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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 13 décembre 1836

(Moniteur belge n°350, du 14 décembre 1836)

(Présidence de M. Raikem.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse procède à l’appel nominal à midi 3/4.

M. Lejeune lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le sieur Ch. Duvael, contrôleur de comptabilité à Malines, demande à être nommé à la place de conseiller vacante à la cour des comptes. »


« Les syndics définitifs de la faillite de Jean-Mathieu Dejoye, en son vivant banquier à Verviers, réclament l’intervention de la chambre pour obtenir de l’administration de l’enregistrement et des domaines la restitution d’une somme de 14,452 fr., confisquée illégalement au préjudice du sieur Dejoye. »


« L’administration communale de Chapelieu demande une nouvelle délimitation de cette commune. »


« Le sieur N. Duplat, marchand boucher à Mons, demande que la livraison de la viande pour la garnison de cette ville soit mise au concours. »


« Des constructeurs de bâtiments et marchands de bois de la province de Liége réclament contre le projet d’augmenter de 10 p. c. sur les bois étrangers »


« Le sieur J.-A. Borrekens à Sailles adresse de nouvelles observations à l’appui de la pétition du 7 janvier dernier relative aux intérêts des obligations créées pour l’établissement de l’entrepôt d’Anvers. »


M. le ministre de l'intérieur adresse à la chambre des explications sur la pétition du sieur Nyssen, cultivateur à Lontzen (Prusse), tendant à obtenir l’introduction libre en Belgique des chevaux et bestiaux destinés à l’exploitation d’une ferme qu’il se proposait de venir occuper dans la province de Liége.

- Pris pour notification.

M. Demonceau. - Une des pétitions dont il vient d’être fait l’analyse dénonce à la chambre un fait grave. Si le fait consigné par les pétitionnaires est vrai, l’administration de l’enregistrement refuse le paiement d’une somme que les tribunaux ont déclaré leur être due. Je demande donc le renvoi de la pétition à la commission des finances. Il me semble que c’est par cette commission spéciale que doit être examinée la question soulevée par cette pétition.

- La proposition de M. Demonceau est adoptée ; en conséquence la pétition des syndics définitifs de la faillite de Jean-Mathieu Dejoye est renvoyée à la commission des finances. Les autres pétitions sont renvoyées à la commission des pétitions.

Composition des bureaux de section

Première section :

Président : M. Duvivier

Vice-président : M. de Roo

Secrétaire : M. Andries

Rapporteur de pétitions : M. Raymaeckers


Deuxième section :

Président : M. Demonceau

Vice-président : M. Pollénus

Secrétaire : M. de Jaegher

Rapporteur de pétitions : M. Vandenhove


Troisième section :

Président : M. Coppieters

Vice-président : M. Simons

Secrétaire : M. Lejeune

Rapporteur de pétitions : M. Heptia


Quatrième section :

Président : M. Dubus aîné

Vice-président : M. Vanderbelen

Secrétaire : M. B. Dubus

Rapporteur de pétitions : M. Morel-Danheel


Cinquième section :

Président : M. Pirson

Vice-président : M. Pirmez

Secrétaire : M. Dumortier

Rapporteur de pétitions : M. Zoude


Sixième section :

Président : M. Desmaisières

Vice-président : M. Mast de Vries

Secrétaire : M. Van Hoobrouck

Rapporteur de pétitions : M. C. Vuylsteke

Nomination du jury d'examen universitaire

Motion d'ordre

Sur la proposition de M. de Brouckere., la chambre, à l’occasion de la nomination des jurys d’examen, à laquelle elle doit procéder dans sa séance du 15 de ce mois, ordonne l’impression et la distribution de la liste des membres titulaires et suppléants composant actuellement les jurys d’examen, portant par qui ils ont été nommés, et de la liste des professeurs de l’académie et des universités.

Projet de loi portant le budget des voies et moyen de l'exercice 1837

Motion d’ordre

M. le président. - La discussion est ouverte sur le premier paragraphe du tableau joint au budget, qui est ainsi conçu :

« Foncier.

« Principal : fr. 15,879,327.

« 5 centimes additionnels ordinaires, dont 2 pour non-valeurs : fr. 793,967.

« 10 centimes additionnels extraordinaires : fr. 1,587,932.

« Total : fr. 18,261,226. »

M. Jadot, rapporteur de la section centrale. - Dans la séance d’hier, M. le ministre des finances nous a dit en parlant d’une nouvelle convention conclue avec le caissier général de l’Etat :

« Nous pensons, messieurs, que par cette convention mise à côté d’un règlement général de comptabilité qui est actuellement soumis à l’approbation du chef de l’Etat, tout se trouvera réglé d’une manière satisfaisante.

Je crois devoir faire remarquer que des dispositions qui prescrivent les formalités requises pour la régularité des dépenses d’un compte qui doit être débattu et arrêté par les chambres doivent être formulées en loi et non consignées dans une convention ou un règlement auquel elles n’auraient pris aucune part.

En France et en Hollande le pouvoir exécutif règle la distribution et l’emploi des fonds alloués, sans qu’il reste d’autres vérifications à faire que la concordance des paiements effectués avec les arrêtés qui les ont autorisés. Mais ici c’est tout autre chose : les ministres ont la libre disposition des sommes allouées à leur budget, mais à la charge de justifier aux chambres de l’emploi qu’ils en ont fait, et c’est aux chambres à régler le mode d’après lequel cette justification devra lui être faite.

Je demanderai donc à M. le ministre des finances s’il entre dans ses intentions de soumettre ce règlement à l’approbation de la chambre.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Le règlement de comptabilité qui nous a régis jusqu’à présent est celui de 1824, fait par le roi Guillaume.

Ainsi, c’est un acte du pouvoir exécutif, un acte de l’administration ; il appartient donc au pouvoir exécutif à l’administration, d’introduire des modifications dans un acte de la même nature. Du reste, le règlement que j’ai fait préparer, n’est encore qu’un projet, car il n’a pas jusqu’à présent reçu l’approbation dont il a besoin. Il sera, s’il obtient cette approbation, publié au recueil des lois au Bulletin officiel, vous verrez alors s’il entraîne avec lui quelque chose d’illégal s’il n’est pas rendu dans les limites attribuées au gouvernement par la constitution. Vous jugerez en connaissance de cause cette question que je trouve d’ailleurs complètement étrangère au tableau maintenant soumis à la discussion de la chambre.

M. Dumortier. - Je ne trouve pas la proposition de l’honorable M. Jadot déplacée. Elle me paraît au contraire mériter toute l’attention de l’assemblée. M. le ministre des finances paraît croire qu’il appartient au pouvoir exécutif de régler la comptabilité de l’Etat. Je reconnais que sous le gouvernement précédent le roi Guillaume a, par arrêté, réglé la comptabilité de l’Etat. Mais il a pu le faire, parce qu’on lisait dans la loi fondamentale que le roi avait la direction suprême des finances. Cette disposition n’a pas été maintenue dans la constitution. Il y a une différence sensible. Vous avez voulu que la cour des comptes fût en quelque sorte une section de la chambre des représentants. Si vous n’avez pas voulu que le gouvernement intervînt dans les nominations des membres de la cour des comptes, sans doute vous avez encore bien moins qu’il pût régler les mesures de comptabilité qui servent de loi à cette cour.

Pour moi, je ne crois pas que le gouvernement ait ce droit ; et cela est si vrai, qu’une proposition relative à cet objet a été faite à la chambre par un de ses membres, l’honorable M. Donny. C’est au pouvoir législatif qu’il appartient de régler la comptabilité de l’Etat.

Puisqu’il est question de la manière dont le gouvernement entend la constitution, je ferai remarquer qu’il n’arrive que trop souvent que le ministère met le régime des arrêtés à la place de celui des lois.

Le congrès n’a pas voulu que ce régime pût prévaloir. Il a voulu que le Roi n’eût d’autres pouvoirs que ceux qui lui sont attribués par la constitution et par les lois rendues en vertu de la constitution.

Nous voyons à chaque instant que le gouvernement porte des arrêtés qui remplacent des lois, arrêtés pour lesquels le pouvoir exécutif n’a aucune mission d’après la constitution ; il faut faire cesser ces abus.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Où sont-ils ces arrêtés ?

M. Dumortier. - S’il était nécessaire d’en citer, il ne faudrait pas beaucoup d’efforts pour cela ; mais, sans sortir de la question, je dirai que l’arrêté que vous prendriez pour régler la comptabilité de l’Etat serait inconstitutionnel, et le serait d’autant plus que le pouvoir législatif est saisi d’un projet de loi pour régler cette comptabilité.

M. Jadot. - Il est certain que le congrès a voulu, en cette matière, autre chose que ce qui existait et que ce qui existe encore. Les ministres sont libres de dépenser leurs budgets ; mais il faut qu’ils nous disent comment ils les ont dépensés. Je demande que le projet de règlement de la comptabilité générale soit soumis à la chambre.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Le règlement en question n’a, pour ainsi dire, pas encore vu le jour, et vous voulez l’avoir ; attendez au moins qu’il soit inséré au Bulletin des lois, et si alors il vous paraît contraire aux lois, attaquez-le, faites-le tomber. Hier, dans la discussion générale, je n’en ai parlé incidemment que pour indiquer qu’il y avait des moyens de régulariser la comptabilité ; et, en vérité, je ne conçois pas la discussion à laquelle on se livre en ce moment.

M. le président. - Voici la proposition de M. Jadot :

« Je demande que le règlement de comptabilité générale dont le ministre des finances s’occupe soit formulé en loi. »

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Si le projet de règlement réclamé est admis, il n’y aura pas d’inconvénient à le soumettre ultérieurement à la chambre, ni à le mettre en vigueur en vertu de l’article 67 de la constitution, qui donne au gouvernement le pouvoir de faire les règlements et de prendre les arrêtés nécessaires à l’exécution des lois, sans pouvoir jamais ni suspendre les lois elles-mêmes, ni dispenser de leur exécution.

M. Dumortier. - Je demande la parole pour répondre au ministre des finances ; j’ai absolument besoin de lui répondre.

Il se croit en droit de faire des règlements pour la comptabilité en s’appuyant sur l’article 67 de la constitution ; mais je ferai remarquer que l’arrêté de 1814, qui a réglé la comptabilité, a été pris en vertu de l’article 64 de la loi fondamentale, lequel porte : « Le roi a la direction suprême des finances. » Ainsi, les arrêtés que le roi Guillaume a pris en vertu de la constitution sont de véritables décrets ; et le pouvoir exécutif ne peut y déroger sans loi. C’est dont un droit du pouvoir législatif de modifier la comptabilité, de la régler ; et jamais la chambre ne se dessaisira d’une prérogative aussi importante. Nous qui examinons les comptes de l’Etat, nous n’aurions pas le droit de déterminer comment cette comptabilité sera réglée ? Mais ce serait absurde, Il faut nécessairement que ce qui est relatif à la comptabilité soit le résultat de mesures législatives ; l’article 61 de la loi fondamentale a cessé d’exister.

M. Desmaisières. - Il est certain, comme l’a dit l’honorable membre, que la cour des comptes est une émanation de la chambre des représentants ; la constitution l’a voulu ainsi. La cour des comptes est chargée du contrôle des dépenses de l’Etat, et elle tient ses pouvoirs de cette chambre ; il est donc nécessaire que le règlement fixant la manière dont la cour des comptes exercera son contrôle soit le résultat de dispositions législatives. Il y a plus ; nous sommes déjà saisis d’un projet de loi sur cette matière, projet qui a été présenté par M. Donny, pris en considération par la chambre, et renvoyé aux sections qui, je crois, ont nommé leurs rapporteurs. La section centrale chargée de l’examen de ce projet doit donc être formée. D’après ces faits, je modifierai la proposition présentée par M. Jadot ; je voudrais que la chambre demandât le dépôt sur le bureau, par le ministre des Finances, de son projet de règlement, afin que ce même projet soit renvoyé, si on le juge convenable à la section centrale qui doit examiner le projet de M. Donny.

M. Donny. - L’honorable préopinant est dans l’erreur lorsqu’il pense que ma proposée a déjà été examinée dans les sections, et que les rapporteurs auraient été nommés pour former une section centrale ; l’examen de cette proposition n’est pas aussi avancé. J’ai moi-même demandé dans le temps que le bureau ne pressât pas l’examen de mon projet, parce que j’avais senti qu’il était insuffisant pour assurer une bonne comptabilité ; qu’ainsi il était utile de le compléter sous certains rapports, et que plusieurs dispositions de détail pouvaient être susceptibles de modification. Je désirais méditer à loisir sur tous ces points. Par suite de cette demande, le projet n’a pas été remis aux sections. Si la chambre pense que le moment est venu de s’occuper de la comptabilité, je prends l’engagement de revoir mon projet et de présenter prochainement, soit en sections, soit à la chambre, les modifications dont je pourrais le juger susceptible.

M. Lebeau. - Le ministre des finances parle d’un projet, et d’un projet qui n’est pas même achevé ; comment peut-on vouloir qu’il le soumette à la chambre ?

L’erreur des préopinants vient de ce qu’en matière de comptabilité ils ont des principes trop absolus. Il y a des points dans la comptabilité qui ne peuvent être résolus que par le pouvoir législatif, cela est incontestable ; par exemple, tout ce qui peut engager les intérêts des particuliers doit être jugé législativement ; mais il y a des points de comptabilité qui sont du ressort de l’administration ; ainsi le ministre des finances peut changer le caissier de l’Etat, nommer des receveurs, etc.

Ceux qui ont provoqué le ministre à faire ces modifications ont reconnu que le ministre avait le droit d’établir de cette manière cette partie de la comptabilité par des arrêtés. Il suit de cette distinction que si, dans le projet dont parle le ministre des finances, il y a des dispositions qui attaquent l’autorité législative, elles seraient nulles de plein droit ; mais comment le savoir avant d’avoir ce projet sous les yeux, comment prendre des mesures contre un règlement que l’on ne connaît pas ? Attendons les communications ministérielles ou la publication du règlement.

Je demande que l’on rejette la proposition.

M. le président. - Il n’y a pas de proposition déposée.

M. A. Rodenbach. - M. Desmaisières en va présenter une. Je ne vois pas d’inconvénient à ce que le ministre des finances dépose actuellement son projet sur le bureau de la chambre : c’est lui-même qui nous a parlé hier de ce projet ; c’est lui qui nous en a donné l’idée ; nous ne nous en serions pas occupés s’il ne nous avait pas annoncé des modifications dans la comptabilité. Si dans ce règlement il ne s’agit que d’actes administratifs, les sections le verront bien, et n’auront rien à dire ; mais s’il y est question de points qui concernent la législature, les sections prendront les mesures qu’elles jugeront convenables : dans tous le cas il faut que le projet de règlement soit connu.

Messieurs, je vais vous citer un fait qui vous prouvera, je pense, qu’il est nécessaire que les affaires gouvernementales soient réglées par la loi : vous savez tous qu’en 1835 les frais de représentation accordés précédemment aux généraux ont été refusés par la chambre à la presque unanimité ;je crois que cette allocation était de 30,000 fr. Eh bien, messieurs, ce qui vous étonnera peut-être, c’est que la cour des comptes a admis pour frais de représentation une somme de 20,000 fr. prise sur les dépenses imprévues. Il faut donc une loi, messieurs, afin que la cour des comptes sache ce qu’elle peut faire. Nous sommes à la veille de nommer les membres de cette cour ; nous devons aussi régler leurs devoirs.

M. le président donne lecture de la proposition de M. Desmaisières, qui est ainsi conçue :

« J’ai l’honneur de proposer à la chambre que la proposition de M. Donny soit mise à l’ordre du jour dans les sections. »

- Appuyé.

M. Dubus. - J’avais demandé la parole pour engager l’honorable M. Desmaisières à retirer sa proposition telle qu’elle était d’abord annoncée, parce qu’elle me paraissait prématurée et entachée du même vice que celle de l’honorable M. Jadot, que la chambre n’a pas accueillie. Mais, pour la nouvelle proposition que l’honorable membre vient de nous présenter, je l’appuierai de toutes mes forces ; je suis de l’opinion de ceux qui pensent que le changement opéré par la constitution dans la direction des finances modifie les droits du gouvernement et ceux de la législature ; mais lorsqu’on parle d’une manière vague d’un règlement de comptabilité qui renferme une foule de dispositions, il est impossible que nous puissions nous prononcer de suite sur la question de savoir quelles de ces dispositions peuvent être prises par le gouvernement et quelles autres entrent dans les attributions du pouvoir législatif. Je crois que la chambre pourrait prendre d’autres mesures pour atteindre le but qu’elle se propose : le règlement de 1824 n’est presque pas connu ; il n’y a peut-être pas dix membres dans cette assemblée qui le possèdent ; je pense que nous devrions le faire imprimer et nous le faire distribuer ; lorsque nous aurons examiner ce document, nous pourrons apprécier l’importante question de savoir quelles mesures, relatives à la comptabilité, sont aujourd’hui du ressort de la législature, et quelles de ces mesures peuvent être abandonnées au gouvernement. Si cela ne devait pas rencontrer d’opposition, je vous proposerais de faire imprimer le règlement de 1824, et de le faire distribuer aux membres de la chambre.

M. Desmaisières. - J’ai demandé la parole pour donner à la chambre quelques explications sur les modifications que j’ai apportées à ma proposition.

Si j’ai modifié ma proposition, c’est que j’ai cru qu’en la rédigeant telle qu’elle l’est maintenant, elle atteindrait mieux le but que je me propose. En effet, il est certain que lorsque les sections examineront le projet de M. Donny, elles s’entoureront de tous les renseignements nécessaires pour pouvoir l’examiner avec fruit, et que, par conséquent, elles demanderont elles-mêmes à M. le ministre des finances qu’il leur donne communication du projet de règlement dont il s’agit. Je vois que M. le ministre des finances fait un signe négatif ; je ne sais s’il veut dire qu’il refusera cette communication ; je le prie de s’expliquer à cet égard.

M. Donny. - Je crois, messieurs, que si la motion de l’honorable M. Desmaisières était adoptée, il faudrait, tout en examinant ma proposition, avoir en même temps égard à la proposition qui vous a été faite par l’honorable M. Dumortier, relativement à l’organisation de la cour des comptes ; cette proposition contient aussi des principes de comptabilité, mais ils sont posés dans un sens tout différent de ceux qui sont contenus dans la mienne.

Ce que l’on veut est, à ce qu’il paraît, d’avoir promptement une loi réglant la comptabilité de l’Etat. S’il en est ainsi, je pense qu’en renvoyant purement et simplement ma proposition aux sections, nous n’avancerons peut-être pas beaucoup vers ce but. Ce que j’ai proposé est un système entièrement nouveau, qui n’a pour ainsi dire rien de commun avec ce qui existe maintenant, et je doute que l’examen d’un pareil système puisse amener un prompt résultat. Vous arriverez bien plus tôt au but, si vous invitez la section centrale qui est déjà saisie de la proposition de M. Dumortier à vous présenter un prompt rapport sur cette proposition, surtout si vous voulez un système de comptabilité fondé sur les bases qui sont déjà établies et simplement modifiées d’après les renseignements qu’on pourrait obtenir soit du ministre, soit d’ailleurs. Je crois que de cette manière on parviendrait à faire quelques chose qui satisferait peut être pour le moment au besoin le plus pressant.

M. Rogier. - J’appuie la proposition de l’honorable M. Dubus, mais je demande en outre qu’on imprime également toutes les dispositions relatives à la comptabilité qui ont modifié le règlement de 1824. La chambre française reçoit tous les ans, par les soins de son bureau, une espèce de code de comptabilité ; c’est là un petit recueil très intéressant, et je pense que si nous avions la même chose, nous pourrions y puiser d’utiles lumières. Je demande donc que la proposition de M. Dubus soit modifiée de manière que nous ayons sous les yeux l’ensemble des dispositions relatives à la comptabilité.

M. Jadot. - Je crois, messieurs, qu’il serait inutile de faire des dépenses pour l’impression du règlement dont il s’agit : ce règlement est très volumineux et il ne nous apprendra rien ; car les neuf dixièmes de ses dispositions ne sont pas applicables sous le régime constitutionnel.

M. Pirson. - Messieurs, il résulte de la discussion qui vient d’avoir lieu que nous reconnaissons tous la nécessité d’avoir une loi qui organise définitivement la cour des comptes ; eh bien, messieurs, la proposition de M. Donny n’est pas, comme il le dit lui-même, suffisante pour atteindre ce but ; de son côté M. le ministre des finances nous annonce un règlement de comptabilité dont nous ne saurions nous occuper, puisqu’il n’est pas achevé ; je pense donc que, pour que la discussion actuelle ait le résultat dont vous sentez tous la nécessité, il conviendrait de nommer une commission composée des membres de la chambre que vous jugeriez posséder le plus de connaissances financières, et de la charger de vous présenter au plus tôt un projet de loi organisant la cour des comptes.

M. Dumortier. - La commission des finances.

M. Pirson. - Soit ! Je demande donc que la chambre charge la commission des finances de lui proposer un projet de loi réglant la comptabilité.

M. le président. - Nous avons d’abord à statuer sur les propositions de MM. Dubus et Rogier.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je remettrai à la chambre une expédition du règlement de 1824 et de tous ceux qui règlent actuellement la comptabilité de l’Etat.

M. Dubus déclare se rallier à la proposition de M. Rogier.

M. Pirson. - Messieurs, si vous adoptez ma proposition, il est inutile de faire pour le moment aucune impression : la commission des finances prendra tous les renseignements qui lui seront nécessaires pour pouvoir élaborer un projet de loi : elle s’adressera à cet effet au ministre des finances, à la cour des comptes, partout enfin où elle pourra recueillir des lumières. Je crois donc que nous n’avons pas à nous occuper d’ordonner telle ou telle impression ; ce sera l’affaire de la commission des finances, et sans doute elle fera son devoir.

M. Desmaisières déclare se rallier à la proposition de M. Pirson.

- La proposition de M. Pirson est appuyée.

M. Dumortier. - Il faut, dans tous les cas, que le règlement de 1824 soit imprimé, et voici pourquoi : si vous admettez la proposition de M. Pirson, il faut que la commission des finances ait des bases sur lesquelles elle puisse établir le projet de loi que vous lui aurez demandé, et pour cela il est de toute nécessité que les règlements qui ont jusqu’ici réglé la comptabilité soient mis sous ses yeux ; si, au contraire, vous écartez la proposition, nous devons toujours posséder ces documents, si nous voulons examiner les comptes de l’Etat.

Je demande donc que l’impression demandée par MM. Dubus et Rogier soit d’abord mise aux voix, et ensuite je voterai pour la proposition de M. Pirson.

Si M. Donny trouve que sa proposition est insuffisante, qu’il la retire, soit ; la commission des finances nous présentera à cet égard un projet de loi que nous discuterons.

M. Pirson. - Messieurs, ma proposition est très simple. Il s’agit de savoir si la chambre croit nécessaire de faire imprimer dès à présent l’ancien règlement. Il me semble que cette impression est inutile, ou au moins prématurée. En vous présentant un rapport sur l’objet qui nous occupe, la commission des finances aura soin d’entourer son travail de toutes les lumières, et si vous jugez alors que l’impression de l’ancien règlement soit encore nécessaire, la chambre pourra l’ordonner.

M. le président. - Je vais consulter la chambre sur les propositions réunies de MM. Dubus et Rogier.

- Ces propositions sont mises aux voix et adoptées.

M. le président. - Nous allons statuer sur la proposition de M. Pirson, tendant à ce que la commission des finances soit invitée à présenter un projet de loi sur la comptabilité.

- Après une triple épreuve par assis et levé, cette proposition n’est pas adoptée.

M. le président. - M. Desmaisières s’était rallié à la proposition de M. Pirson ; comme cette proposition vient d’être rejetée, je vais mettre aux voix la proposition de M. Desmaisières, tendant à ce que le projet de loi présenté par M. Donny soit mis à l’ordre du jour dans les sections.

- Après une double épreuve par assis et levé, cette proposition est adoptée.

M. le président. - Je ferai observer à la chambre que les sections ont commencé l’examen du projet de loi concernant le sel, et que des rapporteurs ont déjà été nommés à la section centrale. Je ne pense pas que l’intention de la chambre soit qu’on interrompe l’examen de cette loi, pour s’occuper de la proposition de M. Donny. (Non ! non !)

Ainsi, s’il n’y a pas opposition, l’examen de la proposition de M. Donny ne sera mis à l’ordre du jour dans les sections que lorsque celui du projet de loi sur le sel sera terminé.

M. Lardinois. - Je voudrais savoir si l’on enverra aux sections le projet primitif présenté par M. Donny. Cet honorable membre a dit tout à l’heure que sa première proposition renfermait plusieurs articles sur lesquels il avait changé d’opinion, et qu’il avait besoin de méditer les autres. Est-ce donc un projet rectifié, ou bien le projet primitif, qui sera renvoyé aux sections ?

M. le président. - je ferai remarquer que le bureau ne peut renvoyer aux sections que le projet de loi tel qu’il a été pris en considération par la chambre. Au reste, si M. Donny a à proposer quelques modifications, elles seront imprimées et également renvoyées aux sections.

M. Donny. - Je désire dire un mot pour repousser ce que vient d’avancer un honorable préopinant. A l’entendre, j’aurais condamné moi-même mon projet ; j’aurais dit que plusieurs articles devaient en être modifiés. Il n’en est rien, messieurs. Ma proposition, en tant que système nouveau, est complète ; depuis que je l’ai formulée, j’ai reconnu que, dans l’intérêt de la chose publique, il convenait d’y faire quelques additions, pour assurer une comptabilité d’autant plus régulière.

Je considère le renvoi de ma proposition dans les sections comme utile, puisqu’il en provoquera la discussion. Les sections admettront mon projet tel qu’il est, ou bien elles le repousseront et en admettront un autre. Mais, dans tous les cas, la question sera examinée et recevra une solution.

Discussion du tableau des crédits

M. Gendebien. - Messieurs, j’anticipe sur la discussion des articles du budget des voies et moyens, pour déposer sur le bureau trois amendements à l’article premier de la loi ; la discussion du tableau analytique des voies et moyens pouvant se prolonger jusqu’à la fin de la séance, je serais obligé de remettre à demain la présentation de mes amendements. Je ne veux pas qu’on m’accuse de jeter au milieu de la discussion des articles improvisés ; je désire que la chambre les médite avant d’en aborder la discussion ; j’ai donc cru devoir les déposer maintenant, pour que l’impression en ait lieu pour demain.

Je n’ai pas besoin de dire que je me réserve de développer mes amendements lorsque nous en seront à la discussion de l’article premier. Je crois ces développements inutiles aujourd’hui.

Je propose trois articles additionnels. Le premier est ainsi conçu :

« L’article 8 de la loi du 31 mai 1834 est abrogé. »

Cet article concerne les journaux étrangers qui sont imposés d’un droit de timbre double de celui qu’on faire subir aux journaux indigènes.

Le second amendement formera le paragraphe 5 de la loi. Il est ainsi conçu :

« Les 26 centimes additionnels ordinaires sur le timbre des journaux, gazettes, ouvrages périodiques, prix courants, imprimés, annonces et avis qui se publient dans le royaume, sont supprimés ; et la perception continuera à deux centimes pour un cents. »

Voici maintenant le troisième paragraphe qui m’a été suggéré par la discussion d’hier, relative à la pêche :

« Le domaine ne pourra affermer le droit de pêche, ni exiger aucune restriction pour son exerce dans les fleuves et rivières qui sont soumis au flux et au reflux de la mer, jusqu’au point où le flux se fait sentir dans les marées ordinaires. »

C’est particulièrement pour ce dernier amendement que je fais un appel aux lumières des membres de cette chambre. Je ne sais en effet, à raison de l’ignorance des localités, jusqu’à quel point le flux de la mer se fait sentir.

Les députés appartenant aux localités dans lesquelles se trouvent les fleuves et rivières soumis au flux et au reflux de la mer, pourront examiner la portée de mon troisième amendement et indiquer les bornes où il doit s’arrêter, s’il va trop loin.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Et par quoi l’honorable M. Gendebien remplacera-t-il toutes les charges dont il propose la réduction ?

M. Gendebien. - Je l’indiquerai plus tard, s’il est nécessaire.

Contributions directes, douanes, accises, poids et mesures, garantie

Foncier

M. le président. - La discussion est ouverte sur l’article premier (paragraphe du tableau « foncier. »)

M. Eloy de Burdinne. - j’ai l’honneur de proposer de fixer le montant de l’impôt foncier à 14,385,017 fr., au lieu de 15,879,327 fr., somme pétitionnée par le ministre des finances ; de manière qu’il y aura une réduction de 1,494,310 fr., somme égale à l’augmentation qu’a subie le contingent des provinces du Brabant, du Hainaut, de Liége et de Namur, par suite de la loi relative à la péréquation cadastrale.

Messieurs, je désire donner quelques développements à ma proposition, et j’espère que la chambre me le permettra. Je dois faire observer que mon but n’est pas de demander une décharge en faveur des habitants qui m’ont fait l’honneur de m’envoyer ici. Il ne s’agit donc pas ici d’un intérêt de localité. Il s’agit d’éviter l’inconvénient de voir augmenter l’impôt dans certaines localités et diminuer dans d’autres. Je voudrais qu’on dégrevât les Flandres et la province d’Anvers sans faire supporter par d’autres provinces le montant de ce dégrèvement.

Je prie la chambre de me permettre d’entrer dans quelques développements.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Messieurs, vous remarquerez que d’après le rapport de la section centrale, aucune observation n’est présentée ni par les sections, ni par la section centrale contre ce chiffre de l’impôt foncier. C’est sans doute parce que tout le monde a compris que pour parer aux dépenses, il faut des moyens, et qui si nous réduisons l’impôt foncier qui est une des ressources les plus productives, nous ne serons plus en position de faire face aux besoins.

Du reste, s’il est un impôt dont on ait particulièrement, à tort ou à raison, demandé l’augmentation, c’est l’impôt foncier. On a plusieurs fois prétendu dans cette enceinte et en dehors, qu’il était trop bas comparativement aux autres contributions, et l’on a même exprimé l’avis que si des ressources nouvelles devenaient nécessaires, ce serait à cet impôt qu’on devrait les demander. Sans partager absolument cette manière de voir, nous ferons toutefois remarquer qu’ayant déjà grande peine à pourvoir à la balance des budgets avec les subsides que nous réclamons, il n’y a certes pas lieu de réduire l’impôt foncier. Aussi je ne pense pas que la proposition de M. Eloy de Burdinne obtienne faveur dans cette chambre.

Je dois faire observer que la réduction de 1,500 mille fr. que propose l’honorable membre, amènerait sur les centimes additionnels une réduction de 200 mille francs, ce qui porterait la réduction totale à 1,700 mille fr.

Le motif sur lequel l’honorable membre appuie particulièrement sa proposition est de faire supporter plus facilement la nouvelle répartition établie par la péréquation cadastrale. Or, cette répartition qui a été réglée par tiers se fera d’une manière insensible et sans aucune perturbation. L’expérience d’une année est déjà là pour le démontrer.

Je crois inutile d’entrer dans de plus longs développements pour vous déterminer à repousser la proposition de M. Eloy de Burdinne.

M. Eloy de Burdinne. - On ne peut pas me condamner sans m’entendre. J’aime à croire que M. le ministre des finances ne persistera pas à repousser ma proposition quand il connaîtra les motifs qui m’ont porté à la faire. Je demande donc la permission de développer ma proposition. (Oui ! oui ! Parlez !)

- L’honorable membre donne lecture de ses développements.

M. le président. - Je vais mettre aux voix la proposition de M. Eloy de Burdinne.

M. Eloy de Burdinne. - Je demande à ajouter un mot.

Vous savez, messieurs, que le ministre des finances vous a dit qu’on pouvait compter sur une économie de 2 à 3 millions sur le dernier exercice. Dès lors il me semble qu’il serait très possible d’effectuer la réduction d’un million et quelques cent mille fr. que je propose.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Répondant à la dernière observation de l’honorable préopinant, je dirai qu’effectivement il restera disponible, soit sur la dette flottante que je propose de fixer à 12 millions dans les voies et moyens, une somme d’environ 2 millions et demi. Mais faites attention qu’il s’agit d’une dette à maintenir plus ou moins élevée, et non d’un excédant sur les ressources actives et réelles du trésor.

J’ajouterai que l’honorable membre n’atteindrait pas son but avec l’amendement qu’il a présenté. Il demande de réduire purement et simplement le principal de la contribution foncière à 1,494,310 fr..

Or, que résulterait-il de là ? C’est que les bases de la répartition actuelle s’appliqueraient uniformément à un contingent moins fort ; chaque contribuable paierait moins qu’aujourd’hui. Les provinces qui doivent être dégrevées font aussi bien que celles dont la quote-part doit être augmentée, obtiendraient une réduction uniforme.

Du reste, en tout cas, il me semble que la proposition que je combats ne serait pas de nature à réunir l’assentiment de la chambre par la seule raison décisive des besoins inévitables du trésor.

J’ajouterai surabondamment que les conseils provinciaux, récemment réunis, n’ont fait aucune réclamation contre la répartition de l’impôt foncier. Dans beaucoup de provinces on a même applaudi franchement à l’acte de justice consacré par la loi du 31 décembre dernier.

M. Coghen - Je ne puis appuyer la proposition de l’honorable M. Eloy de Burdinne. Il me paraît impossible de diminuer les ressources de l’Etat. Loin d’avoir un excédant sur les exercices précédents, il y a un déficit couvert en bons du trésor et qui s’élève à 12 millions environ. La contribution foncière n’est pas trop imposée dans notre pays et peut facilement supporter ses charges. Sans doute, il est plus agréable de tenir le langage du préopinant, de demander une diminution dans les impôts au lieu du maintien à la hauteur où ils sont. Mais nous avons, messieurs, un mandat impérieux à remplir. Nous avons à nous prémunir contre la possibilité d’un déficit, nous avons à éviter une crise inévitable si nous suivons un semblable système de réductions.

Dans mon opinion, la réduction proposée par le préopinant dans la contribution foncière ne ferait que créer un nouveau déficit de 1,750,000 fr. dans le trésor. Si à côté de cette diminution M. Eloy de Burdinne proposait un moyen quelconque tendant à la compenser et ce en imposant ceux qui possèdent, sans toutefois augmenter les charges de la classe malheureuse, je serais alors le premier à appuyer sa proposition.

M. Eloy de Burdinne. - Le ministre dit que je n’atteins pas le but par ma proposition. Non, sans doute, je ne l’atteins pas, si toutefois on suivait ce que dit le ministre des finances, c’est-à-dire que si la somme diminuée sur le budget serait diminuées sur tous. Ce n’est pas ainsi que j’ai entendu la chose. Je voudrais que la somme servît à indemniser les Flandres, qu’elle fût le contingent de la réduction que les Flandres doivent obtenir.

Le ministre a dit que les conseils provinciaux ne s’étaient pas du tout occupés du cadastre. Non, sans doute : un corps qui se constitue, et après une lacune aussi grande que celle des états provinciaux, a bien autre chose à faire que de s’occuper du cadastre.

On vous a dit aussi qu’il était plus facile de demander des réductions que des augmentations d’impôt. Sans doute. Mais je réponds à cet argument qu’il est plus facile de demander de l’argent que d’indiquer les moyens de le faire payer.

Quant au moyen de remplacer le montant de la réduction que je propose, ce n’est pas très difficile. Etablissez un impôt sur le café, sur le tabac. Bornez-vous à percevoir intégralement votre impôt sur les sucres, et vous comblerez la lacune et au-delà. Alors vous pourrez diminuer l’impôt sur le seul qui depuis trop longtemps pèse sur le malheureux.

- La proposition de M. Eloy de Burdinne est mise aux voix ; elle n’est pas adoptée.

Le premier paragraphe du tableau est mis aux voix et adopté.

Personnel

« Principal : fr. 7,472,204.

« 10 c. additionnels et extraordinaires : fr. 747,220.

« Total : fr. 8,219,424. »

M. Pirson. - Dépenser à propos et toujours utile pour le pays, n’établir que des contributions justes et basées sur l’égalité proportionnelle, telle est la tâche d’un gouvernement né du suffrage populaire.

Nous avons six années d’existence politique, et toujours en fait de contributions et de dépenses nous nous traînons sur la voie battue des monarchies absolues ou semi-absolues.

Dans celles-ci on cherche à déguiser par formes indirectes et les recettes et les dépenses. C’est ainsi que l’on fait supporter à ce que l’on appelle le peuple des contributions dont il ne se doute pas et qui tournent au profit des classes élevées.

C’est l’inverse de toute justice, de toute raison ; si l’on pouvait s’écarter du principe d’égalité proportionnelle, c’est le superflu qu’il faudrait frapper et non le strict nécessaire.

Je ne répète pas ici ce que j’ai dit à la seconde chambre des états généraux en 1821, et à cette chambre en 1834.

J’ai, à ces deux époques, ajouté à mon opinion un aperçu de mon système financier, que je n’ai point longuement développé, et que je ne développerai point encore aujourd’hui, parce que l’esprit de routine et de hautes préventions tant soit peu intéressées s’obstinent en faveur des droits indirects ou accises, et que ces obstacles ne peuvent être détruits que par la force de l’opinion, qui sur ce point ne manquera pas de se fortifier avec nos institutions constitutionnelles.

En résumé, je veux de nouvelles bases de répartition de la contribution personnelle et mobilière ; je supprime les patentes, sauf celles à établir sur les débitants de genièvre et de bière ; j’expliquerai plus loin ce qui me détermine à établir des patentes sur les débitants de cette boisson.

Je supprime les droits d’accises sur le sel et sur les eaux-de-vie, bières et vinaigres indigènes, sur le sucre.

Voici mes motifs :

En ce qui concerne les bases actuelles de la contribution personnelle et mobilière, je pense que de toutes celles qui ont été imaginées il n’en est pas de plus fautives.

Il en est de même des patentes : encore si elles atteignaient dans une juste proportion les fabricants et le haut commerce ; mais non : voyez donc sur les rôles des patentes cette nomenclature d’ouvriers dont la journée ne suffit point pour nourrir une famille. Souvent à la vérité, la taxe est peu élevée ; mais alors pourquoi tant d’écritures et d’employés qui absorbent le produit ? Pourquoi soutirer la valeur de deux ou trois journées de travail à celui que plutôt on devrait secourir ?

Parlons de la patente à établir sur les débitants de bière et de genièvre.

La bière est une boisson tout à fait indigène, saine et en usage dans toute la Belgique, c’est la classe moyenne et ouvrière qui en consomme le plus. L’impôt sur cette boisson est donc antipopulaire. Il faut liberté entière de fabrication et de circulation ; cependant je voudrais une patente assez forte sur les débiteurs ; c’est afin qu’il y ait une différence notable entre le prix de la bière sortant de chez le brasseur et celui de la bière débitée dans les cabarets ou estaminets.

Cette différence engagerait l’ouvrier, père de famille, à se procurer une tonne ou une demi-tonne de bière qu’il boirait avec sa femme et ses enfants. Ces patentes seraient graduées d’après la population des localités. On en accorderait à tous ceux qui en demanderaient.

Quant au genièvre, je voudrais que les débitants fussent assujettis à une patente très élevé et que le nombre en fût déterminé d’après la population. Je tiens beaucoup à cette fixation du nombre de débitants, parce que c’est l’occasion prochaine qui favorise tous ces excès d’ivrognerie si journaliers, si immoraux et si nuisibles à la santé des misérables qui se laissent entraîner à la vue d’une enseigne qu’ils rencontrent à chaque pas.

La liberté de fabrication de la bière et du genièvre profitera à l’agriculture et à notre exportation.

Je veux liberté entière d’entrée et de sortie du sel ; c’est une denrée de première nécessité pour tous, pour le pauvre comme pour le riche. C’est une matière première pour plus d’un genre de commerce.

Point de taxes sur le café, ni sur le sucre. L’accise sur la bière a fait naître ce grand usage du café parmi les classes pauvres et moyennes ; c’est aujourd’hui presque un objet de première nécessité. Il n’en est pas de même du sucre dont la classe ouvrière fait peu d’usage. Je voudrais bien amener dans nos campagnes un revirement de consommation vers la bière ; pour cela il faudrait établir des droits plus élevés sur le sucre et le café ; mais une grande considération me retient, c’est que le bas prix en Belgique du café, du sucre, du sel, du genièvre, du tabac, ajoutera aux 4 millions de Belges consommateurs, au moins 3 millions de nos voisins qui paient chez eux des droits très élevés sur ces objets ; nos bénéfices sur la consommation de ceux-ci seront considérables. Vous voyez bien qu’en fait d’impôt comme en fait de commerce, ce n’est pas toujours la voie battue qui est la plus profitable.

En ce qui concerne les produits de notre sol, de notre industrie et de os fabriques, je veux un tarif protecteur qui balance le tarif de la fraude. Après avoir supprimé, il faut remplacer.

J’observe que si mon système était adopté, il y aurait grande réforme de dépenses à l’intérieur du pays et dans les bureaux du ministère.

Toutefois, messieurs, en balance le produit d’un impôt nouveau avec celui des impôts à supprimer.

Dans le budget des voies et moyens je retranche :

1° Personnel (principal) : fr. 7,472,204

Idem (10 centimes) : fr. 747,220.

2° Patentes (principal) : fr. 2,480,000

Idem (10 centimes) : fr. 248,000

3° Sel (20 centimes additionnels) : fr. 3,700,000

4° Eaux-de-vie indigènes : fr. 2,200,000

5° Bières indigènes, vinaigres : fr. 7,000,000

6° Sucre : fr. 120,000

Ensemble : fr. 23,967,424.

Soit 24 millions à remplacer par une somme équivalente.

Patente sur les débitants d’eau-de-vie indigènes : fr. 1,500,000

Patente sur les débitants de bière : fr. 2,500,000

Contribution mobilière : fr. 20,000,000.

Cette contribution mobilière devra atteindre toutes les fortunes sans exception, celle du rentier, celle du financier, celle du fabricant, celle du commerçant, celle du marchand, celle de l’homme d’affaires, celle du fermier et de l’ouvrier aisé.

Je dis du fermier et de l’ouvrier aisé, parce que je voudrais que tout cultivateur, tout ouvrier, tout petit débiteur qui ne gagne que le plus strict nécessaire fût exempt de cette contribution sans que cette exemption puisse outrepasser le cinquième de la population de chaque localité.

Je conçois deux moyens de répartition.

Le premier serait de prendre pour bases de la première répartition, la population, la contribution foncière, le dernier rôle des patentes, le dernier rôle de la contribution personnelle ; chacune de ces bases entrerait pour un quart dans le contingent de la province et ensuite de la commune. La sous-répartition entre les contribuables serait faite par un jury d’équité.

Second moyen : la loi pourrait établir, d’après la population des villes et des districts ruraux, un nombre suffisant de catégories pour atteindre toutes les nuances de fortune, et fixer le nombre des contribuables qui doivent entrer dans chaque catégorie ; le jury d’équité alors n’aurait plus qu’à désigner les personnes qui doivent entrer dans chaque catégorie.

J’ai donné dans le temps une répartition simulée dans ce sens, je la reproduirai avec tous les développements que comporte mon système. La grande difficulté, c’est de composer un jury d’équité en effet aussi bien que de nom.

Dans mes précédents discours, j’ai indiqué le moyen d’y parvenir ; c’est d’y faire entrer tout à tout tous les contribuables.

Alors de cette manière tous les contribuables se contrôleraient réciproquement. Les membres du jury actuel opéreraient le plus loyalement possible, sachant que l’année suivante il pourrait y avoir un revirement défavorable pour eux s’ils s’écartaient des principes de justice distributive. Il y aurait bien encore quelques erreurs les deux ou trois premières années, mais je soutiens qu’il ne faudrait pas longtemps pour obtenir un rôle à peu près exact des fortunes présumées, sauf les variations annuelles sur lesquelles il serait fait droit.

Je n’abuserai point des moments de la chambre qui, aux derniers jours de l’année financière, ne peut s’occuper de nouveaux systèmes. Toutefois, j’espère que les opinions que je viens d’énoncer trouveront de l’écho, si point dans leur ensemble, au moins dans quelques parties, si toutefois l’on ne m’accuse pas de radotage.

- Le deuxième paragraphe du tableau est mis aux voix et adopté.

Patentes

« Patentes. Principal : fr. 2,480,000.

« 10 centimes additionnels extraordinaires : fr. 248,000.

« Ensemble : fr. 2,728,000. »

M. le président. - M. Mast de Vries propose de réduire le chiffre de ce paragraphe de 2,728,000 fr. à 2,570,000 fr. Il a la parole pour développer son amendement.

M. Mast de Vries. - J’applaudis à la proposition de M. le ministre des finances tendant à ce que le droit sur les poids et mesures soit adopté. Il en résultera que le système décimal prendra mieux en Belgique. Mais je ne suis plus de l’avis ni du ministre ni de la section centrale, lorsqu’ils veulent faire porter le produit des poids et mesures sur les patentes.

Pour qu’une loi soit bonne, il faut qu’elle soit juste. Or, je demande s’il est juste qu’on fasse payer aux patentables les 120,000 fr. des poids et mesures.

M. le ministre des finances demande que le droit des patentes soit établi tel qu’il était sous l’ancien gouvernement. Mais veuillez-vous rappeler avec quel plaisir fut accueillie, à la révolution, la réduction de moitié sur le droit des patentes. Rappelez-vous toutes les plaintes auxquelles cet impôt avait donné naissance parmi le peuple, parmi les petits boutiquiers, et vous aurez une idée des plaintes auxquelles donneraient lieu cette augmentation.

Rien n’est aussi fiscal que le droit de patente. Si quelques contrôleurs se succèdent dans une localité, vous êtes assurés que les patentes sont toujours augmentées. Il n’y a pas de boutique, si petite qu’elle soit, qui ne doive prendre trois ou quatre patentes. Il y a quarante années que l’impôt des patentes existe, cependant les agents du fisc ont assez de génie pour l’explorer encore et le faire produire davantage. Que, dans nos petites localités, un maréchal-ferrant, par exemple, prenne une patente une première année, on vient lui dire l’année suivante qu’il lui en fait une seconde, parce qu’il aura raccommodé une charrue ; la troisième année on lui fera prendre une patente de taillandier ; et, malgré tant d’augmentations successives, vous voulez encore augmenter la patente de 7 p. c. ? Tous les jours le commerce se divise, se subdivise ; comment peut-on augmenter le droit de patente ? Il est dans les intentions de la chambre de réviser la loi sur cet impôt ; c’est une contribution que l’on doit diminuer et non augmenter. Le poinçonnage produisait 120,000 fr. ; la mesure que l’on veut prendre lui fera produire 150,000 fr. ; ainsi il y aura majoration de 30,000 fr.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - C’est une erreur de prétendre que l’on réclame une augmentation de l’impôt des patentes, puisque la suppression proposée du droit de poinçonnage qui se paie par les patentables équivaut, très approximativement, à la majoration demandée sur ce droit de patente. On dit que quelques marchands n’ont besoin que d’un mètre, et que d’autres n’ont même besoin d’aucune espèce de poids ni de mesure ; mais ces patentables-là sont précisément dans la classe élevée et peuvent bien supporter une très légère augmentation qui décharge d’autant les petits patentables qui, dit-on, font entendre des plaintes. Il n’y a donc pour le trésor aucune augmentation de perception ; il n’y a qu’un simple déplacement d’impôt qui aura l’avantage de simplifier la comptabilité, et d’éviter de nombreux procès-verbaux pour défaut de poinçonnage des poids et mesures.

En s’occupant de patentes, il n’est pas inutile de se rappeler l’état de choses existant en 1830. A cette époque les patentables supportaient 35 centimes additionnels au principe tel que nous proposons de le rétablir.

Ainsi, quand nous demande de frapper ce principe de 10 centimes, nous restons en dessous de 25 centimes, à la charge existant en 1830, ce qui maintient encore une très forte réduction.

En 1831, le droit de patente a été réduit en principal à la moitié ; mais les motifs de cette diminution étaient palpables ; alors le commerce était pour ainsi dire annihilé ; les événements de la révolution avaient fait stater toutes les transactions commerciale ; il était juste de venir au secours des patentables, et le législateur a bien fait de réduire, temporairement, le droit à la moitié.

En 1832, ayant reconnu que déjà il y avait amélioration sensible dans la position des patentables, au lieu de laisser l’impôt à la moitié, on l’a porté aux trois quarts du principal, avec 26 centimes additionnels.

Aujourd’hui il faut bien reconnaître que le commerce et l’industrie prospèrent dans notre pays, bien plus que l’agriculture. Or, pour la contribution foncière, sur laquelle M. Eloy de Burdinne demandait tout à l’heure un allégement qui n’a pas été accueilli, savez-vous comment les choses étaient en 1830 ? Le principal était alors augmenté seulement des deux et trois centimes additionnels que nous maintenons actuellement, outre les dix autres centimes additionnels ; ainsi, en comparant la position des contribuables de l’impôt foncier à la position des patentables, on trouve que les premiers paient davantage aujourd’hui, tandis que leur situation n’est pas beaucoup meilleure qu’en 1830, et que les seconds, les patentables, paient moins dans une condition meilleure.

Il y a donc des motifs d’équité pour admettre la proposition du gouvernement qui n’apporte d’ailleurs aucune augmentation dans le chiffre du budget, et qui n’est qu’une simple transposition qui a un côté tout à fait utile et important.

On a réclamé souvent des modifications dans le régime actuel des patentes, et le motif principal sur lequel on se fonde, c’est que les employés du fisc sont, dit-on, en quelque sorte juges dans leur propre cause : on suppose qu’il leur est loisible de classer les patentables comme ils l’entendent ; cependant il n’en est pas ainsi. La voie du recours est ouverte, et c’est à la députation des états à statuer sur ces réclamations ; le contribuable est donc jugé par ses mandataires immédiats.

Messieurs, sans repousser toute demande de modification dans l’application du droit de patentes, on peut cependant dire que cet impôt est très supportable tel qu’il est. Toutefois, pour modifier la législation qui concerne les patentes, il faut avoir du temps. Depuis 1830 nous avons été surchargés de lois organiques qui ont absorbé les moments précieux des chambres ; alors même que nous aurions présenté un projet de loi sur cette matière, nous eussions été obligés de le laisser dans les cartons. Cependant il n’est pas désirable de présenter longtemps à l’avance des lois qui doivent modifier le régime financier, parce que ces projets sont sans cesse invoqués par ceux des contribuables qui prévoient une répartition moins lourde de l’impôt, et les agents du fisc trouvent ainsi des obstacles presque insurmontables pour la rentrée des contributions. Vous partagerez, je n’en doute pas, mon opinion à cet égard ; il ne faut présenter les lois de cette espèce que dans le courant de la session où elles peuvent être votées.

M. le président. - D’après la proposition de M. Mast de Vries, l’impôt des patentes serait réduit à 2,568,000 fr.

M. A. Rodenbach. - Depuis 1831 la chambre a réclamé de nouvelles lois sur les patentes. Moi-même j’ai eu l’occasion de signaler les nombreux abus de la fiscalité, de cette législation étrangère, de cette législation qui n’a été faite en grande partie que pour favoriser la Hollande. Comment se fait-il qu’aujourd’hui on conserve, sans modification, cet impôt, alors que nous sommes détaches de la Hollande ? Il nous faut une loi conforme à nos mœurs et à notre industrie.

Je ne répéterai pas tout ce que j’ai dit contre l’impôt des patentes ; plusieurs pétitions nous ont été adressées sur les vices de cette perception. Je ferai seulement observer qu’en Hollande on faisait payer les boutiques couvertes en bois établies dans les places publiques et qu’aujourd’hui on fait payer les petites boutiques qui sont à peine couvertes d’une toile ; tout cela est contraire à l’intérêt de nos boutiquiers, et il devrait se rappeler que la loi avait été faite pour atteindre les Hollandais qui élevaient des baraques en bois au milieu de nos places. Il ne faut pas oublier l’esprit et le but des lois.

Quoi que le ministre en ait dit, il est vrai que les contrôleurs changent la patente, selon leurs caprices ; ils vous placent une année dans une classe et l’année suivante, dans une autre classe. Si vous réclamez, vous n’êtes pas écouté. Il y a des preuves de ce fait. Le contrôleur est omnipotent ; car les réclamations passent par tant de filières, qu’il faut une année entière avant d’obtenir une solution.

Il est certain que cette loi doit être révisée le plus promptement possible. Je sais bien qu’il y a beaucoup d’autres lois à réviser, mais il n’en est pas moins vrai, et M. le ministre doit savoir lui-même, que le droit de patente excite les réclamations de tout le pays.

Les industriels, à peu d’exceptions près, paieront maintenant le droit de poinçonnage sur la patente et c’est là un bien ; car l’année dernière le droit de poinçonnage a occasionné un grand nombre de procès, et les procès ruinent aussi.

La modification qui vous est présentée, messieurs, est peut-être un moyen de propager le système des poids et mesures, mais ce moyen n’est pas efficace ; car, comme je l’ai dit dans les six sessions précédentes, aussi longtemps que le gouvernement ne prendra pas la détermination d’établir le système binaire, c’est-à-dire de diviser le kilogramme en quarts, en huitièmes, etc., le système des poids et mesures ne sera pas suivi en Belgique, malgré les 600 ou 1,000 procès qu’on intente tous les ans pour cet objet à Bruxelles, messieurs, qui est la capitale, et où les boutiquiers sont censés être le plus éclairés, sont censés le mieux connaître les lois, à Bruxelles, lorsqu’un acheteur se rend dans une boutique, on lui demande encore s’il veut la vieille once ou la nouvelle.

Je vous le demande, messieurs, si le système des poids et mesures n’est pas même suivi dans la capitale, le sera-t-il dans les campagnes ? Non, messieurs, il n’est suivi nulle part, et il ne le sera jamais si vous n’admettez pas un système binaire, que Napoléon lui-même a été forcé de permettre par une ordonnance. Je ne veux pas non plus détruire le système décimal, je demande seulement que pour le détail, on y introduise une modification qui est très exécutable et qui ne jetterait aucunement la perturbation dans le système métrique.

M. Gendebien. - Convaincu, messieurs, que le budget des voies et moyens passera tel qu’il a été présenté, j’éprouve un certain découragement à venir de nouveau vous exposer les plaintes et les doléances que j’ai déjà fait entendre les années précédentes ; j’aurais pris la parole dans la discussion de l’article des contributions personnelles, mais je vous avoue que je n’en ai pas eu le courage, persuadé que mes paroles n’auraient produit aucun effet ; je me réserve toutefois d’en dire quelque chose lorsque nous discuterons le projet de loi spéciale sur cette matière.

Quant au droit de patente, je crois, messieurs, avoir établi l’année dernière que ce droit est non seulement un impôt arbitraire, mais même absurde : faire payer les citoyens qui travaillent tandis que vous ne faites pas payer ceux qui ne font rien, qui ne produisent rien, ni au profit de la généralité, ni au profit de personne, c’est là, vous disais-je, une véritable absurdité ; vous faites payer patente, disais-je, aux industriels qui exposent leurs capitaux et qui souvent les perdent, qui travaillent beaucoup et qui ne sont presque jamais payés en raison de leur travail ; vous les imposez parce que vous présumez qu’ils retirent de bénéfices de leur commerce, parce que vous supposez qu’il en résulte une fortune imposable : et de ceux qui possèdent une fortune réelle, et, qui ne font rien d’utile à la société, vous n’en exigez pas de patentes !

Je vous ai dit que je concevais la patente pour autant que vous la fassiez payer par les hommes qui ne font rien, et à titre d’indemnité envers la société, pour leur défaut d’utiliser leur capital intellectuel, leur fonds individuel ; en un mot, que je concevais la patente comme un impôt sur la paresse, sur l’oisiveté, sur le défaut de production.

Le négociant, l’industriel est utile à son pays, alors même qu’il se ruine ou qu’il travaille en pure perte pour lui ; par cela même vous le forcez à payer un impôt que vous n’exigez pas de celui qui ne fait rien, qui ne travaille ni dans l’intérêt général, ni dans un intérêt personnel !

Je disais encore que je concevais la patente comme un surcroît d’impôt à établir sur des objets susceptibles d’impôt très élevé, mais qu’il est impossible de frapper suffisamment, dans la crainte de fournir un appât à la fraude. C’est ainsi que je vous disais : la loi sur les distilleries a admis un impôt très faible, parce que la majorité de la chambre était convaincue que si on élevait l’impôt il ne produirait rien ou du moins très peu de chose, car en matière d’impôt 2 et 2 ne font pas toujours 4, et si vous doublez un impôt de 2, loin d’avoir 4, vous courez souvent risque de ne plus avoir même 2.

Eh bien, messieurs, ajoutai-je, s’il vous a été impossible d’établir un impôt suffisant sur un objet aussi pernicieux pour la morale publique que le genièvre, par exemple, établissez un droit de patente à charge des distillateurs et à charge des détaillants ; si de cette manière vous n’arrêtez pas les excès de boissons, au moins vous en écarterez les neuf dixièmes de ceux qui s’y livrent maintenant, parce qu’au lieu de boire chez les détaillants une grande quantité de boissons spiritueuses, ils s’adresseront alors aux brasseurs pour se procurer de la bière qu’ils consommeront chez eux avec leur famille de manière que la dépense qu’ils font maintenant, au grand préjudice de leurs facultés physiques et morales, tournera alors au bien de toute leur maison, une boisson saine, consommée par un certain nombre d’individus, remplaçant alors une boisson pernicieuse consommé aujourd’hui par le chef de la famille à lui seul dans un cabaret. Remarquez, messieurs, le funeste entraînement occasionné par le débit à trop bon marché des boissons spiritueuses dans les cabarets : un malheureux ouvrier, père de famille, entre dans un cabaret dans l’intention d’y prendre une pitance raisonnable, mais quand il se trouve à côté de la distribution, si commode, si facile, il se laisse entraîner bien au-delà de ce qu’il s’était proposé, parce qu’il lui suffit de demander pour recevoir. Lorsqu’au contraire il aura pris chez le distillateur ou chez le brasseur une certaine quantité de genièvre ou de bière, il n’en fera pas reprendre, parce qu’il ne sera pas à côté de la distribution, parce qu’il se trouvera au milieu de sa femme et de ses enfants qui l’en détourneront et l’empêcheront ainsi de commettre des excès.

Vous voyez donc, messieurs, que le droit de patente bien entendu offre un double avantage ; d’abord celui de faire produire suffisamment des impôts qui par crainte de la fraude sont forcément restreints à un taux inférieur à celui réclamé par la morale publique bien plus encore que par les besoins du trésor ; ensuite celui de renfermer une haute leçon de morale. On parle si souvent de morale dans cette enceinte, mais on ne fait rien pour la mettre en action ; nous devrions donc bien saisir l’occasion que nous offre le droit de patente de faire quelque chose pour elle.

Je voudrais également qu’on mît un droit de patente sur les marchands de vin indépendamment de l’impôt qui se perçoit sur cette boisson, car c’est là un objet de luxe qui peut supporter un impôt plus fort que celui dont il est maintenant frappé et que vous ne pouvez pas élever d’une manière directe dans la crainte de fournir un appât à la fraude, de ne plus rien recevoir, et de charger ainsi l’honnête contribuable au profit des fraudeurs.

Raisonnant toujours d’après la même idée, de l’égalité proportionnelle de l’impôt, je disais que si vous établissiez un droit de patente à charge des célibataires des veufs sans enfants, je le concevrais, parce que ceux-là n’ont pas de charge ou du moins n’ont pas les mêmes charges qui pèsent sur les pères de famille ; parce que chez les célibataires et veufs sans enfants, il y a plus de facilité de vivre, il y a plus de chances d’un excédant de fortune que chez les pères de famille ; parce que de plus les premiers se livrent plus souvent à l’oisiveté que les autres, et que de ce chef, ils doivent une indemnité à la société. Voilà, messieurs, comme je concevrais le droit de patente.

L’honorable ministre des finances m’avait dit, il y a sept ou huit mois, qu’il considérait comme une chose de très difficile exécution l’établissement du droit de patente sur les célibataires, que cependant il n’envisageait pas mon idée comme dénuée de tout fondement, ni comme ne pouvant pas recevoir d’application, qu’il y pensait au contraire très sérieusement. Je ne veux pas reprocher au ministre de n’avoir pas présenté dès la présente session un projet de loi ; mais j’aurais voulu au moins qu’il nous eût dit quelque chose de ses méditations et des recherches qu’il a faites relativement aux bases de la contribution, et qu’il nous eût donné l’espoir de les voir changer ; car veuillez remarquer que dans l’art. 139 de la constitution le congrès national a fait aux ministres comme aux chambres un devoir impérieux de la prompte révision de notre système financier. C’est là un devoir constitutionnel, un devoir d’humanité et de morale à la fois auquel nous ne pouvons nous soustraire.

Quel grand mal y aurait-il à établir un droit de patente sur les célibataires et les veufs sans enfants ? On dira que ce serait un impôt arbitraire ; mais le droit de patente, tel qu’il existe maintenant, n’est-il pas arbitraire ? Il l’est cent fois plus que celui que je propose. On pourrait prendre pour base de l’impôt que je demande, depuis une, deux ou trois journées de travail, jusqu’au maximum de 150 fr, par exemple, et il est beaucoup de célibataires qui préféreraient payer 150 fr. que de s’attirer les charges du ménage. Etablissez une moyenne, et vous serez tout étonnés de recevoir un impôt considérable sans frais ou au moins sans augmentation de personnel. On pourra, j’en conviens, l’accuser d’être plus ou moins arbitraire ; mais il le sera moins que celui des patentes, car il aura au moins une base certaine. Le célibataire en effet a moins de charges que l’homme marié, personne n’oserait le contester, cependant il paie moins. Il en est de même du veuf sans enfants. Il est donc certain qu’il peut supporter un impôt plus fort que le père de famille ; voilà un point de départ certain. Tandis que pour l’industriel, le négociant, vous n’avez aucune base fixe, vous n’avez que des conjectures, des bénéfices présumés pour base. (Des conversations particulières dans une partie de la chambre interrompent l’orateur.) … J’invite ceux qui font du bruit à me répondre ; si je suis dans l’erreur, j’espère qu’ils prendront la peine de me le démontrer ; si, au contraire, j’ai raison, les membres qui se livrent à des causeries devraient au moins écouter les arguments que je développe pour faire prévaloir la raison sur la routine. Et ici, je ferai remarquer qu’en général ce sont ceux qui se donnent le moins de peine et qui jamais ne prennent la parole dans la discussion des matières les plus ardues, qui se permettent de déranger l’orateur consciencieux, quand il vient exprimer son opinion.

Je disais donc, messieurs, que si l’on pouvait reprocher de l’arbitraire à la base de l’impôt sur les célibataires et les veufs sans enfants, il y en avait bien plus dans l’impôt des patentes. J’ai démontré en même temps que cette base était au moins fixe, incontestable en un point, et que, sous ce rapport, elle présentait moins d’arbitraire que pour les patentes où il n’y a pas de base fixe ni même de point de départ.

Ainsi donc, dés l’instant que vous admettez l’impôt de patente, vous n’êtes plus recevables à repousser ma proposition comme fondée sur l’arbitraire, parce qu’il y en a bien moins dans la patente contre le célibat. Je puis dire contre le célibat, car toutes nos lois de finances tendent à favoriser le célibat.

Et, à cette occasion, permettez-moi de vous rappeler ce que disait aux états généraux l’honorable M. Trentesaux, au sujet de l’impôt personnel.

Après un discours chaleureux, plein de logique, et d’arguments auxquels on n’a pas plus répondu qu’on ne répondra probablement aujourd’hui aux miens, l’honorable membre ajoutait :

« En un mot, messieurs, votre loi est une invitation au célibat ; par conséquent c’est la loi la plus immorale qu’on puisse faire dans une société bien constituée. »

Eh bien, si vous avez des lois qui portent avec elles ce caractère d’immoralité et que vous ne puissiez les abolir entièrement, faites-en au moins une qui rétablisse l’équilibre, et si d’un côté vous imposez le père de famille sur qui déjà pèse des charges accablantes, de l’autre assimilez au moins le célibataire à ce père de famille, pour les charges envers l’Etat.

Messieurs, je sais bien que toute innovation doit nécessairement rencontrer sinon beaucoup d’opposition au moins beaucoup d’inertie. Il est si commode de se laisser toujours entraîner avec le courant. C’est une chose si facile que l’habitude ; c’est si aisé de dire oui, et de n’avoir à s’occuper d’autre chose à la fin de la discussion d’un budget de voies et moyens que de dire oui à l’appel nominal.

Je n’espère donc pas faire adopter mes idées maintenant, pas plus que je n’ai réussi précédemment.

Mais je crois m’être acquitté de mes devoirs en vous mettant en demeure d’y réfléchir, en protestant contre notre absurde système d’impôt, système qui a été l’objet de tant de réclamations, je puis dire de tant de clameurs avant la révolution : système qu’on paraît vouloir maintenir intact, alors que le congrès a fait un devoir impérieux aux chambrés et au gouvernement d’y apporter des modifications dans un bref délai. Prenez-y bien garde, messieurs, refuser à entendre en temps calme, c’est s’exposer à de fâcheux événements, quand le peuple est fatigué d’attendre.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). Messieurs, d’après l’honorable M. Gendebien, l’impôt de patente est un impôt absurde, qui ne repose sur aucune base, qui n’est motivé par rien.

D’abord je ferai remarquer que cet impôt qualifié d’absurde existe dans presque tous les autres pays, et sous ce rapport, nous partageons en bonne société l’absurdité que l’on a attribue à cette partie de notre régime financier.

Je dirai ensuite qu’il ne me paraît pas difficile de démontrer les justes motifs qui militent en faveur du maintien de l’impôt dont il s’agit.

Et en effet, messieurs, les frais considérables que la nation s’impose pour entretenir une armée douanière, les frais qui retombent à charge du consommateur, du chef des droits qui frappent les marchandises étrangères, au profit de qui ces dépenses sont-elles établies ? au profit, de l’industrie et du commerce, et par conséquent au profit des patentables.

Cette seule considération vous fait voir, messieurs, que l’impôt sur les patentes n’est pas absurde et sans motifs, comme on l’a prétendu ; mais qu’il repose au contraire sur une base très équitable.

Ensuite, messieurs, si nous réfléchissons combien la Belgique est commerciale et industrielle ; si nous considérons combien est grand le nombre de patentables dans notre pays, et si en même temps nous jetons les yeux sur le dividende que nous proposons de répartir entre ces contribuables, nous devrons reconnaître que leur charge est bien minime comparée aux autres branches des recettes du trésor.

L’honorable M. Gendebien se montre disposé à voter un impôt élevé, bien moral sans doute, mais qui n’en est pas mieux fondé pour cela : une patente extraordinaire prélevée sur les débitants de genièvre. Messieurs, ce moyen est excellent en théorie ; mais je doute qu’en pratique il puisse coïncider avec les institutions libérales de la Belgique. Je doute que l’exercice fiscal, qu’il faudrait inévitablement faire dans l’intérieur des habitations, plaise à mon pays. A l’occasion d’une discussion qui n’est pas effacée de nos souvenirs, nous avons vu avec quelle frayeur on s’est récrie contre le projet qui avait été présenté en faveur d’une industrie très intéressante On s’est refusé à la protection réclamée parce que les mesures qui l’eussent assurée pouvaient devenir dangereuses en excitant la perturbation et le mécontentement dans le pays ; or ces mesures étaient tout à fait semblables à celles dont il faudrait user pour assurer l’application du droit que l’on indique en ce qui concerne les débitants de boissons.

Je dis donc, messieurs, que le projet d’imposer d’une haute patente, qui ne pourrait avoir d’autre base que la consommation, est excellent en théorie, mais qu’il serait détestable en pratique. J’entends dire près de moi qu’il ne faut pas pour la mise à exécution du moyen que je combats, c’est-à-dire que la patente ne serait pas basée sur la consommation.

Ainsi, donc, on imposerait arbitrairement ceux qui vendent le genièvre ; on établirait un maximum, un minimum, ou un droit uniforme pour ces débitants. Mais pense-t-on, dans cette hypothèse, que l’on percevrait beaucoup de la sorte ? Non, certes, on ne recouvrirait presque rien, car évidemment les vendeurs emploieraient d’autres moyens, pour placer le genièvre, que le débit ordinaire, et il leur serait très facile d’éluder tous les droits.

Messieurs, l’honorable M. Gendebien, à l’occasion du budget de l’année dernière, a déjà mis en avant l’idée d’une nouvelle base d’impôt, celle qui pèserait sur le célibat. Vraiment, messieurs, au premier bord, cette idée m’a souri, lorsque l’honorable membre en a parlé pour la première fois dans cette enceinte ; je croyais qu’il serait convenablement possible d’atteindre cette classe de citoyens, qui, en réalité, ne doivent pas pourvoir à d’aussi grands besoins que les chefs de famille.

Mais, messieurs, je n’ai pas tardé, en examinant la chose de plus près, à me convaincre qu’un impôt sur le célibat serait à peu près impraticable, à peu près nul dans les résultats : impraticable, parce qu’il serait inadmissible d’imposer un droit uniforme sur les célibataires, car il y aurait injustice à faire subir à l’ouvrier la même charge qu’au riche. Il faudrait donc prendre pour base la fortune des individus ; où trouveriez-vous cette base ? où pourriez-vous la rencontrer d’une manière certaine ? La plupart des célibataires ne possèdent rien en nom privé. L’enfant de famille n’a rien dont il puisse disposer ; les propriétés appartiennent à ses parents. Ainsi déjà vous auriez une partie nombreuse de la classe des célibataires qui ne paieraient rien.

N’est-il pas évident dès lors que la base que l’on prendrait sur la fortune des individus ne pourrait être appliquée que dans des cas fort rares ? Voyons d’ailleurs ces cas. Quand un célibataire n’est plus dans le sein de sa famille ; quand il jouit de sa fortune, il est obligé de se loger ; s’il a les moyens de tenir des domestiques et des chevaux, l’impôt personnel l’atteint de ces chefs comme les autres citoyens. Ainsi, vous le frapperiez d’un double impôt ; vous commettriez par conséquent une injustice.

On vous a dit que l’habitude était une chose facile. Je répondrai à ce reproche d’inertie que l’habitude, en matière d’impôts, est une chose précieuse. Apportons, comme nous l’avons fait jusqu’ici, des modifications partielles, successives à notre système actuel et par là nous éviterons les secousses qui gâteraient l’esprit public ; car les changements fondamentaux en matière de contributions ne manquent jamais d’amener des perturbations, des récriminations et de la mauvaise humeur chez les contribuables.

Gardons-nous donc de changer brusquement nos habitudes financières ; procédons, je le répète, avec prudence et partiellement aux modifications reconnues utiles et urgentes dans nos lois.

Depuis trois ans des changements successifs y ont été introduits de la sorte et nous avons lieu de nous en applaudir. En ce moment encore la chambre est saisie de nouveaux projets importants concernant les distilleries, le sel, les douanes et la contribution sur les chevaux ; l’inertie qu’on nous a reprochée n’est donc ni aussi réelle ni surtout aussi pernicieuse qu’on l’a avancé.

M. Mast de Vries.- Véritablement on veut nier l’évidence. Il y a ici deux choses à examiner : la première si l’impôt des patentes tel qu’il est établi est juste, et la seconde si on lui fait subir ou non une augmentation de 6 à 7 p. c. Pour se convaincre qu’il y a augmentation de 5 à 6 p. c., il suffit d’ouvrir le budget. On trouve au budget des voies et moyens de cette année pour les patentes le chiffre de 2,728,000 fr., tandis que l’année dernière il n’était que de 2,570,000 fr. ; mais à cette somme il faut joindre le montant de ce qu’on payait pour droit de poinçonnage. Or, le produit de ce droit figurait au dernier budget pour 120,000 fr. Ces 120,000 fr. joints au chiffre de 2,570,000 fr. ne donnent que 2,690,000 fr. Or on demande 2,728,000, c’est donc bien 30 mille fr. qu’on veut faire payer cette année en plus aux patentables, indépendamment du produit du droit de poinçonnage qu’on leur fait payer.

M. le ministre des finances vous a dit que l’augmentation du droit de patente se ferait sentir davantage dans les classes qui doivent payer davantage, parce qu’elles font des affaires plus importantes. Je lui répondrai d’abord qu’il faut que tout le monde paie, ensuite que beaucoup de patentables qui ne font pas de grandes affaires, tels que les cordonniers, les maréchaux, etc., qui doivent donner du pain à leurs enfants avec le produit de leurs bras, verront augmenter leur patente de 6 à 7 p. c. par suite du changement de perception du droit de poinçonnage, quoiqu’ils ne fassent pas usage de poids.

J’ai dit que les employés du fisc appliquaient la loi sur les patentes de telle manière, et que cette loi était tellement élastique qu’il n’était pas de patentable qui ne pût voir sa patente augmentée. Un maréchal de village, par exemple, ne peut pas vivre en se bornant à ferrer des chevaux ; il raccommode au besoin les voitures, les charrues ; eh bien, dès que cela lui arrive, on lui fait payer une patente de charron. Qu’il soumette la question à la députation des états, on lui demande s’il est vrai, oui on non, qu’il raccommode des charrues ; si le fait est constant, il faut qu’il paie.

Je bornerai là mes observations. Il me paraît que puisqu’on n’a pas besoin d’augmenter les impôts en général, il serait injuste d’augmenter celui des patentes.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Toute l’argumentation de l’honorable préopinant serait fondée sur la différence de 38 mille fr. que présenterait l’augmentation proposée aux patentes avec le produit du poinçonnage lequel serait de 120,000 francs. Si M. Mast de Vries veut compulser la situation du trésor que j’ai déposée sur le bureau de la chambre au commencement de la session, il verra que le produit du poinçonnage en 1836 s’élèvera à 150 mille fr., attendu que pour les 8 premiers mois de cette année il s’est élevé à environ 120,000 fr. Par conséquent l’augmentation dont parle l’honorable préopinant n’existe pas. Il n’y a qu’une simple transposition de chiffres.

En définitive, ne nous dissimulons pas que l’impôt des patentes est payé par le consommateur et que c’est lui qui dans la livrance qu’on lui fait de la marchandise paie par un déguisement le droit de patente. Ne perdons pas de vue ensuite que les patentables ne sont imposés qu’à un faible droit dont la moyenne individuelle en Belgique reste au-dessous de 10 francs. Ne nous récrions donc pas contre un impôt dont la perception est modérée et facile et qui en réalité n’excite aucune plainte. Car les difficultés dont on parle n’existent pas en réalité. Ma position me met à même de reconnaître toutes les plaintes que peut faire naître la perception des impôts ; et celles en particulier, qui résulterait de l’impôt des patentes sont si rares qu’on peut les considérer comme nulles.

Je dois répondre maintenant à une observation présentée par l’honorable M. Gendebien, et qui m’avait échappée tantôt. Nous supportons encore, a-t-il dit, les impôts qui existaient sous le gouvernement précédent et contre lesquels on s’est tant récrié. J’ai déjà eu l’honneur de rappeler que des modifications importantes ont été apportées à notre système d’impôt.

Il est une autre considération qui mérite votre attention : c’est que la perception des impôts se fait aujourd’hui d’une manière toute différente d’autrefois ; elle n’est nullement fiscale, les employés des finances poursuivent la rentrée des impôts avec toute la modération et la douceur possible ; on ne pourrait même la pousser plus loin sans compromettre toutes les ressources de l’Etat. Et nous avons besoin de ces ressources.

Heureusement les employés du gouvernement qui comprennent cette nécessité, remplissent consciencieusement et courageusement leur devoir ; il leur serait sans doute plus facile et plus commode de laisser chacun payer ce qu’il voudrait quand il voudrait et comme il voudrait. Mais je le répète, les agents chargés de la perception des impôts savent allier, dans l’exercice de leurs fonctions, la fermeté, aux ménagements envers les contribuables, qui sont compatibles avec l’accomplissement de leurs devoirs.

M. Verdussen. - Il n’est personne qui ne convienne que l’assiette de l’impôt des patentes ne soit vicieuse. S’il en est ainsi, il découle cette vérité qu’il ne faut pas aggraver cet état de choses, sous peine de voir surgir de justes et nombreux murmures.

M. le ministre des finances nous dit qu’en définitive les revenus de l’Etat ne seront pas augmentés, qu’il retranche le droit de poinçonnage pour l’ajouter aux patentes. Mais il se place à côté de la question. Il ne s’agit pas de savoir si le revenu de l’Etat sera augmenté, mais si la position des patentables ne sera pas aggravée ; et effectivement il en sera ainsi.

M. Mast de Vries vous l’a dit ; il y a une multitude de personnes qui, aujourd’hui, paient le droit de poinçonnage et ne paient pas de patente, tandis que d’autres qui paient patente ne paient pas de droit de poinçonnage. Dès lors ces derniers vont être frappés d’un impôt beaucoup plus fort et dont l’assiette est reconnue vicieuse, qui vexe presque tout le monde. Pour obvier aux inconvénients de cette augmentation, on devrait, dût-on abandonner le produit du poinçonnage, ne pas augmenter les patentes. Je crois qu’à cet effet on pourrait laisser subsister le principal de l’impôt tel que le propose le ministre, mais réduire les centimes additionnels.

On a dit que le poinçonnage produisait à l’Etat environ 120 mille fr. Si on réduisait les centimes additionnels de 5. p. c., comme les 10 p. c. produisent 249 mille fr., la réduction de 5 p. c. équivaudrait à 124 mille fr., ce qui balancerait le produit du poinçonnage auquel on renoncerait.

Je me bornerai donc à demander une réduction de 5 p. c. sur les centimes additionnels.

J’ai un dernier mot à ajouter. Le ministre des finances a dit qu’il pensait que les désagréments des procès-verbaux devaient entrer pour quelque chose dans les considérations d’après lesquelles la chambre se déterminerait. Je lui répondrai qu’aussi longtemps que le poinçonnage existera, il y aura des procès-verbaux, et que la suppression du droit, loin de les faire diminuer, devra avoir pour conséquence de les faire augmenter, parce que le plus souvent ces procès-verbaux sont le résultat de l’oubli, et que le marchand qui n’aura rien à payer oubliera plus facilement qu’il doit faire poinçonner ses poids, que s’il s’agissait pour lui d’acquitter un impôt.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je demanderai une explication à l’honorable préopinant. Il me semble résulter de ce qu’il vient de dire qu’il demande le maintien du droit de poinçonnage, à moins toutefois qu’il ne veuille abandonner le système métrique, ce qui, j’en suis sûr, est contre son intention. Il faut, en effet, selon M. Verdussen maintenir un moyen pécuniaire de rappeler à ceux qui font usage de poids et mesures qu’ils doivent les présenter périodiquement au poinçonnage. Si c’est ainsi que l’entend l’honorable préopinant, c’est-à-dire s’il veut conserver le droit de poinçonnage, je n’aurai plus à combattre une réduction, mais simplement la disposition qu’il désire conserver dans la nomenclature du budget des voies et moyens.

M. Verdussen. - J’ai déjà dit que je voulais diviser la question et que dût-on abandonner le produit du poinçonnage qu’on évalue à 120 mille fr., ce qui ne serait pas un grand mal, sur un budget de 89 millions, il ne fallait pas augmenter l’impôt des patentes. Ce sera une question à examiner.

Pour le moment je persiste à croire que les procès-verbaux seront aussi nombreux lorsque le droit le poinçonnage sera supprimé, parce que le poinçonnage ne sera pas aboli.

Il ne peut pas l’être, il doit être maintenu.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je pense qu’on ne peut en aucune manière diviser ces questions ; car si on veut réduire le chiffre de l’impôt des patentes, il faudra maintenir le droit des poids et mesures dont on n’a consenti l’abolition qu’à la condition qu’on augmenterait d’autant le droit sur les patentes.

L’honorable préopinant s’est appesanti sur la charge que la proposition du gouvernement tend à imposer aux patentables. Mais je ferai remarquer qu’il s’agit de les ramener à l’égalité proportionnelle existant pour tous les autres contribuables. Si, à l’époque de la révolution, en raison de l’état de stagnation du commerce, on crut devoir adopter une réduction sur le droit des patentes, cette réduction n’était que temporaire ; elle était motivée sur des circonstances impérieuses. Mais, je le demande, peut-on alléguer aujourd’hui de semblables circonstances en faveur des patentables ? Y a-t-il une époque où il y ait eu plus de prospérité et d’aisance pour les industriels et les commerçants de toutes les classes presque sans exception ? Si l’on ne peut maintenant rétablir les droits à leur taux primitif, dans quelle circonstance pourra-t-on jamais le faire ? Je pense donc qu’il faut adopter la proposition du gouvernement.

On semble perdre de vue que récemment l’on a voté une augmentation de dépenses considérable, en mettant les traitements des ministres des cultes (les vicaires et les chapelains) à la charge du trésor. Ce n’est pas lorsqu’on vient de voter de nouvelles charges qu’il faut chercher à introduire dans le budget des réductions d’impôt. Il faudrait plutôt aviser à augmenter les ressources du trésor que chercher à les diminuer.

M. Gendebien. - M. le ministre des finances a cru répondre à l’observation que j’avais eu l’honneur de vous faire, il s’est grandement trompé ; vous allez en juger.

J’avais dit que l’impôt des patentes était absurde, surtout de la manière dont il est établir en Belgique. Il a répondu que si cet impôt est absurde, nous ne sommes pas les seuls à être absurdes, car partout le droit de patentes existe. Il faut avouer que ce n’est pas là répondre. Car, il y a plus d’une absurdité ancienne et acceptée partout. Si c’était une loi pont nous de nous en tenir en Belgique à ce que font les autres gouvernements, il résulterait de là que nous serions condamnables et damnables pour avoir méconnu le grand principe que les souverains sont propriétaires des peuples, le grand principe de la légitimité devant lequel se prosternent encore la plupart des peuples de l’Europe. Cependant, c’est la une incontestable absurdité. Mais c’est aussi la plus respectable de toutes les absurdités ; car je n’en connais pas de plus générale ni de plus ancienne. (On rit.)

Ainsi, une conséquence des principes du ministre des finances serait que nous ne devions pas chasser le roi Guillaume ; que par respect pour la légitimité, nous ne devions pas faire la révolution.

Je ne me permettrai pas de prononcer le mot d’absurdité, mais vous voyez que vos arguments vont trop loin. Ils prouvent trop et par suite ne prouvent rien. Ce n’est pas par des généralités qu’on répond à des arguments déterminés sur une matière spéciale. On me permettra d’attendre d’autres raisonnements avant de renoncer à mes observations.

On a dit (et cet argument est aussi fort que le premier) : « Les douanes sont établies au profit de qui ? » C’est le ministre qui s’adresse à lui-même cette question, et il répond : « Elles sont établies au profit de l’industrie et du commerce. Donc, ajoute le ministre, l’industrie et le commerce doivent supporter le droit de patentes. » Je ne dirai pas encore que c’est là une absurdité ; mais je dirai à mon tour : les droits de douanes sont établis … au profit de qui ? Des producteurs. Or, les producteurs supportent-ils seuls la contribution des patentes ? Non. Cependant les droits de patente ne profitent qu’aux producteurs. Personne n’oserait nier cette assertion. Eh bien, pourquoi ne faites-vous pas payer les patentes à tous les producteurs ? Le propriétaire d’un champ, le cultivateur, celui qui possède des bois, ne paient pas de patentes.

D’un autre côté, il y a une infinité de classes de patentables qui n’ont rien de commun avec la douane et pour lesquels la douane est plus nuisible qu’utile, les détaillants, par exemple. Qu’importent les droits de douanes à celui qui vend en détail du sucre et du café, du sel, du drap, tout ce qui se vend ; en un mot tous les débitants enfin, quel intérêt ont-ils à la douane, ne les gêne-t-elle pas, ne restreint-elle pas leur industrie au lieu de la protéger. En un mot il faut reconnaître que les droits de douanes ne profitent qu’à ceux qui produisent ; or ceux-là sont à ceux qui paient la patente comme un est à cent. Ainsi vous voyez que votre argument ne prouve rien et qu’il renforce au contraire ce que j’ai essayé de démontrer.

Ou vous a dit que les patentes dont j’ai parlé pour les distillateurs, les brasseurs, les débitants de genièvre, les marchands de vins, pourraient entraîner à l’exercice, et on a tiré de là la conséquence que je voulais le rétablissement des droits réunis : à Dieu ne plaise ! Mais s’il est un système qui rende nécessaire l’exercice, c’est assurément celui qui existe maintenant pour les distilleries et les brasseries ; car là il faut une vérification de tous les jours, de tous les instants, tandis que pour la patente, il suffit de constater qu’on a débité des boissons, pour être soumis à la patente. Il résultera de là, à la vérité, qu’il y aura moins de débits de genièvre, cela est possible. On débitera, dit-on, le genièvre clandestinement, soit : il y aura fraude à la loi quelquefois, souvent même, soit encore ; eh bien, n’est-ce pas ce qui arrive pour tous les impôts ! Mais cette gêne procurera au moins un résultat moral. Dès qu’on ne pourra débiter de genièvre ostensiblement dans un cabaret sans payer patente, on en débitera moins. Il y aura donc moins d’ivrognerie et d’immoralité, et par cette mesure vous arriverez donc à un but moral tout au moins, ce qui n’est pas à dédaigner, vous aurez une nouvelle ressource pour le trésor, ce qu’il n’est pas d’usage de repousser.

Mais serait-il bien difficile d’établir un renforcement de droit, par la patente, à l’égard des distillateurs et des débitants de genièvre ? Serait-il si difficile de constater ceux qui ne se soumettraient pas à la patente à raison de leur débit. Je ne le pense pas. La difficulté est d’établir la hauteur du droit à raison de la fabrication ; mais la difficulté, à raison de la fixation de la patente, est moindre que sur le premier point.

On vous a dit, venant aux célibataires, que ce serait un impôt arbitraire ; mais j’ai répondu d’avance à cette observation.

J’ai dit que tous les impôts de cotisation étaient arbitraires plus ou moins. J’ai démontré que l’impôt que je propose est moins arbitraire que celui des patentes, car ce dernier impôt n’a aucune base quelconque, tandis que celui sur les célibataires en aurait au moins une ; car il est un point incontestable, c’est que le célibataire a bien moins de charges que le père de famille. Dès lors il y a une base certaine d’augmentation ou au moins de différence d’impôt entre les célibataires et les pères de famille.

Les célibataires paient, dit-on, l’impôt pour le logement qu’ils occupent, pour leurs chevaux, pour leurs domestiques. Ils ne font là ce que font tous les pères de famille. Mats si tel célibataire qui a 10,000 fr. de revenus peut payer l’impôt comme tout le monde, pourquoi faites-vous peser la même contribution sur le père de famille, sur celui qui ayant une femme et 4 enfants, terme moyen, a ainsi six personnes aux besoins desquels il doit pourvoir. Le célibataire n’a à songer qu’à lui seul. L’homme marié doit pourvoir à 5 personnes de plus. Cependant vous faites peser sur l’un et l’autre un impôt égal dans sa base et quintuple dans ses résultats. Il en est de même pour tous les impôts de consommation ; le père de famille les supporte pour six personnes, tandis que le célibataire ne les supporte que pour lui seul. Ainsi l’homme marié paie six fois ce que paie le célibataire, alors qu’il devrait, en raison des charges qui diminuent ses ressources, payer cinq fois moins. Est-ce cela de la justice ? est-ce cela de l’égalité proportionnelle ? Qu’on veuille bien me répondre.

M. le ministre des finances s’est imaginé, je ne sais dans quel but, que j’avais voulu lui adresser à lui personnellement un reproche d’inertie…

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Non, vous avez parlé en général.

M. Gendebien. - C’est différent. Vous avez raison pour cette fois au moins ; j’ai parlé en général de tous ceux qui sont appelés à voter ou à proposer des lois de finances ; mes reproches ou plutôt mes observations s’adressent aux chambres comme au ministère.

Il vous a dit : « L’inertie est souvent de la prudence... On ne doit toucher aux impôts qu’avec une grande circonspection… Il faut éviter les reproches de la part des contribuables. » Cela est très juste, mais c’est pour éviter de tels reproches que j’ai fait ma proposition, car, je le répète, c’est un devoir pour nous de réaliser les promesses faites par la constitution depuis six ans. Et à coup sûr, si vous diminuez l’impôt des patentes en raison de l’extension que vous donnerez à la matière imposable en étendant le droit de patente à ceux qui ne font rien et aux célibataires et aux veufs sans enfants, vous ferez une chose utile au commerce et au pays. Si quelques célibataires étaient assez égoïstes pour se plaindre, vous auriez la plus grande partie des patentables qui béniraient le gouvernement, et il y aurait là ample compensation.

Messieurs, je n’en dirai pas davantage pour le moment ; je sais bien qu’il est inutile d’insister actuellement sur ces principes ; mais, je le répète, j’ai rempli mon devoir en protestant de nouveau contre le système que l’on suit ; et j’espère que chacun de nous faisant son devoir, méditera sur les moyens d’améliorer cette branche de notre administration et qu’usant du droit d’initiative il sera proposé des projets pour une meilleure assiette de l’impôt.

M. Mast de Vries. - Comme l’a fait observer l’honorable M. Verdussen, il me semble que les 120,000 fr. ne font pas un grand effet sur un budget de 86 millions ; mais le trésor ne se trouverait pas en déficit de cette somme, car d’après des mesures prises dans un pays limitrophe, nous aurons le moyen d’en récupérer le double ou le triple.

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je vois que les membres quittent leurs bancs ; je répondrai demain.

- La séance est levée à cinq heures.