finances quand il a dit qu'il ne fallait pas se montrer plus rigoriste que le commerce d'Anvers. J'espère qu'il restera dans ces dispositions et que, par conséquent, il ne maintiendra pas une protection dont le commerce d'Anvers demande le retrait.

J'ai été étonné d'entendre l'honorable M. Vermeire nous dire : Il y a trois espèces de commerce à Anvers, l'un de ces commerces peut demander la suppression des droits différentiels, l'autre peut en désirer le maintien. L'honorable membre a perdu de vue que c'est la chambre de commerce d'Anvers, s'exprimant au nom de tout le commerce de la place, qui demande des facilités pour l'arrivage des navires.

Je ne comprendrais pas, messieurs, que l'honorable membre sût mieux que la chambre de commerce d'Anvers quels sont les intérêts véritables du commerce ; mais j'ajouterai qu'une pétition sur laquelle, comme membre de la commission d'industrie, j'ai eu l'honneur de faire un rapport et par laquelle la révision de la loi de 1844 était demandée, que cette pétition était signée par des armateurs, par des négociants faisant des affaires directes avec les colonies, enfin par des hommes appartenant à toutes les branches du commerce d'Anvers.

Au surplus je répète que la chambre de commerce d'Anvers est bien l'organe naturel du commerce et je ne crois pas qu'elle puisse être récusée dans cette enceinte.

On a fait trop son éloge dans une circonstance récente pour pouvoir la récuser aujourd'hui.

Il peut paraître extraordinaire à la chambre que le commerce d'Anvers demande à être moins protégé qu'il ne l'est ; mais ne perdez pas de vue, messieurs, qu'on lui a enlevé certaines protections dont il ne demandait pas à être débarrassé de la part dont la perte exige des combinaisons nouvelles ; ainsi, par exemple, dans l'intérêt d'autres provinces on a autorisé l'introduction de marchandises coloniales par les canaux et rivières ; cela a dû causer et a causé en effet un préjudice à la place d'Anvers.

Je veux bien admettre qu'il en résulte un avantage pour les (page 1016) consommateurs, mais n’en est-il pas de même de tous nos droits protecteurs ? Est-ce que la suppression des droits qui protègent note industrie ne procurerait pas un avantage aux consommateurs. Cela est incontestable.

Ainsi le commercc était aussi en droit de réclamer des protections. Mais aujourd'hui que vous lui en avez enlevé quelques-unes, vous voulez forcément lui en conserver d'autres qu'il repousse, parce qu'elles lui imposent une certaine gêne et ne lui permettent pas de faire les affaires datis toute leur étendue. Celà est il raisonnable ?

Je le répète en terminant, messieurs, j'espère que l'honorable ministre des finances ne donnera pas à l'amendement qu'il vient de déposer l'application restreinte qu'il a semblé annoncer.

- M. Delfosse remplace M. Verhaegen au fauteuil.

M. Osy. - Messieurs, je ne suis pas d'accord avec M. le ministre des finances sur l'application de l'article 2. Il est certain que nous avons accordé aux Etats-Unis, par le traité, un tarif plus bas pour les produits du sol ; mais comme l'Amérique n'a jamais exporté de sucre étranger, elle n'a pas demandé à pouvoir l'importer au droit réduit.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est dans le traité.

M. Osy. - D'après le traité, les produits du sol peuvent être importés par navires américains et par navires belges au petit droit ; mais depuis 1845, époque de la conclusion du traité, l'Amérique n'a jamais demandé à pouvoir importer le sucre au petit droit.

Aujourd' hui le gouvernement lui accorde cet avantage sans qu'elle le demande, car enfin nous pouvions très bien assimiler les pays de provenance aux pays de production en prenant le tarif élevé plutôt que le bas tarif. Sous ce rapport, nous faisons un tort réel à certaines branches de commerce. Il y a des maisons à Anvers qui ne font le commerce qu'avec les Etats-Unis et qui, par conséquent, désirent beaucoup pouvoir introduire le café au droit de 9 fr., mais leurs concurrents, qui vont aux colonies, doivent payer 11 fr. 50 c. ; moi, je me place entre les deux et je dis qu'en faisant une nouvelle brèche aux droits différentiels on devrait au moins ne pas admettre un système qui paraîtra tout à fait extraordinaire aux puissances étrangères et qui, d'après moi, donnera de grands embarras au commerce pour certaines catégories d'opérations.

Ainsi le navire anglais qui viendra de Saint-Domingue avec du café de cette colonie devra payer le droit de 11 fr. 50 c. ; tandis que le café Saint-Domingue venant des entrepôts ne payera que 9 fr. Voilà des cafés qui arriveront le même jour à Anvers et qui payeront des droits différents.

Je termine, messieurs, comme j'ai commencé : j'espère que le gouvernement examinera mûrement la question de la relâche, qu'il demande à pouvoir décider pour une année par arrêté royal, et qu'il ne s'arrêtera pas à un seul article. Comme l'a très bien dit mon honorable collègue d'Anvers, il serait vraiment extraordinaire qu'un navire chargé de sucre et de café fût admis comme provenance directe pour le sucre et ne le fût pas pour le café.

Maintenant il ne reste effectivement que le tabac, le coton et le riz ; il en est de même des riz qui pourront venir des colonies anglaises. Ainsi la proposition que fait M. le ministre des finances ne tombera que sur le tabac et le sucre ; je l'engage à examiner s'il ne convient pas de mettre ces deux articles dans la même catégorie.

La section centrale voulait presque à l'unanimité faire une proposition quant aux cuirs et aux chanvres. Nous ne pouvons pas, en ce moment, toucher à ces deux articles ; mais j'engage fortement M. le ministre des finances à examiner d'ici à l'année prochaine si effectivement on ne pourrait pas introduire les cuirs et les chanvres à un centime.

M. Malou. - Messieurs, je viens motiver en quelques mots mon vote qui sera contraire et à l'amendement et au projet de loi.

Ce qui se passe aujourd'hui a été annoncé à la chambre lors de la discussion du traité de commerce conclu entre la Belgique et les Pays-Bas. Alors, comme nous l'avons fait remarquer sur ces bancs, nous avons voté implicitement et sans examen ce qu'on est convenu d'appeler la réforme commerciale ; le système des droits différentiels qui avait été adopté après une très longue discussion, a été détruit en très grande partie sans qu'aucune des formalités protectrices de tous les intérêts ait été observée.

Je dis que ce système a été détruit ; et, en effet, il me suffit, pour le démontrer, d'analyser le discours que M. le ministre des finances a prononcé au début de la discussion.

En voici selon moi, le résumé :

« Le commerce d'Anvers a toujours réclamé contre les formalités imposées à la relâche à Cowes. Aujourd'hui nous faisons droit à cette demande ; cependant nous ne sacrifions pas les droits différentiels ; nous ne sacrifions que ces 35 articles de nos droits différentiels ; ces 35 articles ne sont rien ; ils ne comprennent qu'un mouvement insignifiant qu'on évalue à 20,000 tonneaux (c'est bien 4 à 5 fois davantage ; mais n'importe : je ne fais qu'analyser le discours de M. le ministre des finances). Restent donc les 10 articles qui sont la partie vivace du système des droits différentiels.

« De ces dix articles, il y en a huit qui en fait n'ont aucune importance pour la marine belge. Il en reste donc deux et de ces deux articles il en est un que je vous abandonne : c'est le sucre ; on va autoriser la bente sous voiles de l’avant-dernier article. Reste le dernier article : c’est le café : celui-là n’a jamais existé que par les sept dix-septièmes de la consommation. »

Voilà donc ce qui reste de la loi des droits différentiels, de l'aveu de M. le ministre des finances. (Interruption de M. le ministre des finances.)

Ce n'est pas vous qui avez participé au traité avec la Hollande ; ce sera peut-être une erreur de M. le ministre des affaires étrangères, analogue à celle que vous signaliez tout à l'heure.

Je crois que le traité du 20 septembre a été conclu par le cabinet et que M. le minisire des finances l'a entendu de cette manière. C'est donc lui en grande partie qui a fait cela.

On vous dit qu'on maintient la protection pour le pavillon.

Mais encore une fois l'assimilation du pavillon, qui a été décrétée par la loi des droits différentiels et qui devait en partie servir de moyen de négociation, cette disposition est en partie annulée.

Je me demande ce qui résultera de ces expériences. Pour moi, le résultat est très clair. Je crois que, dans quelques années, nous verrons disparaître l'accroissement que la loi des droits différentiels, malgré son exécution incomplète, avait donné au commerce direct d'exportation, d'autre part, aux constructions navales, aux armements belges ; je crois que nous verrons l'un et l'autre fait qui étaient très heureux, non seulement au point de vue commercial, mais encore au point de vue industriel ; que nous verrons, dis-je, l'un et l'autre fait disparaître par suite de ce qu'on est convenu d'appeler le système commercial du cabinet, et, pour dire la chose comme je la vois, par suite de l'absence de tout système commercial de la part du cabinet.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, j'ai été étonné d'entendre l'honorable M. Malou prendre, dans cette discussion, la défense de la loi des droits différentiels ; il a combattu cette loi, il l'a condamnée par son vote ! Aujourd'hui il la trouve excellente ! Et pourquoi ? Parce que le gouvernement la fait disparaître. Ce qu'il y a d'étrange, c'est que l'honorable membre a repoussé cette loi à l'époque où elle avait des défenseurs et qu'il la glorifie quand elle n'est plus défendue par personne !

Le commerce de Gand proteste contre la loi ; il en demande l'abolition. Liège proteste contre la loi... (interruption), elle a été invariable dans son opinion. C'est peut-être ce qui fait l'objet de la critique de l'honorable M. Malou qui m'interrompt. Anvers, où les opinions ont varié sur ce point, demande aujourd'hui l'abolition de la loi. C'est en ce moment que l'honorable membre trouve bon de changer d'avis et qu'il voudrait nous forcer à l'imiter !

Le 12 mars 1851 (retenez bien cette date) avant toute espèce de réforme, avant tout traité, la chambre a reçu une pétition dans laquelle cent des principaux négociants et armateurs d'Anvers demandaient l'abolition de cette loi, la qualifient de malencontreuse et démontrant qu'elle avait nui à l'industrie et au commerce.

Pourquoi donc l'honorable M. Malou prend-il cette attitude dans ce débat ? N'est-ce pas uniquement parce qu'il y voit une occasion d'attaque contre le cabinet ? Il défend la loi contre le commerce et l'industrie qui la repoussent, parce que le gouvernement cherche à faire droit aux vœux qui se manifestent. S'il n'avait pas fait de proposition, on aurait pris le parti des négociants qui réclamaient. On aurait dit : Quand l'industrie et le commerce protestent, quand tout le monde demande l'abolition de ce grand système commercial, vous ne faites rien ! Vous vous croisez les bras ! Vous n'avez pas de système ! Et aujourd'hui, parce que nous proposons des mesures indiquées par les intéressés, M. Malou se lève pour protester. Vous ne ferez illusion à personne. On ne vous croira pas, et votre thème d'opposition doit vous échapper.

L'honorable M. Malou voudra bien noter que le commerce d'Anvers ne s'est pas plaint à la suite du traité avec la Hollande. Le commerce d'Anvers s'est plaint antérieurement, et a demandé, antérieurement l'abolition, la réforme radicale de la loi. Quant aux critiques de détail qu'adresse l'honorable membre relativement à la relâche, ces critiques sont-elles mieux justifiées ? Je soupçonne fort que l'honorable membre a voté contre la loi en 1844, précisément parce que l'on n'avait pas voulu autoriser la vente sous voiles.

M. Malou. - Pourquoi cela ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'ai quelques raisons de le penser.

Aujourd'hui encore une fois, ce sont les intéressés, c'est la chambre de commerce d'Anvers, ce sont tous les négociants qui viennent assiéger le gouvernement, et lui demander de faire disparaître encore une disposition essentielle de la loi de 1844. Pour ma part, je m'en défends, comme l'a fait remarquer l'honorable M. Vermeire, d'un côté, parce que le principe de la loi est là et qu'il convient de l'admettre ou de le supprimer entièrement ; et en second lieu, parce que je crains certains inconvénients, au point de vue du trésor, si la vente sous voiles est autorisée.

Voilà ce que je répondais, ce que je disais dans le rapport cité par l'honorable membre. Et, en effet, l'on comprend très bien que si l'on a un droit pour l'importation directe par navires belges, un autre droit pour les navires étrangers, un troisième pour les entrepôts d'Europe, il est fort à craindre que l'on ne réussisse à faire admettre les importations des entrepôts d'Europe. Mais je dis que je ne me refuse pas à accepter le pouvoir que l'on veut me donner et à faire l'expérience de cette mesure qui est réclamée par les intéressés. Pourquoi ne l'admeltrais-je pas ?

Je fais mes réserves, je ferai ce que les circonstances commanderont, ce que les intérêts du trésor exigeront ; mais je constate que les auteurs de la loi de 1844 n'ont pu l'exécuter ; il a fallu en suspendre les effets quant aux sucres ; elle n'a fonctionné sous ce rapport qu'en 1849, et aujourd'hui il y a des raisons spéciales, qui font désirer vivement d'avoir des facilités pour l'introduction du sucre.

(page 1017) Voilà les motifs qui m'ont déterminé à accueillir la faculté pour le gouvernement de lever l’interdiction de la vente sous voiles.

M. de Haerne. - Il doit être évident pour tout le monde qu'il y a un principe général qui domine la discussion, c'est le principe du libre échange d'un côté et de la protection de l'autre. Nous marthons en sens inverse ; nous avons des tendances vers l'un ou l’autre ces extrêmes.

On dit que depuis longtemps le commerce réclame l'abolition de la loi des droits différentiels ; maintenant surtout, dit-on, Anvers réclame l'abolition de cette loi à l'unanimité, et les pétitions déposées sur le bureau semblent en faire foi.

Je ne conteste pas cette allégation, quant à la forme et quant à la valeur actuelle de la loi des droits différentiels ; mais je me demande si Anvers réclame l'abolition de la protection. La véritable question est là.

Nous avons vu naguère comment Anvers s'est élevé contre les mesures qui nous ont été présentées lorsqu'il s'est agi de l'adoption du traité conclu avec la Hollande.

Que voulait la ville d'Anvers alors ? Elle voulait évidemment la protection contre les entrepôts d'Europe. C'est d'ailleurs ce que demandait aussi Anvers en 1844 ; car, qu'on ne le perde pas de vue, notre métropole commerciale présenta alors tout un système de droits différentiels, qui différait de celui du gouvernement et de celui de la commission.

La loi du 21 juillet 1844 est résultée des transactions faites entre ces trois projets. Anvers voulait les droits différentiels et Anvers les veut encore contre Rotterdam et contre Liège. N'a-t-on pas vu, lors de la présentation du traité hollando-belge, tout le commerce d'Anvers se soulever contre cette convention, et repousser l'assimilation des canaux et rivières aux ports maritimes ? Une partie du commerce redoute la concurrence des entrepôts fixes d'Europe, mais ne craint pas celle des entrepôts flottants. Je comprends cette distinction, mais elle ne repose pas sur les vrais principes. C'est pour avoir tergiversé depuis longtemps sur ces principes qu'Anvers a été condamné dans le traité hollando-belge.

On a sacrifié l'intérêt industriel en abandonnant la question de la relâche. Si Anvers a droit à la liberté contre l'industrie, pourquoi Liège n'aurait-elle pas droit à la liberté contre Anvers ? C'est le morcellement des intéréts qui nous mine. C'est le défaut de solidarité qui nous entraîne au libre échange. A l'expiration du traité hollando-belge, Anvers aura beau réclamer contre les entrepôts fixes, on lui opposera son opinion d'aujourd'hui sur les entrepôts flottants.

On en fera de même à l'égard de ceux qui aujourd'hui demandent la protection pour l'industrie et qui abandonnent le principe protecteur en matière de navigation.

Il faut de la solidarité entre les intérêts matériels, comme entre les intéréts moraux.

Quoi qu'on en dise, les faits qui se sont passés depuis l'adoption de la loi différentielle, sont favorables à cette loi, au point de vue de l'industrie, et même de la navigation.

Le nouveau régime aura-t-il le même résultat ?

On peut en douter, surtout à voir ce qui s'est passé en Angleterre depuis l'introduction des modifications au « navigation act ».

Le mouvement des navires britanniques d'Angleterre vers les Indes orientales a été

Navires. Tonneaux.

En 1850, de 1,173 navires pour 562,495 tonneaux,

En 1851, de 951 banvires pour 484,149 tonneaux.

Diminution en 1851 : 222 navires et 78,346 tonneaux.

Je ne soutiens pas que nous aurons le même résultat en Belgique. Mais ces faits sont significatifs. Il fallait au moins consulter le pays, avant de proposer la réforme dont il s'agit.

Permettez-moi, messieurs, de dire un mot en réponse à ce qu'alléguait tout à l'heure l'honorable M. Loos. Il disait que les ventes sous voiles ne doivent pas préjudicier aux intérêts de l'industrie, parce que les navires, après avoir fait escale, peuvent aborder dans nos ports et y prendre des marchandises. Si les chargements en Angleterre sont prohibés, il sera peut-être possible d'arriver à une transaction qui satisfasse les opinions diverses. Je ne tranche pas la question, il s'en faut.

Je dirai, en passant, que j'ai voté la loi différentielle dans son ensemble, mais que je n'en ai pas approuvé également toutes les dispositions ; il s'agit de savoir aujourd'hui si on peut trancher incidemment de si graves questions. Le langage même du ministre devrait nous engager à prendre nos précautions. Pourquoi est-il si craintif, pourquoi n'avance-t il que peu à peu dans la voie du libre échange en faisant l'une brèche après l'autre au système existant ? C'est qu'il y a ici des intérêts engagés.

L'honorable M. Loos demande l'application entière du principe de la liberté, il demande que les ventes sous voiles soient autorisées en général. M. le ministre des finances, par son amendement, demande aussi cette autorisation, mais il a dit qu'en pratique on commencera par un essai, en se bornant, pour le moment, à autoriser ces ventes pour les sucres.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est une erreur.

M. de Haerne. - Je l'avais entendu ainsi, de même que plusieurs de mes collègues. Je répète avec l'honorable M. Vermeire que ces questions qui sont posées dans l'intérêt du commerce et de l'industrie, doivent être examinées plus mûrement et qu'elles valent la peine d'être soumises à toutes les chambres de commerce.

Encore un mot sur la prétendue unanimité du commerce d'Anvers. Dans cette occurrence, ils font valoir les motifs qui ont dicté les pétitions contre la loi différentielle. Alors on ne trouve plus d’unanimité.

J'ai vu plusieurs négociants d'Anvers qui sont partisans de la protection et des droits différentiels ; pourquoi demandent-ils la suppression de la loi ? Parce que, disent-ils, ce qui en est conrervé ne vaut plus la peine qu'on y tienne, et qu'ils veulent abolir le tout pour faire naître, par les inconvénients qui se feront sentir, la réaction en faveur des principes de la loi qu'on pouvait améliorer, mais qu'il ne fallait pas supprimer. Voilà ce qu'on dit à Anvers. Vous voyez que l'unanimité contre cette loi n'est qu'apparente, qu'elle n'est pas réelle au point de vue où nous nous plaçons. Les journaux d'Anvers d'ailleurs en font foi.

Il y a un autre danger, c'esl celui qui résulte de la généralisation des faveurs que nous avons été amenés à concéder par des trailés à certains pays contre des compensations. On se désarme évidemment par là vis-à-vis des pays avec lesquels nous aurons encore à traiter.

Je sais qu'on dit à cet égard dans le rapport de la section centrale : Mais les puissances avec lesquelles vous serez appelés à traiter auront égard aux avantages stipulés en général et auxquels elles participent. Elles comprendront que vous pourriez en revenir, que vous pourriez les frapper d'une élévation de tarif, si elles ne vous accordaient pas ce que vous accordez à tout le monde. Ne nous fions pas à ce raisonnement.

Les puissances avec lesquelles nous traiterons nous diront : Votre droit commun est la liberté, nous demandons qu'on nous applique la règle générale, et nous vous accordons aussi notre droit commun. Alors, pour obtenir des faveurs de la part d'une puissance, il faudra entrer dans une voie exceptionnelle, en frappant d'un droit spécial certains articles à raison du traité à conclure que vous aurez en vue.

Le pays avec lequel vous voudrez traiter comprendra que c'est contre lui que vous voulez agir. Et ainsi vous donneriez lieu à un système de représailles, vous aboutirez à une guerre de tarifs. Si au contraire la protection est le droit commun, cela n'est pas à craindre. Je trouve donc, messieurs, que le système proposé présente, sous ce rapport, et sous d'autres, de grands dangers ; qu'il n'a pas été assez mûri, en ce qu'il n'a pas été soumis aux juges compétents. Je ne puis donc pas abonder dans le sens du gouvernement, et mon vote sera probablement négatif.

M. Malou. - Je crois devoir faire remarquer d'abord que ce n'est pas moi, mais le projet de loi qui est en discussion. Je pense qu'en rappelant pour la deuxième fois que j'ai voté contre la loi des droits différentiels, M. le ministre des finances n'a pas réfuté les observations que j'ai présentées, cela ne réfute rien. J'ai dit que la loi avait produit de bons résultats, et qu'il y avait, maintenant qu'elle existait, danger à l'abolir, qu'il pourrait en résulter une décadence pour notre industrie. Voilà mes prévisions.

Maintenant je dirai, puisque M. le ministre soupçonne que mon opinion a été motivée, en 1844, par la relâche à Cowes, qu'il est dans une complète erreur. Mon opinion a été motivée sur ce que la partie la plus importante était nuisible aux négociations suivies depuis 1830, notamment en ce qui concerne l'union douanière ; en comité secret, il a été démontré que la loi des droits différentiels, dans la circonstance où l'on se trouvait, pouvait être un grave danger pour les relations commerciales. C'était un motif prépondérant pour moi de voter contre la loi.

Mais depuis lors est-ce que les faits qui se sont produits n'ont rien appris à personne ? Voilà la question. Une année après le vote de la loi j'ai été appelé au ministère, j'ai défendu contre les négociants d'Anvers avec persistance le principe de la loi des droits différentiels, la relâche à Cowes, parce que cette loi existait et que pour la juger, ce n'était pas assez d'une expérience de quelques mois ; que pour savoir si elle était ou non favorable aux intérêts du pays, il fallait lui laisser le temps de produire ses effets. Aujourd'hui cette loi est détruite sans qu'aucun des intérêts qui ont contribué à la fonder ait été entendu.

M. Loos. - J'ai demandé la parole quand j'ai entendu l'honorable M. Malou dire : « Quand je suis entré au ministère j'ai résisté aux instances des négociants d'Anvers qui demandaient le rappel de la loi des droits différentiels, je voulais le maintien de la loi. » Est-ce dans l'intérêt du commerce que l'honorable membre défendait la loi des droits différentiels contre le commerce d'Anvers ?

M. Malou. - Je n'ai pas dit cela. J'ai dit que j'avais défendu le principe de la relâche à Cowe.', je n'ai pas dit que j'avais résisté aux sollicitations que m'adressait le commerce d'Anvers pour améliorer la loi.

M. Loos. - J'en ai toujours éié convaincu et l'honorable M. de Haerne vient de le déclarer, ce n'est pas pour le commerce, c'est pour l'industrie que la loi des droits différentiels a été faite.

C'était pour pouvoir sacrifier en faveur de l'industrie toute la protection qu'on accordait au commerce.

M. de Haerne. - Non ! Il s'agissait de combiner les deux intérêts.

M. Loos. - Du reste, les promoteurs de la loi des droits différentiels ne s'en cachaient pas. Ils disaient qu'il fallait pouvoir céder quelque chose. « Nous n'obtiendrons (disaient-ils) de concessions qu'en en faisant nous-mêmes. Il faut avoir quelque chose à céder. » Ainsi l'on n’élevait des barrières pour protéger le commerce, qu'afin de pouvoir les abaisser en faveur des privilèges dans l'intérêt de l'industrie. On disait au commerce : Vous ne recevrez dz protection qu e quand elle sera réclamée par l’intérêt industriel. Voilà le langage que l’on tenait, et l’on trouve étrange après cela que le commerce d’Anvers ne veuille pas être protégé ainsi.

(page 1018) Ne trouvez donc pas extraordinaire que ce soit le commerce d'Anvers qui proteste contre une protection que vous voudriez lui accorder, alors même que d'autres intérêts du pays viendraient dire que cette protection doit être maintenue.

Je conçois que l’honorable M. de Haerne veuille une enquête. Mais qu'est-ce qu'une enquête ? C'est l'avis des chambres de commerce. Or, toutes disent : Peu nous importe la protection, pourvu que ce soit dans notre intérêt. C'est ce qui a eu lieu en 1844.

Toutes les chambres de commerce ont adhéré au système de protection qu'on voulait accorder au commerce. Elles ne s'en cachaient pas, elles disaient, comme les promoteurs de la loi des droits différentiels : Il faut que nous ayons quelque chose à céder. Ainsi c'est en invoquant d'intérêt du commerce et en vue de l'intérêt de l'industrie qu'on a voté la loi des droits différentiels.

Les intérêts du commerce n'ont jamais été que le prétexte de la loi de 1844, jamais le motif réel.

M. le président. - La parole est à M. Van Iseghem.

- Plusieurs voix. - La clôture ! la clôture !

M. Van Iseghem, rapporteur. - Comme la chambre paraît disposée à clore, je renonce à la parole.

M. Dumortier. - Je n'ai que quelques mots à dire, en réponse à l'honorable préopinant.

M. le président. - Vous avez la parole contre la clôture.

M. Dumortier. - Je ne crois pas que la chambre veuille que ce qu'a dit l'honorable M. Loos reste sans réponse.

- La demande de clôture est mise aux voix et rejetée.

M. le président. - La parole est à M. Dumortier.

M. Dumortier. - A entendre l'honorable préopinant, il semblerait que la loi des droits différentiels a été une immense calamité pour le port d'Anvers. Voilà ce qui résulte de ses paroles : C'est une calamité ; il faut la réparer ! - Comment se fait il alors que, quand, dans le traité avec la Hollande, on a admis une dérogation à la loi des droits différentiels, des réclamations si vives aient été élevées par le commerce d'Anvers contre l'atteinte portée à cette loi ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Ce n'est pas cela !

M. Dumortier. - Pardon ! C'était le fond de la question à propos des cafés.

Je vous le demande, messieurs, si les réclamations du commerce d'Anvers ont été unanimes à cette époque, n'a-t-on pas fait justice de toutes les paroles de l'honorable préopinant avant même qu'elles aient été proférées ?

Oui, la loi des droits différentiels est avant tout avantageuse à Anvers, et l'honorable représentant d'Anvers, en soutenant le contraire, ne défend pas les intérêts de la marine d'Anvers ; il défend les intérêts des commissionnaires. Quel est l'intérêt d'Anvers ? C'est de se créer une marine et des chantiers de construction de navires. Toutes les viles maritimes ont intérêt à avoir cette industrie qui est celle qui produit le plus de bénéfice et fait vivre le plus grand nombre d'ouvriers. L'intérêt réel d'Anvers c'est de devenir un marché recevant en droiture les produits des colonies. Or, c'était là le but et le résultat de la loi des droits différntiels ; et c'est à tort que l'honorable préopinant suppose que le but de cette loi aurait été de sacrifier l'intérêt d'Anvers aux intérêts du pays. Je sais qu'un ministre a soutenu cette opinion. Mais il ne faut pas attribuer cette opinion à la chambre. Comme je viens de le dire, notre but a été de faire d'Anvers un marché, non pour des produits achetés dans les ports d'Europe (Liverpool, le Havre, Londres), mais pour des marchandises importées directement des colonies. Nous avons voulu transformer le commerce d'Anvers, et d'indirect, le rendre direct. Et par là nous trouvions des navires pour l'exportation de nos produits manufacturés. Ainsi, nous servions à la fois et les intérêts d'Anvers qui, d'un port de cabotage, devenait un marché de provenances directes et les intérêts de nos manufactures. Voilà le but de la loi sur les droits différentiels. Ce but a-t-il élé atteint ?

Dans les premières années qui ont suivi la révolution, quand il arrivait à Anvers un navire venant directement d'Amérique, on le mettait dans le journal comme une rareté ; aujourd'hui ils abondent. Comment pourrait être nuisible au commerce une loi qui aux arrivages des entrepôts d'Europe substitue les arrivages directs des colonies ? Evidemment une telle loi satisfait à tous les inierêts, à ceux du commerce, de l'industrie et des armateurs.

C'est sous ce rapport que j'attache un si grand prix à la conservation de cette loi.

Ce qui me frappe dans cette discussion, c'est, comme l'a dit l'honorable M. Vermeire, qu'une loi qui a été votée, à la suite d'une enquête faite avec le plus grand soin et où ont été consultées toutes les chambres de commerce, soit rapportée, sans enquête, sans examen approfondi de la question, sans qu'on ait consulté les chambres de commerce, sans même que l'on consulte la chambre, mais simplement au moyen d'une.disposition qui donne au gouvernement le pouvoir de rapporter cette loi par arrêté royal. Voila ce que je ne puis admettre. Il m’est impossible d’admettre cette délégation du pouvoir législatif dans les questions les plus importantes.

On nous rappelle toujours que, pendant le ministère de M. Nothomb, on a admis une délégation de ce genre. (Je l'ai combattue et j'ai voté contre, car ce n'a jamais été dans l'ordre de mes idées). Mais est-ce une raison pour admettre ce système en toutes matières ? On l'admet pour la loi des droits différentiels. M. le ministre des travaux publics propose-t-il un tarif de chemin de fer, il ajoute un article portant que le gouvernement pourra supprimer le tarif par arrêté royal.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Nous discuterons cela.

M. Dumortier. - Oui, mais en attendant que nous discutions, j'expose. Dans la loi sur les sucres le gouvernement vient encore proposer de modifier la loi par des arrêtés.

En toutes choses on supprime la prérogative parlementaire et on la remplace par des arrêtés royaux, et l'on accuse ses adversaires de vouloir détruire la Constitution et le gouvernement représentatif ? Mais qui tend à ce but ? N'est-ce pas le gouvernement ?

Voilà bien celui qui supprime le gouvernement représentatif. Mais si vous vouliez supprimer les chambres, vous ne vous y prendriez pas autrement. Mieux vaudrait nous proposer une seule loi pour dire que le gouvernement peut tout faire par arrêté, et vous n'auriez plus besoin des chambres.

Voilà, messieurs, où nous arrivons. C'est là un système que je dois qualifier de détestable.

Si la loi des droits diflérentiels doit être abolie, qu'on nous présente un projet de loi pour la démolir ; qu'on examine, qu'on discute, que la chambre délibère ; mais que, par une simple disposition, on ne vienne pas conférer au pouvoir exécutif le droit de défaire une loi faite avec tant de malurité par les chambres. Je dis que ce serait là supprimer le pouvoir parlementaire, et je ne donnerai jamais les mains à un pareil système.

- La discussion générale est close. On passe aux articles.

Vote des articles et sur l'ensemble

« Art. 1er. La loi du 31 janvier 1852 est prorogée jusqu'au 31 mars 1853. »

- Adopté.


« Art. 2. Par modification à l'article 5 de la loi du 21 juillet 1844, et jusqu'au 31 mars 1853, le gouvernement peut supprimer l'interdiction de vendre les cargaisons ou d'en décharger une partie dans un port intermédiaire. »

- Adopté.


La chambre décide qu'elle passera immédiatement au vote sur l'ensemble du projet de loi.

Il est procédé à l'appel nominal. En voici le résultat :

65 membres répondent à l'appel nominal.

49 ont répondu oui.

15 ont répondu non.

1 membre (M. de Theux) s'est abstenu.

En conséquence, le projet de loi est adopté. Il sera transmis au sénat.

Ont répondu oui : MM. Ansiau, Cans, Cools, Cumont, Dautrebande, David, de Baillet (Hyacinthe), Debourdeaud'huy, Delehaye, Delescluse, Delfosse, Deliége, de Meester, de Mérode-Westerloo, Dequesne, de Renesse, de Royer, Desoer, de Steenhault, Devaux, d'Hont, Dumon (Auguste), Frère-Orban, Jacques, Jouret, Lebeau, Le Hon, Lelièvre, Lesoinne, Liefmans, Loos, Mascart, Moreau, Orts, Osy, Peers, Pirmez, Rogier, Roussel (Adolphe), Tesch, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, Van Cleemputte, Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Veydt, Visart et Allard.

Ont répondu non : MM. Boulez, Clep, Coomans, de Decker, de Haerne, de Man d'Attenrode, de Muelenaere, de T'Serclaes, Dumortier, Landeloos, Malou, Mercier, Rodenbach, Vanden Branden de Reeth et Vermeire.

M. le président. - M. de Theux, qui s'est abstenu, est invité à faire connaître les motifs de son abstention.

M. de Theux. - Messieurs, d'une part la place d'Anvers semble désirer l'abolition des droits différentiels, mais d'autre part cette place a beaucoup varié sur la question des droits différentiels, et plusieurs chambres de commerce ont toutefois fortement insisté pour leur établissement.

Il me semble que cetle question de l'abolition des droits différentiels est une question qui se rattache à celle du libre échange, et prenant ceci en considération, j'aurais préféré que cette question fût discutée simultanément avec le projet de loi que le ministère nous a annoncé pour la session prochaine relativement aux modifications au système protecteur en matière d'industrie.

- La séance est levée à 5 heures.